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Actes du GERPISA n°24 7 HYBRIDATION ET MODELE PRODUCTIF: GEOGRAPHIE, HISTOIRE ET THEORIE Robert BOYER LA PRODUCTION FRUGALE VA-T-ELLE CONQUERIR LE MONDE ? Le décloisonnement des marchés nationaux, l’impact des marchés financiers sur le mode de gouvernement des firmes, la généralisation de critères de gestion centrés sur l’optimisation du profit, l’apparition chronique de surcapacités dans nombre de secteurs industriels, les potentialités ouvertes par le mariage des technologies de l’information et des télécommunications, autant de facteurs qui ont largement diffusé l’idée que seules les firmes de classe mondiale qui se situent à la frontière technologique pourront survivre au renforcement de la concurrence qui s’est ainsi manifesté, encore exacerbé par les déréglementations et privatisations. Par ailleurs, l’épuisement des sources de productivité associées à la production de masse a clairement fait ressortir la nécessité d’organisations industrielles alternatives. D’abord supposées assez spécifiquement japonaises, elles sont apparues de plus en plus comme incorporant un nouveau principe de gestion rationnelle, susceptible de transcender les différences culturelles et sociales entre l’est et l’ouest, le nord et le sud, le monde capitaliste et celui qui émerge de l’effondrement de l’Union Soviétique. C’est dans ce contexte que prend tout son relief l’hypothèse avancée par J.P. Womack, D.T. Jones, D. Roos (1990: 4ème de couverture): l’inéluctable domination de la production frugale comme modèle productif quasi-exclusif du XXIème siècle. (This is) « a manufacturing system that results in a better, more cost-efficient product, higher productivity, and greater customer loyalty. The hallmarks of lean production are team work, communication, and efficient use of resources. All the results are remarquable: cars with one-third the defects, built in half the factory space, using half the man-hours. « The Machine that Changed the World » explains what lean production is, how it really works, and -as it inevitably spreads beyond the auto industry- its significant global impact. ». Une vision qui vient de loin Même si les dispositifs productifs sont apparemment aux antipodes des méthodes de la production de masse qui avaient fait la fortune des grandes firmes américaines, il est frappant de noter

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Actes du GERPISA n°24 7

HYBRIDATION ET MODELE PRODUCTIF:

GEOGRAPHIE, HISTOIRE ET THEORIE

Robert BOYER

LA PRODUCTION FRUGALE VA-T-ELLECONQUERIR LE MONDE ?

Le décloisonnement des marchés nationaux,l’impact des marchés financiers sur le mode degouvernement des firmes, la généralisation decritères de gestion centrés sur l’optimisation duprofit, l’apparition chronique de surcapacités dansnombre de secteurs industriels, les potentialitésouvertes par le mariage des technologies del’information et des télécommunications, autant defacteurs qui ont largement diffusé l’idée que seulesles firmes de classe mondiale qui se situent à lafrontière technologique pourront survivre aurenforcement de la concurrence qui s’est ainsimanifesté, encore exacerbé par les déréglementationset privatisations. Par ailleurs, l’épuisement dessources de productivité associées à la production demasse a clairement fait ressortir la nécessitéd’organisations industrielles alternatives. D’abordsupposées assez spécifiquement japonaises, ellessont apparues de plus en plus comme incorporant unnouveau principe de gestion rationnelle, susceptiblede transcender les différences culturelles et socialesentre l’est et l’ouest, le nord et le sud, le monde

capitaliste et celui qui émerge de l’effondrement del’Union Soviétique.

C’est dans ce contexte que prend tout son reliefl’hypothèse avancée par J.P. Womack, D.T. Jones,D. Roos (1990: 4ème de couverture): l’inéluctabledomination de la production frugale comme modèleproductif quasi-exclusif du XXIème siècle. (This is)« a manufacturing system that results in a better,more cost-efficient product, higher productivity,and greater customer loyalty. The hallmarks of leanproduction are team work, communication, andefficient use of resources. All the results areremarquable: cars with one-third the defects, built inhalf the factory space, using half the man-hours.« The Machine that Changed the World » explainswhat lean production is, how it really works, and -asit inevitably spreads beyond the auto industry- itssignificant global impact. ».

Une vision qui vient de loinMême si les dispositifs productifs sont

apparemment aux antipodes des méthodes de laproduction de masse qui avaient fait la fortune desgrandes firmes américaines, il est frappant de noter

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une proximité de ton et d’analyse avec la grandetradition de l’organisation scientifique du travail(S.P. Waring 1991) qui, partant de Wensley Taylorpasse par Henry Ford, puis Alfred Sloan pourculminer aujourd’hui vers la figure emblématique deTaiishi Ohno (1989). Ce dernier ne manque pas defaire maintes références élogieuses à la grandetradition occidentale de l’Organisation Scientifiquedu Travail.

En conséquence, à chaque époque historique lesuccès d’une firme tient à sa capacité à mettre enœuvre le modèle rationnel le plus adapté, déduit d’uncalcul rationnel, clairement décrit et rendu accessiblepar ses inventeurs ou les consultants qui en diffusentl’usage. L’incertitude propre à toute entreprise estcomplètement évacuée, le redoutable problème de lasynchronisation des différentes divisions dont secompose la grande firme est à peine mentionné,l’exacerbation de la concurrence qui peut dériver del’application généralisée de ces principes, lecaractère souvent transitoire lié à la rented’innovation associée à un produit, un procédé ouune forme d’organisation, sont totalement sous-estimés. Quant au rôle des gestionnaires, il est alorsréduit à la simple application d’un modèle dont lesprincipes sont accessibles à tous et s’imposent parleur efficacité même.

Certes, ces analyses définissent plus un idéal-typeque la réalité des pratiques et on pourrait en défendrela validité en soulignant qu’elles ne définissent qu’unobjectif, difficile à atteindre car les firmes doiventcomposer avec un environnement social,économique et financier qui s’oppose à la mise enœuvre stricte des principes généraux de la productionfrugale. Mais cette défense est loin d’êtreconvaincante puisque la supériorité absolue de cemodèle devrait finir par vaincre les obstacles, liés àune forme ou une autre d’irrationalité ou d’inertiedans les stratégies des acteurs. Par ailleurs, lesaspects normatifs et analytiques tendent à seconfondre, ce qui n’est pas pour clarifier le statut dela production frugale.

Aussi est-il une tout autre conception du rôle dela firme et de son impact sur l’émergence de modèlesproductifs s’imposant au niveau de l’économie toutentière (Schéma I.1). En effet, la gestion ne serésume pas à la recherche de la solution optimale

d’un programme de production dont tous lesparamètres sont connus, dans un environnementstationnaire aisément maîtrisé par chaque entreprise.Du simple fait que l’une des supériorités de la firmetient à la division du travail qu’elle parvient àorganiser en son sein, se pose en permanence laquestion de la synchronisation des stratégies desdivers départements de production, de conception, devente, de gestion du personnel et de gestionfinancière, dont aucun ne peut atteindre l’optimumde premier rang qui dériverait de la maximisation duprofit global. Simultanément l’environnement de lafirme ne cesse de varier selon des directions qu’ellene parvient jamais à complètement maîtriser ouanticiper. Dans ces conditions, le modèle de gestiond’une firme résulte d’un processus, souvent long etcontradictoire, de mise en cohérence interne etpertinence externe des divers dispositifs techniques,organisationnels et économiques. Du jeu même de laconcurrence, dérivent de nouvelles incertitudes quitantôt surviennent sur les marchés du produit, tantôtconcernent le travail : c’est la fonction d’un modèleproductif que de tenter de surmonter les tensionscorrespondantes grâce à l’établissement de routines àpeu près efficaces et viables à moyen terme.

Selon cette conception, un modèle productifinitialement inventé par une firme qui acquiert ainsiune position dominante, ne fait époque que pourautant qu’il soit capable d’assurer la perpétuation decet avantage ou tout au moins la survie de la firmesur un horizon suffisamment long. Mais comme lesoulignait déjà Joseph Schumpeter, les concurrentsvont tenter de mettre en œuvre ces mêmes percéesorganisationnelles ou technologiques, l’un desvecteurs du succès devenant alors l’aptitude àappliquer sur de nouveaux espaces un modèleproductif dont l’avantage compétitif s’est érodé dansle pays ou la région qui l’a vu émerger. Si l’analysecombine la dimension temporelle (résister à larécurrence des cycles économiques) et spatiale(capacité à exporter vers de nouveaux pays leprincipe de compétitivité), elle aboutit à unedéfinition beaucoup plus riche et réaliste deslinéaments d’un modèle productif. Cela ne fait quemieux ressortir le caractère extrêmement particulierdes conditions qui justifient la vision traditionnelle,héritée de l’organisation scientifique du travail

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Sch .I.1

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Des hypothèses discutables, des conclusionserronées

En effet, le charme des thèses prônant laproduction frugale tient à la conjonction de troispropriétés, qui ont elles-mêmes pour conséquencesd’induire des évolutions éminemment favorables(Schéma I.2).• En premier lieu, ce nouveau modèle productif est

supposé dominer -au sens de la théorie de laproduction- l’ancien comme les modèlesalternatifs, puisqu’il a la propriété d’économisersimultanément le travail, l’espace, les matièrespremières, le capital, l’information, tout enlivrant des produits de qualité supérieure, un plusgrande satisfaction au travail du salarié, unepossibilité de développement pour les pays dutiers monde... au point qu’il faudrait êtrecomplètement irrationnel ou archaïque pourrefuser de le mettre en œuvre. Or l’histoire destechniques comme l’intuition des gestionnairessuggère que rarissimes sont les configurationsproductives qui jouissent de cette propriété.Dans la majorité des cas, la supériorité d’unmodèle n’est que relative au contexte danslequel il opère. Dans la mesure où le système desprix relatifs et la fourniture des servicescollectifs nécessaires à la production industriellediffèrent très largement selon les pays et lesrégions, il n’est plus du tout évident que laproduction frugale représente la seuleconfiguration efficace.

1. En second lieu, la lecture des travaux desconsultants donne l’impression que le succèsd’une firme dépend de l’accumulation desmeilleurs dispositifs organisationnelsconsidérés isolément : telle formule de juste-à-temps, une rémunération en fonction de lacompétence, une gestion intégrée des projets, descercles de qualité, une formation continue de lamain-d’œuvre,.... L’organisation de l’entreprisese définirait alors comme assurant l’optimumoptimorum, à partir de la conjonction dedispositifs réputés les plus efficaces par lesspécialistes de chaque domaine. Pour faireimage, le vainqueur du décathlon devrait êtresimultanément le vainqueur de toutes lesépreuves ! Bien au contraire, l’expérience nousenseigne que le succès vient de l’optimisationentre des qualités partiellement contradictoires(la vitesse contre la résistance, la détente contre

la puissance,...). C’est aussi le cas pour lagestion de la firme qui doit choisir certainesoptions stratégiques et développer enconséquences des outils complémentaires outout au moins compatibles, sans jamais pouvoirpoursuivre une stratégie tous azimuts quisupposerait des compétences partiellementexclusives les unes des autres. En effetfondamentalement, la firme se définit parl’aptitude de ses gestionnaires à coordonnerl’activité et organiser sa croissance en réponse àl’environnement...et ces talents ne sont jamaisuniversels (E. Penrose 1963).

2. Enfin, c’est une grossière simplification que desupposer que le modèle productif est donné unefois pour toutes et qu’il suffit aux gestionnairesde l’appliquer, tout comme l’écolier appliqueraitméticuleusement les règles de la grammairelatine ou grecque pour obtenir la note maximaleen thème. Loin d’être l’équivalent de ladiffusion d’un modèle invariant, l’art de lagestion consiste à adapter la stratégie et danscertains cas l’organisation à des contextesdifférents dans le temps et dans l’espace. C’esten ce sens que certains théoriciens modernesparlent d’apprentissage organisationnel ouencore collectif (C. Argyris 1993). On sepropose même de montrer dans la suite de cetravail qu’il s’agit dans nombre de casd’innovations, initialement conçues commemarginales qui peuvent parfois se cumuler enune trajectoire livrant un nouveau modèleproductif. L’histoire des firmes joue alors unrôle déterminant dans la mesure où elle affecteleur capacité ou leur difficulté à s’emparer denouveaux principes productifs qu’ellesn’auraient pas elles-mêmes inventés.

Ces trois différences ne sont pas sansconséquences. D’un côté la vision d’une « one bestway » implique que le modèle productif optimal estunique, quels que soient le contexte et l’époque, desorte que, sauf obstacle situé hors du champéconomique, donc réputé irrationnel, firmes etnations devraient converger vers desconfigurations analogues, si ce n’est totalementidentiques. De l’autre, la reconnaissance ducaractère relatif de la supériorité productive ouvrela voie à une pluralité de modèles coexistants caradaptés à des contextes variés, au point même quedes trajectoires durablement divergentes peuvent

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caractériser l’évolution des modèles productifs. C’estdans ce second jeu d’hypothèses que prend sens lanotion d’hybridation qui ne désigne plus alors unesimple adaptation ponctuelle aux résistances del’environnement mais un principe de transformation,voire de genèse, des modèles productifs eux-mêmes,au contact de systèmes sociaux et économiquesdifférents de ceux sur lesquels ils ont pris leur essor.

De ce fait, la notion de modèle devient purementanalytique et non plus prescriptive, puisqu’elleentend décrire les objectifs et les moyens que sedonnent les firmes pour répondre à la doubleincertitude du marché des produits et du travail (cf.Schéma 1.1, déjà cité). Le but est de cerner lespratiques dominantes en matière d’organisation de laproduction et non pas de plaider en faveur d’unmodèle canonique réputé supérieur, mais trèslargement embryonnaire.

L’HETEROGENEITE DE L’ESPACE, CREATEUR ETREVELATEUR DE LA DIVERSITE DES MODELESPRODUCTIFS

Il est important d’argumenter plus précisémentsur la validité de ces trois hypothèses alternatives etd’en tirer les conséquences concernant la variété et ladynamique des modèles productifs. Lesdéveloppements qui suivent ont pour point de départtant la littérature managériale, très largement inspiréede la tradition américaine lancée par WensleyTaylor, que les recherches beaucoup plus spécifiquesconsacrées à la transformation des méthodes deproduction dites japonaises à l’occasion del’ouverture d’établissement à l’étranger. Si lestenants de l’organisation scientifique considèrent quele modèle qu’ils proposent est tellement efficacequ’il transcende les différences géographiques, lesspécialistes des transplants insistent au contraire surla multiplicité des transformations qui interviennentlorsqu’on tente d’appliquer des principes, mêmegénéraux, à des espaces qui par nature sont toujourshétérogènes en termes de dotation naturelle,d’organisation économique, de production etreproduction des compétences et bien sûr deconstitution politique.

LA SUPERIORITE D’UN MODELE PRODUCTIFEST EN GENERAL RELATIVE ET DEPEND DEL’ENVIRONNEMENT CONSIDERE

Il est éclairant de se reporter à la naissance de laproduction de masse, lorsqu’Henry Ford inventesimultanément un produit nouveau, la Ford T, ainsique l’organisation productive qui permet de la livrerà un prix beaucoup plus bas que la concurrence. Lemodèle connaît un tel succès aux Etats-Unis que lesdirigeants de Ford envisagent très tôt unetransplantation de l’usine américaine en Angleterre :même produit, même technologie et organisationproductive. Pourtant, le succès ne sera pas au rendez-vous alors même que le constructeur de Détroitimaginait que son produit était tellement novateur etses méthodes si efficaces, qu’il allait révolutionnerles modèles productifs en Angleterre et sur le vieuxcontinent. Une première raison de cet échec tient aufait que le produit extrêmement standardisé necorrespondait pas à la forte stratification du marchéanglais et aux attentes des acheteurs exigeants enmatière d’innovation, de qualité et de différenciation,comme le soulignent Takahiro Fujimoto et StevenTolliday (1998).

Une seconde, non moins importante, a trait auchoix de la même combinaison productive alors quesystème de prix et hiérarchies salariales différententre les Etats-Unis et l’Angleterre (Encadré II.1).C’est là un argument fort classique de la théoriemicroéconomique, mais qui n’est pas sansimportance car parfois oublié par certains analystes.On peut d’abord supposer que l’invention de lachaîne de montage se traduit par un alourdissementdu capital du fait de la mécanisation etsimultanément par une économie en terme de travail,tout particulièrement qualifié. Cette combinaisonpeut s’avérer parfaitement adéquate par référence àun coût du capital faible par rapport au salaire destravailleurs qualifiés. Pour autant, la combinaisonproductive des firmes britanniques n’est pasdirectement affectée par l’irruption de la chaîne demontage, dans la mesure où elle n’est pasimmédiatement transposable, la connaissance de latechnologie par chaque entreprise étant limitée parune exploration purement locale. Une quelconqueavancée dans l’un des modèles productifs n’est pasdirectement applicable à l’autre (J. Stiglitz, A.Atkinson 1969). C’est un second argument quiinsiste sur la dépendance par rapport au chemin desinnovations

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Enc II.1

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Enc II.1 suite

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organisationnelles. Comme de plus, le système desprix demeure différent en Angleterre et aux Etats-Unis, il n’est pas illogique que les firmesbritanniques considèrent comme plus avantageux, etprobablement moins risqué, de continuer à utiliser latechnologie qu’elles maîtrisent de longue date, quiest en accord avec les attentes des acheteurs enmatière de qualité du produit qui elle-même dérivepour une large part de la qualité d’une main-d’œuvreprofessionnelle. C’est souligner l’existence decomplémentarité entre la structuration du marché duproduit, les méthodes de gestion et lescaractéristiques des relations professionnelles. Cetroisième argument plaide aussi en faveur de la nontransférabilité d’un modèle productif d’un espacegéographique à un autre, ou tout au moins desmultiples difficultés que ne manque pas derencontrer une stratégie de pure imitation.

Mais il se peut que le succès de l’Americansystem (D. Hounshell 1964) conduise à développerles techniques de la production de masse beaucoupplus rapidement que celles dites de la production ditetraditionnelle. De ce fait, au-delà d’un certain seuil,il serait rationnel pour les firmes britannique debasculer vers un nouveau système...pour autant quele permette la taille du marché (les rendementscroissants associés à la chaîne de montage ne sontpas pris en compte par l’Encadré II.1) et que lescoûts de transition d’un système à l’autre ne soientpas trop élevés. Mais précisément les techniquesaméricaines sont beaucoup plus difficiles àacclimater à d’autres systèmes de relationsprofessionnelles et méthodes de gestion des firmesque le supposait Henry Ford. En conséquence, lechoix reste ouvert pour les firmes opérant dansl’ancien système : il n’est pas illogique d’essayer dedévelopper la productivité de leur mode opératoireen recherchant des techniques adaptées qui ne sontpas nécessairement la simple copie de celles de laproduction de masse. Il semble d’ailleurs que cetapprofondissement du système britannique ait eulieu, même s’il n’a pas finalement livré des résultatsaussi brillants que la production de masse (W.Lewchuk 1984). En termes plus théoriques, il ressortque la différence en terme de compétences et desystème de prix peut durablement impliquer lacoexistence de systèmes productifs distincts, au-delàde l’apparence d’une domination absolue souventsuggéré par un développement inégal des parts demarché. Il est un autre résultat important : unnouveau système technologique ne suffit pas à

engendrer les formes d’organisation des firmes et lesinstitutions économiques qui seraient nécessaires àson épanouissement au-delà de l’espace socio-économique qui en a permis la naissance. Lasupériorité d’un modèle est toujours contingente,rarement absolue.

Les dispositifs organisationnels et outils degestion sont en général complémentaires

Une objection vient immédiatement à l’esprit :pourquoi les firmes appartenant à un modèleproductif en voie d’obsolescence n’introduiraient-elles pas progressivement les diverses composantesdu nouveau modèle, assurant ainsi une transitionsans heurt d’un régime à un autre ? En effet, à lalecture de nombreux travaux de consultants etd’experts en gestion, on retire l’impression quechacun des dispositifs qu’ils proposent (la qualitétotale, le juste-à-temps, des formules salarialesbasées sur la mesure des compétences, les méthodesde travail en groupe, le développement de la cultured’entreprise,...) peut s’ajouter au précédent et livrerune amélioration de l’efficacité indépendammentmême des dispositifs déjà en vigueur. En termes plusthéoriques, l’analyse marginaliste traditionnelle deschoix de gestion formalise cette décomposabilité deschoix organisationnels (Encadré II.2). La bonnegestion consiste dès lors à cumuler la solutionoptimale dans chacun des domaines de laconception, de la production, de la vente en ignorantleurs interdépendances mutuelles...quitte à oublier lemessage central d’Alfred Sloan (1963) qui voyait aucontraire dans la coordination des procédures et desroutines la tâche essentielle du gestionnaire de lagrande entreprise.

Mais précisément, l’existence d’un nombre réduitde modèles productifs suggère qu’une telle plasticitédes dispositifs de gestion ne s’observe pas dans lalongue période : c’est le renforcement mutuel de cesdispositifs qui assure tant l’efficacité du modèle quesa persistance au court du temps. Les théoricienscontemporains proposent des outils pour comprendrecette complémentarité et interpréter la supériorité dumodèle productif en voie d’émergence fondé sur larapidité de réaction aux signaux du marché,l’amélioration continue de la qualité, la réduction descoûts de changement de modèle et la réduction desséries (P. Milgrom, J. Roberts 1990). Lesformalisations en termes de supermodularitésmontrent que le choix de dispositifs organisationnelsn’est pas continu mais discret, dès lors que le

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rendement d’un outil de gestion dépend de façonpositive ou négative de la présence d’un autre outil(soit complémentaire, soit antagonique). Si cescomplémentarités sont nombreuses et/ou fortes, iln’est plus possible de copier telle composante d’unmodèle réputé supérieur en espérant en obtenir desrésultats favorables. En effet le même dispositif quientre en synergie avec l’ensemble du modèleproductif peut au contraire compromettre l’efficacitéd’un autre modèle productif.

L’adoption de cette seconde hypothèse justifietout à la fois la notion de modèle productif et lapossibilité d’un processus d’hybridation, entenduecomme l’importation de ceux des dispositifs en voied’émergence sur d’autres espaces qui renforcentl’efficacité ou la viabilité du modèle existant et viceversa. Quant à la première hypothèse, elle justifie unemprunt sélectif en fonction des caractéristiqueslocales du marché du produit, du travail et du capital.

La diffusion d’un modèle invariant estl’exception, l’adaptation au contexte la règle

Ainsi, il serait tout à fait irréaliste d’anticiperqu’un modèle productif en voie d’émergence dansune société donnée se diffuse quasi-automatiquementà l’ensemble des autres espaces, du fait de sasupériorité intrinsèque. Il faut que dans chaquesociété il trouve les ingrédients permettant sonimplantation puis sa reproduction et sa croissance.Or ce processus fait problème à plus d’un titre(Schéma II.1).1. Dans la mesure où l’idée d’une globalisation de

la demande (T. Levitt 1983) appartient plus à lafuturologie qu’à la réalité des pratiques desmultinationales, le modèle productif trouvera-t-ilson marché local ou extérieur ? Comme touteinnovation porte aussi sur la différenciation parla qualité, il n’est pas évident que tel produit quia connu le succès, connaisse le même sort dansune société différente. Peut-être la Ford T aurait-elle rencontré une plus forte demande si lasociété britannique avait été moins stratifiéesocialement à l’image des Etats-Unis. Adapter,voire changer le produit, peut-être l’une despremières conditions du succès de l’adaptationdu modèle productif à ce nouvel espace. Demême la demande peut être plus ou moinsrégulière et prévisible selon les espaces, et lechoix du modèle productif dépend pour partie decette caractéristique (M. Aoki 1993, 1995).

2. Tout nouveau système productif suppose unerecomposition de la division du travail. Dès lors,lorsque la firme tente de l’étendre parinvestissement à l’étranger, est-elle sûre detrouver les compétences et les relationsprofessionnelles qui sont impliquées ? Dans lamesure où, dans la société d’accueil cetensemble tend à évoluer en accord avec lemodèle productif en vigueur, une réponsepositive est loin d’être assurée. C’est sans doutela raison pour laquelle la sélection de la main-d’œuvre joue un rôle si important, par exempledans les transplants japonais réputés porteursd’un modèle productif alternatif à la productionde masse (R. Boyer 1994). Mais alors le modèlene peut se généraliser aisément, sans altérationprogressive de la division du travail et desrelations professionnelles. A contrario, sadiffusion peut se trouver bloquée du faitd’opposition des salariés, voire de l’encadrementintermédiaire ou supérieur, dont les intérêtsseraient par trop déstabilisés par l’implantationde ce modèle.

3. De la même façon, la firme innovatrice quidélocalise sa production ne peut prétendrecomplètement maîtriser toutes les phases duprocessus productif : elle doit faire appel à desfirmes sous-traitantes, qui peuvent être soitlocales, soit associées à la maison-mère etdélocalisées dans le même mouvement quel’établissement principal. La société d’accueilest-elle suffisamment riche pour fournir cetingrédient, en un sens nécessaire au succès del’implantation sur le nouvel espace ? Si tel n’estpas le cas, on comprend les dangers que courtl’établissement à l’étranger, privé par exempled’un approvisionnement régulier de composantsde qualité. Pour ne prendre qu’un exempleextrême, un modèle de juste-à-temps n’est pasconcevable dans une société dont les transportssont désorganisés, les relations de propriété mal-définies et l’exécution des contratsproblématique par absence de droit commercialétabli ou de relations de confiance. On comprenddès lors pourquoi rares sont les multinationalesjaponaises qui ont tenté d’établir une usine deproduction en Russie, alors même que leurmodèle productif est potentiellement tout à faitefficace.

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Utilisant un simple calcul combinatoire à partirdes différentes configurations observables, il ressortque l’application directe sans altération aucune dumodèle productif est d’autant plus improbable queles principes du modèle productif sont définis avecprécision et les complémentarités entre dispositifs degestion fortes et nombreuses. Symétriquement,l’échec est le destin le plus probable si lesgestionnaires de la filiale étrangère se bornent àmettre en œuvre une stricte décalcomanie du modèleproductif de la maison-mère. Or l’expérience montrequ’il est des transplantations réussies qui se situentdonc dans la zone intermédiaire que bornent cesdeux cas extrêmes. De fait, dans leur quasi-totalitéles études empiriques, portant par exemple sur lestransplants japonais, font ressortir un ampleprocessus d’adoption/adaptation (T. Abo, 1998) ouencore de différenciation des trajectoires de mise enœuvre du modèle productif de la maison-mère (R.Florida, 1998). La stratégie des gestionnaires lors dela transplantation joue un rôle déterminant dans lesuccès, ou au contraire l’échec, de l’adaptation dumodèle productif.

L’hybridation est donc le cas général, ladiffusion d’un modèle invariant l’exception,constatation qui appelle une série de définitions plusprécises.

L’HYBRIDATION : REFLEXIONS THEORIQUESET METHODOLOGIQUES

Le concept d’hybridation évoque un processus denature évolutionniste, voire biologique et il est loind’être admis dans les recherches en sciencessociales. Il a été déjà introduit par certainschercheurs qui étudient les transplants japonais(T. Abo 1994). En fait l’usage proposé ici est assezspécifique et résulte de l’observation générale queles modèles productifs qui ont fait époque se sontdéclinés selon des formes organisationnelles desfirmes et des institutions nationales relativementdifférentes. De plus, des adaptations au contextelocal initialement considérées comme marginales,ont finalement exercé une influence durable sur latrajectoire des modèles productifs au point de livrer àterme, dans certains cas, une configuration nouvelle,fondamentalement différente de celle qui étaitinitialement visée. La théorie de la supermodularité(P. Milgrom, J. Roberts 1990, déjà cité) permet de

donner un sens précis à ce basculement d’un modèleproductif à un autre.

Mais pour que le phénomène d’hybridationexiste, il faut rejeter deux hypothèses extrêmes(Tableau III.1). En premier lieu, il importe dedistinguer le principe général à l’origine de laviabilité et compétitivité du modèle, desconfigurations qui permettent de les réaliser. Celasuppose que l’on puisse donner des réponsesqualitativement différentes à un même problème,donc que n’existe pas un déterminisme strict desformes d’organisation à partir de la technologie. Ensecond lieu et symétriquement, les contraintesqu’exercent les formes locales d’organisation ne sontpas suffisantes pour justifier l’existence d’autant demodèles productifs que d’espace : si tel était le cas,toute tentative de transplantation d’un espace à unautre serait vouée à l’échec puisqu’il est tout à faitexceptionnel de trouver deux pays ou deux régionsqui ont les mêmes institutions économiques.

De plus, l’établissement d’un nouveau principeproductif sur un espace donné peut rencontrer lesuccès selon deux processus différents. Soit letransplant joue sur l’hétérogénéité des agentséconomiques, et tout particulièrement des salariés,pour sélectionner les individus, en quelque sorte desdéviants, qui seraient susceptibles d’accepter lesrègles du jeu associées au nouveau modèle productifqu’il entend mettre en œuvre (R. Boyer, A. Orléan1992). On peut ainsi aboutir à la coexistence d’uneforme dominante et de quelques enclaves organiséesselon des principes différents, par simpletransposition de modèles de diffusion technologique(J.-M. Dalle 1995). Soit au contraire, la présence decette nouvelle forme d’organisation suscite, par laconcurrence ou le mimétisme, un processusd’apprentissage qui en se généralisant peut affecterl’ensemble des firmes locales dont le modèleproductif se trouve ainsi transformé en fonction desnouveaux principes.

Pour résumer, l’hybridation suppose que neprévaut ni un déterminisme technologique (à toutprincipe correspond une seule forme d’organisation),ni un déterminisme sociétal (pour une sociétédonnée un seul modèle productif est viable) et quepar ailleurs, les effets d’apprentissage l’emportentsur le processus de sélection.

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Entre échec et imitation pure et simpleSur ces bases il est possible de distinguer avec

plus de précision quatre types d’hybridation(Tableau III.2). Tout d’abord l’hybridation estdistincte de l’imitation pure et simple, comme il adéjà été souligné. Par contre le processusd’adaptation au contexte local peut revêtir deuxformes contrastées.1. Soit les entreprises cherchent à mettre en œuvre

les nouveaux principes, mais ne disposent pasdes dotations institutionnelles dont jouit la firmemère : en recombinant une série d’institutionslocales elles peuvent trouver un équivalentfonctionnel au dispositif qui assure laperformance du modèle productif dans la sociétéd’origine. L’exemple des transplants japonais àl’étranger est éclairant à cet égard. On pouvait eneffet croire au caractère idiosyncratique etspécifiquement japonais des relations du travailassurant la production de biens de qualitésupérieure, grâce à la mobilisation descompétences des salariés. Or les formulessalariales extrêmement sophistiquées en vigueurdans les entreprises nippones n’ont pas, engénéral, été exportées à l’étranger (R. Florida,1998 ; T. Abo, 1998), sans que la performanceindustrielle en soit drastiquement affectée. Al’analyse il ressort que cette synergie entrestabilité de la main-d’oeuvre et production de laqualité a été obtenue par deux sériesd’institutions et d’incitations. Au Japon lacarrière salariale favorable accordée auxemployés de la grande firme les incite à resterdans la même entreprise sous peine d’une perteconsidérable du revenu sur l’ensemble du cyclede vie (A. Ebizuka, A. Isogai, H. Uemura 1996).Dans les transplants nord-américains oueuropéens, une discipline du travail sensiblementéquivalente est obtenue grâce à l’ampleur ducoût associée à la perte d’emploi (S. Bowles, R.Boyer 1988), fonction du salaire relatif dutransplant par rapport aux emplois alternatifsdans le bassin d’emploi, du taux de chômage etde son degré d’indemnisation (R. Boyer 1994).Bien sûr ces deux dispositifs ne sont pascomplètement équivalents puisque le systèmejaponais est par exemple compatible avec leplein-emploi alors que son approche seraitparticulièrement déstabilisatrice pour lestransplants à l’étranger. Par définition,l’équivalence fonctionnelle n’est que partielle :

dès que les conditions générales de l’une etl’autre des sociétés varient, les différencesl’emportent sur les similitudes...au point que cequi n’était qu’une adaptation contingente peutdevenir le principe constitutif d’un nouveaumodèle de gestion.

Soit d’emblée, le conflit entre les exigences dumodèle productif importé et les disponibilités etcontraintes institutionnelles de la société localeest tellement aigu, qu’il n’existe a priori aucunéquivalent fonctionnel. S’il est vrai que « lanécessité est mère de l’invention », la survie dutransplant passe par l’invention de dispositifs quine doivent ni au modèle productif original ni aurépertoire des formes institutionnelles locales. Onsonge à cet égard aux conditions extrêmementdéfavorables d’implantation de la production demasse au Japon après la seconde guerre mondiale.Le manque de capital, la faiblesse de la taille dumarché, les revendications des salariés vont enfait interdire la simple importation des méthodesaméricaines (M.A. Cusumano 1985) et susciterune série d’inventions : machines polyvalentes,changement rapide du réglage des équipements,plus grande responsabilité des salariés dans lagestion de l’atelier, autant d’ingrédients qui sontprésentés de nos jours comme post-fordistes. Orces innovations passeront longtemps inaperçuescar elles constituaient des dérogations auxprincipes canoniques de la production de masse(Takahiro Fujimoto et Steven Tolliday, 1998 déjàcité) et ne prendront sens que beaucoup plus tardpar référence à un modèle résultant del’accumulation d’une série d’innovations le longde cette trajectoire organisationnelle originale. Ceprocessus n’est en rien automatique comme lemontre l’échec britannique : la pressionconcurrentielle peut tout aussi bien déclencherl’inventivité des gestionnaires que précipiter ledéclin, voire la faillite d’une organisation tropfidèle à ses principes fondateurs (Ed. Lorenz1994).

Entre local et globalCe dernier exemple introduit une distinction

importante quant à l’extension et la généralité duprocessus d’hybridation. En effet rien n’exclut qu’ilse réduise à un « bricolage » tout à fait partiel etlocalisé qui n’implique aucun changement global.Nombre de dispositifs de gestion ont cettecaractéristique (andon, kanban, keizen, contrôle

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statistique de la qualité). En conséquence, équivalentfonctionnel comme innovation peuvent induire deschangements soit partiels, soit globaux, selon qu’ilslaissent invariante ou qu’ils affectent la logique dumodèle de gestion. Le cœur d’un modèle se définitpar les objectifs qu’il poursuit et la nature de sesréactions à une même variation de l’environnement.Par contraste, des éléments plus contingents dumodèle peuvent être additionnés ou soustraits sansaffecter la logique du modèle. Apparaissent ainsiquatre formes d’hybridation qui s’opposent àl’imitation pure et simple (Tableau III.2, déjà cité).

La prise en compte du temps introduit une autredimension à l’hybridation (Tableau III.3). Si laperformance de l’hybridation est inférieure ou égaleà celle du modèle en vigueur, on peut aboutir à unisolat dès lors qu’elle ne peut conquérir l’ensemblede l’espace domestique. Cette configuration estprésente dans la plupart des secteurs industriels oùcontinuent à coexister des formes d’organisation trèsdifférentes, sur des espaces réduits et bien délimités.Mais il se peut aussi que l’hybridation s’avèreparticulièrement bien adaptée aux institutions localeset qu’elle finisse par se diffuser sur l’ensemblegéographique concerné.

Pourtant le cas le plus intéressant, a priorisurprenant pour les théories du « one best way »,s’observe lorsque l’apprentissage suscité parl’hybridation conduit à des performances qui enviennent à dépasser celle du modèle que l’oncherchait initialement à imiter. Mais on peut encoredistinguer deux cas de figure. D’un côté, lesconditions permissives, en quelque sorte sociétales,ne se retrouvent dans aucun autre espaceéconomique, de sorte que le succès du pays ou de larégion exerce une pression concurrentielle sur lesautres concurrents, sans pour autant qu’ils puissentadopter les sources de cette compétitivitéstructurelle. Les analystes crurent longtemps que lemodèle productif dit japonais était dans ce cas etqu’il ne pourrait être exporté. Taiichi Ohnon’écrivait-il pas en 1983 : « Nous avons quelquesdoutes pour savoir si le système du juste à tempspourrait être appliqué à des pays étrangers danslesquels le style de gestion, les relationsprofessionnelles et beaucoup d’autres systèmessociaux sont différents des nôtres ».

D’un autre côté, rien n’interdit a priori que lemême processus qui a permis l’émergence dunouveau modèle soit à son tour appliqué par lesfirmes imitatrices ou les pays suiveurs, trouvant en

leur sein les possibilités d’une acclimatation desprincipes généraux, au-delà même de la spécificitééconomique, sociale, voire culturelle du paysd’origine. Dès lors que ces ensembles géographiqueset ces firmes sont suffisamment nombreux, c’est unindice de la généralité du nouveau modèle productif(trait déjà souligné à l’occasion de la présentation duschéma I.1). Ainsi, la production de masse deproduits standardisés, d’abord connue sous le nom« d’American system » par opposition à lamanufacture britannique, a pu s’appliquer àl’Europe, au Japon, à certains pays du sud-estasiatique, voire d’Amérique latine. De même, si l’onconvient de distinguer le nom des dispositifs degestion de la fonction et du rôle qu’ils remplissentdans le modèle productif d’ensemble, on est frappéde constater que les principes correspondants perdenttoute spécificité japonaise, puisqu’on en trouved’autres applications dans des économies biendifférentes (R. Boyer, J.P. Durand 1997).

Ainsi l’hybridation n’est pas une simple curiositémais un processus finalement très général.Cependant, plutôt que de prolonger ces typologies ilpeut être éclairant de cerner quelques uns desfacteurs qui déterminent le succès ou l’échec de ceprocessus.

Entre stratégies de profit et contraintessociétales

Alors que la conception traditionnelle supposequ’un modèle productif finit toujours par trouver lesingrédients nécessaires à son implantation sur ungrand nombre d’espaces économiques et sociaux, laprésente interprétation développe une approchebeaucoup plus symétrique. La causalité, d’abordprésentée comme unidirectionnelle (Schéma II.1),met en œuvre le mécanisme inverse, à savoir leseffets en retour qu’exerce le contexte sur lesstratégies de profit viables (D. Soskice 1996). Dèslors qu’un modèle productif est transféré sur unnouvel espace, il faut qu’il rencontre les institutionset formes d’organisation extérieures nécessaires à saviabilité, ce pour l’ensemble de ses composantes quise déploient du financement, la sous-traitance, lerapport au marché, jusqu’aux relationsprofessionnelles, la fiscalité et les services collectifs(Schéma III.1).

Dans la mesure où il est rarissime que deuxespaces régionaux ou nationaux disposent desmêmes institutions économiques, l’adaptation aucontexte local est le problème majeur que

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rencontrent les dirigeants d’entreprises. Apparaissenten effet de multiples tensions entre la volontéd’implanter le modèle le plus proche possible decelui en vigueur pour l’établissement de référence -car il y a montré sa cohérence et sa viabilité- et lanécessité de s’insérer dans le tissu des relationssociales et économiques propres à son nouvel espace-faute de quoi le modèle productif risquerait d’êtrerejeté par les acteurs locaux et d’apparaîtreinefficace-. Si les conflits entre la logique de profitde l’entreprise et les exigences sociétales sont forts,cette incompatibilité majeure peut se traduire parl’échec de la transplantation, évolution quel’interprétation traditionnelle en terme de « one bestway » attribue à quelques irrationalités des acteursou manque de volonté et de persévérance desgestionnaires du transplant. Mais à nouveau, ilapparaît que la généralité de l’hybridation, d’abordstatique afin de réussir l’ouverture del’établissement, puis dynamique en vue demaintenir et d’améliorer les performances initiales etrépondre aux évolutions économiques et socialespropres à ce nouvel espace. Des adaptations d’abordconçues comme transitoires et marginales peuventinitier un processus d’apprentissage puisd’innovation livrant à terme un modèle productifqualitativement différent de celui qui était visé enterme de pure transplantation d’une configurationexistante.

Peut-on prévoir la trajectoire de l’hybridation ?C’est a priori fort difficile puisque la découverte ounon d’un équivalent fonctionnel ou d’une innovationradicale en réponse à une dissonance entre lesexigences de la stratégie de profit et l’insertion dansl’espace local ne résulte pas un processusdéterministe. Ouvert sur la stratégie des acteurs, ceprocessus est l’essence même de l’histoire desmodèles productifs, et l’on sait les objections àl’existence de déterminismes historiques.Néanmoins, à la lumière de l’expérience quis’échelonne sur près d’un siècle et la multiplicationdes recherches sur les transplants japonais, il estpossible d’avancer une conjecture sur les facteurs quiinfluent sur les probabilités de succès ou d’échec,que les matériaux rassemblés dans le présent ouvragene contredisent pas (Tableau III.4).

En termes généraux, l’hybridation est d’autantmoins probable que se conjugue soit un modèleproductif extrêmement cohérent et efficace, encontact avec un espace relativement peu structuré, ouà tout le moins permissif, soit un mode de régulation

particulièrement affirmé et modelant à son image lesorganisations productives. Le premier cascorrespond par exemple à des économies dominéespar les mécanismes de marché, une certainedécentralisation de la législation du travail, sur lemodèle des pays anglo-saxons. Dans l’Angleterredes années 80 et 90, la décomposition desinstitutions encadrant la relation salariale sous l’effetdes stratégies conservatrices a permis l’implantationde nombreuses entreprises japonaises, qui n’ont pasconnu l’échec pronostiqué à l’origine par nombre despécialistes (Ph. Garraham, P. Stewart 1992).Clairement, la relation salariale n’est pas copiée surle modèle nippon et n’entretient pas les mêmessynergies avec le reste de la société, par exemple autitre de la division du travail entre hommes etfemmes, la couverture sociale, la hiérarchie dessalaires.

La seconde configuration serait celle des paysdotés d’une architecture institutionnelle cohérente etefficace, sur le modèle par exemple des pays sociauxdémocrates ou encore de l’Allemagne jusqu’au débutdes années 90. Nombre d’indices suggèrent que lesmultinationales américaines y ont adapté leur modèlede gestion pour tenir compte de la qualification etpolyvalence de la main-d’œuvre et tirer le meilleurprofit des structures de concertation, qui ont pourpropriétés d’assurer une compétitivité par la qualité.En Europe, l’organisation productive de GM et deFord se différencie en fonction des opportunités etdes contraintes différentes en Angleterre, Allemagneou encore Espagne. En un sens, il est des vertuscréatrices aux contraintes imposées par le droit dutravail en ce qu’elles poussent les entreprises àdévelopper des produits à haute valeur ajoutée (W.Streeck 1992). Le modèle canonique de la firme estainsi altéré en fonction d’un contexte localqu’aucune entreprise considéré individuellement nepeut complètement transformer à son profit. Ainsi,les entreprises allemandes qui s’établissent àl’étranger ne semblent pas éprouver, en général, lanécessité de propager le modèle de cogestion etd’économie sociale de marché (U. Jürgens, T.Malsch, K. Dohse 1993). Elles profitent au contrairedes flexibilités nouvelles offertes par l’espaceaméricain ou européen,.ce qui ne sera pas à termesans changer leur modèle productif.

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Pour faire image, l’hybridation est d’autant moinsprobable qu’on se situe loin de deux cas polaires.• Soit la similitude des modes de régulation en

vigueur sur l’espace de départ et d’arrivée rendaisée la transposition des principes productifs.On imagine par exemple qu’il n’est pas tropdifficile pour les firmes allemandes de s’établiren Autriche dont nombre d’institutions sontvoisines, ou encore pour les multinationalesaméricaines d’ouvrir des établissements auCanada.

• Soit un modèle productif particulièrementcohérent rencontre un espace doté d’institutionsmacro-économiques et sociales qui sont auxantipodes de ce qu’exige ce modèle. Le conflitainsi ouvert peut le plus souvent se traduire parl’échec de l’hybridation. Par exemple, il n’estpas très surprenant que les transplants japonaissoient quasiment absents de l’espace russe, tantils requièrent une stabilité et une prévisibilité desévolutions économiques, financières etjuridiques qui sont aux antipodes de ce que l’onobserve. Mais dans certains cas assezimprobables il est vrai, une telle dissonancecognitive et sociale peut favoriser une séried’innovations radicales permettant de lasurmonter en trouvant des formes viables.

A contrario, l’acclimatation d’un modèleproductif par hybridation intervient surtout dans la« zone grise » (Tableau III.4) caractériséeessentiellement par la clarté des principesd’organisation qui fournissent un guide pour l’actiondes entreprises sans déterminer complètement leurorganisation interne et leurs relations avecl’environnement. En un sens l’hybridation estrelativement facile mais sans doute partielle lorsquel’architecture institutionnelle locale est lâche ethétérogène. Elle est plus difficile mais prometteuselorsqu’un mode de régulation est assez contraignantmais accepte une certaine diversité des formesd’organisation. Enfin, on passe d’une hybridationcomme recherche d’un équivalent fonctionnel àl’hybridation comme innovation, lorsqu’une stratégiede profit qui a fait ses preuves est poursuivie par lesgestionnaires d’un transplant qui font face à desinstitutions économiques fortement organisées etdifférentes de celles qui prévalent pour la maison-mère. Comme on le montrera plus complètement(Section VI), les alternatives contemporaines à laproduction en masse de produits standardiséstrouvent leur origine dans des pays comme le Japon,

l’Allemagne, la Suède, tous caractérisés par desinstitutions significativement différentes de cellesdes Etats-Unis et qui ont fini par modeler un modèleoriginal de la production de masse.

Comme le suggère le titre même du présenttravail, Histoire et géographie des modèles sontainsi intimement liées, thème qu’il convient dedévelopper plus complètement.

HYBRIDATION ET CHANGEMENT DE MODELEPRODUCTIF: CINQ CONFIGURATIONS

A ce point de l’analyse, il est possible d’établirune distinction entre la présente problématique etcelle beaucoup plus traditionnelle qui focalisel’attention sur les seuls transplants japonais, au pointde présenter l’évolution contemporaine comme unejaponisation des modèles productifs (T. Elger, Ch.Smith Eds 1994 ; M. Mason, D. Encarnation 1994).Il est permis à cet égard de mobiliser les résultatsobtenus par le programme du GERPISA concernantla trajectoire des modèles productifs de 1973 à nosjours (M. Freyssenet, A. Mair, K. Shimizu, J.Volpato 1996) :• Les modèles productifs sont tout autant façonnés

par l’environnement économique social etpolitique qu’ils déterminent l’évolution de cedernier (R1).

• Compte tenu de la diversité des conditionsnationales, voire locales, il n’est a priori passurprenant que puissent coexister des modèlesproductifs différents à un même moment dutemps et en dépit de leur mise en concurrence ausein d’un régime international (R2).

• La stratégie rationnelle d’une firme ne consistepas uniquement à tenter de copier un modèlecanonique, elle peut tout aussi bien rechercherd’autres sources de compétitivité qui sontouvertes par la domination de ce modèle. Onpeut donner plusieurs réponses à un mêmeproblème d’autant plus que l’époque deconstitution d’une entreprise joue un rôle décisifdans l’adoption de son modèle productif. C’estune seconde source de diversité des modèles(R3).

• Pour la période contemporaine on observe lacoexistence de trois modèles. Le premierconsiste en une actualisation de la stratégiesloaniste d’optimisation des effets de volume etde diversité, mais étendue à l’échelle

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internationale (sur le modèle de l’entrepriseFord). Le second correspond à une recherchepermanente de réduction des coûts par uneaction simultanée sur les effets de volume, degamme, l’obtention d’une qualité supérieure et lapréservation d’une flexibilité productive(l’entreprise Toyota serait représentative de cetteconfiguration). Le troisième, beaucoup plusméconnu, joue de sa complémentarité avec lesprécédents en privilégiant la recherched’innovations qui font époque et une extrêmeflexibilité productive, configuration que réalisentà des titres divers Honda, Chrysler ou Mitsubishi(R4).

• Il est sans doute erroné de parler de fin de laproduction de masse et de privilégier un modèleunique, la production frugale, qui en faitregroupe de façon quelque peu arbitraire certainsdes traits des deux, voire des trois, derniersmodèles productifs (R5).

• Du fait de leur définition même, les modèlesproductifs n’ont pas de nationalité puisquemême s’ils sont inventés aux Etats-Unis ou auJapon, ils se développent ensuite sur des espacesbeaucoup plus divers et se détachentprogressivement de leur origine géographique.Sinon ils ne constituent que des isolats,incapable d’affecter l’histoire globale des firmeset des méthodes de production (R6).

• Il est deux moteurs à l’évolution des modèlesproductifs. D’abord, les effets de trajectoires ausein d’un espace géographique donné, souvent àtravers des crises majeures, soit productives, soitgénérales. Ensuite, l’impact des tentativesd’internationalisation qui donnent lieu à unenrichissement par hybridation des principesproductifs initiaux (R7).

Si l’on combine les principaux modèlesproductifs mis en évidence par les travaux duGERPISA et les différents modes de régulationnationaux (R. Boyer, Y. Saillard, 1995) on obtientcinq grandes configurations.

L’hybridation avortée : le blocage durabled’un modèle productif potentiellementsupérieur

Les économistes avancent souvent l’argumentqu’un modèle potentiellement supérieur ne peut quese diffuser sur de très nombreux territoires : il suffitque les acteurs susceptibles de le mettre en placereconnaissent qu’ils participeront à un jeu à somme

positive et croissante, livrant pour chacun desavantages supérieurs à ceux qui étaient tirés del’ancien modèle productif. Or cet optimisme estdémenti par maints exemples historiques, du blocagedu fordisme en Angleterre durant l’entre-deux-guerres aux difficultés de la production de massedans la plupart des grands pays latino-américains. Laraison en est simple : les institutions économiques,financières et politiques en vigueur et le systèmed’incitation qu’elles véhiculent peuvent rendreinapplicables ou inefficaces des principes productifspourtant si puissants sur leur espace d’origine. Quela Ford T ait connu le succès que l’on sait aux Etats-Unis n’a en rien aidé sa diffusion en GrandeBretagne !

L’échec de l’établissement de la production demasse dans l’ancienne Union Soviétique est un autreexemple contemporain qui mérite attention. Onaurait pu en effet penser que le régime soviétiqueétait le mieux à même de faire épanouir les principesfordiens grâce à une distribution de revenus qui enthéorie devait être égalitaire et une faiblestratification sociale assurant la viabilité de produitsrelativement standardisés. Dans ces conditions, laconstruction par les ingénieurs de Fiat de l’usineintégrée produisant des Lada aurait dû stimuler uneefficacité sans précédent de la production de masse(J.-J. Chanaron 1996). Après un succès initial, sontclairement apparues les incompatibilités de cemodèle productif avec le mode de régulationpénurique propre à l’Union Soviétique (J. Sapir1990, 1996).

En effet, aucune des trois conditions nécessaires àl’implantation de la production de masse n’étaitprésente dans l’économie soviétique de l’époque(Schéma IV.1). D’abord, l’instabilité desapprovisionnements, elle-même liée à la successionde cycles économiques fondés sur l’apparitionpériodique de pénuries de biens intermédiaires etd’équipement, conduit à l’accumulation de stocks etune absence de spécialisation qui ralentit la divisiondu travail et abaisse la progression des gains deproductivité. Ensuite et surtout, le pouvoir d’achatdes salariés n’était absolument pas synchronisé avecla progression des gains de productivité, car lecompromis salarial consistait fondamentalement àéchanger la stabilité de l’emploi contre l’acceptationdes directives de l’entreprise et l’autorité du PartiCommuniste. Dès lors, la spirale vertueuse propre àla production et consommation de masse ne pouvaitintervenir et débouchait au contraire sur un cercle

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vicieux dans lequel sous-productivité, faible intensitédu travail et faible progression du pouvoir d’achat ouépargne forcée vont de pair. Par contre, les produitsstandardisés et homogènes étaient adaptés aucontexte social de l’Union Soviétique. Enconséquence, l’entreprise Lada est loin de convergervers l’équivalent de l’entreprise Ford sur l’espacerusse : après un succès initial, la production stagnecar le mode de régulation global interditl’épanouissement de ce principe de production...quipourtant aurait été mutuellement avantageux pour lessalariés, les directions d’entreprise, comme l’Etat.Les partenaires sociaux ne peuvent se partager quedes gains de productivité effectifs, pas potentiels, desorte que l’échec vient souvent sanctionner l’écartentre un principe productif et les relations socialesqui assurent la cohésion de l’espace politique etéconomique.

L’hybridation comme extension etgénéralisation d’un principe productif «fort».

Les transplants de Toyota aux Etats-Unis commeen Angleterre appartiennent à une configuration biendifférente. Comme le souligne K. Mishina (1998),l’ouverture d’établissements sur des territoiresnouveaux constitue une occasion pour les dirigeantsde se concentrer sur ce qui fait le cœur de lacompétence, donc la compétitivité de leur firme. Laclarté des principes et leur maîtrise par les diversniveaux de la hiérarchie sont alors essentielles. C’estl’occasion de faire le tri entre les sources réelles etpermanentes de productivité et de qualité et cellesqui étaient contingentes au contexte japonais. Onpeut imaginer par exemple que la confrontation entreles dirigeants de Toyota et les responsables locauxde UAW conduise à un partage des responsabilitésqui en un sens va au-delà de ce qu’obtiennenttraditionnellement les syndicats d’entreprise auJapon, comme cela est observé à NUMMI. De lamême façon, l’allongement des distancesgéographiques, qui n’autorise plus l’applicationmécanique du juste-à-temps en vigueur à Nagoya,suscite une réflexion plus fondamentale sur le typede logistique qui assure la minimisation des coûtsd’approvisionnement. En un sens, le modèle del’entreprise mère s’en trouve généralisé à uncontexte avec syndicat de branche, ou à défaut local,et ouvert sur un usage beaucoup plus diversifié del’espace.

Ainsi, le principe fondateur de l’entreprise,maîtriser les coûts, promouvoir la qualité, tout enveillant à un équilibre efficace entre volume etdiversification de la gamme connaît une certaineextension et généralisation (Schéma IV.2). D’uncôté, on peut vérifier si les sous-traitants japonaispeuvent s’acclimater au contexte nord-américain etplus généralement si des firmes américaines peuventapprendre certaines des méthodes japonaises. D’unautre côté, la main-d’œuvre embauchée est certessévèrement sélectionnée en fonction de l’acceptationdes objectifs du transplant, mais par ailleursl’insertion dans le système de rémunération nord-américain permet de simplifier grandement lesformules japonaises de rémunération, habituellementextrêmement complexes (K. Shimizu 1994, 1995).On retrouve l’idée de deux systèmes salariaux quisont fonctionnellement équivalents, tout en opérantdans des systèmes distincts. Au Japon, c’est laperspective de carrière salariale dans l’entrepriseToyota qui joue un rôle dans l’obtention de laloyauté des salariés, alors qu’aux Etats-Unis c’estl’écart de rémunération par rapport aux emploisalternatifs disponibles dans le bassin d’emploi qui« discipline » les salariés.

Quant à l’équilibre entre volume et gamme, lestransplants de Toyota sont en général caractérisés parune diversité moindre que l’usine japonaise deréférence puisque le choix porte en général sur laproduction d’un modèle rencontrant le succès sur lemarché domestique ou à l’exportation, ce quiminimise la variabilité initiale de la production.Cette caractéristique s’avère essentielle comme lemontre a contrario l’exemple du transplant de Mazdaà Flat Rock (S. Babson, 1998). Pour résumer,l’extension géographique des établissements deToyota est l’occasion pour ses dirigeants dedéterminer ceux des ingrédients qui sont les plusessentiels à la performance et de ce fait de renforcerla compréhension, la cohésion et donc la généralitédu modèle. Cela ne signifie d’ailleurs pas que cemodèle soit sans problèmes puisque sur son espaced’origine, il rencontre une crise largement liée àl’évolution du taux de change du Yen et à une crisedu travail mise en exergue dès la fin des années 1980par les syndicats nippons comme l’encadrement (K.Shimizu 1997).

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Trouver à l’étranger les conditionsinstitutionnelles permettant le plein essordu modèle productif domestique

Cette troisième configuration est a prioriparadoxale. Une firme peut se trouver bloquée dansle développement de son modèle productif parl’inadéquation entre sa stratégie de profit et lesconditions économiques et sociales qui prévalent surson espace national d’origine. On sait par exemplequ’après la seconde guerre mondiale lesconstructeurs automobiles nippons cherchèrent àintroduire les méthodes fordiennes, mais face auxdifficultés rencontrées en matière de volume etstratification du marché et de relations industrielles,elles durent composer avec leur environnementnational. L’un des points d’aboutissement fut lemodèle Toyota. Mais Nissan a en permanencecherché à être beaucoup plus fidèle aux principesaméricains, par l’accent mis sur l’ingénierie, lasubstitution capital-travail, le contrôle hiérarchiqueou à défaut une forme de cogestion avec le syndicatqui, à certaines époques de son histoire, est venulimiter l’efficacité de son modèle de gestion (M.Cusumano 1992 ; Shimokawa 1994 ; M. Hanada,1998). Dès lors, il n’est peut-être pas surprenant queles dirigeants de Nissan soient, avec Honda, parmiles premiers à établir des établissements à l’étranger,aux Etats-Unis comme en Europe. Certes, ils’agissait d’abord de répondre par anticipation àd’éventuelles mesures de fermeture ou de protectiondu marché, mais aussi de trouver un espace plusfavorable à la construction d’une organisationproductive conforme à l’idéal des dirigeants. De fait,l’efficacité de ces transplants sera supérieure ouégale à celle des établissements nippons, au pointque la première usine fermée face aux surcapacitéshéritées de la période de forte croissance de la findes années 80 sera le plus ancien des établissementssitués au Japon.

En effet, le transfert à l’étranger de la stratégieconsistant à combiner effets de volume et de variétéa permis de rééquilibrer l ’organisation productiveselon trois directions principales (Schéma IV.3).D’abord et surtout, l’ouverture de transplants permetde sélectionner les salariés de façon extrêmementrigoureuse en fonction de ce qu’exige le modèletechnique, les qualités requises étant alors la rapidité,la jeunesse et la motivation. De plus, la plupart desétablissements se trouvent dans des zonesrelativement peu industrialisées et mobilisent denouveaux salariés, sans expérience particulière dans

le domaine de l’automobile, mais désireux...oucontraints « d’entrer dans le jeu » de l’entreprise,tant est attractive la perspective d’une relativestabilité de l’emploi, bien payé, surtout parcomparaison avec les emplois disponibleslocalement, et compte tenu d’un taux de chômage engénéral élevé.

Le processus d’hybridation est ici plus subtil queprécédemment. D’un côté on pourrait affirmer queles transplants de Nissan ne font que s’insérer dans lalogique fordienne des pays d’accueil, Etats-Unis ouGrande Bretagne et retrouver leur sourced’inspiration première. D’un autre côté pourtant, sil’on considère la logique de la firme, il s’agit biend’hybridation puisque le modèle productif initial,avec un syndicat fort et un chômage faible, doits’adapter à un contexte différent bien que plusfavorable à son épanouissement. De plus, le modèledes transplants demeure durablement différent decelui des firmes autochtones, marquées par une autrehistoire managériale. Les données collectées sur lesindicateurs de performance confirment cettedifférence durable (J.P. MacDuffie 1995 ; R. Florida,1998 ; T. Abo, 1998).

Chercher à l’extérieur un espace favorable àl’affirmation d’un modèle productiflargement incompatible avec le contextenational d’origine

Une configuration, apparemment voisine mais enfait distincte, s’observe lorsqu’une firme, tard venuesur un marché déjà occupé par des firmes mettant enœuvre un modèle productif dominant, entenddévelopper une stratégie de profit originale qui n’estviable que si ses ventes ou même la productioninterviennent sur un espace social et économiquedifférent. On songe tout particulièrement àl’entreprise Honda. Dès sa création, elle entends’écarter de la stratégie sloaniste combinant volumeet diversité par l’accent mis sur l’innovationtechnique et la livraison sur la marché de produitsoriginaux qui supposent une clientèle sophistiquée,qui cherche à se distinguer du consommateurtypique. Similairement, les qualités attendues dessalariés ne sont pas nécessairement la rapiditéd’exécution et la fidélité à l’entreprise mais lacapacité d’initiative individuelle et la compétencetechnique...autant de qualités qui ne constituent pasla norme des relations industrielles dans le Japon desannées 60 et 70.

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Si dans un premier temps c’est l’exportation quipermet de lancer l’essor de la firme, dans un secondtemps, l’ouverture d’établissements à l’étranger estle complément logique de la relative saturation dumarché intérieur et de la recherche de qualitésspécifiques des opérateurs comme de l’encadrement(Schéma IV.4). On peut même imaginer que lagestion intégrée d’établissements ainsi dispersés surdes espaces géographiques distincts, donne àl’entreprise une flexibilité productive supérieure àcelle obtenue dans chacun des établissements prisindividuellement (A. Mair 1993). Mais l’essentielconsiste pour chacun des établissements à préleverdans leur environnement les ingrédients nécessairesau succès d’une stratégie fondée sur la combinaisond’un renouvellement permanent et d’une grandedemande de l’innovation et la flexibilité productive.Ainsi, s’explique sans doute que l’entreprise Hondaait ouvert les premiers centres de recherche etdéveloppement à l’étranger pour mieux adapter leproduit au marché correspondant et plus encoreattirer les talents et les compétences permettant derenouveler les innovations de produits comme deprocédés. En effet, la sélection des salariés est toutaussi importante que pour les autres transplantsjaponais mais les critères de sélection semblentdifférents : ce sont les compétences personnelles etl’adaptation au contexte des relationsprofessionnelles local qui orientent le recrutementdes salariés à l’étranger. A priori cette stratégie n’estpas équivalente à celle de Toyota et Nissan, ce quiconfirme la double hypothèse mise en avant. D’unepart, il n’est pas un seul modèle productif mais aumoins trois d’entre eux se partagent l’espace et yprélèvent les sources de leur compétitivitérespective. D’autre part, l’ouverture d’usines àl’étranger est l’occasion d’une transformation dumodèle, dans le sens de sonapprofondissement...mais le processus d’hybridationcorrespondant n’est en rien homogène. Il suffit decomparer terme à terme les stratégies de Toyota(Schéma IV.2), Nissan (Schéma IV.3) et Honda(Schéma IV.4).

Un dernier indice suggère que la transplantationn’est pas un simple transfert géographique àl’identique mais qu’elle fournit l’occasion d’uneréorientation du modèle productif visé par lesdirigeants. Ainsi, il semblerait que le réseau de sous-traitants constitué en Amérique du Nord par Hondasoit très largement original par rapport à celui quiprévalait sur l’archipel nippon... au point de donner à

l’ensemble du groupe des caractéristiques nouvellesen termes de compétitivité et flexibilité. De façonplus générale, l’allongement des distances entre lesétablissements conduit à reconsidérer l’opportunitédu juste-à-temps et donc à dégager de nouveauxprincipes de gestion qui s’affranchissent de lalogique de district industriel sur laquelle se sontbâties la plupart des grandes entreprises au Japon.Eventuellement cette généralisation de la logistiquepeut être réimportée au Japon à l’occasiond’ouverture d’établissements situés à l’écart desgrandes concentrations urbaines. Cet amendement dumodèle d’approvisionnement et de logistique n’estpas propre à Honda puisqu’il se retrouve, sous uneforme analogue, chez Toyota et Nissan, qui pourtantdéveloppent des stratégies de profit et des modèlesproductifs différents. On mesure en la matière laforte dépendance de l’organisation productive desfirmes vis-à-vis du contexte local, comme lesuggèrent les théories de la contingence. Ainsi,l’hybridation contribue à l’évolution du modèleproductif de la quasi-totalité des firmes, tant il estdifficile de reproduire un modèle strictementidentique sur des espaces différents.

L’hybridation comme invention etconséquence de l’incompatibilité initialeentre espace d’accueil et stratégie de profit

Les cas précédents illustrent combienl’hybridation n’est pas simple atténuation despotentialités d’un modèle productif mais la source deleurs transformations. Pourtant dans chacun des troisderniers cas, c’est sensiblement la même stratégie deprofit qui se trouvait soit généralisée, soitapprofondie ou encore étendue à de nouveauxespaces. Une dernière configuration est beaucoupplus surprenante. De la rencontre entre la stratégie deprofit portée par la maison mère et des conditionslocales auxquelles font face les transplants, surgit unconflit de logiques qui dans un premier tempssemble conduire à l’échec ou tout au moinsl’enregistrement de piètres performances. Mais dansla mesure où « la nécessité est mère de l’invention »cette incompatibilité statique force les acteurs àexplorer des voies nouvelles dont ils n’avaientauparavant aucune idée. Le processus peut basculersoit vers l’échec et la stagnation, soit versl’exploration d’un modèle de gestion qui neressemble ni à celui de la firme mère ni à ceux desfirmes autochtones (E. Charron, 1998). De façondynamique, la tension entre des logiques

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contradictoires a fait émerger une nouvelleconfiguration.

L’implantation de Renault en Espagne sembleavoir fourni l’occasion d’un tel processus demutation du modèle productif (Schéma IV.5).L’entreprise française mettait en oeuvre à l’époqueune stratégie fort classique combinant volume etdiversité et une gestion de la relation salariale tout àfait fordienne. Un marché ibérique en fortecroissance autorise la recherche de solutionsinnovatives concernant la gestion de la main-d’œuvre, à l’opposé des difficultés que rencontre untransplant dans la gestion de l’emploi dès lors que leproduit introduit sur le marché ne rencontre pas lesuccès attendu (voir le cas Mazda, S. Babson, 1998).En effet, la Fasa-Renault s’établit sur un espacecaractérisé par la qualité des institutions locales deformation, l’héritage des relations professionnellesde type corporatiste et l’aptitude des salariés àexprimer des revendications claires en réponse à lastratégie de l’entreprise. De la rencontre de ces deuxtrajectoires, a priori incompatibles, a résulté laconstitution d’un rapport salarial tout à fait originalpuisque empruntant ni aux firmes locales ni à lamaison mère. Les conflits du travail se résolvent eneffet par un compromis capital-travail qui rappelleplus Toyota qu’une entreprise fordienne ou sloaniste.La polyvalence des ouvriers autorise leur mobilitéinterne entre les divers établissements de Renault, desorte qu’une quasi garantie d’emploi sembleprévaloir. Rétrospectivement, il est assez surprenantde noter que cette configuration productive anticipesur une mode managériale bien postérieure, quimettra en avant le modèle dit japonais ou encorecelui de la production frugale. Il ne s’agit donc pasd’une copie en bonne et due forme des recettes quiferont fureur dans les années 80 et 90 mais plutôtd’une solution identique donnée à des problèmesassez similaires, bien que portant sur deux périodeset sociétés par ailleurs distinctes (le Japon des années50 pour Toyota, l’Espagne des années 70 pourRenault).

On mesure la puissance mais aussi la complexitédu processus d’hybridation qui est aussi invention,en réponse à la confrontation de stratégiesinitialement contradictoires et apparemmentirréductibles...mais qu’une série d’essais et d’erreurspermet de surmonter, dégageant ainsi à terme unmodèle adapté au contexte local -comme l’affirme lathéorie de la contingence- mais aussi cohérent -seulecaractéristique qui retient l’attention des successeurs

de Taylor, Ford et Sloan-. Sans que les circonstancessoient identiques, l’expérience Saturn aux Etats-Unismontre comment l’hybridation peut intervenir ausein du même groupe industriel, sous la pression dela concurrence et en réponse à une stratégied’ouverture d’un syndicat local acceptant de jouerselon de nouvelles règles favorisant compétitivité etqualité (F. K. Pil, S. Rubinstein, 1998). Ce moded’organisation peu conventionnel en Amérique duNord est le résultat inattendu de revendicationsinitialement perçues comme incompatibles. D’uncôté les gestionnaires voulaient fonder une divisionde GM qui puisse répondre à la concurrencejaponaise, alors que de leur côté les salariésrevendiquaient, à travers l’UAW, une stabilité del’emploi et une participation à la gestion, dans uncontexte général où se posait la question de la surviede l’industrie automobile américaine face à laconcurrence internationale. L’exemple de Saturnmontre qu’il n’est pas nécessaire de passer d’unespace géographique à un autre pour qu’opère leprocessus d’hybridation et que par ailleurs une séried’essais et d’erreurs précède l’émergence d’uneconfiguration productive originale et adaptée aucontexte. En effet, initialement, les dirigeants deGeneral Motors parièrent sur une automatisationpoussée et un recours massif aux avancéestechnologiques (lancement du projet Saturn), avantde parvenir à une solution plus adaptée, carcompatible avec la dynamique du marché du produitet les nouvelles aspirations des salariés et desdirigeants syndicaux .

Mais une telle mutation n’est en rienautomatique. Dans certains cas la succession rapidede tentatives d’hybridation en fonction de modèlesproductifs différents, ne permet pas l’apprentissageorganisationnel et la cumulativité qui livrerait unetrajectoire originale comme le montre l’évolution deNedcar (B. Dankbaar, 1998). Dans d’autres casencore, l’hybridation tient à l’importation de modesmanagériales qui n’ont pas toujours l’efficacitéattendue et portent sur quelques composantesseulement du modèle, pas son architecture ni sacohérence (A. Fleury, M.S. Salermo, 1998). Il fautreconnaître avec Karl Popper qu’on ne peut faire uneanalyse déterministe d’une innovation radicale...maisce n’est pas une raison pour ne pas reconnaîtrequ’ex-post le processus d’hybridation peut êtrecréateur de nouveaux modèles productifs.

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HYBRIDATION ET PERFORMANCES

A ce stade de l’analyse le lecteur, surtout s’il estéconomiste, ne manquera pas de formuler uneobjection : supposant même que dans la courtepériode coexiste divers modèles productifs et formesd’hybridation, dans la longue période la plusefficace des configurations ne finira-t-elle pas pars’imposer par le jeu même de la concurrence entreles firmes et les espaces économiques et sociaux ? Leprésent système d’analyse suggère que l’hybridationest un processus permanent et qu’il est compatibleavec une importante mobilité du capital (et donc unetendance à l’égalisation du taux de profit) pour aumoins trois séries d’arguments.• Au niveau le plus abstrait, les modèles

d’équilibre général comme ceux formalisant ladynamique classique suggèrent que l’égalisationdes taux de profit entre les établissements, lesfirmes est compatible avec la persistance d’uneforte diversité des techniques productives et desformes d’organisation. La théorie du commerceinternational elle-même montre comment ladiversité des dotations naturelles, descompétences et des formes institutionnelles est àl’origine du commerce international comme del’investissement direct, tout en produisant unetendance à l’égalisation de la rémunération desfacteurs de production. A cet égard, les diversindicateurs partiels d’efficacité n’ont pas àconverger du fait de l’internationalisation.

• Si l’on prend au sérieux la notion de modèleproductif, les formes organisationnelles et lesoutils de gestion deviennent complémentaires etne peuvent pas être adoptés indépendamment lesuns des autres. Dès lors la concurrence se borneà sélectionner les divers modèles productifs enfonction de leur efficacité d’ensemble et nonpas de chacun des dispositifs considérésisolément. Cette conception conduit à jeter desérieux doutes sur la validité théorique du« Bench-marking » qui suppose que tous lesratios partiels de performance puissent êtreajustés au même niveau quels que soient lemodèle productif et les caractéristiques del’environnement (R. Boyer, M. Freyssenet1997). L’argument est encore renforcé si l’ontient compte du fait que les firmes se contententde niveaux de profit compris dans une zoneacceptable, sans être capables de converger versle taux de profit optimum, très souvent hors

d’atteinte. Pour des raisons cognitives : commentconnaître le vrai modèle gouvernant les relationsde la firme avec son environnement ? Pour desraisons de coût de l’information : même lesmoyens de calcul contemporains les pluspuissants ne permettent pas la solution deproblèmes d’optimisation comportant desmilliers, voire des millions de variables. Du faitde problèmes de coordination au sein de lagrande entreprise : comment convaincre lesdiverses strates de la hiérarchie d’agir enconformité avec l’objectif arrêté par la directiongénérale ?

• Enfin, l’analyse des recensements industrielssur très longue période montre que lestechniques productives n’ont jamais convergévers la frontière technologique (au demeuranttoujours mouvante) mais que des méthodes deproduction hétérogènes ont toujours existédepuis l’émergence du capitalisme industriel. Cequi a été observé de longue date pour le textilevaut aussi pour l’automobile. Lors de chaquegrande période historique, de nombreuxconstructeurs automobiles voulurent convergervers le modèle réputé le plus efficace (qui futsuccessivement fordiste, sloaniste, et plusrécemment toyotiste)...mais rares sont ceux quiréussirent : ils aboutirent en définitive à un autremodèle productif, bien différent de celui qu’ilvisait (R. Boyer, M. Freyssenet, 1998). Danscette optique, les disparités de productivité etd’indice de qualité que font ressortir les enquêtesdu MIT au titre de « l’International MotorVehicule Project (IMVP) » ne désignent pasnécessairement un retard, bien vite rattrapé sil’on suit les recettes de la production frugale(J.P. Womack, D.T. Jones 1996). Ces disparitésrésultent plutôt de la coexistence d’organisationsdifférentes sur des espaces où les marchés et lesystème de prix n’ont aucune raison deconverger (R. Florida, 1998 ; T. Abo, 1998). Cesarguments se déclinent de façon plus précise endeux propositions.

Un processus ouvert aux conséquencesparfois inattendues en terme deperformances

Supposons dans un premier temps que laperformance puisse s’apprécier par l’intermédiaired’un indicateur synthétique commun au modèleproductif de départ et à celui d’arrivée à l’issue de

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l’hybridation (Graphique V.1). A la lumière desanalyses qui précèdent, le sentier suivi par letransplant peut prendre tout une série de formes quisont loin d’être équivalentes :• Le premier cas, rarement mentionné, décrit une

tentative d’implantation d’une organisationproductive et d’une stratégie de profitcomplètement contradictoire avecl’environnement propre à l’espace d’accueil. Ilse peut qu’alors non seulement la performancedu transplant n’atteigne jamais les niveaux de lamaison mère mais que, pire encore, le caractèreabrasif de l’espace local érode progressivementles sources d’efficacité du modèle. Qu’onimagine par exemple la tentative de mise enœuvre du modèle de Toyota dans une société quin’aurait ni sous-traitants, ni droit commercial, niinfrastructures de transport, pas plus que d’unitémonétaire stable et de relations de confiance etde crédit. L’échec serait presqueautomatique...ce qui explique sans doute que lesfirmes japonaises n’aient implanté aucunétablissements de production sur l’ancien espacesoviétique. C’est une configuration d’échec pareffondrement (trajectoire 4).

• Il est une seconde trajectoire le long de laquellel’implantation correspond d’abord à uneamélioration des performances grâce à unapprentissage des méthodes de la maison mère.Mais dans un second temps, les gestionnaireslocaux s’avèrent incapables de trouver leséquivalents fonctionnels permettant la poursuitedu processus d’assimilation des principes debase du modèle productif correspondant. C’estune configuration de succès initial puisdétérioration de la performance qui se traduitsouvent par l’arrêt de l’expérience (trajectoire 3).

• Si par contre le processus d’apprentissage seprolonge, il se peut néanmoins que les conditionslocales de marché ou de système derémunération interdisent d’atteindre les niveauxde performance initialement visés. Le transplantgarde sa viabilité sur l’espace correspondantmais il ne peut véritablement rivaliser avecl’établissement de référence qu’à travers unemoindre rémunération des salariés, des sous-traitants ou encore des détenteurs de capital. Onaboutit ainsi à une convergence partielle, refletd’une hybridation imparfaite (trajectoire 2).

• La quatrième configuration est la plus classique.Dans une conception assez conventionnelle de

l’apprentissage, le transplant finit par maîtriserexactement les mêmes techniques et procéduresque celles du modèle de référence, ou tout aumoins trouver des équivalents fonctionnels. Siles sociétés de départ et d’accueil sont similairesen matière de demande, de relationsindustrielles, de hiérarchie des prix relatifs, rienn’interdit que une convergence complète desperformances par imitation ou découverted’équivalents fonctionnels (trajectoire 1).

• Le cas le plus suggestif, propre à la présenteproblématique, concerne une trajectoire le longde laquelle, pour avoir remarquablementassimilé et retranscrit dans l’espace local lesprincipes de compétitivité du modèle de base,« l’élève dépasse le maître ». Si en effet leséquivalents fonctionnels progressivement formésau cours du temps ont une zone d’applicationplus vaste et ouvrent à des processusd’apprentissage plus poussé, il est possiblequ’au-delà d’un certain seuil, ce qui n’étaitqu’amendement marginal à un modèle idéaldébouche sur une configuration originale, dotéede propriété de cohérence interne et depertinence. Bref il s’agit d’un nouveau modèleindustriel à la performance supérieure grâce àdes innovations suscitées par l’hybridation(trajectoire 5).

Ainsi peut s’amorcer un nouveau sentierd’évolution des modèles productifs. Avant de revenirsur ce thème, il est possible de répondre à uneseconde objection : le principe de « bench-marking », qu’il soit fondé ou non, ne va-t-il pasimpliquer un mimétisme accru des modèlesproductifs, qui convergeraient ainsi vers un modèlecanonique, alors perçu par les acteurs commesupérieur et hautement désirable ?

Une pluralité de modèles adaptés aucontexte local et à la nature de laconcurrence

Le présent travail suggère que la probabilitéd’une convergence des performances estrelativement faible, bien que se superposent demultiples sources d’hybridation. Pour ne prendre quel’exemple des relations entre firmes américaines etjaponaises, l’évolution de leurs modèles productifsrespectifs font intervenir bien d’autres facteurs quel’ouverture d’établissements à l’étranger (SchémaV.1). Concurrence sur le marché des produits,mimétisme des stratégies managériales par le jeu des

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Grap V.1

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Sch V1 (à completer à l’intérieur : faire un montage)

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cabinets de conseil et des résultats des étudescomparatives, partenariat technologique,harmonisation des normes de qualité sont autant defacteurs à travers lesquels interagissent les modèlesproductifs. Enfin, il se peut que des économiesparvenues à des stades de développementcomparables se trouvent confrontées à des problèmeséquivalents qui peuvent suggérer des solutionsidentiques ou fonctionnellement équivalentes. A lalecture de cette longue liste, on serait tenté deconclure à l’émergence prochaine d’un « Worldmodel », résultat d’une fusion syncrétique entre lesmeilleures des caractéristiques des modèlesantérieurs.

Telle n’est pas la réponse qui est donnée. D’abordil convient d’évaluer l’intensité relative de ces diversmécanismes et le caractère inéluctable de laconvergence vers une même configuration : laréponse est loin d’être évidente (R. Boyer 1996).Ensuite, faut-il le rappeler, il est difficile pourMarilyn Monroë d’être aussi créative qu’AlbertEinstein, rapide que Karl Lewis ou puissante commeShakespeare. Il en est de même pour les modèlesproductifs Ils tirent leur compétitivité de leurspécialisation et de leur différenciation les uns parrapport aux autres, de sorte que les indicateursadéquats mesurant la performance peuvent différersignificativement. Dans ces conditions, il importe depasser en revue brièvement les divers indicateursassociés aux trois modèles déjà mentionnés (SectionIV) et mis en évidence par le premier programme duGERPISA (Tableau V.1).• Le modèle fondé sur l’optimisation des

rendements d’échelle par un développementcontrôlé de la diversité accorde une moindreimportance à l’innovation de produits et laqualité telle que perçue par les consommateurs.En conséquence, tous les indicateurs partiels deperformance qui permettent de décentraliser larecherche d’efficacité au sein de la grandeentreprise sont dérivés de cet objectif général :ils sont donc très largement spécifiques. Enterme de sous-traitance par exemple, l’objectifest de minimiser le prix payé aux sous-traitants.Quant au rapport salarial, sera privilégié lerecrutement d’employés acceptant les impératifsassociés à la production à haut volume,concernant en particulier l’intensité d’un travailtrès largement répétitif.

• Le modèle de réduction permanente des coûtscherche à équilibrer les gains associés aux effets

de volume et de gamme par un intérêt pour laqualité et la flexibilité productive, afin degarantir d’un côté une prime par rapport à laconcurrence, d’un autre côté une résistance auxrécessions et crises qui ne cessent de marquertoute activité industrielle. Les sous-traitantsseront alors sélectionnés en fonction de leuraptitude à livrer des composants de qualité et àdévelopper de façon conjointe les nouveauxmodèles, soit un objectif intermédiaire distinctde celui que poursuit le modèle sloanisteprécédent. Les salariés pour leur part doiventcombiner les qualités traditionnelles requises parle travail à la chaîne avec une aptitude àaméliorer en permanence productivité et qualité,grâce à des relations coopérative avec lesgestionnaires. De ce fait, les formules salarialessont distinctes.

• Le modèle innovation et flexibilité poursuit unobjectif encore différent : renouveler enpermanence les produits grâce à des innovationsqui font époque et qui permettent de dégager desrentes oligopolistiques, par opposition aux effetsde volume ou de réduction des coûts propres auxdeux précédents modèles. Le taux de sous-traitance est alors poussé à son maximum, sanscontractualisation longue, pour mieux absorberles aléas conjoncturels et le destin incertain desproduits nouveaux que l’entreprise lancepériodiquement sur le marché. La flexibilitéproductive est à ce prix. Pour leur part lessalariés doivent manifester une aptitude auxchangements, des compétences techniquescertaines, une capacité d’initiative et deproposition. A leur tour les formules salarialessont distinctes. On commettrait donc une grandeerreur en jugeant ce troisième modèle à l’aunedes deux autres: poursuivant des objectifsdistincts, il n’a pas à adopter les mêmesindicateurs de gestion.

La littérature sur la planification stratégique aclairement fait ressortir combien les indicateurs degestion devaient être dérivés des objectifs propres dela firme (Ph. Lorino, 1995 ; J. Allouche, G. Schmidt,1995) et d’autres recherches sur les modesd’organisation des firmes ont souligné que n’existaitaucun modèle canonique (H. Mintzberg, 1979). C’estsans doute la plus forte objection à la pratique decomparaisons systématiques et termes à termesd’indicateurs partiels de performance (bench-marking) dont on a déjà souligné à maintes reprises

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Tab V1

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le caractère fallacieux. Elle n’est justifiée que si lesfirmes développent le même modèle productif ausein d’espaces économiques similaires. Sinon, etc’est le cas général, ce n’est qu’un moyen détournépour mettre en mouvement des grandes organisationsen développant en leur sein une forme de mise enconcurrence avec des compétiteurs. Qu’importeraitle gadget pourvu que se diffuse dans l’ensemble del’organisation le principe d’accroissement permanentde l’efficacité et de la qualité.

Ainsi les relations entre hybridation etperformance sont plus complexes que celles queconsidère la théorie conventionnelle qui nes’intéresse qu’à la diffusion et l’apprentissage d’unmodèle invariant aux performances parfaitementétalonnées.• En premier lieu, une firme hybride ne souffre pas

nécessairement de performances intérieures entermes de productivité ou de qualité, parréférence avec les niveaux observés dans lamaison-mère. Dans certains cas,l’environnement local renforce l’efficacitépropre à ce modèle alors que par ailleursl’expérimentation que suscite l’adaptation deprincipes productifs à un environnement socio-productif différent peut déboucher à terme surune performance supérieure.

• En second lieu, comme à chaque momentcoexiste une pluralité de modèles productifs, iln’est pas aisé de procéder à des comparaisonsentre firmes ou établissements qui ne suivent pasles mêmes principes productifs, puisque chacunappelle une batterie particulière d’indicateurs degestion. Le seul critère commun serait bien sûrcelui de la rentabilité.

• De fait, la simple addition de procédures réputéesêtre les plus efficaces n’est pas suffisante pourlivrer l’organisation la meilleure au niveau del’ensemble de la firme, car il se peut que cesprocédures ne soient pas cohérentes les unesavec les autres.

• Enfin, le seul critère synthétique pour juger de laviabilité à long terme d’un modèle productif estle taux de profit qui dérive simultanément de larecherche d’efficacité et de la qualité et vitessede la réponse à un environnement changeant (F.Pinardon, 1989). Mais hélas, peu d’informationssont disponibles sur la rentabilité des transplantset des firmes hybrides.

CLASSER LES ETUDES DE CAS PAR RAPPORT ALA PRESENTE PROBLEMATIQUE:UNE LARGE GAMME DE FORMESD’HYBRIDATION

Pour conclure ce travail, il peut être utile deprendre en compte les diverses analyses detransplants et de périodes historiques d’hybridationcollectées par le réseau du GERPISA afin de vérifierla cohérence et la validité des définitions et desclassifications qui précèdent. Chaque établissementpeut être classé en fonction de deux critèresreprésentés respectivement le long de l’axehorizontal et vertical. Le premier décrit l’écart entreles principes généraux et l’organisationeffectivement adoptée, c’est-à-dire en l’occurrence,la distance entre le modèle productif initialementvisé et celui qui finira par s’imposer. Le second axeprend en compte le plus ou moins grand degré decontrainte qu’exerce l’espace économique et sociald’accueil (Tableau VI.1). Quelques conjectures ouconclusions provisoires se dégagent.1. Lorsqu’on considère la première colonne, il est

clair que la diffusion d’un modèle totalementcohérent et invariant (en termes de principescomme de routines) est l’exception et pas du toutla règle. L’échec patent d’une tentative de miseen œuvre des méthodes fordiste à Manchester audébut de ce siècle et les piètres résultats obtenuspar le transfert de l’organisation productive deFiat à l’ancienne Union Soviétique, ces deuxexemples suggèrent que la diffusion au sensstrict est loin d’ouvrir les portes du succès.

2. Par consàquent, le cas général est celui del’adoption/adaptation , c’est-à-dire la poursuited’un même principe productif mais selon desroutines différentes. Une adaptation mineure estprobable lorsque les institutions économiques dupays hôte sont très voisines de celles du paysorigine de la firme. Les transplants japonais enAsie fournissent un bon exemple de cetteconfiguration. Une certaine similarité des formesd’organisation de la vie sociale et parfoisl’héritage de la colonisation japonaise peuventpeut-être expliquer cette proximité.

3. Le fait que quasiment toutes les cases du tableauVI.1 correspondent à des observations suggèreque l’hybridation n’est pas un processustotalement déterministe, mais qu’il est trèslargement ouvert sur des interactionsstratégiques, parfois porteuses d’innovations. Par

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conséquent, il est difficile de pronostiquer ex-ante quelle sera la trajectoire d’un transplants. Sil’on se reporte par exemple aux annéescinquante, quel expert aurait pu prédire lesurprenant succès de Toyota dans les annéessoixante-dix, quatre-vingt, au moment où lafirme connaissait une crise financière et socialesans précédent. C’est pourtant au cours de cesannées troublées que se sont constitués lesgermes d’une alternative à la production demasse de type fordiste. Mutatis mutandis, de nosjours de nouveaux modèles sont peut-être entrain d’émerger soit par hybridation, soit par lestensions et contradictions au sein d’unetrajectoire de firme. Mais rares sont lesobservateurs capables de diagnostiquer une telleémergence. La conception et la productionmodulaire qui se mettent en place dans l’usine deRESENDE à partir de 1997 (A. Fleury, M.S.Salerno 1998) étaient difficiles à anticiper audébut des années quatre-vingt-dix, même de lapart des meilleurs spécialistes.

4. L’impact de l’adaptation au contexte local quantà la performance demeure aussi une questionouverte. Si la firme ne met pas en œuvre deprincipes forts et s’établit sur un territoiredifférent et manifestant d’assez fortescontraintes, l’exemple de Mazda suggère que lesperformances peuvent être décevantes. Mais siau contraire la firme cherche en permanence àmettre en œuvre les principes fondateurs de sonmodèle productif, et cela même sil’environnement est a priori peu favorable, alorssous la pression des contraintes, un processusd’expérimentation et d’apprentissage peutsusciter un renforcement du modèle et uneamélioration de ses routines. Tant NUMMI,partenariat entre GM et Toyota que le transplantde Toyota dans le Kentucky constituent de bonsexemples de la généralisation et du renforcementdu modèle de production de la firme.

5. Une autre forme d’adaptation intervient lorsquela firme utilise le franchissement des frontièrespour s’affranchir de quelques unes des barrièresqui bloquaient la maturation de son modèleproductif sur l’espace domestique, du fait d’unecompatibilité défaillante entre la stratégie deprofit de la firme et les institutions nationales.Par contraste, avec la configuration précédente,il n’est pas aisé pour ces firmes de réimporter lesavancées réalisées à l’étranger car si le mode de

régulation national n’a pas changé l’écartantérieur entre stratégie de profit et institutionsdomestiques s’en trouve aggravé. Semblentappartenir à cette catégorie le transplant deNissan au Royaume-Uni, de Ford à Hermosilloau Mexique et, assez paradoxalement destransplants des formes électroniques japonaisesen Amérique du Nord.

6. Une hybridation, au sens plein de ce terme,intervient lorsque des principes productifsnouveaux se combinent avec d’anciennesroutines. Par comparaison avec le pronostic quelivrait la problématique exposé précédemment(Tableau III.4, supra) il est surprenant deconstater que l’hybridation porte sur un largeensemble de contextes institutionnels. AEisenach, les institutions sont formellement lesmêmes qu’en Allemagne de l’Ouest, maisl’histoire politique et sociale différente dans lesländers de l’est de 1945 à 1989 a livré lesingrédients de la mise en œuvre d’une varianteoriginale d’une « production au plus juste ». Cesprincipes sont nouveaux en Allemagne et seuleune toute petite fraction de l’héritage de la RDAest mobilisée dans l’émergence de ce nouveaumodèle productif. L’établissement de Toyota àKyushu est encore différent dans la mesure oùles innovations dérivent d’une part del’épuisement du potentiel du précédent modèleproductif, d’autre part des expériences quirésultent de l’établissement en Amérique duNord et au Royaume-Uni. Nedcar livre untroisième exemple, moins connu maisintéressant, car s’y conjuguent une variété deprincipes et de routines successivementexpérimentés mais qui n’ont pas livré, semble-t-il jusqu'à présent, de modèle productif cohérent.

7. Finalement, l’hybridation peut déboucher surl’innovation qui fait époque, lorsque tant lesprincipes que les routines qui finissent parémerger du processus de tâtonnement sontnouveaux, non seulement localement pour lafirme, mais globalement pour l’industrie dansson ensemble. L’innovation peut porter sur larelation salariale et le réseau de vente (Saturn)mais elle peut aussi concerner la synergie entreune main-d’œuvre polyvalente et uneorganisation productive extrêmement flexible(Fasa). Le changement devient encore plusvisible, lorsque ce sont les principes mêmes dumodèle productif qui font l’objet d’une percée

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par rapport à la trajectoire de l’industrie, commele fait par exemple la production modulaire(Resende). Ce modèle émergent entre enconcurrence tant avec la stratégie de productionau plus juste que de la visée plus utopique d’unerecomposition complète de l’intelligence dutravail comme ce fut le cas à Uddevalla (M.Freyssenet 1998), ou plus modestement le projetd’étendre le principe de la démocratie dans laproduction (A. Sandberg, 1998).

Voilà qui rappelle quels sont les deux principauxmoteurs de la transformation des modèles productifs.Ce sont d’abord les crises structurelles le long d’unetrajectoire qui peuvent stimuler la recherche destratégies innovatives qui sont susceptibles ou non deréussir selon le contexte général et les interactionsentre une série de choix stratégiques, qui sedissimulent parfois sous des décisions d’importanceapparemment secondaire. C’est ensuite le rôle del’investissement direct, de l’imitation et de lastratégie des acteurs au premier rang desquels les

dirigeants d'entreprise, les syndicalistes et bien sûrles consultants qui sont au cœur de la propagationdes méthodes de gestion.

Enfin, il ne faut pas oublier le rôle d’uneconcurrence internationale accrue. Autant de facteursqui mettent en mouvement un processusd’hybridation, susceptible à terme de déboucher surquelques innovations radicales, bases d’un nouveaumodèle productif. Ces facteurs prennent toute leurimportance dans la phase d’internationalisationouverte depuis le milieu des années quatre-vingts :non seulement les firmes redéploient leurlocalisation mais encore les modes de régulationnationaux enregistrent des transformationsimportantes, alors que s’ouvrent de nouveauxespaces à l’investissement international (la Chine, lespays de l’Europe de l’Est).

Ce serait donc la tâche d’une ambitieuse théoriesociale à venir que de livrer les clefs d’uneinterprétation tant de l’histoire que de la géographiedes modèles productifs.

Robert BOYERCEPREMAP

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