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N O 323 JANVIER/FÉVRIER 2009 Revue de la qualité de vie au travail Bimestriel du réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail ARGUMENTS (P. 4 À 9) Maria-Héléna André (CES), Joseph Thouvenel (CFTC), Maxime Cerutti (Business Europe), Danielle Kaisergruber (DKRC) Dominique Méda (CEE), Jorma Karpinnen (Fondation européenne pour l’amélioration de la qualité de vie et de travail), Karl Kuhn (ENWHP), Emmanuelle Brun (AESST), Xavier Lacoste (Altedia) CÔTÉ EUROPE (P. 10 À 15) Analyse Attractivité : la preuve par 105 Pays-Bas Les risques sont rois au royaume des tulipes Allemagne Une autre histoire de reconstruction Société Travail et famille : deux valeurs conciliables ? Roumanie Une mine d’initiatives pour les gueules noires

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NO 323 JANVIER/FÉVRIER 2009 Revue de la qualité de vie au travail

Bimestriel du réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail - Avec le soutien du Fonds social européenBimestriel du réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail

ARGUMENTS (P. 4 À 9)

Maria-Héléna André (CES), Joseph Thouvenel (CFTC),Maxime Cerutti (Business Europe), Danielle Kaisergruber (DKRC) Dominique Méda (CEE),Jorma Karpinnen (Fondation européenne pourl’amélioration de la qualité de vie et de travail),Karl Kuhn (ENWHP), Emmanuelle Brun (AESST),Xavier Lacoste (Altedia)

CÔTÉ EUROPE (P. 10 À 15)

AnalyseAttractivité : la preuve par 105Pays-BasLes risques sont rois au royaume des tulipesAllemagneUne autre histoire de reconstructionSociétéTravail et famille : deux valeurs conciliables ?RoumanieUne mine d’initiatives pour les gueules noires

TRAVAIL ET CHANGEMENT N°323 janvier/février 2009 ENJEUX

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des services et, enfin, l’augmentation dunombre de travailleurs qui sont en rela-tion directe avec les clients.

> Quelles prioritéspour l’avenir ?Ces évolutions européennes connues,il reste à déterminer sur quoi se fon-deront les bonnes pratiques d’amélio-ration des conditions de travail et enquoi, surtout, elles pourront être exem-plaires et déclinées dans les différentspays. L’Europe cherche a engagé desréflexions sur plusieurs pistes. Pourcela, elle mobilise Eurofound. Elle aaussi appelé l’Agence européenne pourla santé et la sécurité au travail de Bilbaoà « créer un observatoire des risques afind’anticiper les risques nouveaux et émer-gents » (voir interview page 9). Il seranotamment question de traiter les risqueset les opportunités liés aux nouvellestechnologies. De fait, certaines problé-matiques deviennent incontournables.Parmi celles-ci, reviennent : les popu-lations plus «fragiles» en proie à cer-taines formes de discrimination (seniors,jeunes, femmes, handicapés…), lesméthodes de management, la flexibi-lité des temps de travail et conciliationvie privée-vie professionnelle, les tran-sitions professionnelles et les parcours,le travail indépendant (de plus en plusde salariés y ont recours), la formationet l’acquisition des compétences, la pré-vention des risques et l’évolution desquestions de santé et sécurité au travail…Autant de sujets évoqués lors des débatssur le sujet* et priorités de l’agendasocial européen dans le cadre de laStratégie de Lisbonne post 2010. Entoile de fond se retrouvent le contexte éco-nomique, la globalisation, les change-ments démographiques, l’évolution desmodes d’organisation, les questionsenvironnementales, les discussions sala-riales, le rôle des partenaires sociaux…

Qualité de vie au travail enquestions d’UnionDepuis plus de quinze ans, l’Europe est dotée, avec une enquête européenne, d’un outil fiable d’observation des conditions de travail. Des grandes tendances qui se dégagent émergent de nombreuses questions relatives à l’avenir… Et, à la clé, un indice européen de la qualité de vie au travail?

En mars 2000, lors du Conseil européen

de Lisbonne, l’Union européenne

s’est fixé un « nouvel objectif

stratégique » pour les dix années

à venir: devenir l’économie la plus

compétitive et la plus dynamique

du monde, capable d’atteindre

un développement économique durable

grâce à plus d’emplois de meilleure

qualité, ainsi que davantage de cohésion

sociale. Ce cadre d’action fixé

jusqu’en 2010 est connu

sous l’appellation de « Stratégie

de Lisbonne ». Les champs de réforme

sont l’innovation comme moteur

du changement, l’« économie

de la connaissance » et le renouveau

social et environnemental.

La Stratégie de Lisbonne: la cohésion dans l’action

investissements massifs et à des actionsde formation importantes pour les sala-riés. Il devra aussi répondre aux déléguéssyndicaux qui souhaitent ouvrir des négo-ciations sur le temps de travail, les par-cours professionnels, la prévention dustress ou encore la flexibilité. Ces petites et grandes histoires du mondedu travail racontent-elles la société dedemain ? Marc et Anke vont-ils parvenirà se réaliser dans leur travail ? Dans sonentreprise, Enzo va-t-il pouvoir associerperformance et qualité de vie au travail ?Les différentes expériences menées en

Europe apportent un éclairage. Depuisquinze ans, l’évolution des conditions detravail dans les pays européens est ana-lysée, décryptée via notamment la Fon-dation européenne pour l’améliorationde la qualité de vie et de travail (Euro-found, Fondation de Dublin) qui fournitune photographie régulière en forme d’en-quête. La dernière étude date de 2005(voir interview page7). Même si 80% dessalariés européens sont satisfaits de leurtravail, plusieurs tendances aux inci-dences moins positives se dégagent: l’in-tensification du travail, l’augmentationdes contrats courts et du travail à tempspartiel non choisi, l’explosion du secteur

Marc, travailleur « nomade »français, serait-il mieux lotis’il exerçait en Italie, au

Royaume-Uni ou au Danemark– souventcité comme exemple dans leur approchede la flexibilité ? Ce responsable de lamaintenance dans une société d’infor-matique, qui toute la semaine sillonne lesroutes à la rencontre de ses clients, enrestant joignable 24 h/24, doit souvent seposer la question tant il est aujourd’huidifficile de ne pas chercher comparaisonailleurs. La qualité de vie au travail est eneffet une question dont s’est depuis long-

temps saisie l’Europe. La Stratégie de Lis-bonne s’était donné un cadre d’action àl’horizon 2010 (voir encadré ci-dessous).Le temps du bilan et la nécessité d’es-quisser des perspectives arrivent.Car Marc n’est pas le seul à s’interrogersur ses conditions de travail et son avenirprofessionnel. Il y a aussi Anke, aide àdomicile, qui ne sait pas si elle retrouverason poste à temps plein à son retour decongé parental. Résultat : pour retrouverune activité à plein temps, elle doit désor-mais acquérir de nouvelles qualifications.Quant à Enzo, chef d’entreprise, il sait sonaffaire fragile. Il a dû faire face à d’impor-tants changements, qui l’ont obligé à des

Il reste à déterminer sur quoi se fonderont les bonnes

pratiques de l’amélioration des conditions de travail.

page 3

1970 : un foyer français.

L’homme seul travaille. Il est

à temps plein, en CDI, à 40 heures

hebdomadaires, sur un lieu

de travail fixe. Il restera

dans la même entreprise

jusqu’à la fin de sa carrière.

2010: un foyer similaire.

Toutes ces données ont éclaté.

Il y a désormais deux actifs, avec

des statuts d’emplois différents,

des parcours qui ne sont plus linéaires,

des lieux de travail dispersés…

Ces évolutions marquantes

changent le rapport au travail.

Ce numéro tente de capter

ces transformations à travers

un panorama de pratiques

européennes invitant à la réflexion.

Le Réseau Anact s’inscrit aussi

dans cette logique en signant

son nouveau contrat avec l’État :

de 2009 à 2012, celui-ci permettra

d’accompagner les entreprises

face aux nouvelles réalités du travail.

Promotion de la santé, conduite

des changements techniques

et organisationnels, développement

des compétences et des personnes,

reconnaissance de la pluralité

des populations – genre et âge

notamment – ; management

du travail… Tels sont les principaux

thèmes retenus, en concertation

avec les partenaires sociaux,

pour faire de l’amélioration

de la qualité de vie au travail

un facteur clef et durable

de la performance des entreprises.

« Accompagner les entreprises

face aux nouvellesréalités du travail. »

> Vers un indiceeuropéen

Les partenaires sociaux sont eux aussimobilisés. Ils proposent notamment decréer un indice de la qualité de vie au tra-vail, le “European Job Quality index“. Ilsont déjà élaboré un document de travailautour de différents champs: les salaires,les statuts d’emploi, l’équilibre vie pro-fessionnelle et vie privée, les facteurs desanté au travail, les compétences et lesparcours professionnels, le dialogue social.Les indicateurs choisis s’appuient sur lesrésultats de l’enquête européenne**. Cetteidée pourrait également se nourrir desexpériences dont peuvent déjà se récla-mer certains pays. Le Danemark et lesPays-Bas font ainsi figures d’exemplesavec leur approche de la flexicurité, notionqui englobe d’une part, la flexibilité pourles entreprises en fonction de leurs besoinset d’autre part, le temps de travail flexibleet la sécurité des transitions profession-nelles pour les salariés. Le Royaume-Unise montre, quant à lui, très actif, depuis2002, sur le système de formation pro-fessionnelle continue à travers les UnionLearn Représentatives. Ce réseau de syn-dicalistes d’entreprises est chargé de dia-gnostiquer les besoins en formation dessalariés, de choisir les prestataires de for-

mation et, éventuellement, de négocierdes accords sur ce sujet dans l’entrepriseou au niveau des branches. L’Espagne revi-site son système de négociation et deconventions collectives et vient de créerun statut du travailleur indépendant, pre-mier du genre en Europe. La Pologne, elle,devrait la suivre d’ici peu, et la Suède saitse montrer très imaginative en matièred’aménagement des temps de travail. S’il subsiste de grandes disparités dansles situations des États membres, ancienset entrants, toutes ces expériences et cespistes montrent de nombreuses conver-gences entre les travaux entrepris par lesuns et les autres L’ensemble de ces sujetsd’étude et de réflexion montre qu’il y aencore fort à faire pour les acteurs desentreprises, des branches profession-nelles, des territoires… Ils induiront pro-bablement la nécessité d’une nouvelleapproche de la négociation collective etde nouveaux besoins pour les partenairessociaux (voir interviews pages 4-5). ■

Béatrice Sarazin (rédactrice en chef)

* En octobre dernier, l’Anact et la Fondation de Dublinont organisé deux journées de réflexion autour de laqualité de vie au travail en Europe pour la décennie 2010.

** voir sur le site de la Fondation européenne : newEuropean job quality Index to monitor job quality :www.eurofound.europa.eu/ewco/2008/06/EU0806019I.htm

Jean-Baptiste Obéniche,directeur général de l’Anact

ÉDITORIAL

Europe:

Source de toutes les informations chiffrées de ce numéro : quatrième enquête européenne sur les conditions de travail (Eurofound).

TRAVAIL ET CHANGEMENT N°323 janvier/février 2009 ARGUMENTS

C

Concrètement, comment cela doit-il se traduire ?De plusieurs manières. En termes de sa-laires d’abord. Cependant, la question sa-lariale se décide exclusivement aux ni-veaux nationaux, sectoriels et au niveau del’entreprise en lien avec la compétitivité desentreprises et la productivité. En termesde sécurité ensuite. Il s’agit, au traversde ce qu’on appelle la flexicurité, d’amé-liorer la participation à l’emploi. Il faut icidissiper un amalgame trop souvent établientre flexibilité et précarité. Rappelons

Comment la CES s’empare-t-elle des questions de qualité de vie au travail en Europe ?Pour la CES, il s’agit surtout de concilieremplois, qualifications et attentes des sala-riés. En adaptant les bonnes pratiques etles conditions de travail, on aidera à pré-server santé, motivation et capacité à tra-vailler. Par exemple, en mettant fin à ladiscrimination, en créant des lieux de tra-vail accessibles et en promouvant une flexi-bilité positive et négociée. Citons aussi desmesures pour promouvoir la réconcilia-tion entre vie privée et vie professionnelle,les négociations en cours sur la révisionde la directive sur le congé parental, l’ac-tion commune auprès des institutions com-munautaires sur la quantité et la qualitédes services de garde des enfants ou desinfrastructures sociales pour les personnesdépendantes.

Quel regard portez-vous sur la Stratégie de Lisbonne ?Il est critique mais aussi positif. Critiqueparce que, faute de volonté politique de lapart des États membres et en raison de lafaiblesse de la Commission européenne,la Stratégie de Lisbonne n’a jamais été

une stratégie intégrée, mettant sur lemême pied d’égalité ses différents piliers.Aussi, les aspects liés à la politique et àla cohésion sociales sont restés au secondplan. La quantité a été privilégiée, au détri-ment de la qualité. Mais regard positif aussiparce que sa mise en œuvre a montré qu’iln’y a pas de contradiction entre systèmesde bien-être généreux, croissance éco-nomique et création d’emplois. Au contraire,la plupart des États membres les plus per-formants ont garanti un haut niveau deprotection sociale quand il s’agissait d’at-teindre les cibles de la Stratégie de Lis-bonne. Ceci montre que les travailleursqui se sentent en sécurité et en confiancecontribuent activement aux changementsstructurels continus, nécessaires pourfaire face aux défis de la mondialisationet de l’Union européenne.

page 4

Le point de vue des partenaires sociaux Propos recueillis parBéatrice Sarazin et Muriel Jaouën (journaliste)

Stratégie de Lisbonne… Et aprDans le cadre des actions qu’elle a lancées sur les questions relatives à la qualité de vie au travail enEurope, la Stratégie de Lisbonne a voulu mettre en place une politique pour « plus et de meilleursemplois ». Qu’en sera-t-il à l’échéance de 2010? Les partenaires sociaux européens sont relativement enphase avec le cheminement à effectuer.

d’attirer les compétences nécessaires ausuccès de l’entreprise et, à cette fin, d’en-courager une main-d’œuvre qualifiée àrejoindre les entreprises et à y rester. Pource faire, il est nécessaire d’offrir lesmeilleures conditions de travail possibles.

Quelles vont être vos priorités après 2010?La CES va lancer une campagne sur le res-pect des droits des travailleurs, pour s’as-surer que cette question figure haut et fortdans la stratégie post-Lisbonne. La qualitédes contrats de travail sera certainementune de nos cibles. Même si les contrats detravail à durée indéterminée restent la règlegénérale, il y a quand même une tendanceà l’augmentation du travail atypique et dutravail à temps partiel, souvent féminin,occupé par des travailleurs qui ont de plusen plus de mal à trouver des postes à plein-temps. La part importante des contrats àdurée déterminée augmente de façon conti-nue et représente même un tiers de l’em-ploi des salariés dans certains pays. La for-mation des travailleurs sera aussi un thèmeprioritaire. C’est un nouveau champ quis’ouvre pour les relations sociales en Europe.Les questions liées à la mobilité, à la migra-tion ou à l’intégration réussie, sans discri-mination, feront également partie de l’agenda. Ceux qui prétendent que l’économie euro-péenne ne peut pas croître parce qu’elle estcontrainte par des rigidités (Europe socialeet droits des travailleurs) ont tort. Ce qu’ilfaut, c’est investir dans les personnes aulieu de réduire leurs droits de travail.

CComment Business Europe aborde-t-elle la question de la qualitéde la vie au travail ?Comme une problématique transversale,qui interfère avec de nombreux aspects del’emploi et que nous appréhendons au tra-vers de réflexions récurrentes, mais aussivia des contacts et débats avec des parte-naires multiples. En tant qu’organisationpatronale, notre point de vue est celui del’employeur. Nous envisageons donc la qua-lité de la vie au travail comme liée à unepolitique d’attractivité de l’emploi. Il s’agit

MARIA-HÉLÉNA ANDRÉ, secrétaire générale adjointe de la Confédération européennedes syndicats (CES)

MAXIME CERUTTI,conseiller au sein du départementaffaires sociales de Business Europe,organisation patronale européenne

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TRAVAIL ET CHANGEMENT N°323 janvier/février 2009 ARGUMENTS

ÀÀ votre avis, l’Europe est-elle en capacité de s’emparer des questionsde qualité de vie au travail ? Oui, la capacité existe en Europe. Le som-met de Lisbonne, en 2000, appelait d’ailleursà se mobiliser pour « plus et de meilleursemplois ». C’est dans cette perspectiveque la CES (Confédération européenne dessyndicats) s’est emparée de la thématiquede la qualité de vie au travail avec, parexemple, une campagne contre les TMS(troubles musculosquelettiques) en 2007ou avec la campagne 2005-2006 « Plusd’emplois et de meilleurs emplois ». Maisau-delà de la capacité, il manque une véri-table volonté politique européenne. Sur cesujet, comme sur d’autres, il y a un gouffreentre les déclarations d’intentions de laCommission et des gouvernements et lesactes concrets.

Le dialogue social européen vous paraît-il suffisamment structuré ? Le dialogue social est ancré dans le traitéinstituant la Communauté européenne.L'article 118B du traité (introduit par l'Acteunique européen) attribue à la Commis-sion la tâche de développer le dialoguesocial au niveau européen. En 1985, une

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sacrifie la santé et la sécurité des tra-vailleurs à la recherche d’un profit maxi-mal, et qui leur nie la possibilité decontrôler leurs conditions de travail.Les échanges que nous avons avec nospartenaires européens dans le cadre dela CES, ou à l’occasion de séminairesque mettent en place les organisationssociales chrétiennes au sein d’EZA(Europäische Zentrum für Arbeitneh-merfragen, « Centre européen pour lesquestions sur le travail »), sont richesd’échanges, d’expériences et d’élabo-ration de stratégies communes. Parexemple, à l’occasion d’un séminaireorganisé fin octobre par la CFTC avec,notamment, des représentants d’Alle-magne, de Belgique, d’Espagne, d’Ita-lie, de Malte, d’Irlande, de Pologne, deRoumanie et de Hongrie, il est très clai-rement ressorti que la conciliation destemps de vie professionnels, familiauxet personnels constituait un élémentmajeur du mieux-être au travail.

Existe-t-il des sujets « émergents »qui vont modifier la société de demain et doivent êtreprioritairement pris en compte ?Accélération parfois « féroce » de la pro-ductivité, délitement du lien social,menaces sur les temps collectifs dédiésà autre chose qu’à la production et à laconsommation (dimanches et jours fériés),utilisation à outrance de certaines tech-nologies (ordinateurs ou téléphones por-tables), véritables « laisses » électro-niques… Autant de défis à relever pourque l’être humain soit respecté danstoute sa dignité et reste le but du déve-loppement économique et non le moyende produire toujours plus au seul profitde quelques-uns.

avancée importante a ainsi été franchielorsque Jacques Delors a réuni les parte-naires sociaux aux premiers Entretiens deVal Duchesse, conférant une nouvelle vigueurau dialogue social. Des accords cadres auto-nomes entre les partenaires sociaux ontété mis en œuvre selon les procédures etles pratiques propres aux employeurs, sala-riés et États membres, notamment sur letélétravail (2004) ou le stress au travail(2004, mais seulement transposé en Franceen juillet 2008!). On peut également y ajou-ter des directives sur la santé et la sécu-rité au travail, sur les lieux de travail, surles équipements de travail et protectionindividuelle, sur la manutention manuellede charges, sur les équipements à écrande visualisation ou encore la directive concer-nant certains aspects de l'aménagementdu temps de travail.Mais cela ne suffit pas, ce sont souvent desaccords a minima et beaucoup de cheminreste à parcourir…

Comment voyez-vous cela en tant que syndicaliste français ? La CFTC comme la CES entendent attirerl’attention sur les conséquences inaccep-tables d’une organisation du travail qui

que, dans 70 % des cas, le temps partiel estchoisi par les salariés. Autre levier d’amé-lioration des conditions de travail : le dé-veloppement des compétences, qui re-pose, entre autres, sur des programmes deformation adaptés aux nouveaux besoinsdes entreprises et des salariés. Nouscroyons beaucoup aux perspectives de laformation tout au long de la vie. Enfin, ilfaut renforcer les politiques de conciliationentre les sphères professionnelle et fa-miliale. La révision en cours de la directivesur le congé parental s’inscrit dans cettelogique.

Quelles thématiques émergentes identifiez-vousaujourd’hui en priorité ?Je pense notamment à la question démo-graphique. Vieillissement de la popula-tion oblige, l’Europe va se trouver confron-tée, à partir de l’année 2011, à une réductionde la main-d’œuvre. Il y a là un enjeumajeur pour les entreprises. Il va falloir,en accord avec la Stratégie de Lisbonne,développer la participation à l’emploi.La flexicurité apparaît, elle aussi, d’oreset déjà, également, comme une questionémergente majeure.

ès?

JOSEPH THOUVENEL, secrétaire général adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), en charge des questions économiqueset européennes

TRAVAIL ET CHANGEMENT N°323 janvier/février 2009 ARGUMENTS

ÀÀ quel objectif le travail que réalisele réseau ENWHP répond-il ?Des salariés en bonne santé dans desorganisations en bonne santé : telle estla raison d’être de notre réseau. Il a étécréé en 1996 lorsque l’Union européennea adopté un programme de promotionet d’éducation de la santé, pour amé-liorer le niveau de protection de la santéen Europe, notamment sur le lieu detravail. La promotion de la santé sertl’intérêt général et c’est un moteur dela prospérité sociale et économique.ENWHP est le principal levier européende promotion de la santé sur le lieu detravail et compte désormais 31 membres œuvrant pour cela au niveau national (notre partenaire français étant le RéseauAnact). Tous les membres et les parte-naires poursuivent collectivement unseul objectif : améliorer la santé sur lelieu de travail et promouvoir le bien-être. En cela, ENWHP est une plate-forme incontournable pour eux.

Comment appréhendez-vous les préoccupations de santé etsécurité au travail ?La vision d’ENWHP est fondée sur une perspective large et complète de lasanté. Tout d’abord, une bonne santéau travail résulte d’un processus social,

donc d’actions menées par différentsacteurs à l’intérieur et à l’extérieur desentreprises. Les directions en sont lesprincipaux protagonistes, ainsi que lessalariés à travers les méthodes de mana-gement fondées sur une culture partici-pative. La santé au travail est aussi lerésultat de différents facteurs détermi-nants comme la politique et la stratégiegénérale de l’entreprise, la qualité de l’en-vironnement de travail, l’organisation detravail, sans oublier les pratiques per-sonnelles. Enfin, la santé au travail a unimpact sur la qualité de vie au travail ethors travail : c’est donc aussi un enjeu desanté publique. Tout cela concourt de façonconjointe à la santé des individus au tra-vail et à l’amélioration de la performancede l’entreprise. Ce qui, à son tour, contri-bue au développement social et écono-mique aux niveaux local, régional, natio-nal et européen. À partir de ces principes,ENWHP soutient de nombreuses initia-

tives collectives de promotion de la santéau travail dans les grandes entreprises,les PME et l’administration publique. Etce, dans un contexte de main-d’œuvrevieillissante.

Quelles vont être vos priorités pour les prochaines années ?D’ici à 2010, nous avons un objectif : per-mettre à tous les pays membres d’ENWHPde bénéficier d’une infrastructure de soutien à l’échelle nationale, qui impliqueles acteurs tant institutionnels que non-institutionnels. Ceux-ci doivent identifieret diffuser des bonnes pratiques de santéet sécurité au travail, selon les prioritésnationales, et participer activement aupartage de connaissance au niveau euro-péen. C’est une politique incontournablepour permettre une augmentation signi-ficative du nombre de salariés européensappartenant à des entreprises qui pro-meuvent la santé.

Analyses, enquêtes, actions dans les entreprises… Le monde du travail au sein des paysmembres de l’Union est depuis de nombreuses années l’objet de toutes les attentionsd’institutions européennes et d’experts intervenant sur le terrain. La encore, l’après Stratégiede Lisbonne se dessine.

Les invités du réseau Anact Propos recueillis par Béatrice Sarazin, et Muriel Jaouën et Céline Baujard (journalistes)

L’Union européenne du monde d

rythme de travail dépend de demandesdirectes des clients. L’intensité du travail(rythmes, délais, cadences) augmente, avec une part de travail en autonomie toujours assez élevée mais en diminution.La proportion d’utilisateurs d’ordinateursau travail a augmenté de 31 % à 47 % enquinze ans (mais 44 % des travailleurs ne les utilisent pas du tout) et l’on note que plus de 20 % des travailleurs ne sontjamais dans leur entreprise. Près d’un travailleur sur quatre pense être exposé àdes risques en matière de santé et sécuritéa u t ra va i l – p ro p o r t i o n q u i b a i ss e régulièrement depuis quinze ans. Enfin, lesf e m m e s a c c è d e n t le n t e m e n t a u x fonctions dirigeantes alors que dans lemême temps les écarts entre hommes et

QQu’enseigne la dernière enquêtemenée par la Fondation sur l’évolutiondes conditions de travail en Europe* ?On peut relever quelques éléments sur le plan général et dégager les tendancesprincipales: la durée de travail hebdoma-daire moyen a diminué régulièrement aucours des quinze dernières années, mais60 % des travailleurs européens ont deshoraires fixes. Pour 70 % d’entre eux, le

JORMA KARPINNEN,directeur de la Fondation européenne pour l’amélioration de la qualité de vie et de travail

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KARL KUHN, présidentd’ENWHP (European Network for Workplace Health Promotion)

Quels principaux enseignements en tirez-vous ?La grande majorité des personnes inter-rogées déclarent que le travail est trèsimportant dans leur vie. Il existe pourtantde très grandes différences en Europe entre,par exemple, les Danois et les Anglais, quisont seulement 40 % à déclarer que le tra-vail est très important, et la Roumanie,Malte, la Pologne ou la France, où le tauxmonte à 80 %. Cela s’explique en partie parla composition de la population interrogée,les différences culturelles et de niveau devie. Malgré tout, la France conserve uneposition spécifique: c’est le pays où les per-sonnes sont les plus nombreuses à décla-rer que le travail est très important.

Comment expliquez-vous cette singularité française ?Un premier élément à prendre en compteest le taux de chômage. Dans tous les paysconsidérés, il y a une relation forte entretaux de chômage et importance accordéeau travail : on désire d’autant plus ce quifait défaut. L’autre élément à prendre encompte, c’est l’ampleur des attentes queles Français expriment par rapport au tra-vail : ce sont les plus nombreux à penserqu’il faut avoir un travail pour développerses capacités et à en attendre une possi-bilité d’expression de soi et des relations.Cela tient sans doute à la place du diplômedans la culture française et au fait que letravail est partie intégrante du statut

social, sans doute plus qu’ailleurs. Para-doxalement, les Français sont aussi lesplus nombreux à souhaiter que le travailprenne moins d’importance dans leur vie.Quatre types d’explication sont possibles :la mauvaise qualité des relations sociales,les mauvaises conditions de travail etd’emploi (la France est en première posi-tion sur le stress et en dernière sur lespossibilités de promotion), la mauvaisearticulation entre le travail et d’autresactivités (La France est en deuxième posi-tion), enfin, le besoin de temps pour desactivités considérées comme aussi impor-tantes que le travail, par exemple cellesliées à la famille.

Quels autres résultats au niveaueuropéen ?Les jeunes ont des attentes encore plusfortes que les autres catégories d’âge. Les jeunes femmes des différents paysconsidèrent dans une forte proportion qu’il faut avoir un travail pour dévelop-per pleinement ses capacités. Dans tousles pays, le travail est considéré commetrès consommateur de temps et empê-cherait de se consacrer suffisamment à d’autres activités. La conciliation destemps apparaît d’ailleurs comme un pointtrès important dans le rapport au travail,partout en Europe.

* Plus d’informations sur: http://www.cee-recherche.fr/fr/doctrav/travail_europe_96_vf.pdf

L

u travail vue à la loupe

Le CEE vient de livrer les résultats d’une étude sur la place du travail dans la vie des salariés. De quoi s’agit-il?C’est un programme européen coordonnépar la Fondation travail de l’université deNamur et financé dans le cadre du sixièmeprogramme cadre de recherche et de déve-loppement technologique européen consa-cré aux évolutions du rapport au travail des différentes générations en Europe.Nous avons réalisé des exploitations d’enquêtes européennes et internationalessur les valeurs et la place du travail et menédes entretiens dans six pays : Allemagne,Belgique, France, Hongrie, Italie et Portu-gal. La question de départ consistait à savoirsi les jeunes ont aujourd’hui un rapport autravail spécifique et s’il existe des diffé-rences entre les générations. Nous avons utilisé (et mis à l’épreuve) la grille propo-sée par Ronald Inglehart (sociologie poli-tique), qui consiste à concevoir le travailsous sa double dimension « instrumen-tale » (le travail comme moyen de gagnersa vie) et expressive (le travail comme moyende s’exprimer et de se réaliser).

femmes continuent de se creuser (salaires,temps de travail, responsabilités…).

Comment la France se situe-t-elledans ce panorama ?La situation française se caractérise prin-cipalement par une bonne qualité d’emplois.Globalement, les travailleurs françaisconsidèrent à 72 % que leur travail est intéressant. 53 % travaillent constammentavec un ordinateur (plus encore que lamoyenne européenne qui, rappelons-le,s’établit à 47 %). En ce qui concerne leseffets du travail sur la santé, 27 % des tra-vailleurs français pensent que le travailjoue un rôle négatif (35 % en moyenne en Europe) avec 18 % qui souffrent de stress(22 % en moyenne) et 19 % de troubles

musculosquelettiques (23 % en moyenne).La France se situe dans la moyenne européenne si l’on envisage les questions d’égalité hommes-femmes. Un chiffre pré-occupant cependant : 19 % des Françaisseulement entrevoient de bonnes pers-pectives de carrière quand ce chiffre monteà 31 % en moyenne en Europe. Enfin, 36 %d’entre eux se considèrent bien payés alorsque la moyenne européenne est à 43 %.

Cela permet-il de dégager des pistessur les suites à donner à la Stratégiede Lisbonne ?Dans l’ensemble, l’Europe a amélioré sesemplois, mais il faut nuancer les tendances,l’enquête de 2005 ayant intégré de nou-veaux pays dont les situations sont variables

(économies, degrés d’industrialisation…).Ce que l’on voit bien émerger, c’est unimpact de plus en plus important du tra-vail sur la santé. Les risques classiquesne diminuent pas, d’autres émergent. Lesquestions liées au genre sont très pré-gnantes. Quelle gouvernance du travailpour la prochaine décennie ? La Fondationa mis en place différents observatoires(des relations industrielles et des condi-tions de travail) qui nourriront les réflexionset la connaissance du sujet dans tous lespays de l’Union.

* Cette enquête est menée tous les cinq ans depuis1991. L’édition de 2005, la quatrième, a été conduitedans 31 pays de l’Union européenne – 27 Étatsmembres, 2 pays candidats + la Norvège et la Suisse –auprès de 30 000 travailleurs.

DOMINIQUE MÉDA,directrice de l’unité de rechercheTrajectoires, institutions et politiques d’emploi au Centred’études de l’emploi (CEE)

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TRAVAIL ET CHANGEMENT N°323 janvier/février 2009 ARGUMENTS

CComment la question de la qualitéde vie au travail dans les pays de lanouvelle Europe – situés à l’est ducontinent – se pose-t-elle ?En vérité, elle se pose encore assez peu.En tout cas pas de manière formalisée.Il faut comprendre que l’on parle de paysoù les priorités en termes de protec-tion sociale et de transformation desentreprises ont été autres. Au débutdes années 1990, le changement ad’abord emprunté la voie des privati-sations, principalement au profit desociétés occidentales qui ont rachetédes entreprises locales et qui ont attiré,et attirent toujours, les salariés en pro-posant à l’embauche des « paquetssociaux » (aide au logement, primesd’entrée…). Mais je ne suis pas sûre queces entreprises cherchent à dévelop-per localement des modes de manage-ment plus avancés. Et pour cause : sielles s’installent à l’Est, c’est pour trou-ver des marchés où la main d’œuvre estmoins chère, et non pour améliorer lespratiques sociales. Améliorer les pra-tiques sociales vient après. Or, aujour-d’hui, ces pays se trouvent confrontésà des enjeux sociaux de taille.

De quels types ?D’abord la fuite des cerveaux. Un jeunemédecin polonais a plus intérêt aujour-d’hui à travailler à Dublin qu’à exercerà Varsovie. Du coup, les pays de la nou-

velle Europe ont recours à l’immigration :Ukrainiens en Pologne, Chinois et Viet-namiens en Slovaquie. Pour endiguer cesdéparts, il faudrait revaloriser les salaires.Facteur aggravant, la pyramide des âgesest venue créer un déséquilibre entrepopulations active et passive. On repenseles systèmes de retraite et il faut réhabi-liter le travail des seniors. Certains paysse sont d’ores et déjà attelés au problème,comme la République tchèque, qui a lancéun programme de maintien en activité deses travailleurs les plus âgés. La notionde formation tout au long de la vie com-mence également à intéresser de plus enplus d’acteurs publics et privés.

Certaines exigences liées aux modes devie professionnelle vont dès lors peut-être émerger ?Pour l’heure, les priorités sont ailleurs. Siles jeunes générations tiennent sans douteà un équilibre entre la vie privée et la vie pro-fessionnelle, les préoccupations sanitaires,la question du stress ou encore la problé-matique syndicale restent assez inexis-tantes. Il faut dire que les organisationssyndicales, dans ces pays, sont encore lar-gement marquées par une culture institu-tionnelle et finalement assez peu présentesdans les entreprises, où la négociation, de

ce fait, n’est pas des plus vivaces. Les entre-prises profitent d’ailleurs très clairement decette absence de contre-pouvoir.

Mais y a-t-il une qualité de vie autravail spécifique à ces pays ?On est parfois surpris, en allant à l’est :dans les banques, par exemple, il y a beau-coup plus de femmes dirigeantes qu’àl’ouest. Tout se fera de manière empirique.Aujourd’hui, il n’y a pas dans la nouvelleEurope de modèle social, mais une mul-titude de réalités qui cohabitent au seinde chaque pays. Subsistent en outre desécarts sensibles d’un pays à l’autre. LaSlovénie et la République tchèque ont sumettre en place des modèles de négocia-tion plus avancés, assez inspirés de ce quise pratique en Allemagne. Peut-être parcequ’elles ont maintenu une participationpublique assez importante dans les entre-prises. En revanche, les trois pays nor-diques, Lituanie, Slovénie et Estonie, sontencore à mille lieues du modèle suédois,même si les groupes nordiques commen-cent à développer des modèles de forma-tion intéressants. La qualité de la vie autravail, dans cette nouvelle Europe, vien-dra d’abord (et c’est déjà le cas) des pro-grammes européens, des orientations lan-cées depuis Bruxelles en matière desécurisation des parcours professionnels.

* auteure de La Nouvelle Europe : carnets de route, aux éditions de l’Aube qui vient de paraître, et de flexi-sécurité aux éditions de l’Anact.

La Stratégie de Lisbonne arrive à son terme. Quelles suites faut-ilenvisager ?Il existe une grande difficulté à définir età calibrer ce qu’est l’économie de la connais-sance. Parle-t-on de travailleurs intellec-tuels ? De qualifiés par opposition aux non-qualifiés ? De certains types d’activi-tés immatérielles ? Tout cela est encoretrès flou. Il y a un travail collectif théoriqueà poursuivre pour proposer ensuite desoutils d’analyse opérationnels. En matièrede préoccupations environnementales, onconstate que leur prise en compte peutcontribuer à améliorer les conditions detravail. Par exemple, certaines entreprisessont engagées dans des démarches deréduction des distances et des temps de

CComment doit-on aborder les questionsde la qualité de vie au travail pour ces prochaines années ?Il y a un besoin de remettre en cause lesapproches traditionnelles. Les pratiquesd’intervention en entreprise le montrent :un redécoupage des thématiques habi-tuelles est nécessaire. Par exemple, l’industrialisation de nombreux servicespose les mêmes problèmes qu’il y a dix ansdans l’ industrie : nouvelles formes

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d’organisation, évolutions permanenteset adaptation… On ne peut pas regarderles choses à travers le seul prisme de lasanté, du temps de travail ou des compé-tences. Il faut aborder les changementsde manière plus transversale. Les outilsopérationnels doivent eux aussi êtreconstruits pour prendre en compte l’en-semble des dimensions d’un sujet et per-mettre leur appropriation par les diffé-rents acteurs.

XAVIER LACOSTE,consultant, directeur du cabinet conseil Altedia

DANIELLEKAISERGRUBER,présidente du cabinet conseil DKRC,experte auprès de la Commissioneuropéenne*

QQuel est le rôle de la AESST?L’Agence de Bilbao est une instance del’Union européenne chargée de la collecte,de l’analyse et de la diffusion d’informa-tions techniques, scientifiques et écono-miques dans le domaine de la santé et dela sécurité au travail. Nous sommes repré-sentés dans les États membres par le biaisd’un réseau de points focaux.

Quels sont les risques professionnelsd’aujourd’hui et des prochainesannées ?Les prévisions réalisées entre 2003 et 2007ont reposé sur des enquêtes questionnairesréalisées auprès de quelque deux centsexperts en santé au travail. Elles font appa-raître que la santé et la sécurité au travailsont de plus en plus affectées par des pro-blèmes multifactoriels et combinés. Lestressprofessionnel est l’un des principaux défisauquel est confrontée l’Europe. Le manqued’activité physique est également un risqueémergent : positions de travail assises etprolongées engendrant TMS, troubles cir-culatoires, obésité… Les risques biolo-giques restent aussi souvent sous-estimés(maladies contagieuses comme le syn-drome respiratoire aigu sévère (SRAS), lagrippe aviaire, la dengue, pathogènes deve-nus résistants telle la tuberculose…).Les risques émergents chimiques sontenfin à prendre en considération, commeceux relatifs à l’utilisation des nanoparti-cules, aux substances allergènes et au

déplacement, ce qui bénéficiera à la santéau travail et à l’attractivité des emplois.Ces démarches doivent être encouragées.Autre thème fort à investir : la prise encompte du genre. Même si la Commissioneuropéenne y travaille depuis longtemps,il faut aller plus loin. On ne peut plus trai-ter les problématiques selon le profil typede l’homme, blanc et quadragénaire. C’estl’intérêt des salariés et des entreprises.

Quel sera le rôle de la négociationcollective dans l’Europe d’après 2010 ?C’est une vraie interrogation, d’autant quele taux de syndicalisation dans les paysvarie beaucoup : de 5 % en France à 70 %dans les États nordiques. Cette situationcontrastée amène à des compromis sociaux

plus ou moins exclusifs, en fonction dupoids des organisations syndicales. Parailleurs, la légitimité des seuls parte-naires sociaux pose question quand onvoit que ce qui touche au travail influeaussi énormément sur ce qui se passehors travail. Ce n’est plus d’un salarié autravail qu’on parle mais d’une personne.Il faut donc, au-delà de la négociation col-lective, trouver de nouveaux compromisavec d’autres parties prenantes.Le but est de créer la confiance et dedéfinir des cadres garants de la qualitéde vie au travail qui intègrent des donnéesexternes à l’entreprise. C’est aujour-d’hui nécessaire pour répondre auxbesoins des salariés dans toutes leursdimensions.

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Quand il y a crise, cela peut-il avoir uneincidence sur la qualité de vie au travail?Bien sûr, la situation économique a uneinfluence sur les entreprises, sur les mar-chés du travail, sur la façon dont certainesdécisions d’organisation vont être prises oupas… Certaines réflexions ou analyses dela situation du monde du travail perdent deleur pertinence lorsque les conditions exté-rieures se modifient. Plusieurs années deréflexion autour des démarches d’anticipa-tion, de gestion prévisionnelle des emploiset des compétences sont parfois oubliéesdans les moments où la conjoncture éco-nomique amène les directions d’entrepriseà envisager des suppressions d’emplois.Même si l’État peut intervenir et jouer unrôle de régulation, rien n’est jamais acquis…

recours croissant à des sous-traitants nonformés au risque chimique.

Quel est l’objectif de l’atelier« Prospective » ?Cet atelier s’inscrit dans l’étude prospectiveque nous démarrons en 2009 pour anticiperles risques émergents en 2020 et associésà l’utilisation des nouvelles technologies.Nouvel axe de travail indiqué par la straté-gie communautaire 2007-2012, il prolongecelle de 2002-2006 qui nous avait invités àcréer un « observatoire des risques » pouranticiper les « risques nouveaux et émer-gents ». Il vise à obtenir l’avis d’experts surles différentes méthodes de prospective, surla base d’une analyse des modèles existantset de valider une méthode. Nous avons essayéde rassembler les différents acteurs de laprospective au niveau international, euro-péen et national (OCDE, MIT, IRSST, FIOH,Cedefop…). Nous avons également invité legroupe consultatif tripartite de l’Observa-toire européen du risque de l’Agence.

Quelle méthodologie proposez vouspour mieux appréhender ces risques ?La méthodologie proposée par l’Agencerepose sur le développement de scéna-rios pour prévoir le futur en envisageant plusieurs versions plausibles du futur.L’objectif est d’anticiper les nouveauxrisques en santé et sécurité liés aux nou-velles technologies dans les dix pro-chaines années. Ces opt ions sont

EMMANUELLE BRUN,chef de projet à l’Observatoireeuropéen du risque, Agenceeuropéenne pour la sécurité et la santé au travail (AESST)

présentées aux décideurs politiques afinde leur fournir une base de réflexion à leurprise de décision. Pour construire ces scénarios, l’Agencecherche à intégrer des participants detoutes les disciplines de la santé et dela sécurité (économistes, démographes,politiciens, physiciens, experts de l’in-novation, scientifiques, industriels…).C’est cette méthodologie qui a finale-ment été adoptée par les participants.

Quelles sont les conclusions majeuresde cet atelier ?L’accent a été mis sur l’importance d’im-pliquer les groupes auxquels les scéna-rios sont destinés. Objectifs : améliorerl’identification des groupes ciblés avecles résultats de l’étude, assurer unemeilleure acceptation des scénarios pro-duits, donc une plus grande utilisationpar les groupes cibles.

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responsables des entreprises surla base d’un questionnaire réalisépar le groupe de chercheurs. TPE,PME, microentreprises, grandesentreprises, multinationales: toutesles tailles ont été prises en compte.L’expérience de chacune est exem-plaire, au sens qu’elle est repro-ductible dans d’autres entreprisesqui auraient la volonté de s’investir.Les dimensions dialogue social etparité hommes-femmes ont aussifait l’objet d’une attention particu-lière. Performance et condition detravail peuvent-elles faire bon ménageen Europe? La réponse est positive,et 105 entreprises le prouvent: leurexpérience est minutieusement rela-tée au sein de cette étude renduepublique. De Volvo, en Suède, à Bayer,en Allemagne, de Ferrari, en Italie(voir page suivante) à British Tele-com, pour ne citer que les plusconnues donc les plus grandes, pasde mystère: la conciliation entre per-formance et conditions de travail esttoujours l’affaire de la volonté del’entreprise. Notamment lorsquecelle-ci se montre animée par lavolonté d’améliorer la gestion deses compétences, le volet le plusimportant des orientations puisquetrois sur six le concernent. ■

Béatrice Sarazin

risques d’exclusion (jeunes à sco-larité courte, chômeurs de longuedurée…).Deux autres orientations regrou-pent les entreprises :�qui mènent des actions pour rendre le travail financièrement plus attractif que l’inactivité (mêmesoutenue par les aides sociales) ; �qui accordent des avantages oudes contreparties à la flexibilité quenécessite parfois l’organisation dutravail. Enfin, la sixième et dernièreorientation regroupe les entreprises:�qui peuvent intervenir commepôle de développement local en soutenant la création de microen-treprises ou de PME existantes.

La bonne volonté

comme fer de lance

Chaque pays contributeur a cherchéquinze cas d’entreprises corres-pondant à ces orientations. C’estainsi un total de plus de cent cas quiont été identifiés avec interviews des

La performance de l’entreprise et l’amélioration des conditions de travail sont-elles

conciliables ? Pour le savoir, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de

vie et de travail a lancé une grande étude, illustrée par 105 entreprises.

« Un travail attractif pour tous,contributions à la Stratégie de Lisbonneau niveau de l’entreprise »105 entreprisesPays : Allemagne, Autriche, France, Italie, Pays-Bas,

Royaume-Uni et Suède

Attractivité : la preuve par 105

L’étude « Un travail attractif pour tous : contributions à la Stratégie de Lisbonneau niveau de l’entreprise » a débuté en 2005 et aboutit aujourd’hui. Conduitepar une équipe projet de la Fondation européenne, la recherche d’entreprises a été menée dans sept pays de l’Union européenne. Les 105 cas d’entreprisesont fait l’objet d’une fiche complète rédigée à partir des interviews réalisées à l’occasion. Ils sont téléchargeables (en anglais), ainsi que l’étude sur le siteWeb de la Fondation européenne : www.eurofound.europa.eu/areas/qualityofwork/betterjobs/search.php

C’est en allant voir du côtédes entreprises que l’onp e u t n o n s e u le m e n t

démontrer l’adéquation entre la qua-lité de vie au travail et la compétiti-vité mais aussi la mesurer. Fort dece principe, un groupe de chercheursmené par la Fondation européennepour la qualité de vie et de travail alancé une étude (voir encadré). Saméthode: s’intéresser à ce qui sepasse dans les entreprises.

Six types d’entreprises

Le volet emploi de la Stratégie deLisbonne a été segmenté selon sixorientations, définies grâce à l’ana-lyse faite de l’enquête européennesur les conditions de travail.Trois orientations concernent l’amé-lioration qualitative et quantita-tive des ressources humaines etdes compétences. Elles permet-tent de regrouper les entreprises :�qui œuvrent pour améliorer lescompétences et l’employabilité ;� qui font participer au marché dutravail des groupes habituellementsous-représentés comme lesfemmes, les jeunes et les seniors ;� qui intègrent sur le marché dutravail des personnes exposées aux

.

l’accord instaure la mise en placed’une seule équipe supplémentairele samedi. La durée du travail n’estpas allongée: les salariés travaillantle samedi obtiennent une journéede récupération supplémentaire le

lundi. Quarante salariés sont ainsirépartis en seize équipes parsemaine. Dans cette même logique,les salariés ne sont plus obligés deprendre leurs congés de manièrecontinue mais peuvent les éche-lonner comme ils le souhaitent.Deuxième action : impliquer toutel’entreprise et permettre aux syn-dicats d’être associés aux déci-sions de l’entreprise. Ainsi, pourque l’accord soit véritablementparticipatif – gage d’adhésion –,trois comités sont mis en place,composés de membres de la direc-tion et de représentants des sala-

Illustration issue de l’étude « Un travail attractif pour tous » : le cas Ferrari. Le constructeur

automobile italien a conclu un accord entre direction, syndicats et salariés pour introduire plus de

flexibilité dans le travail et une plus grande latitude dans les temps de fonctionnement de l’usine.

FERRARISecteur : industrie

Activité : construction automobile

Effectifs : 2 700 salariés

Région : ÉMILIE-ROMAGNE, ITALIE

Grand prix de la flexibilité

Augmenter la flexibilité deses salariés pour accroîtresa performance. Tel est le

pari réussi de Ferrari, construc-teur automobile italien de formule1 et de voitures de sport, membredu groupe Fiat. En forte expansionsur le marché international, Fer-rari souhaite intensifier l’utilisa-tion de ses usines et rendre le tra-vail plus flexible en augmentant lenombre d’heures de productionhebdomadaire. L’accord d’entre-prise négocié entre les salariés, lessyndicats et l’entreprise lui a per-mis d’accroître son temps de fonc-tionnement pour faire face aux exi-

gences d’un marchéfortement mondialisé.Cet accord a égalementinstitué de nouvelleséquipes, de nouveauxjours de travail sans allon-ger la durée de temps detravail des salariés. Il aégalement offert auxemployés des possibili-tés d’accéder plus faci-lement au temps partiel,de faire reconnaître leurs

compétences et d’augmenter leurssalaires. Un accord gagnant-gagnantqui ne s’est pas fait tout seul: quinzemois de négociations ont ainsi éténécessaires pour le mettre au point.Il a été finalement signé par Fer-rari et les trois fédérations syndi-cales de la métallurgie italienne enjanvier 2006.

Une conciliation

réussie

Première pierre de l’édifice: conci-lier les exigences de l’entrepriseet les attentes des salariés. Ainsi,à la demande de l’entreprise d’in-troduire deux équipes complé-mentaires par semaine pour tra-vailler les samedis et dimanches,

riés. Un comité technique décide dela planification de la productionsur une base annuelle. Un deuxièmecomité organise et coordonne l’in-troduction du temps partiel. Il doitégalement redorer le blason de ce

mode de travail. Le troisième comitérevisite les niveaux de classificationdu personnel et propose des rééva-luations de certains employés. Centquarante salariés sont ainsi promusou voient leur salaire réévalué.Troisième action : instaurer unerémunération liée à la performance.Les salariés ont ainsi sensible-ment augmenté sur la période2005-2008. Un cas intéressant de flexibilitéquipermet de jouer plusieurs cartesautour du temps de travail. ■

Céline Baujard (journaliste)

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Fondé par Enzo Ferrari en 1929, Ferrari – pionnier de l’ingénierie automobile –,construit actuellement 6 500 véhicules chaque année. La construction automobile intervient au cœur de Maranello, près de Modène, tandis que le châssiset la carrosserie, tout en aluminium, sont réalisés par la branche de Ferrarispécialisée dans le travail de ce métal, Carrozzeria Scaglietti. L’usine historique est née au début des années 1940 et de lourds investissements ont été effectuésdepuis l’arrivée de Luca di Montezemolo à la tête de l’entreprise, en 1991. Grâce, en partie, à son arrivée chez Fiat en tant qu’actionnaire et associé techniquede la société en 1969, Ferrari s’est largement développé.

La saga Ferrari

Pour que l’accord soit véritablement participatif –

gage d’adhésion – trois comités sont mis en place.

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Charge de travail excessive,maux de dos, douleurs mus-culaires dans le cou et les

épaules, mouvements répétitifs… lesrisques physiques au travail sont uneproblématique que connaît l’en-semble des pays européens. LesPays-Bas ne sont pas épargnés.L’enquête sur les conditions de travail, réalisée par l’organisme de recherche TNO de 2003 à 2006,met notamment en lumière de plusgrands facteurs d’exposition auxrisques physiques pour les sala-riés ayant des horaires atypiques et pour les femmes enceintes.Premier constat de l’étude : les Néerlandais sont très exposés auxrisques physiques. Plus de 50 % des employés se plaignent de la répétitivité des mouvements et unquart d’entre eux de troubles musculosquelettiques (TMS) duspour la moitié à l’inconfort des positions de travail. Ces problèmesont été à l’origine de 7 % desabsences des salariés pendant lestrois mois qui ont précédé l’envoi duquestionnaire. Pour 40 % desNéerlandais, des mesures pour-raient être mises en place dans leslieux de travail pour prévenir lesrisques physiques. Ces mesuressont le plus souvent requises dansles secteurs financiers (60,1 %) etle secteur public (55,4 %). 21 % despersonnes interrogées estimentque des informations sur les risquesseraient nécessaires.

À horaires décalés,

risques aggravés

Deuxième enseignement : le tra-vail en horaire non conventionnel(horaires décalés, travail en soirée,de nuit ou encore le week-end)engendre plus de risques physiques

Salariés aux horaires atypiques, femmes enceintes, gare aux risques physiques ! L’enquête sur

les conditions de travail des Néerlandais réalisée par TNO de 2003 à 2006 montre que tous les

travailleurs du pays ne sont pas égaux face à ces risques.

Enquête quantitative sur les conditions de travail des Néerlandais conduite auprès d’employés de 15 à 64 ans en trois vagues successives par TNO. L’échantillon a étéconstitué à partir d’une base de données. Dix mille employésont été interrogés en 2003, 23 000 en 2005 et 26 000 en 2006. Le questionnaire a été adressé par courrier et Internet.Pour consulter les résultats complets de l’enquête (accessiblesen anglais) : www.tno.nl/nea

La méthodologie adoptée

Les risques sont rois au royaume des tulipes

de l’hôtellerie et de la restaurationsont les plus touchés. Viennentensuite le secteur de la communi-cation et celui du transport où l’onconstate surtout de nombreusesheures supplémentaires.Pour tous ces salariés aux horairesatypiques, la charge physique estélevée et ils se trouvent davantageexposés à un travail sale ou dange-reux. Par ailleurs, ceux qui travaillenten horaires décalés sont égalementtrès exposés au bruit.

Grossesse et travail :

activité à risques

Troisième leçon : le niveau d’ab-sentéisme est plus fort chez lesfemmes enceintes, en particulierchez celles qui attendent leur pre-mier enfant, davantage sensiblesaux risques physiques. Ainsi, si enmoyenne les Néerlandaises sontabsentes 7,5 jours par an, les femmesenceintes le sont, elles, 8,5 jours.8 % des absences sont dues à leurgrossesse et près de 17 % ont pourcause le travail lui-même. En effet,la grossesse expose davantage lesfemmes à un certain nombre derisques : travail physique lourd,exposition à des produits chimiques,pression du travail trop importante…qui ont un impact négatif sur leursanté comme sur celle de l’enfantqu’elles attendent. Seules 25 %d’entre elles reçoivent des infor-mations durant leur grossesse,comme celles portant sur lesmesures de prévention dont ellespeuvent bénéficier. Et pourtant, lesanalyses montrent que des dispo-sitifs d’information mieux mis enplace diviseraient par deux l’ab-sentéisme de ces femmes. ■

Céline Baujard

CONTACT

Irene Houtman, [email protected]

des travailleurs européens pensent être exposés à des risques en matière de santé et sécurité au travail.

pour les personnes qui les prati-quent que pour les employés enhoraires standards. Une donnéeimmuable quels que soient le sexe,l’âge, le niveau d’éducation et leposte.La proportion d’employés néerlan-dais travaillant le soir, la nuit et leweek-end a augmenté entre 2000et 2004 aux Pays-Bas. Trois quartsd’entre eux déclarent égalementeffectuer des heures supplémen-taires. Les employés des secteurs

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dement sur des réalisationsconcrètes et visibles, impliquantl’essentiel des entreprises du sec-teur. Pour démarrer l’expérimen-tation, deux propositions rapidementréalisables sont faites.La première : la mise en place d’unbaromètre social sur les condi-

tions de travail. Il s’agit là dedéployer un questionnaire per-mettant de mesurer la satisfac-tiondes salariés sur les différentesdimensions de leur trava i l .Avantages : enclencher un débat surla représentation des salariés, doncpréparer les bases ultérieures duplan d’action, permettre aux entre-prises de prendre l’initiative etdoter les différents acteurs d’unoutil d’évaluation.Deuxième grand chantier : la miseen place de nouvelles organisa-tions du temps de travail. C’est icila question du besoin de flexibi-

En 2006, le ministère de l’Économie roumain a lancé un projet visant à renforcer le

management et l’organisation du travail. C’est le secteur minier qui expérimente le dispositif.

EXPÉRIMENTATIONSecteur : minier

Effectifs : 30 000 salariés

Pays : ROUMANIE

Une mine d’initiatives pour les gueules noires

Chaleur, poussières, effortsphysiques, bruit, risquesd’explosion… rien de plus

parlant que l’amélioration desconditions de travail quand il s’agitde salariés qui travaillent dans lesecteur minier. Les « gueulesnoires » de Roumanie en ont bienbesoin. Le contexte : des sites dontles effectifs se réduisent considé-rablement depuis une vingtained’années (tombant de 60000 à 9000salariés), des populations « vieillis-santes », des conséquences socialeset économiques considérables, unparc de machines modernes peudéveloppé… La situation est pré-occupante. Elle rencontre lesréflexions que mène en 2006 leministère de l’Économie roumain,qui souhaite monter une initiative

ayant vocation à renforcer dans lesentreprises le management et l’or-ganisation du travail. Quelquesmois et échanges plus tard, avecnotamment le Réseau Anact (voirencadré), le projet est lancé et seradonc expérimenté dans le secteurminier.

Baromètre social

L’action sera portée en 2009 et2010 par une structure paritaireexistante, l’association profes-sionnelle minière de Roumanie.L’objectif est de déboucher rapi-

lité, tant des salariés que des entre-prises qui est posée. Sous forme deformations sur le lieu de travail,et en se reposant sur le volontariat,l’objectif est d’amorcer une phasede diagnostic, pour élaborer despropositions d’organisation destemps et appuyer les négociations.

Reste désormais à concrétiser…Un comité de pilotage constituéd’un binôme dirigeant-syndicatissu de chaque entreprise partieprenante et de tous les acteursinstitutionnels impliqués devraitvoir le jour rapidement. Un volet« absentéisme » a été ajouté, pourparfaire le diagnostic du secteur.Sans oublier, en toile de fond,toute l’histoire de ces mineurs,dont le métier est symbolique d’unmonde ouvrier en proie à desrestructurations drastiques. ■

Béatrice Sarazin

C’est en participant à une rencontre organisée par l’Anact qu’un agent du ministèrede l’Économie roumain a souhaité lancer l’étude de faisabilité d’un projet ayantvocation à améliorer la qualité de vie au travail et la performance des entreprises.Le projet a vu le jour et la coopération avec le Réseau Anact s’est construite pour aboutir, en 2009 et 2010, à l’expérimentation dans le secteur minier. À terme, la Roumanie souhaite la création d’une structure paritaire sur le modèle de l’Anact.

Une coopération franco-roumaine

Pour démarrer l’expérimentation, deux propositions

rapidement réalisables sont faites.

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Insatisfaction du personnel,nombre d’absences pour mala-dies en constante augmentation,

l’administration de Berlin est confron-tée à un mal-être de son personnelà partir des années 1990. Une consé-quence directe des licenciementséconomiques massifs et des diffi-cultés financières auxquels elle adu faire face pendant cette période.Pour enrayer le phénomène, cetteadministration allemande, compo-sée de la ville et de l’état fédéral(land), décide de mettre en place unprojet de management de la santédestiné à l’ensemble du personnel :ouvriers, employés, fonctionnaireset stagiaires.

Une observation

minutieuse, des actions

concertées

La première étape consiste à mettreen place des instances pour iden-tifier les causes des absences pourmaladie et pour introduire lesmesures appropriées à l’améliora-tion de la santé (voir encadré). Auniveau central, un bureau de mana-gement de la santé et un comitéd’organisation sont instaurés. I ls élaborent un plan pour la promotion de la santé au travail etcoordonnent les activités décen-tralisées. À l’échelle décentralisée,des groupes de travail pour le mana-gement de la santé sont dévelop-pés dans chaque département. Des cercles de qualité, composésde petits groupes, issus d’une mêmeunité organisationnelle, sont aussidéployés. Ces deux entités analy-sent les problèmes, font des recom-mandations et évaluent l’impact des actions mises en place.La deuxième étape du projet vise àidentifier les problèmes de santé

management de la santé… ou descoaching individuels sont proposésà plus de trois cents managers. La dernière étape permet de tirerdes leçons de l’expérience. Unecinquantaine de recommandationspour améliorer la santé sont déve-loppées au sein des trente cerclesde santé. Les discussions mettentclairement en évidence des pres-sions organisationnelles et psy-chosociales, souvent issues decommunications et d’informationsinadaptées, de difficultés rela-

tionnelles avec le supérieur ou deproblèmes dans l’organisation dutravail. Six mois après la mise enplace des cercles de santé, 50 %des mesures suggérées sont misesen pratique.Un bilan positif s’est dégagé : de50 % à 70 % des salariés ont consi-déré que leurs conditions de travails’étaient améliorées. La satisfactiondans le travail a également aug-menté, source de plus forte productivité. Sur le plan de l’ab-sentéisme, les congés maladien’ont pas augmenté dans l’admi-nistration de Berlin et ont mêmelégèrement diminué. Évolution desmentalités : les jours pris pourmaladie ne sont plus ignorés maisfont au contraire l’objet de discus-sions. ■

Céline Baujard

et les secteurs les plus touchés.Ainsi, les congés maladie recen-sés par la direction du personnelsont comparés aux taux de mala-die collectés par BBK (le fond d’as-surance-maladie de l’administra-tion berlinoise) et les donnéessectorielles.

À partir de ces données, cinquanteprojets et mesures individuellesde santé au travail sont initiés. La formation des managers fait partie de la troisième étape. Lemanagement a un rôle clé dans ce processus pour encourager lescoopérations au travail. Des for-mations sur la gestion de crise, le

Ce cas est extrait d’un recueil de 34 bonnes pratiques de 19 pays pour la promotion de la santé au travail dans l’administration publique. Il a été édité en 2002 par le Réseau européen pour la promotion de la santé au travail (ENWHP). Il offre des pistes d’amélioration, dans un contexte marqué par la volonté des pays européensde moderniser le secteur public, en particulier en réduisantla bureaucratie et le manque de contact avec le public.

Le document source

Une autre histoire de reconstructionPour enrayer l’absentéisme et l’insatisfaction de son personnel, la ville-état de Berlin initie un

vaste projet de management de la santé. Elle fait désormais partie des entreprises participant

au projet du Réseau européen pour la promotion de la santé au travail, ENWHP.

VILLE-ÉTAT DE BERLINSecteur : public

Activité : administration publique

Effectifs : 150 000 salariés

Pays : BERLIN-BRANDEBOURG, ALLEMAGNE

Le management a un rôle clé dans ce processus.

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de travail pointent le poids de cettedimension sociétale : alors que, enFrance, 35 % à 40 % des temps partiels sont déclarés commecontraints, ce taux descend à moinsde 4 % aux Pays-Bas.Autre paramètre à prendre encompte, le modèle de régulation :possibilité de prendre un congéparental à temps partiel, ou valo-risation des revenus de transfert àhauteur de la perte de salaire subie.Au niveau du cadre institutionnel,force est de constater que la duréedes dispositifs mis en œuvre s’al-longe: «Je viens d’apprendre l’exis-tence d’un projet de directive euro-péenne visant à porter la durée ducongé maternité à 18 semaines,contre 16 semaines en France »,indique Jean-Yves Boulin. Mais cette problématique de l’équa-tion parentalité - vie au travail poseune autre question majeure : com-ment faire en sorte que les hommesutilisent aussi les dispositifs misen œuvre par les pouvoirs publics?Rappelons que, en Suède, 80 % descongés parentaux sont pris pardes femmes. ■

Muriel Jaouën

Étude complète en anglais sur :http://www.eurofound.europa.eu/publications/htmlfiles/ef05160.htm

tion de retour au travail. Le mêmeconstat se dresse en Italie, où lesfemmes sont grosso modo placéesface à cette alternative restrictive :faire des enfants ou travailler. Cequi, au passage, explique peut-être que le taux de natalité italienest le plus faible d’Europe.Autre configuration au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas…Dans ces trois pays, le décrochagedes femmes sur le marché du tra-vail au moment de la parentalitéest avéré, mais il est suivi d’un retourà la vie active, avec alors une duréedu travail réduite. On pourraitpresque parler d’un modèle deparentalité à temps partiel.

Une question de mœurs

Les phénomènes constatés parJean-Yves Boulin et DominiqueAnxo résultent de facteurs mul-tiples. Les préférences sociétalespèsent notamment de façon signi-ficative dans la balance. Ainsi, lesPays-Bas ont fait le choix du tra-vail à temps partiel : les femmesparticipent au marché du travailtout en conservant leurs tâchesdans la sphère familiale ; c’est lefameux modèle «un foyer et demi».Les études européennes sur lecaractère subi ou contraint du temps

Devenir parent, cela signifie souvent se mettre en retrait du marché du travail.

Parfois pour y revenir, parfois pas. Une constante s’affiche cependant: ce sont les

femmes qui « décrochent ».

En France, les femmes commencent à sortir du marché du travail dès la mise en couple. Elles y reviennent ensuite progressivement, mais pas dans leur totalité. De même, le congé parental s’accompagne de retraits de la vie professionnelle. En revanche, le temps de travail des femmes françaises ne varie pas : celles qui restent sur le marchéconservent généralement un temps plein.

Les mères françaises privilégient la parenthèse professionnelle

Travail et famille, deux valeurs conciliables?

.

Quels rapports entretiennentparentalité et travail enEurope? Si l’on en croit une

étude chaperonnée par Jean-YvesBoulin, professeur à l’université deParis-Dauphine et Dominique Anxo,professeur à l’université de Göte-borg, il n’y a pas de modèle unique.Épaulés par un groupe de travailinternational, les deux chercheursse sont penchés sur les pratiquesde six pays d’Europe en matière dedéveloppement du travail tout aulong de la vie. Au cœur de cette équa-tion : les grandes transitions quijalonnent la vie professionnelle etsociale et, notamment, la questionde la parentalité et de ses impactssur les parcours professionnels.

L’incidence variable de

la parentalité en Europe

En l’occurrence, des écarts majeurssubsistent en Europe. Ainsi, alorsque, en Suède, la parentalité neprovoque aucun décrochage desfemmes du marché du travail, enEspagne, en revanche, ce décro-chage se manifeste dès l’arrivéedu premier enfant. Un retrait del’univers professionnel qui, de plus,s’avère souvent définitif puisqu’iln’est presque jamais ensuite ques-

« Améliorer la qualité et

la productivité au travail : stratégie

communautaire 2007-2012 pour

la santé et la sécurité au travail »,

Commission des communautéseuropéennes, juin 2007, 16 p.

« La formation continue

dans les entreprises européennes.

Premiers pas vers

une homogénéisation »,

Agnès Checcaglini et Isabelle Vernoux-Marion, Bulletin de recherche sur l’emploi et la formation, n° 251, avril 2008, 4 p.

« Des conditions de travail

de plus en plus difficiles dans

les nouveaux États membres »,

Liaisons sociales d’Europe, n° 131, 23 juin 2005, p. 7.

« Ces petits plus qui dopent

les adhésions syndicales

en Europe », Isabelle Moreau,Liaisons sociales, n° 63, juin 2005, pp. 30-33.

su

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Incontournable sur lesconditions de travail enEurope : le site de laFondation européenne pourl’amélioration de la qualité de vie et de travail. Il estcomplet : recherches,publications, casd’entreprises, études,observatoires… et parfait pour améliorer son anglais!www.eurofound.europa.eu

Autre institution européenne :l’agence européenne pour lasanté et la sécurité au travail.Le site est traduit danspresque toutes les langues… http://osha.europa.eu

à l

ire OUVRAGES

Prolonger la vie active face

au vieillissement : quels leviers

d’action? Les enseignements

de l’étranger, Anne-Marie Guillemard,éd. de l’Anact, 2007, 48 p.

Nouvelles Perspectives pour

la stratégie communautaire de santé

au travail 2007-2012, Laurent Vogel,Pascal Paoli, Institut syndical européenpour la recherche, la formation et la santé sécurité, coll. Débats, 2006, 53 p.

L’Europe du travail et de l’emploi

en 70 fiches : guide pratique des DRH,

partenaires sociaux, fonctionnaires,

responsables politiques,

Franck Morel, Mireille Creno-Chauveau,Pascal Roig, éd. Liaisons, 2006, 371 p.

Les Relations sociales en Europe,

Michèle Millot, Jean-Pol Roulleau, éd.Liaisons, 2005, 362 p.

L’expérience est capital(e). Equal

France : de la gestion des âges

à la promotion de la diversité,

Fernanda Mora-Canzani, éd. Racine,coll. Les Cahiers, 2005, 243 p.

Le Management des compétences

dans les entreprises européennes :

les différentes approches,

François Geoffroy, René Tijou,éd. Insep, 2002, 166 p.

Flexi-sécurité : l’invention des tran-

sitions professionnelles, DanielleKaisergruber, éd.de l’Anact, 2006, 132 p.

ARTICLES

« La flexicurité dans les entreprises »

Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, octobre 2008, 2 p.

« La flexicurité – Une valse à trois

temps », Fondation européenne pourl’amélioration des conditions de vie etde travail, octobre 2008, 2 p.

« Améliorer l’emploi des seniors :

les différentes solutions des pays

d’Europe et des entreprises

étrangères », Marie-Noëlle Lopez,Personnel ANDRH, n° 491, août 2008,pp. 52-54.

NOUVEAUTÉS

• La rubrique « international » comportant desinformations sur l’actualité du réseau Anact à l’international, des bonnes pratiques, des articles et des études, les partenariats européens…

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TRAVAIL ET CHANGEMENT, le bimestriel du Réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail.Directeur de la publication : Jean-Baptiste Obéniche – directeur de la rédaction : Gilles Heude – responsable des éditions : Sylvie Setier – rédactrice en chef : Béatrice Sarazin, [email protected] – Réalisation Reed Publishing – chef de projet : B. Lacraberie ; journalistes : C. Baujard, C. Delabroy, M. Jaouën ;secrétaire de rédaction : G. Hochet ; illustrateur : Tino ; directrice artistique : A. Ladevie ; fabrication : M-N Faroux – 2, rue Maurice-Hartmann, 92133 Issy-Les-Moulineaux –

impression : Imprimerie Chirat, 744, rue Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-La-Pendue. Dépôt légal : 1er trimestre 2009. Une publication de l’Agence nationale pour l’amélioration desconditions de travail, 4, quai des Étroits, 69321 Lyon Cedex 05, tél. : 04 72 56 13 13.