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GERMAINE TAILLEFERRE (1892–1983) I - L’oeuvre et son contexte 1 - Portrait de Germaine Tailleferre : Née le 19 avril 1892 à Saint-Maur-des-Fossés (94), elle se montre douée pour la musique et écrit ses premières oeuvres musicales à l’âge de 5 ans. À l’âge de 12 ans, elle entre au Conservatoire de Paris et étudie le solfège puis l’harmonie (science des accords), mais aussi le piano à travers ses cours d’accompagnement. La fin de ses études musicale est couronnée par l’obtention de plusieurs 1 er prix (harmonie, contrepoint, accompagnement piano). Durant ces années de jeunesse, elle n’étudie pas la composition, cela ne l’empêche pas pour autant d’écrire de façon autonome. Ses oeuvres rencontrent les oreilles de grands musiciens comme Érik Satie qui voient en elle une nouvelle génération de compositeurs. Avec Francis Poulenc, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Georges Auric et Louis Durey, ils forment le célèbre « Groupe des Six », groupe cependant hétérogène tant les styles de chacun de ses membres sont variés. Malgré sa reconnaissance, elle continue d’étudier la composition, avec Charles Koechlin puis avec Maurice Ravel. Installée alternativement en France et en Amérique, Germaine Tailleferre se marie à deux reprises ; une fille étant née de ce second union. Ses deux maris, jaloux de son talent et de son succès ont tenté de la décourager de composer mais, même si sa production reste irrégulière selon les années, elle parvient à achever de grandes oeuvres. Son catalogue d’oeuvre est aussi important que varié : - oeuvres pour piano (seul à 2 ou 4 mains, ou deux pianos), - musique de chambre (petit effectif : sonate, trio, quatuors…), - musiques pour orchestre (2 concertos pour piano et un pour violon…), - oeuvres scéniques (ballets…), - musiques de film, de télévision, de radio - oeuvres pour voix (mélodies ou oeuvres de plus grande ampleur telle que la Cantate de Narcisse en 1937), - oeuvres lyriques (des opéras tels que La petite sirène, en 1957 ou Le Maître en 1959, encore les 4 opéras de poche de 1955 au programme). Ses oeuvres lyriques lui permettent de collaborer avec les plus grands écrivains : Jean Tardieu, Paul Valéry, Eugène Ionesco. 2 - Les 4 opéras de poche au programme du bac 2.a : Élaboration du projet Très impliquée dans le monde artistique de la Belle époque (avant la 1 ère guerre mondiale) et de l’entre deux guerres (1919-1938), elle côtoie les plus grands et ce n’est pas sans raison qu’elle se tourne vers le répertoire lyrique. Elle s’intéresse de près au répertoire de l’opéra, en particulier celui de l’opéra français, que ce soit de l’époque Baroque ou du XIX e siècle, du grand opéra ou de l’opéra comique. Ainsi, les quatre opéras « de poche » au programme du bac sont créés en 1955 ; ils abordent librement différents styles et témoignent de la grande culture lyrique de Germaine Tailleferre. Écrite sur des textes de Denise Centore (la nièce de la compositrice), cette oeuvre compte à l’origine cinq opéra, mais le dernier (« Rouille à l’Arsenic ») a été perdu. Ainsi les quatre mini- opéras bouffes, qui nous sont parvenus (d’une durée de 20 à 25 minutes chacun) sont, à leur manière, un véritable pastiche des différents styles et constituent une « Petite histoire lyrique de l’art français, du style galant au style méchant » (titre de l’oeuvre), partant de Rameau jusqu’à Offenbach, en passant par Rossini et Charpentier. Chaque opéra s’imprègne avec finesse du style des compositeurs référents et les caricature avec humour :

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GERMAINE TAILLEFERRE(1892–1983)

I - L’oeuvre et son contexte

1 - Portrait de Germaine Tailleferre : Née le 19 avril 1892 à Saint-Maur-des-Fossés (94), elle se montre douée pour la musique et écrit ses premières oeuvres musicales à l’âge de 5 ans.À l’âge de 12 ans, elle entre au Conservatoire de Paris et étudie le solfège puis l’harmonie (science des accords), mais aussi le piano à travers ses cours d’accompagnement. La fin de ses études musicale est couronnée par l’obtention de plusieurs 1er prix (harmonie, contrepoint, accompagnement piano). Durant ces années de jeunesse, elle n’étudie pas la composition, cela ne l’empêche pas pour autant d’écrire de façon autonome. Ses oeuvres rencontrent les oreilles de grands musiciens comme Érik Satie qui voient en elle une nouvelle génération de compositeurs. Avec Francis Poulenc, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Georges Auric et Louis Durey, ils forment le célèbre « Groupe des Six », groupe cependant hétérogène tant les styles de chacun de ses membres sont variés. Malgré sa reconnaissance, elle continue d’étudier la composition, avec Charles Koechlin puis avec Maurice Ravel.Installée alternativement en France et en Amérique, Germaine Tailleferre se marie à deux reprises ; une fille étant née de ce second union. Ses deux maris, jaloux de son talent et de son succès ont tenté de la décourager de composer mais, même si sa production reste irrégulière selon les années, elle parvient à achever de grandes oeuvres. Son catalogue d’oeuvre est aussi important que varié :- oeuvres pour piano (seul à 2 ou 4 mains, ou deux pianos),- musique de chambre (petit effectif : sonate, trio, quatuors…), - musiques pour orchestre (2 concertos pour piano et un pour violon…), - oeuvres scéniques (ballets…),- musiques de film, de télévision, de radio- oeuvres pour voix (mélodies ou oeuvres de plus grande ampleur telle que la Cantate de

Narcisse en 1937), - oeuvres lyriques (des opéras tels que La petite sirène, en 1957 ou Le Maître en 1959, encore

les 4 opéras de poche de 1955 au programme).

Ses oeuvres lyriques lui permettent de collaborer avec les plus grands écrivains : Jean Tardieu, Paul Valéry, Eugène Ionesco.

2 - Les 4 opéras de poche au programme du bac

2.a : Élaboration du projet Très impliquée dans le monde artistique de la Belle époque (avant la 1ère guerre mondiale) et de l’entre deux guerres (1919-1938), elle côtoie les plus grands et ce n’est pas sans raison qu’elle se tourne vers le répertoire lyrique. Elle s’intéresse de près au répertoire de l’opéra, en particulier celui de l’opéra français, que ce soit de l’époque Baroque ou du XIXe siècle, du grand opéra ou de l’opéra comique.Ainsi, les quatre opéras « de poche » au programme du bac sont créés en 1955 ; ils abordent librement différents styles et témoignent de la grande culture lyrique de Germaine Tailleferre. Écrite sur des textes de Denise Centore (la nièce de la compositrice), cette oeuvre compte à l’origine cinq opéra, mais le dernier (« Rouille à l’Arsenic ») a été perdu. Ainsi les quatre mini-opéras bouffes, qui nous sont parvenus (d’une durée de 20 à 25 minutes chacun) sont, à leur manière, un véritable pastiche des différents styles et constituent une « Petite histoire lyrique de l’art français, du style galant au style méchant » (titre de l’oeuvre), partant de Rameau jusqu’à Offenbach, en passant par Rossini et Charpentier. Chaque opéra s’imprègne avec finesse du style des compositeurs référents et les caricature avec humour :

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- les tragédies lyriques de Rameau avec La Fille d’opéra qui, à l’époque de Louis XV, met en scène les amours de Pouponne et du Chevalier Mistouflet

- les opéras-comiques de Rossini (?), Gounod, Auber avec Le Bel Ambitieux qui retrace également une histoire d’amour entre Alphonse de Palpebral qui soupire pour la belle comtesse de Lestourbi, dans un décor du Paris au XIXe.

- le style réaliste de Gustave Charpentier ou Alfred Bruneau avec La Pauvre Eugénie, une midinette désepérée qui va retrouver le bonheur avec Gégène dans un cadre début XXe.

- le style d’Offenbach avec Monsieur Petitpois achète un château qui se déroule au second empire et cache derrière son titre une histoire d’amour entre le lieutenant Adélestan et Héloïse.

2.b : La version originiale de la RTF (Radiodiffusion-Télévision Française) Créés le 28 décembre 1955 par l’Orchestre National de la RTF, avec une équipe incluant Claudine Collart (soprano) et Lucien Lovano (baryton-basse), ces quatre opéras de poche ont été redonnés en septembre 1962, toujours par l’ORTF, avec les piliers de ce genre de concert (Lina Dachary, Michel Hamel, Aimé Doniat, Bertrand Demigny…). L’oeuvre fut ensuite oubliée durant plusieurs décennies avant de refaire surface, dans les années 2000, dans des projets modestes ; ses exigences vocales relativement limitées permettent alors à des troupes amateurs de s’approprier cette musique et de la proposer au public.Au delà de l’authenticité qu’elles peuvent représenter (car jouées du vivant de la compositrice), ces interprétations sont aujourd’hui un véritable témoignage de la manière d’interpréter les oeuvres des compositeurs du passé tels que Rameau, Rossini… En effet, les avancées de la recherche musicologique dans les années 70 ont permis de renouveler totalement l’approche stylistiques de ces périodes, notamment la période baroque. Aujourd’hui, avec notre recul historique, nous pouvons apprécier et mesurer l’évolution des interprétations de ces répertoires dont les perceptions ont été très variées. Pour Rameau par exemple, les interprétations du XIXe

siècle n’ont rien à voir avec celle données aujourd’hui, même si la partition sur laquelle les musiciens s’appuient est la même. À l’époque de Germaine Tailleferre, la musique de Rameau est encore jouée avec un style très imprégné de l’époque romantique.

2.c : L’adaptation pour la scène, un projet ambitieux« L’Affaire Tailleferre » est un projet artistique qui cherche à unifier dans un même spectacle les 4 opéras de Tailleferre. Initialement destinés à une diffusion radiophonique en épisodes séparés (d’où leur brièveté ?), le projet de porter l’oeuvre à la scène impose une réflexion quant à la perception globale de l’oeuvre afin d’en unifier le contenu. De plus, les opéras ont été pensés pour le public des années 50, avec des références culturelles qui ont changé par rapport aux spectateurs d’aujourd’hui. Comment retranscrire les références de façon à ce qu’elles soient compréhensibles pour la société actuelle ? La metteur en scène Marie-Eve Signeyrole a pris le parti d’unifier «  artificiellement  » les quatre opéras dans une intrigue commune à travers la mise en place d’un tribunal dans lequel chaque protagoniste serait jugé pour ses délits. Viennent également s’insérer des personnages qui ne chantent pas mais interviennent comme danseurs, récitants ou simplement figurants.Cette production filmée fait aujourd’hui l’objet d’une parution sous la forme d’un DVD qui propose également, conjointement au site (http://www.reseau-canope.fr/tailleferre), diverses ressources en bonus mettant en éclairage les différents aspects de l’oeuvre et de son contexte. En parallèle, l’oeuvre est éditée en partition, sous la forme de deux volumes (intégrant chacun deux opéras, version réduction piano-chant avec les livrets de Denise Centore), mais aussi sous forme de partition d’orchestre avec chant.

3 - Le genre de l’opéra : points de repère 3.a : naissance de l’opéra en italie

L’opéra voit le jour au début de l’époque Baroque en Italie avec, en 1607, Orfeo de Claudio Monteverdi (1567-1643). Ce nouveau genre musical connait un succès croissant et se propage dans les grandes villes italiennes (Florence, Rome, Venise, Naples) avant de franchir les frontières.

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Écoute 01 C. Monteverdi (1567-1643) : Orfeo - « In questo lieto e fortunato giorno »

3.b : arrivée de l’opéra en France Influencé par l’opéra italien qui arrive en France autour de 1645 (par le biais de Mazarin), l’opéra authentiquement français nait autour de 1670, dans un contexte bien différent de l’opéra italien. Issu de la tradition de l’Air de cour et du Ballet de cour (genres aristocratiques), l’opéra français apparait à la cour et devient rapidement un spectacle officiel, donc soutenu par des moyens importants. Les français (concurrents directs des italiens) se devaient d’inventer un genre qui se détache nettement du style italien. Ainsi, le terme opéra est volontairement évité, remplacé par d’autres noms tels que la tragédie lyrique, la tragédie ballet, la pastorale héroïque… et enfin l’opéra ballet. Cela montre la confusion des genres mais ce qu’il faut retenir c’est la place de la danse qui se révèle être de premier ordre. C’est avec Molière (1622-1673) et J.B. Lully (1632-1687) qu’apparait la comédie ballet : un spectacle qui mêle le théâtre, la danse et la musique.Écoute 02 J.B. Lully (1632-1687) : Le Bourgeois Gentilhomme (1670) - « Marche pour la cérémonie des Turcs »

3.c : l’opéra comique françaisDébut XVIIIe : apparition de l’opéra comique ; c’est un genre dont le propos n’est pas forcément destiné à faire rire (il peut même être tragique), mais il se caractérise par un dénouement toujours heureux. L’oeuvre fait entendre en alternance des dialogues parlés et des airs (dans un style populaire ou savant) ; c’est l’équivalent du Singspiel en Allemagne (comme par exemple La flûte enchantée de Mozart). Il n’y a pas de choeur et ni de ballet, ce qui marque une certaine rupture par rapport à la tradition de la danse. Écoute 03 C. W. Gluck (1714-1787) : La rencontre imprévue (1764)ou A. Grétry(1741-1813) Zémire et Azor (1771)Contrairement à l’opéra seria (sérieux en italien, héritier des dramma per musica), l’opéra comique n’aborde pas de sujets mythologiques ; mais son évolution au cours du XIXe siècle va s’orienter vers une écriture musicale plus riche et uniquement composée de mélodies originales. Les airs se rapprochent tantôt de la romance (populaire), tantôt de l’air de bravoure. En effet, la révolution française a largement contribué à redéfinir les formes de l’opéra français : ce genre aristocratique devient alors accessible au public qui est en demande de sensations fortes et pour lequel le pittoresque et le grandiose passent avant la musique elle-même ; d’où cette mauvaise réputation de l’opéra français du début du XIXe siècle, mais un peu excessive toute de même…Écoute 04 F.A. Boieldieu (1775-1834) : La dame blanche « C’est la cloche… »(1825)Cependant, des compositeurs brillants écrivent des oeuvres qui vont redonner à l’opéra français toutes ses lettres de noblesse.Écoute 05 G. Bizet (1838-1875) : Carmen « La fleur » (1875) ; Les pêcheurs de perles (1863)Gounod : Faust (1859), Mireille (1864)Massenet : Manon (1884), Werther (1892), Thaïs (1894)

3.d : le grand opéra françaisAu début du XIXe, un autre genre habitait le paysage lyrique français : le grand opéra qui se place dans la lignée des tragédies de Gluck, reprenant de grands thèmes historiques ou bibliques.D.F.E. Auber (1799-1862) : La muette de Portici (1828)G. Meyerbeer (1791-1864) : Les Hugenots (1836)Écoute 06 G. Charpentier (1860-1956) : Louise « Depuis le jour… »(1900)

3.e : l’opéra bouffe et l’opéretteAu XIXe, l’opéra comique devenant un genre trop sérieux (vu plus haut), les compositeurs cherchent donc un nouveau cadre pour retrouver l’esprit satirique et plus léger de l’opéra comique. F. Ronger (1825-1892, surnommé Hervé) créé et développe le genre de l’opérette au début des années 1850.

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À la même époque et dans le même esprit apparaît l’opéra bouffe sous l’impulsion de J. Offenbach (1819-1980) et inspiré par l’opéra buffa italien. Il s’agit d’oeuvres pleines de fantaisies (mais sans vulgarité) et dont le sujet est comique ; mais l’opéra bouffe se veut plus abouti que les opérettes, notamment au niveau de l’écriture musicale qui est beaucoup plus ambitieuse et dont la qualité n’a parfois rien à envier au genre du grand opéra. De plus, l’intrigue est généralement plus complexe que dans l’opérette, et le nombre de personnage est plus important. Sur le fond, l’opéra bouffe se veut parodique et satirique, et à travers des sujets apparemment léger se cache parfois une réelle critique de la société. Écoute 07 J. Offenbach (1819-1980) : Orphée aux enfers « Air de Cupidon » (1858) (vidéo) Écoute 08 G. Rossini (1792-1868) : Le Barbier de Séville « Largo al factotum » (1813)

II - Analyse des quatre opéras

Introduction Les 4 opéras font entendre un orchestre assez allégé mais complet au niveau des timbres. D’une oeuvre à l’autre, la formation orchestrale varie sensiblement en fonction des besoins stylistiques et des références. Ainsi, l’orchestre de base compte 1 flûte, 1, clarinette, 1 hautbois, 1 basson, 2 cors, 1 trompette, 1 trombone, des timbales et des percussions, 8 violons I, 6 violons II, 4 altos, 4 violoncelles et 2 contrebasses.Au niveau structurel, étant donné que les opéras sont courts, il ne se découpent pas en actes, mais seulement en scènes (excepté pour La pauvre Eugénie qui se divise en 5 «  tranches de vie », terme utilisé par Germaine Tailleferre pour mieux coller à ses modèles naturalistes). Chaque scène correspond à des entrées ou sorties de personnages et peut faire entendre une ou plusieurs pièces musicales (pièces instrumentales, moment parlé, chanté à un ou plusieurs…).L’objectif de cette analyse est de préparer les candidats au commentaire d’écoute de l’épreuve du bac et de donner des clés de compréhension de la démarche de Germaine Tailleferre dans la composition, l’imitation stylistique et le pastiche. Ainsi pour chaque opéra, seul un corpus de pièces emblématiques (donc non exhaustif) sera étudié, ce qui n’empêchera pas le candidat d’écouter attentivement l’ensemble des scènes (même si certaines d’entre elles présentent un intérêt assez limité pour notre étude).

1 - LA FILLE D’OPÉRA, d’après RameauFormation orchestrale : à la formation de base s’ajoute le clavecinNombre scènes : 11Nombre de personnages : Pouponne, son père, sa mère, son amant Mistouflet, un bottier, un perruquier et un inspecteur de police.Résumé de l’intrigue : abandonnée par son mari, Pouponne rejoint son amant Mistouflet ; mais leur rencontre sera régulièrement interrompue par la visite des autres personnages de l’opéra qui vont défiler afin de demander le remboursement de la dette que Pouponne a contractée. Dans l’impossibilité de payer, l’inspecteur envisage de l’envoyer à la Bastille, quand un retournement de situation intervient : un certain Mac Sennett propose, contre ses faveurs, d’essuyer ses dettes et de la faire entrer à l’opéra…

Ouv. scène 1 scène 2 scène 3 scène 4 scène 5

Instrumental

duo parlée faux trio

récit. solo duo récit. à deux

aria duo à l’unisson

quatuor puis duo

parlé

chap.3 5 6 7 8 9 10 11-14 15 15 16 16

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L’ouverture : Elle est à l’échelle de l’opéra, c’est à dire très réduite au niveau de ses proportions (14 secondes). Elle se compose de deux phrases symétriques (antécédent avec fin de phrase suspensive ; puis conséquent avec un sentiment conclusif). En référence à l’ouverture à la française mise en place par Lully et reprise par Rameau, Tailleferre utilise un tempo lent et des rythmes pointés qui installent un caractère solennel et majestueux. Cependant, pour des raisons de concision, Tailleferre fait l’impasse sur la seconde partie fuguée que cette forme impose.

Duo de la scène 1 : Pouponne et Mistouflet

Ce duo a une forme binaire en 2 parties symétriques. Chaque partie fait entendre 3 phrases musicales (A, B, C) correspondant chacune à 3 mélodies différentes. Elles sont interprétées par l’orchestre seul, par un chanteur soliste ou en duo. L’écriture est simple avec l’utilisation des mélodies plutôt conjointes (mode de jeu legato) et des principaux accords de la tonalité (fa majeur). L’intervention de la flûte apporte un caractère léger qui souligne l’amour insouciant des deux personnages, également souligné par une écriture en tierces lors des passages en duo. Le texte est majoritairement syllabique et l’écriture vocale avec peu de vocalises ou d’ornementation reste sobre. Le tempo est modéré, voire rapide ; la pulsation est binaire ; et les rythmes utilisés sont assez simples (noires, croches).Dans ce duo, le rapprochement avec Rameau n’est pas très éloquent, l’écriture est assez conventionnelle et cherche peut-être plus à installer l’intrigue plutôt qu’à se rapprocher du style du compositeur Baroque.Notons également que le duo de la scène 4 reprend en substance les éléments mélodiques, mais à la différence de ce premier duo, celui de la scène 4 fait entendre Pouponne et Mistouflet ensemble du début à la fin.

Trio de la scène 3 : Pouponne, sa mère et son père

Le trio fait entendre alternativement les trois chanteurs dans de courtes interventions. Le caractère populaire, «  campagnard  » qui colle aux parents de Pouponne est mis en place par plusieurs éléments musicaux : la tonalité pastorale de fa Majeur, le tempo allant, presque dansant, mais aussi le timbre du hautbois qui, avec la flûte, se partage un rôle mélodique de premier plan, en particulier dans les parties instrumentales. La dimension populaire est également soulignée par l’emprunt d’une mélodie populaire dans la phrase C (celle de Pouponne) : il s’agit de Nous n’irons plus au bois, et plus particulièrement la fin de la mélodie «  sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez  ». D’ailleurs, comme dans la

scène 6 scène 7 scène 8 scène 9 scène 10 scène 11

duo avec aria et récit.

parlé solo puis trio

parlé reprise scène 3 puis parlé

Forlane solo

fin en trio parlé puis récit.

final en septuor

chap. 18 19 20 21 22 23 25 26 27-28

A A’ B B’ C C’ A’ B B’ C C’ A

instrumental

solo Pouponne

solo Pouponne

duo duo duo solo Mistouflet

solo Mistouflet

duo duo duo instrumental

A A’ B C A’ B C A’ B

instrumental solo la mère

solo le père

solo Pouponne

solo la mère

solo le père

solo Pouponne

solo la mère

solo le père

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chanson, on souligne le rapprochement avec l’écriture qui est structurée en courtes phrases reprises.

Mélodie de Pouponne, inspirée de la comptine « Nous n’irons plus au bois »

Enfin, notons que la scène 8 reprendra à nouveau la mélodie de cette scène 3, avec peu de changements.

Récitatif de la scène 3

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Le récitatif de la scène 3 (entre Mistouflet, le père et la mère de Pouponne) est tout à fait caractéristique des récitatifs «  secs  » de l’époque baroque. En effet, contrairement au récitatif accompagné (qui fait intervenir l’orchestre), le soutien instrumental est uniquement assuré par la basse continue (ici, le clavecin seul). Ce type d’écriture se caractérise également par un accompagnement ponctuel en accords (plaqués ou arpégés) qui ponctuent le discours. Au niveau vocal, la prosodie se rapproche de la déclamation naturelle tant sur le plan rythmique que de la direction mélodique. Ainsi, la pulsation est difficile à percevoir

Scène 5 : une grande variété d’écritureCette scène est particulièrement riche au niveau de l’écriture musicale. En effet, elle fait entendre des parties instrumentales, des parties a cappella, ou en chant accompagné allant du chanteur soliste au quatuor. L’écriture vocale est également d’une grande variété avec des passages tantôt récitatif, tantôt chantés. Au début de la scène 5, le bottier et le merlan (perruquier) entrent en scène avec Mistouflet. Le caractère populaire est toujours présent, soutenu par le hautbois, mais l’ajout des timbales apporte un style militaire.Un peu plus loin, le duo entre le bottier et le merlan se transforme en air, uniquement accompagné par une ligne contrapuntique au basson. Des moyens minimalistes qui sont renforcés par l’orchestre à cordes à la fin de l’air. La fin de la scène fait entendre un quatuor entre ces deux derniers personnages, Mistouflet et Pouponne. L’impression de confusion est obtenue par la superposition de lignes vocales (polyrythmie) sur des textes différents, rendant presque incompréhensibles les paroles. Encore une fois, le rapprochement avec Rameau semble difficile ; la superposition des lignes vocales et l’accompagnement minimaliste en contrepoint par un seul instrument un peu courante dans les opéras de Rameau.

Scène 6 : duo entre Pouponne et Mistouflet, comique ou dramatique ?La scène se découpe en trois parties : le duo chanté, un récitatif (sec avec le clavecin seul), puis le retour du duo chanté. Les duos sont accompagnés par l’orchestre ; l’écriture est classique (plutôt Gluck que Rameau). Les syncopes de l’orchestre associées à la tonalité de do mineur apportent à l’extrait une couleur sombre et dramatique exagéré par rapport au contenu du texte : «  me suivras-tu jusqu’à Limours » ; cela créé un décalage donc un effet comique souligné par la rupture mise en place par le récitatif central.Ce duo peut être entendu comme une référence au duo entre Orphée et Eurydice tiré du 3e acte (scène 1) d'Orphée et Eurydice de Gluck « Je frémis, je languis » ; en effet, ils sont composés dans la même tonalité et on retrouve dans l’accompagnement les mêmes rythmes syncopés destiné à créer une atmosphère angoissante et haletante.

Écoute C.W. Gluck (1714-1787) : Orphée et Eurydice (1762)Guide d’écoute : quel type d’écriture vocale ? air, récitatif accompagné ou récitatif sec ?

Scène 7 : trio « de la Bastille » avec Mistouflet, l’inspecteur et PouponneTailleferre conserve la tonalité de do mineur, mais cette fois-ci le style se rapproche davantage de Rameau. Le trio est composé à partir d’un mouvement de sarabande (ou de chaconne), danse lente, noble et solennelle à trois temps. Le jeu est très legato et l’accompagnement est assuré par l’orchestre. A B A’ A’’

Solo de Mistouflet solo de l’inspecteur solo de Pouponne trio

voix de basse voix de ténor voix de soprano basse, ténor, soprano

16 mesures 16 mesures 16 mesures 16 mesures

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La mouvement se découpe en quatre grandes périodes et la partie B, interprétée par l’inspecteur, se démarque par une descente chromatique (figuralisme de la descente en prison ?).

Si il faut choisir une des pièces de la «  Fille d’opéra  » pour établir un rapprochement avec Rameau, c’est bien de ce trio « de la Bastille » qu’il faut parler. Dans l’opéra Castor et Pollux de Rameau (1737), l’air de Télaïre (issu de l’acte 1 scène 3) commence par le texte «  Tristes Plaisirs ». Malgré la différence de mesure (3 et 4 temps), le caractère de ce passage se rapproche de la scène 7 ; il est écrit comme une sarabande (avec appui sur le 2e temps) et fait entendre une longue mélodie chantée legato. S’agit-il d’un pastiche de cet air de Rameau ? L’idée n’est pas si absurde, surtout lorsque l’on sait que dans les années 1940, Castor et Pollux a été repris sur la scène de l’opéra Garnier, spectacle que Tailleferre aurait vraisemblablement pu voir.

Scène 9 : sur un rythme de ForlaneLa forlane est danse à trois temps jouée dans un tempo rapide. Ce n’est pas une danse très courante dans les oeuvres baroques, mais elle est utilisée principalement par les compositeurs français, d’où le clin d’oeil de Tailleferre ?

Écoute A. Campra (1660-1744) : Le carnaval de Venise (1699) - ForlaneGuide d’écoute : repérez le rythme caractéristique de la forlane ; vous tenterez de le retrouver ensuite dans l’extrait de la Fille d’opéra.

La forlane de la Fille d’opéra contient un rythme qui revient de façon obstinée et appelé «  sicilienne  » (croche pointée, double-croche, croche). Cette ostinato caractéristique de cette danse même si le tempo lent en modifie le caractère : en effet, il s’agit plutôt d’un bercement que d’un mouvement de danse. En tout cas, l’esprit de la danse baroque est bien présent et le rapprochement avec Rameau est tout à fait pertinent.Au niveau orchestral, l’écriture fait entendre un accompagnement legato dominé par les cordes frottées tandis que les flûtes apparaissent ponctuellement.

Au niveau structurel, l’extrait se découpe en 3 couplets précédés d’une introduction instrumentale. Chaque couplet se divise en deux phrases (a et b) qui se succèdent et est ponctué par une courte ritournelle instrumentale qui sert de transition. Il s’agit là d’un bel exemple d’air à forme strophique comme on en composait à l’époque de Rameau. Les carrures de 4 mesures sont respectées avec précision et la mélodie s’adapte à la prosodie du texte qui évolue d’un couplet à l’autre.

A A1 A2 A3

Introduction instrumentale solo de Pouponne

phrase a Phrases a et b Phrases a et b Phrases a et b

Texte de l’air : On me parle d’un gentilhomme aimable et riche, et me dit-on très amoureux de ma personne, étranger mais de fort bon ton, ceci vaut bien qu’en raisonne car il m’envoie, voyez, ma foi, des girandoles*.Je ne sais s’il a de l’esprit, cet article n’est point porté sur le billet qu’on m’a remis, mais sa plume a des probité dont on peut rester attendrie, car il m’envoie , voyez, ma foi, trois mille pistoles, ceci vaut bien qu’on en raisonne.Se faisant scrupule en causant de gâter la conversation, on le dit badin cependant. Je lui rendrai satisfaction car ne troublant point son penchant il n’aura de moi, sur ma foi, q’un bonheur sans parole… *chandelier à plusieurs branches

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Scène 10 : retour du caractère militaire déjà présent dans la scène 5 (le caisse clair sans timbre remplace les timbales). L’air épouse la forme aria da capo, c’est à dire en 3 parties A - B - A’. Ainsi, l’inspecteur début l’air, accompagné principalement par les cordes et la caisse claire ; la partie B «  j’ai ouï dire » contraste avec le début par un changement d’orchestration (clavecin, hautbois, clarinette, cymbales), une nuance plus discrète et un jeu plus détaché (staccato). Enfin, la troisième partie marque à nouveau le contraste mais avec l’ajout de deux personnages (le bottier et le merlan), portant l’effectif vocal au trio. Les trois chanteurs sont soutenus par les cordes et la caisse claire jouant dans une nuance forte.

Scène 11 : Final de l’opéraCette scène s’ouvre sur une courte introduction orchestrale qui installe la tonalité initiale. Elle est suivie par des vocalises de Pouponne : un véritable pastiche d’une cadence de diva d’opéra, accompagné de façon discrète par le clavecin qui arpège quelques accords. L’écriture est très virtuose tant dans la rapidité des traits que dans la tessiture qui s’étend vers l’aigu (contre-ut). L’interprétation de ce passage ajoute un second degré au pastiche par l’emploi d’un large vibrato, très à la mode à l’époque de Tailleferre. En contraste avec la virtuosité de Pouponne qui poursuit sa ligne, les 6 autres personnages de l’opéra interviennent sur le thème de l’introduction initiale dans une écriture homorythmique accompagnés par un tutti orchestral.La partie soliste de Pouponne ajoute aux références de Tailleferre avec deux citations de compositeurs : Niccolo Piccini et André Destouches). intervention conjointe du septuor (les 7 personnages) en alternance et en superposition de intervention de Pouponne

2 - LE BEL AMBITIEUX, d’après RossiniSynopsis : la scène se passe au début du XIXe siècle ; Clémentine de l’Estourbie, belle et riche comtesse de 42 ans (qui dit en avoir 23), cherche à se séparer de son jeune amant, le vicomte Alphonse de Palpébral. Pour cela, elle l’accuse d’avoir dépensé son argent aux jeux, mais devant le tribunal, Alfonse découvre Euphrasie, la fille de Clémentine, qui le sauve…

Formation orchestrale : dans ce deuxième opus, elle est sensiblement la même que celle de la Fille d’opéra, mais le changement de style et d’époque oblige Tailleferre à quelques aménagements ponctuels : les percussions (sauf timbales) et le basson disparaissent, et le clavecin est remplacé par la harpe.

Les personnages : Clémentine de l’Estourbie, Alfonse de Palpébral (amant de Clémentine), Euphrasie, Petit Jacques (rôle mineur), le Baron Pschutt (ami de Clémentine)

Organisation : trop courte pour faire l’objet de plusieurs actes, l’oeuvre se divise en 12 scènes précédées d’une ouverture. Contrairement à la Fille d’opéra, les scènes ne contiennent pas plus de deux numéros, elles sont parfois parlées (caractéristique de l’opéra comique), parfois chantés, allant du solo au quintette.

En résumé : pastiche de Rameau (ou de l’époque Baroque)- référence à l’époque Baroque par l’utilisation du clavecin- référence au style français par l’utilisation de l’ouverture à la française (mais en une partie)- importance des mouvements de danse pour les airs (sarabande, forlane)- écriture en récitatif sec- pastiche de l’air de Télaïre issu de Castor et Pollux de Rameau- caricature de la cadence de diva d’opéra- ré-écriture libre à partir de chanson populaire- écriture orchestrale influencée par Gluck- influence du style galant avec des carrures régulières et des mélodies simples

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L’ouverture : à l’image de l’opéra précédent, le Bel ambitieux débute avec une ouverture, mais dans un style radicalement différent. Le caractère se veut sombre, dramatique, tragique (ironie ? car disproportionné par rapport à l’histoire). Tous les moyens musicaux sont mis en jeu pour créer cet effet : la tonalité mineure, les contrastes de nuances et l’accompagnement avec son phrasé expressif (ré, ré, ré, mib-ré ; avec l’appoggiature sur le mib). Au niveau harmonique, la tension est renforcée par l’utilisation d’accords dissonants (tels que la septième diminué, fa#, la, do, mib par exemple), placés sur une pédale de tonique.La thème initial, accompagné des commentaires du narrateur, est joué à deux reprises dans la version d’aujourd’hui, mais à l’origine, dans la version de la radio, elle n’était qu’instrumentale et sans reprise. Dans le début du thème, on reconnait implicitement la mélodie de l’ouverture de la Fille d’opéra, mais les contextes harmonique et rythmique sont tellement différents que le lien n’est pas forcément audible si l’on ne connait pas bien la pièce. La suite du thème fait entendre une mélodie beaucoup moins conjointe avec de nombreux intervalles supérieurs à la quinte, ce qui ajoute au caractère tourmenté, appuyé par le jeu legato des cordes.

Scène 1 : La scène s’ouvre sur un passage parlé soutenu par deux interventions de l’orchestre, ce n’est pas du récitatif (car ce n’est pas chanté), on appelle cela un mélodrame. Les trémolos aux cordes, les roulements de timbales et l’utilisation du registre grave créent une atmosphère dramatique. Tous les autres récitatifs de l’opéra étant construits sur les mêmes procédés d’écriture, il sera inutile de les détailler individuellement.

En contraste avec ce début assez sombre, la suite de la scène fait entendre un duo entre Alfonse et Clémentine. L’écriture est assez lyrique au niveau vocal, la ligne mélodique est assez conjointe, mais de grands intervalles apportent ponctuellement de l’expression. Les passages à deux voix superposées ont un texte identique, mais ne sont pas simplement écrits en tierces parallèles, mais avec une écriture plus travaillée, caractéristique de l’opéra romantique. Le parcours tonal est assez riche et les nombreuses modulations apportent des couleurs variées. Toutefois, le style se rapproche de l’opérette, notamment au niveau de l’accompagnement orchestral qui reste assez léger (pulsation ternaire avec croches répétées), avec une prédominance des cordes, mais également l’utilisation des vents (le hautbois et les flûtes notamment).

Écoute de F. Lehar (1870-1948) Le Pays du sourire (1923) : « Prendre le thé à deux » (duo)Guide d’écoute : comparez l’écriture orchestral puis l’écriture vocale (lignes mélodiques et organisation des interventions entre les deux voix)

Ouv. scène 1 scène 2 scène 3 scène 4 scène 5 scène 6

Instru-mentale

instrumen-tal et parlé

duo Alfonse Clémentine

parlé Alf. et Clém.

air Alf. mazurka

récit. Clém. Alf. et Petit Jacques

parlé Air du baron

parlé Trio valse Clém. Alf. baron

chap.31 32 33 34 35 36 37 38 39 40

scène 7. scène 8 scène 9 scène 10 scène 11 scène 12

parlé Romance de Clém.

Récitatif de Clém.

parlé duo Alf. et Clém.

parlé parlé baron quinette

41 42 43 44 45 46 46 47 48

A B A’

Alfonse puis Clémentine Alfonse puis Clémentine Alfonse et Clémentine

3 sections : a b a 4 sections : c d c d 3 sections : a b a

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Écoute G. Rossini (1792-1868) : Guillaume Tell (1829) « Oui, vous l’arrachez à mon âme »Guide d’écoute : clin d’oeil de Tailleferre : reprise du début de l’air de Rossini (portée du dessous) dans la mélodie de Clémentine (portée du dessus).

Scène 3 : un air de mazurka Cet air d’Alfonse est écrit sur un rythme de mazurka, une danse d’origine polonaise à trois temps sur un tempo vif et qui se caractérise par un rythme pointé sur le premier temps (croche-pointée / double croche). Un des compositeurs majeurs pour cette danse est Frédéric Chopin (1810-1849) qui en a composé près d’une soixantaine ; ainsi, il s’agit sans doute d’un hommage à ce compositeur de la part de Tailleferre. Le caractère marqué et décidé de cette danse, appuyé par l’utilisation du mode majeur, donne à cet air un effet comique puisqu’Alphonse envisage le suicide ! L’air se divise en 3 parties : A, B, A’ ; tandis que dans la partie A, les cordes doublent la voix, l’écriture orchestrale change dans la partie B avec les bois au premier plan et l’utilisation du mode mineur (ton relatif). Comme pour toutes les musiques de danse, les carrures sont respectées avec précision.L’écriture vocale reste syllabique et la ligne mélodique tantôt conjointe, tantôt disjointes (avec de grands intervalles ascendants qui apportent un élan) se rapproche de l’écriture des thèmes de mazurka de Chopin. L’utilisation régulière d’appoggiatures («  ma chère, j’examine  ») donne également beaucoup d’expression.

Notons la petite différence entre la version contemporaine et la version de 1955 dans laquelle l’orchestre reprend le thème principal dans une courte coda.Écoute de F. Chopin (1810-1849) - Mazurka en Do Maj op.33 n°3 (1838)Autre référence avec La donna e mobile, un air de Rigoletto (1851) de G. Verdi (1813-1901)Notons toutefois que Rossini a composé une polka mazurka dans son « Album pour les enfants dégourdis » extrait des Péchés de vieillesse, ensemble d’oeuvres pour piano : le titre étant Fausse Couche de Polka Mazurka.

Scène 5 : l’air du Baron, un air à la Victor Massé (1822-1884)Une fois de plus, l’air est structuré en 3 grandes parties (forme lied) : A B A’, sur une mesure à 3 temps (mais dans un tempo plus lent). La partie A est assez classique, mais la partie B est construite sur la répétition d’un même motif (à cinq reprises) mis en valeur par une tonalité éloignée de la tonalité principale (Fa Maj -> La Maj). La reprise du même motif est justifié par le texte qui utilise une succession de mots se terminant par le son «  ique  » (énigmatique, allégorique, pragmatique, germanique), une terminaison peu élégante, soulignée par la musique et qui ajoute à l’effet comique (rappelons qu’il est changé par le Baron Pchutt !). Tailleferre voudrait-elle prolonger les usages de la critique de l’aristocratie ? Au niveau de l’orchestration et de l’accompagnement, le style léger avec un appui sur les temps forts (aux cordes dans le grave), des groupes de trois notes répétées (aux violons et bois dans un registre aigu, imitant un rire moqueur ?) et des guirlandes de notes aux flûtes n’est pas sans rappeler certains airs d’opéras comiques français tels que ceux de Victor Massé.La voix fait l’objet d’une écriture syllabique Écoute V. Massé (1822-1884) : Les Noces de Jeannette (1853) « Enfin me voila seul ! »

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Scène 6 : trio valse à la Charles Gounod ?Après la mazurka et l’air du Baron, la scène 6 se poursuit à nouveau sur une mesure à 3 temps : un mouvement de valse. Elle est structurée en forme rondo ; plus précisément, le refrain (chanté par les 3 protagonistes) sera en alternance avec deux couplets chantés en solo par Alfonse puis le Baron. La reprise des derniers refrains sera plus développée avec des changements de tonalités et une coda tournoyante et pétillante.

L’écriture mélodique du refrain et des couplets se caractérise par un saut de quinte ou de quarte qui apporte un élan à la phrase musicale, renforcé par le rythme pointé. Peu de mouvement conjoints, mais la mélodie reste facile à retenir car elle est courte et répétée de nombreuses fois. Une courte introduction orchestrale esquisse le thème, s’achevant sur un roulement de timbales. Les trois voix entrent simultanément en chantant en homorythmie sur des mélodies différentes (polyphonie).

Écoute de C. Gounod (1818-1893) : Faust (1859) - La Valse «  Ainsi que la brise légère » (choeur et trio)

Scène 8 Romance d’Euphrasie « à la Romagnesi C’est le passage dans lequel Clémentine est désavouée par sa fille sur son âge. Tailleferre choisit d’écrire une romance afin de coller à la jeunesse et à l’innocence d’Euphrasie (nom qui signifie gaité / joie, et qui est également le vrai nom de Cosette dans les Misérables). Une romance est généralement de forme strophique (pas de refrain), et obéit à une certaine symétrie avec une alternance entre les accords de tonique et de dominante. La scène fait entendre 3 couplets qui interrompus (entre le 2e et le 3e) par un récitatif de Clémentine.

Lors du premier couplet, l’effet comique avec l’insistance sur « de quarante et deux printemps » Dans les deux premiers couplets, l’accompagnement, basé sur une mesure à trois temps, est assez épuré et léger par l’utilisation des contrebasses en pizzicato (sur le premier temps), de la harpe (en arpège) et des flûtes sur le troisième temps. Dans le troisième couplet, la clarinette (en arpèges) et les cordes (en pizz) remplacent la harpe. Le récitatif central provoque un contraste de tempo (rapide) et de courts motifs (joués forte aux cordes avec l’archet) dramatisent et bousculent le caractère paisible de la romance.L’écriture mélodique est assez conjointe et syllabique, avec un élan de sixte en anacrouse. La fin des couplets marque un léger ralentissement expressif qui permet à la soliste de tenir son point d’orgue avant de conclure. Le timbre de voix d’Euphrasie, très ouvert, est clair et transparent, et cherche à caricaturer celui d’une jeune fille innocente.

Écoute G. Rossini (1792-1868) : Voyage à Reims (1825) « All'ombra amena »Guide d’écoute : comparer les deux extraits ou Gaetano Donizetti (1797-1848) : L’Élixir d’amour (1832) « Una furtiva lagrima »

Introduction Refrain Couplet 1 Refrain Couplet 2 Refrain Refrain Refrain -coda

Instrumentale trio Alfonse solo

trio Le Baron solo

trio trio avec modulation

trio

Couplet 1 Couplet 2 Récitatif Couplet 3

Euphrasie Euphrasie Clémentine Euphrasie et Clémentine

cordes, harpe, flute cordes, harpe, flute courtes internventions de cords cordes, clarinette

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Scène 9 duo dramatique (cf Auber)Cette scène s’inscrit en contraste avec l’innocence de la précédente, même si le tumulte était annoncé dans le récitatif de Clémentine (scène 8). Le tempo est rapide et l’orchestre a un jeu vif et énergique, donnant un caractère enlevé et pressant à ce duo et qui rappelle l’ouverture de la force du destin de Verdi. Les deux chanteurs interviennent simultanément mais sur des textes, des mélodies et des rythmes différents, ce qui contribue à créer cette impression de précipitation et de confusion, excepté pour la fin du duo (« je te pardonne ») où les deux voix se rejoignent en homorythmie. Il est cependant difficile de comprendre le texte malgré l’écriture syllabique, car le débit vocal est rapide. Le duo s’articule en trois parties : A - A - B ; la structure épouse la dramaturgie dans le sens où les personnages se rejoignent dans la partie B et se pardonnent mutuellement. Écoute G. Verdi (1813-1901) : La force du destin (1862) - ouverture Scène 12 - la marche nuptialeAu début de la scène, le rapprochement avec la « marche nuptiale  » de Félix Mendelssohn (1809-1847), écrite à 17 ans et extraite du Songe d’une nuit d’été (1843) saute aux oreilles. D’une musique instrumentale, Tailleferre ajoute texte et voix (le Baron) sur la mélodie principale doublée par les cordes. Cette très courte citation ne reprend que la première phrase de la célèbre marche et s’enchaîne sur le quintette final composé à partir de la valse déjà entendue dans le trio de la scène 6. La structure de l’extrait est la même que celle du trio, mais démarre à deux voix (après l’introduction instrumentale) et s’étoffe progressivement jusqu’au quintette, à la manière de Rossini, jusqu’au climax, moment du point d’orgue où toutes les voix s’arrêtent sur une note aiguë avant de conclure. L’orchestre achève la pièce, seul, dans une coda conclusive où s’enchainent plusieurs cadences parfaites.

Écoute G. Rossini (1792-1868) : Voyage à Reims (1825) finale «  Viva il diletto augusto Regnator »

3 - LA PAUVRE EUGÉNIE, dans le style de l’opéra naturaliste de Gustave Charpentier

Contrairement aux autres opéras, celui ci ne se découpe pas en scènes, mais en « Tranche de vie », se rapprochant ainsi de ses modèles naturalistes. La dramaturgie est plus continue et le découpage en scènes parlées, avec récitatif ou air chanté est abandonné au profit d’une action plus continue avec une écriture en style arioso (entre le récitatif et l’air). Au niveau littéraire, le naturalisme succède au réalisme qui consistait à décrire la réalité de la façon la plus précise possible, même dans ses aspects les plus noirs (cf. Germinal de Zola, avec l’univers de la mine). La naturalisme va un peu plus loin dans le sens où il cherche en plus à mettre en lien le comportement et les agissements des personnages avec leur contexte, leur milieu (cf. Zola, Maupassant, Flaubert, Daudet…)

En résumé : pastiche de Rossini et plus largement de l’opéra romantique- utilisation d’accords tendus (septième diminuée…)- chromatisme- mélodies amples et expressives, utilisation fréquente du registre aigu - modulations soudaines, tonalités éloignées- danses de l’époque romantique : mazurka, valse- effets d’orchestre : tremolo de cordes, roulements de timbales

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L’intrigue : La Pauvre Eugénie est l’histoire d’une couturière (Eugénie) mise à la porte par sa patronne (Mme. Phémie) parce qu’elle mangeait du saucisson à l’ail (c’est une faute grave !). Désespérée, Eugénie veut se jeter dans la Seine, mais ses collègues l’en dissuadent, lui rappelant qu’elle ne peut pas abandonner son enfant. C’est alors que Gégène (livreur de l’atelier) entre en scène et tombe amoureux d’Eugénie !Le rapprochement avec Louise (1900) de Gustave Charpentier (1860-1956) est évident de part le contexte : Louise étant également une couturière exploitée.

Les personnages : Madame Phémie (la patronne), Monsieur Ernest (le mari de Mme Phémie), les couturières : Eugénie, Titine et Paula, Gégène (le livreur de l’atelier).

L’orchestre : identique à celui du Bel ambitieux

Le Prélude initial Pour coller aux tradition post-wagnériennes, les ouvertures deviennent des Préludes qui ouvrent l’opéra mais aussi chaque acte ; bien souvent, elles s’enchainent directement avec le début de l’opéra de façon à ne pas créer de rupture au niveau de la progression dramatique.Ici, le prélude débute sur un roulement de timbale (et cymbale) qui introduit une mélodie passionnée aux cordes et aux bois qui est reprise de façon descendante, d’une octave à l’autre. On reconnait difficilement le motif des deux ouvertures précédentes tant il est transformé, mais le lien est incontestable. Une ligne ascendante aux bois, construite à partir de l’accord de septième diminuée (au caractère très tendu et énigmatique) abouti à un trémolo aigu aux violons qui installe une atmosphère pleine de suspense. Pendant ce trémolo, les contrebasses et violoncelles, dans un registre grave entament appuient les notes d’une montée chromatique menaçante. Tous les ingrédients de l’opéra naturaliste sont ici résumés dans ce prélude. Écoute R. Wagner (1813-1883) : Parsifal (1882), Prélude de l’acte 2

Tranche de vie n°1 : AriosoPlusieurs personnages interviennent : Mr. Ernest, Eugénie, Titine et PaulaL’écriture arioso se caractérise par une action continue avec des relais entre les voix (parfois a cappella) et l’orchestre, de façon à ce qu’il n’y ait pas d’arrêt. Aucune cadence parfaite ne vient interrompre le discours et la pulsation est difficile à percevoir à cause de passages en temps lisse (trémolos par exemple) ou à l’inverse avec des accélérations et des ralentissements incessants. On ressent toute la souplesse d’écriture de l’arioso, passant d’un personnage à l’autre, dans une continuité imperturbable. L’orchestre suit les moindres inflexions de l’expression de la voix et offre une grande variété de modes d’accompagnements : - accords brefs qui ponctuent les phrases, - transitions avec de simples notes tenues, - instrument soliste en doublure libre (cf. clarinette, Mr. Ernest «  où ce qu’elle est donc la

patronne, je crois qu’elle oublie… »)- tapis sonore avec trémolos tenus aux cordes (ou aux bois : «  faut pas vous fâcher monsieur

Ernest »), - accords tenus (cf. « elle a bien tort de se laisser faire »)

Tout est fait pour rendre la musique instable : - la pulsation peu perceptible - le chromatisme abondant dans les différents parties de l’orchestre- des cadences parfaites évitées- l’utilisation récurrente de l’accord de septième diminué (en accord ou en arpège)- des modulations fréquentes (changements de tonalité)

Au niveau vocal, les interventions sont généralement courtes, entrecoupées de silences, dans une écriture syllabique qui se rapproche, au niveau mélodique, de l’intonation de la voix parlée, mais avec une exagération dans l’utilisation des registres extrêmes. Il n’y a pas à proprement parler de

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ligne mélodique, aucun thème à rechanter pour l’auditeur. L’écriture rythmique est d’une grande souplesse, collant parfaitement à la prosodie naturelle du texte.

Tranche de vie n°1 : Air d’Eugénie - référence directe à Louise de G. CharpentierL’air est un réel pastiche de l’air de Louise dans l’opéra homonyme de Gustave Charpentier. Le texte de Louise « depuis le jour où je me suis donnée » devient chez Tailleferre « après l’instant où je me suis livrée  ». Mais le rapprochement est également saisissant si l’on s’en tient à la musique. On y retrouve la même atmosphère, les mêmes élans passionnés (à l’orchestre comme à la voix) et Tailleferre est allée jusqu’à la citation textuelle d’une phrase : la mélodie « où je me suis donnée » de Charpentier est réutilisée sur « au seuil de ma seizième année ». Écoute des deux mélodies juxtaposées

Contrairement à l’arioso précédent, l’écriture de l’air est plus lyrique, la mélodie est continue et d’une grande expressivité, surtout dans la première partie. la pulsation est alors perceptible et régulière et dévoile une mesure à trois temps (appuyée par des accords de harpe sur les temps forts) dans un tempo lent. À partir de « Monsieur Duplan », après la citation de Louise, l’écriture se dirige à nouveau vers l’arioso et précipite la fin de l’air qui s’achève sur un trait de cordes ascendant aboutissant à une tenue au hautbois qui assure la transition.

Tranche de vie n°1 : ariosoDans un tempo modéré, alternant une note de basse en pizzicato et des accords à la harpe, soutenus par des tenue aux bois, Titine et Paula assurent la transition avec un accompagnement qui se dramatise (accords en trémolo ; «  c’est le destin  »). L’arioso suivant s’enchaine avec quelques échanges en dialogue.

Tranche de vie n°2 : ariosoIntroduction orchestrale en tutti sur des accords en crescendo (appuyés par les cuivres) interrompus par une roulement de timbale, puis entrée de Mme Phémie (interprétée par un homme dans la version de Limoges) avec une écriture arioso très chromatique. Comme précédemment, l’orchestre suit le texte et les inflexions de la voix, jusqu’à la fin de l’arioso où un accords de septième diminué vient à plusieurs reprises et avec un effet comique certain appuyer le noeud de l’intrigue : «  le saucisson à l’ail » (chanté sur un intervalle de quarte augmentée -> figuralisme).

Tranche de vie n°2 : aria « le rond du saucisson »Cette air est structuré en aria da capo : A - B - A’ avec une tonalité de fa Maj pour la partie et son relatif mineur (ré mineur) pour la partie B. La mesure est à deux temps dans un tempo modéré ; le caractère populaire est souligné par la clarinette qui assure un accompagnement en arpèges tandis que la flûte intervient ponctuellement en doublure de la ligne vocale.

Écoute de B. Godard (1849-1895) : la Berceuse de Jocelyn (op.100 de 1888)

L’arioso de Mme. Phémie reprend sans interruption et comme précédemment.

Tranche de vie n°3 : dialogues

Tranche de vie n°4 : duo de Titine et Paula - (musique de film)

introduction A B A’ (da capo) coda

instrumentale arpèges de clarinette et doublure de la voix à flûte

tenues aux bois et doublure de la voix aux cordes

arpèges de clarinette et doublure de la voix à flûte

avec tenue dans l’aigu pour la voix

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Après une courte introduction de caractère passionné (rappelant les musiques de films des années 50) faisant entendre des appoggiatures aux cordes qui se résolvent en glissant sur le demi-ton inférieur. Du registre aigu, le motif descente d’une octave à trois reprises et sert de support pour les deux chanteuses qui le reprenne à la tierce. Elle interviennent en homorythmie sur le même texte, comme pour figurer leur unité dans le témoignage.

Tranche de vie n°4 : air d’Eugénie « M’sieur J. Duplan »Il est structuré en quatre grandes parties précédées d’une courte introduction. Les deux premières parties sont assez proches avec mesure à trois temps et un tempo modéré induisant un mouvement presque dansant ; seuls les 1er et 2e temps sont marqués. Le caractère nostalgique est renforcé par la tonalité mineur, une ligne mélodique chantée legato et parfois soulignée par la flûte (« c’est pas qu’il était tellement beau ») à laquelle s’ajoute également des lignes en contrepoint (à la clarinette ou au hautbois). La troisième partie, toujours en mineur, est plus animée. Elle est composée dans une mesure à deux temps et dans un tempo plus allant ; les bois accompagnent en notes répétées tandis que les cordes doublent la ligne vocale avant d’introduire un motif chromatique dans le registre grave. Les vents (avec notamment les cors) tiennent l’harmonie tandis que les cordes répètent des motifs avant que l’orchestre ne ponctue la fin de l’air par des accords au dessus desquels la voix passe dans un style plus arioso jusqu’au crescendo final sur le mot «  destin  », tendu et dramatique (allusion à Wagner ?). La quatrième partie, plus calme, avec des notes tenues, rappelle la citation de l’air de Louise de Charpentier, conclue par l’orchestre dans un ultime élan passionné. Encore une fois, il faut souligner la grande proximité entre le sens du texte et les moyens musicaux qui cherchent à l’exprimer ; Germaine Tailleferre pastiche à la perfection le style de l’opéra naturaliste avec une action continue mais des ambiances musicales qui suivre le livret à la lettre près.

Tranche de vie n°5 : arioso et entrée de GégèneL’arioso met en scène Titine, Paula, puis Gégène et enfin Eugénie. Le caractère est pressé, oppressant et les lignes vocales des différents chanteurs se succèdent sans interruption et sur un accompagnement continu. L’orchestre fait entendre des accords répétés en alternance entre les familles de cordes et de bois sur un rythme rapide. En contrepoint de ces accords, une mélodie s’ajoute, d’abord jouée au basson (en accompagnement de Titine) puis au violoncelle (avec Paula). La musique suit un crescendo continu qui soutient la progression dramatique jusqu’à l’arrivée d’Eugénie (« c’est moi, c’est moi »), moment où le mouvement s’interrompt sur une demi-cadence accompagnée d’un roulement de timbale.

Tranche de vie n°5 : duo entre Gégène et EugénieLe duo s’articule en trois grandes parties : l’air de Gégène, la reprise de la même mélodie par Eugénie, puis le duo dans lequel les deux amoureux chantent sur le même texte en homorythmie, tantôt à l’unisson, tantôt à la tierce.Une longue mélodie de Gégène très legato avec simplicité (et sans virtuosité) dans un caractère calme et paisible, obtenu par des accords tenus.

Tranche de vie n°5 : finaleDeux parties s’enchainent dans ce finale : la première, introduite par un roulement de caisse claire et qui fait entendre le sextuor dans une nuance forte en homorythmie, donnant un caractère de

introduction A A’ B C

calme calme et dansant calme et dansant, tempo à plein plus lent

plus animé serein et passionné

instrumentale « c’est l’enfant de M’sieur J. Duplan »

« c’est pas qu’il était tellement beau »

« il m’a quitté un beau jour »

« après l’instant où je me suis livrée »

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fanfare militaire (rythmes pointés). Puis, sur les paroles « Où y a Gégène, mesdames, y a le plaisir », chaque voix prend son indépendance dans une surenchère expressive. On peut toutefois y déceler une dernière citation, celle d’une chanson populaire «  La marchande d’oublies  » (gaufres), déjà réemployée par Manuel Rosenthal (1904-2003) extrait des Petits métiers (1933)

4 - MONSIEUR PETITPOIS ACHÈTE UN CHÂTEAU, dans le style d’Offenbach

L’intrigue : la scène se passe sous le règne de Napoléon III (durant la période prospère qu’on appelle le Second Empire). Mr. Petitpois (ingénieur) est sur le point d’acheter le château du Duc de la Bombardière, presque ruiné. Mais le fils du duc (lieutenant Adélestan) tombe amoureux d’Héloïse (la fille de Mr. Petitpois), elle-même déjà promise à Oreste (neveu de M. Petitpois). Mais durant les négociations, Adélestan fait ouvertement des avances à Héloïse, un véritable affront pour la famille Petitpois !

Les personnages sont répartis en deux « familles » : - Les Bombardières avec le Le Duc, Adélestan (lieutenant et fils du duc), sa nourrice

(Cunégonde), le notaire (Maître Pointillard),- Les Petitpois : le père, sa fille Héloïse, son neveu (Oreste), sa servante (Mme. Cunégonde).

L’ouverture : dès les premières notes, Tailleferre nous installe dans la musique d’Offenbach et plus particulièrement le cancan (une danse à la mode au XIXe) qui se caractérise par une atmosphère énergique, légère, dansante et sautillante. Cette introduction instrumentale s’articule en 3 parties A, B, A’ (précédées d’une courte introduction) que l’on entendra une fois dans la version de l’ORTF (1955) et qui seront répétées pendant la mise en place de l’intrigue par le narrateur (version Limoges).L’introduction fait entendre un motif de notes répétées jouées aux cordes (tutti en homorythmie) repris par les cuivres (trompettes) puis ponctué par un accord bref joué par tout l’orchestre. (cf. l’introduction de Ohne Sorgen ! une polka rapide de Josef Strauss).

Ouv. scène 1 scène 2 scène 3 scène 4 scène 5

Instru-mentale

parlé parlé Solo Adelstan en alternance avec trio

parlé valse tyrolienne

parlé Alternance Duc et tutti

parlé duo Mlle. Héloïse et Adélestan

chap.69 70 71 72 73 74 75 76 77 78

scène 6 scène 7 scène 8 scène 9

parlé tutti parlé ponctué par de le choeur (3 fois)

duo Alfonse Clémentine

air Alf. mazurka

récit. Clém. Alf. et Petit Jacques

parlé Alf. et Clém.

Trio valse Clém. Alf. baron

chap. 79 80 81 82 83 84 85 86

En résumé : pastiche de Charpentier et plus largement de l’opéra vériste ou naturaliste- réalisme des personnages, de l’action et des situations (atelier de couture…)- abandon du découpage en actes au profit des tranches de vie- ligne vocale plus proche du parler-chanter (inflexions naturelles de la langue, style réaliste)- influence des chansons populaires, simplicité mélodique- accompagnement orchestral au coeur de l’action et qui soutient la dramaturgie en suivant les

moindres inflexions expressives de la ligne vocale

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La première partie fait entendre un thème divisé en deux phrases symétriques (antécédent avec demi-cadence, puis conséquent avec cadence parfaite) et qui se distingue par sa grande simplicité et par l’utilisation de notes répétées. Facile à mémoriser, la mélodie est placée au premier plan, dans le registre aigu, interprété par les flûtes et les violons. Elle est accompagnée par une alternance entre une note de basse et un accord qui, dans un tempo rapide (hérité de la quadrille ou du galop), caractérise le cancan.Toujours dans l’esprit du cancan, où les contrastes sont appuyés, la seconde partie fait entendre un autre thème, dans le registre grave (contrebasse, cuivres), construit sur une ligne ascendante puis descendante. À l’image du premier thème, celui-ci s’articule en deux phrases symétriques, accompagnées par de rapides arpèges, dans l’aigu, basés sur les accords de tonique et de dominante. Cette seconde partie se conclut par un accord bref joué par tout l’orchestre, avant de faire ré-entendre le retour de la première partie qui s’achève sur une coda. Écoute de J. Offenbach (1819-1880) : «  le galop infernal  » (Acte II) d’Orphée aux enfers (1858)

Scène 2 : Air d’Adélestan Cet air a un caractère militaire qui se justifie par le personnage (lieutenant) et le texte. Au niveau musical, la présence de la caisse claire et du rythme à quatre temps dans un tempo de marche (militaire) vient figurer le personnage d’Adélestan (en solo sur les couplets) tandis que le trio qui intervient sur les refrains (parties B) marque un contraste par une mesure à deux temps dans un tempo plus rapide. Ainsi, à trois reprises, les trois couplets s’enchainent aux refrains, la structure est donc A, B, A’, B, A’’, le tout précédé d’une introduction qui sert également de coda en fermeture. Notons tout de même que la dernière reprise du couplet (le n°3) s’achève avec l’ajout du tutti sur un climax obtenu par une tenue dans l’aigu.

L’introduction s’ouvre sur un motif de descendant de 4 notes (en anacrouse) joué aux cuivres et accompagné de deux accords (tutti, I -> V, tonique puis dominante) et d’un roulement de caisse claire ; les bois répondent à ce premier motif par un arpège ascendant. Ces deux éléments sont répétés une seconde fois à l’identique, puis l’introduction s’achève sur une variante ascendante du motif au cuivres.Débutant également sur une anacrouse, l’écriture mélodique des couplets (solo d’Adélestan) s’appuie majoritairement sur les notes de l’arpège de l’accord de tonique (sib majeur), en utilisant des rythmes pointés (caractéristiques de l’écriture militaire). Sans surprise, la mélodie initiale débute sur un intervalle de quarte ascendante (caractère conquérant, comme le début de la Marseillaise). Le premier temps de chaque mesure (temps fort) est appuyé par un roulement de caisse claire, imitant le jeu des tambours battant. La carrure est respectée à la mesure près et toutes les une ou deux mesures alternent de courtes interventions aux bois ou à la trompette afin de compléter les tenues de fin de phrase de la voix. La partie B vient en contraste avec la précédente : au solo s’oppose le trio ; au tempo de marche, une impression de tempo beaucoup plus rapide (exactement le double), au rythme régulier (en noires évoquant la rigidité militaire ?) d’Adélestan, des rythmes rapides chantés en homorythmie. Tous ces éléments, exploités à nouveau dans les scènes suivantes, concourent à faire de cette pièce un véritable pastiche d’Offenbach. L’orchestration varie également en écartant les cuivres de ce trio, ce qui apporte une certaine légèreté et efface les sonorités militaires ; le roulement de caisse claire disparait également au profit d’un jeu plus discret). Écoute de F. A. Boieldieu (1775-1834) : La Dame Blanche (1825) « Ah quel plaisir d'être soldat »

Intro A B A’ B A’’ Coda

instru-mentale

solo d’Adélestan : couplet 1

trio (nourrice, duc et notaire) : refrain

solo d’Adélestan : couplet 2

trio (nourrice, duc et notaire) : refrain

solo d’Adélestan : couplet 3

instrumenta-le, motif de l’intro

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Scène 3 : la valse tyrolienneCette valse met en scène un solo de Mr. Petitpois qui alterne avec un trio (Mr. Petitpois, Heloïse et Oreste). Au niveau de son organisation, cette pièce se rapproche très fortement de la précédente dans le sens où Tailleferre joue à nouveau la carte du contraste entre ces deux parties, à la différence près que la mesure à trois temps remplace la mesure à 2 ou 4 temps, substituant au caractère militaire des éléments caractéristiques du yodel. Technique emblématique de la tyrolienne, le yodel est une manière de chanter qui consiste à passer rapidement de la voix de poitrine à la voix de tête ; bien souvent l’écriture est très virtuose (rapide) et s’accompagne d’onomatopées. L’air s’ouvre par une introduction de huit mesures : - durant les quatre premières mesures la mélodie est construite sur des arpèges au hautbois

(timbre champêtre), soutenus par un rythme de valse aux cordes (notons le subtil accent aux violons sur le 3e temps) et au triangle

- dans les quatre mesures suivantes, la mélodie du hautbois change en faisant entendre une ligne descendante basée alternativement sur deux notes séparées par un intervalle de sixte : fa - ré, mib-do, ré-sib, do-lab… (imitation instrumentale du yodel). À ce premier élément issu du yodel s’ajoute une virtuosité rythmique en double croches, rendue encore plus intéressante par la liaison en deux notes, jouant d’ambiguité entre la division ternaire du mouvement de valse et la division binaire de la mélodie.

Dans la suite de l’extrait, la mélodie de l’introduction sera reprise par Héloïse dans un registre aigu. Au niveau mélodique, le début du solo d’Adélestan est reprend librement le motif en arpège ascendant avant de terminer sa phrase sur ligne conjointe descendante. Comme précédemment, les mélodies reprennent une écriture très classique en deux phrases symétriques (type antécédent / conséquent), mais la cadence de la première phrase est une cadence imparfaite, à la place de la demi-cadence généralement attendue. Fait du hasard ou simple coïncidence, la mélodie se rapproche étrangement de la sérénade de Don Juan « Deh, vieni alla finestra » issue de Don Giovanni, un opéra de Mozart. Simple clin d’oeil ou réminiscence inconsciente, le rapprochement interroge.

Écoute de W.A. Mozart (1756-1791) : Don Giovanni sérénade «  Deh, vieni alla finestra » (1787)

Les autres couplets de Mr. Petitpois reviennent de la même manière, excepté pour le second couplet dans lequel le hautbois s’ajoute à l’accompagnement en rejouant la mélodie de la 2e partie de l’introduction (en sixtes) pour le couplet 2 et en s’associant avec la flûte pour jouer des croches lors du couplet 3.Le trio qui contraste avec le précédent : chaque soliste a son propre texte (ou ses propres onomatopées) et chante une mélodie différente, que ce soit au niveau des hauteurs ou au niveau du rythme. Le texte devient incompréhensible (a-t-il besoin de l’être ?) et une impression de confusion se dégage. Heloïse vocalise sur des arpèges ascendants imitant le yodel. jusqu’au moment où tout le monde s’interrompt brusquement. L’accompagnement se fait toujours sur un rythme de valse modéré aux cordes (avec timbales) tandis que le hautbois reprend le thème de l’introduction.

Écoute de J. Offenbach (1819-1880) : Un mari à la porte (1859) - valse tyroliennecf. Jacques Offenbach : La Vie parisienne (1866) « Air de Gabrielle » (acte II, Final).

Intro A B A’ B A’’ B

instru-mentale

solo de Mr. Petitpois : couplet 1

trio (M. Petitpois, Héloïse et Oreste) : refrain

solo de Mr. Petitpois : couplet 2

trio (M. Petitpois, Héloïse et Oreste) : refrain

solo de Mr. Petitpois : couplet 3

trio (M. Petitpois, Héloïse et Oreste) : refrain + accord de fin

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Scène 4 : retour de la mazurkaCet air du duc est composé sur un rythme de mazurka, comme la scène 3 du Bel ambitieux. Afin de mieux coller au style d’Offenbach, il se divise, comme les airs des scènes précédentes, en couplets (le Duc) et refrains (M. Petitpois et ensemble), le tout précédé d’une courte introduction initiée par un coup de cymbale. En comparaison avec la mazurka précédente, l’orchestration (à la Offenbach) est ici plus légère : les accompagnements rythmique et harmonique se font aux cordes (appuyé une caisse claire discrète) tandis que les bois ponctuent la ligne vocale par de courtes interventions. Les couplets du Duc, dans un tempo modéré et dans une mesure à 3 temps, entrent en contraste avec les refrains de Mr. Petitpois et de l’ensemble, dans une tempo rapide et une mesure à 2 temps ; encore une fois, Tailleferre pastiche Offenbach à travers la mise en place d’un contraste fort. Mais le pastiche n’est pas uniquement dans la musique, il apparait dans le traitement du texte. Le jeu de répétition sur le mot « ancêtre » est une forme d’insistance, mais permet également de tourner au ridicule ces fameux ancêtres : d’avoir des an (avec liaison) et des an, an (prononcé des zan-zan). Écoute J. Offenbach : Belle Hélène (1864) « Couplets des rois »Au niveau de l’interprétation, la version originale de l’ORTF ne comporte que deux couplets et deux refrains, contrairement à la version de Limoges qui en a quatre.

Scène 5 : duo Mlle. Héloïse et Lieutenant AdélestanCe duo semble être composé en référence à l’«  Air de Valentin  » extrait de la Chanson de Fortunio d’Offenbach. Les ressemblances sont évidentes, qu’il s’agisse de la mesure à trois temps, le tempo lent, de l’accompagnement en arpèges, et plus évident encore avec la ligne mélodique initiale, chromatique et interprétée legato (déjà présente dans l’introduction).Précédé d’une introduction instrumentale, l’air s’ouvre sur un solo d’Héloïse (partie A) ponctué par une longue vocalise ; une courte transition construite sur le motif chromatique de l’introduction permet à Adélestan de rejoindre Héloïse puis de reprendre la partie A en duo (en conservant la vocalise). La partie A est reprise une troisième fois (toujours en duo), mais la fin, plus développée (emprunt en si mineur), permet de renforcer l’expression jusqu’au dernier point d’orgue (sur une note aiguë), avant la coda finale (uniquement instrumentale) qui marque un dernier retour du thème initial.Scène 7 : un joyeux mélangeCette scène a un caractère burlesque et énergique de part le tempo rapide mais aussi par le fait qu’elle présente une grande variété d’interventions vocales : - un ensemble (qui sert de refrain) reprenant le thème de l’introduction, chanté en homorythmie

mais repris trois fois sur des strophes différentes.- une intervention soliste Oreste - un duo entre Petitpois et le duc, en homorythmie, d’abord sur une note grave répétée, puis en

montée chromatique. Dans la version de Limoges, la scène est suivie par une intervention du narrateur, prolongée par une reprise de l’air par l’orchestre seul (sans les chanteurs).

Scène 8 : un air de chasse Une sonnerie au cor introduit un court duo a cappella « c’est le cri » entre le Duc et Adélestan en homorythmie. La mélodie reprend l’écriture type cor de chasse (sur un accord de réb majeur).

Intro A B A’ C A’’ Coda

instrumentale refrain chanté par l’ensemble

solo d’Oreste refrain chanté par l’ensemble

duo de M. Petitpois et du Duc

refrain chanté par l’ensemble

instrumentale

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Scène 8 : ensemble « Signez Mr. Petitpois »Composé sur une forme rondo, cet ensemble reprend la mélodie de l’ouverture, dans le style du Cancan, qui sert alors de refrain. Précédé d’une introduction (très proche de celle de l’ouverture), ce refrain est chanté par la plupart des solistes, excepté M. Petitpois, bien entendu… Les différents couplets, d’inégale longueur, s’intercalent entre les refrains ; les solistes interviennent par petits groupes, sur des mélodies différents, dans un jeu de questions / réponses. Dans le dernier couplet, les interventions deviennent individuelles et se focalisent sur un mot : « signez ».

Scène 9 : finaleLa dernière scène de l’opéra reprend l’ouverture (en trois partie A-B-A’, avec introduction) mais en y ajoutant toutes les voix présente dans l’opéra.Le traitement vocal est simple mais efficace, l’idée étant d’obtenir un feu d’artifice musical à la manière d’Offenbach. Les voix sont en homorythmie sur le thème principal (doublé par l’orchestre) sur la partie A avec un texte identique à tous les chanteurs pour renforcer la puissance et faciliter la compréhension du texte.La partie B dont le thème était assuré dans l’ouverture par les instruments graves est assignée aux voix d’hommes, auxquels s’ajoutent les voix de femmes sur la reprise.La reprise de la partie A s’achève sur une note aigüe, tenue à toutes les voix, avec une nuance fortissimo, de façon à appuyer l’ultime cadence parfaite de l’oeuvre.

Intro A B A’ C A’’ C A’’ Coda

instrumen-tale

refrain chanté par l’ensemble

Couplet 1 : jeux de question réponse

refrain chanté par l’ensemble

Couplet 2 : jeux de question réponse

refrain chanté par l’ensemble

Couplet 3 : jeux de question réponse

refrain chanté par l’ensemble

instrumen-tale

6 mesures 8 mes. 8 mes. 8 mes. 8 mes. 8 mes. 16 mes. 8 mes.

En résumé : pastiche d’Offenbach - rapprochement avec les livrets d’opéras d’Offenbach : vente d’un château (Le Chateau de

Toto d’Offenbach) et la référence aux ancêtres (galerie de tableaux) dans le même opéra- écriture mélodique simple, facile à mémoriser ; accompagnement léger et très rythmé- musique énergique et dansante (cf. galop, valse, mazurka)- air avec forme rondo (couplets / refrain)- jeu de contraste entre les couplets et refrain, notamment au niveau du tempo et du rythme, de

l’orchestration, des interventions de personnages, du traitement du texte et des nuances- valse tyrolienne ; écriture vocale imitation du yodel (alternance rapide registre grave / aigu)- jeu de déconstruction du texte en rapport avec la mélodie, répétition d’une syllabe, effet

comique (ex. « d’avoir des ancêtres »)

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Conclusion

Piste de réflexions autour de la direction de travail sur arrangement et interprétation- Contextualisation de la création et des différents enregistrements (1955, 1970, années 2000)- Qu’est ce qui pouvait être drôle en 1955 ? Quelles étaient les références des auditeurs ?- La question du pastiche, du clin d’oeil à l’exercice de style- Le pastiche, une technique réservée aux initiés ? Que devient le pastiche lorsque l’auditeur n’a

pas les références ?- Le pastiche : tous les paramètres musicaux peuvent être mis en jeu (timbre et orchestration,

harmonie et accords, mélodie et tournures mélodiques, rythme, forme et structure, écriture et jeux de contrastes, traitement du texte, écriture pour la voix…)

- Le pastiche aujourd’hui : la publicité

Le pastiche dans d’autres répertoires musicaux - Dudley Moore - The ballad of Gangster Joe (c. Kurt Weill)- Peter Breiner - Hey Jude (dans le style de Bach), album « Beatles go baroque »

Le pastiche dans les autres arts- The artist (le film, 2011) de Michel Hazanavicius- Clip musical : 70 Million (2011) de Hold your horses- Le pastiche dans les arts plastiques et visuels :

• Raphael (1483-1520) — La Fornarina (1519) « fille du boulanger » ambiguité entre la pudeur et la tentation

• Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) : Mademoiselle Caroline Rivière (1793 - 1807) ; portrait d’une jeune fille de seize ans, peint en 1805, qui déconcerta la critique par son style archaïque et son apparente simplicité : le visage candide de la demoiselle, souligné par la lumière, se détache sur un paysage frais, avec grâce et mystère.

• Robert Wilson (né en 1941), Portrait de Lady Gaga en Mademoiselle Rivière, 2013 ; il ne s’agit pas d’un tableau mais d’un vidéo, en effet, on peut à certains moments observer des larmes qui coulent sur le visage, les boucles d’oreille qui oscillent comme bercées par le vent, les paupières qui se ferment lentement, ou encore le buste qui vacille imperceptiblement.

LEXIQUE : Parodie : type d’humour qui cherche à reprendre les caractéristiques d’une oeuvre en les détournant afin de s’en moquer (par exemple, reprendre un air chanté sur d’autres paroles)Pastiche : tentative de reproduction du style d’un autre artiste ou compositeur mais pas dans le but de s’en moquer (ni comique, ni satirique), au contraire (hommage).Plagiat : copie textuelle de l’oeuvre (ou d’une partie) d’un autre artiste sans avouer l’empruntSatire : critique moqueuse qui cherche à appuyer les défauts où à exagérer les caractéristiquesCaricature : forme de satire qui cherche à exagérer les caractéristiques (physiques, de langage, gestuel…) d’un homme.