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Université des Sciences et Technologies de Lille 1, MEDEE-CESURE, 59655 V1LLEEUVE D’ASCQ Cedex Tél. : 03 2043 65 98 - Email : aveVpop.univ-li0e1.fr Cette etude a été réalisée a la demande et avec le tinancement de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques DARES) du Ministère de l’emploi et de la solidarité (convention de recherche n’ 497594 bis). C document d’étude représente la position de l’auteur et nengage pas la DARES en tant qu’institution. Pour tout contact DARES - Mission analyse économique 01 44 38 23 21. L’IMPACT ECONOMIQUE DE L’IMMIGRATION SUR LES PAYS ET REGIONS D’ACCUEIL: Modèles et méthodes d’analyse Hubert JAYET Professeur de Sciences Economiques 1 20 Avril 1998

Hubert JAYET Professeur de Sciences Economiques1 N° 20 ... · Université des Sciences et Technologies de Lille 1, MEDEE-CESURE, 59655 V1LLEEUVE D’ASCQ Cedex Tél. : 03 2043 65

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Université des Sciences et Technologies de Lille 1, MEDEE-CESURE,59655 V1LLEEUVE D’ASCQ CedexTél. : 03 2043 65 98 - Email : aveVpop.univ-li0e1.fr

Cette etude a été réalisée a la demande et avec le tinancement de la Direction de l’animation de la recherche, des étudeset des statistiques DARES) du Ministère de l’emploi et de la solidarité (convention de recherche n’ 497594 bis).C document d’étude représente la position de l’auteur et nengage pas la DARES en tant qu’institution.Pour tout contact DARES - Mission analyse économique 01 44 38 23 21.

L’IMPACT ECONOMIQUEDE L’IMMIGRATION SUR

LES PAYS ET REGIONSD’ACCUEIL:

Modèles et méthodesd’analyse

Hubert JAYETProfesseur de Sciences

Economiques1

N° 20Avril 1998

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TABLE DES MATIERES

Pages

Introduction 2

Immigration et offre de travail 4

La prise en compte du marché des biens et des échanges 19

L’endogénéisation de l’offre de travail des autochtones 31

L’effet des migrants sur des marchés en concurrence imparfaite 41

La non constance des rendements d’échelle 48

Les conséquences sur le fonctionnement du système public 52

Conclusion 58

Annexe : méthodes de base pour l’analyse de la demande de travail 59

Références 64

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I. INTRODUCTION

Les effets de l’arrivée de migrants sur l’économie du pays ou de la région d’accueil transitent parde nombreux canaux. C’est en fait, à partir d’un changement de niveau et de structure de sa populationrésidente, l’économie entière d’un pays qui est affectée. Cependant, tous ces effets ne sont pasd’importance égale. Dans ce rapport, nous passerons en revue les principaux effets, en commençantceux qui sont a priori les plus importants (au moins à court ou moyen terme) et ceux pour lesquels ondispose d’instruments méthodologiques accessibles. Nous laisserons de côté des effets plus accessoiresou sur lesquels les investigations sont difficiles

L’effet le plus connu et le plus souvent analysé, est I ‘effrt direct sur / ‘offre de travail. L’entrée demigrants se traduit par une augmentation de l’offre globale de travail des catégories de main d’oeuvreque rejoignent les nouveaux arrivants. Les effets de structure d’offre qui en résultent transitent par laplus ou moins grande substituabilité ou complémentarité entre la main d’oeuvre immigrée, lesdifférentes catégories de main d’oeuvre d’origine locale, et les autres facteurs de production (enparticulier le capital). Friedberg et Hunt (1995) résument bien l’argument essentiel : « Dans un modèled’économie fermée, les immigrants font baisser la rémunération des facteurs auxquels ils sontparfaitement substituables ; ils ont un effet ambigu sur les facteurs imparfaitement substituables et ilsfont croître la rémunération des facteurs qui leur sont comp1émentaires »

Les méthodes d’analyse de cet effet dans un contexte concurrentiel avec rendements constants sontprésentées dans la section 2 de ce rapport. Cependant, il n’est pas sûr que l’approximationconcurrentielle soit acceptable pour l’analyse des marchés du travail d’un pays comme la France. Nousexaminerons dans la section 5 les conséquences de la prise en compte du caractère non concurrentiel desmarchés de l’emploi sur les modes d’analyse. L’hypothèse de rendements constants peut égalements’avérer discutable. En particulier, si les estimations utilisent des données localisées, on sait que lesrendements croissants peuvent jouer un rôle important à ce niveau. Dans la section 6, nous passerons enrevue les problèmes posés par la réalisation d’estimations dans des contextes de rendements nonconstants.

Mais l’offre de travail n’est pas la seule affectée par la présence d’immigrants. A côté de cet effetsur le secteur productif, Greenwood (1994) et Greenwood et Hunt (1995) citent un certain nombred’autres canaux. L ‘effet sur la demande de biens et services en est un, qui peut jouer un rôle important.Même quand elle s’accompagne d’une baisse des revenus individuels, la croissance de la populationinduite par l’immigration conduit souvent à une croissance des revenus et donc de la demande de bienset services. Celle-ci induit à son tour une croissance des emplois. On retrouve l’idée de la poule et del’oeuf de Muth (1971). Les conséquences finales de la combinaison d’un effet d’accroissement de l’offrede travail et de la croissance de la demande de travail induite par une demande plus élevée de biens et deservices dépendent pour une bonne part du niveau global des rendements dans l’économie. Si l’ensembledes facteurs de production et des agents économiques qui les mettent en oeuvre est parfaitementreproductible, toute croissance de la population, qu’elle soit interne ou induite par la migration, setraduit par un changement d’échelle de l’économie concernée, sans influence sur les prix, les revenus etles taux de chômage. Par contre, en situation de rendements d’échelles croissants ou décroissants, lesindivisibilités ou les non-reproductibilités vont jouer et l’effet de la migration ne sera plus neutre. Ce quiconduit à s’intéresser en particulier aux externalités associées à une population de taille croissante et/ouà des densités de population croissantes. Comme le note Michael Greenwood (1994), c’est un domainequi reste quasiment vierge de toute analyse.

Par contre, des travaux importants ont portés sur les liens entre immigration et commerceextérieur. Par commerce extérieur, nous entendrons ici le commerce international pour une unitééconomique nationale, le commerce interrégional et la participation au commerce international pour uneunité économique infra nationale, région ou ville. Comme le rappellent Borjas, Freeman et Katz,« depuis longtemps, les théoriciens du commerce international savent qu’un pays dispose avec le

« In a closed economy model, immigrants vilI lower the price of factors with which they are perfectsubstitutes, have an ambiguous effect on the price of factors with which they are imperfect substitules and raisethe price of factors with which they are complements.

2

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commerce et l’immigration (et les flux internationaux de capital) de méthodes potentiellementsubstituables pour utiliser des facteurs de production rares à l’intérieur. Dans la mesure où Le commerceet l’immigration sont des moyens substituables pour modifier les dotations effectives de facteurs deproduction, il est incorrect de les étudier séparément2» (Borjas, Freeman et Katz, 1997). Dans uncontexte d’économie ouverte, les immigrants ne prennent pas’ forcément la place des autochtonesauxquels ils se substituent. La modification de la localisation des immigrants peut être une modificationde la localisation de la production par les immigrants, avec pour conséquence une modification des fluxcommerciaux.

Il y a une liaison forte entre les deux questions que nous venons de soulever. L’existence d’un effetsur la demande de biens et services est la conséquence du caractère localisé des marchés, avec des biensdont le déplacement dans l’espace est impossible. On retrouve cette même question de la mobilitéspatiale des biens et des facteurs dans l’analyse des liens entre immigration et commerce extérieur. C’estce qui explique que les deux questions soient traitées ensemble dans la troisième section de cette note.

Dans la quatrième section de cette note, nous revenons sur les marchés du travail en notant que lamodification de l’offre de travail induite par l’arrivée d’immigrants ne se réduit pas à la présence deceux-ci. Elle est aussi la conséquence d’effets indirects via la réaction de la population autochtone.D’une part, la population autochtone modfle son offre de travail suite aux variations de rémunérationdes facteurs de production. Cette modification est d’abord quantitative. Elle peut également, à plus longterme, être qualitative. Les évolutions de salaires relatifs conduisent la population autochtone à délaissercertains segments pour d’autres, par exemple à rechercher plus qu’avant des formations longues si ledifférentiel de rémunération entre niveaux de qualification augmente.

L’effet des immigrants sur l’offre de travail des autochtones peut aussi provenir d’infléchissementsdes flux migratoires internes, susceptibles de jouer un rôle important au niveau local: <(La migrationdes autochtones peut atténuer les effets de l’immigration. En quittant les zones où se concentrent lesimmigrants ou en n’y allant pas, les autochtones évitent les conséquences négatives qui peuvent résulterdes effets sur le marché du travail. Et ces inflexions migratoires peuvent être suffisamment faibles pourne pas avoir OEeffets observable au niveau maco-économique3» (Hunt, 1996). 11 y plusieurs bonnesraisons pour prendre en compte ces interactions dans une analyse de l’effet des migrations extérieuressur les marchés du travail. D’une part, on ne peut étudier l’impact de ces migrations en ignorant leurcomposante géographique, et ce d’autant plus que beaucoup de populations migrantes d’origineétrangère se concentrent sur des zones géographiques déterminées. Le résultat final sur les différentsmarchés du travail dépendra donc de la réaction des migrants internes. D’autre part, en modifiant lescaractéristiques des zones géographiques où ils s’implantent de manière privilégiée, les migrantsextérieurs peuvent perturber les circuits migratoires internes et les processus qui les entretiennent. Enfin,les migrants d’origine extérieure peuvent avoir leurs propres enchaînements migratoires, que ce soitavec de nouvelles migrations vers l’extérieur ou sous forme de migrations internes.

Les effets sur la fourniture de biens publics et sur les systèmes de protection sociale serontexaminés dans la septième section de ce rapport. L’accroissement de population induit par la migrationpermet de bénéficier des rendements croissants associés à l’usage de beaucoup d’équipements et deservices publics. A l’opposé, au-delà de certains seuils, les équipements et aménités non reproductiblespeuvent être sujets à congestion. Les immigrants contribuent au système de protection sociale, auquel ilscotisent. En retour, ils en bénéficient. Or, la composition par sexe, âge et catégorie sociale des immigrésest très différente de celle de la population autochtone et, en général, leur exposition au risque dechômage est élevée. En conséquence, même avec un système de protection sociale globalement équilibré,il est peu vraisemblable que la contribution nette des populations immigrées le soit. En raison de

2 « Trade theorists have long recognized that trade and immigration (and international capital flows) arepotentially substitute ways for a country to make use of factors that are scarce within its borders. (...) To theextent that trade and immigration are substitute means of altering effective national factor proportions, il isincorrect to analyze them separately. »

« Native migration may attenuate the effects of immigration. By migrating away from areas of relatively largeimmigrant concentrations, or flot migrating 10 such areas, natives avoid the potentially adverse impacts thatmay be forthcoming through the production structure channel. At the same time, these migration movementsmay flot be sufficient to produce observably significant effects at the macro level. »

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l’importance des budgets sociaux dans un pays comme la France d’aujourd’hui, l’apport net desimmigrés ou au contraire l’aggravation du déficit auquel ils contribueraient sont un point important.C’est aussi un problème difficile, comme le note Borjas (1994) dans sa synthèse des études américainessur le sujet.

2. IMMIGRATION ET OFFRE DE TRAVAIL.

2.1 Un point de départ.

Pour analyser l’effet de l’immigration sur l’offre de travail, nous reprendrons tout d’abord le cadrede travail très simple proposé par Borjas (1995a). Dans une économie concurrentielle, l’état de latechnologie et des capacités de production est représenté de la manière la plus simple possible, par unefonction de production qui dépend de la seule quantité d’un facteur travail homogène. On a doncQ = F(L), où Q est la quantité produite, L est la quantité de travail utilisée et F est une fonction deproduction conventionnelle, croissante et concave. En prenant le prix du bien produit comme unité, lademande de travail concurrentielle est déterminée par la fonction inverse de demande de travail,w = F’(L) représentée sur la figure 1

Figure 1 : Immigration et salaires

En l’absence d’immigration, l’offre de travail est supposée rigide et égale à M. Le salaire est alorsfixé au niveau w0. Le revenu des salariés, égal à w0N, est représenté par le rectangle Ow0BN. Lesautres facteurs de production (ou les entreprises) reçoivent la valeur du reste de la production, égale à lasuperficie du triangle Aw0B. Quand, sous l’effet de l’immigration, l’offre de travail augmente de Nà N + M, le salaire diminue de w0 à w1, d’où une baisse dans les mêmes proportions des revenus dessalariés. Les immigrants reçoivent globalement un revenu égal à w1N. Le revenu des autres facteurs deproduction augmente. Il est maintenant égal à la superficie du triangle Aw1C. Cette augmentation sedécompose elle-même en deux parties. La superficie du rectangle w0BDw1 est un transfert de revenu audétriment des salariés autochtone et au bénéfice des autres facteurs de production. La superficie dutriangle BCD est l’apport net des immigrants au revenu des autochtones, entièrement captée par lesfacteurs de production autres que le travail.

Malgré son caractère sommaire, le modèle ci-dessus permet de cerner le problème essentiel quepose l’arrivée de migrants à l’économie d’accueil. Parce qu’il s’accompagne d’une utilisation plusintensive des facteurs de production, l’accroissement de la population active entraînée par l’immigrationconduit à un accroissement de la production. Cet accroissement peut être approximé par undéveloppement de Taylor au second ordre de F(L) autour de N:

(1)M2

AQ= F(M+ N)-F(N) =

Mais, en présence de non-reproductibilités sur les autres facteurs de production, la productivitémarginale du travail et donc la rémunératon du travail décroissent

(2) tw = F’(M+ N)- F’(N)= MF”(N)<O

w0w

BC

o 4v N±.’f

4

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De ce fait, les immigrants ne récupèrent pas la totalité de l’accroissement de production à l’origineduquel ils sont. Plus précisément, on peut réécrire (1) sous la forme suivante

M(3)

Le premier terme du membre de droite est la rémunération globale des immigrants. Le deuxièmeterme, positif quand A.v <O, est La part du supplément de production qui est récupérée par lesautochtones. Ce supplément est d’autant plus important que la baisse des salaires est forte. Or, cettemême baisse des salaires entraîne une modification de la répartition des revenus des autochtones audétriment des salariés et à l’avantage des entrepnses ou des propriétaires des autres facteurs deproduction. En effet, la baisse des salaires fait baisser le revenu W= Nw des salariés autochtones,

AW= Nxw =MNE”(N)<O

pendant que le revenu R = F(l) — LF (L) des non salariés augmente:

Plus l’élasticité de la productivité marginale par rapport à l’emploi est forte en valeur absolue, plusla redistribution est importante entre les deux catégories d’autochtones.

Le problème essentiel est donc celui-ci : plus le supplément de revenu dont bénéficient lesautochtones du fait de / ‘immigration est important, plus la modification de la répartition des revenusentre les différentes catégories d’autochtones est importante. Le bénéfice éventuel qu’on retire del’immigration est donc source de conflits. Qui plus est, le supplément de revenu, égal à—ivIA’v I 2 = —M2F” (N) / 2, est du second ordre par rapport à la redistribution des revenus, dont lemontant est de NtMv. Il est donc naturel, comme le souligne Borjas, que ce soient les préoccupationsliées à la redistribution qui prennent le dessus

« La faible taille du surplus de l’immigration - surtout comparativement à l’importance destransferts de richesse induits - est sans doute la raison pour laquelle le débat sur l’immigration portehabituellement sur les conséquences néfastes de celle-ci pour les marchés de l’emploi, plutôt que surla croissance du revenu global des autochtones. En d’autres termes, le débat se focalise sur lesproblèmes de redistribution (les transferts de revenu au détriment des travailleurs) plutôt que sur lesgains en efficacité (le surplus de l’immigration). Si la fonction de bien-être social dépend à la fois desgains en efficacité et de l’impact de la redistribution, les faibles bénefices du surplus de l’immigrationpeuvent être plus que compensés par l’importance de la redistribution, d ‘autant plus que celle-ci vades travailleurs vers les propriétaires du capital (ou les usagers des services des immigrants)4»(Borjas, 1995a).

Ce qui signifie que toute étude des conséquences de l’immigration doit à la fois s’attacher à enmesurer les bénéfices globaux et à analyser les transferts de revenus qu’elle induit. Mais pour aboutir àdes évaluations pertinentes, il faut abandonner le caractère sommaire du modèle utilisé dans cettesectior. En particulier, compte tenu de l’importance des questions de transferts, il est indispensable dedériver la demande de travail d’une fonction de production plus complète, intégrant plusieurs facteurs.C’est ce que les spécialistes américains appellent l’approche par la production, que nous allonsprésenter maintenant.

« The relatively small size of the immigration surplus - particularly when compared to t.he very large wealthiransfers causcd by immigration - probably explains why the debate over immigration policy bas usuallyfocused on the potentially harmful labor market impacts rather than on the overali increase in the nativeincome. In other words, the debate stresses the distributional issues (the transfer of wealth away from workers)rather than the efficiency gains (the positive immigration surplus). If the social welfare function depends onboth efficiency gains and the distributional impact of immigration, the slight benefits arising from theimmigration surplus may well be outweighted by the substantial wealth redistribution that takes place,particularly since the redistribution goes from workers to owners of capital (or users of immigrant services). »

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2.2 Les effets de l’immigration sur la rémunération des facteurs.

Pour analyser les effets de l’immigration, il faut soit identifier les facteurs de production dont ellemodifie l’offre globale, soit la considérer comme un facteur ou un ensemble de facteurs de production àpart entière. La première solution, implicitement présente dans le modèle de la section 2.1, est adoptéepar des auteurs comme Borjas (1995a) ou Jayet (1997). Elle est bien adaptée au débat du lien entre lacroissance de l’immigration et l’aggravation des inégalités salariales aux Etats-Unis.

Un modèle simple dans cet esprit consiste à distinguer trois facteurs de production : le capital enquantité K, rémunéré au taux WK, le travail non qualifié en quantité LN, rémunéré au taux WN et letravail qualifié en quantité LQ, rémunéré au taux WQ. Le produit, fabriqué en quantité

Q F(K, LQ , Lu), est vendu au prix p. Conformément aux résultats de base de la théorie de la

production rappelés en annexe, pour j = K, Q, N, les rémunérations des facteurs sont fonction de la

combinaison productive et du prix du produit: w1 = W.(( ))(K,LQ,L,p) L’immigration se traduit par

une augmentation de l’offre des deux facteurs travail et plus spécialement du travail qualifié. De ce fait,elle a à la fois un effet de volume en augmentant la population active et un effet de composition enaugmentant les parts relatives du travail qualifié et non qualifié. Avec une fonction de production àrendements constants, la totalité de la production se répartit entre les trois facteurs de production

pQ = pF(x) = Kco(K, LQ , L , p) + LQWQ(K, LQ,, p) + La(K, LQ, L ,

Comme souligné plus haut. pour rendre compte des effets de l’entrée de migrants, il faut prendre lesoffres de travail comme variables explicatives et donc utiliser les équations (A7) qui, en lacirconstance, deviennent:

daiK dp dK dLQ dL=—+77 +17KQ —+77m

K p K LQ L1

dwQ dp dK dLQ dL(4)

7KQ77QQ 17Q\(.DQ P 1_’Q

dw dp dK dLQ dL=+177q +17QN +17q

a) p K LQ LN

où les indices K, Q et N repèrent respectivement les valeurs relatives au travail qualifié et non qualifié.

Supposons dans un premier temps que l’économie considérée est suffisamment petite et que soninsertion dans le commerce international ou interrégional est suffisante pour que le prix du produit soitfixe (dp/p=O). Nous allons de plus considérer que l’offre de capital est rigide (dK/K=O). Ce faisant,on traite le capital comme une dotation initiale en facteur fixe, ce qui est cohérent avec un horizontemporel court. Les deux premiers termes des membres de droite du système d’équations (4) sont alorsnuls. On peut de plus réécrire les deux derniers termes de manière à faire apparaître séparément l’effetde volume et l’effet de composition. En effet, de l’égalité L=LQ +LN, on déduit

L L LQ L L

ce qui permet, après quelques manipulations, d’obtenir:

Voir annexe.

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LQ L LLQ L

dL\, dL LQ (‘dLv dLQ

Dans chacune de ces deux expressions, le premier terme est le taux de variation du volume depopulation active. Le deuxième terme mesure le changement de composition de la population active ; ilest nul quand la structure de qualification des immigrants est la même que celle de la populationautochtone. Il est négatif (respectivement positif) quand la proportion d’immigrants qualifiés estsupérieure (respectivement inférieure) à celle des immigrants non qualifiés. En appliquant cettedécomposition à (4) et en tenant compte du fait que, en rendements constants, la somme des élasticitésd’un facteur par rapport à l’ensemble des facteurs est nulle, on aboutit à

da K dL (L, LQ (fdL dL

- dCOQ dL(L4 LQ (dLQ dL()

— 77KQ L L L 77QNJ LQ—

dw dL (LQ (f dL dLN(o

--

7N 77 QN J7ZDans chacune des trois égalités ci-dessus, le premier terme mesure l’effet de volume, le second

terme mesure l’effet de composition. L’effet de volume sur la rémunération d’un facteur dépend del’élasticité-quantité entre le capital. Avec une fonction de production concave à rendements constants,les élasticités directes sont négatives et l’une au moins des élasticités indirectes est positive. Enconséquence, l’effet de volume conduit à une augmentation de la rémunération du capital (car

17KK <O) et à une diminution de la rémunération de l’une au moins des deux catégories de travail. (car

77KQ +77m =—i > O. Plus la complémentarité au sens de Hicks entre le capital et l’une des deux

catégories de travail est forte, plus l’élasticité croisée correspondante est positive, plus l’effet dépressifsur les salaires de cette catégorie est important.

L’effet du changement de composition de la main d’oeuvre sur la rémunération du capital est

ambigu, le terme (LN/L)QKQ—(LQ/L)77. n’étant pas déterminé a priori. Cependant, il est facile de

montrer que, dans tous les cas, dwK /IVK reste positif et donc que le capital bénéficie de l’entrée

d’immigrants. Par contre, dans le cas usuel où l’élasticité-quantité croisée des deux catégories de travail

est positive, les termes (LW/L)17QQ—(LQ/L)T7QN et (LQ/L)77—(LN/L)77QN sont tous deux

négatifs. Les effets de changement de composition sont donc sans ambiguïté. L’immigration tend àbaisser les rémunérations de la catégorie de population pour laquelle elle est surrepresentée, lestravailleurs qualifiés si dLQ/LQ > dLN /L les non qualifiés dans le cas contraire. A l’opposé, l’effet

de composition atténue, voire peut annuler la baisse des salaires induite par l’effet de volume que lacatégorie de population où les immigrants sont sous-représentés.

Dans la situation usuelle où, pour l’essentiel, les immigrants sont non qualifiés, l’immigration adonc un double effet dépressif sur les salaires des non qualifiés l’effet de volume et l’effet decomposition vont dans le même sens. Par contre, pour les travailleurs qualifiés, les deux effets vont ensens opposé. Les travailleurs qualifiés peuvent bénéficier de l’immigration. Ils en bénéficient même

sstématiquement dès que dLQ /LQ est proche de zéro et que l’élasticité-volume croisée entre les deux

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catégories de travail, 77 est positive. Dans ce cas, ils ont en pratique le même statut de facteur fixeque le capital et bénéficient d’effets qui vont dans le même sens.

Que se passe-t-il quand on relâche la contrainte de fixité du capital ? Plaçons-nous à l’extrêmeopposé. le capital étant parfaitement mobile dans une petite économie. En conséquence, le capital n’estplus une dotation initiale mais un bien échangé sur des marchés à un prix qui, du point de vue del’économie considéré, doit être traité conmie fixe. On résout donc maintenant le système d’équations (4)en posant dp/p=0 et dwK /WK =0. Pour que la deuxième égalité soit vérifiée quand la première l’est,il faut une variation de capital égale à

K L9 7KK L\ L L L L9

L’introduction de cette vanation de capital dans les rémunérations des deux catégories de main d’oeuvreconduit, après quelques manipulations élémentaires, au résultat suivant:

da9 rL\. ., L9 1(dL9 dL\,7K= i 997K17KK779V h7KQî7fr1)j77j_

(6)do r9 2 ( dL9 dL

_Li’’ v)77KKh7QN 7KQ I7KN)]__7_

On aboutit à deux conclusions. D’une part, le terme en dL/L qui apparaissait dans (4) amaintenant disparu. La mobilité parfaite du capital fait disparaître l’effet de volume, ce qui n’est passurprenant. En rendements constants, l’augmentation du volume de la population active conjuguée avecla mobilité du capital fait changer l’économie d’échelle. Ce changement d’échelle n’a pas d’effets directssur les rémunérations. Seuls subsistent donc les effets de composition. Dans le cas où l’élasticité-quantité croisée entre les deux catégories de travail est positive (i > 0) et où les élasticités-croisées

entre le capital et chacun des deux facteurs de production sont de même signe (7KQ 77 > 0). En effet,

dans ce cas T7KK étant négatif on a i7 779N — TlKQ <0. La concavité de la fonction de production

entraîne que 77 17QQ 17K9 > 0, î7 77Q9 17 > 0. Dc ce fait, les deux termes entre crochets de (16)

sont positifs. Un accroissement de la proportion de salariés non qualifiés (dL9/L9<dLN/LN) induit

une baisse des salaires de ces derniers (dw /w <0) et une hausse des salaires des travailleursqualifiés (dw9/w9 > 0). L’effet de composition va donc dans le même sens qu’en absence de mobilité

du capital.

Jusqu’à présent, nous avons considéré que les travailleurs migrants étaient parfaitementsubstituables à l’une des composantes de la main d’oeuvre autochtone. Or, des observations nombreusestendent à montrer que cette substituabilité est imparfaite. En particulier, les nombreuses estimations defonctions de gains des immigrants synthétisées par Borjas (1994) montrent que, à caractéristiquesobservables égales, les travailleurs migrants ont des salaires plus faibles que leurs homologuesautochtones. En l’absence de substituabilité parfaite, il vaut mieux, comme Grossman (1984),Greenwood et Hunt (1995), Greenwood, Hunt et Kohli (1996), considérer les travailleurs migrantscomme un facteur de production à part. Dans ce cas, on rajoute au modèle précédent autant de facteursde production au modèle précédent qu’il y a de catégories de travailleurs migrants.

Le modèle le plus simple est celui qui ne prend en compte qu’une catégorie de travailleurs migrantsen nombre L1. Sachant que maintenant les dotations de l’économie en travailleurs qualifiés et non

qualifiés autochtones, L9 et L , sont fixes. on aboutit au système d’équations suivant

g

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dK dp dK dL1+ 77KK — + 7lW

‘t)K p K LMdaQ dp dK dL1

_+77KQ+17QM r(7

(OQ P

dp dK dLf= + T7KN — +

N p K L1

dû dp dK dLf= + T7Jf — +

p K LM

où l’indice M désigne les immigrants. Dans une petite économie ne pesant pas sur le prix du produit etdont la dotation en capital est fixe (dp/p=O et dK/K=O), les effets de l’entrée d’immigrants

dépendent du signe de l’élasticité-quantité croisée entre la force de travail migrante et les facteurs deproduction autochtones. La croissance de la population migrante diminue la rémunération des facteursde production qui lui sont substituables au sens de Hicks et fait croître la rémunération des facteurs deproduction qui lui sont complémentaires. C’est le résultat bien connu et souvent cité : « Dans un modèled’économie fermée, les immigrants font baisser la rémunération des facteurs auxquels ils sontparfaitement substituables ils ont un effet ambigu sur les facteurs imparfaitement substituables et ils

font croître la rémunération des facteurs qui leur sont complémentaires 6» (Fnedberg et Hunt, 1995).

Tout en continuant à considérer le cas d’une petite économie, regardons maintenant ce qui se passequand le capital est parfaitement mobile. Il faut maintenant résoudre le système d’équations (7) avecdp/p=O et dwx/wK=O. On obtient:

dcoQ_( dLAf

7KK — V7KK77QM hlfhlKQ)7WQ

da. dLAf(8) 7KK =(ii. —‘) Lf

daf ( 2 \dLfT7KK = —

L,.

Dans la troisième équation, le terme entre parenthèses est positif. En conséquence, T7KK étant négatif,

dw/w1 et dL1/L varient en sens opposé. Que le capital soit fixe ou mobile, l’entrée de nouveaux

immigrants a un effet dépressif sur les rémunérations des immigrants. L’effet sur les rémunérations desautochtones est plus ambigu. Cependant, en procédant comme plus haut à propos de la formule (6), onpeut supposer que les élasticités-quantités du capital par rapport aux différents types de facteur travailsont toutes de même signe. Quand cette hypothèse est vraie, il suffit que l’élasticité-quantité croiséeentre les immigrants et une catégorie de main d’oeuvre autochtone soit positive pour que, comme enl’absence de mobilité du capital, ses rémunérations croissent sous l’effet de l’arrivée de nouveauxmigrants.

2.3 Les travaax empiriques les méthodes.

L’approche par les effets sur la demande de travail conduit directement à des travaux empiriquesfondés sur l’estimation des paramètres d’une fonction de production, d’où l’on déduit les valeursestimées des différents-types d’élasticité. La connaissance de celles-ci permet alors d’analyser les effetsde l’entrée de migrants sous des hypothèses variées. Outre l’article pionnier de Grossman (1982), des

6 « In a closed economy model. immigrants will lower the price of factors with which they are perfectsubstitutes, have an ambiguous effect on the price of factors with which they are imperfect substitutes and raisethe price of factors with which ihey are complements. »

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publications représentatives de cette approche sont Bean, Loweli et Taylor (1988). Greenwood et Hunt(1995), Greenwood, Hunt et Kohli (1996), Kohli (1997).

Le point de départ des recherches empiriques est le choix d’une spécification particulière de lafonction de production. Une fois celle-ci choisie, deux solutions sont possibles. En partant de la fonctionde production, on détermine les fonctions de demande inverse de facteurs, a (x, p)/p=D,F(x) et onestime ces équations en utilisant des données sur les prix et les quantités de facteurs utilisées. Lespremiers sont utilisés comme variables expliquées, les seconds comme variables explicatives.Alternativement, en partant de la fonction de coût, on détermine les fonctions de demande de facteurs,.(w,q)/q=Dc(w) ou, encore plus fréquemment, les parts de chaque facteur dans les coûts,

s. (w, q) = w. (w, q)/c(w). On estime ces équations en utilisant des données sur les coûts, lesvariables explicatives étant les prix.

La nature des données utilisées n’est pas la même dans les deux cas. L’estimation des fonctions dedemande inverse de facteurs nécessite des données sur les prix de ces derniers. Dans le cas du travail, ils’agit des salaires. Dans le cas du capital, il s’agit d’un coût d’usage du capital. Ces données peuventêtre collectées à des niveaux variés. On peut exploiter des sources de données individuelles (sur lesniveaux de salaires), pourvu que les informations disponibles dans ces sources contiennentsuffisamment d’informations sur les facteurs individuels déterminant les rémunérations de facteurs. Onpeut également se situer à des niveaux plus agrégés, par exemple le niveau des entreprises, voire leniveau d’un secteur d’activité, d’une ville ou d’une zone géographique locale. A chaque fois, il faudraintroduire des variables explicatives des différences de processus productifs ou de disponibilités defacteurs de production non pris en compte par le modèle (par exemple le niveau d’infrastructure).

La fonction de production la plus généralement utilisée est la fonction translog, dont les avantagessont la souplesse et le fait qu’elle puisse être considérée comme l’approximation locale par undéveloppement de Taylor d’une fonction de production quelconque. La fonction de production translogest usuellement présentée à partir de sa fonction de coût

(9) lnc(w)=a0+aIn w lnw3 lnw32 3.3=1

avec les contraintes suivantes pour que l’hypothèse des rendements constants soit respectée

a1=1, Vi, /=O et

A ces contraintes de rendements, il faut ajouter des contraintes permettant le respect des conditions deconcavité de la fonction de production (ou, ce qui revient au même, de convexité de la fonction de coût).En effet, contrairement à d’autres fonctions de coût classiques et moins souples, la fonction (9) n’est pasconvexe pour toutes les valeurs des paramètres. Il faut donc au moins vérifier que les paramètresestimés correspondent, pour les valeurs courantes de prix des facteurs, à une fonction de coût convexe.Si ce n’est pas le cas, il faut utiliser des techniques permettant, localement ou globalement, d’imposer laconvexité de la fonction de coût estimée.

Les fonctions de demande de facteurs et leurs parts dans le coût total de production s’obtiennentpar dérivation de (9)

(w,q) a, 1

qc(w)(10)

s (w) =W1(W3(/) =

+ ln w1

d’où l’on peut déduire les élasticités-prix de la demande et les élasticités de substitution d’Allen-Uzawa

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J 1+4/s(w)s1(w) siij

(11)o3(w)_ +(j_s1(w))/s,(w)2 sH=j

= o,(w)s(w)

Pour une approche par les quantités, on a également besoin des élasticités-quantité et des élasticités decomplémentarité de Hicks. Plutôt que de chercher une approche directe, on peut obtenir les élasticités decomplémentarité à partir des élasticités de substitution en appliquant (AlO), puis on utilise (A6) pourdéterminer les élasticités-quantité.

La fonction translog est utilisée par Grossman (1982), Greenwood et Hunt (1988), Greenwood.Hunt et Kohli (1996) et par Kohli (1997). Les trois premiers articles utilisent comme données desinformations sur les salaires locaux et des agrégats calculés au niveau des SMSA (StandardMetropolitan Statistical Areas qui sont l’ensemble formé par une agglomération et sa zone d’influencedirecte). L’essentiel des informations est tiré de l’échantillon B de micro-données du recensement de lapopulation (PIJMS B). Grossman (1982) distingue quatre facteurs de production le capital, les salariésautochtones, les salariés étrangers nés à l’étranger et les immigrants de seconde génération. Greenwood,Hunt et Kohli procèdent de manière similaire; mais, au lieu de distinguer entre immigrants de premièreet de seconde génération, ils distinguent entre immigrants récents et anciens. Greenwood et Hunt (1988)n’en distinguent que trois, le capital, les salariés autochtones et les immigrants.

Kohli se distingue des trois autres études sur trois points. D’une part, il raisonne au niveau d’unpays entier, la Suisse. D’autre part, il utilise des données temporelles sur 36 ans. Enfin, il étudiesimultanément l’impact des immigrants et celui du commerce extérieur. On peut en effet penser qu’ilexiste une certaine substituabilité entre faire travailler des immigrants pour faire baisser les coûts deproduction et l’importation de produits fabriqués, directement à faibles coûts salariaux, dans les paysd’origine. Nous reviendrons plus loin sur ce problème. Ces choix a deux conséquences. En premier lieu,pour tenir compte des évolutions technologiques que la production a connu en 36 ans, il est amené àintroduire un trend temporel, reformulant sa fonction de coût de la manière suivante:

(K J 1 ‘lnc(iv,t) = a&tc,J +L aklt lnw1 + mw1 lnw

k=O z=1 k=O i,j=1

avec les contraintes adéquates pour conserver les rendements constants. En second lieu, la prise encompte du commerce extérieur le conduit à introduire les produits importés parmi les facteurs deproduction. Ces derniers sont au nombre de quatre: le capital, les importations, la main d’oeuvrenationale, la main d’oeuvre immigrante.

Les alternatives à la fonction translog sont rares. Bean, Loweil et Taylor (1988) utilisent unefonction de Leontief généralisée, dont la fonction de coût se présente sous la forme suivante:

c(w) = a1v2w2

i.ï=1

Outre la fonction translog, Greenwood, Hunt et Kohli (1996) essayent également la fonction de Leontiefainsi que la fonction CES

c(w)=

a, w[

Aucune de ces trois solutions ne les satisfait. La CES et la Leontief ne sont pas suffisamment souples.La CES. en particulier, impose une élasticité de substitution constante entre deux facteurs de productionquelconques différents l’un de l’autre, égale à I

—p. La Leontief et la translog ne respectent pas

naturellement les conditions de concavité. Ce constat les conduit à proposer une quatrième solution, la

quadratique symétrique normalisée de Diewert et Wales (1987):

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I

(12) c(w)=a,w, +

2y,w,

les paramètres devant satisfaire les contraintes = /J,.

/ = O, y, > O et y. = 1 . Pour que

la fonction de production soit concave, il suffit que la matrice des ,1i soit semi-définie négative. La

fonction de demande de facteur associée est

Yt/3JkwJWk

(13)(w)

= +j=1

q2yw3

L’estimation de l’ensemble des paramètres d’une fonction de production est l’approche la plusrigoureuse sur le plan théorique. Elle n’est pas forcément la plus adaptée aux données disponibles.D’une part, on ne dispose pas forcément d’informations sur les rémunérations et les quantités utiliséesde l’ensemble des facteurs de production qu’il serait souhaitable de prendre en compte. D’autre part, leniveau de détail sur lequel travailler peut, dans certains cas, s’avérer difficile à gérer. Par exemple,l’exploitation de données individuelles sur les rémunérations conduit à prendre en compte lesdéterminants des salaires individuels que sont l’âge, le niveau de formation initial, l’expérienceprofessionnelle, la catégorie socio-professionnelle, déterminants qui n’apparaissent pas directement dansles modèles exposés ci-dessus.

Pour rester dans l’esprit de ces modèles, deux solutions sont envisageables. La première est dedistinguer autant de catégories de main d’oeuvre qu’il y de classes de valeurs des variables explicatives:classes d’âge, niveaux de formation, CSP, etc... On arrive vite à un niveau de détail trop important pourêtre gérable économétriquement. ne serait-ce qu’en raison du nombre de paramètres à estimer. Ladeuxième solution consiste à introduire une fonction déterminant le nombre d’unités standard de travailfournies par un salarié en fonction de ses caractéristiques. Si a,(x,p) = pD,F(x) est la rémunérationd’une unité équivalente de travail et que le salarié dont les caractéristiques sont décrites par le vecteur zfournit h(z) unités standard de travail, son salaire sera égal à

w(z,x,p) = h(z)a, (x, p) = h(z)pD,F(x)

C’est cette dernière relation qui peut être utilisée pour l’estimation des paramètres.

L’ensemble des ces difficultés, auxquelles s’ajoute le problème du choix d’une forme fonctionnellepour représenter le processus productif, explique que de nombreuses applications se contentent d’unespécification approchée, centrée sur les facteurs les plus intéressants, c’est à dire les différentescatégories de main d’oeuvre. Très représentatifs de ce type d’étude sont les articles de LaLonde et Topel(1991), Altonji et Card (1991), Borjas, Freeman et Katz (1996, 1997). Au delà des différences despécification, ces études sont basées sur des méthodologies similaires, qu’on peut illustre facilement.Supposons, comme ci-dessus, que les travailleurs ont été répartis en catégories homogènes et qu’untravailleur de catégorie j fournisse h. (z) unités standard de travail quand ses caractéristiques sontdécrites par le vecteur z. Il est employé dans une entreprise dont la fonction de production est de la

forme F(l, x, y), où I = (i , . ..,i) est le vecteur des volumes de travail fournis par chacune des I

catégories de salariés et x est le vecteur regroupant les autres facteurs de production et y est un vecteurde caractéristiques de l’entreprise influençant l’efficacité de son processus de production.

Pour un prix du produit normalisé à l’unité, le salaire versé à l’agent est égal à

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w(y,z,x,1) = h(z)D,F(l,x,y)

Notons que, quand la production se fait à rendements constant, la dérivée D. F par rapport à la

quantité utilisée de la i-ième catégorie de main d’oeuvre est homogène de degré zéro par rapport auxquantités de facteurs de production. Il est donc possible de normaliser celles-ci, par exemple en divisantcelles-ci par la taille L de la population active employée par l’entreprise représentative. On remplace

donc I par le vecteur l/L = (11/L ,. . .,l IL) qui donne la répartition de la main d’oeuvre employée entre

les I catégories et x par x/L = (x/L , ... ,x1/L) qui donne les volumes par tête des autres facteurs

utilisés. En passant aux logarithmes, on obtient

lnw(y,z,x,l) = lnh(z)+ lnD,F(l/L,x/L,y)

doù, en approximant par un développement de Taylor au premier ordre:

lnw(y,z,x,l) -zk)Dkh

—yfl)DI÷K+flFrn=I L L n=l

où les valeurs soulignées (?,1, , )7) désignent un point moyen autour duquel est fait le développement

de Taylor et où les dérivées sont prises en ce point moyen.

Les dérivées au point moyen, inconnues, sont alors remplacées par des coefficients à déterminer. Enajoutant un terme aléatoire, on arrive à la relation à estimer:

(14) lnw(y,z,x,1)=

+az + + +

2.4 Les travaux empiriques aux USA : quelques résultats.

Les résultats auxquels parviennent Greenwood, Hunt et Kohli (1995), sont caractéristiques desconclusions auxquelles parviennent la plupart des études, essentiellement américaines. Le tableau ci-dessous est extrait de leur article.

Elasticités de complémentarité de Hicks

Autochtones Immigrants Immigrants Capitalanciens récents

Autochtones -0,962 1,483 -9,857 0,916Immigrants anciens -183,775 185.475 2,815Immigrants récents -571,523 11,173Capital -1,076

Source: Greenwood, Hunt et Kohli (1995), tableau 8

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Elasticités-quantité de la demande inverse

Autochtones Immigrants Immigrants Capitalanciens récents

Autochtones -0,422 0,032 -0,096 0,486Immigrants anciens 0,650 -3,936 1,782 1,493Immigrants récents -4,323 3,95 1 -5,553 5,925Capital 0,402 0,060 0,109 -0,571

Source: Greenwood, Hunt et Kohli (1995), tableau 9En dehots de la diagonale, une seule élasticité de Hicks est (faiblement) négative : celle entre la

demande de travail autochtone et la demande de travail d’ immigrants récents Tous les autres facteurssont complémentaires au sens de Hicks. Les élasticités-quantité montrent que, toutes choses égales parailleurs, un afflux de nouveaux immigrants réduit les rémunérations des autochtones et augmente lesrémunérations des immigrants plus anciens et du capital. Cependant, comme le soulignent les auteurs,ces effets sont très faibles. L’effet le plus important est celui qu’exercent les immigrants récents sur leurpropre salaire.

Examinant l’effet du salaire des immigrants sur la demande de travail, les auteurs parviennentégalement à des conclusions mitigées. « On ne trouve que de faibles effets de court terme del’immigration. Les travailleurs autochtones ne semblent guère réagir aux changements de salaires desimmigrants récents. A l’inverse, la demande d’immigrants récents est très sensible au salaire desautochtones. Une hausse dc 1 % du salaire de ces derniers n’entraîne pas seulement une baisse de 1,2 %de la production et une diminution de 3,0 % de l’emploi des autochtones. Elle fait également croître lademande de travail immigré de 2,9 %7 » (Greenwood, Hunt et Kohli, 1995)

Comme le souligne Borjas (19994) dans son article de synthèse, cette faiblesse des effets del’importance la population immigrée sur les rémunérations de la population autochtone est un résultatgénéral. « En général, l’analyse des différences entre villes américaines montre que le salaire moyen desautochtones est légèrement plus faible dans les zones où viennent les immigrants. Les résultatsempiriques montrent également que la faiblesse de la relation entre l’immigration et les salaires desautochtones est générale. Elle est observée quel que soit le type de travailleur autochtone, blanc ou noir,qualifié ou non, homme ou femme8». Le tableau ci-dessous, tiré de son article, illustre parfaitementcette conclusion.

« Once again, the short-mn displacement effects of immigration are found to be weak: the demand for nativeworkers shows littie responsiveness to changes in the wage rate of recent immigrants. The opposite clearly isflot true. The demand for recent immigrants is particularly sensitive to the wage of native workers: a 1 percentincrease in the native wage rate flot only leads to a 1,2 percent drop in output and a 3,0 percent fail in nativeemployment, but it also increases the demand for immigration by about 2,9 percent. »8 « The across-city correlations in the United States generalLv indicate that the average native wage is slightlylower in labor market areas where immigrants tend to reside. (...) The evidence also indicates that thenumerically weak relationship between native wages and immigration is observed across ail types of nativeworkers. white or black. skilled or unski1led male or female. »

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Elasticité des salaires des autochtones par rapport au nombre d’immigrants

Auteurs Autochtones concernés Variable Elasticité estiméedépendante

Altonji et Card (1991, P. 220 Hommes non qualifiés Salaires mensuels +0,01

Bean, Loweil et Taylor (1988, p. 44) Hommes mexicains Salaires annuels -0,005 à +0,05Hommes noirs Salaires annuels -0,003 à +0,06

Borjas (1990, P. 87) Hommes blancs Salaires annuels -0,01Hommes noirs Salaires annuels -0,01

Grossman (1982, P. 600) Tous Parts de facteur -0,02

LaLonde et Topel (1991, p. 186) Jeunes noirs Salaires annuels -0,06Jeunes blancs Salaires annuels -0,01

Source Boijas, tableau lU

Le débat sur l’effet spécifique qu’exerce un afflux d’immigrants sur différentes catégories dcpopulation se double aux Etats-Unis d’un débat sur le lien entre immigration, commerce international, etcroissance des inégalités entre les salariés les plus qualifiés et les moins qualifiés. Comme le rappellentBorjas, Freeman et Katz, «Dans les années 80, les salaires et les taux d’emploi des américains lesmoins qualifiés ont diminué relativement à ceux des autres salariés, en particulier pour les hommesjeunes. Les salaires des hommes de 25 à 34 ans de niveau inférieur ou égal au collège ont baissé,prolongeant une évolution dont le début date de 1973. Cette évolution était en rupture avec la haussetendancielle des salaires réels des américains les moins qualifiés observée habituellement. En général, onattribue ce changement à deux facteurs, l’entrée d’immigrants faiblement qualifiés, y compris lesinmiigrants illégaux, et le déficit du commerce extérieur; en particulier la croissance des importationsde produits d’activité économiques employant des travailleurs non qualifiés. A quel point le commerceextérieur et l’immigration ont-ils modifié la dotation des Etats-Unis en travail non qualifié pendant lesannées 80 ? Quelle est leur contribution à la baisse des salaires relatifs de moins qualifiés pendant cettepériode9?» (Borjas, Freeman, Katz. 1992).

Nous reviendrons plus loin sur le volet de ce débat qui traite du commerce international pour nousconcentrer pour l’instant sur les relations entre immigration et inégalités salariales. Comme le notent denombreux observateurs, les flux d’immigrants ont connu depuis quelques années une forte croissance,aux Etats-Unis comme dans d’autres pays. Or, ces immigrants sont faiblement qualifiés et, comme lemontrent dc nombreuses analyses, leur différentiel de niveau de formation avec les autochtones croît.«La répartition des immigrants par niveau d’éducation est plus dispersée que celle des autochtones. Laproportion d’immigrants ayant moins de neuf ans de scolarité est élevée. La proportion de ceux d’entrequi en ont plus de seize ans est également très élevée. Cependant, en moyenne, la scolarité desimmigrants est plus courte que celle des autochtones - la différence ayant augmenté pendant les vingtdernières années, la scolarité des immigrants s’étant moins allongée en moyenne que celle desautochtones. En conséquence, la contribution des immigrants à l’offre de qualification s’est de plus enplus concentrés sur les niveaux d’éducation les plus faibles’° » (Borjas, Freeman et Katz, 1997).

« In the 1 980s. the wages and employment-population rate of less skilled Americans, particularly young men.feli relative to those of more skilled workers. The real earnings of 25-34-year-old male high school graduatesand dropouts declined, continuing a trend begun in 1973 that breaks with the histonc pattern of rising realeamings for less-skilled American men. Two widely suggested causes of this change are the inflow of lesssk.illed immigrants, including illegal immigrants, and the trade deficit, notably t.he increase in imports inindustries that hire low-skill workers. How much did trade and immigration alter the labor skill endowments ofthe United States in the 1980s ? How great a contribution did they make to the decline in the relative earningsofthe less skilled in the 1980s?»

« The distribution of immigrants by educational attainment is more dispersed than that of natives. Adisproportionatelv high number of immigrants have fewer than fine vears of schooling, but also. adisproportonately high number have more than sixteen years of schooling. On average, however, immigrantshave fewer vears of schooling than natives - a difference that has grown over the past two decades. as the mean

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Or, nous l’avons vu, les immigrants ont un effet d’autant plus important et d’autant plus dépressifsur le marché du travail d’une catégorie d’autochtones qu’ils lui sont fortement substituables. Ons’attend donc à ce qu’un flux d’immigrants croissant, de plus en plus concentré sur les niveaux deformation et de qualification les plus faibles, tende à faire baisser les salaires et augmenter le taux dechômage de ces catégories. Les termes du problème sont similaires dans les pays européens qui, commela France ou l’Allemagne, accueillent une population immigrée importante. Si différence il y a, elletiendrait plutôt au fait que les termes du débat portent moins sur les salaires et plus sur les taux dechômage qu’aux Etats-Unis, en raison des différences de modes de régulation entre marchés du travaildes deux côtés de l’Atlantique.

Plusieurs études américaines ont ainsi essayé de mesurer la contribution de la population immigréeà la croissance des différentiels de salaires entre qualifiés et non qualifiés. Nous avons certes constatéplus haut que, dans l’ensemble, les effets de l’immigration sont faibles. Ceci n’exclut pas des effets plusmarqués sur certains segments de main d’oeuvre et de ce fait une contribution significative à la montéedes inégalités. C’est dans cette optique que se situent des auteurs comme Altonji et Card (1991),LaLonde et Topel (1991), Borjas, Freeman et Katz (1992, 1997). Ni Altonji et Card (1991), niLaLonde et Topel (1991) dont les résultats figurent dans le tableau précédent, ni Borjas, Freeman etKatz (1992) ne parviennent à mettre en évidence un effet sensible de l’immigration sur le différentiel desalaire entre qualifiés et non qualifiés. On retrouve la même difficulté que pour la mise en évidenced’effets d’ensemble.

Cependant, que ce soit dans le cas général ou pour les seuls non qualifiés, les données par zonesgéographiques utilisées par l’ensemble des auteurs ne sont pas les plus propres à mettre en évidence uneffet des migrations sur la main d’oeuvre autochtone, même quand celui-ci existe. La raison en est,comme le soulignent plusieurs auteurs, que les migrations internes tendent à diffuser les effets d’unemigration internationale, même concentrée géographiquement, dans l’ensemble de l’espace national.« En comparant la situation économique d’aires métropolitaines variées comme en comparant lessituations d’une même aire métropolitaine avant et après l’arrivée d’immigrants. on supposeimplicitement que les marchés du travail sont fermés (l’arrivée des immigrants mise à part) et que lesflux migratoires sont exogènes. Les aires métropolitaines américaines (ainsi qu’à l’étranger) ne sont pasdes économies fermées. Le travail, le capital et les biens se déplacent librement d’un lieu à l’autre, cequi tend à égaliser les rémunérations des facteurs. A partir du moment où les travailleurs autochtonesréagissent à l’immigration en se déplaçant vers les zones les plus favorables, il ne faut pas s’attendre àune corrélation entre le salaire des autochtones et la présence d’immigrants. En conséquence, lacomparaison entre marchés locaux de l’emploi peut cacher les effets les plus importants del’immigration’1».(Borjas, 1994).

Nous reviendrons longuement sur cet argument et ses conséquences dans la suite de cette note. Pourle contourner, Borjas, Freeman et Katz (1997) utilisent une méthode très différente. Ils commencent parestimer la contribution de la population immigrée à la croissance des différentes catégories de maind’oeuvre. Puis, utilisant une estimation de l’élasticité-quantité de la fonction de demande inverse dechaque catégorie de main d’oeuvre, ils évaluent directement l’impact de cette contribution sur lesrémunérations. Ils parviennent à la conclusion que «aux Etats-Unis, la croissance de l’offre de travailinduite par l’immigration est fortement concentrée sur les travailleurs dont la scolarité a duré moins dedouze ans. L’affaiblissement du rythme de baisse de l’offre de travail non qualifié qui en résulte peut

vears of schooling in the immigrant population increased less than the mean years of schooling of natives. As aresult, the immigrants contribution to the supply of skills has become increasingly concentrated in the lowereducational categories.

«The comparison of economic conditions in different metropolitan areas, as well as the pre- and postimmigration comparison in a particular metropolitan area. presumes that the labor markets are closed (onceimmigration takes place) and that the migration flow is exogenous. Metropolitan areas in the United States(and abroad) are flot closed economies; labor. capital, and goods flow freeely across localities and tend Wequalise factor prices in the process. As long as native workers and firms respond to the entiy of immigrants bymoving to areas olTering better oportunities, there is no reason to expect a correlation between the wage ofnatives and the presence of immigrants. As a resuli, the comparison of local labor markets may be masking the‘major’ effect of immigration.

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expliquer une part importante de la baisse entre 1980 et 1985 des salaires de cette populationrelativement aux travailleurs ayant plus de douze ans de scolarité. En revanche, la contribution desimmigrants à un groupe de travailleurs faiblement qualifiés défini de manière plus large est trop faiblepour avoir contribué à la forte croissance du différentiel de salaire entre les niveaux collège et lycée, neserait-ce que pour 10 %12 » (Borjas, Freeman et Katz, 1997).

2.5 Quels travaux empiriques en France?

Quelle que soit la suite donnée aux recherches sur l’effet de l’immigration, un travail empirique surles comportements de demande de main d’oeuvre par les entreprises est un préalable. A mon sens, onpeut difficilement se passer d’une première série d’estimations, même si celles-ci sont critiquables. Il y adeux raisons au choix de cette démarche. La première est que les études américaines fournissent unsoubassement et un point de comparaison, malgré les fortes différences entre les économies des deuxcôtés de l’Atlantique. La seconde est que la détermination du comportement de la demande est uningrédient indispensable a toute recherche sur ce sujet. Des analyses plus développées, prenant mieux encompte les autres effets, se doivent d’incorporer un travail sur la demande et seront souvent unprolongement de ce dernier.

Mais, pour envisager un travail empirique, il faut d’abord disposer de sources d’informationadéquates. Sur ce point, les recherches aux Etats-Unis ont grandement bénéficié de la construction parle NBER de bases de données particulièrement adaptées à cet objet ainsi qu’à l’étude des effets ducommerce international, étroitement liée à celle de l’immigration comme nous le verrons plus loin. Ontrouvera une description de ces bases de données en appendice de l’ouvrage d’Abowd et Freeman(1991).

On se contentera ici d’indiquer que le NBER met à la disposition des chercheurs trois fichiers debase. Un fichier contient des informations sur la production des secteurs industriels, leurs ventes, lesvaleurs ajoutées, les importations et les exportations par produits, la structure de la main d’oeuvre, lessalaires et le taux d’emploi de la main d’oeuvre immigrée. Les unités de base sont les secteurs d’activitéde l’industrie au niveau le plus fin (l’équivalent de l’actuelle NAF700), année par année de 1958 à1976. Les informations sont tirées du recensement américain des entreprises et des bases de données surle commerce extérieur du bureau des statistiques du travail et du bureau du recensement.

Le second fichier contient des informations sur la structure de la main d’oeuvre par secteurd’activité au niveau le plus fin. Il a été produit en exploitant les recensements de la population de 1970et 1980. Les taux de main d’oeuvre immigrée qui y figurent, pour chacun des deux recensements, sontdétaillés par origine ethnique (asiatiques, noirs, blancs, mexicains, autres hispaniques) et périoded’entrée. Le fichier contient également des informations sur la composition de la main d’oeuvre dusecteur par sexe, classe d’âge, niveau de qualification, appartenance ethnique, ainsi qu’un taux desyndicalisation. Le troisième fichier est établi sur une base géographique, par état et aire métropolitaine.Tiré comme le précédent des recensements de 1970 et 1980, il fournit des taux d’immigrants dans lamain d’oeuvre locale.

Les études américaines qui n’ont pas eu recours aux données du NBER comme celles de Grossman(1982) ou celles de Greenwood et Hunt (1995) et de Greenwood, Hunt et Kohli (1996) ont en généralutilisé le recensement de la population américain, plus exactement son micro-échantillon public. Eneffet, celui-ci comporte des informations sur les rémunérations qui ne figurent pas dans son homologuefrançais.

De la même manière, un programme d’étude sur le cas français bénéficierait grandement del’élaboration de bases de données adaptées. Pour un travail sur les effets de l’immigration transitant par

2 « The immigrant-induced increases in relative labour supply are strongly concentrated on US. workers withfewer than twelve years of schooling and that the slowdown in the rate of decline of the relative supply ofdropouts due to the unskilled immigration may explain a sizable fraction of the decline in the earnings ofdropouts relative to those with twelve or more years cf schooling over the periode 1980-1985. In contrast, theimmigrant supply contribution for a broader group of less educated workers is too small to account for even 10percent cf the sharp growth in the college-high school wage differential during this period. »

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le comportement de travail, les deux approches signalées plus haut nécessitent des données de typelégèrement différent. L’estimation de l’équation (14) ou d’une équation similaire exige au moins desdonnées sur les rémunérations des catégories de population soumises à test et de la part de chaquecatégorie de population dans l’emploi total du marché du travail concerné (le cas le plus fréquent étantcelui d’un marché local). La principale source d’information disponible dans ce domaine estl’exploitation salariés des DADS.

A l’instar de la plupart des auteurs américains ayant choisi d’estimer une équation de salaires, onpeut essayer d’utiliser les données individuelles sur les rémunérations. L’observation porte sur unsalarié. Il faut alors contrôler l’ensemble des facteurs influençant les rémunérations, en particulier lescaractéristiques de l’agent et celles de l’entreprise qui l’emploie. Il faut également contrôler lescaractéristiques de la zone géographique dans laquelle travaille le salarié. Parmi celles-ci, la répartitionde la population active locale entre les différentes catégories et entre immigrés et autochtones estévidemment indispensable. Ce n’est cependant pas suffisant. Il est en effet bien connu que certainescaractéristiques de l’environnement local influencent la productivité des entreprises etlou le bien être dela population locale, ce qui se traduit par un impact sur les rémunérations (Roback, 1982 et 1988).

La difficulté est que les DADS ne contiennent pas suffisamment d’informations pour contrôler lescaractéristiques de l’individu. Par contre, les caractéristiques de l’employeur sont bien connues. On peutcependant contourner la difficulté de deux manières. La première consiste à utiliser un fichier historiqueobtenu en appariant les DADS de plusieurs années successives. Les informations obtenues sur lacarrière des individus permettent de contrôler indirectement une partie de leurs caractéristiques. Ladeuxième possibilité est d’utiliser l’appariement des DADS avec l’échantillon démographiquepermanent, celui-ci fournissant les caractéristiques manquantes. Pour les données sur la populationimmigrée, il faudra, si ce n’est pas fait, exploiter les recensements de la population. Les DADS peuventégalement fournir quelques informations, mais qui risquent de s’avérer peu fiables au niveau local. Pourles autres données, l’essentiel devrait déjà être disponible dans les bases de données diffusées parl’iNSEE au niveau des bassins d’emploi (SEDDL).

Si l’usage des données individuelles s’avère impossible ou difficile, une deuxième manière detravailler est d’utiliser des données sur les salaires moyens pas zones géographiques et secteursd’activité, le niveau géographique de travail le plus adapté étant sans doute celui des bassins d’emploi.Les DADS sont ici parfaitement utilisables. L’exploitation du niveau établissements fournit en effet desdonnées très complètes sur l’emploi et les salaires par catégories socioprofessionnelles. Il est possible deles utiliser pour construire une base de données au niveau des bassins d’emploi. Comme précédemment,cette base de donnée devra être complétée par des informations issues de SEDDL.

L’alternative à l’estimation d’équations de salaires est, à l’instar de Grossman (1982) et de ceuxqui l’ont suivie dans cette voie, l’estimation des paramètres d’une fonction de production sur la based’une forme fonctionnelle souple, en utilisant des parts de facteurs pour estimer des équationscomme (20) ou (23). L’optique est ici fort différente. Au niveau individuel, les données sont desétablissements, pour lesquels on détermine la production et la répartition de celle-ci entre lesrémunérations des différents facteurs, Il faut noter que, là encore, aucune source ne fournit l’ensembledes informations nécessaires. Comme on l’a noté précédemment, l’exploitation salariée des DADSpermet de calculer les rémunérations des différentes catégories de salariés. Elle ne fournit cependantaucune information sur la rémunération des autres facteurs de production, en particulier le capital. Acette fin, on peut envisager d’utiliser les enquêtes annuelles d’entreprises. On se heurtera cependant àdeux problèmes. Le premier est qu’on ne peut guère envisager un appariement direct entre les deuxsources. Le deuxième est bien connu des spécialistes de comptabilité régionale elle réside dans lecaractère artificiel de la ventilation des données des entreprises à établissements multiples entre lesétablissements.

Comme précédemment avec les salaires individuels, on peut envisager d’atténuer les difficultés enremplaçant les données d’entreprises par des données agrégées par zones géographiques et secteursd’activité. En effet, dans ce cas, l’appariement direct entre sources statistiques n’est plus nécessaire.C’est d’ailleurs, semble-t-il, ce qu’ont fait des auteurs comme Greenwood et Hunt (1995) etGreenwood, Hunt et Kohli (1996), sans qu’ils soient très précis à ce sujet.

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2.6 Les extensions de l’analyse.

Si l’analyse des effets directs de l’immigration sur la rémunération des facteurs développée danscette section est au coeur de toute étude des conséquences économiques de celle-ci, elle est loin d’êtresuffisante. Trop exclusivement centrée sur les marchés du travail, elle relève d’une problématiqued’équilibre partiel et, comme on l’a signalé plus haut, néglige le caractère ouvert des économiesanalysées. Ce faisant, elle néglige des canaux importants dont la présence risque fort de biaiser lesrésultats et leur interprétation. De plus, pour des raisons de facilité de traitement, à la fois sur le planthéorique et économétrique, les modèles utilisés dans la section précédente font deux hypothèsessimplificatrices importantes. La première est la constance des rendements de la fonction de production.La deuxième est le caractère complètement concurrenciel des marchés sur lesquels opèrent lesentreprises.

Aussi, sommes-nous conduits à examiner en premier lieu les extensions de l’analyse

1. la prise en compte du marché des biens.

2. la prise en compte de la mobilité spatiale des autres facteurs de production.

3. la prise en compte du caractère non concurrentiel des marchés.

4. les conséquences de rendements non constants.

3. LA PRISE EN COMPTE DU MARCHE DES BIENS ET DES ECHANGES.

3.1 Les interactions entre marché du travail et marché des biens.

L’immigration ne modifie pas seulement la dotation en travail de l’économie, régionale ounationale, de la zone géographique d’accueil. Elle modifie également les demandes de biens émises parles agents de l’économie locale. Plus nombreux, les agents demandent plus de biens, ce qui modifie lademande adressée aux entreprises. Elle peut enfin modifier la disponibilité des autres facteurs deproduction. Les immigrants peuvent en effet, au moins une partie d’entre eux, importer du capital ouparticiper à l’accumulation locale d’épargne.

Un changement de perspective est alors nécessaire. ((Du fait que la demande locale de travailrésulte de la demande de biens et services spécifiques à l’économie locale, un modèle d’équilibre partielpeut être erroné. A l’extrême, si toute la production locale est consommée sur place et si la structure dequalification des nouveaux immigrants est la même que celle des autochtones, l’arrivée des immigrantsconduit à un nouvel équilibre avec des salaires inchangés, les niveaux d’emploi, de production et deconsommation augmentant proportionnellement.’3» (Altonji et Card, 1991).

L’argument d’Altonji et Card, qu’on retrouve chez de nombreux auteurs, est similaire à l’argumentde Muth (1971) sur la nécessité de prendre en compte les effets de la migration sur l’emploi et del’emploi sur les migrations, largement analysé dans l’étude des conséquences des migrations internesles migrations déplacent à la fois l’offre de travail et, via la demande de biens et services, la demande detravail. On sait que, repris longuement par des auteurs comme Greenwood, Pissandes et McMaster ouJacquot, cet argument conduit à s’interroger sur l’effet des migrations internes comme facteurd’équilibrage spatial des marchés. Si, en même temps qu’elles déplacent l’offre de travail, les migrationsdéplacent la demande, elles ont tendance à perpétuer les déséqulibres du marché du travail qui les ontimpulsées.

Comme le font bien ressortir Altonji et Card dans la citation ci-dessus, l’effet de la variation de lademande de travail induit par la modification de l’équilibre sur le marché du travail dépend du niveau dereproductibilité et du degré d’ouverture de l’économie. La situation décrite par Altonji et Cardcorrespond à une économie parfaitement reproductible, ce qui est d’ailleurs sous-jacent à l’hypothèse

«The observation that the demand for labor wïthin a local economy arises from the demand for locationspecific goods and services iniplies that a partial equilibrium model of the labor market is potentiallymisleading. In the extreme case, if ail output is locally consumed, and if new immigrants arrive in the sameskill proportions as the existing labor force, then an influx of immigrants leads to a new equilibrium at theoriginal age rates, with proportionately higher levels ofemployment, output, and consumption. »

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d’une fonction de production à rendements d’échelles constants. Il faut cependant noter que, si cettehypothèse est nécessaire, elle n’est pas suffisante. En effet, d’une part, pour que la production évolueproportionnellement à la population active disponible, il faut que l’ensemble des facteurs de production,dont le capital, évoluent proportionnellement. D’autre part, il faut également que la demande du bienproduit évolue dans les mêmes proportions.

Pour illustrer ce point, reprenons la situation décrite à la fin de la section (2.2), où l’immigration estune catégorie de main d’oeuvre à part entière à côté des autochtones. Nous simplifierons toutefois ensupprimant la distinction entre autochtones qualifiés et non qualifiés, ce qui conduit à écrire lesvariations marginales de rémunérations sous la forme:

dwK dK dL1= 71KK — + 1lJçf

K L1

- døA dK dLf(b)K L1

dcof dK dL,f= — + 11MM’K Lf

où l’indice A désigne maintenant les travailleurs autochtones et où on a posé dp/p = O, le bien produitétant pris comme étalon monétaire. Comme on l’a noté plus haut, à long terme, dans une petiteéconomie totalement ouverte sur des marchés nationaux ou internationaux dont elle n’influence pasl’équilibre, la rémunération du capital reste fixe (dwK /WK = O) et la quantité de capital s’ajuste enconséquence:

(16) dKi7dL1

K î L1

d’où l’on déduit la modification des rémunérations du travail des autochtones et des migrants:

dû)4 - - da1 - - dL( )

4 0)M “ T7KK )

La convexité de la fonction de production implique que le terme entre parenthèses est positif L’entréede capital permet maintenant à la main d’oeuvre autochtone de bénéficier de l’immigration, celle-cicontinuant à être néfaste aux immigrants déjà présents. Si le résultat est à l’opposé de ce qui ressortaitde la section 2.1, le mécanisme économique est exactement le même. A court terme, avec un stock decapital fixe et une main d’oeuvre immigrée complémentaire ou moins substituable au capital qu’à lamain d’oeuvre autochtone, la redistribution des revenus se fait à l’avantage du capital, qui est le facteurfixe. A long terme, avec une petite économie ouverte, c’est la main d’oeuvre autochtone qui est lefacteur fixe, le capital s’adaptant parfaitement. C’est maintenant au profit des autochtones ques’effectue la redistribution des revenus induite par l’immigration.

On notera que dw.

/0) A (ainsi que d0)M /0) ) est nul si et seulement si T7 = i7,q, c’està dire si les autochtones et les immigrants sont parfaitement substituables. Nous sommes alors dans unesituation de variation proportionnelle de tous les facteurs de production qui, avec les rendementsconstant, induit une variation de l’offre de produit dans les mêmes proportions. Cette remarque conduità penser que les situations où les migrations, en particulier internationales, ont pour seul effet unchangement d’échelle sont a priori extrêmement rares, et ce quel que soit le degré d’ouverture del’économie. Dès que la main d’oeuvre immigrée n’est pas parfaitement substituable à la main d’oeuvrelocale ou qu’elle en diffère par sa composition, elle ne peut qu’induire des redistributions.

Reprenons maintenant le modèle précédent en supposant que, mise à part la main d’oeuvre,l’économie locale est totalement fermée. Ceci ne conduit pas à revenir à une situation où le capital estfixe. Le niveau de celui-ci est en effet la conséquence de la répartition des revenus entre la

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consommation et l’épargne. Or, l’entrée d’immigrants se traduit par un supplément de revenus dont unepartie devrait être épargnée. Une augmentation du capital disponible est d’autant plus vraisemblableque, si ce dernier était fixe, il induirait une redistribution des revenus au bénéfice des propriétaires decapital, qui sont en général ceux dont l’épargne est la plus forte.

En effet, pour boucler le modèle en économie fermée, il nous faut ajouter une relation décrivantl’équilibre sur le marché des biens ou, ce qui revient au même, l’égalité entre épargne et investissement.Celle-ci se présente sous la forme suivante

(18) K=KTk(wK)+LAwArA(wK,wA)+LMwMrf(wK,wf)

où TK, r4 et sont respectivement les propensions à épargner sur les revenus du capital, les

revenus salariaux des autochtones et ceux des immigrants. En différenciant cette expression, on obtient

(19)dK Lfw,rf dL1 dVK dw4 dw,f

(1—rk)—-J_f WK W4 Wf

= ‘K DrK +L4w4

D1 r4 + D1

A(D2T.4ATA), 1M=-(’)2TM+wMTM)

En injectant cette expression dans le système d’équations (15), on détermine la relation entre lesvariations marginales des stocks de migrants et de capital. Dans la situation simplifiée où les

propensions à épargner sont fixes, yi = O, =L4wATA/K et Ç1J LMwMrf/K et le calcul

conduit à:

20dK /dLÀf LdwAr41f+Lfwrf(1+r7f)

K/ L—

L4w4r4 (1— ?74) + Lfwfr1 (1—

Pour que les résultats en économie fermée soient similaires à ce qu’ils sont en économie ouverte (ou, cequi revient au même, pour qu’en économie ouverte le recours au commerce extérieur ne soit pas

nécessaire pour adapter le stock de capital, il faut que ce ratio soit égal à —

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L’ampleur de L’ajustement décrit par la formule (20) dépend de deux facteurs. Le premier est laplus ou moins grande complémentarité des facteurs de production, qui détermine les élasticités-quantités. L’arrivée de nouveaux migrants modifie la combinaison entre travail des autochtones ettravail de la population immigrée. Cette modification induit un réajustement de la combinaison entre lesdeux catégories de facteur travail et le capital. Le deuxième est l’effet sur la composition de l’épargne.Ce que dit l’égalité (28), qu’on peut réécrire sous la forme

(1— Tk)K LAwAA + LMwAz-M

est que, à l’équilibre, l’épargne sur les revenus salariaux doit compenser la consommation sur lesrevenus du capital. Suite à l’entrée d’immigrants, deux mécanismes contribuent à rompre cet équilibre.D’une part, la composition de la population a changé. Si les immigrants ont un faible taux d’épargne,leur contribution ne permettra plus de couvrir les besoins en formation de capital supplémentaire.D’autre part, tant que l’ajustement en capital est insuffisant, les revenus du capital augmentent plus queles autres catégories de revenus. Si, comme c’est généralement le cas, la propension à épargner sur lesrevenus du capital est plus forte que pour les autres catégories de revenus, cet effet joue en sens opposédu précédent.

On remarquera que si notre point de départ est, comme Muth et Greenwood, la nécessité de prendreen compte la modification de l’équilibre sur le marché des biens, l’argumentaire que nous venons deprésenter est très différent. C’est pour une bonne part l’effet du changement de contexte qu’implique lepassage d’une analyse des migrations intérieures à une analyse des migrations internationales. Dans lecontexte des migrations internes, la question principale est de savoir si celles-ci contribuent à résorberles déséquilibres interrégionaux. Cette capacité de résorption des déséquilibres est étroitementdépendante de non reproductibilités, génératrices de rendements décroissants. S’il y a reproductibilitéparfaite de l’ensemble des économies régionales, le fonctionnement de l’économie nationale esttotalement indifférent à la localisation particulière des agents. Les migrations n’ont aucun effetrééquilibrant.

Dans un contexte de migrations internationales, la question de la résorption des déséquilibresspatiaux n’a guère de sens. Le problème se déplace à l’intérieur de l’économie considérée. En modifiantles combinaisons productives et les demandes internes de biens, la migration déplace les équilibres. Lanature de ces déplacements dépend du niveau, régional, national ou international, sur lequel les marchésséquilibrent. La conséquence est que l’analyse du canal du marché des biens doit être menée en mêmetemps que les relations entre immigration et commerce extérieur.

3.2 Immigration et commerce extérieur.

Dans un contexte d’économie partiellement ou totalement ouverte, l’offre et la demande de bienss’ajustent par l’intermédiaire des exportations. En conséquence, l’effet de l’immigration dépend desinflexions qui l’accompagnent au niveau du commerce extérieur. En augmentant l’offre de travail nonqualifié, les immigrants ne se substituent pas seulement à la main d’oeuvre autochtone de même niveaude non-qualification. Elle permet également de satisfaire une demande intérieure de biens qui, devant lafaiblesse ou la non compétitivité de la production nationale, serait conduite à se tourner vers lesimportations. Ou, de manière moins vraisemblable, de satisfaire une demande extérieure non couverte enaugmentant les exportations.

L’essentiel de l’argumentation repose donc sur une substituabilité possible entre les importations etla production domestique, dont l’offre peut être renforcée grâce à l’immigration. Pour certainescatégories de biens, ceux qui peuvent être produits par du travail majoritairement non qualifié, lesnationaux peuvent satisfaire leur demande en important ces biens de pays à faible coût de maind’oeuvre. Ou ils peuvent ‘importer’ cette même main d’oeuvre par l’immigration et produire sur place.

Comme le montre Kohli (1997), il est possible d’adapter le modèle d’analyse des effets del’immigration par le canal de la demande de travail pour tenir compte de ces liaisons. Kobli considèreles importations comme un pseudo-facteur de production et l’introduit dans sa fonction de production àcôté du capital, de la main d’oeuvre autochtone et de la main d’oeuvre immigrée. Dans une optique

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classique où l’économie s’équilibre sur la base de ses dotations en facteurs de production, on obtient uneforme particulière du système d’équations (9):

dWK/WK 17KK 17KA 17j3f 77 1 dK/K

dwA /WA 7AK 1744 i 1 dL4 /L4

(21) dwM /wA,f = 77MK 77M4 T7flf i I dL / LAf

(1W1 /w1 7JK 71A 1711 1 dI/I

dq/q SK S4 s,1 s O dp/p

où les indices A et M continuent à désigner les autochtones et les migrants, I désignant maintenant lesimportations. Dans le cas particulier où seuls les effectifs des migrants et le stock de capital Sont

susceptibles de varier, dLA/LA =dI/I = dp/p = O, on retrouve le système d’équations (15). Le

système (21) peut être réaménagé de manière à modifier la répartition sous-jacente entre variables

endogènes et exogènes. Ainsi, comme le note Kohli, dans un contexte international, plutôt que de traiter

les importations conmie un facteur de production dont la dotation initiale est exogène, il vaut mieux les

considérer comme des produits dont le prix, déterminé sur les marchés internationaux, est exogène.

Dans ce cas, le système devient

fir: ,B4 I3,i !3q dK/K

1WA/WA /3AK /3.4A I3AM /3.4J /3Aq dLA/LA

dWM/WM /1MK PM4 I6jf /7 /3fq dLM/Lf

dI/I PIK /3f4 /3 k’iq dw1/w1

dq/q /3qK /qA I3q..r /3qj /3qq dp/p

où la matrice des s’obtient à partir de la matrice du système (21) en appliquant l’équivalence

matricielle suivante

[xii [M11 M12y [x1 M11-M12MM2,M12M1r

LX2J LM21 M22JLY,j L2] -MM,1 M ]LX2

Les coefficients /3 et J8Lf apportent alors une information importante car ils permettent de

déterminer à quel degré les importations et les produits fabriqués par la main d’oeuvre autochtone

immigrée, sont substituables. Pour la Suisse, en 1986, l’auteur estime fi à 0,221 et /3 à -1,478.

Une augmentation du prix des importations n’a donc que peu d’effet sur les rémunérations des

immigrants. Par contre, une augmentation du nombre d’immigrants (suite, par exemple, à un

desserrement de la politique d’immigration) se traduit par une forte baisse des importations.

La tentative de Kohli est intéressante. Elle a cependant quelques limites importantes. En particulier,

elle traite la production nationale comme un produit unique. Or, un des moteurs du commerce

international est la spécialisation des productions, conformément aux mécanismes décrits par le

théorème d’Hecksher-Ohlin-Samulson. Certes, entre pays développés, les échanges internationaux sont

plus fréquemment liés à des logiques de diversification des produits, l’ouverture internationale

permettant à chaque pays de disposer d’une variété de produits plus importante que celle qu’il peut

obtenir isolément. Les avantages comparatifs sont de peu d’importance. Mais, en Europe et en

Amérique du Nord, les immigrants proviennent pour l’essentiel des pays sous-développés. S’il y a

substitution entre produits importés et produits dans la fabrication desquels il y a une forte proportion

de main d’oeuvre immigrée, il y a de fortes chances que les produits concernés proviennent des mêmes

zones géographiques. Or, entre pays développés et sous-développés, les mécanismes d’avantages

comparatifs continuent à jouer un rôle important. Plusieurs auteurs notent ainsi que la structure du

commerce extérieur américain tend aujourd’hui, à se conformer à la logique du théorème d’Hecksher

Ohlin-Samuelson.

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L’argument conduit à étudier un contexte à plusieurs biens. Pour examiner la question, il n’est eneffet plus possible de se contenter des modèles de production d’un bien unique que nous avons utilisésjusqu’à présent. Le modèle classique le plus simple est un modèle à deux produits et deux facteurs deproduction. Il est bien adapté pour analyser à la fois les questions de spécialisation internationale et derelation entre marchés des biens et du travail dans un contexte d’échanges d’une partie des biens.

Considérons donc un modèle à deux secteurs dont les deux seuls facteurs de productionexplicitement pris en compte sont la main d’oeuvre autochtone et la main d’oeuvre immigrée. On peutsupposer, soit que le capital est fixe, soit que les fonctions de production utilisées sont des fonctionsréduites intégrant l’ajustement du capital, celui-ci étant parfaitement mobile entre l’économie considéréeet l’extérieur. L’économie est totalement ouverte sur les marchés des biens, où les prix p1 et p, sontfixés au niveau international. A l’équilibre, les rémunérations des deux catégories de travail et lesquantités produites sont solutions du système d’équations

= cl(wQ,wV)= wQ6QI(wQ,wV)+wW6NI(wQ,w(V)

p, = e2 (wQ, wN) = WQ& 92 (w9,wN) + wW&W2(Q , wv)

L9 = ql6Ql(wQ,wN)+q26Ql(wQ,w)

LN = q16 (wN , Wf) + q29V2 (w9,w)

où les indices i etj repèrent chacun des deux secteurs, Q et N correspondent respectivement à la main

d’oeuvre qualifiée et non qualifiée, tandis que 6, = DIcI(wQ,wN) et 6Nj = D.cI(wQ,wN) sont les

coefficients techniques de chacun des deux secteurs. En différenciant ce système autour du pointd’équilibre et utilisant les équations (A2) et (A3), on obtient

rkl_ro sj(22) [U - [A Ej[

- rdp1/p11 -

- [dq1/q11 - rdL9/L91 - [dwQ/1VQ

[dp,/p2J’[dq2/q2J’ LdLN/LWJ’ L,v/wwW9691 WNONI ql6Ql q2692

S—CI A_E2Q1 2Q21 L9 L9

— w9692 w,62 ‘— L-.v2 N1] — qI0NI q26N2

e, e2 L LN

E = [QI81,QQ +Q7S2QQ Q16I,QW+2Q282Q.v

[2N181N9+2v28,NQ 2NI6I,JN +N282J

S est la matrice des parts de facteurs dans le coût de production de chaque secteur, A est la matrice dontl’élément courant est la part du secteurj dans l’emploi de la main d’oeuvre de catégorie î, et E est la

matrice des moyennes des élasticités-prix de la demande de facteurs. En inversant la formule (32), onaboutit à

ri EA1EsI A(23)

LJ = [ s-’ o [U

La matrice S mesure les effets directs des variations des prix internationaux de produits sur lesrémunérations des facteurs de production, appelés effets de Stolper-Samuelson. D’après le théorème de

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Stolper et Samuelson, si le prix d’un bien augmente, la rémunération du facteur utilisé le plusintensivement dans la production de ce bien augmente, pendant que la rémunération de l’autre facteurdiminue. La matrice A mesure les effets directs des variations des dotations en facteurs sur laproduction de chacun des biens, appelés effets de Rybcszynski. L’augmentation de la dotation en l’undes facteurs conduit à une croissance de la production du bien utilisant ce facteur le plus intensivementet à une diminution de la production de l’autre bien.

Si l’on applique le modèle à deux biens et deux facteurs à l’immigration, on observe que, dans un

contexte d’économie parfaitement ouverte, ne dépendant pas de L, celle-ci n’a pas d’effet direct surles rémunérations des autochtones. Supposons que le secteur le plus utilisateur de main d’oeuvre nonqualifiée est le secteur 1 : 6 /N2 > QI /6Q2 . Le secteur I est, en général, celui sur lequel la

pression de la concurrence des pays à bas coûts de main d’oeuvre non qualifiée est la plus forte.Conformément aux enseignements de la théorie du commerce international dans une économiedéveloppée, le faible niveau des prix sur le marché international du secteur 1 conduit celle-ci à unequasi-spécialisation de l’économie locale dans le secteur 2 qui est fortement dominant. Le bien 1 estimporté, le bien 2 exporté. Si la main d’oeuvre immigrée est pour l’essentiel non qualifiée, tout affluxsupplémentaire d’immigrants se traduira par une croissance du secteur 1 au détriment du secteur 2. Lesimportations diminuent.

Ku.hn et Wooton (1991) étendent le modèle en lui ajoutant un facteur de production, le capital et unsecteur d’activité produisant pour le seul marché local. Ce dernier leur permet d’introduire l’interactionentre marchés du travail et marché des biens, absente du modèle à deux facteurs et deux produits. Avectrois facteurs et trois produits, le modèle se présente sous la forme

= cl(vK,vQ,wN)= wKOKI(wK,wQ,wN)+wQ9QI(wK,wQ,wN)+wNONI(WK,WQ,wV)

P2 = e2 (wK , W , ww) = WK K2 (wK , WQ , wv) + WQ9Q2 (wK , WQ, w) + (wK , W , wN)

p3 =c3(wK,wQ,wN) = wKK3(wK,wQ,wN)+wQQ3(wK,wQ,wN)+wN9N3(wK,wQ,)vV)

K ql6Kl(wK,wQ,wW)+ q78K2(wK,wQ,wV)+q3OK3(wK,wQ,wN)

LQ = qlQ(}vK,wQ,wN)+q28Q2(wK,wQ,wN)+q38Q3(wK,wQ,wN)

LN = ql6Nl(WK,WN,wM)+q28N2(WK,WQ,WN)+q3&N3(WK,WQ,wN)

où les coefficients techniques obéissent maintenant aux relations suivantes

> &Q1/Q2 > Ki/K2

Ces relations sont conformes à ce qu’on observe aux Etats-Ums. Pour boucler le modèle, il fautmaintenant introduire la demande locale du troisième facteur. A cette fin, Kuhn et Wooton formulentune fonction de demande hicksienne, dépendant du niveau d’utilité, qui dépend lui-même de laconsommation de chacun des trois biens

e3 = D(p1,p2,p3,U)

U = U(ci,c,,c3)

où U est le niveau d’utilité des agents de l’économie et les e, sont leurs consommations en chacun destrois biens. Enfin, les échanges internationaux des biens 1 et 2 sont soumis à la contrainte d’équilibre dela balance commerciale,

p1c1 +p2e, =p1q1 +p.,q.,

Après des calculs fastidieux, Kuhn et Wooton aboutissent à l’expression suivante pour l’effet desprix internationaux et des dotations en facteurs sur les rémunérations, qui généralise (23)

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1 O1L O

(24) î)=Z 0 1 + O

fi /32 a K — + a + aP2 K 0LQ

S1 S,1 SKI

= Z = SQ2 5K2

s3 /337v SQ3 /337Q SK3 /337K

les s» étant, comme plus haut la part du facteurj dans le coût de production du bien i,

a. = fi (6 — usJ), j = N, Q, K, s, étant la part du facteurj dans la production nationale,

/31 = —v1/v3, /31 = — v,/v3

, /31 = —1/v3 , où les n,, ï = 1,2,3 et p sont les élasticités-prix etl’élasticité-revenu de la demande hicksienne en bien 3; s, est la part du facteurj dans la production

nationale en valeur ;8. = det(A33) est le déterminant du mineur AJ3 associé à l’élément2j3

de la

matrice A dont, conmie plus haut, l’élément courant 2» est la part du secteur i dans l’emploi de la

main d’oeuvre de catégoriej; enfin, Yk —6e —SQeQk —SKeKk, k = N,Q,K, où

e. = 2j181,Jk+2i2621k +%J3821k, j,k = N,Q,K est l’élasticité moyenne de la demande enfacteurj par rapport à la rémunération du facteur k.

Si l’on s’intéresse au seul effet des modifications de dotations en facteurs, on reprend (24) avec desvariations de prix nulles des deux biens soumis à l’échange international, dp1 /p1 = dp2 /p, = 0.d’où:

dw. det(Z)( dK dL dL(25) —= la —+a —-+a —u-l j=NQK

w. det(Z) K K LQ L, Joù ZJ est le mineur de la matrice Z associé au terme correspondant de sa dernière ligne, SJ3 — /337

.

Les termes a1 s’interprètent comme des « effets de Rybcziynski modifiés ». Le ratio des deuxdéterminants s’interprète comme un ((effet de Stolper-Samuelson modifié » du prix du bien 3 (qui neparticipe pas à l’échange international) sur la rémunération du facteurj. Les modifications des effets deRybczynski et de Stolper-Samuelson sont la conséquence de la modification de l’équilibre entre l’offreet la demande en bien 3 sur le marché local. La conjonction dans l’expression (25) d’un effet deRybczvnski et d’un effet de Stolper-Samuelson est la conséquence de l’endogénéisation du prix dubien 3. La modification de la dotation en facteurj n’a pas d’effet direct sur les rémunérations desfacteurs, comme le montre la nullité des deux premières lignes du dernier terme de (24). Par contre, ellea un effet indirect, via la modification du prix du bien 3.

Kuhn et Wooton introduisent une condition de normalité, qui interdit au bien 3 de se comportercomme un bien de Giffen. Sous cette hypothèse, les fonctions de production étant concaves, ilsdémontrent que l’auumentation de la dotation de chaque facteur de production fait baisser sesrémunérations ; et que l’augmentation des dotations en travail qualifié (utilisé principalement pour laproduction de bien exporté) et non qualifié (utilisé principalement pour la production de bien importé)fait baisser les rémunérations du travail en augmentant les rémunérations du capital. On retrouve donc,dans un contexte général, le résultat souligné au début de ce dossier : l’immigration quelle qu’elle soit,pèse sur les rémunérations du travail, quelqu’il soit. La raison en est que l’immigration fait croître lesprix du bien non échangé sur les marchés internationaux, ce qui avantage les revenus du capital.

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3.3 Les analyses empiriques.

Aucune des analyses empiriques actuellement disponibles ne permet de prendre en compteconvenablement l’ensemble des problèmes soulevés par une problématique d’équilibre général avec desbiens et services dont les uns peuvent être considérés comme parfaitement mobiles, les autres étantrelativement immobiles. Nous avons déjà cité le travail de Kohli (1997) dans la section 2.3 et dans lasection précédente. L’intérêt de l’analyse de Kohli est qu’elle est la seule à poser directement la questionde la substituabilité possible entre travail importé via l’immigration et travail importé parl’intermédiaire des importations de marchandises. Mais les limites sont importantes.

D’une part, comme signalé plus haut, l’introduction des importations par Kohli comme unecatégorie particulière de bien (ou de facteur de production) ne s’accompagne pas d’une répartition de laproduction nationale en plusieurs secteurs en fonction de leur position par rapport au commerceextérieur. Il est alors impossible d’étudier les déplacements de structure de la production induits parl’ouverture des frontières, ce qui biaise vraisemblablement les conclusions sur les substituabilitéspossibles entre usage de produits importés et usage de produits ayant une forte composante de travailinmiigré. De ce point de vue, il serait cependant possible de reprendre la problématique de Kohli endécoupant les activités plus finement. La deuxième limite est l’absence de prise en compte explicite durôle du marché des biens. Le modèle de Kohli reste un modèle d’équilibre partiel où seuls jouent un rôleactif les marchés des facteurs de production.

A l’opposé, le travail de Greenwood et Hunt (1995), que nous avons également déjà cité en 2.3,pose directement la question de l’équilibre général, sans cependant faire une référenc explicite aucommerce extérieur. La raison en est que, travaillant au niveau des aires métropolitaines, les auteurspeuvent difficilement disposer d’informations sur le commerce extérieur de celles-ci. Leur modèle estdonc fondamentalement un modèle de bouclage entre marchés des facteurs de production et marché desbiens. Pour cela, les auteurs ajoutent aux équations de demandes de facteurs (que nous avons présentéen 2.4) une équation d’offre de capital, une équation de demande de biens et des équations d’offre detravail dont nous reparlerons plus loin. Le système est bouclé par les équations d’équilibre sur lesmarchés des facteurs de production et sur le marché du produit.

Les auteurs considèrent que le capital est suffisamment mobile dans l’économie nationale pour que,du point de vue de chaque aire métropolitaine, l’offre de capital soit considérée comme parfaitementélastique. Il suffit donc de définir un coût du capital, égal à la somme du coût d’usage hors taxes localeset des taxes locales sur le capital. Ces dernières font donc différer le prix du capital d’une localité àl’autre. Du côté de la demande de bien, celle-ci se présente sous la forme:

lnq=a0+a1lnp+a,lnN+a3ln(Y/Np)

où q est la demande de biens en volume, p est le prix local, N est la population et Y/Np est le revenu

par tête en volume.

Sur la base de leurs estimations, les auteurs font ensuite des simulations en modifiant de manièreexogène l’offre de travail des travailleurs immigrés. Ils font augmenter celle-ci de 10 %, uniformémentrépartis sur l’ensemble des zones métropolitaines faisant partie de l’échantillon. Quand on prend encompte le seul effet transitant par la seule demande de travail (ignorant donc les conséquences de lamodification de l’équilibre sur le marché des biens), le modèle prédit une diminution du salaire desautochtones de 0,9 % et une diminution des salaires des immigrés de 2,5 %. Ce sont donc, commeprévu, les immigrants qui souffrent le plus de la croissance de leur nombre. Cependant, l’effet del’immigration sur les rémunérations n’est pas négligeable. Ces effets sont encore plus accentués si on serestreint aux 24 aires métropolitaines qui, dans la période récente, ont accueilli les flux d’immigrants lesplus importants. La baisse des salaires des autochtones est maintenant de 1,8 %, la baisse des salairesde la main d’oeuvre immigrée de 4,6 %.

Les choses changent fortement quand on prend en compte le rééquilibrage sur le marché des bienset la demande supplémentaire de travail qu’il induit. Pour l’ensemble des 122 aires métropolitainesétudiées, une croissance exogène de 10% de l’offre de main d’oeuvre immigrée n’a plus d’effetsignificatif sur le salaire des autochtones (ils augmentent de 0,02%). Elle continue à avoir un effet

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dépressif sur les salaires des inmiigrés, qui baissent de 1,6 %; cette baisse est nettement plus faible quedans le premier scénario. La situation est similaire pour les 24 aires métropolitaines ayant accueilli lesflux d’immigrants les plus importants. Comme pour l’ensemble des aires métropolitaines, le salaire desautochtones est pratiquement stagnant (il augmente de 0,06 %). Le salaire des immigrants ne baisse plusque de 2,7 %. Ces résultats illustrent bien l’importance d’une prise en compte convenable des effets del’immigration sur l’équilibre général de l’économie considérée et non du seul effet sur l’équilibre dumarché du travail.

Cependant, une partie importante des études disponibles sur les effets respectifs de l’immigration etdu commerce extérieur utilisent une méthodologie totalement différente. Il s’agit de l’approche par lesparts de facteurs. Le commerce extérieur est implicitement considéré comme substituable à laproduction nationale des mêmes produits. L’effet du commerce extérieur est alors d’apporterimplicitement aux consommateurs nationaux les facteurs de production utilisés pour produire les biensimportés. Cet usage de facteurs de productions qui restent à l’extérieur de l’économie nationale se faitau détriment des facteurs de production nationaux.

C’est ici que se fait la comparaison avec L’immigration. Celle-ci est une modification explicite de ladotation en facteurs de l’économie nationale, qui agit directement sur l’équilibre de celle-ci. Cet apportdirect peut être comparé à l’apport indirect des importations, c’est à dire au contenu en travail des biensimportés. Si les biens importés et les biens produits localement par les secteurs employant pourl’essentiel de la main d’oeuvre immigrée sont parfaitement substituables, l’instauration de barrières àl’entrée de main d’oeuvre immigrée n’a pas nécessairement pour effet d’augmenter la main d’oeuvrelocale. Aux biens qui ne sont plus produits par les travailleurs migrants peuvent être substitués desbiens importés. Ainsi, implicitement, à un facteur de production présent localement, on substituepartiellement un facteur de production présent à l’étranger, via les importations. Cet apport implicited’un facteur disponible à l’extérieur peut annuler l’effet attendu des restrictions à l’immigration. Il n’y aplus report de la demande de travail de l’offre de main d’oeuvre immigrée sur l’offre de main d’oeuvreautochtone.

Ce sont ces considérations qui conduisent à essayer de mesurer le contenu en facteurs du commerceextérieur, et donc son apport implicite à la consommation nationale. Le travail le plus récent dans cedomaine est celui de Borjas. Freeman et Katz (1997). Ils sont la dernière étape d’une suite de recherchesdes mêmes auteurs dans le même domaine (Borjas, Freeman et Katz, 1992, 1996). On trouveraégalement une présentation et une controverse récente sur les contenus en facteurs dans un dossierspécial du Journal of Economic Perspectives (Freeman, 1995 ; Wood, 1995). Appliquée à l’emploi, laméthode peut être décrite par la formule suivante (Borjas, Freeman et Katz, 1997)

(26)

où Z. est l’offre de travail de type] implicitement contenue dans le commerce extérieur, mesurée en

unités efficaces ; O est le coefficient technique du travail de type] dans l’activité I, le travail étant

également mesuré en unités efficaces. et IN, /J’Ç est le ratio des importations nettes en produit j auxventes du même secteur.

Un élément important de validité de la méthode est la manière de déterminer la valeur de ,. Celle-ci correspond en effet implicitement à un mécanisme de substitution entre importations et productiondomestique. Prendre comme valeur de le coefficient technique moyen dans l’industrie j revientimplicitement à considérer que la production nationale et les importations du secteur sont directementcomparables et substituables l’une à l’autre. C’est une hypothèse qui n’est guère conforme à l’idée queles importations des pays à bas coût de main d’oeuvre ne concurrence qu’une catégorie d’entreprisesnationale, les moins performantes ou celles qui recourent plus au travail non qualifié. On peut alorsutiliser le coefficient technique moyen de ces seules entreprises. Ou, comme le font Borjas, Freeman etKatz, on peut considérer que les pays à bas coûts de main d’oeuvre concurrencent les pays développés

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sur des produits dont les techniques de production sont en fin de cycle de vie. On utilise alors lescoefficients techniques qui prévalaient quelques années plus tôt.

Les effets mesurés par Borjas, Freeman et Katz (1997) sont faibles. En 1995, le contenu en travaildu commerce extérieur avec les pays du tiers-monde (ceux qui font pression par leurs bas coûts de maind’oeuvre) ne représenterait que 2,5 % de l’emploi des non diplômés et 0,4 % de l’emploi des diplômés1.Cette estimation utilise les coefficients techniques de l’année 1995. Si l’on utilise les coefficientstechniques de l’année 1990, les contenus en travail passent à 4,2 % de l’emploi des non diplômés et0,2 % de l’emploi des diplômés. Les auteurs en concluent que « le commerce n’a eu que de faibles effetssur l’offre globale implicite de travail peu qualifié2 ». Dans les études antérieures, les effets ne sontguère plus marqués. Dans tous les cas, ils sont plus importants pour les moins qualifiés.

Si les contenus en facteurs permettent de ramener à une même mesure, les quantités de travailfournies, les effets de l’immigration et du commerce extérieur, ils ne fournissent pas de mesure directedes conséquences sur la production et les rémunérations. Pour cela, il faut intégrer les résultats de lamesure des contenus en facteurs dans un modèle liant rémunérations et dotations en facteur. Ladémarche la plus simple est de reprendre un modèle de demande de travail comme celui qui aboutit auxéquations (17) ou (18). L’effet sur les salaires est obtenu en multipliant la variation relative de l’offre detravail implicite dans les contenus en facteurs par les élasticités-quantités de la demande inversecorrespondantes. En utilisant une estimation médiane de l’élasticité du salaire des diplômés à l’emploides non diplômés de -0,32, les auteurs constatent que la baisse de 11 % du salaire moyen des nondiplômés par rapport aux diplômés entre 1980 et 1995 n’est attribuable que pour 0,9% à l’évolution ducommerce avec les pays sous-développés ; dans le même temps, l’effet de l’immigration est de 4,8 %.La part du commerce extérieur est donc négligeable.

Si elle permet une comparaison simple entre commerce extérieur et importations, la déterminationdes contenus en facteurs n’est pas sans poser quelques problèmes. Ceux-ci sont bien résumés parBorjas, Freeman et Katz (1997), Freeman (1995) et Wood (1995). Une première difficulté tient à lanature des substituabilités entre biens importés et production domestique. On a signalé plus haut que lamesure des contenus en facteurs supposait implicitement une substituabilité parfaite entre produitsimportés et produits domestiques. Ce n’est pas forcément le cas. Si les produits importés ont quasimentéliminé les produits domestiques équivalents (ce qui signifie que les mécanismes de spécialisationinternationale ont joué leur rôle), on ne peut considérer que les produits de l’industrie restante sur leterritoire national soient représentatifs des substituts qui seraient développés sur le marché national. Onretrouve un argument de Wood (1995) qui note que, au sein d’un même secteur, il y a une fortedispersion de la distribution des coefficients techniques. Le choix entre production nationale etimportations étant endogène au système économique, il n’y a pas de raison pour que les produits les plusconcurrencés par les importations soient représentatifs de leur secteur d’activité. On s’attendrait plutôt àce que les coefficients techniques du travail non qualifié y soient élevés, ce qui conduirait à une sous-estimation des effets du commerce extérieur par les méthodes de contenu en facteurs.

De plus, ces substituts ne seraient pas disponibles au même prix, ce qui aurait pour effet dedéplacer la demande sur le marché des biens, avec un effet d’induction sur la demande de travail. Ceteffet n’est pas pris en compte directement par les analyses de contenus en facteurs. Celles-ci fontimplicitement l’hypothèse d’un remplacement des importations par la même quantité de productiondomestique. En pratique, déterminer les contenus en facteur ne dispense pas de reprendre des modèlesd’équilibre général.

Une troisième difficulté est que la présence de concurrents extérieurs ne se traduit pasnécessairement par un flux d’importations, alors même qu’il y a pression sur le marché national. Lesproducteurs nationaux peuvent réagir à la concurrence extérieure en faisant pression sur lesrémunérations des facteurs de production domestiques (par exemple lors de négociations salariales) pour

faire baisser les coûts de production afin de conserver leurs marchés. S’ils y parviennent, la concurrenceétrangère ne se traduit pas par une augmentation significative des flux d’importation, alors même que le

Les non diplômés sont définis comme les personnes n’ayant obtenu de diplôme de niveau high school’2 « Trade has had small effects on the overali implicit labor supply of the less skilled. »

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potentiel qu’elle représente a induit une baisse des salaires des autochtones. On peut à la limite imaginerque les flux d’importations effectives est inexistant, alors même que sous la pression d’importationspotentielles les salaires ont baissé. De ce fait, l’analyse des contenus en facteurs risque de sous-estimerl’effet de l’ouverture des frontières.

Enfin, Wood (1995) signale encore une quatrième difficulté, qui est la conséquence du lien entreconcurrence et progrès technique. L’ouverture des frontières ne se produit pas dans un contexte statique.Les entreprises peuvent réagir à la pression de la concurrence extérieure en accélérant les innovationstechnologiques. Elles peuvent se réorienter vers de nouveaux produits, où la concurrence est plus faible.Où elles peuvent innover dans les techniques de production, mettant au point des techniques plusconformes aux dotations en facteurs dont elles disposent. Dans le moyen-long terme, ces effets nepeuvent sans doute être négligés. On notera que cette question de l’endogénéité du progrès techniquepose des problèmes similaires pour l’évaluation de l’impact de l’immigration. En accroissant la dotationen travail non qualifié, un afflux d’immigrants peut conduire les entreprises à freiner la recherched’innovations technologiques visant à économiser cette catégorie de travail.

3.4 Quelques propositions de travail.

Raisonner dans un contexte d’économie partiellement ouverte, partiellement fermée, avec des biensparticipant au commerce extérieur et d’autres qui restent conformés au marché national ou local,engendrant des effets d’induction entre marché des biens et marché du travail est indispensable dans lecontexte actuel de l’Union Européenne. Force est cependant de constater qu’aucune des méthodesdécrites dans la section précédente ne permet de prendre en compte de manière satisfaisante l’ensembledes déterminants en jeu.

Repartons de l’analyse des contenus en facteurs. Celle-ci a un grand avantage elle aboutit à desrésultats ayant une interprétation intuitive tout en mobilisant des données qui, pour une partie, sontaisément accessibles. Les ventes des secteurs et les importations sont connues à partir des données de lacomptabilité nationale. Celle-ci fournit également le coefficient technique du travail. Celui-ci n’esttoutefois pas ventilé par catégories de main d’oeuvre. On peut cependant estimer cette ventilation enutilisant des sources comme l’enquête structure des emplois ou les DADS, dans lesquelles figure laventilation de l’emploi salarié par catégories socio-professionnelle.

On a vu cependant les problèmes d’interprétation de la méthode. Le principal est, à mes veux, celuide définir convenablement la nature des substitutions possibles entre production nationale etimportations. On a vu que la production domestique susceptible d’occuper le marché en cas derestriction des importations n’est pas forcément représentative de la production de l’ensemble del’activité. Une manière de diminuer le problème est sans doute de raisonner au niveau le plus finpossible pour ce qui est de la nomenclature des produits. On risque cependant de se heurter à deuxdifficultés. La première tient à la disponibilité de données statistiques à ce niveau. La deuxième est que,plus le découpage fin est pertinent, plus les spécialisations doivent être fortes, plus l’échantillond’entreprises présentes dans les secteurs les plus concurrencés par les importations est faible, avec lerisque de non représentativité que cela entraîne.

On n’échappera donc pas à ce que les anglo-saxons appellent des « counterfactuals », c’est à dire àla définition de jeux d’hypothèses alternatives décrivant ce qui se passerait (ce qui se serait passé) si onouvrait (si on avait ouvert) les frontières. Celles-ci porteraient essentiellement sur le type de techniquesutilisées pour produire les biens domestiques qui, en l’absence d’importations complémentaires, seraientproduits nationalement pour satisfaire la demande domestique. La solution adoptée par Borjas, Freemanet Katz, qui consiste à utiliser des coefficients techniques vieux de quelques années pour tenir comptedes effets de cycle du produit est une possibilité parmi d’autres. On peut également s’intéresser à ladistribution des coefficients technique et prendre une fraction, à définir en fonction de taux depénétration des importations, de cette distribution.

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Il faut ajouter que, si l’analyse des contenus en facteurs telle que l’ont pratiquée Borjas, Freeman etKatz (1995) permet de comparer les impacts respectifs du commerce extérieur et de l’immigration, ellene répond pas directement à une autre question importante qui avait motivé l’attention que nous portonsici à l’immigration. Il s’agit de la substituabilité entre importation de main d’oeuvre immigrée etimportation de biens produits sur place par la main d’oeuvre des pays d’émigration. Dans un travailempirique dont le point de départ est l’impact de l’immigration sur l’économie locale, c’est une questionqu’on ne peut négliger. Pour y apporter une réponse, une première possibilité est d’aménager l’analysedes contenus en facteurs en distinguant la main d’oeuvre immigrée de la main d’oeuvre autochtoneparmi les facteurs de production en estimant, le contenu en main d’oeuvre immigrée des produitsdomestiques susceptibles de se substituer aux importations.

L’analyse permettrait déjà de savoir si la main d’oeuvre immigrée se trouve plutôt dans les activitésconcurrencées par les importations et en particulier par celles d’entre elles qui proviennent des pays àbas salaires. Il ne me semble pas qu’on dispose actuellement d’information sur ce premier lien,élémentaire, entre recours à la main d’ouvre immigrée et position par rapport aux flux extérieurs. Touten restant dans le même cadre, l’analyse de scénarios alternatifs permettrait ensuite de déterminer dansquelle mesure une modification de l’immigration conduit à des changements dans la productiondomestique ou à des inflexions dans les importations.

On atteint cependant là la limite, a mon avis, des méthodes de contenus en facteur. Pour analyser demanière intégrée l’effet d’une modification de la dotation en main d’oeuvre immigrée sur la production,les importations et les rémunérations des facteurs, il faut revenir à des modèles traitant de manière plusexplicite les mécanismes de marché, comme celui de Kohli. Celui-ci permet de traiter explicitement laquestion de la substituabilité entre importation et production nationale. Cependant, il le fait dans uncontexte où la demande dc biens n’est pas explicitée et son modèle ne considère qu’un seul secteurd’activité. Il n’est donc pas en mesure de prendre en compte les spécialisations induites par l’ouvertureexténeure.

La solution est sans doute de développer et de compléter l’approche de Kobli, en allant dans ladirection de Kuhn et Wooton qui, sur le plan théorique, proposent le modèle le plus complet et le plussatisfaisant. L’application empirique qu’ils en font reste cependant très sommaire, puisqu’ils secontentent de vérifier qu’on peut agréger les secteurs d’activité en trois grands groupes correspondantrespectivement aux biens principalement importés, aux biens principalement exportés et aux biens dontle marché est essentiellement national (secteur abrité) ; et de vérifier que ces trois grands secteursagrégés ont des coefficients techniques conformes à leurs hypothèses. Une classification de ce typepourrait être faite sur l’économie française, à partir des données sur la production nationale et lecommerce extérieur.

Ces trois secteurs agrégés remplaceraient l’unique secteur domestique présent dans le modèle deKohli. C’est pour chacun d’entre eux qu’on estimerait ensuite les paramètres d’une fonction deproduction dont seraient dérivés les estimateurs des élasticités-prix et quantités. Pour boucler le modèle,il faudrait enfin le compléter en considérant explicitement le comportement de la demande, au moinspour le secteur abrité puisque celui-ci ne peut s’équilibrer sur le marché national.

4. L’ENDOGENEISATION DE L’OFFRE DE TRAVAIL DES AUTOCHTONES.

4.1 Trois sources d’endogénéité.

Dans les analyses qui précèdent, nous avons à chaque fois supposé que l’offre de travail desdifférentes catégories de population autochtone était fixe. Que les migrants forment une catégorieséparée ou qu’ils s’ajoutent aux catégories existantes, on considère que l’accroissement de l’offre detravail de chaque catégorie est égal au nombre de migrants qui la rejoignent. Il ny a pourtant pas lieu deconsidérer que les autochtones, et même les migrants antérieurs, ne réagissent pas aux modificationsd’équilibre économique induites par les migrations. Tenir compte de ces réactions conduit àendogénéiser l’offre de travail dans les modèles d’évaluation de l’impact des migrants dans l’économielocale.

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Le comportement d’offre de travail des autochtones est influencé par trois grands facteurs qui sontautant de sources d’endogénéité, que nous examinerons tour à tour:1. les arbitrages individuels sur la quantité de travail issus des arbitrages entre travail et loisir, le

loisir ayant ici l’interprétation extensive usuelle en économie du travail de temps non offert directementsur le marché de l’emploi. C’est l’arbitrage considéré habituellement pour déterminer l’offre de travailen fonction du salaire.

2. les arbitrages entre catégories d’emploi où se porter candidat. Une personne déterminée quidécide de se présenter sur le marché du travail ne peut le faire en général que dans un éventail restreintde catégories de main d’oeuvre, déterminé par sa formation initiale etlou son expérience professionnelleantérieure. A court terme, ces choix sont rigides. Cependant, à long terme, la structure desrémunérations influence les choix de formation initiale et peut pousser une partie de la main d’oeuvre àdes réorientations, via des formations complémentaires. De ce fait, les arbitrages entre catégoriesd’emploi sont liés à des choix d’investissement en capital humain.

3. les comportements migratoires. Ceux-ci déterminent la population locale et par ce biais, pour deschoix individuels similaires, l’offre globale de travail dans l’économie. Suivant les problématiquesusuelles de l’analyse économique des migrations (Jayet, 1996), les choix migratoires sont influencés parles disparités de fonctionnement des marchés de l’emploi, en particulier les disparités de salaires et parla sensibilité des agents aux aménités et biens publics disponibles localement. L’un comme l’autre sontinfluencés par l’immigration.

4.2 Migrations et comportement d’offre de travail.

Les raisonnements conduits jusqu’à présent supposaient une offre de travail rigide, au moins de lapart des autochtones. Que se passe-t-il quand on suppose que l’offre de travail est fonction du salaireprévalant sur le marché? La figure 2 reprend la figure 1, avec maintenant deux courbes d’offre detravail. La première, SS’, est la courbe d’offre inverse des nationaux. La deuxième, ZZ’, est la courbed’offre inverse globale, nationaux plus immigrants.

Figure 2 : Immigration et salaires (offre de travail endogène)

La présence des immigrants fait passer l’équilibre du marché du point B au point C, le salairebaissant comme dans le modèle de la section 2.1 de w0 à w pendant que l’emploi augmentait de N àN + M, Mais maintenant, le fait que l’offre de travail des nationaux soit fonction du niveau de salairese traduit par une baisse de l’emploi des nationaux, de N à N’. De plus, les revenus du travail reçus parles autochtones baissent maintenant de la surface du rectangle Ow0BN à la surface du rectangleOiv1FI’P. Du fait de la baisse de l’emploi, cette baisse est plus forte qu’avec une offre de travail rigide.Cependant, et c’est la troisième difficulté, il ne faut pas assimiler la variation de revenu des salariés àune perte de bien-être. Celle-ci n’est en effet égale qu’à la superficie du trapèze w0w1FB

Un économiste qui, observant la situation de l’économie en présence d’immigrants, utiliserait lemodèle de la section 2.1 pour en déduire l’effet de l’immigration, ferait plusieurs erreurs. D’une part, lanégligence de la variation de l’offre de travail des autochtones le conduirait à maintenir l’emploi enl’absence d’immigrants au niveau N’, sous-estimant celui-ci. Le corollaire en est une surestimation du

w

/‘ , S/

w0w1

z’

z--/H

/ z/

O N’ N N+M

emploi

32

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salaire d’équilibre en labsence de migrants au niveau w2, supérieur à w0, d’où une surestimation de laperte de salaire induite par les immigrants. Il en résulte une surévaluation de la perte de bien être dessalariés suite au transfert de revenus du travail vers le capital, estimée à la superficie du rectanglew1w,EF alors qu’elle est égale à la superficie du trapèze w0w1FB. Enfm, le surplus global del’immigration serait estimé à la superficie du triangle EFC alors qu’elle reste égale à la superficie dutriangle BDC, d’où une forte surestimation.

Malgré les risques de biais qu’entraîne le fait de négliger la variabilité de l’offre de travail de lapopulation autochtone, rares sont les auteurs qui la prennent effectivement en compte. Il est vrai que lesfonctions d’offre de travail sont difficiles à établir et à estimer. Dans son calcul des effets globaux del’immigration, Borjas (1995) raisonne sur une offre de travail de travail rigide. Borjas, Freeman et Katz(1996) estiment une équation de salaire dans l’esprit de la formule (14) par une équation du même type,mais ils la dérivent explicitement d’un équilibre entre une courbe d’offre et de demande de travail. Ilspartent d’équations correspondant à l’équilibre simultané sur les marchés du travail qualifié et nonqualifié:

LQ = NQHQ (wQ, p) = qDIc(wQ , w)

L = NNHN(wN,p) = qD,c(wQ,w)

où NQ et N sont les effectifs et HQ et H les fonctions d’offre de travail des qualifiés et des non

qualifié par tête. Ils parviennent, pour le salaire des non qualifiés, à une expression similaire à (24)

AWvBNw L

où B est une expression complexe qui dépend de l’élasticité de la demande de travail, des proportionsde travailleurs qualifiés dans les populations autochtones et immigrées et des élasticités de l’offre detravail qualifié et non qualifié. Si l’estimation de cette relation permet bien de déterminer la relationentre immigration et salaire, elle ne permet plus de retrouver directement les paramètres d’offre et dedemande qui la fondent.

Ce sont Greenwood et Hunt (1995) qui prennent le plus explicitement en compte l’existence d’unefonction d’offre de travail. Ils formulent des équations d’offre de travail pour les travailleursautochtones et immigrés de la forme

LA =N4H4(w4,p,R)

Lf = N1HAf (wf, p, RM)

où R4 et Rf désignent les revenus hors-travail des salariés et des autochtones. Ils estiment ce systèmed’équations par les triples moindres carrés pour tenir compte des simultanéités avec les autres équationsdu modèle.

Le modèle estimé est simulé dans les deux hypothèses d’une offre de travail rigide et d’une offre detravail flexible. Nous avons vu plus haut que, avec une offre de travail rigide et en ne prenant pas encompte les effets transitant sur le marché des biens, une augmentation de 10% de la main d’oeuvreimmigrée conduisait à une baisse de salaire de 0,9% pour les immigrants et de 2,5% pour lesimmigrants. Avec une offre de travail flexible, les salaires ne baissent plus respectivement que de 0,2%et 1,8%; en contrepartie, l’emploi des autochtones diminue de 0,4%. Quand on prend en compte leseffets transitant par le marché des biens, l’immigration a un effet négligeable sur l’emploi desautochtones. Cela tient au fait, déjà signalé plus haut, que même avec une offre de travail rigide, l’effetde l’immigration sur les salaires des autochtones est très faible. Ces derniers n’ont donc pas de raison demodifier leur offre de travail.

Sans aller jusqu’à une spécification reposant explicitement sur une fonction d’offre de travail,d’autres auteurs ont analysé l’effet de l’immigration sur le niveau de l’emploi des autochtones. Le

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principe est d’utiliser une régression similaire à (14), mais où la variable dépendante est maintenant letaux d’emploi des autochtones ou sa variation. Parmi les variables explicatives figurent le tauxd’immigrants et/ou sa variation. C’est ce que font Altonji et Card (1991) sur un échantillon d’airesmétropolitaines américaines aux recensements de 1970 et 1980. Les effets de l’immigration sur l’emploides autochtones qu’ils ont mesuré de cette manière sont aussi négligeables que les effets sur les salaires.La simultanéité des deux conclusions est d’ailleurs cohérente avec le fait que l’offre de travail n’a pasde raisons de changer si les rémunérations en varient pas.

Freeman et Katz (1991) utilisent une base de données sur les activités économiques au niveau fin(428 secteurs). Ils étudient la variation du nombre d’heures travaillées sur longue période (195 8-1984)qu’ils régressent sur un ensemble de variables explicatives, dont le pourcentage d’immigrants et sonchangement. Ils trouvent des coefficients non significativement différents de zéro pour le pourcentaged’immigrants, de l’unité pour sa variation. On peut en conclure que, globalement, l’arrivée d’immigrantsne s’est pas accompagnée d’une baisse sensible de l’emploi des autochtones, soit une conclusionsimilaire à celle d’Altonji et Card. Cependant, l’effet significatif du stock d’immigrés sur la variation del’emploi conduit à penser qu’il y a eu des déplacements entre activités. La main d’oeuvre immigrée atendance à se concentrer dans certains secteurs et cette concentration serait croissante.

4.3 Immigration et choix de qualification.

Si les migrations influencent le niveau quantitatif de l’offre de travail des autochtones, elles peuventégalement en influencer les aspects qualitatifs, en particulier les formes d’accumulation de capitalhumain qui déterminent les choix de qualification. Souvent invoqué, le problème a été rarement analysé.La référence principale ici est Chiswick (1989). Nous reprendrons ici l’essentiel de sa démarche, maisde manière simplifiée et adaptée au cadre utilisé jusqu’à présent.

Nous repartirons d’une fonction de production à rendements constants avec quatre facteurs, lecapital, le travail des autochtones qualifiés et non qualifiés et le travail des migrants. Chaque autochtonequalifié est caractérisé par son niveau de capital humain. La fonction de production est donc de laforme:

q = F(K,H,LV,Lf)

où H = LQh est le niveau global de capital humain fourni à l’entreprise par ses travailleurs qualifiés, hétant la quantité de capital humain accumulée par un autochtone qualifié. Dans un contexteconcurrentiel où les rémunérations des facteurs sont égales à leur productivité marginale, le salaire d’untravailleur qualifié est égal à WQ = hWff OÙ W = D,F est la rémunération de l’unité de capitalhumain, égale à sa productivité marginale.

On suppose que le coût d’accumulation initiale de h unités de capital humain est égal à T(h), où Test une fonction croissante convexe avec T(0) = 0. Le taux d’escompte de l’ensemble des agents del’économie est égal à r. Un travailleur qui, pour offrir du travail qualifié, doit décider préalablement àson engagement dans les activités productives de son niveau de capital humain, maximise le gain net decette accumulation, égal à G = hwff — rT(h). Sachant que, dans un contexte concurrentiel, les salariés

considèrent la rémunération du capital humain comme une constante, la valeur de h à l’équilibre vérifiel’égalité

(27) DT(h)=w/r

Cette égalité est également celle qui doit être vérifiée par un programme optimal cherchant à maximiser

le gain social global, V = F— r(pKK + LQ T(h) + py + Wf Lf), où PK et Pv sont les coûts

d’opportunité respectifs du capital et du travail non qualifié.

Quand les quantités de main d’oeuvre autochtone qualifiée et non qualifiée, LQ et , sont fixes,

le gain net G des travailleurs qualifiés est positif et même supérieur au coût d’opportunité du travail non

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qualifié. Sinon, les travailleurs qualifiés n’accumuleraient aucun capital humain. Quand G est supérieurau coût d’opportunité du travail non qualifié, les travailleurs qualifiés récupèrent une partie du surplusglobal sous forme de rente, celle-ci étant la conséquence de leur rareté relative. Quand la répartition dela main d’oeuvre autochtone LA entre qualifiés et non qualifiés est endogène, LQ et L11 résultent d’unarbitrage entre l’occupation directe d’un emploi non qualifié et l’accumulation préalable de capitalhumain suivie de l’occupation d’un emploi qualifié. Pour une population a priori homogène, lacondition d’arbitrage est que les deux choix doivent procurer les mêmes gains nets, soit

G hw11 — rT(h) qu’on peut encore écrire sous la forme

(28) WQ— wv = rT(h)

Le différentiel de salaire couvre juste les coûts de formation.

Dans ce contexte, l’effet des migrations passe par les modifications de salaires qu’elles induisent.Toute modification du stock de migrants qui augmente la rémunération de l’unité de capital humainpousse à l’accumulation de celui-ci, w, = rDT(h) étant une fonction croissante de h quand T estconvexe. De même, toute modification du stock de migrants qui augmente le différentiel de rémunérationentre mains d’oeuvres qualifiée et non qualifiée pousse à une modification du partage entre travailqualifié et non qualifié, la part du premier augmentant. Il s’ensuit que, même quand la main d’oeuvreimmigrée fait fortement pression sur les salaires de la main d’oeuvre non qualifiée de part sa fortesubstituabilité avec cette dernière, à long terme cet effet peut être atténué, voire inversé, par les choixde formation de la main d’oeuvre.

En effet, en différenciant (27), on obtient

dw11 dh(29) —=e(h)—w11 h

où e (h) = hD2T(h)/DT(h)> O est l’élasticité du coût marginal d’accumulation du capital humain.En différenciant (28), on aboutit à:

(30)WH WQ W11

On notera une conséquence immédiate de (29) et (30): dw11/w11 = (eTwQ/wN)(dh/h).

L’immigration est bénéfique aux salariés autochtones, quelle que soit la catégorie à laquelle ilsappartiennent, si et seulement si elle induit une augmentation du capital humain des qualifiés.

Plaçons nous maintenant dans la situation, où le capital étant immobile. dUC/K = 0. A partir de(A7), on obtient

dw11 dh dL0 dL111ff+(HH

w11 h LQ L1(31)

dh dLQ dLklvu+(7vH w)+1

W11 h L9 L1

où çu = L9/L L’effet immédiat de l’immigration correspond au cas où le partage de la main

d’oeuvre autochtone entre qualifiés et non qualifiés et le capital humain accumulé par ces derniersrestent inchangés. On a alors dh/h = dL0/L9 = 0, d’où dw11 /wH = (dL1 /L,.1) et

dw /w = (dL,, /L1). Dans le cas où les migrants sont substituables aux autochtones non

qualifiés et complémentaires des autochtones qualifiés (situation décrite par Chiswick dans la citation

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ci-dessus), > O, <O et les salaires des qualifiés varient dans le même sens que le stock demigrants, les salaires des non qualifiés variant en sens opposé.

Supposons maintenant que, à plus long terme, les qualifiés réagissent en adaptant le capital humainaccumulé, la répartition des autochtones restant inchangée (dLQ /LQ = O). En combinant (19) et (21),

on trouve que

dwff— dh — e7.r7f dLM—eT —

Wff h eT—llffff LM

Le terme eT /(eT — T7ffff) étant compris entre O et 1, l’effet de la migration sur l’accumulation du

capital humain va dans le même sens que l’effet sur les salaires. Cette accumulation du capital humainaccumulé réduit I ‘effet initial sur sa rémunération. A l’opposé, pour faire apparaître l’effet de lamigration sur le changement de répartition de la population autochtone, supposons que le niveau decapital humain reste inchangé, dh/h = O. En combinant (30) et (31), on parvient à:

dLQ-

dLf

W

V 7FfN 7NN I — 7ffFf 7NHW ) WQ

Dans la situation décrite par Chiswick, le numérateur du membre de droite est positif Si de plus lecapital humain et le travail non qualifié sont complémentaires, le dénominateur est également positifdLQ/LQ et dLM/Lf sont de même signe. L’arrivée de migrants conduit alors à un déplacement des

autochtones en direction de l’acquisition d’une qualification. D’après (31), ce déplacement, en raréfiantla main d’oeuvre non qualifiée, a un effet bénéfique sur son niveau de rémunération, qui contrecarrel’effet immédiat négatif de l’immigration. C’est cet effet indirect que décrit Chiswick.

Peut-on vérifier ces effets de manière empirique? A ma connaissance, aucune tentative sérieusen’a été faite. Une étude directe semble difficile. Dans les faits, deux types d’analyses complémentairessont à faire. La première est une étude de l’influence de la structure des rémunérations et des autresavantages attachés à la qualification sur les choix de formation. Il faudrait ici, avant tout, reprendre lesétudes qui ont déjà été faites pour examiner ce qu’on peut en tirer en les rapprochant des analyses surles effets de l’immigration sur les rémunérations. Le deuxième type d’analyse serait un travail direct surles choix de formation de la population en fonction de l’importance locale des immigrés.

4.4 Immigration et migrations internes.

Géographiquement, l’immigration est très inégalitairement répartie dans l’espace des paysd’accueil. Ainsi, examinant le cas américain, Borjas, Freeman et Katz (1997) notent que, «historically,immigrants have clustered in a small number ofgeographical areas, and this concentration has increasedover time. In 1960, 60 percent of immigrants lived in one of the six main receiving states : California,New York, Texas, Florida, New Jersey, and Illinois. By 1990, 75 percent of immigrants lived in theseareas and 33 percent lived in California alone. This geographical concentration reflects the propensity ofimmigrants to enter the United States through a limited number of gateway cities or states and spreadout slowly to other areas of the country in subsequent years ». Ces mêmes tendances à la concentrationgéographique avaient été observées avant eux par des auteurs comme Bartel (1989). Il ne s’agit pasd’une situation spécifique aux Etats-Unis. En France également, la population immigrée est fortementconcentrée dans quelques grandes agglomérations, avec des différences entre nationalités d’origine.

Les autochtones restent-ils sans réaction face aux concentrations d’immigrés ? La théorieéconomique suggère que ce ne devrait pas être le cas. Quand les coûts de mobilité restent raisonnables(sinon pour la totalité de la population, du moins une pour une partie d’entre elle), tout facteurengendrant des différences interrégionales de bien-être conduit à des migrations des zones où le bien-être

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est le plus faible vers celles où il est le plus élevé. Ces migrations se poursuivent jusqu’à ce quel’équilibre soit rétabli, le niveau de bien-être étant le même pour tous les membres d’une catégoriedéterminée, quelle que soit leur localisation.

Parce qu’elle induit une dégradation des rémunérations des catégories d’autochtones qui lui sont lemoins substituables, l’arrivée de nouveaux migrants dans une économie locale se traduit normalementpar une inflexion des migrations internes de ces mêmes autochtones. Ceux-ci la quittent plus nombreuxou, à tout le moins, la choisissent moins fréquemment comme zone de destination. L’augmentation dusolde de migrants extérieurs devrait donc avoir pour corollaire une dégradation du solde des migrationsinternes. A ma connaissance, aucune étude de ce phénomène n’existe pour la France. Pour les EtatsUnis, on peut citer de nombreux travaux, en particulier ceux de Filer (1992), Butcher et Card (1991),Wallcer, Ellis et Barif (1992), ‘White et Hunter (1993), Frey (1995), Hunt (1995), Frey et Liaw (1996),Borjas, Freeman et Katz (1997).

Les résultats sont mitigés. Filer constate qu’effectivement la présence d’un fort contingentd’immigrants y réduit le flux d’arrivée de migrants internes, sans qu’il puisse constater d’effetsignificatif sur les départs. La réaction des migrants internes passerait donc plus par une réduction desarrivées que par une augmentation des départs. Ce constat est cohérent avec le constat que les disparitésgéographiques de flux migratoires internes sont beaucoup plus le fait des choix de destination que duniveau des départs. Walker, Ellis et Barff (1992) font un constat similaire. Frey (1995) et Frey et Liaw(1996) trouvent de leur côté une forte corrélation négative entre l’immigration et les taux de migrationnette des autochtones au recensement de 1990.

Butcher et Card (1991) et Card (1997) sont d’un avis différent. Les premiers constatent qu’enconsidérant un échantillon de villes d’où sont absents les trois plus grands centres d’accueild’immigrants (New York, Los Angeles et Miami), la corrélation entre immigrants et solde migratoireinterne devient légèrement positive. Le second observe une corrélation positive entre les taux decroissance du nombre d’actifs autochtones et inmiigrants entre 1985 et 1990, par aire métropolitaine.En fait, comme le notent Borjas, Freeman et Katz (1997), « le signe de l’effet de l’immigration sur lacroissance de la population autochtone dépend avant tout du scénario implicite ou explicite sur lequelrepose le modèle utilisé’ ». Ils illustrent cette difficulté en étudiant le lien entre les taux de croissance despopulations immigrée et autochtones des 51 états américains (y compris le district de Columbia) entreles recensements de 1970 et 1990. Ils trouvent un coefficient de 0,8, significativement positif.Cependant, cette corrélation peut provenir de La sensibilité des deux populations aux mêmes facteurslocaux, indépendamment de toute réaction d’un flux à l’autre. Pour éliminer au moins en partie cesfacteurs locaux, Borjas Freeman et Katz refont la même régression avec les différences entre les taux decroissance des deux périodes 1970-1990 et 1960-1970. Ils trouvent maintenant un coefficient de -0,8,non significativement différent de -I. Ce dernier coefficient suggère un quasi-effacement de l’effet localdu flux d’immigrants par l’inflexion des migrations intérieures. On ne saurait mieux soulignerl’importance d’une bonne spécification du modèle migratoire.

Si elle n’est pas prise en compte, la réaction des migrants intérieurs est un facteur de biais quandon utilise des observations réparties dans l’espace pour estimer des équations comme (14). En effet, « ilne faut pas s’attendre à trouver une corrélation entre le salaire des autochtones et la présenced’immigrants si les travailleurs et les entreprises réagissent à l’entrée d’immigrants en se déplaçant versles zones géographiques qui leur sont les plus favorables. En conséquence, la comparaison entre desmarchés locaux de l’emploi peut masquer les effets macroéconomiques de L’immigration2»(Borjas,1994). Plus précisément, « si les flux migratoires des autochtones se modifient de manière à maintenir

«The sign of the impact of immigration on the growlh of the native population critically depends on thecounterfactual implicit or explicit in a particular regression model. »2 «As long as native workers and firms respond to the entry of immigrants by moving to areas offenng betteropportunities, there is no reason to expect a correlation between the wage of natives and the presence ofimmigrants. As a result, the comparison of local labor markets may be masking the ‘macro’ effect ofimmigration. »

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les disponibilités relatives de facteurs d’une région, il y a diffusion complète des effets négatifs de lacroissance de l’offre de travail induite par l’immigration3» (Borjas, Freeman et Katz, 1997).

Si cet argument est fréquemment invoqué pour expliquer la difficulté à obtenir des effetssignificatifs de l’immigration sur la rémunération des autochtones, il n’est pas suffisamment creusé. Enfait, si le lien entre immigration et migrations internes est source de biais, l’économètre n’est pasimpuissant et peut, en intégrant ce lien dans sa modélisation, obtenir des estimations sans biais desparamètres fondamentaux qui lui permettront ensuite de mesurer les effets de l’immigration.

On a vu que la plupart des analyses économétriques utilisaient des équations portant sur les partsde facteurs o sur les rémunérations. Intéressons-nous à ce dernier cas, pour lequel les questions quinous intéressent sont les plus aisées à mettre en évidence. L’équation minimale à estimer est celle quirelie le niveau local des rémunérations des différents facteurs aux coefficients techniques

(32) w = z (x1 ,..., x1 ;/3) = w (efl , . ..,

où wfl et x sont la rémunération et la quantité utilisée du facteur I dans la zone n, = x. /q est

le coefficient technique et /3 est le vecteur des paramètres de la fonction de production qu’il faut estimer.L’argument usuel est que, à l’équilibre spatial avec des facteurs mobiles dans l’espace national, larémunération de ces facteurs est la même partout où ils sont présents w1 = w,,, = w,. En

conséquence, même si le pourcentage de main d’oeuvre immigrée diffère d’une économie locale àl’autre, les rémunérations sont les mêmes et toute tentative de mettre en évidence un lien entreimportance de la main d’oeuvre immigrée et rémunérations est vouée à l’échec.

L’argument ci-dessus néglige plusieurs points importants. En premier lieu, pour des valeursdonnées des rémunérations des I facteurs (les rémunérations déterminées au niveau national), le systèmed’équations (32) a autant d’équations que d’inconnues. En conséquence, si tous les facteurs deproduction sont mobiles et en l’absence de substituabilité parfaite, il n’existe en général qu’une seulecombinaison productive compatible avec les rémunérations observées. Les mouvements de facteurs deproduction nationaux devraient donc conduire soit à des combinaisons productives identiques sur tout leterritoire soit à des solutions en coin, certains facteurs de production disparaissant totalement deslocalités où se concentrent les immigrants tandis que d’autres ne sont présents que là. Effectivement,dans ces conditions, la diversité de l’échantillon est trop faible pour permettre l’estimation desparamètres de la fonction de production. Mais cette situation n’est guère compatible avec lesobservations disponibles.

Pour expliquer une distribution des facteurs de production qui varie d’une localité à l’autre, il fautque des biens et services ou des facteurs de production soient totalement ou partiellement immobilesd’une localité à l’autre. Intéressons-nous à ce dernier cas. Sur les I facteurs de production, J sontimmobiles. La quantité utilisée est égale dans chaque zone à la dotation locale. Le système (32)détermine alors leur rémunération et la quantité utilisée de chacun des I — J facteurs mobiles. Ce qu’onpeut représenter sous la forme

(33) (wi,,,...,wj,,,xji,, .x1,,,)=(x1,,,...,xj,,:fi)

Si les dotations initiales en facteurs immobiles sont déterminées de manière exogène, l’estimation de(33) permet de déterminer les valeurs du vecteur de paramètre /3 et donc connaître les niveaux decomplémentarité et de substituabilité entre facteurs, y compris pour ceux qui sont mobiles.

Ainsi, la mobilité du travail n’est pas en soi un obstacle à une différenciation spatiale suffisante deséconomies locales pour que l’estimation des paramètres fondamentaux de l’économie, nécessaire pourévaluer l’impact des migrants, soit impossible. Et ce d’autant plus que les travailleurs les moinsqualifiés, qui subissent le plus fortement les conséquences de l’immigration, sont ceux dont la mobilitéspatiale est la plus faible. Il faut toutefois noter deux limites à l’analyse ci-dessus. D’une part, le travail

« The migration response of natives would completely diffuse the adverse efects of the immigrant supplyshock on local labour markets if the native flows of particular skill groups counterbalanced the immigrantshock and left the relative factor proportions within a state unchanged. »

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n’est pas un facteur de production comme les autres. C’est un facteur incorporé à des personnes quisont également des consommateurs. Et ce sont aussi des consommateurs qui se déplacent. Enconséquence, comme les spécialistes de migrations internes l’ont noté depuis longtemps, dans ledomaine migratoire l’équilibre spatial ne se définit pas par l’égalisation des niveaux de rémunérationmais par celle des niveaux d’utilité. D’autre part, les obstacles à la mobilité des personnes sont souventsuffisants pour que l’hypothèse d’équilibre spatial puisse être mise en doute.

Revenons sur le premier point. Depuis les contributions de Graves et Linneman (1979) et Graves(1980), les spécialistes des migrations internes soulignent le fait que le niveau d’utilité qu’atteint unagent en un lieu donné, qui influence ses choix migratoires, n’est pas déterminé par les seulesrémunérations qu’il obtient, mais également par la consommation de biens localisés, en général desaménités ou des biens publics. L’équilibre spatial n’est donc pas défini par l’égalité des niveaux derémunérations partout où les agents d’une catégorie donnée sont présents, mais par l’égalité des niveauxd’utilité. Soit u U(w,h) le niveau d’utilité d’un agent de type j dans une localité où il obtient leniveau de rémunération w et où ses consommations sont conditionnées par le vecteur de facteurhédoniques h. En inversant cette fonction, on a w, = J’J’(u, ,h), niveau de rémunération minimal àattribuer à l’agent de type i dans une localité caractérisée par le vecteur de facteur hédoniques h pourqu’il obtienne le niveau d’utilité u, Puisque, à l’équilibre spatial, tous les agents de même catégoriedoivent obtenir le même niveau d’utilité, il existe un vecteur (u1,...,u1) tel que (32) devienne

(34)

ce qui conduit à une relation entre les caractéristiques locales et la structure productive de la forme:

(35) (x1,, ,h)-_* (w1 = ci(x1,...,XJfl,hfl,UI ,...,u1 ;,8)

C’est une relation de ce type, qui généralise (33), ou son approximation par un développement deTaylor, qui peut servir de base aux estimations. On remarquera que la présence de facteurs hédoniquesest assimilable à la non transportabilté des biens et services associés à ces facteurs hédoniques Laprésence de ces derniers fournit une raison supplémentaire pour laquelle l’équilibre spatial ne détruit pasla variété des situations locales, celles-ci pouvant donc toujours être utilisées pour évaluer les effets del’immigration sur les économies d’accueil. Encore faut-il que les procédures économétriques tiennentcompte de manière satisfaisante de la présence de facteurs hédoniques et des effets de ceux-ci sur lesprocessus de détermination des rémunérations. Or, ce n’est que très partiellement le cas dans les étudespubliées à ce jour. A titre d’exemple, après avoir déterminé des salaires corrigés des effets d’âge,pour chaque catégorie de main d’oeuvre i, chaque aire urbaine n et chaque recensement ï, Borjas,Freeman et Katz (1997) estiment une relation de la forme: Awmt = + Pt1fltnt + Vn + T, +

où Ain est la part du taux de croissance de la population active de catégorie i dans la zone n qui estattribuable à l’immigration pendant la période intercensitaire t. On remarquera qu’aucun facteurhédonique n’est présent dans cette relation. La formulation en différence corrige en partie ce défautpuisqu’elle élimine l’effet au premier ordre de tout facteur hédonique n’ayant pas connu de changementpendant la période étudiée. Mais cette correction est-elle suffisante ? Il faudrait au moins le tester, ccque ne font ni Borjas, Freeman et Katz. ni Altonji et Card (1991) qui procèdent de manière similaire. Laconclusion de Borjas, Freeman et Katz va dans ce sens : « le constat que la répartition régionale dessalaires a beaucoup changé—alors que ce sont toujours les mêmes régions qui reçoivent desimmigrants—suggère que l’évolution de cette répartition est dominée par l’effet de facteursinobservables qui n’ont rien à voir avec l’immigration. De l’analyse des corrélations spatiales, la seuleconclusion qu’on peut tirer est que l’immigration n’est pas un déterminant important de la répartitionrégionale des performances des autochtones sur les marchés de l’emploi4 ».

«Our finding that the pattem of regional wage changes has shifted dramatically over time—while the sameregions keep receiving immigrants—suggests that unobserved factors are driving the evolution of the regionalwage structure, that these factors have little to do with immigration, and that they dominate the data. The onevalid inference from an analysis of spatial correlations is that immigration is flot a major determinant of theregional structure oflabor market outcomes for natives. »

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On ne saurait mieux souligner le caractère mitigé des conclusions qu’on peut tirer d’un modèle qui,pour se centrer sur son objet, reste partiel.

Il n’est cependant pas sûr que l’introduction d’un ensemble complet de facteurs hédoniques dans lesmodèles suffise. En effet, comme le souligne dès le départ l’article fondateur de Rosen sur l’analysehédonique, la variété des biens présents sur le marché a pour corollaire la sélectivité des acheteurs etvendeurs de ces biens (voir aussi à ce sujet la synthèse de Rosen, 1986). Dans un contexte spatial, lecorollaire de la variété des biens est la variété des lieux. La sélectivité des acheteurs devient la sélectivitédes migrants. Autrement dit, prendre en compte la diversité des aires métropolitaines à partir de leursdotations respectives en facteurs hédomques conduit à incorporer au modèle les processus de sélectionde migrants, certaines catégories d’agents étant conduites à choisir préférentiellement des localisationsavant des caractéristiques particulières. Il y a en effet, comme L’a bien montré Roback (1982, 1988).simultanéité entre le processus de fixation des rémunérations et le processus qui détermine lacomposition de la population locale. Ignorer ce dernier, comme cela a été fait jusqu’à présent, conduit àdes biais de simultanéité.

4.5 Quelques propositions de travail.

Les trois sources d’endogénéité de l’offre de travail des autochtones que sont les comportementsd’offre de travail, les choix de formation et de qualification et la migration interne ont un point commun.Les rémunérations, absolues ou relatives, y jouent un rôle très important. Aussi est-ce en particulier parses conséquences sur les rémunérations, analysées dans les sections 2 et 3 de cette note, quel’immigration contribue à modifier l’offre de travail des autochtones. C’est entre autres parce que leurprésence a un effet dépressif sur les salaires de certaines catégories de main d’oeuvre que la présenced’immigrants peut pousser une partie des autochtones à se retirer du marché de l’emploi. C’est parcequ’elle modifie les salaires relatifs entre catégories qu’elle conduit les autochtones à réviser leurs choixde formation et donc leur répartition entre les différentes formes et les différents niveaux dequalification. C’est enfin parce qu’elle a des logiques de spatialisation particulière qui conduisent à unemodification des différentiels spatiaux de salaires qu’elle induit des migrations internes.

Cette observation et les développements qui précèdent, conduisent à une proposition de programmede travail articulé en trois points. Le premier point part du constat que nous disposons d’ores et déjà denombreux résultats de recherche sur les relations entre état du marché de travail et décisions de niveauet de formes d’offre de travail. C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne les aspects quantitatifsde l’offre de travail. Les travaux sur la flexion d’activité ne manquent pas, qu’ils aient été réalisés demanière spécifique ou dans le cadre de la modélisation macroéconomique. Je connais moins bien ce quia été fait sur la modélisation des choix de formation et de qualification, mais il y a certainement deschoses à reprendre dans les travaux du CEREQ sur le sujet. La situation est plus délicate pour lesmigrations internes. Il n’y guère de travaux en France sur le sujet.

Si des travaux préliminaires ont été faits sur l’impact de l’immigration via la demande de travail, ondispose alors de deux types d’informations complémentaires. D’une part, on dispose d’une évaluation del’impact direct des flux de migrants sur les rémunérations. D’autre part, la reprise des études sur lecomportement de l’offre de travail permet de déterminer les réactions de l’offre de travail desautochtones aux modifications de ces mêmes rémunérations. On peut donc, en tous cas dans un premiertemps, utiliser conjointement les deux types d’informations pour disposer d’une première analyse del’impact des migrants sur le niveau et les types d’offre de travail des autochtones, via les modificationsde rémunérations qu’ils induisent.

Il faut noter cependant qu’un travail de ce type a d’autant plus d’intérêt qu’on ne se contente pas deconsidérer la population autochtone comme un tout. En effet, les différents segments de la populationactive autochtones n’ont pas les mêmes marges de manoeuvre face aux décisions d’offre de travail.Cette différence dans les marges de manoeuvre s’ajoute aux différences dans le niveau et les formes deconcurrence avec les immigrants. On sait en effet qu’aujourd’hui encore la flexion d’activité est faiblechez les hommes adultes de trente à cinquante ans. C’est ce même groupe au sein duquel lesqualifications respectives des agents sont le plus nettement définies, d’où une rigidité plus forte deschoix professionnels, et où les emplois du secteur primaire sont le plus largement représentés. Si

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l’immigration induit des changements dans les choix d’activité, ce serait plutôt aux deux extrêmes de lapopulation, chez les jeunes et les plus âgés, ainsi que chez les femmes. Il serait utile d’analyser lecomportement spécifique de ces groupes en le croisant avec la qualification.L’avantage d’une première approche reprenant directement les travaux déjà faits sur lescomportements d’activité est qu’on devrait pouvoir la mettre en oeuvre rapidement. Nous avonscependant noté qu’elle présente des insuffisances. En particulier, les simultanéités inhérentes à ladétermination conjointe de l’offre et de la demande effective sur les marchés du travail ne sont pas bienprises en compte. Ceci conduit à la deuxième étape du programme de travail. Celle-ci consisterait, àl’instar de Greenwood et Hunt (1995), à développer une modélisation intégrée. Celle-ci reposerait sur unmodèle à équations simultanées, regroupant des équations d’offre et de demande de travail ainsi que deséquations relatives au comportement sur les marchés des biens.Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur du travail. En effet, pour obtenir des résultats de bonnequalité, il faut éviter de faire un travail spécifiquement et uniquement orienté par l’analyse del’immigration. Les comportements de flexion d’activité, les choix de formation comme les migrationsinternes sont des arbitrages économiques généraux. Pour connaître l’effet des immigrants sur cesarbitrages, il faut disposer d’une bonne modélisation d’ensemble. Pour être plus précis, si l’on veutpréciser comment la population autochtone réagit par les migrations internes à la présenced’immigrants, il faut avant tout un bon modèle de migrations internes. 11 faut en second lieu que cemodèle intègre des variables relatives à la présence de migrants ou des variables influencées par cetteprésence. Or, et c’est là la difficulté, nous ne disposons pas forcément de bons modèles de référencepour les phénomènes étudiés. C’est pour la flexion d’activité que la situation est a priori la meilleure. Al’opposé, dans le domaine des migrations, les modèles français sont rares...C’est une des principales motivations du troisième volet du plan de travail. D’une part, il est bon,en particulier dans le domaine des migrations internes, de disposer de modèles plus solides intégrant lesréactions à la présence d’immigrants. D’autre part, ces réactions ne se réduisent sans doute pas au seulcanal des rémunérations ou du chômage. Dans la plupart des analyses migratoires utilisant uneperspective hédonique, la structure sociale locale est une des aménités à prendre en considération. Laprésence d’immigrants est un des éléments définissant cette structure, avec vraisemblablement des effetsrépulsifs vis-à-vis d’une partie de la population autochtone. L’analyse migratoire doit aussi prendre en

compte cet ensemble de déterminants.

Dans le domaine de la migration, ceci conduit à un modèle de décision de migration intégrant desvariables descriptives de l’état des marchés du travail concernés, des paramètres correspondant auxmodifications de la demande de travail pour les catégories d’agents induites par la migration externe etdes variables d’aménités dont celles qui correspondent à la présence d’immigrants. Il s’agirait de ce faitd’une équation réduite incorporant à la fois les interactions directes entre les flux migratoires, les effetsde bouclage par les marchés des biens et services et les effets sur les aménités. Un modèle de ce typedemande à être estimé sur des données individuelles, la migration interne étant définie en référence à undécoupage en zones géographiques pertinentes du point de vue des marchés de l’emploi, sans doute leszones d’emploi. De ce fait, le travail économétrique mobiliserait deux types d’informations statistiques.D’une part, des données individuelles sur les personnes. Afin que ces données puissent servir àl’estimation d’une équation de migration, il est préférable qu’elles incorporent des informations sur lasituation des agents au départ comme à l’arrivée, ce qui désigne plutôt une source d’information commel’échantillon démographique permanent ou l’exploitation salariés des DADS, voire la fusion entre lesdeux. Il faut y joindre une bonne description des localisations au niveau global, qu’on peut obtenir enmobilisant les données issues des recensements et des bases de données locales.

5. L’EFFET DES MIGRANTS SUR DES MARCHES EN CONCURRENCE IMPARFAITE.

5.1 Prendre en compte le caractère imparfait de la concurrence.

Dans tous les modèles utilisés jusqu’à présent, nous avons implicitement supposé que les marchésde l’emploi sur lesquels arrivaient les migrants étaient concurrentiels ou, au moins, que la concurrenceétait une approximation valable. Cette hypothèse est en effet sous-jacente à toute assimilation des

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rémunérations des facteurs à leur productivité marginale, qui joue un rôle central dans l’approche par laproduction développée dans la section 2. Qui plus est, la mobilité du capital souvent invoquée pour ladétermination endogène du stock de capital suppose, sinon la libre entrée sur les marchés, au moins unniveau faible des barrières à l’entrée.

Or, sans doute plus encore que tous les autres marchés, les marchés du travail, en particulier enEurope, sont loin d’être concurrentiels. En quoi la prise en compte du caractère non concurrentielmodifie-t-il les conclusions auxquelles nous sommes parvenus? Pour le préciser, nous allons explorerdeux directions. La première consiste à se déplacer le long du gradient conventionnel allant de laconcurrence parfaite vers le monopole. Le long de ce gradient, nous supposerons que le pouvoir dedécision que permet la concurrence appartient aux entreprises. Dans ce contexte, la question est desavoir comment des entreprises disposant d’un pouvoir de marché vont pouvoir exploiter la présence detravailleurs migrants et les particularités que ceux-ci présentent face à la main d’oeuvre autochtone.La deuxième direction va presque en sens inverse. On ne s’intéresse plus au pouvoir de décision desentreprises mais au contraire aux conséquences de l’obtention par les salariés d’un pouvoir, sinon dedécision, du moins d’intervention. Ce pouvoir est en général lié à une forme d’organisation, notammentsyndicale. La confrontation des employeurs avec des travailleurs organisés conduit à des modèles denégociation. La question posée par l’immigration dans ce contexte est très différente de la précédente.La présence de migrants modifie les formes et niveau de pouvoir respectifs des entreprises et dessalariés organisés. Quelles en sont les conséquences ?

5.2 De la concurrence au monopole.

Passant d’un extrême à l’autre, supposons que le marché local du travail est occupé par une seuleentreprise qui est en position de monopole. Reprenons le modèle à offre de travail rigide de la section2.1, avec toutefois une hypothèse supplémentaire : les autochtones et les migrants n’offrent leur travailque s’ils sont rémunérés au-dessus d’un salaire-plancher égal à y4 pour les premiers. à v,1 pour lesseconds. Quand, comme cela paraît raisonnable, y4 est supérieur à v. on est dans la situation décritesur la figure 3. Les deux graphiques de cette figure correspondent respectivement, à gauche, à lasituation où, après immigration, le monopoleur emploie la totalité de la main d’oeuvre; et, à droite, à lasituation où la demande de travail du monopoleur s’épuise et une partie de la main d’oeuvre disponiblen’est pas employée.

Figure 3: Immigration et monopole

emploi

Comme sur la figure 1, les salaires concurrentiels sont égaux à w0 en l’absence de migrants. Lepouvoir de marché du producteur lui permet de réduire les salaires proposés jusqu’à leur niveauplancher. En l’absence d’immigration, l’entreprise emploie donc la totalité des N autochtones, mais neles rémunère qu’au niveau y4. En la circonstance, l’existence d’un pouvoir de monopole ne joue quesur les salaires et n’a pas d’effets sur l’emploi.

En présence d’immigrants, la courbe d’offre de travail devient EED. Pour un salaire compris entrev et VA, seuls les M immigrants offrent leur travail. Au-delà de y4, les autochtones s’ajoutent auximmigrants. L’effet de la présence de ces derniers dépend de leur nombre et du pouvoir qu’a le

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monopoleur de discriminer ou non par les salaires entre les autochtones et les immigrés. Le pouvoir dediscrimination par les salaires n’a que peu d’importance pour les autochtones tant que les immigrantssont suffisamment peu nombreux pour que l’entreprise épuise la totalité de l’offre de travail disponiblelocalement, situation décrite sur le graphique de gauche de la figure 3. Dans ce cas, les autochtones sonttous employés et rémunérés à leur niveau-plancher. C’est pour les immigrants que les deux situationsdiffèrent. Si l’entreprise ne peut discriminer par les salaires, pour satisfaire sa demande de travail, elleest obligée de rémunérer l’ensemble de sa main d’oeuvre au niveau VA. La situation des immigrants estplus favorable qu’avec un monopoleur discriminant, qui peut se contenter de les rémunérer auniveau Vf. On notera que le pouvoir de discrimination joue sur le seul partage du surplus entre revenusdu capital et revenu du travail des immigrants.

C’est quand les immigrants sont suffisamment nombreux pour que la demande de travail dumonopoleur soit saturée, que la discrimination par les salaires joue un rôle important pour lesautochtones. C’est la situation représentée sur le graphique de droite de la figure 3. L’entrepriseembauche au maximum L personnes sur les M + N disponibles. Il y a donc N + M — L chômeurs1.En l’absence de discrimination par les salaires, les chômeurs peuvent être indifféremment des immigrésou des autochtones. Une préférence systématique à l’embauche des autochtones peut même faire peser lechômage sur les seuls migrants. A l’opposé, si le monopoleur est capable de discriminer par les salaires,il embauche d’abord les immigrants, qu’il rémunère à leur niveau plancher, v. . Puis il complète samain d’oeuvre par les autochtones, qu’il rémunère au niveau v1. Le chômage pèse maintenant sur lesseuls autochtones.

Le modèle ci-dessus est cependant un cas extrême, avec une rigidité totale de l’offre de travail àlaquelle fait face le monopoleur. C’est une situation de monopole extrême. Toute présence deconcurrents (ou d’alternatives, par exemple migratoires) ouvre de possibilités supplémentaires auxsalariés présents dans l’économie. L’usage des ces possibilités supplémentaires se traduit par uneélasticité croissante de l’offre de travail adressée au monopoleur. A la limite, une situation parfaitementconcurrentielle correspond à une offre de travail adressée à chaque entreprise parfaitement élastique,même si cette l’offre globale (adressée à l’ensemble des entreprises) est parfaitement rigide. De ce fait,on peut caractériser le degré de monopole par la plus ou moins grande rigidité de l’offre de travailadressée à l’entreprise.

Intuitivement. l’immigration devrait diminuer l’élasticité de L’offre de travail. En effet, si l’onconsidère que les immigrants ont des salaires-planchers, le salaire qui prévaut sur le marché est pluséloigné de la zone où ils sont susceptibles de retirer leur offre que pour les nationaux. On peut doncraisonnablement faire l’hypothèse que, pour le même niveau de salaire, l’offre de travail des immigrantsest plus rigide que celle des nationaux. Dans ce cas, la croissance de la population des migrants renforcela part dans la main d’oeuvre de ceux dont l’offre est la plus rigide, d’où une diminution de l’élasticitéglobale de l’offre. Ce qui signifie que les migrants renforcent le pouvoir de marché de l’entreprise etdonc sa capacité à extraire des rentes : l’écart relatif entre la productivité et les rémunérations, qui varieen sens de l’élasticité de l’offre de travail, augmente.

En conséquence, le transfert de revenus du travail vers le capital que nous avions signalé dans lasection 2.1 devrait être d’autant plus fort que le pouvoir de monopole de l’entreprise est important. Cen’est pourtant qu’une intuition, qui demanderait une formulation plus rigoureuse, sous forme d’unmodèle complet. Celui-ci n’existe pas et demanderait à être développé. De manière générale, il n’y a riendans la littérature qui porte sur la relation entre immigration et pouvoir de marché des entreprises, quece soit dans le domaine théorique ou empirique. Le travail reste ici à faire.

5.3 Immigration et relations entre employeurs et salariés.

De plus en plus aujourd’hui, l’économie du travail s’oriente vers des modèles de concurrenceimparfaite formalisant les relations entre employeurs et salanés. Deux modèles fréquemment utiliséssont le modèle de salaires d’efficience et le modèle de partage d’une quasi-rente, dont une version

Le terme de chômeur est ici à interpréter au sens large de personne non employée par lentreprisc.

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fréquente est le modèle insider-outsider. Rappelons brièvement ces deux modèles avant de voir commentils permettent d’analyser les conséquences d’un afflux d’immigrants.

Dans le cas du modèle de salaires d’efficience, au niveau de chaque entreprse. il existe au niveaude chaque entreprise une relation entre une relation croissante entre la productivité (l’effort) des salariéset le différentiel de salaire entre l’entreprise et le marché. Dans la version d’Akerloff cette relationprovient d’un processus sociologique de don-contre don. Dans la version de McDonald et Solow, elle estla conséquence d’un aléa moral : pour contrôler l’effort de ses salariés, imparfaitement observable,l’entreprise crée un différentiel entre les salaires qu’elle propose et le marché. Ce différentiel estnécessaire pour que le licenciement suivant l’observation d’un effort insuffisant soit une véritablesanction. Il s’ensuit que chaque entreprise a intérêt à fixer un niveau de rémunération supérieur à celuidu marché. A l’équilibre, ceci conduit nécessairement à du chômage. En effet, dans un contexte oùtoutes les entreprises suivent la même politique de salaires d’efficience, le chômage est nécessaire pourque l’utilité espérée sur le marché du travail soit inférieure à l’utilité attendue d’un salarié actuellementemployé. Dans la version de McDonald et Solow, le chômage est un élément de discipline des salariés.

Dans le cas des modèles de partage d’une quasi-rente, on part du fait que la durabilité des relationsemployeurs-salariés conduit à des acquis spécifiques de part et d’autre qui ne peuvent plus être valorisésailleurs que dans l’entreprise. Un salarié quittant son entreprise pour en rejoindre une autre ne peutavoir dans cette demière qu’une productivité plus faible, même si les deux entreprises sont similaires.Symétriquement, l’entreprise ne peut remplacer les salariés qui travaillent chez elle par des salariésextérieurs qu’au prix d’une perte de productivité. Il en résulte la formation d’une quasi-rente. Dans lesmodèles classiques, le partage de cette quasi-rente est issu d’une négociation entre l’employeur et lestravailleurs organisés, par exemple sous forme d’un syndicat pouvant recourir à l’arme de la grève.Utilisant les instruments de la théorie des jeux coopératifs, la solution de cette négociation esthabituellement présentée comme une issue de Nash.

Comment la présence d’immigrants influence-t-elle les processus décrits ci-dessus ? Il n’y a à maconnaissance aucune contribution dans la littérature permettant d’éclairer directement cette question.Les rares apports portent sur un sujet voisin, celui des effets du commerce international que nous avonsabordé dans la section 3. Dans le cadre d’un modèle de partage de quasi-rente, l’idée est simplel’exposition au commerce international modifie le niveau de la quasi-rente que doivent se partageremployeurs et salariés. Les secteurs soumis à une forte concurrence des importations ont une quasi-rente plus faible. A l’opposé, une forte présence sur le marché des exportations est le signe d’uneproductivité locale élevée et, vraisemblablement, de quasi-rentes importantes. Le processus de partagede ces quasi-rentes fait que les rémunérations des salariés sont d’autant plus importantes que la positionsur les marchés extérieurs est favorable (la quasi-rente à partager est plus élevée). De plus, l’effet de laposition par rapport au commerce extérieur sur les salaires est d’autant plus important que la positiondes salariés (leur niveau de syndicalisation) est forte : la part de la quasi-rente qu’ils captent est plusimportante.

C’est sur ce type de modèle de partage de la quasi-rente que se fondent les analyses de Freeman etKatz (1991) et, plus explicitement encore, Abowd et Lemieux. (1991). Abowd et Lemieux analysentdeux ensemble d’accords décentralisés entre employeurs et syndicats de l’industrie, l’un aux Etats Uniset l’autre au Canada. L’ensemble correspondant aux Etats-Unis comprend 2515 accords conclus entre1959 et 1984 et impliquant 250 couples de partenaires différents. L’ensemble correspondant au Canadacomprend 2258 accords conclus entre 1968 et 1983 et impliquant 299 couples de partenaires différents.Les variables expliquées sont les variations de salaire et d’emploi négociées pendant la période couvertepar l’accord. Le commerce extérieur intervient à travers deux variables explicatives, la variation desexportations en volume et la variation du taux de pénétration des importations du secteur d’activité. Leseffets vont bien dans le sens attendu, dans les deux pays. Des exportations plus faibles et un taux depénétration plus élevé pèsent sur le niveau du salaire négocié.

Les questions que posent l’analyse des effets de l’immigration dans un contexte de relationsorganisées entre employeurs et salariés sont de deux ordres. Il y a d’abord une question préalablegénérale : ces modèles sont-ils bien adaptées à la réalité nationale ? Dit autrement, quelle est lagénéralité des pratiques qu’on peut consïdérer comme relevant des salaires d’efficience ? En quoi les

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modèles de salaires négociés disponibles sont-ils adaptés à la réalité institutionnelle française ? Sur le

premier point, il n’y a actuellement guère de réponse. Sur le deuxième point, la réponse serait plutôt

négative. A ma connaissance, il y a en France peu d’équivalents des conventions décentralisées

négociées en Amérique du Nord entreprise par entreprise entre les responsables de celle-ci et un syndicat

représentatif du personnel. Quand il y a des accords sur des grilles de salaires, ceux-ci relèvent plus de

négociations centralisées dans le cadre des conventions collectives de branches que de négociations

décentralisées. Ce qui ne signifie pas que les mécanismes de pression syndicale et les mécanismes de

type insider-outsider ne jouent pas. Mais, du fait des différences institutionnelles, ils fonctionnent

différemment et les modèles à utiliser devraient tenir compte de ces différences.

Sous ces réserves, la question est de savoir comment, avec ses spécificités, la présence plus ou

moins forte d’immigrants sur le marché de l’emploi modifie les termes de l’organisation des relations

entre employeurs et salariés et, s’il y a lieu, les conditions de la négociation entre les parties. Nous ne le

ferons ici que sommairement. Etant donnée l’absence de littérature sur le sujet, une analyse approfondie

de celui-ci exigerait une recherche dépassant largement le cadre d’un travail de synthèse. Prenons

d’abord l’exemple des modèles de salaires d’efficience. En reprenant le modèle de tire-au-flanc de

McDonald et Solow, dans une version simple où les salariés sont neutres face au risque, les salaires

versés par l’entreprise doivent respecter la contrainte d’incitation suivante:

w — e (1— p)w + p(ub + (1 — u)w)

où w est le salaire, e est le coût de l’effort, p est la probabilité qu’un salarié ne fournissant pas l’effort

requis soit licencié, u est la probabilité qu’un salarié licencié retrouve un emploi en cas de licenciement

et b est le niveau d’indemnisation du chômage. Cette contrainte se simplifie sous la forme

pu(w—h)e

ce qui signifie que la perte attendue du fait de la menace de licenciement est au moins égale au coût de

l’effort. L’équilibre du marché résulte de la maximisation du profit des entreprises sous la contrainte

(46). Comme, quand celle-ci est active, tous les salariés acceptent l’effort, la demande de travail est

donnée par la courbe de productivité marginale : w = F’ (L). D’où, pour une population active de N

personnes,

(46)

p(l - L/N)(F’(L) - b) e

Un afflux d’immigrants peut dans ce contexte avoir deux types d’effets. D’une part, il peut

modifier les conditions d’équilibre du marché et donc les taux de salaire et de chômage qui en résultent.

On montre facilement en dérivant (46) que, quand la productivité marginale est décroissante,

du (1 — u)2 F”(L) dw — (i — u)(F’(L) — b)F”(L)et

— (F’(L)-b)-LF”(L) <

Plus d’immigrants entraîne une baisse des rémunérations qui conduit, pour maintenir le niveau

d’incitation, à une hausse du taux de chômage. D’autre part, les immigrants peuvent différer des

autochtones par le coût de l’effort e et par la plus ou moins grande capacité à détecter cet effort. Très

sommairement, car ici on ne tient pas compte des conséquences de l’hétérogénéité de la population, si la

présence d’immigrants diminue le coût moyen de l’effort ou augmente la probabilité de détection d’un

tire-au-flanc, la nécessité de l’incitation devient moins forte et le taux de chômage diminue.

Prenons ensuite l’exemple d’un modèle de négociation. Dans une des formulations les plus

classiques, un employeur et un syndicat de salariés se partagent la quasi-rente générée par l’entreprise

suivant la règle de Nash

w = arg max(w—

W)(ir(w)—

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où p est d’autant plus élevé que le pouvoir de négociation des salariés est fort, W et sont les gains

respectifs des salariés et de l’employeur en cas d’échec des négociations. C’est principalement à traversl’un ou l’autre de ces trois termes que la présence d’immigrants peut avoir une influence sur le niveaude salaire. Les immigrants peuvent modifier le pouvoir de négociation du syndicat de salariés. Ilspeuvent surtout modifier les alternatives disponibles pour les salariés et les employeurs.

Les gains W des salariés en cas d’échec des négociations sont conditionnés en particulier par l’état

des marchés de l’emploi. Si la concurrence des immigrants, les autres facteurs de production n’étant

guère reproductibles, conduit à une baisse du niveau des salaires à l’embauche sur le marché du travail

ou à une réduction du taux de sortie du chômage, W diminue et fait donc baisser le salaire négocié w.

De même, parmi les facteurs influençant les gains de l’employeur en cas d’échec des négociations, on

trouve la mobilité du capital et la possibilité de recourir à une autre main d’oeuvre que celle avec

laquelle il négocie. Rappelons que, si le capital est faiblement reproductible, l’arrivée d’immigrants a

tendance à déplacer le partage des rémunérations à l’avantage du capital. L’augmentation générale des

rémunérations du capital entraîne une hausse de . D’autre part, si elle peut se concrétiser, la présence

d’un fort contingent de travailleurs immigrés peut rendre plus crédible la menace par les employeurs du

recours à ces derniers en cas d’échec des négociations. Là encore, le modèle prédit une baisse du salaire

négocié.

Il faudrait préciser ces points à partir de la formulation d’un modèle complet. Celle-ci est d’autant

plus nécessaire que, comme on l’a signalé plus haut à propos du travail d’Abowd et Lemieux sur

l’impact du commerce extérieur, le modèle usuel de négociation n’est pas forcément cohérent avec la

réalité française des relations entre employeurs et salariés. De plus, même si l’on disposait d’une

modélisation adéquate, il faudrait analyser de manière spécifique la place qu’occupent les travailleurs

migrants dans le processus des relations employeurs salariés. Par exemple, dans une analyse précise, on

ne peut se contenter d’affirmer, comme on l’a fait plus haut dans une première approche, que la

concurrence des immigrés induit une baisse de salaire ou une réduction des taux de sortie du chômage.

L’effet final de cette concurrence va dépendre du degré de substituabilité entre les immigrés et les

catégories de salariés concernés, non seulement sur le plan teclmique, mais aussi sur le plan social ; et

donc du degré de discrimination prévalant sur le marché de l’emploi. Les rares informations disponibles

sur les salaires et les taux de chômage témoignent du fait qu’il n’est pas nul.

5.4 Quelques propositions de travail

Plus encore que dans les autres domaines, pour l’analyse des effets de l’immigration dans un

contexte non concurrentiel, il est nécessaire d’avancer autant dans le domaine théorique que dans le

domaine appliqué. On peut cependant envisager quelques investigations empiriques permettant de

débroussailler le terrain, en particulier une analyse des différences de réaction de l’emploi et des salaires

en fonction du degré de monopole prévalant localement etlou de la nature des relations entre employeurs

et salariés.

Le principe serait similaire à celui qu’ont adopté Freeman et Katz. On partirait d’une équation de

salaire du même type que la relation (24), où le taux de salaire est fonction de la combinaison

productive utilisée, la contribution des immigrants étant représentée par la part des emplois. Un contexte

non concurrentiel conduisant à des arbitrages entre niveaux de rémunération et niveaux d’emploi, on

complète l’équation de salaire par une équation d’emploi de forme similaire. Enfin, pour faire apparaître

les conséquences d’un degré de monopole ou d’un type de relations entre employeurs et salariés, il faut

utiliser des variables représentatives de l’un et de l’autre. S’il y a suffisamment d’observations

disponibles, on ventilera l’échantillon en sous-groupes aussi homogènes que possible et on estimera une

équation de salaire et une équation d’emploi pour chaque sous-groupe. Il suffira alors de comparer les

sous-groupes entre eux. Si les observations sont trop peu nombreuses, on introduira les variables

représentatives du degré de monopole et du type de relations employeurs-salariés parmi les variables

explicatives des équations à estimer.

On opérerait sur une sélection de secteurs d’activité. Ceux-ci seraient choisis en fonction de leur

importance et de la place qu’y occupe la main d’oeuvre étrangère. On utiliserait à cette fin les

statistiques du recensement etlou les déclarations annuelles de données sociales. Une phase préalable du

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travail viserait, pour chacun de ces secteurs d’activité, à éliminer les zones d’emploi où ils sont très peureprésentés et, pour les autres, à caractériser la structure concurrentielle et le type de relations entreemployeurs et salariés du secteur sur chacun des marchés locaux.

Pour ce qui est de la structure concurrentielle, les travaux faits dans ce domaine par l’économieindustrielle fournissent une liste classique d’indicateurs. Les plus standards sont les indicateurs deconcentrationldispersion. Ceux-ci mesurent l’importance relative des établissements les plusimportants indices de Gini, d’Herfindahl, de Theil, part cumulée des quatre plus grandsétablissements,... Cependant, ces indicateurs statiques ne rendent pas compte de la pression exercée parles nouveaux entrants et par Les entreprises en développement. Or, cette pression est une dimensionimportante de la concurrence. 11 serait utile de disposer d’indicateurs dynamiques permettant d’en rendrecompte. Les plus classiques sont les taux de création et de suppression d’établissements ainsi que la partde l’emploi ou de la valeur ajoutée qui a ‘changé de mains’ du fait de la création et du développementd’établissements d’une part et d’autre part du fait des établissements disparus ou en déclin. Deuxsources statistiques peuvent servir pour ce travail : de manière privilégiée, le répertoire Sirene et lesfichiers de démographie des entreprises qui en sont issus ; à défaut, on peut rapprocher les fichiers Dadsde plusieurs années successives.

11 est plus délicat d’obtenir des indicateurs caractéristiques des relations entre employeurs etsalariés. Pour l’analyse des effets du commerce international, Freeman et Katz (1991) utilisent des tauxde syndicalisation par secteurs d’activité. Je ne suis pas sûr qu’en France ces variables puissent êtreobtenues à des niveaux fins. De plus, on peut s’interroger sur la portée de taux de syndicalisation dansle contexte français caractérisé par la faiblesse générale du niveau de syndicalisation.

Cependant, la difficulté la plus importante avec l’approche proposée ci-dessus est que, en l’absencede fondements théoriques précis, sa validité reste limitée. La relation de salaire (24) a été obtenue dansun contexte de concurrence parfaite et son adaptation à un contexte de concurrence imparfaite ne faitpas vraiment l’objet d’une dérivation rigoureuse. Ce serait encore plus vrai si, au lieu d’une équationréduite de salaire, on se proposait d’utiliser une équation de demande de facteurs de type (23). Dans lesdeux cas, on n’a pas précisé les conséquences du fait que les entreprises ne sont plus des price-takerspurs.

En conséquence, si une première approche empirique est utile à la fois pour disposer d’unepremière série de faits stylisés et pour lever temporairement la contrainte induite par l’absence ou lesfaiblesses de la théorie, elle doit être menée parallèlement à un investissement théorique. Du côté del’analyse des conséquences du pouvoir de marché des entreprises, il faut procéder en deux étapes. Dansun premier temps, il faut développer le modèle de monopole présenté en 5.2 avec une offre de travailpartiellement élastique en reprenant les méthodes de la théorie de la production utilisées en 2.2 et 2.3.Cette analyse du comportement monopolistique sert de brique de base pour l’étape suivante, toutéquilibre de concurrence imparfaite pouvant être analysé comme la coordination entre des monopolespartiels.

Dans un deuxième temps, il faudra développer des modèles complets d’équilibre en concurrenceimparfaite. En effet, la principale faiblesse d’un modèle de monopole est qu’il relève d’une analysed’équilibre partiel. La manière dont l’offre de travail adressée individuellement à une entreprise estdéterminée par les comportements des employeurs concurrents n’est pas explicitée. Pour tirer desconclusions générales sur la détermination de l’emploi et des salaires, il faut essayer de passer à unmodèle global. Le modèle le plus adapté dans cette optique est sans doute le modèles de concurrenceoligopolistique dont un exemple répandu et facile à utiliser est le modèle de Salop. Il s’agit d’une modèlesymétrique où chaque employeur dispose d’un pouvoir de monopole sur la main d’oeuvre dont lescaractéristiques lui sont les plus proches. L’intensité de la concurrence y est inversement reliée au degréde différenciation, qui se comporte de manière analogue à un coût de transport.

On peut associer à chaque catégorie de main d’oeuvre un espace de différenciation circulaire. Lecomportement des entreprises au sein de chacun de ces espaces permet de déteminer la structure de lafonction d’oe de travail adressée à chacun des concurrents. On pourra alors utiliser les résultats del’analyse de monopole pour déterminer les réactions de chaque entreprise et pour déteminer l’équilibre.On verra alors comment évolue cet équilibre sous l’effet de l’augmentation d’une catégorie de

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population. On fera des variantes en fonction des degrés de différenciation internes à chacune descatégories de main d’oeuvre. Pour l’analyse des résultats, on prêtera une attention particulière, commedans la section 2, à l’effet de l’immigration sur les rémunérations et le partage salaires-profits.

L’objectif d’un travail théorique dans ce domaine est de fournir des hypothèses sur lesquellesasseoir le travail empirique. Il faudra donc, après la modélisation empirique, faire un bilan des résultatsqui peuvent servir pour des analyses statistiques et économétriques.

6. LA NON CONSTANCE DES RENDEMENTS D’ECHELLE

6.1 Les rendements d’échelle internes

Dans les analyses faites jusqu’à présent nous avons, implicitement ou explicitement, supposé queles entreprises opéraient à rendements constants. L’hypothèse de rendements constants est acceptable enune première approximation. Mais il est difficile d’en rester là, surtout quand les investigationséconométriques utilisent des données spatialisées, fondées sur des zones de faible taille. Les effetsd’échelle d’un côté, les conséquences de la congestion de l’autre, sont en effet au coeur dufonctionnement de beaucoup d’économies localisées (Jayet, Puig, Thisse, 1996). Il faut donc examineren quoi la non-constance des rendements modifie les résultats auxquels nous sommes parvenus dans lessections précédentes.

Notons tout d’abord deux points. Le premier est que, dans un contexte concurrentiel, les entreprisesne sont guère susceptibles d’opérer dans une zone de rendements croissants sur le plan interne. Ceux-cipoussent en effet à la croissance de la taille des entreprises et donc à la réduction de leur nombre. Lemarché devient imparfaitement, voire non concurrentiel. Les problèmes relèvent alors au moins autantdu caractère non concurrentiel des marchés que des rendements croissants. Dans un contexteconcurrentiel, c’est donc d’abord au cas des rendements décroissants qu’il nous faut nous intéresser. Or,cette situation a été implicitement traitée dans les sections précédentes. En effet, les rendementsdécroissants sont en général la conséquence de la non-reproductibilité d’une partie des facteurs deproduction. Nous les avons donc rencontrés chaque fois que nous avons supposé que l’un des facteurs,par exemple le capital, était fixe. La figure 1 correspond, de fait, à une situation de rendementsdécroissants.

C’est en particulier le cas de la section 2.2, quand nous avons comparé les situations avec et sansmobilité du capital. C’est principalement dans ce dernier cas que l’immigration conduit à uneredistribution des revenus de la rémunération du travail vers la rémunération du capital. De manièregénérale, les rendements décroissants conduisent à la formation d’une rente appropriée par lespropriétaires des facteurs qui sont à la source de cette décroissance. Dans le contexte qui nous occupe, ilpeut s’agir du capital, au moins à court terme, de la terre et des catégories de travailleurs autochtonesnon ou peu substituables à la main d’oeuvre immigrée. L’immigration accroît la rareté relative de cesfacteurs et déplace la distribution des revenus en leur faveur, au détriment des catégories de maind’oeuvre les plus substituables aux travailleurs migrants. La conclusion principale qu’on peut tirer decette observation est que les rendements décroissants exacerbent les conséquences de la migration entermes de redistribution induite des revenus. La croissance des rentes dont bénéficient les facteurs quisont à l’origine des rendements décroissants est plus élevée. La baisse des rémunérations des facteurssubstituables aux travailleurs migrants est plus accentuée.

Pour traiter une situation de rendements croissants sur le plan interne, il nous faut abandonnerl’hypothèse concurrentielle. Chaque entreprise fait maintenant face à une demande individuelle deproduit dont l’élasticité-prix n’est plus nulle. Le plus simple est de supposer que cette demande est

d’élasticité constante, q = Q(p) = p. On peut justifier cette forme fonctionnelle par le fait que le

marché des produits est en concurrence monopolistique, celle-ci prenant la forme de Dixit et Stiglitz.Quant aux rendements croissants, ils sont la conséquence de la présence d’un coût fixe c0 qui s’ajoute à

un coût variable issu d’une fonction de production à rendements constants : C(w) = + qc(w).

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On sait que, faisant face à une fonction de demande individuelle de produit à élasticité constante,l’entreprise prélève une marge proportionnelle aux coûts de production d’autant plus forte quel’élasticité de la demande individuelle est faible

c(w) p c(w)/3—1 /3-I

En conséquence, les profits sont égaux à la fraction 1/13 du revenu global, diminués des coûts fixesNc0 pour N entreprises. Le restant est partagé entre les facteurs de production suivant les mêmes règlesque dans l’environnement classiquement concurrentiel examiné dans la section 2 et en annexe. Cemaintien des modalités de partage entre les facteurs de production est la conséquence du maintien dufonctionnement concurrentiel des marchés de facteurs. De plus, à l’équilibre de long terme avec libreentrée, le nombre d’entreprises étant fixé au niveau qui annule les profits, on retrouve exactement lepartage concurrentiel.

On débouche alors sur des conclusions similaires à celles de la section 2.1 quant à l’impact d’unafflux d’immigrants. En valeur, celui-ci conduit à une baisse des rémunérations des autochtones les plussubstituables par rapport aux immigrants et à une hausse des rémunérations des facteurs les pluscomplémentaires ou les moins mobiles. Il faut cependant tenir compte des conséquences de la croissancede la population (et donc du marché) sur la diversité des produits. Si ceux-ci sont principalement àmarché local, une population plus importante conduit à une offre de biens plus diversifiée et augmentepar ce biais le bien-être des consommateurs. C’est un mécanisme souvent décrit dans un contexted’économie urbaine (voir Fujita, 1995).

6.2 Les rendements d’échelle externes

Rappelons que les rendements d’échelle externes sont la conséquence d’effets globaux liés à la tailledu marché qui influencent la productivité des firmes individuelles. Celles-ci continuent à opérer àrendements constants ou décroissants. Le cas le plus fréquemment évoqué de rendements croissantsexternes sont les externalités marshalliennes. Comme le montre Borjas (1995a), on peut illustrerfacilement les conséquences des rendements d’échelle externes à partir d’une variante du graphique 1 oula fonction de demande de facteur de chaque entreprise individuelle se déplace sous l’effet de lavariation de la taille du marché (figure 4).

Figure 4 : Immigration et salaires avec rendements croissants externes

w1w0

o pyr

Sous l’effet des rendements croissants externes, la demande inverse de travail se déplace de ABvers A ‘C. Il en résulte une pression à la hausse du niveau de salaire à offre de travail donnée qui va ensens opposé de l’effet de l’augmentation quantitative de l’offre de travail. Dans le cas de la figure 4, lepremier effet domine le second et les salaires croissent. En sens opposé, si les rendements externesétaient décroissants, la demande inverse de travail de chacune des firmes se déplacerait vers le bas et labaisse des rémunérations du travail serait encore plus accentuée.

En reprenant le contexte de la section 2.1, la demande de travail est issue d’une fonction deproduction F(L) = E(L)G(L) où L est la quantité de travail utilisée et E(L) est le montant de

l’externalité globale reçue par chaque entreprise individuelle. Le salaire concurrentiel w est égal à la

A

C

emploi

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productivité du travail en tant que facteur de production privé, soit w = E(L)G’(L) F’(L) car lesproducteurs individuels négligent l’externalité qu’ils reçoivent. En conséquence, l’accroissement del’offre de travail de L = N à L = N + M suite à l’arrivée deM immigrants induit une variation dessalaires approximativement égale à:

ME(N)G”(N) + ME’(N)G’(N)

Le premier terme du membre de droite est l’effet habituel induit par la modification de la productivité dutravail en tant que facteur privé. Sur la figure 4, il correspond au déplacement le long de la courbe dedemande inverse de travail Avec des rendements décroissants sur ce dernier (G” < O), il est négatif. Lesecond terme est la conséquence de la modification de l’extemalité. Sur la figure 4, il correspond audéplacement vers le haut de l’ensemble de la courbe de demande inverse de travail. Son signe dépend decelui de E’(N), c’est à dire de la nature, croissante ou décroissante, des rendements externes. Pour quecet effet aille à l’encontre du premier, il faut des rendements externes croissants.

6.3 L’impact des rendements non constants sur l’analyse économétrique.

Dans son principe, la prise en compte de rendements non constants paraît simple. Dans lesfonctions de production usuelles, la présence de rendements constants conduit à des restrictions sur lesparamètres. Par exemple, dans le cas de la fonction translog dont la fonction de coût a été donnée plushaut avec la formule (9) que nous reproduisons ici,

(9) 1nc(w)=a0+a1nw+-Lfl1nw1nwi=1 2

les contraintes suivantes pour que l’hypothèse des rendements constants soit respectée sont

a,=1, Vi, /3=O et Vj, flO

Dans les travaux se référant à une situation de rendements constants, ces contraintes sont soit imposéesdès l’estimation, soit vérifiées a posteriori par un test sur les coefficients estimés. Pour traiter d’unesituation à rendements non constants, il semble suffisant de faire sauter les restrictions sur lescoefficients.

La solution n’est pas forcément si simple. D’une part, on ne traite ainsi que les situations derendements croissants internes, puisqu’on ne tient pas compte de l’impact d’une externalité non prise encompte par l’entreprise dans son programme d’optimisation. D’autre part, pour que l’estimation d’unefonction comme (9) aboutisse à une fonction de production compatible avec un programme demaximisation des profits, il faut que la fonction de production estimée soit concave ou, ce qui revient aumême, la fonction de coût estimée soit convexe. Ce qui exclut le cas des rendements croissants internes.

Pour chacun de ces cas, il faut préciser la nature de la déviation par rapport aux rendementsconstants. Deux exemples permettent de préciser comment procéder. Considérons d’abord la situationde concurrence monopolistique sur le marché des produits présentée à la fin de la section 6.1. On a vuque, les marchés des facteurs restant concurrentiels, les rémunérations de ces derniers restaient égales àleur productivité marginale. Si les rendements croissants sont la conséquence du seul coût fixe e0, ilsuffit de modifier (9) pour introduire ce coût fixe, d’où

ln(c(w)—co)=ao+alnw,+!plnw,lnwj2 i,j=i

les restrictions sur les coefficients étant maintenues. Il suffit de dériver cette formule pour obtenir desfonctions de demande de facteurs et les parts dans les coûts de production hors coût fixe, ingrédients debase des procédures d’estimation.

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Supposons maintenant que les rendements croissants sont la conséquence dune externalitéd’agglomération ou d’urbanisation. On peut, comme Henderson (1988), prendre une externalité

multiplicative donnée par une fonction E(x, r) du vecteur x des volumes de facteurs de production

utilisés par l’ensemble de l’économie locale et d’un vecteur y de paramètres à estimer. Pour unecombinaison donnée de facteurs de production, le volume de produit final est multiplié par le montant del’externalité, ce qui entraîne que le coût de production unitaire est divisé par ce même montant. Enconséquence, (9) est maintenant remplacé par:

(47)

lnc(w, x) a0 — In E(x,y) + a in w + in w, ln w1=1 2

où, comme dans le cas précédent, les restrictions sur les coefficients sont maintenues. Introduire desrendements externes multiplicatifs revient dans ce cas à modifier la constante de la fonction de coût qui,

de a0, devient a0 — in E(x,y). Ce changement a plusieurs conséquences.

D’une part, les fonctions de demande de facteurs et leurs parts dans le coût total de production,obtenues par dérivation de la fonction de coût, sont toujours donnés par (10), qu’on reprend ici

riqc(w) w. w.

w.(wq)s(w)=

qc(w)=a,.+/3.lnw1

En conséquence, les estimations faites par cet intermédiaire sont robustes à la présence derendements externes tant que ceux-ci interviennent multiplicativement. Mais elles ne permettent pas demesurer l’ampleur de ces rendements, qui est un ingrédient essentiel de la mesure des conséquences de lavariation de l’offre de travail induite par l’immigration. Pour cela, il faut passer par une seconde étape,où les estimations portent sur les coûts eux-mêmes, en estimant directement (47) si l’information estdisponible. On peut également procéder comme Henderson (1988) qui estime directement des équations

de parts de facteurs, dans lesquelles la variable expliquée est «w,q) ou «w,q)/q.

D’autre part, si on passe maintenant par des équations de rémunérations des facteurs analoguesà (14), contrairement au cas précédent, ignorer les rendements externes conduit à un biais sur lesrésultats. En effet, avec une externalité multiplicative, la productivité et donc le montant desrémunérations sont multipliés par le montant de l’externalité. Il faut donc introduire cette dernière dansl’équation déterminant les rémunérations de facteurs. Il peut cependant y avoir dans ce cas un problèmed’identification si l’on utilise des données agrégées ou semi-agrégées au niveau d’une zone géographique.En effet, dans ce cas, la fonction de production semi-agrégée et l’externalité utilisent les mêmesvariables explicatives. Une estimation globale est licite, mais elle ne permettra pas de différencierdirectement dans les coefficients estimés ce qui relève de la fonction de production individuelle et ce qui

est attribuable à la présence de l’externalité. Ce problème d’identification n’est pas gênant tant que leseul objectif des estimations est de mesurer un effet global.

En conclusion, la prise en compte de rendements non constants nécessite surtout une adaptation desmodèles utilisés pour l’estimation des fonctions de production. Plutôt que de relâcher les contraintes surles paramètres qu’impliquent les rendements croissants, cette adaptation consisterait à formuler la naturedes phénomènes à l’origine de rendements non constants et à les introduire explicitement dans laformulation de la fonction de production utilisée pour dériver les équations estimées. Les besoins en

données ne seront que peu modifiés. Pour l’essentiel, on sera conduit à calculer des agrégats par zones

géographiques si ces derniers ne sont pas déjà disponibles pour les estimations conventionnelles.

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7. LES CONSEQUENCES SUR LE FONCTIONNEMENT DU SYSTEME PUBLIC

7.1 Introduction

Nous regrouperons dans cette section les conséquences de l’immigration qui sont liées aux activi

tés économiques de l’Etat et des organismes para-étatiques. Très grossièrement, outre ses activités

traditionnelles de régulation, le système public a deux grands domaines d’intervention qui nous inté

ressent ici. Le premier est la fourniture de biens et services publics, en particulier les infrastructures.

Le second est la redistribution des revenus et la fourniture d’une couverture sociale. Comme le rappel

lent dans leurs articles récapitulatifs Greenwood et McDowell (1986), Greenwood (1994) et Boijas

(1994), l’arrivée d’immigrants modifie les conditions de fonctionnement de ces deux domaines d’in

tervention. Les nouveaux arrivants contribuent au financement des biens et services publics en même

temps qu’ils modifient les besoins en dotations de ces mêmes biens. Ils cotisent aux organismes de

sécurité sociale et d’assurance-chômage en même temps qu’ils en bénéficient.

La question qui vient immédiatement à l’esprit est celle de l’équilibre entre les bénéfices que les

immigrants retirent du fonctionnement du système public et la contribution qu’ils y apportent. C’est ce

que fait Borjas (1994) pour constater que, au moins pour les programmes publics dont les ressources

sont bien identifiables, la contribution des immigrants est supérieure à ce qu’ils en retirent. Cepen

dant, il n’est pas sûr que ce soit la bonne question. Comparer la contribution des immigrants avec ce

qu’ils reçoivent revient en effet à considérer que la contribution est ou devrait être utilisée seulement

pour financer les coûts attribuables aux immigrants. C’est négliger le fait que, au-delà de ce qu’ils

payent et ce qu’ils reçoivent, les immigrants peuvent modifier les conditions globales de fonctionnement du système. C’est donc bien une perspective globale qu’il faut adopter.

Dans les deux sections qui suivent, nous examinerons séparément les problèmes posés par l’im

pact sur le financement et la fourniture des biens et services publics et par les conséquences sur les

systèmes de protection sociale et de solidarité nationale. Les développements resteront théoriques

pour l’essentiel. Il y a à cela deux raisons. La première est que les études empiriques disponibles sont

très peu nombreuses. La deuxième, plus importante, et que les résultats de ces études ne sont pas

transférables. Les différences entre les systèmes institutionnels et les mécanismes de protection so

ciale sont trop fortes entre deux pays comme la France et les Etats-Unis pour que les résultats obtenussur ce dernier pays soient transférables de ce côté de l’Atlantique.

7.2 La production de biens et services publics

Rappelons tout d’abord que la fourniture d’un bien public pur est Paréto-optimale quand, conformément à la règle de Samuelson, le coût marginal de fourniture du bien est égal à bénéfice marginalsocial

(48) c’z)= TMsjz)

où TAIS, (z) est le taux marginal de substitution de l’agent j entre la monnaie et une unité supplémen

taire de bien public quand ce dernier est disponible en quantité Z. Dans la pratique, on peut sans doutedifficilement considérer que la condition de Samuelson est satisfaite, la quantité fournie différant dela quantité optimale définie par (48). 11 est cependant utile de s’interroger sur ce qu’il se produitd’abord dans un contexte d’efficacité économique avant d’analyser l’impact de l’immigration en présence de distorsions.

Si, sous l’effet de l’immigration, la population passe de N à N + M , au niveau initial de bien

public, le bénéfice marginal social devient supérieur au coût marginal social. Dans les conditions

usuelles (coût marginal non décroissant et taux marginal de substitution décroissants), pour rétablir

l’équilibre on peut fournir une quantité plus élevée de Z avec des contributions individuelles plus fai

bles. L’effet conjoint de ces modifications est sans ambiguïté sur le bien être des agents initialement

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présents, qui augmente. On retrouve un résultat classique : toute augmentation de population est po

tentiellement bénéfique pour la foumiture d’un bien public pur.

Il faut cependant noter que le caractère potentiellement bénéfique de l’augmentation de popula

tion ne se traduit pas forcément, pour les autochtones, par une amélioration effective. En effet, la re

lation de Samuelson ne définit pas un optimum unique, mais un ensemble d’optima, chacun d’entre

eux correspondant à une répartition particulière des prélèvements destinés à financer la production du

bien public et à un point particulier de la frontière Paréto-optimale des niveaux d’utilité des membresde la population. En termes plus concrets, les choix de fourniture des biens publics sont indissociables

des questions de redistribution au sein de la collectivité. En conséquence, l’influence qu’exerce l’arrivée d’immigrants sur le bien-être des autochtones dépend fortement de la répartition des contributionsfiscales entre les agents et des règles qui les gouvernent.

De ce point de vue, le fait que les immigrants appartiennent majoritairement à des groupes ayantune faible capacité fiscale et une forte demande de services publics est susceptible d’atténuer fortement, voire d’inverser le caractère potentiellement positif d’une augmentation de population. Supposons à l’extrême qu’il ait une catégorie de population entièrement exemptée de toute contributionfiscale et que tous les immigrants s’intègrent à cette catégorie. La relation (48) peut être utilisée pourdéterminer des optima de Paréto sur les seuls contributeurs, puis pour déterminer des optima pourl’ensemble de la population, non-contributeurs compris. Il est bien connu que les deux catégoriesd’optima divergent et que, plus la population des non-contributeurs est importante, plus la divergenceest forte. En conséquence, toute augmentation de la population des non-contributeurs devrait se traduire par une dégradation de la situation des contributeurs.

Un autre point, qui n’est pas abordé par les études actuellement disponibles, est lié à l’interactionentre les modifications de la distribution de revenus induite par l’immigration et le fonctionnement dusystème public. Nous avons vu dans la section 2 que l’impact du premier ordre de l’arrivéed’immigrants était une modification de la distribution des revenus, y compris entre les détenteursautochtones de facteurs de production. Les facteurs de production les plus substituables à la maind’oeuvre immigrée, en général les catégories de main d’oeuvre les moins qualifiées, voient leurs rémunérations diminuer. L’inverse se produit pour les facteurs de production complémentaires quandleur offre est faiblement élastique. Cette modification de la distribution des revenus induit une modification, tant des capacités contributives que du bénéfice social des services publics fournis. Sil’immigration conduit à un affaiblissement des revenus salariaux des moins qualifiés, la fourniture deservices publics devrait peser plus fortement sur les catégories plus qualifiées.

Cependant, un des facteurs les plus importants, voire le plus important, allant à l’encontre desbénéfices potentiels de l’immigration sur la capacité de fourniture de biens publics est la présenced’effets de congestion. Réinterprétons Z dans (48) comme un niveau de service fourni par un équipement public. Il y a effet de congestion quand le coût de production de ce niveau de service est unefonction croissante de la population desservie, la relation de Samuelson devenant maintenant

(49) c’(z,N)=rMs(z)

où c(z,N) et c’(z,N) sont des fonctions croissantes de N. L’effet de congestion est d’autant plus

important que cette croissance est rapide. L’augmentation de population conduit à une dégradation duniveau de service dont bénéficient les habitants ou à une fiscalité en hausse pour couvrir les coûts decongestion.

C’est au niveau local que les effets de congestion sont susceptibles de se manifester de la manière laplus nette. En effet, beaucoup d’équipements et de services publics sont fournis localement, par lescollectivités territoriales et par les services décentralisés de l’Etat. Dans le premier cas, ils sont financés sur la base de la fiscalité locale et c’est donc à cette échelle géographique qu’il faut mesurer leseffets de congestion. Ce point est d’autant plus important que les immigrants sont concentrés dansl’espace. Même si la congestion ne se manifeste guère au niveau general, elle peut être importante au

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niveau local et y renforcer le déséquilibre entre des besoins importants en services publics et des assiettes fiscales faibles.

La conjonction de la concentration géographique de l’immigration et du caractère localisé de lafourniture des biens et services publics a d’autres conséquences importantes. Il est en effet bien connuque, à l’intérieur d’une agglomération, les mécanismes du marché foncier sont une force de ségrégation spatiale (pour une synthèse sur ce point, voir Fujita, 1989). Chaque logement, chaque zone del’espace, est caractérisé par un ensemble d’attributs qui déterminent les niveaux d’utilité que les différentes catégories d’habitants en tirent. Au niveau d’une agglomération, avec un marché foncier etimmobilier suffisamment unifié, les attributs qui caractérisent un environnement déterminent la disposition à payer de chaque catégorie sociale pour cet environnement. Les catégories sociales qui s’ylocalisent de manière prédominante sont les catégories sociales pour lesquelles cette disposition àpayer est la plus élevée1.L’espace est, en soi, facteur de ségrégation, chaque catégorie sociale tendantà se localiser dans les zones de l’agglomération dont elle valorise le plus (ou dévalorise le moins) lesattributs.

Ce mécanisme de ségrégation involontaire peut être doublement renforcé, d’une part par des mécanismes de ségrégation volontaire et d’autre part par des formes de gestion urbaine. Les mécanismesde ségrégation volontaire dans un contexte urbain ont été étudiés par des auteurs comme RoseAckerman (1977). On en trouvera une bonne synthèse dans Fujita (1977). Le refus de la cohabitationde certaines catégories sociales avec d’autres catégories sociales est transcrite sur le marché foncierpar une modification des rentes foncières et accentue les phénomènes de ségrégation. Quant aux formes de gestion urbaines, elles sont le plus souvent liées à l’existence, au sein d’une même agglomération, de plusieurs collectivités. En France, en raison de la finesse du découpage communal, c’est larègle2. Quand plusieurs collectivités locales se partagent une même population et que celle-ci estmobile au sein de l’agglomération, un mécanisme de « vote par les pieds», bien décrit par Tiebout(1956), se met en place. Les agents réagissent aux différences de fiscalité, de niveau de fourniture desservices publics et de prix du logement entre communes en choisissant le compromis qui leur est leplus favorable. Les communes réagissent au comportement de la population par le choix d’un compromis particulier entre fiscalité et niveau des services fournis, la première finançant les seconds etl’ensemble influençant les prix fonciers par un mécanisme de capitalisation.

Cet ensemble de stratégies renforce la ségrégation et les inégalités au sein des agglomérations parle biais des mécanismes fiscaux. Les communes disposant de bases fiscales importantes parcequ’accueillant une population aux revenus élevés peuvent élever le niveau de leurs services publics oubaisser leur pression fiscale. Ces avantages sont capitalisés dans les prix fonciers, plus élevésqu’ailleurs, d’où une barrière à l’arrivée de classes sociales défavorisées. Ces communes attirent desclasses sociales aux revenus élevés, ce qui leur permet de maintenir le niveau élevé de leurs basesfiscales. Les mêmes mécanismes jouent en sens opposé pour les communes disposant de faibles basesfiscales. La nécessité de fixer un niveau élevé de pression fiscale pour maintenir un niveau convenable de services publics conduit à un cercle vicieux, car les populations à revenus élevées ne peuventêtre attirées.

Les développements qui précèdent relèvent d’analyses beaucoup plus générales que celles del’immigration. Mais l’immigration joue certainement un rôle important dans les phénomènes analysés, dont plusieurs sont au centre des débats contemporains sur l’exclusion et ses conséquences pourla société française. Cela tient à deux caractéristiques importantes de l’immigration, déjà signaléesplus haut. La première est d’être, au moins dans la période actuelle, massivement une entrée de popu

Ou, ce qui revient au même, la moins faible. Si des ménages riches ne se localisent pas dans un environnementdégradé, c’est bien parce qu’ils ne sont pas prêts à payer pour cette dégradation. Il ne faut pas confondre capacité à payer et disposition à payer.

Une unité urbaine comme celle de Lille comprend une soixantaine de communes

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lations peu ou faiblement qualifiées3,contribuant ainsi à renouveler le stock des groupes sociaux les

plus sensibles aux mécanismes de ségrégation. La deuxième est d’être très inégalement répartie dans

l’espace, avec une tendance à se concentrer dans quelques zones géographiques. De ce fait, même un

flux globalement faible peut avoir localement des effets importants.

En conséquence, on peut difficilement lancer un programme de recherches sur les effets écono

miques de l’immigration sans se pencher sur sa participation aux processus de ségrégation urbaine et

d’exclusion et leurs conséquences sur la gestion des villes. Dans quelle mesure et sous quelle forme

l’immigration contribue-t-elle à la congestion de certains services publics ‘? A quel degré les migrants

sont-ils atteints par les processus de ségrégation active et passive ? Les conséquences économiques del’immigration sur la situation économique d’une partie des autochtones sont-elles, au moins, en partieresponsables de leur précarisation ? L’analyse des effets de l’immigration doit ici puiser dans les dé

veloppements récents de l’économie urbaine et de l’économie publique locale.

7.3 L’impact sur les systèmes de protection sociale

Quel que soit le système de protection sociale analysé, chômage, maladie, famille ou vieillesse,l’effet de l’immigration est le résultat de la combinaison des effets respectifs sur les cotisations d’unepart et d’autre part sur les prestations versées.

Il faut noter que l’effet sur les cotisations ne saurait se réduire à la seule contribution des immigrants aux ressources du régime de protection sociale concerné. En effet, dans la mesure où elle affecte la situation des autochtones, l’immigration a des conséquences sur leur pouvoir contributif auxrégimes de protection sociale. Imaginons par exemple que la demande nationale de travail soit parfaitement inélastique. Les immigrés ne peuvent donc trouver d’emploi qu’en mettant des autochtones auchômage et, en l’absence d’effets sur les rémunérations, les ressources des régimes de protection sociale sont inchangées. Il n’empêche que ceux des immigrants qui ont été embauchés cotisent à cesrégimes à la place des autochtones. Mesurer la contribution des immigrants au financement de cessystèmes en regardant ces seules cotisations conduit à une surévaluation forte. En sens opposé, sil’économie locale fonctionnement à rendements croissants et que l’arrivée d’immigrants permetd’augmenter la productivité et les rémunérations des autochtones, les cotisations des immigrantssous-estiment leur contribution aux régimes de protection sociale.

Cet argument est pratiquement ignoré par les rares études dont on dispose, qui se contentent defaire une balance comptable entre les cotisations et les prestations, comme c’est par exemple le casdes résultats dont fait état Borjas (1994) dans son article de synthèse. Si cependant, dans un premiertemps, on se concentre sur ce seul aspect de la question, pour chaque régime particulier les élémentsdéterminants seront la capacité contributive des immigrants d’une part et d’autre part la fréquence etéventuellement la gravité des situations ouvrant droit aux prestations. Deux facteurs vont jouer unrôle déterminant. Le premier est la situation démographique des migrants. Le deuxième est leur facteur d’exposition au risque.

La prise en compte de ces deux facteurs ouvre la voie à des calculs de type actuariel. Si l’on parvient à une connaissance suffisante des situations d’emploi et des rémunérations des immigrants, onpeut utiliser les paramètres qui gouvernent chaque régime de protection sociale pour estimer leurcontribution à ce régime. De l’autre côté, il faut mesurer leur exposition au risque. Celle-ci combine,au moins dans un premier temps, la connaissance d’une pyramide des âges et la détermination desrisques spécifique à chaque tranche d’âge, complétée ensuite par une analyse plus fine des facteursautres que l’âge influençant ce risque.

A titre d’exemple, et sans faire dans ce document un quelconque calcul, on peut noter que, dansles années soixante et soixante-dix, les flux d’immigrants comprenaient une proportion très élevée

Il semble que, pour la France, cela ait toujours été le cas. Notre pays diffère ici des Etat-Unis où, dans des périodes comme l’immédiat après-guerre, l’immigration étant surtout d’origine européenne avec une part importante des niveaux de qualification élevés.

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d’hommes célibataires d’âge intermédiaire ou ayant laissé sur place leur famille. Même si leur capaci

té contributive était faible en raison du niveau très bas de leurs rémunérations, l’âge et la situation

familiale de ces immigrants les plaçaient dans les segments de population peu soumis au risque de

maladie et peu susceptibles de bénéficier de prestations familiales. L’évolution des migrations depuis

cette période, avec une forte restriction des entrées et le maintien de certaines possibilités pour le

regroupement familial a certainement fait changer cette situation. La structure démographique devient

plus facteur de dépenses que de recettes. Il est même possible que les politiques de l’immigration, qui

limitent d’abord l’entrée de contributeurs potentiels moins susceptibles que d’autres de figurer parmi

les bénéficiaires ait eu des effets pervers sur les régimes de protection sociale.

De manière générale, les observateurs américains notent des évolutions fortes des immigrantsquant à leurs modalités de participation aux programmes d’aide sociale. C’est ainsi que, d’après Borjas, « en 1970, 6,7 pour cent des ménages bénéficiaires avaient un chef de ménage immigrant ; en

conséquence, ces derniers étaient légèrement sous-représentés parmi les bénéficiaires. En 1990, lasituation a radicalement changé 10,4 pour cent des bénéficiaires avaient un chef de ménage immigré,les immigrants étant maintenant largement surreprésentés parmi les bénéficiaires4»(Borjas, 1994).On retrouverait sans doute, mais ceci reste à démontrer, des évolutions similaires dans les autres pays.Les changements dans la composition de l’immigration, signalés plus haut, et dans la répartition despays d’origine en seraient en grande partie responsables.

7.4 Quels travaux faire?

Avant de se pencher plus précisément sur les travaux à proposer, il faut éclaircir un préalableméthodologique. Comme dans les autres domaines, il y a deux démarches différentes pour analyserl’impact de l’immigration sur le fonctionnement des services publics et sur les systèmes de protectionsociale. La première démarche s’efforce de mesurer l’ensemble de ce qui est attribuable à la population des immigrants. Dans le cas d’un régime de protection sociale, ceci conduit à mesurer l’ensembledes cotisations de la population des immigrants et l’ensemble des prestations dont ils ont été bénéficiaires. Dans le cas des biens publics, cela revient à mesurer l’ensemble des impôts nets des transfertssociaux qu’ils payent et à évaluer l’ensemble des biens et services publics dont ils bénéficient.

La seconde démarche raisonne en variante. Elle part d’une situation de référence, par exemple lasituation actuelle. Elle s’interroge sur les effets d’une modification des flux ou des stocksd’immigrants, dont la nature et l’ampleur ont été fixées au préalable. Dans le cas d’un régime de protection sociale, cela revient à mesurer le niveau de variation, tant des cotisations que des prestations.Dans le cas des biens publics, cela conduit à évaluer la modification des impôts nets des transfertsainsi que les conséquences sur le volume des biens et services publics fournis.

Cette démarche est très nettement préférable à la précédente, pour de multiples raisons. En premier lieu, pour attribuer des contributions et des bénéfices à une sous-population, il faut la délimiteret l’identifier. On sait que dans les deux cas, les difficultés sont grandes et les risques d’arbitraireimportants. Comment considérer les personnes d’origine étrangère présentes depuis plus de dix anssur le territoire, voire plus de 20 ans ? Comment repérer l’ensemble des étrangers dans les sourcesd’information ? Travailler sur des variantes permet d’éliminer une partie de ces difficultés.

En second lieu, il est difficile dans la première approche de fournir une mesure objective des effets de Fimmigration sur la situation économique d’autres agents affectés par celle-ci. Déterminer lapart du niveau des salaires attribuable à l’immigration n’a pas de sens. Déterminer, en variante, l’effetsur les salaires d’une variation de l’immigration a un sens. De plus, dans un domaine qui relève largement de l’économie publique, la difficulté est renforcée par le caractère public (au sens samuelsonien) de la consommation ou de la production. On ne peut répartir entre ses usagers la consommation

« In 1970, 6.7 percent of welfare households had an immigrant head, so that immigrants were slightly underrepresented among welfare households. By 1990, the situation had changed dramatically 10.4 percent of welfare households had a foreign-bom head, so that immigrants were suhstantially over-represented among welfarehouseholds. »

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d’un bien dont l’usage est non rival. Là encore, le travail en variante avec un calcul de bénéfice social

induit par une modification des conditions économiques a plus de sens. Cette difficulté est encore

renforcée par l’importance, soulignée plus haut, de l’intégration dans l’analyse des effets indirects de

l’immigration liés à l’interaction entre canaux, par exemple la modification des cotisations induite par

les changements de répartition des rémunérations. Seules des analyses en variante permettent de dé

terminer effectivement comment ces canaux opèrent.

Enfin, c’est le plus souvent par des variantes que se traduisent le plus directement les questions

posées dans un contexte de politique économique. Se demander quelles peuvent être les conséquences

d’une politique déterminée, visant à restreindre ou faciliter l’immigration, conduit à construire une

variante autour de cette politique et à en étudier les effets.

On privilégiera donc la définition de variantes et la mesure d’effets marginaux. C’est sans doute

pour l’analyse des systèmes de protection sociale que le travail est le plus facile. Il faut, pour chaque

variante, déterminer l’effet des modifications socio-économiques sur les déterminants du système

assiette des cotisations des différentes catégories de participants, évolution du type de risque et du

niveau des risques. Comme on l’a mentionné à la section précédente, un travail de nature actuarielle

est ici possible. Il suppose une bonne connaissance des structures de fonctionnement de chaque ré

gime et des paramètres qui le gouvernent.

La situation est plus délicate du côté des biens et services publics. On a souligné l’importance

pour une mesure économique pertinente d’une bonne connaissance des effets de congestion et, de

manière générale, de l’importance des effets d’échelle associés aux infrastructures et biens publics

fournis. Or, cette question est encore largement en débat chez les économistes, non sur le principe,

mais sur la manière de mesurer et sur la qualité des mesures déjà obtenues. C’est dire qu’une mesure

des effets de l’immigration sur le fonctionnement économique des biens publics, en particulier des

infrastructures devra utiliser un domaine encore mouvant, ce qui risque de la faire déborder de son

cadre d’étude.

Un autre point à souligner est l’importance de la dimension géographique dans ce type de tra

vaux. Cela ne tient pas seulement aux inégalités de répartition spatiale de la population immigrée.

C’est aussi la conséquence de l’importance de la dimension locale dans l’usage de beaucoup de biens

et services publics. Celle-ci relève à la fois de l’usage (la distance à un équipement public est un freinimportant à la possibilité d’en bénéficier) et du mode de fourniture (financement et production parune collectivité locale). C’est dire que les méthodes et les modèles de l’économie publique localedoivent ici être mobilisés. Ils ont d’ailleurs été mis à contribution dans la section 7.2 pour la présentation des problèmes de ségrégation urbaine.

Avancer sur ces questions de ségrégation urbaine est à la fois essentiel et extrêmement délicat.

Essentiel car l’implication, même involontaire, des populations immigrées dans ces processus de sé

grégation en est une dimension importante. Les difficultés de gestion urbaine qu’entraîne le dévelop

pement de ces ségrégations sont un point très sensible aujourd’hui. Il y a un besoin patent d’analyses,dans un domaine qui reste très mouvant chez les économistes, ceux-ci ne l’ayant investi que récemment. C’est la difficulté de l’opération. Il faut à la fois progresser dans la connaissance des mécanismes auxquels participe la population immigrée et dans l’analyse des modes de participation des immigrés à ces mécanismes. C’est dire que l’on risque à chaque fois d’aller très au-delà de l’objet de larecherche.

Il y a cependant un point sur lequel des avancées empiriques sont possibles, c’est un travail surles prix fonciers et immobiliers. On a signalé plus haut l’importance des mécanismes des marchés

fonciers et immobiliers dans les processus d’organisation de la ville. Ces marchés capitalisent les

externalités, dont celles que génère la composition sociale des quartiers, résultat de la ségrégation. Ils

sont un des instruments de cette ségrégation, à travers les différences de capacité à enchérir pour des

types de logement déterminés. Faire une évaluation économétrique de ces capacités à enchérir permet

de mieux connaître l’intensité des processus de ségrégation et leurs facteurs les plus déterminants. Or,

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on commence à disposer de données dans ce domaine et des tentatives d’utilisation sont en cours. On

devrait pouvoir en bénéficier pour les orienter ou en exploiter les résultats.

8. CONCLUSION.

Sur ces bases, comment organiser un programme de recherches? Insistons au préalable sur deuxpoints. Le premier a déjà été développé en 2.5 : pour envisager un travail empirique, il faut disposerde sources d’information adéquates. Le problème n’est pas trivial pour l’immigration, dans un paysoù il existe des obstacles culturels et juridiques à la caractérisation des individus en utilisant des critères comme la nationalité d’origine (et plus encore celle des parents). Il faut pourtant qu’il soit attaquéde front si l’on veut disposer de sources d’informations propres et cohérentes, bien adaptées au travailempirique. En second lieu, il faut essayer de faire jouer au maximum les synergies possibles entre lesrecherches faites dans le même domaine par d’autres pays. Cela passe d’abord par la comparabilitédes méthodes, permettant dans la mesure du possible (car les spécificités nationales sont difficilementcontoumables) de préserver la comparabilité des résultats. Il ne faut donc pas chercher à innover radicalement. Il est préférable de reprendre les méthodologies utilisées à l’extérieur en leur apportant lesaméliorations qui paraissent nécessaires. Peut-être serait-il possible de se coordonner avec quelquesunes des principales personnalités qui ont été impliquées dans ces travaux. L’une d’entre elles séjourne régulièrement en France (John Abowd). Une autre est connue de l’auteur de ces lignes (GarvHunt). Deux autres travaillent dans des pays voisins (Klaus Zimmerman en Allemagne et UlrichKohli en Suisse).

Pour le travail proprement dit, il y deux grandes possibilités pour l’organiser. La première voieconsiste à partir de la formulation d’un modèle complet, intégrant l’ensemble des effets transitant parles différents marchés : effets sur l’offre et la demande de travail, effets transitant par le marché desbiens, effets liés aux échanges extérieurs, effets sur les migrations internes et la structure de la maind’oeuvre. La formulation de ce modèle se fonderait, pour chacun des points, sur les problématiquesprésentées dans ce rapport. On chercherait ensuite à mobiliser les statistiques disponibles pour estimerle modèle. Il s’agit d’une voie ambitieuse qui présente un risque non négligeable de ne pas aboutir.On peut noter qu’aucun des programmes lancés à l’étranger sur ce thème ne l’a choisie.

La deuxième voie, plus pragmatique, consiste à avancer progressivement. Il faut alors mettre despriorités, identifier les questions qui seront abordées en premier, identifier dans quels domaines descalculs de coin de table comme ceux de Borjas (1995a) permettent déjà de dégrossir les questions.Une progression raisonnable consisterait à partir de l’estimation de modèles de demande de travailintégrant la main d’oeuvre immigrée, en reprenant dans leurs grandes lignes les suggestions faitesen 2.5. Puis on intègrerait les conséquences de la variation de l’offre de travail, en donnant la prioritéaux deux premiers points de la sous-section 4.5. Dans le cas où les observations utilisées seraient denature géographique, les équations d’offre de travail intégreraient les conséquences des migrationsinternes, sans cependant chercher à formuler un modèle complet dans ce domaine même si, commeon l’a signalé en 4.5, il serait bon d’y parvenir in fine. L’étape suivante intégrerait les effets sur lemarché des biens et le râle des échanges extérieurs. Ce serait donc au tour des propositions de 3.4d’être mises en oeuvre. Dans ce domaine, j’aurais tendance à laisser de côté les mesures de contenusen facteurs, dont les résultats sont trop partiels, sauf si une exploration préliminaire montre qu’ellespeuvent être mises en oeuvre rapidement. J’aurais tendance à privilégier une approche développantcelles de Kohli et Kuhn et Wooton, plus proches méthodologiquement des autres analyses et plusriches en résultats.

L’avantage de cette démarche est qu’elle permet d’obtenir rapidement une première série de résultats et de consolider progressivement. Il ne faut cependant pas cacher les inconvénients d’une méthode qui, au moins dans ses premières étapes, ne peut fournir que des résultats partiels. Les effets del’immigration affectent simultanément plusieurs marchés. Ils relèvent donc d’une analyse d’équilibregénéral. En conséquence, chaque étape peut remettre en cause les résultats auxquels sont parvenuesles étapes précédentes. Ce danger est visible dans le déroulement des études américaines. Les premières datent du début des années 1980. Deux articles récapitulatifs ont été publiés par le Journal of Eco

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nomic Literature à huit ans d’intervalle celui de Greenwood et McDowell en 1986, celui de Borjas

en 1994. Et pourtant, on reste dans l’incertitude sur quelques résultats essentiels. Certes, comme on

l’a vu plus haut, en règle générale, les analyses n’ont pas mis en évidence d’effet important sur les

salaires. Mais des doutes subsistent du fait que tous les canaux n’ont pas été pris en compte.

Il reste un dernier point à aborder avant de clore ce rapport. Parce qu’il fait la synthèse de travaux

publiés pour l’essentiel dans les dix dernières années, ce rapport porte sur l’analyse des migrations du

passé récent et des migrations actuelles. Ceci se retrouve dans la nature des questions posées, au

premier chef l’importance de l’impact sur les rémunérations et l’emploi des moins qualifiés. Ceci se

retrouve également dans les approches utilisées. Celles-ci reposent implicitement sur un excès d’offre

de main d’oeuvre immigrante (du point de vue de la population autochtone). De ce point de vue, mal

gré les divergences de contexte économique, les questions posées sont similaires en France et auxEtats-Unis.

C’est donc plutôt vers l’analyse des migrations actuelles que les propositions de travail faitesdans ce rapport sont orientées. L’analyse de ces migrations est nécessaire. Nous disposons dans notrepays de trop peu d’éléments objectifs mobilisables dans le débat social. Rappelons cependant que laquestion posée par la DARES dans son appel d’offre de juin portait également sur l’avenir. Si, àl’horizon d’une quinzaine d’année, on voit apparaître des pénuries de main d’oeuvre sur certains

segments du marché du travail, le rôle des migrations s’en trouvera fortement changé par rapport à cequ’il est aujourd’hui.

Des problèmes qui ne se posent pas actuellement resurgiront. Par exemple si, compte tenu du parallélisme des évolutions démographiques dans la plupart des pays développés, la pénurie de maind’oeuvre autochtone est générale, la main d’oeuvre étrangère disponible pour combler ces pénuriesrisque de se raréfier. Il y aura concurrence sur le ‘marché de l’immigration’ alors que la situationactuelle est plutôt un excès d’offre. La question du comportement de l’offre sur ce marché prendraalors de l’importance, alors qu’elle ne se pose pas aujourd’hui. Anticiper ces nouveaux problèmesexige une réflexion complémentaire.

ANNEXE : METHODES DE BASE POUR LANALYSE DE LA DEMANDE DE TRAVAIL

Considérons un processus productif représenté par une fonction de production q = F(x) où q est

la quantité produite et x = est le vecteur des quantités utilisées des I facteurs de production,

qu’on supposera parfaitement divisibles. Le prix p du produit et le vecteur des prix

des facteurs sont donnés.

Conformément aux enseignements de la théorie duale, on sait que pour analyser les choix concurrentiels optimaux de l’entreprise, il est équivalent de maximiser sa recette pF(x) et donc sa produc

tion à coût donné ou de minimiser son coût de production le volume de production étant

donné. La fonction duale de la fonction de production est la fonction de coût définie par

C(w,q)= minx.F(x)q i1

La connaissance des fonctions de coût permet de détenniner directement les demandes conditionnel

les de facteurs de production x. = (w,q) en utilisant le lemme de Shephard

(w,q) = D1C(w,q)

On utilise ici la notation 131f pour désigner la dérivée de la fonctionf par rapport à son i-ième argument. Nous utiliserons systématiquement cette notation par la suite.

La quasi-totalité des études fait l’hypothèse que la fonction de production de l’économie étudiée

est à rendements constants. Dans ce cas, on a F(9) = 1, où 9= (9 est le vecteur des coef

ficients techniques ( =x/q). Les coefficients techniques choisis par l’entreprise dépendent du seul

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coût des facteurs (9 = 8 (w)). Le coût de production est proportionnel à la quantité produite,

C(w,q) = qc(w) où c(w) est le coût unitaire de production. Les fonctions de demande de facteur

s’écrivent sous la forme 4 (w,q) = qD1c(w) = q& (w).

Dans un contexte micro-économique concurrentiel où, au niveau de chaque entreprise, les prix

sont les variables exogènes et les quantités sont les variables endogènes, on s’interroge sur la réaction

des entreprises à une variation des prix auquel elles font face. On est donc naturellement conduit àutiliser les fonctions d’élasticité-prix. L’élasticité de la demande en facteur de production j au prix dufacteurj est égale à

f . w.D(w,q)sIjI”w,q)=

(w,q)

On notera que, quand les rendements sont constants, cette élasticité ne dépend pas de q et s’écrit plussimplement sous la forme

w.D11c(w)

Dc(w)

Les élasticités-prix de la demande de facteurs renseignent sur la variation de la demande d’unfacteur suite à une variation du vecteur des prix des facteurs. Elles ne donnent cependant pasd’information sur la substitution proprement dite, c’est à dire sur la variation relative des quantités defacteurs utilisées les unes par rapport aux autres. A cette fin, on recourt habituellement à l’élasticitéde substitution d’Allen-Uzawa,

C(w,q)D,1C(w,q) c(w)D,c(w)=

U RC(w,q)DC(w,q) Rc(w)Dc(w)

la deuxième égalité étant valide quand la fonction de production est à rendements constants.L’élasticité de substitution d’Allen-Uzawa est positive quand les facteurs de production i etj sontsubstituables, c’est à dire quand la hausse du prix relatif du facteur j par rapport au facteurj diminuel’intensité relative d’utilisation du facteur j par rapport au facteurj. Elle est négative quand les facteurs sont complémentaires. Quand les rendements sont constants, élasticité-prix et élasticité desubstitution sont reliées l’une à l’autre par l’égalité

w Dc(w) w .D c(w)(Ai) 1(w)= ‘ U

=o1(w) ‘=o1(w)s1(w)

D1c(w) c(w)

wDc(w) w1(w,q)s(w)= =

c(w) C(w,q)

est la part des achats de facteur de production j dans le coût de production global.

La connaissance des élasticités-prix de la demande de facteurs permet d’écrire très simplementl’impact des variations relatives des prix de ces derniers sur leur demande par les entreprises. On a eneffet

d q dq ‘ w. dw dq “ dw.(A2)

car (w,q) = qDc(w) D1 = D1c = /q . On peut coupler les I équations qui en résultent

avec l’équation obtenue en dérivant l’égalité entre le prix et le coût marginal de production

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dp “ wDc(w) dw ‘ dw(A3) p=c(w) —=

P i=1 w1 i1 w,

et on aboutit au système suivant

Ee(A4)

p s Oq

où, pour tout vecteur y, est le vecteur des dérivées logarithmiques des composantes de y, est le

vecteur des demandes de facteurs, w est le vecteur des prix des facteurs, E est la matrice des élastici

tés-prix de la demande, s est le vecteur dont les I composantes sont les parts s. de chacun des facteurs

dans le coût de production total et e est un vecteur dont toutes les composantes sont égales à l’unité.

Dans ce système, les variables explicatives sont les prix des facteurs de production et la quantité de

produit, les variables expliquées sont les demandes de facteurs et le prix du produit. Il est donc adapté

à l’analyse du comportement d’entités productives qui sont en situation concurrentielle sur le marché

des facteurs et en situation de concurrence imparfaite contrainte par les débouchés sur les marchés de

produits.

Cette analyse classique du comportement de la demande de facteurs de production est mal adap

tée à une étude de l’effet des migrations. L’idée que l’embauche de main d’oeuvre immigrée résulte

rait du fonctionnement au niveau international de marchés du travail concurrentiels n’est guère réa

liste. Plutôt que de traiter le travail de la main d’oeuvre immigrée comme un service échangé au ni

veau international, il vaut mieux la traiter comme une modification de la dotation en facteurs de pro

duction de l’économie considérée. Comme le note Grossman (1982), un afflux d’immigrants est alors

un choc exogène sur les quantités dont on cherche à évaluer l’effet sur les salaires. A l’opposé, dans

l’analyse conventionnelle, ce sont les prix qui sont les variables exogènes, dont on cherche à analyser

l’effet sur les quantités utilisées. Cet argument est encore plus fort quand F est une fonction de pro

duction macro-économique. En effet, au niveau micro-économique, ce sont les dotations en facteurs

qui sont les variables exogènes et les prix qui sont les variables endogènes.

On est alors conduit à s’intéresser à la réaction du système productif à des augmentations exogè

nes des quantités de facteurs de production disponibles. U est à noter que, dans le cas standard d’une

fonction de production concave, ces augmentations ne peuvent que bénéficier aux détenteurs des fac

teurs de production déjà installés avant que se produise l’augmentation. En effet, reprenons la démar

che des équations (1) à (3) en faisant varier les dotations en facteurs de production d’une petite

quantité dx, chacune des composantes du vecteur dx étant positive ou nulle. Un développement de

Taylor au second ordre nous donne:

dq=(DF(x))dx+(dx)(D2F(x))Ix÷O(dx3)

et

Dw=(dx)(D2F(x))tO(dx2)

où DF(x) et D2F(x) sont respectivement le vecteur des dérivées premières et la matrice des déri

vées secondes de F(x) . En injectant la deuxième expression dans la première, on obtient

(M) dq=(w+Dw)dx_-(Dw)dx+O(dx3)=(w÷Dw)1dx_(dx)(D2F(x))Lv+O(dx3)

Le premier terme du membre de droite est le supplément de production qui échoit aux facteurs de

production qui sont entrés dans l’économie. Le deuxième terme,

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S(dx)=—- (Dw)’dx=—- (dx)(D2F(x))1x

est donc le surplus net dont bénéficient les facteurs de production anciennement installés. Avec unefonction de production concave, ce surplus net est toujours positif. En conséquence, comme on l’avaitsouligné plus haut, l’augmentation de la dotation en facteur de productions ne peut nuire globalementaux facteurs de production déjà installés. On notera cependant que, avec une fonction de production àrendements constants, pour qu’il y ait effectivement un surplus positif, il faut que les dotations relati‘es en facteurs de production soient modifiées. Supposons que la dotation en facteurs de production

croisse proportionnellement. Dans ce cas, on a dx=x.dq et le surplus net devient

S(dx)=(Dw)’x.dq=O

d’après l’identité d’Euler. En effet, un changement proportionnel des dotations en facteur de production ne modifie ni la combinaison productive, ni les rémunérations de facteurs. Les propriétaires desnouveaux facteurs de production récupèrent alors l’intégralité du supplément de production qu’ilsgénèrent.

L’existence d’un surplus strictement positif pour les facteurs de production déjà installés ne peutdonc provenir que d’une modification des dotations relatives, les facteurs de production entrant dansl’économie n’ayant pas la même composition que les facteurs de production déjà présents. Le surplusest d’autant plus important que la modification est forte. On rejoint, dans un cadre général, la réflexion de Borjas (1995a). Mais toute modification de la combinaison productive induit des modifications de la rémunération des facteurs de production qui, avec une fonction de production concave,ne peuvent aller dans le même sens. Il y donc, a priori, des perdants et des gagnants.

Pour les déterminer, il nous faut reprendre la démarche qui a conduit aux équations (Ai) à (A4),mais en partant maintenant des fonctions de demande inverse,

w(x,p)=w1

qui donnent le prix pour lequel la demande en facteur j est égal à x. A l’équilibre, chaque facteur deproduction étant rémunéré à sa productivité marginale en valeur, on a

w, =a(x,p)pD1F(x)

L’effet d’une modification exogène de la quantité de facteur de production j sur le prix du facteurj estmesuré par l’élasticité de la demande inverse en facteur j par rapport à la quantité de facteurj,

xDF(x)

RF(x)

Comme précédemment, l’élasticité-prix de la demande inverse ne renseigne pas directement surles variations des prix relatifs w/w induites par une variation des quantités relatives utilisées, x,/x,A cette fin, on utilise l’élasticité de complémentarité de Hicks

— F(x)D1F(x)

- F(x)D1F(x)

L’élasticité de complémentarité de Hicks est positive quand les deux facteurs de production sontcomplémentaires au sens où une variation des quantités relatives utilisées induit une variation demême sens des prix relatifs. Elle est négative quand ils sont substituables. De même que les élasticités-prix et de substitution sont liées, les élasticités-quantité et les élasticités de complémentarité lesont. On démontre en effet aisément la relation suivante, valide quand les rendements sont constants

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x .D F(x)(A6) 171(x)=Ç(x)

F(x)=Ç(x)s(x)

où s. est, comme plus haut, la part du facteurj dans le coût de production total (égal à la recette

quand les rendements sont constants).

Comme plus haut avec les élasticités-prix mais dans la direction opposée, la connaissance des

élasticités-quantité permet d’évaluer les conséquences d’une modification du vecteur des quantités de

facteur utilisées sur le vecteur des prix que les entreprises sont prêtes à payer. En effet, en dérivant

logarithmiquement la fonction w, (x,p) , on aboutit à:

dw. p dp ‘ x1 dx. dp ‘ dx.(A7)

(i) CO P j1 w x. p X.

Couplées avec l’équation d’Euler qui implique que la somme des élasticités-quantités est nulle

i =0), les relations (A7) ont deux conséquences. D’une part, si tous les facteurs de produc

tion varient proportionnellement (dx/x1 indépendant dej), on a dw1/w=dp/p. Dans ce cas,

seules des variations de prix du produit peuvent donc induire des variations, toutes proportionnelles,

de la rémunération des facteurs de production. Comme on l’a souligné plus haut, il n’y a dans ce cas

aucun changement dans la quantité de produit obtenue par chaque unité de facteur de production et

seule une modification du prix du produit peut modifier leur rémunération. D’autre part, on a

T7,(D p j..1j-I xf p

En l’absence de variations de prix, il y a nécessairement des gagnants et des perdants, une partie desfacteurs de production voyant leur rémunération baisser tandis que la rémunération des autres augmente.

Aux I expressions (A7), on joint l’égalité résultant de la dérivation par rapport aux mêmes variables

explicatives de l’égalité entre prix et coût marginal de production

dq ‘ xDFdr.(A8) q=F(x)

q q x

ce qui conduit au système d’équations suivant

o3 He(A9) =

( s, 0

où W est le vecteur des dispositions à payer chacun des I facteurs de production, x est le vecteur desquantités utilisées de ces mêmes facteurs et H est la matrice des élasticités-quantités. Dans ce système, l’entreprise est rationnée au niveau de la disponibilité de facteurs de production et intervientconcurrentiellement sur le marché du produit.

Il n’y a pas de relation logique obligatoire entre complémentarité ou substituabilité aux sens deHicks et de Allen-Uzawa. Deux facteurs de production substituables au sens de Allen et Uzawa peuvent être aussi bien substituables que complémentaires au sens de Hicks, même si le premier cas estplus fréquent que le second. Kohli (1991) démontre l’égalité suivante

(AlO)

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e Z e diag(s) ez= s=

e’O e O e O

et est la matrice des élasticités de substitution d’Allen-Uzawa, Z est la matrice des effets de com

plémentarité de Hicks, s est le vecteur dont les f composantes sont les parts s, de chacun des facteurs

dans le coût de production total et e est un vecteur dont toutes les composantes sont égales à l’unité.

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N’ S Origine sociale et destinée scolaire. L ‘inégalité des chances devant l’enseignement à travers lesenquêtes FQP 1970. 1977, 1985 et 1993, par D. Goux (I\SEE) et Fric Niaurin (DARESc Décembre 199i

N’ 6 Perception et vécu des professions en relation avec la clientèle par Sahine Guvot et Valérie Pezet (Institutpour I amélioration des conditions de travaib, Décembre 199-i

N’ 7 Collectifs, conflits et coopération dans l’entreprise, par Thornas Coutrot (DARES), Février 1995.

N’ S Comparaison entre les établissements des PME des grandes entreprises à partir de l’enquêteRÉPONSE, par Anna Malan (DARES) et Patrick ZOLARY (ISMA), Septembre 1996.

N’ 9 Le passage à une assiette valeur ajoutée pour les cotisations sociales: une approche sur donnéesd’entreprises, par Gilbert Cette et Élisabeth Kremp (Banque de Fiance) Novembre 1996.

N° 10 Les rythmes de travail. par Nlichel Cézarcl et Lydie Vink (DARES), Décembre [996rn

N” 11 Le programme d’entretien auprès des 900 000 chômeurs de longue durée - Bilan d’évaluation, parMarie Ruault et René-Paul Arlandis (DARES), Mars 1997.

N’ 12 Créations et suppressions d’emplois etflux de main-d euvre dans les établissements de 50 salariéset plus, par Marianne Chambain et Ferhat Mihouhi (DARES), Avril 1997.

N’ 13 Quel est l’impact du commerce extérieur sur la productivité et l’emploi? Une anali’se comparée descas de la France, de lAllemagne et des États-Unis, par Olivier Cortes et Sébastien Jean (CEPII) Niai 199v

N’ 14 Bilan statistique de la formation professionnelle en 1995-1996 - 1)ARES. NIai 1997.

N’ 15 Les bas salaires en France 1983-1997 par Pierre Concialdi (IRES) et Sophie Ponthieux (DARES), Octobre1997

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15 L ‘opinion des Français face au chômage dans les années 80-90, p1r lacques Capde lr’lic e) \i’1clcFaugeres ( CEVII’OF ). jan ier 1995

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