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24 dossier dossier dos DIRECTIVE SERVICES De l’intérêt des bons compromis au Parlement européen Après plus de deux ans de débats intenses, de confrontations entre visions opposées de la construction européenne et de clarifications successives, le processus d’adoption de la directive sur les services dans le marché intérieur a franchi une étape essentielle. Le 4 avril, la Commission européenne a présenté devant le Parlement une proposition modifiée qui entérine quasi totalement les amendements au texte que celui-ci avait votés le 16 février. Nathalie Lhayani fait le point dans cet article. Le fait marquant n’est pas seulement que la proposition de la Commission rompt avec la logique de compétition réglemen- taire de la première version de la directive - la tant décriée « direc- tive Bolkestein » (1) . C’est aussi que s’affirme une démocratie euro- péenne alliant représentation et participation de façon constructive. Les groupes PSE et PPE du Parlement européen, s’appuyant sur l’expertise et l’action de la société civile organisée, avaient travaillé d’arrache-pied à l’élaboration de compromis conci- liant la double exigence que pose cette directive : lever les obstacles à la circulation des services et préserver les régula- tions publiques et sociales. Ils ont ainsi permis au PE de déga- ger une majorité confortable sur les points cruciaux maintes fois soulignés dans le débat (principe du pays d’origine (PPO), ser- vices publics, protection du droit social...) et donc de faire entendre clairement une interprétation des traités et de la juris- prudence plus conforme aux attentes des citoyens européens et à l’esprit d’intégration communautaire auprès de la Com- mission. Sans ces compromis, les commissaires – divisés sur le champ d’application de la directive et le traitement des ser- vices publics – auraient très certainement adopté une position beaucoup moins en phase avec ces exigences. À elle seule, cette directive ne va pas permettre à l’UE de faire le bond souhaitable en terme de réalisation des objectifs de com- pétitivité, de croissance et d’emploi de Lisbonne. Pour réellement atteindre ce but, il aurait fallu élaborer un plan d’action global, incluant aussi des mesures d’accompagnement pour les services stratégiques aux entreprises, une méthode d’évaluation plura- liste et indépendante secteur par secteur, un paquet spécifique pour les services publics et un autre visant à concilier mobilité de tous les travailleurs de l’Union et protection de leurs droits. La Commission a mis sur pied un forum sur les services aux entre- prises, mais il est « dormant » (2) depuis plus d’un an. Elle agit pour clarifier les points de friction entre la directive Services et les autres dispositions communautaires : elle a publié en même temps que sa proposition révisée des lignes directrices sur le détachement des travailleurs et peu de temps après une communication sur les services sociaux. Elle prévoit un texte sur la mobilité des patients. Après que le Parlement aura donné son avis sur le Livre blanc relatif aux SIEG (en juillet très probablement), elle présen- tera une communication. Ces clarifications étaient nécessaires mais elles n’interviennent qu’à la marge et ce plan d’action n’existe pas en tant que tel. Il faut donc engranger les résultats LA LETTRE DE CONFRONTATIONS EUROPE - AVRIL-JUIN 2006 (1) Voir notre appréciation de la première version de la proposition de direc- tive de la Commission dans La Lettre de Confrontations n° 69. (2) Lire l’article d’A. Ferron en p. 21 de ce numéro. (3) Voir La Lettre du CEPII n° 252 : La directive services : une analyse éco- nomique, janvier 2006. (4) Lire l’article de D. Graber sur les services financiers de détail en p. 34 de ce numéro. obtenus et continuer à agir en dehors de la directive Services, pour faire progresser la création d’un cadre commun de services à l’échelle européenne. Cela étant, la lenteur avec laquelle avance la création d’un marché unique européen des services, alors que s’opère une véritable révolution dans ce domaine depuis une vingtaine d’années, crée un manque à gagner en terme de croissance et de compétitivité qui accroît le retard de l’Europe vis-à-vis de ses concurrents mondiaux. Les barrières nationales non justifiées et les rentes de situation sont encore importantes (notamment dans des secteurs tels que la construction, la distribution, les ser- vices commerciaux…) (3) . Il était donc temps de faire une direc- tive transversale. Le texte tel que révisé par la Commission réconcilie largement les difficiles exigences posées par la spé- cificité des services par rapport aux marchandises. D’abord, il met en échec la concurrence réglementaire sauvage entre pays membres qu’entraînait le principe du pays d’origine. Au lieu de laisser les prestataires fournir leurs services dans l’UE sans respecter d’autres règles que celles des pays où ils sont éta- blis, la directive leur accorde une liberté d’accès au marché et d’exercice, tout en laissant au pays d’accueil la possibilité de leur imposer des règles dûment justifiées. Elle permet ainsi à la fois la levée d’obstacles protectionnistes et la prise en compte de la dimension d’intérêt général que peuvent recouvrir les mesures nationales appliquées aux services. L’harmonisation ciblée sur des exigences essentielles (4) secteurs par secteurs reste nécessaire. C’est un point faible du texte. Mais, les transpositions nationales de la directive vont obliger les États à inscrire leurs règles dans trois principes communs (non-discrimination, nécessité, proportion- nalité) et dans les mêmes objectifs clarifiés de santé, de sécurité ou d’ordre publics, d’environnement et de protection des condi- tions d’emploi, y compris celles établies dans les conventions col- lectives. La Commission et la CJCE devront encore procéder à de nombreux arbitrages au cas par cas, mais il s’en dégagera des critères d’appréciation qui peuvent mener petit à petit à la Les barrières nationales non justifiées et les rentes de situation sont encore importantes. (...) Il était donc temps de faire une directive transversale La directive Services ne peut plus être accusée d’être un instrument de dumping social

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d o s s i e rd o s s i e r d o s

DIRECTIVE SERVICES

De l’intérêt des bons compromis au Parlement européenAprès plus de deux ans de débats intenses, de confrontations entre visions opposées de la construction

européenne et de clarifications successives, le processus d’adoption de la directive sur les services

dans le marché intérieur a franchi une étape essentielle. Le 4 avril, la Commission européenne

a présenté devant le Parlement une proposition modifiée qui entérine quasi totalement les amendements

au texte que celui-ci avait votés le 16 février. Nathalie Lhayani fait le point dans cet article.

Le fait marquant n’est pas seulement que la proposition dela Commission rompt avec la logique de compétition réglemen-taire de la première version de la directive - la tant décriée « direc-tive Bolkestein »(1). C’est aussi que s’affirme une démocratie euro-péenne alliant représentation et participation de façon constructive.Les groupes PSE et PPE du Parlement européen, s’appuyantsur l’expertise et l’action de la société civile organisée, avaienttravaillé d’arrache-pied à l’élaboration de compromis conci-liant la double exigence que pose cette directive : lever lesobstacles à la circulation des services et préserver les régula-tions publiques et sociales. Ils ont ainsi permis au PE de déga-ger une majorité confortable sur les points cruciaux maintes foissoulignés dans le débat (principe du pays d’origine (PPO), ser-vices publics, protection du droit social...) et donc de faireentendre clairement une interprétation des traités et de la juris-prudence plus conforme aux attentes des citoyens européenset à l’esprit d’intégration communautaire auprès de la Com-mission. Sans ces compromis, les commissaires – divisés surle champ d’application de la directive et le traitement des ser-vices publics – auraient très certainement adopté une positionbeaucoup moins en phase avec ces exigences. À elle seule, cette directive ne va pas permettre à l’UE de fairele bond souhaitable en terme de réalisation des objectifs de com-pétitivité, de croissance et d’emploi de Lisbonne. Pour réellementatteindre ce but, il aurait fallu élaborer un plan d’action global,incluant aussi des mesures d’accompagnement pour les servicesstratégiques aux entreprises, une méthode d’évaluation plura-liste et indépendante secteur par secteur, un paquet spécifiquepour les services publics et un autre visant à concilier mobilité detous les travailleurs de l’Union et protection de leurs droits. LaCommission a mis sur pied un forum sur les services aux entre-prises, mais il est « dormant »(2) depuis plus d’un an. Elle agit pourclarifier les points de friction entre la directive Services et les autresdispositions communautaires : elle a publié en même temps quesa proposition révisée des lignes directrices sur le détachementdes travailleurs et peu de temps après une communication surles services sociaux. Elle prévoit un texte sur la mobilité despatients. Après que le Parlement aura donné son avis sur le Livreblanc relatif aux SIEG (en juillet très probablement), elle présen-tera une communication. Ces clarifications étaient nécessairesmais elles n’interviennent qu’à la marge et ce plan d’actionn’existe pas en tant que tel. Il faut donc engranger les résultats

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(1) Voir notre appréciation de la première version de la proposition de direc-tive de la Commission dans La Lettre de Confrontations n° 69.(2) Lire l’article d’A. Ferron en p. 21 de ce numéro.(3) Voir La Lettre du CEPII n° 252 : La directive services : une analyse éco-nomique, janvier 2006.(4) Lire l’article de D. Graber sur les services financiers de détail en p. 34de ce numéro.

obtenus et continuer à agir en dehors de la directive Services,pour faire progresser la création d’un cadre commun de servicesà l’échelle européenne. Cela étant, la lenteur avec laquelle avance la création d’unmarché unique européen des services, alors que s’opère unevéritable révolution dans ce domaine depuis une vingtained’années, crée un manque à gagner en terme de croissance etde compétitivité qui accroît le retard de l’Europe vis-à-vis de sesconcurrents mondiaux. Les barrières nationales non justifiées etles rentes de situation sont encore importantes (notammentdans des secteurs tels que la construction, la distribution, les ser-vices commerciaux…)(3). Il était donc temps de faire une direc-tive transversale. Le texte tel que révisé par la Commissionréconcilie largement les difficiles exigences posées par la spé-cificité des services par rapport aux marchandises.D’abord, il met en échec la concurrence réglementaire sauvageentre pays membres qu’entraînait le principe du pays d’origine.Au lieu de laisser les prestataires fournir leurs services dans l’UEsans respecter d’autres règles que celles des pays où ils sont éta-blis, la directive leur accorde une liberté d’accès au marché etd’exercice, tout en laissant au pays d’accueil la possibilité de leurimposer des règles dûment justifiées. Elle permet ainsi à la fois lalevée d’obstacles protectionnistes et la prise en compte de ladimension d’intérêt général que peuvent recouvrir les mesuresnationales appliquées aux services. L’harmonisation ciblée sur desexigences essentielles(4) secteurs par secteurs reste nécessaire.C’est un point faible du texte. Mais, les transpositions nationalesde la directive vont obliger les États à inscrire leurs règles dans troisprincipes communs (non-discrimination, nécessité, proportion-nalité) et dans les mêmes objectifs clarifiés de santé, de sécuritéou d’ordre publics, d’environnement et de protection des condi-tions d’emploi, y compris celles établies dans les conventions col-lectives. La Commission et la CJCE devront encore procéder àde nombreux arbitrages au cas par cas, mais il s’en dégagera descritères d’appréciation qui peuvent mener petit à petit à la

Lesbarrièresnationalesnonjustifiéeset les rentesde situationsont encoreimportantes.(...) Il étaitdonc tempsde faire unedirectivetransversale

La directiveServices ne peut

plus êtreaccuséed’être un

instrumentde dumping

social

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d o s s i e r d o s s i es s i e r

De la directive « Bolkestein » à la directive Services réviséeDirective « Bolkestein »

Commission européenne, 01/2004

Portée de la directive

L’application de la directive n’exclutpas l’application des autres instru-ments communautaires concernantles services.

Droit social / détachement des travailleurs

Le texte affirmait que :• les dispositions sociales affectantles travailleurs détachés sont celles dela directive détachement (applica-tion des règles minimales de travail dupays d’accueil), mais le Principe duPays d’Origine (PPO) entrait en conflitavec cette affirmation ;• les vérifications et inspections sontfaites par l’État membre d’accueilmais les articles 24 et 25 les limi-taient et donnaient des pouvoirs decontrôle au pays d’origine.

Prestation temporaire transfrontalière (sans établissement, article 16)

Principe du pays d’origine (PPO)Les prestataires ne sont soumisqu’aux dispositions nationales deleur État membre d’origine.

En particulier, le pays d’accueil n’apas le droit d’imposer sept typesd’obligation considérées comme par-ticulièrement protectionnistes (obli-gation d’avoir un établissement danspays accueil, obtenir une autorisa-tion des autorités compétentes...).

Contrôle du prestataire et des ser-vices qu’il fournit par le pays d’ori-gine.

Directive « Gebhardt »Parlement européen, 02/2006

En cas de conflit, les autres règles priment, notamment :• la directive « détachement des travailleurs » ;• le règlement d’application des régimes de Sécurité sociale ; • la directive sur la radio et la diffusion télévisuelle ;• la directive « qualifications professionnelles ».

L’État d’accueil conserve toutes ses possibilités d’appli-quer les règles relatives au droit du travail (condition d’emploi,de travail, relations entre employeurs et travailleurs, Sécurité sociale,conventions collectives).

➜ Suppression des articles 24 et 25

Libre prestation de servicesL’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libreaccès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur sonterritoire.Il continue de pouvoir imposer des exigences nationales auprestataire établi dans un autre État membre à condition quecelles-ci soient non discriminatoires selon la nationalité du pres-tataire, nécessaires – justifiées par des raisons d’ordre public, desécurité publique, de santé publique ou de protection de l’envi-ronnement – et proportionnées à l’objectif poursuivi (principe dupays d’accueil « encadré »*).Il peut également imposer des exigences pour des raisonsd’ordre public, de sécurité publique, de protection de l’en-vironnement et de santé publique.Et imposer ses conditions d’emploi, notamment celles établiesdans les conventions collectives.

Deux des sept obligations interdites ont été supprimées.

Contrôle du prestataire et des services qu’il fournit par le paysd’accueil.

Directive Services réviséeCommission européenne, 04/2006

➜ Idem GebhardtLe texte prévoit que les cas résiduels et exceptionnels de conflit devront êtretranchés par des règles spécifiques à créer.La directive s’applique uniquement aux prestataires établis dans un État membre.Elle ne vise pas les négociations internationales, notamment à l’OMC.

La directive n’affecte pas les conditions de travail et d’emploi qui, conformémentà la directive 96/71/CE, s’appliquent aux travailleurs détachés (condition d’em-ploi, de travail, relations entre employeurs et travailleurs, Sécurité sociale, conven-tions collectives).

➜ Suppression des articles 24 et 25

Libre prestation de services➜ Idem Gebhardt

➜ Idem Gebhardt

* Cette expression est de la rédaction

convergence. Il faudra veiller à les soumettre à une évaluationouverte et critique de toutes les parties prenantes.Il n’y a pas d’exclusion générale des services publics. Les serviceséconomiques (SIEG) sont maintenus dans le champ du fait deleur dimension en partie marchande, mais les plus essentiels, telsque la santé et les services sociaux, sont exclus horizontalement etles autres sont exclus des dispositions principales de la directive(cf. tableau p. 26). Celles concernant la prestation temporaire(art. 16) n’impactent plus les SIEG. Pour l’établissement, la direc-tive prévoyait d’interdire a priori certaines exigences avancées parles États membres pour délivrer leurs autorisations (« liste noire ») etd’en permettre d’autres mais seulement après évaluation (« listegrise »). Tous les SIEG sont exclus de la « liste grise », la « liste noire »

continue de s’appliquer mais cette application est « neutralisée » parla réaffirmation préalable des trois libertés des États membres de défi-nir, d’organiser et de financer les SIEG. Reste à gagner la batailled’une approche positive les concernant. À cet égard, la commu-nication sur les services sociaux et de santé ainsi que l’avis du PE– pour que l’engagement pris par la Commission dans son Livreblanc de créer un cadre juridique pour les SIEG en codécision soitrapidement respecté – revêtent une grande importance(5).Par ailleurs, les amendements du PE, qui excluent clairement le droitdu travail et le droit social et qui suppriment les articles touchant au ���

(5) Lire l’article de L. Ghékière « Marché intérieur des services : la spécificitédes SIEG reconnue » dans Interface n° 16, avril 2006.

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d o s s i e rd o s s i e r d o sd o s

détachement des travailleurs, ont été repris intégralement par laCommission. En rester là ne résout pas les problèmes de concur-rence salariale à l’échelle de l’Union, mais la directive Services nepeut plus être accusée d’être un instrument de dumping social. L’ef-fort de clarification dans ce domaine consenti par la Commissiondans sa communication sur les « orientations concernant le déta-chement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation deservices », présentée parallèlement à la directive services révisée,est positif. Il précise que « la directive détachement a une finalitésociale claire : garantir aux travailleurs détachés le respect par leuremployeur pendant le détachement de certaines règles protectricesde l’État membre dans lequel ils sont détachés. Ces règles portentnotamment sur : les périodes maximales de travail et les périodesminimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés,le taux de salaire minimum, les conditions de mise à disposition destravailleurs, notamment des entreprises de travail intérimaire, lasécurité, la santé et l’hygiène au travail, et les mesures protectrices

applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmesenceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et desjeunes ». Mais il reste à mettre en place des conventions collectiveseuropéennes, secteur par secteur, qui permettraient d’accroître lamobilité des travailleurs des nouveaux États membres tout enencadrant la concurrence salariale et en favorisant leur progrès social.La balle est maintenant dans le camp du Conseil. Les divergencesentre Etats-membres subsistent : d’un côté, six Etats dont l’Alle-magne, la France, la Grèce et le Portugal demandent l’exclusion desservices juridiques (notamment les notaires) et de tous les servicessociaux ; de l’autre, les nouveaux États-membres et le Royaume-Uni considèrent que les nouvelles dispositions sur la prestationtransfrontalière réduisent considérablement les gains de la directive.Mais les déclarations du président du Conseil, Martin Bartenstein,sur la nécessité de ne pas « détricoter » le compromis acquis au Par-lement et à la Commission laissent espérer une conclusion sous pré-sidence autrichienne. ■ Nathalie Lhayani

���

* Les SIEG ne sont pas exclus horizontalement mais la directive révisée ne s’applique qu’aux domaines déjà libéralisés et les États membres conservent la liberté de définition, d’organisation et de financement des SIEG.** Ces expressions sont de la rédaction.

Directive « Bolkestein »Commission européenne, 01/2004

Exclusion totale du champ d’application

• Services financiers.

• Services et réseaux de communi-cation électronique.

• Services de transport (à l’exceptiondu transport de fond et funéraire).

La directive ne s’applique pas enmatière fiscale.

Services sensibles

Exclusions partielles (établissement, articles 14 « liste noire** » et 15 « liste grise** »)

Exclusions partielles (prestation temporaire, article 16)

• Services postaux.• Services de l’électricité (transport et

fourniture).• Services de gaz (transport, fourni-

ture, stockage).• Services de distribution et de four-

niture d’eau.

Directive « Gebhardt »Parlement européen, 02/2006

• Les SIG tels que définis par les États membres.

SIEG* :• Services financiers (banque, crédit, assurance,

investissements et conseil en investissement, titres, paiements,retraites individuelles et professionnelles).

• Services et réseaux de commerce électronique.

• Tous les transports (y compris : de fonds, funéraires, taxis,urbains, ambulances, portuaires).

• Tous les services de santé (quel que soit mode d’organisationou financement), y compris les pharmacies.

• Les services sociaux, tels que les services de logement social,les services de garde d’enfants et les services familiaux.

• Les services audiovisuels, quel que soit leur mode de pro-duction, de distribution et de transmission (y compris radio etcinéma).

• Les professions et activités qui participent à l’exercice del’autorité publique (notamment les notaires).

• Les services juridiques.➜ Idem

• Les agences de travail intérimaire.• Les jeux de hasard.• Les services de sécurité privée.

Exclusion de tous les SIEG des exigences « à évaluer » (art. 15).

Tous les SIEG, « entre autres » :

➜ Idem et en plus :• le traitement des eaux usées ;• le traitement des déchets.

Directive Services réviséeCommission européenne, 04/2006

➜ Idem Gebhardt

SIEG* :➜ Idem Gebhardt

➜ Idem Gebhardt

➜ Idem Gebhardt (sauf transports de fonds et funéraires inclus dans la directive).

➜ Idem Gebhardt (sauf pharmacies).

• Les services sociaux relatifs au logement social, à la garde d’enfants et àl’aide aux familles et aux personnes dans le besoin.

➜ Idem Gebhardt

• Les activités liées à l’exercice de l’autorité publique conformément à l’art. 45du Traité.

➜ Supprimé➜ Idem

➜ Idem Gebhardt

NB : Les considérants définissent les services comme les activités sujettes à rému-nération. Par conséquent, les services éducatifs, culturels ou sportifs à finance-ment public sont exclus.

Les règles de l’article 15 ne s’appliquent à la législation dans le domaine des SIEGque dans la mesure où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accom-plissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie.

➜ Idem Gebhardt

Le cas des SIG/SIEG/Services sensibles

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VIVIANE REDING EXPLIQUE i2010

Une société européenne de l’informationpour la croissance et l’emploiViviane Reding, commissaire européenne en charge de la Société de l’information et des médias, souligne

ici les priorités de la stratégie i2010 : créer un espace européen unique de l’information, investir plus

dans la recherche et l’innovation en matière de TIC (technologies de l’information et de la communication),

s’assurer que celles-ci contribueront à renforcer la cohésion sociale, économique et territoriale.

Lancée en 2000, la Stratégie de Lisbonne a fixé un objec-tif ambitieux pour l’Europe : devenir l’économie basée sur laconnaissance la plus dynamique et la plus compétitive dumonde d’ici 2010. Dans ce contexte, les technologies de l’in-formation et de la communication (TIC) ont un rôle majeur àjouer et que la Commission européenne a traduit, en dehors duchantier réglementaire et de l’effort de recherche, au moyen del’initiative Europe.Cinq ans plus tard, au moment où la Commission s’apprêtait àrelancer la Stratégie de Lisbonne, il est apparu que l’Europe pou-vait mieux exploiter les avantages offerts par les TIC pour encou-rager la croissance et favoriser l’emploi. Ainsi, en 2005, toutesles conditions étaient réunies pour définir une nouvelle donne poli-tique pour la société de l’information et les médias. L’action com-munautaire se devait de demeurer ambitieuse, à la fois pour main-tenir sa visibilité et de manière concomitante, préserver ladynamique collective de mise en œuvre, notamment avec lesÉtats membres.Cette ambition de placer la société de l’information au cœur del’action politique de l’Union européenne, s’est traduite parl’initiative i2010 pour que soient mieux exploités les bénéficeséconomiques, sociaux et culturels d’une plus grande diffusionet utilisation des TIC au cours des cinq prochaines années. Sil’Europe veut tirer pleinement parti de son potentiel économique,il faut une approche politique proactive pour stimuler favora-blement le développement de marchés plus intégrés, la pro-motion de la société de la connaissance et la protection duconsommateur.

Les effets de la convergence numériqueParmi les nouveaux bouleversements auxquels l’Europe doit faireface, les effets de la convergence numérique entre les réseaux,les équipements et les contenus, justifient une attention touteparticulière de notre part. En effet, les contenus multimédiasdeviennent disponibles dans des formats nouveaux et diversi-fiés, et peuvent être délivrés indépendamment de l’endroit et dumoment, et être adaptés aux préférences et aux attentes ducitoyen-consommateur. L’amélioration des réseaux, associéeaux nouvelles techniques de compression, offre des canaux dedistribution nouveaux et plus rapides, et donne naissance à denouveaux formats de contenus et à des nouveaux services. Jeciterai, par exemple, le téléphone sur les réseaux Internet (télé-

phonie IP), la Web TV ou lamusique en ligne. Il existe désor-mais de véritables gisements decroissance et d’emplois qui sontliés à la création de ces nouveauxcontenus et services. J’en veuxpour preuve l’émergence de 200services de musique en ligne enEurope et la vente de 36 millions

de lecteurs mp3. Le marché de la musique en ligne devraitd’ailleurs dépasser les 2 milliards d’euros en 2008, alors qu’il nereprésentait qu’un revenu total de 41 millions en 2004.Le premier objectif de la stratégie i2010 est donc de créer unespace européen unique de l’information, offrant des commu-nications à hauts débits accessibles et fiables, des contenusriches et diversifiés, et des services numériques. Ma priorité poli-tique est de réexaminer l’ensemble des législations qui affectentla convergence pour lever les obstacles juridiques à l’émergencede nouveaux services. C’est pourquoi, pour ce qui concerne lesecteur des médias, j’ai présenté en décembre dernier une pro-position de modernisation de la directive « Télévision sans fron-tières » de 1989, pour tenir compte de l’évolution technologiqueet commerciale rapide du secteur audiovisuel européen. Cetteproposition vise, en particulier, à créer un cadre unique pour lesservices audiovisuels, indépendamment de leurs moyens de dif-fusion, qu’ils soient traditionnels ou modernes avec la télépho-nie mobile ou l’Internet. De manière complémentaire, j’ai engagél’examen d’une révision du cadre réglementaire pour les com-munications électroniques qui devra veiller à prendre en compteles effets de la convergence numérique au profit des marchés,et à stimuler la disponibilité des contenus en ligne.Un autre défi à relever par la stratégie i2010 est celui dumaintien d’un effort important en matière de recherche, seulcapable d’assurer l’avenir de notre développement techno-logique. En effet, en Europe, les TIC ne représentent que18 % de l’effort total de recherche. Aujourd’hui, l’Union euro-péenne n’investit qu’un tiers de ce que les États-Unis consa-crent à la recherche sur les TIC, et 30 % de moins que leJapon. Concrètement, ceci compromet notre capacité à sou-tenir la compétitivité dans tous les secteurs de l’économie, àinnover dans toutes les disciplines scientifiques et à répondreaux besoins de la société. L’Europe doit parallèlement renforcer

Aujourd’hui,l’Unioneuropéennen’investitqu’un tiers de ce que les États-Unisconsacrentà la recherchesur les TIC, et 30 % demoins quele Japon

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d o s s i e r d o sd o s s i e r

son investissement global dans les TIC. La part consacréeaux TIC en Europe dans l’investissement total, public etprivé, reste durablement inférieure à la moitié de celle desÉtats-Unis. Concrètement, ceci nuit à l’efficacité et laproductivité des entreprises qui sont encore réticentes àse doter de ces technologies.La seconde priorité de i2010 est donc focalisée sur le ren-forcement de la capacité de l’Europe à innover à la foisdans les TIC et grâce aux TIC. Il faut investir plus dans larecherche et l’innovation en matière de TIC dans l’en-semble de l’Europe. L’année 2006 est une année impor-tante en la matière puisqu’elle prépare la mise en œuvredu nouveau programme cadre de recherche et de déve-loppement (FP7) et celle du programme-cadre pour l’in-novation et la compétitivité (CIP).

Des initiatives pharesEnfin, les TIC sont de plus en plus utilisées et profitent àun nombre croissant de personnes. Cependant, à l’heureactuelle, plus de la moitié de la population de l’Union neprofite pas pleinement des TIC ou n’y a pas du toutaccès. Il est impératif de renforcer la cohésion sociale,économique et territoriale en rendant les produits et ser-vices liés aux TIC plus accessibles. L’accent doit être missur la participation pleine et entière et sur l’acquisition decompétences numériques de base.Le troisième pilier de i2010 répond à cette priorité selon

trois axes : s’assurer que les TIC profiteront à tous lescitoyens, rendre les services publics meilleurs, plus effi-caces par rapport aux coûts et plus accessibles, et amé-liorer la qualité de vie. Pour accroître la visibilité desapports fondamentaux des TIC, i2010 a retenu trois ini-tiatives phares impliquant les TIC sur des défis sociauximportants. La première concerne les bibliothèques numé-riques et vise à rendre les sources multimédias plusfaciles et plus intéressantes à utiliser. La Commissioneuropéenne contribuera à faire de cette possibilité une réa-lité en cofinançant des centres de compétence pour lanumérisation et en offrant un cadre véritablement euro-péen pour la protection et l’utilisation des droits de pro-priété intellectuelle dans les bibliothèques numériques. LesÉtats membres auront leur rôle à jouer en fournissant lesmoyens de base de la numérisation. Les deux autres ini-tiatives concernent les soins aux personnes dans unesociété vieillissante et les voitures intelligentes.Les succès constatés au niveau européen et les progrèsmesurés par les différents exercices d’étalonnage démon-trent qu’il existe désormais une société de l’information enEurope. Incontestablement, un des enjeux de la nouvellestratégie sera moins de renforcer les expressions de cetteévolution que d’en établir les principales caractéristiquesdans un contexte européen élargi, c’est-à-dire de fonderune société européenne de l’information au service de lacroissance et de l’emploi. ■ Viviane Reding

À l’heure actuelle,plus de la moitiéde la population

de l’Unionne profite pas

pleinementdes TIC

ou n’y a pasdu tout accès

i2010 en débat au Parlement européenLe débat sur la stratégie i2010 s’est ouvert au Parlement européen à l’occasion de la discussion

sur le projet de rapport(1) du député Reino Paasilinna, selon lequel « on aurait pu attendre une approche

plus ambitieuse »…

Les technologies de l’information et de la com-munication (TIC), leur production, les nouveaux servicesqu’elles permettent, leur diffusion dans toute l’économie etla société sont, en Europe, un moteur puissant de la crois-sance, de l’emploi et de la productivité. Les TIC repré-sentent 40 % de celle-ci et un quart du PIB européen. C’estpourquoi progresser vers « la société de l’information » estun objectif-clé de la relance du processus de Lisbonne.La Commission a proposé un nouveau cadre stratégique,

baptisé i2010 – société européenne de l’information pour2010 – reposant sur trois piliers : un espace européenunique de l’information ; le renforcement de l’innovation etde l’investissement dans la recherche sur les TIC ; l’achè-vement d’une société européenne de l’information fondéesur l’inclusion qui donne la priorité à l’amélioration desservices publics et de la qualité de vie. Ce cadre aura desimplications très concrètes pour les régulations des télé-coms et des médias qui seront révisées en 2006.Ce cadre a ouvert un débat au Parlement. Le députéeuropéen Reino Paasilinna (PSE, groupe socialiste), auteurd’un projet de rapport sur le sujet estime qu’« on aurait puattendre de la Commission une approche bien plus ambi-tieuse et anticipatrice ». Une critique relayée par les dépu-tés Malcom Harbour (PPE, groupe démocrate-chrétien) –« beaucoup de choses ont changé dans la technologiedepuis la sortie du document » – et Erika Mann (PSE)pour laquelle « il faut prendre la société de l’information

L’INTERNET DES CHOSESLe nouvel Internet est lié au développement d’une « troisième dimension ». Au commencement étaitla communication entre ordinateurs, puis est venue celle entre les hommes équipés de mobiles detroisième génération (accès à Internet). Voici maintenant la communication entre les hommes et leschoses et celle entre les choses. La députée européenne Catherine Trautman l’exprime par uneimage : cette ère se manifestera « quand ma machine à coudre parlera à ma machine à laver ». Oncollera par exemple une puce électronique ayant des fonctions radio sur les emballages deshypermarchés à la place des codes barre actuels et ceux-ci enverront directement leurs prix auxgondoles, aux entrepôts et aux caisses...

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L’escargotlégislatif seraittoujours dépassépar le lièvretechnologique

beaucoup plus au sérieux ». Le rapporteur évoque leschangements technologiques qui interviendront « dèsavant 2010 » (cf. l’encadré sur « L’Internet des choses »).

Déréguler pour innover ?Ce débat est lié à celui sur le cadre de régulation. Pensépour les technologies actuelles, ce cadre serait un carcanempêchant l’éclosion des futures technologies. Et mêmesi on veut le faire évoluer, l’escargot législatif serait toujoursdépassé par le lièvre technologique. Selon Alfredo Acebal,directeur de la régulation internationale et des Affaireseuropéennes du groupe Telefónica(2), il faut « éviter le piègeréglementaire » et supprimer toute régulation pour les nou-veaux services. L’évolution technologique est telle qu’il

« faut laisser le marché faire le choix (…) Google n’a pas derégulateur ». Erkki Ormala, pour l’EICTA(3), est moins radi-cal : réguler est nécessaire mais il convient de passer de larégulation verticale actuelle à quatre régulations horizontales(contenu, fourniture de service, réseaux, terminaux). Cedébat aura un écho sur la révision des règles relatives à l’au-diovisuel (directive Télévision sans frontières) : appliquer àla WebTV les règles TV actuelles ne va-t-il pas freiner l’in-novation ? La réponse exprimée lors du vote du rapportPaasilinna en commission ITRE (industrie, recherche eténergie) le 21 février 2006, est très divisée : 24 jugent quenon, 21 pensent que si.Viviane Reding, commissaire à la Société de l’informationet des médias (lire son article en p. 27), reconnaît qu’« il fautaméliorer la mise en œuvre » du cadre. Le vote final du rap-port Paasilinna a débouché sur un consensus mou, aucuneorientation majoritaire ne s’est dégagée nettement. Seuleinflexion notable, celle en faveur d’une « politique indus-trielle » obtenue par Erika Mann. Selon la députée, « iEu-rope [doit être] le nouvel instrument stratégique cadre pourtoutes les initiatives en matière de TIC dans l’Union » et ilfaut établir un inventaire « des forces et faiblesses » sec-torielles de l’Union. ■ André Ferron

(1) « Projet de rapport sur un modèle européen de société de l’infor-mation pour la croissance et l’emploi » [2005/2167 (INI)], commissionde l’industrie, de la recherche et de l’énergie, en date du 12/12/2005.(2) A. Acebal préside également l’ETNO, l’association européennedes opérateurs des télécoms.(3) European Information & Communications Technology IndustryAssociation.

COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES : UN CADRE SOUPLELes régulateurs nationaux définissent et analysent des marchés pertinents nationaux dans un pro-cessus consultatif communautaire impliquant la Commission avec un droit de veto sur certains cas.Aujourd’hui, 18 marchés ont ainsi été définis : neuf marchés pour les téléphones fixes, trois pourles mobiles, deux pour le haut débit, trois pour les liaisons louées (câbles de transport pour leslongues distances), et le marché de la radiodiffusion en distinguant gros et détail, ménages et entre-prises. Chaque régulateur national examine la situation de chacun de ces marchés au point de vuede la concurrence. En cas de « position dominante significative » la régulation ex-ante est main-tenue ; elle est supprimée lorsque la situation est jugée « concurrentielle ». Il est possible égalementd’avoir une régulation mixte, en particulier en permettant des tarifs d’accès aux réseaux supérieursà « ceux orientés vers les coûts » exigés en cas de position dominante. Au 7 février 2006, sur les152 marchés analysés (9 États membres n’ont rien communiqué), 19 sont concurrentiels, 10 sontmixtes, autrement dit 19 % des marchés échappent à une régulation totale. Sachant que l’objec-tif ultime de la régulation est que les régulateurs s’effacent au profit des seules autorités de la concur-rence, on mesure combien le chemin à parcourir est encore long.Pour certains, cette régulation européenne favorise trop la concurrence par les services et pas assezl’investissement dans les réseaux, ce qui est un problème lorsque la demande de débit augmente, ethandicape l’UE par rapport aux États-Unis. Pour la Commission, au contraire, cette régulation est tel-lement bonne qu’elle envisage de l’étendre aux transports, à l’énergie et aux services postaux. A. F.

L’Allemagne, future plaque tournante de la logistique en Europe ?L’Allemagne peut-elle devenir la première plate-forme « naturelle » européenne pour la centralisation

de la distribution et de la redistribution, du stockage, du transbordement, du transport et de toutes

les activités « à valeur ajoutée » liées à la logistique ? La réponse du professeur Peter Klaus(1), titulaire

de la chaire de logistique de l’Université Erlangen-Nuremberg et directeur du Groupe logistique

de l’Institut Fraunhofer ATL de Nuremberg.

Des sujets stratégiques...

La concomitance de trois mouvements dif-férents en Allemagne attire actuellement l’attention surune question qui aurait eu du mal à soulever de l’intérêt,il y a encore quelques années :• l’élargissement de l’Union européenne et l’intégrationrapide des « nouvelles » économies est-européennes ;• l’urgence grandissante de créer de nouveaux emploisdans l’industrie des services pour pallier les pertesconsidérables d’emplois industriels ;

• et enfin la prise de conscience croissante du fait quela logistique est une industrie qui, en termes d’emplois,de rentrées fiscales, de compétitivité internationale et depotentiels de croissance, n’a rien à envier aux « autres »grandes industries classiques de l’économie allemandecomme l’automobile, la construction mécanique, la chi-mie, l’électricité et l’électronique. L’étude la plus récente

(1) D.B.A./Université de Boston.

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« ATL » de l’institut Fraunhofer(2) évalue le volume du mar-ché allemand de la logistique à 170 milliards € et lenombre d’emplois directement liés à la logistique à2,5 millions. Cela placerait cette industrie au deuxièmerang en Europe pour le volume du marché et au troi-sième rang pour les emplois si elle figurait dans les sta-tistiques nationales et européennes.Le problème se pose maintenant de savoir si l’Allemagnepeut devenir la première plate-forme « naturelle » euro-péenne pour la centralisation de la distribution et de laredistribution, du stockage, du transbordement, du trans-port et de toutes les activités « à valeur ajoutée » liées à lalogistique – un peu comme le rôle dans lequel les Pays-Bas ont excellé auprès de la « vieille » Europe, plus petite.

Espoirs et doutesDevenir la future plate-forme logistique de l’Europe pour-rait permettre la création en Allemagne de très nombreuxnouveaux emplois difficilement « exportables » vers les paysà faible coût de main-d’œuvre, que ce soit en Europe cen-trale et orientale ou ailleurs. Ces emplois seraient aucontraire très liés à l’emplacement géographique. Deplus, la logistique offre des possibilités d’emploi pourtoutes les qualifications, des plus qualifiés aux niveaux lesmoins formés.Dans un premier temps, le développement de nouveauxcentres de transport et de stockage est souvent considérécomme peu intéressant par les régions et les popula-tions qui les accueillent. Ils mobilisent des terrains relati-vement grands et augmentent les charges qui pèsentsur les infrastructures et l’environnement. Mais l’expé-rience suggère, et cela s’est vérifié au Benelux et dans lesud de l’Angleterre, qu’ils finissent par attirer d’autresinvestissements et des emplois utilisant davantage demain-d’œuvre via l’installation d’entreprises de finition deproduits industriels, de sociétés commerciales, de socié-tés proposant des services de pointe, de services admi-nistratifs, et même de sièges sociaux.La concrétisation de ces espoirs ne cadre cependant pastrès bien avec certains autres aspects du contexte poli-tique et économique allemand actuel : le poids des éco-logistes rend difficile le développement d’activités risquantd’entraîner une nouvelle augmentation du transportaérien et par camion. Le niveau des salaires allemandset la législation sur la « codécision » (Mitbestimmung)paraissent défavorables aux activités logistiques qui sonttrès sensibles aux coûts salariaux et exigent une trèsgrande flexibilité de la part de la main-d’œuvre. De plus,l’image de la bureaucratie allemande et celle d’une légis-lation fiscale excessivement complexe ne sont pas pourarranger les choses.Les ministères fédéraux allemands du Transport et duCommerce ont confié l’an dernier au groupe de logistiquede l’institut Fraunhofer de Nuremberg, via « Investir enAllemagne », leur outil marketing, une étude(3) sur les

forces et les faiblesses de l’Allemagne – « LogistikstandortDeutschland » – comme lieu privilégié des investisse-ments internationaux en matière de logistique.

Atouts…Cette étude met en évidence les atouts-clés de certainsendroits de l’Allemagne qui expliquent leur attractivitécomme futurs centres logistiques européens.Il faut d’abord citer l’évidente « nouvelle centralité » géo-graphique de l’Allemagne dans une Europe élargie. La plu-part des grandes voies de transport transeuropéennes tra-versent l’Allemagne ou s’y rejoignent ; les ports les plusproches offrant un débouché maritime aux économies enexpansion des pays d’Europe centrale et orientale sontBrême et Hambourg. Aucun autre pays européen n’offre lemême nombre d’équipements aériens et portuaires decapacité comparable dans un « village du fret » multimodal.La richesse, l’étendue et les rapports performances-prixrelativement favorables proposés par les fournisseurs deservices logistiques basés en Allemagne constituent unautre atout pour le choix de ce pays. Les leaders euro-péens et internationaux du secteur comme DHL, Schen-ker, Kühne & Nagel, Dachser, Fiege, Rhenus et de nom-breux fournisseurs compétitifs de taille moyenne proposentdans toute l’Europe une gamme très large de serviceslogistiques fonctionnels et très accessibles.De plus, l’étude confirme l’importance de la relative sta-bilité du droit et de la sécurité en Allemagne en tant queplate-forme logistique et l’existence d’une main-d’œuvrequalifiée à tous les niveaux d’étude. Aucun de cesatouts ne constitue un avantage concurrentiel décisif àlui seul mais tous ensemble, ils rendent évidemment cepays très attractif.

… et faiblessesLes faiblesses les plus graves de l’Allemagne sont l’im-portance des coûts salariaux liée au sentiment que leCode du travail allemand est rigide, le système fiscal com-plexe et opaque, que, dans certaines zones, les terrainsdisponibles pour les projets logistiques sont rares et quedes problèmes peuvent surgir avec les administrationslocales et régionales. Enfin, le grand nombre d’agencesd’aide aux investisseurs et au développement écono-mique local, régional et fédéral en activité en Allemagne aété perçu par des investisseurs internationaux plutôtcomme une source de confusion que comme une aide.Cependant l’étude a également démontré que, dans plu-

Le volume dumarché allemand

de la logistiqueest évalué

à 170 milliards €et le nombre

d’emploisdirectement liés

à la logistiqueà 2,5 millions.Cela placerait

cette industrieau deuxième rang

en Europepour le volume

du marchéet au troisième

rang pourles emplois

(2) Un résumé peut être téléchargé via le site www.atl.fraunhofer.de.Pour toutes informations complémentaires sur le « Standort » et surles « 100 principales études sur la logistique » en Allemagne et enEurope, contacter [email protected].(3) Cette étude (cf. note 1) repose sur plusieurs sources : desétudes nationales et internationales, l’analyse de cas d’investisse-ment, des consultations approfondies avec des professionnels dela logistique.

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sieurs cas, il existait de grandes différences entre « les coûtssalariaux réels », « la disponibilité des terrains » et « l’aide auxinvestisseurs » accordée par les régions et les Länder alle-mands. Dans certains cas, les investisseurs internationauxont été enthousiasmés par la rapidité de l’action de l’admi-nistration et par la flexibilité de la main-d’œuvre dont leurs pro-jets avaient bénéficié. L’éventail des coûts salariaux moyensréels entre les régions où ils sont les plus élevés et celles oùils le sont le moins peut aller du simple au double, voire plus.Pour les instances politiques de l’État fédéral et des Län-der, les recommandations les plus importantes tirées desconclusions de cette étude sont les suivantes :• se donner, face aux investisseurs internationaux, une« image » marketing cohérente de « l’Allemagne commefuture plate-forme logistique de l’Europe ». Depuis, unpremier effort a été fait dans cette direction avec la créa-tion à Paris de l’agence « Investir en Allemagne » ;• mettre au point un processus professionnel et proactifpour guider et aider les investisseurs potentiels dans ledomaine de la logistique, à tous les niveaux, de préférence

par le biais d’intermédiaires possédant les compétencesspécialisées pour répondre aux exigences logistiques desindustries mondialisées comme l’automobile, les produitsà haute technologie, les produits alimentaires et les pro-duits de grande consommation, la mode, les fournis-seurs internationaux de services logistiques, etc. ;• coordonner et différencier les activités régionales etlocales au moyen de dispositifs comme les « tablesrondes » et développer un consensus sur les profils régio-naux des points forts et des compétences spécifiques(4).Si l’évolution de la logistique en Europe se poursuit commeprévu et si tous les acteurs concernés associent leursefforts pour améliorer l’image de l’Allemagne et pour pro-mouvoir leur potentiel logistique, l’étude fait entrevoir quele nombre des emplois liés à la logistique (2,5 millionsactuellement) pourrait augmenter de 20 % au cours descinq à huit prochaines années. ■ Peter Klaus

(4) Comme la carte publiée dans la revue d’affaires Wirtschafts-woche, 29 septembre 2005, à partir des résultats de l’étude.

« L’accès à l’Internet à haut débit par desconnexions “large bande” ouvre des possibilitésimmenses et représente la preuve concrète des pro-messes de la société de l’information (…). Le défautd’accès à [ces connexions] n’est qu’un aspect d’unproblème plus général (…) la fracture numérique, quidécrit le fossé séparant les particuliers, entreprises et ter-ritoires en fonction de leurs possibilités d’accès et d’uti-lisation des TIC » souligne la récente communication dela Commission européenne « Combler le fossé existanten ce qui concerne la large bande »(1).Le graphique ci-contre illustre le fossé existant dans cedomaine entre les anciens pays membres et les dix nou-veaux. Dans ceux-ci, « le marché de la large bandedémarre à peine, remarque la Commission, mais il est limitépar le faible taux de pénétration des ordinateurs person-nels et des lignes téléphoniques (…). Si le déploiement dela large bande dans l’UE des 15 consiste principalementen une modernisation des réseaux existants, il est rai-sonnable d’escompter un modèle d’évolution différentdans les nouveaux États membres. On observe souventdans ces pays une situation d’adaptation lente du marchéplutôt qu’une défaillance du marché. On constate de sur-croît une nette tendance à l’adoption de téléphones por-tables au lieu de téléphones fixes. Quand cela est possible,les consommateurs sont susceptibles de conserver uneligne fixe pour avoir accès à l’Internet, mais les progrès dela technologie sans fil auront probablement un impactplus grand sur la fourniture de services à large bande ».

Dans l’UE des 15, on a régulé pour partager un réseauexistant qui était universel (accès à 100 %), note AndréFerron, qui suit le dossier des télécommunications àConfrontations Europe pour le colloque de juin 2006. Or,dans les ex « pays de l’Est », le réseau fixe n’était pas uni-versel. Ces pays ont dû transposer « l’acquis commu-nautaire », c’est-à-dire une régulation, pour partagerun réseau dont la situation était très différente de celledes Quinze. Cette régulation est-elle la bonne pour inci-ter à investir dans les PECOS afin de couvrir l’ensembledu territoire, interroge André Ferron ? ■

(1) COM (2006) 129 final, le 20 mars 2006.

ACCÈS À L’INTERNET À HAUT DÉBIT

Un fossé européen Est-OuestInternet à haut débit, taux de pénétration

1,01

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1,72

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1,83

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3,43

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3,91

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NLDKFISEBEUKFRLUAT EU 15EEDEEUMTPTESITLT SICZIEHULVCYSK EU 10PLEL0 %

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Quel avenir pour les services sociaux d’intérêt général ?Au lendemain du vote du Parlement européen sur la directive Services(1), l’Uniopss

(Union Nationale Interfédérale des Œuvres et Organismes Privés Sanitaires et Sociaux)

préconise la reconnaissance des spécificités des services sociaux d’intérêt général (SSIG).

Les explications de son président, Jean-Michel Bloch-Lainé.

Pour la mouvance associative santé/action sociale quel’Uniopss rassemble, le choix et la formulation de l’attitude à tenir auregard de l’application du droit de la concurrence et des règles du mar-ché intérieur dans l’Union Européenne sont, depuis plus de cinq ans,un thème de réflexion permanente et approfondie.L’Uniopss a, d’emblée, écarté la tentation de reven-diquer une pure, simple et totale « mise horschamp » fondée sur le seul critère identitaire etincantatoire du statut juridique des associations.Pareille posture serait paresseuse, myope etcontraire au devoir de prospective ; c’est-à-direnocive, voire suicidaire.La question est singulièrement difficile, à raison – entre autres égards –de deux données qui relèvent du terme « transfrontières ».D’une part, au sein même de ce secteur des SSIG, les cloisonnementssont de moins en moins nets. Handicap, maladie, pertes d’autonomie,solitude, chômage, enfance pauvre, délinquance juvénile, précarité,exclusion sont autant de champs corrélés. Activités « non lucratives »mais exercées à l’occasion et à l’appui de l’action sociale : où sesituent les mouvantes « lignes de partage des eaux », en termes juri-diques et fiscaux ?D’autre part, ne serait-ce qu’à cause de la mobilité des personnes etdes novations scientifiques et technologiques, les lignes de démarca-tions nationales sont et seront de plus en plus poreuses ; et les coopé-

rations entre SSIG de différents pays se développeront heureusement,notamment dans les régions dites « transfrontalières ».Au lendemain du vote du Parlement européen sur la directive Services,l’Uniopss préconise la reconnaissance des spécificités des SSIG au

regard, principalement, de deux critères :1. leurs missions concernant la mise en œuvre desdroits fondamentaux des personnes, surtout cellesdes plus vulnérables, et l’essence et la particularitéde l’épaulement dont elles ont besoin : il s’agit defaire primer les missions d’intérêt général exercéespar ces services sur une mise en concurrence sys-tématique du fait de leur dimension économique,

tant au niveau européen que national, en organisant de façon spécifiqueles modalités de la concurrence à laquelle ils seront soumis ;2. la non-lucrativité de la majorité des opérateurs.L’Uniopss souhaite également l’établissement d’une réglementation àvenir spécifique, susceptible de conjurer les dangers de « balles per-dues» dans l’exercice d’une jurisprudence européenne qui, par défini-tion, ne pourra se construire qu’en appliquant et interprétant le droitcommunautaire. Il importe que celui-ci soit le plus explicite possible. ■

Jean-Michel Bloch-Lainé(mars 2006)

(1) Lire l’article de N. Lhayani en p. 24 de ce numéro.

LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ

Un levier de croissancepour les projets d’intérêt généralQuelque 600 milliards d’euros d’investissements seraient nécessaires pour réussir la Stratégie de Lisbonne, qu’il s’agisse de grands réseaux transeuropéens, de réseaux nationaux, d’équipements et de services de proximité (hôpitaux, justice)… Face à l’insuffisance des fonds publics, les partenariats public-privé (PPP)permettent de mobiliser des fonds privés. L’approche de la Commission ne favorise pourtant pas leur développement,souligne ici Marie-France Baud(1), secrétaire généraleadjointe de Confrontations Europe.

La notion de partenariat public-privé (PPP)existe depuis l’entrée en vigueur du traité CE*. Depuis ledébut des années 2000, elle connaît un regain d’intérêten Europe dans le secteur des infrastructures publiquescar les PPP constituent une alternative séduisante à ladéfaillance des États. Leur principe est de réunir desautorités publiques et des agents privés pour concevoir,construire, gérer ou préserver un projet d’intérêt public.Ce qui suppose un partage de responsabilité et de pro-priété entre État ou collectivités territoriales et secteurprivé, un partage garanti par un contrat de longue duréedont l’efficacité dépend d’une entente durable avecrépartition des rôles, mutualisation des risques, apport definancements privés et publics, évaluation et coordination.

Hétérogénéité juridiqueLe terme même de PPP génère beaucoup de confu-sion : on parle de PPP « contractuels » (infrastructures etouvrages) par opposition aux PPP « institutionnels »

Il s’agit de faire primer les missions d’intérêtgénéral exercées par

ces services sur une mise en concurrence

systématique du fait de leurdimension économique

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concernant des entreprises de services publics déte-nues à la fois par une entreprise publique et un partenaireprivé, de PPP « qualifiables marchés publics » et de ceuxqui ne le sont pas, de « vrais » PPP, de « nouveaux » PPP,de « faux » PPP... La notion est particulièrement ambiguëdans le cas français : le financement privé d’infrastructurespubliques existe depuis fort longtemps avec l’affermage(distribution d’eau) et la concession (autoroutes). PourAlain Grandel, en charge des financements de projetsd’infrastructures dans le monde pour BNP Paribas, un« pur » ou « nouveau » PPP trouve son application dansune prison ou un hôpital : une compagnie, dite « com-pagnie de projet » en assure l’exploitation, facture un ser-vice à une collectivité laquelle, en contrepartie, se renddébitrice de redevances étalées sur une longue période. À l’échelle européenne, le monde dit du PPP ne présentepas davantage d’homogénéité en termes de taille (les opé-rations se chiffrent de 1 à 2 millions € – une gendarmerie– à 3 milliards € – c’est le cas de Galileo –), de profils derisques et de structures juridiques et financières. Il rested’ailleurs en devenir, bien que la valeur des PPP en phased’attribution soit passée de 20 à 54 milliards € entre avril2004 et avril 2005 en Europe continentale, selon le rap-port du cabinet DLA Piper. En effet, seule la Grande-Bre-tagne offre un marché arrivé à maturité, avec environ200 PFI (Private Financing Initiatives) représentant 10 %de la commande publique. Depuis 2002, des outils légis-latifs innovants ont été élaborés en France qui n’en estcependant pas encore à la phase d’exploitation des« nouveaux PPP » dans les secteurs précurseurs de lasanté et de la justice. L’Allemagne et l’Espagne sont entrain de se doter d’un cadre administratif et légal ainsi queles pays d’Europe centrale et orientale. Ces derniersmanifestent beaucoup d’intérêt pour la formule, comptetenu de leurs besoins en infrastructures. Ils sont cepen-dant sévèrement handicapés par les questions de finan-cement et de garantie.

Une approche communautaire inadéquateIndépendamment des réticences que peuvent souleverces montages, en raison de leur complexité qui pose auxcollectivités locales les problèmes de l’expertise et de ladurée de l’engagement, le Livre vert de la Commission etles textes applicables aux PPP ne clarifient en rien lecadre. En effet, la Commission ne veut considérer lesPPP que sous l’angle marchés publics, ce qu’ils ne sontpas puisqu’il s’agit d’une entreprise partenariale de longuedurée entre les collectivités et des opérateurs privés.« Au nom d’une saine mise en concurrence, elle veutimposer des appels d’offres à une entité publique pourtout recours au privé, ce qui irrite les traditions de régie enAllemagne et en Autriche, heurte le principe de la libreadministration publique et est économiquement coû-teux » déplore Philippe Herzog, président de Confronta-tions Europe. Les PPP n’équivalent pas davantage à une

privatisation, la collectivité publique étant engagée dansun contrat de partenariat à propos duquel Anne Bréville,conseiller juridique à l’Institut de Gestion Déléguée, insistequ’il est conçu comme un contrat de service avec pourfinalité une mission d’intérêt public et une utilité socio-éco-nomique : ainsi, on construit un pont pour optimiser lesconditions de la circulation. On notera d’ailleurs que dansle cadre d’un PPP, la puissance publique contractante nese prive pas d’établir des critères de performance et decontrôle drastiques. Outre la définition d’un ensemble cohérent au niveaueuropéen, se pose la nécessité de clarifier la subsidiarité.Pour les PPP où l’Union intervient elle-même (grandsréseaux transeuropéens) et fait jouer fonds et mécanismesde garantie européens, un cadre communautaire paraîtsouhaitable. En revanche, s’agissant des PPP nationaux,comment concilier règles du marché unique avec initiativeet efficacité et quelle solution trouver au cas spécifique desaides d’État ? Les débats ont commencé entre les com-missions IMCOet ECON(2). Espérons qu’ils permettront dedresser des lignes de compétence au cours de cetteannée 2006 qui sera décisive pour l’épanouissement desPPP comme outils de développement. ■

Marie-France Baud

* L’article 37 (aujourd’hui 31) du traité de Rome mentionne expres-sément les monopoles d’État délégués. La notion d’« entreprisechargée de la gestion d’un service économique d’intérêt générale »figure à l’article 90 (aujourd’hui 86) du traité CE.(1) Cet article se réfère notamment à la réunion organisée par Confron-tations Europe à Bruxelles, le 10 mars, avec la participation d’Anne Bré-ville et d’Alain Grandel. Lire aussi sur le site www.confrontations.org,le compte rendu de cette réunion et de celle du 2 février sur les PPPavec l’intervention d’Henry Thomé, directeur des Affaires euro-péennes du groupe Bouygues.(2) Marché intérieur et protection des consommateurs et Affaireséconomiques et monétaires.

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SERVICES FINANCIERS DE DÉTAIL

Vers une « pleine harmonisation ciblée » ?Dans le domaine de la banque de détail, l’actuelle fragmentation réglementaire, notamment dans

la protection du consommateur, est un obstacle majeur à la consolidation transfrontalière du secteur

bancaire européen. L’EFR (European Financial Services Round Table)(1) propose de mettre en œuvre

une « pleine harmonisation ciblée » explique Dominique Graber, déléguée générale aux Affaires

publiques européennes de BNP Paribas, qui a présidé le groupe de travail sur la protection

du consommateur de l’EFR.

Bien que l’Acte unique ait prévu la mise en place du marchéunique en 1992, en 2006, presque tout reste encore à faire pour les mar-chés de détail. Le White Paper sur la politique des services financiers pour2006-2010 présenté par la Commission paraît d’ailleurs assez modestedans ce domaine. Ce manque d’allant est la conséquence de l’échec desÉtats membres à harmoniser, jusqu’à aujourd’hui, leurs réglementa-tions nationales.Ces divergences de réglementations favorisent le fractionnement desmarchés et constituent une barrière à l’entrée qui empêche la concurrencede réguler les prix et la qualité des services financiers. Aucun prestatairene vend aujourd’hui le même produit financier dans deux ou plusieursautres États membres. Les produits doivent être adaptés aux règlesnationales : une innovation pourra donc en théorie se décliner en 25produits différents pour tenir compte des régimes nationaux, réduisant ànéant les bénéfices d’économies d’échelle qui pourraient être attendues

d’un marché unique. Il enrésulte un coût d’opportu-nité pour les prestatairescomme pour leurs clients.Compte tenu de la struc-ture du portefeuille d’acti-

vités des grandes banques européennes, l’absence d’intégration dumarché de détail constitue un obstacle majeur à la consolidation trans-frontalière du secteur bancaire européen(2). En fin de compte, c’est toute l’économie européenne qui est pénalisée, carelle ne bénéficie pas des effets de diffusion qu’aurait une industrie bancaireeuropéenne pleinement efficiente.Les méthodes traditionnelles d’harmonisation ont échoué. L’harmonisa-tion minimale en laissant la possibilité aux États membres de rajouterd’autres règles, conduit le consommateur à faire face à 25 régimes diffé-rents, si elle est assortie de reconnaissance mutuelle. L’harmonisation maxi-male a montré qu’elle aboutissait à un monstre réglementaire avec lapremière version de la directive sur le crédit à la consommation.

Consommateur : quelle protection ?Le deuxième rapport du groupe de travail protection du consommateurde l’EFR(3) s’inscrit dans un triple contexte. Premièrement, celui d’unecontre-vérité : les produits financiers de détail seraient locaux et inci-demment les banques locales seraient plus à même d’y répondre. Il fauta contrario souligner que les grandes banques commerciales euro-péennes sont avant tout locales dans leur activité de financement de détailcar elles ne disposent d’une part de marché significative que sur leur seul

marché domestique. De plus, si dans la chaîne de valeur, une distributionlocale de services de détail correspond encore, dans bien des cas, à unedemande de la clientèle, rien n’empêche la production d’être euro-péenne : bien au contraire, elle ferait bénéficier le client d’économiesd’échelle. Deuxièmement, la consolidation bancaire transfrontalière euro-péenne ne se fait toujours pas. Troisièmement, le second projet de direc-tive sur le crédit à la consommation dans sa version actuelle fermera davan-tage les marchés nationaux et n’introduira pas la concurrence que laCommission appelle pourtant de ses vœux.L’EFR propose d’adopter une pleine harmonisation ciblée. Dans un espaceéconomique intégré, il faut admettre l’existence d’un consommateur euro-péen qui doit bénéficier d’un niveau de protection élevé, mais identique,pour ce qui concerne les aspects essentiels de cette protection. Paraspects essentiels, on entend les éléments du contrat qui permettent auconsommateur de prendre sa décision en toute connaissance de cause :tels que l’information précontractuelle et contractuelle, le droit de rétrac-tation ou le remboursement anticipé. L’EFR a proposé d’adopter cinq prin-cipes – la qualité de l’information par exemple – qui devraient permettred’établir une distinction entre les aspects essentiels et non essentiels decette protection. Les sujets essentiels feront l’objet d’une pleine harmoni-sation dans lesquels le consommateur européen se reconnaîtra et qui per-mettront aux prestataires de services financiers d’élaborer le cœur de leursproduits autour de règles de protection identiques, réalisant ainsi deséconomies de coûts informatiques qu’ils pourront faire passer aux consom-mateurs. Les sujets considérés comme non essentiels feront l’objet d’unereconnaissance mutuelle. L’EFR propose qu’un groupe d’experts représentant toutes les parties pre-nantes se réunisse et détermine quels sont les aspects essentiels de la pro-tection du consommateur. Ce groupe d’experts aurait aussi la tâche de faireapparaître aux États membres les distorsions qui continueront à exister entreles règles nationales pour les sujets non essentiels et qui, dans le cadre del’application de la reconnaissance mutuelle, pourront conduire à uneconfusion du consommateur. Le but sera d’amener les États membres àabandonner les règles qui, dans le contexte de règles essentielles har-monisées, ne constitueraient qu’une bureaucratie supplémentaire, quiplus est, coûteuse pour le consommateur. ■ Dominique Graber

(1) www.efr.be(2) Les banques européennes ont un désavantage de taille par rapport à leurs concur-rentes américaines (aux États-Unis les 37 plus grosses institutions financières en 1990ont été ramenées à 7).(3) Sponsorisé par Michel Pébereau, « Consumer Protection – Consumer Choice :deepening EFR’s concept on consumer protection in retail financial services », janvier 2006.

Les sujets essentiels feront l’objetd’une pleine harmonisation. (...)

Les sujets considérés comme non essentiels feront l’objet

d’une reconnaissance mutuelle