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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 6 - novembre-décembre 2015 216 dossier Hypercytoses singulières RÉSUMÉ Summary Toute hyperéosinophilie (HE), symptomatique ou non, impose systématiquement une enquête étiologique approfondie, toujours associée à un bilan du retentissement viscéral propre à l’éosinophilie. La découverte d’anomalies génétiques récurrentes de la lignée éosinophile ou de dysfonctionnements de la lignée lymphoïde dans des HE jusqu’à présent inexpliquées ont permis le développement de thérapies ciblées, dont certaines ont révolutionné le pronostic, autrefois péjoratif, de ces maladies. Mots-clés : Hyperéosinophilie - Syndromes hyperéosinophiliques - Leucémies chroniques à éosinophiles - FIP1L1-PDGFRA - Imatinib. Often unheeded, hypereosinophilia (HE), with or without clinical involvement, systematically requires a thorough etiological investigation, always completed with an overview of tissular eosinophils infiltration. The discovery of recurrent genetic abnormalities of eosinophilic lineage or dysfunction of Th2 cells in unexplained HE enabled the development of targeted therapies, some of which have dramatically improved the prognosis, formerly pejorative, of these diseases. Keywords: Hypereosinophilia - Hypereosinophilic syndromes - Chronic eosinophilic leukemia - FIP1L1-PDGFRA - Imatinib. Hyperéosinophilies chroniques inexpliquées Unexplained hypereosinophilia J.E. Kahn* * Service de médecine interne, hôpital Foch, Suresnes, et Réseau éosinophile, institut d’immunologie, pôle de biologie pathologie génétique, CHRU de Lille. Généralités La découverte d’une hyperéosinophilie (HE) sanguine requiert une démarche systématique et méthodique d’in- vestigation. Même modérée (< 1,5 × 10 9 /l), elle peut être le signe d’appel de maladies graves associées (maladies systémiques, tumeurs malignes solides, etc.), mais aussi de causes plus fréquentes et facilement curables (hypersen- sibilité médicamenteuse, même en l’absence d’éruption cutanée, parasitoses). Si les progrès de la biologie molé- culaire ont permis d’identifier de nombreuses anomalies moléculaires à l’origine de néoplasies myéloïdes ou lym- phoïdes responsables d’une HE, on rappellera ici que les causes les plus fréquentes sont les HE médicamenteuses, parasitaires, l’atopie (pour les HE modérées > 1 500/mm 3 ), tumorales, ou des maladies à éosinophiles restreintes à un organe (gastro-entérite à polynucléaires éosinophiles [PNE], pneumopathie à PNE). Les hémopathies dont il sera question dans cet article ne doivent être envisagées qu’après l’élimination des causes mentionnées ci-dessus ou devant un tableau très évocateur. Qu’elle soit aiguë ou persistante, toute HE peut, indé- pendamment de la maladie causale, être à l’origine de lésions viscérales directement liées aux PNE. Cette toxicité propre aux PNE est en partie liée à leur capacité à sécréter des protéines cationiques hautement toxiques dans les tissus qu’ils auront infiltrés, des radicaux oxygénés, mais aussi des traps, combinaison de matériels nucléiques et de protéines cationiques (1, 2). Toute HE impose ainsi une double démarche : une enquête étiologique et une recherche du retentissement tissulaire de l’HE, quelle qu’en soit la cause. Il arrive toutefois que, après des investigations rigoureuses et répétées, l’enquête étiologique demeure infructueuse. On évoque alors, en cas de retentissement clinique des PNE, le diagnostic de syndrome hyperéosinophilique (SHE), entité hétérogène regroupant l’ensemble des pathologies responsables d’une HE associée à une infiltration tissulaire à éosino- philes symptomatique. Une meilleure connaissance des éléments de régulation centrale et périphérique de l’éo- sinophilie sanguine et tissulaire permet de proposer aujourd’hui une nouvelle classification des HE et des SHE (tableau) [3]. On distingue ainsi 3 groupes : Les HE/SHE clonaux/néoplasiques, qui sont liés à des anomalies moléculaires récurrentes ou suspectées affectant la lignée myéloïde (dont le gène de fusion FIP1L1-PDGFRA [F/P]). Ces formes clonales représentent moins de 20 % des HE/SHE.

Hyperéosinophilies chroniques inexpliquées · causes les plus fréquentes sont les HE médicamenteuses, parasitaires, l’atopie (pour les HE modérées > 1 500/mm 3), tumorales,

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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 6 - novembre-décembre 2015216

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Hypercytoses singulières

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y Toute hyperéosinophilie (HE), symptomatique ou non, impose systématiquement une enquête étiologique approfondie, toujours associée à un bilan du retentissement viscéral propre à l’éosinophilie. La découverte d’anomalies génétiques récurrentes de la lignée éosinophile ou de dysfonctionnements de la lignée lymphoïde dans des HE jusqu’à présent inexpliquées ont permis le développement de thérapies ciblées, dont certaines ont révolutionné le pronostic, autrefois péjoratif, de ces maladies.

Mots-clés : Hyperéosinophilie − Syndromes hyperéosinophiliques − Leucémies chroniques à éosinophiles − FIP1L1-PDGFRA − Imatinib.

Often unheeded, hypereosinophilia (HE), with or without clinical involvement, systematically requires a thorough etiological investigation, always completed with an overview of tissular eosinophils infi ltration. The discovery of recurrent genetic abnormalities of eosinophilic lineage or dysfunction of Th2 cells in unexplained HE enabled the development of targeted therapies, some of which have dramatically improved the prognosis, formerly pejorative, of these diseases.

Keywords: Hypereosinophilia − Hypereosinophilic syndromes − Chronic eosinophilic leukemia − FIP1L1-PDGFRA − Imatinib.

Hyperéosinophilies chroniques inexpliquéesUnexplained hypereosinophiliaJ.E. Kahn*

* Service de médecine interne, hôpital Foch, Suresnes, et Réseau

éosinophile, institut d’immunologie, pôle

de biologie pathologie génétique, CHRU de Lille.

Généralités

La découverte d’une hyperéosinophilie (HE) sanguine requiert une démarche systématique et méthodique d’in-vestigation. Même modérée (< 1,5 × 109/l), elle peut être le signe d’appel de maladies graves associées (maladies systémiques, tumeurs malignes solides, etc.), mais aussi de causes plus fréquentes et facilement curables (hypersen-sibilité médicamenteuse, même en l’absence d’éruption cutanée, parasitoses). Si les progrès de la biologie molé-culaire ont permis d’identifi er de nombreuses anomalies moléculaires à l’origine de néoplasies myéloïdes ou lym-phoïdes responsables d’une HE, on rappellera ici que les causes les plus fréquentes sont les HE médicamenteuses, parasitaires, l’atopie (pour les HE modérées > 1 500/mm3), tumorales, ou des maladies à éosinophiles restreintes à un organe (gastro-entérite à polynucléaires éosinophiles [PNE], pneumopathie à PNE). Les hémopathies dont il sera question dans cet article ne doivent être envisagées qu’après l’élimination des causes mentionnées ci-dessus ou devant un tableau très évocateur.Qu’elle soit aiguë ou persistante, toute HE peut, indé-pendamment de la maladie causale, être à l’origine de lésions viscérales directement liées aux PNE. Cette toxicité

propre aux PNE est en partie liée à leur capacité à sécréter des protéines cationiques hautement toxiques dans les tissus qu’ils auront infi ltrés, des radicaux oxygénés, mais aussi des traps , combinaison de matériels nucléiques et de protéines cationiques (1, 2). Toute HE impose ainsi une double démarche : une enquête étiologique et une recherche du retentissement tissulaire de l’HE, quelle qu’en soit la cause. Il arrive toutefois que, après des investigations rigoureuses et répétées, l’enquête étiologique demeure infructueuse. On évoque alors, en cas de retentissement clinique des PNE, le diagnostic de syndrome hyperéosinophilique (SHE), entité hétérogène regroupant l’ensemble des pathologies responsables d’une HE associée à une infi ltration tissu laire à éosino-philes symptomatique. Une meilleure connaissance des éléments de régulation centrale et périphérique de l’éo-sinophilie sanguine et tissulaire permet de proposer aujourd’hui une nouvelle classifi cation des HE et des SHE (tableau) [3]. On distingue ainsi 3 groupes :

✓ Les HE/SHE clonaux/néoplasiques, qui sont liés à des anomalies moléculaires récurrentes ou suspectées aff ectant la lignée myéloïde (dont le gène de fusion FIP1L1-PDGFRA [F/P]). Ces formes clonales représentent moins de 20 % des HE/SHE.

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Hyperéosinophilies chroniques inexpliquées

✓ Les HE/SHE réactionnels, qui correspondent à des conditions physiopathologiques pro-Th2 où l’hyper-éosinophilie est secondaire à une production accrue de facteurs de croissance ou de cytokines actifs sur la lignée éosinophile. L’exemple caricatural est repré-senté par les HE/SHE réactionnels de type lymphoïde (SHE-L), définis par l’existence d’une population circu-lante et tissulaire T de phénotype anormal producteur d’IL-5, principale cytokine pro-éosinophile. Selon les critères diagnostiques retenus, les SHE-L expliquent 10 à 20 % des HE/SHE.

✓ Les SHE idiopathiques, qui concernent plus de la moitié des HE/SHE. Ils restent à ce jour inexpliqués, mais beaucoup d’arguments indirects laissent penser qu’ils sont probablement réactionnels à une sécrétion accrue d’éosinophilopoïétines (IL-5) dans un contexte Th2.

Retentissement viscéral des PNE et manifestations cliniques des SHE

La présence de manifestations cliniques est directe-ment liée à la capacité des PNE à infi ltrer les tissus et les organes. Dans de nombreux cas, une HE sanguine ne s’accompagne d’aucune infi ltration tissulaire et, donc, d’aucune manifestation clinique. Dans ces cir-constances, il n’est pas forcément nécessaire d’ins-taurer un traitement. Les cibles tissulaires privilégiées des PNE sont la peau (69 %), les poumons (44 %) et le tube digestif (38 %), alors que l’atteinte cardiaque ne concerne que 5 % des patients au diagnostic et 20 % au cours de l’évolution de la maladie (4). Il est important de rappeler que la sévérité des manifesta-tions n’est pas proportionnelle à l’importance de l’HE : des patients peuvent avoir des HE massives, jusqu’à

200 000/mm3, sans aucune atteinte viscérale, alors que des HE à 2 000/mm3 peuvent se compliquer d’atteintes cardiaques sévères.À la diff érence des atteintes dermatologiques, pulmo-naires et digestives, qui sont facilement repérées par l’interrogatoire et l’examen clinique, les cardiopathies à éosinophiles sont souvent pauci-symptomatiques et doivent être systématiquement dépistées, même en l’absence de signes cliniques. Il s’agit de myocardites ou de thrombus intraventriculaires sur l’endocarde du ventricule gauche (à haut potentiel embolique) et susceptibles d’évoluer vers une fi brose avec car-diopathie restrictive, la fibrose endomyocardique. L’électrocardiogramme, l’échocardiographie et surtout l’IRM sont les examens de choix. Enfi n, l’expression clinique du SHE est très hétérogène et dépend en partie du mécanisme causal : des atteintes cutanées comme les angiœdèmes sont plus fréquemment observées dans les SHE-L, alors que des ulcérations muqueuses, une splénomégalie, une atteinte cardiaque et une sur-venue chez l’homme sont très évocatrices de leucémie chronique à éosinophiles (LCE) F/P+ (5).

Hyperéosinophilies clonales et leucémies chroniques à éosinophiles

Nouvelles classifi cationsDans les nouvelles classifications des maladies à éosinophiles (3), les HE clonales ont été séparées en 3 groupes (fi gure, p. 218).

✓ U n groupe de néoplasies myéloïdes bien caractéri-sées sur le plan moléculaire, entrant dans la classifi cation OMS, et au cours desquelles une HE est fréquemment observée (6) : leucémie myéloïde chronique (LMC)

Tableau. Défi nitions des hyperéosinophilies et des syndromes hyperéosinophiliques (3).

Entités Défi nitions

Éosinophilie sanguine PNE > 0,5 G/l-500/mm3

Hyperéosinophilie PNE > 1,5 G/l-1 500/mm3 × 2 à 1 mois d’intervalle ouéosinophilie tissulaire– éosinophilie jugée anormale par un pathologiste– éosinophilie médullaire > 20 %– dépôts de protéines cationiques en immunohistochimie

Syndrome hyperéosinophilique Hyperéosinophilie etatteinte d’organe liée aux éosinophilesExclusion d’autres maladies responsables de l’atteinte d’organe

Maladies à éosinophiles restreintes à un organe Hyperéosinophilie etatteinte d’un unique organe liée aux éosinophiles

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Hypercytoses singulières

d o s s i e r

BCR-ABL, syndromes myéloprolifératifs associés à la mutation V617F de JAK2, anomalies chromosomiques en 8p11 (impliquant FRGR1), certaines mastocytoses systémiques avec mutation D816V de KIT. L’HE est sou-vent présente mais fi nalement épiphénoménale dans ces tableaux où d’autres anomalies hématologiques vont permettre de poser un diagnostic moléculaire.

✓ U n groupe d’hémopathies où l’expansion clonale de PNE est majoritaire et domine le tableau clinico-biolo-gique. C’est dans ce groupe qu’ont été eff ectuées les découvertes les plus marquantes de ces 20 dernières années, avec notamment l’identifi cation d’anomalies récurrentes touchant les gènes codant pour les tyrosine kinases PDGFRA, PDGFRB et FGFR1.

✓ E nfi n, un dernier groupe rassemblant des situations où une origine clonale apparaît très probable sur des critères clinico-biologiques (par exemple, cytopénies associées, splénomégalies, blastes, anomalies mor-phologiques majeures des PNE, corticorésistance), mais sans anomalie moléculaire ou cytogénétique, ou encore des cas où une anomalie cytogénétique ou moléculaire est identifi ée, mais où le lien de causalité avec l’HE n’est pas avéré.

Leucémie chronique à éosinophiles FIP1L1-PDGFRALa LCE F/P+, liée à une délétion interstitielle en 4q12, est actuellement la forme la mieux caractérisée de LCE. Ce gène de fusion FIP1L1-PDGFRA, non détec-table sur un caryotype conventionnel, a définitive-ment permis d’asseoir le concept de LCE, jusqu’à présent débattu (7). Le gène PDGFRA code pour le récepteur α au PDGFR, appartenant à la classe des récepteurs à activité tyrosine kinase. Le point de cas-sure sur PDGFRA entraîne invariablement la perte d’une région auto-inhibitrice de l’exon 12, aboutis-sant à une activation constitutionnelle de la fonction tyrosine kinase. La prévalence de la LCE F/P+ reste mal connue, probablement proche de 10 % des HE chro-niques inexpliquées, mais il s’agit très clairement de l’anomalie clonale la plus fréquente. L’élévation de la tryptase (taux néanmoins beaucoup moins important que dans la mastocytose, habituellement < 40 μg/l) et de la vitamine B12 est quasi constante (8). Les autres éléments évocateurs sont une myélofibrose, une myélémie ou une thrombopénie. Un élément notable est l’atteinte masculine presque exclusive

Néoplasies (myéloïde/lymphoïde/CSH)

avec HE et anomalie génétique récurrente

✓ Délétion/mutation/translocation PDGFRA +++++✓ Translocations PDGFRB : leucémie myélomonocytaire chronique avec éosinophilie✓ FGFR1 ✓ Translocations JAK2✓ Translocations FLT3 (leucémie aiguë myéloïde)

Néoplasies myéloïdes avec HE définies

selon l'OMS

✓ Leucémie myéloïde chronique BCR-ABL✓ Syndromes myéloprolifératifs JAK2 V617F✓ Mastocytose systémique avec éosinophilie✓ Leucémie aiguë à éosinophiles CBFβ-MYH11 : LAM4-Eo, LAM inv(16)✓ Syndromes myélodysplasiques définis avec HE✓ Autres néoplasies myéloïdes définies avec HE

Néoplasies myéloïdes sans anomalie génétique

récurrente

✓ Tableau de syndromes myéloprolifératifs à éosinophiles mais aucune anomalie identifiable✓ Syndromes myéloprolifératifs à éosinophiles avec anomalie non spécifique

Figure. Classifi cation des néoplasies myéloïdes avec hyperéosinophilie (3).

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Hyperéosinophilies chroniques inexpliquées

de la maladie (moins de 10 cas féminins rapportés dans la littérature), sans aucune explication à ce jour. La détection de la délétion F/P fait appel à la PCR (nested RT-PCR ou RQ-PCR) et à la FISH sur sang péri-phérique, plus sensible que sur moelle. Ce gène de fusion F/P a été identifié dans d’autres hémopathies associées à une HE : lymphomes T non hodgkiniens, sarcomes myéloïdes, lymphomes lymphoblastiques ou leucémies aiguës myéloblastiques. Sa recherche est donc indispensable devant toute hémopathie avec HE non caractérisée.

SHE lymphoïde

Ce variant “lymphoïde” des SHE témoigne d’une dérégulation de l’homéostasie lymphocytaire, avec une sécrétion accrue de facteurs de croissance des éosinophiles (IL-5 principalement) par des cellules T de polarité Th2. Différentes études ont permis la mise en évidence, par cytométrie en flux, de phéno types T aberrants (9, 10). Il s’agit principa-lement de lymphocytes T CD3-CD4+ (5). L’origine de ces dérèglements n’est pas connue. L’élévation polyclonale des gamma globulines et des IgE totales (dont la production est favorisée par l’IL-4) est un marqueur biologique évocateur, mais peu spécifique. Le nombre total de lymphocytes ainsi que leur aspect morphologique sont normaux, et aucun lymphome n’est habituellement identifiable. Un phénotypage des lymphocytes sanguins et/ou la recherche d’une clonalité T circulante sont nécessaires au diagnostic. La réponse aux corticoïdes est habituelle, avec un degré variable de corticodépendance (5). Ces SHE-L peuvent être considérés comme d’authentiques syn-dromes lymphoprolifératifs indolents, au pronostic le plus souvent favorable, qu’il faut savoir différen-cier d’authentiques lymphomes agressifs de type lymphome angio-immunoblastique, justifiant une chimiothérapie agressive (11).

Traitement des SHE

Indications et objectifsUn traitement est indispensable dans les SHE symp-tomatiques en raison du risque d’atteinte viscérale irréversible, ainsi que dans les LCE du fait du risque d’acutisation. En revanche, certains patients gardent des HE parfois importantes pendant des années en l’absence de tout retentissement viscéral ; une simple surveillance peut alors être proposée (12).

L’importance de l’HE ne doit pas être un critère de début de traitement chez les patients asymptoma-tiques. En dehors des HE/SHE clonaux, pour lesquels l’objectif doit être la rémission hématologique et moléculaire/cytogénétique, il est habituel, dans les SHE idiopathiques ou les SHE-L, d’avoir comme unique objectif la rémission clinique, et de tolérer une HE modérée sous traitement, notamment afin de ne pas risquer l’arrêt d’un traitement pour intolérance.

HE/SHE clonauxEn cas de LCE F/P+, l’imatinib est bien évidemment la première ligne thérapeutique, avec une efficacité initiale constante (rémission hématologique et molé-culaire), et ce à des posologies très inférieures à celles utilisées dans la LMC (habituellement 100 mg/j) [8]. À l’instar de l’essai STIM dans la LMC, le registre français du Réseau éosinophile (étude rétrospec-tive) a pour la première fois démontré la possibilité d’une rémission moléculaire persistante à l’arrêt de l’imatinib chez 40 % des 11 patients en arrêt de traitement (8). Ces résultats préliminaires devront être confirmés par des travaux prospectifs. Moins de 10 cas de résistance à l’imatinib ont été rapportés, principalement liés à l’apparition d’une mutation T674I, analogue à la mutation T315I de BCR-ABL (13).L’imatinib est par ailleurs indiqué dans les autres formes de LCE F/P– impliquant une tyrosine kinase sensible à l’imatinib (translocations impliquant PDGFRB ou PDGFRA). La prescription d’imatinib ou d’autres inhibiteurs de tyrosine kinase se justifie aussi dans les SHE sans anomalie cytogénétique mais avec des arguments indirects de néoplasie myéloïde, bien que leur efficacité y soit inconstante. Leur utilisation n’apparaît en revanche pas justifiée dans les SHE-L ou les SHE idiopathiques en première intention.

SHE-L et SHE idiopathiquesDans les autres situations (SHE-L et SHE idiopa-thiques), on recommande initialement un traite-ment par corticoïdes (prednisone 0,5 à 1 mg/kg/j). L’interféron α et l’hydroxyurée, seuls ou en associa-tion, restent les traitements de choix de deuxième ligne. En cas d’inefficacité ou de corticodépendance à un niveau élevé, les anticorps monoclonaux anti-IL-5 (mépolizumab, reslizumab) pourraient être une alternative en raison de leur efficacité et de leur tolérance (14, 15). Dans les situations réfractaires, quel que soit le type de SHE, la ciclosporine, la cla-dribine, le lénalidomide, l’alemtuzumab (anticorps monoclonal anti-CD52, exprimé sur les PNE) et l’allo-greffe de moelle seront à envisager.

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Hypercytoses singulières

d o s s i e r

Conclusion

Le cadre hétérogène des HE/SHE a été bouleversé ces 20 dernières années par la confi rmation du caractère clonal de certaines HE. Il s’agit principalement des LCE F/P+, autrefois associées à un pronostic péjoratif lié au développement d’une fi brose endomyocardique et à l’acutisation. L’avènement de l’imatinib permet actuellement des rémissions moléculaires presque systématiques, empêchant toute acutisation lorsque

le traitement est instauré en phase chronique. Ces HE/SHE clonaux restent néanmoins minoritaires, l’im-mense majorité étant représentée par des HE/SHE réactionnels ou idiopathiques liés le plus souvent à une polarisation Th2, comme dans la situation carica-turale des SHE lymphoïdes. Lorsqu’un traitement est justifi é, les corticoïdes, l’interféron α et l’hydroxyurée restent les molécules de choix. Les anticorps monoclo-naux anti-IL-5 semblent avoir un intérêt chez certains patients corticodépendants. ■

J.E. Kahn déclare avoir des liens d’intérêts

avec GSK.

1. Yousefi S, Gold JA, Andina N et al. Catapult-like release of mitochondrial DNA by eosinophils contributes to antibacterial defense. Nat Med 2008;14(9):949-53.2. Rosenberg HF, Dyer KD, Foster PS. Eosinophils: changing pers-pectives in health and disease. Nat Rev Immunol 2013;13(1):9-22.3. Valent P, Klion AD, Horny HP et al. Contemporary consensus proposal on criteria and classifi cation of eosinophilic disorders and related syndromes. J Allergy Clin Immunol 2012;130(3):607-12.

4. Ogbogu PU, Bochner BS, Butterfield JH et al. Hyper eosino-philic syndrome: a multicenter, retrospective analysis of clinical characteristics and response to therapy. J Allergy Clin Immunol 2009;124(6):1319-25.

5. Lefèvre G, Copin MC, Staumont-Sallé D et al. The lymphoid variant of hypereosinophilic syndrome: study of 21 patients with CD3-CD4+ aberrant T-cell phenotype. Medicine (Baltimore) 2014;93(17):255-66.

6. Teff eri A, Vardiman JW. Classifi cation and diagnosis of myeloproli-ferative neoplasms: the 2008 World Health Organization criteria and point-of-care diagnostic algorithms. Leukemia 2008;22(1):14-22.

R é f é r e n c e s

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Hyperéosinophilies chroniques inexpliquées

7. Cools J, DeAngelo DJ, Gotlib J et al. A tyrosine kinase created by fusion of the PDGFRA and FIP1L1 genes as a therapeutic target of imatinib in idiopathic hypereosinophilic syndrome. N Engl J Med 2003;348(13):1201-14.

8. Legrand F, Renneville A, Macintyre E et al. The spectrum of FIP1L1-PDGFRA-associated chronic eosinophilic leukemia: new insights based on a survey of 44 cases. Medicine (Baltimore) 2013 Aug 26 [Epub ahead of print].

9. Simon HU, Plötz SG, Dummer R et al. Abnormal clones of T cells producing interleukin-5 in idiopathic eosinophilia. N Engl J Med 1999;341(15):1112-20.

10. Cogan E, Schandené L, Crusiaux A et al. Brief report: clo-nal proliferation of type 2 helper T cells in a man with the hypereosinophilic syndrome. N Engl J Med 1994;330(8):535-8.

11. Lefèvre G, Copin MC, Roumier C et al. CD3-CD4+ lymphoid variant of hypereosinophilic syndrome: nodal and extrano-dal histopathological and immunophenotypic features of a peripheral indolent clonal T-cell lymphoproliferative disorder. Haematologica 2015;100(8):1086-95.

12. Klion AD. How I treat hypereosinophilic syndromes. Blood 2015;126(9):1069-77.

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14. Rothenberg ME, Klion AD, Roufosse FE et al. Treatment of patients with the hypereosinophilic syndrome with mepoli-zumab. N Engl J Med 2008;358(12):1215-28.

15. Roufosse FE, Kahn JE, Gleich GJ et al. Long-term safety of mepolizumab for the treatment of hypereosinophilic syn-dromes. J Allergy Clin Immunol 2013;131(2):461-7.

R é f é r e n c e s

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