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Tailleferre_Oeuvres de Germaine Tailleferre Du Motif à La Forme

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Tailleferre_Oeuvres de Germaine Tailleferre Du Motif à La Forme; livre;

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  • .+. Naliom:1Library0: CanadaAquisilions andBibliographie services Branch395 Wellinglon StreelOttawa. OnlarioK1AON4

    NOTICE

    Bibliothq'Je nationaledu Canada

    Direclion de5 acquisitions eldes servi

  • OEUVRES DE GERMAINE TAILLEFERRE :DU MOTIF LA FORME

    par

    Jacinthe Harbec

    Dpartement de thorie

    Facult de musique

    Universit McGill, Montral

    Novembre 1994

    Thse prsente la Facult des tudes suprieures et de recherches

    en vue de l'obtention du grade de

    Philosophiae Doctor (Ph. O.)en musicologie thorique

    @JacintheHarbec, 1994

  • 1+1 National Ubraryof canada Bibliothque nationaledu CanadaAcquisitions and Direction des acquisitions elBibliographie 5eIVices Branch des seIVices bibliographiques395 Wellinglon SI"....I 395. rue WellinglonOttawa. onlario Onawa (Onlario)K1f\0N4 K1AON4

    THE AUTHOK HAS GRANTED ANIRREVOCABLE NON-EXCLUSIVELICENCE ALLOWING THE NATIONALLmRARY OF CANADA TOREPRODUCE, LOAN, DISTRIBUTE ORSELL COPIES OF mS/HER THESIS BYANY MEANS AND IN ANY FORM ORFORMAT, MAKING rms THESISAVAILABLE TO INTERESTEDPERSONS.

    THE AUTHOR RETAINS OWNERSHIPOF THE COPYRIGHT IN mS/HERTHESIS. NEITHER THE THESIS NORSUBSTANTIAL EXTRACTS FROM ITMAY BE PRINTED OR OTHERWISEREPRODUCED WITHOUT mS/HERPERMISSION.

    ISBN 0-612-05719-4

    Canad~

    L'AUTEUR A ACCORDE UNE LICENCEIRREVOCABLE ET NON EXCLUSIVEPERMETTANT A LA BmLIOTHEQUENATIONALE DU CANADA DEREPRODUIRE, PRETER, DISTRIBUEROU VENDRE DES COPIES DE SATHESE DE QUELQUE MANIERE ETSOUS QUELQUE FORME QUE CE SOITPOUR METTRE DES EXEMPLAIRES DECETTE THESE A LA DISPOSITION DESPERSONNE INTERESSEE5.

    L'AUTEUR CONSERVE LA PROPRIETEDU DROIT D'AUTEUR QUI PROTEGESA THESE. NI LA THESE NI DESEXTRAITS SUBSTANTIELS DE CELLE-CI NE DOIVENT ETRE IMPRIMES OUAUTREMENT REPRODUITS SANS SONAUTORISATION.

  • REMERCIEMENTS

    Il va sans dire que mener bien une tche comme cette thse n'est possible

    qu'avec le soutien de collgues et ami(e)s, tous aussi dvous les uns que lesautres. Aussi parmi ces collaborateurs dont le dvouement et le

    professionnalisme n'ont jamais fait dfaut, nous aimerions saluer:- Bo Alphonce pour sa direction et son appui;

    - Georges Hacquard pour les documents indits sur Germaine Taillefferre et

    sa connaissance de celle-ci;

    - Nicole Paiement et Leta Miller pour nous avoir gracieusement donn une

    copie de la partition de la Cantate du Narcisse en cours d'dition;- Robert Orledge pour nous avoir procurer son catalogue sur les oeuvres de

    Tailleferre;

    - Louise Hirbour pour son intrt notre recherche;

    - Pierre Ct et ric Mass pour leur critique syntaxique et grammaticale;- Marie Struthers pour son habilit en traduction;

    - Richre Lagass-Ricard pour son soutien technique;

    - Andre Dagenais et Richard Montour pour leur disponibilit la relecture

    du document;

    - enfin, nos proches et nos collgues de l'cole de musique pour leur soutienmoral et leur encouragement.

    Nous remercions galement le Conseil de recherches en sciences humaines

    du Canada pour la bourse d'tude du doctorat et l'cole de musique del'Universit de Sherbrooke pour nous avoir rendu possible l'achvement de

    cette thse.

  • RSUM

    Germaine Tailleferre (1892-1983) est surtout connue pour avoir t laseule femme au sein du Groupe des Six. Outre les informations

    musicologiques prsentes dans la biographie et le catalogue de ses

    compositions, cette thse veut contribuer faire connatre l'oeuvre d'une

    compositrice reste dans l'ombre.

    L'tude analytique tente de dmontrer la matrise compositionnelle de

    Tailleferre en s'appuyant sur l'aspect du motif en tant qu'lment

    fondamental contribuant l'dification de la forme. Pour rpondre au

    postulat, un modle d'analyse fusionnant trois mthodes a t tabli: l'analyse

    motivique, rductionnelle et formelle. Cette dmarche analytique est

    applique trois compositions de genres et de styles diffrents, reprsentatives

    de son oeuvre:

    Quatuor cordes (1917-1919) Image (1918) Cantate du Narcisse (1938).

    La dmonstration systmique de l'analyse musicale sur celles-ci rvlera la

    cohsion organique dans l'oeuvre de Tailleferre, cre par l'laboration du

    motif jusqu' la forme.

  • ABSTRACT

    Germaine Tailleferre (1892-1983) is best known as the only woman in theGroupe des Six. This thesis purports to shed greater light on her work,

    hitherto largely unknown, as weil as to present biographical information and a

    catalogue of compositions.

    The analytical study intends to demonstrate expertise, which lay in the use

    of the motive as a generative component of form. In order to demonstrate

    the latter concept, an analytical model has been developed comprising three

    methods of analysis : motivic, reductive and formaI. Three pieces of different

    genres and styles representative of Tailleferre's work have been analyzed using

    this analytical model :

    Quatuor cordes (1917-1919) Image (1918) Cantate du Narcisse (1938).

    Musical analysis of these pieces reveals the "organic cohesion" in

    Tailleferre's work, which consists of an intrinsic relation between motive and

    form.

  • TABLE DES MATIRES

    INTRODUcnON..................................................................................................... 1

    CHAPITRE 1 - LA VIE DE GERMAINE TAILLEFERRE 12

    CHAPITRE 2 - PROCESSUS COMPOSITIONNELET MTHODES ANALYTIQUES............................................ 45

    CHAPITRE 3 - QUATUOR (1917-1919)............................................................. 66

    3.1- Premier mouvement : Modr.................................. 67

    3.2- Deuxime mouvement : Intermde......................... 92

    3.3- Troisime mouvement : Finah>................................... 118

    CHAPITRE 4 - IMAGE (1918) 155

    CHAPITRE 5 - CANTATE DU NARCISSE...................................................... 197

    5.1- Gense de l'oeuvre............................................................. 198

    5.2- Les excutions 204

    53 Libr~Uo de la Cantate du Narcisse................................... 211

    5-4- Alliance de la posie et de la musique........................... 219

    55 Analyse musicale : forme et proportion....................... 239

    56 Lien motivique et formel................................................. 267

    CONCLUSION 299

  • ANNEXE 5 - CANTATE DU NARCiSSE......................................................... 392

    ANNEXE 1- CATALOGUE DES OEUVRES .

    ANNEXE 2 - TABLEAU DES MOTIFS .

    ANNEXE 3 - QUATUOR .

    R ' h'epresentahons grap lques .

    Partition .

    ANNEXE 4 - IMAGE .

    R ' . h'cpresentahon grap ulue .

    Partition ..

    ii

    313

    344

    346

    347

    350

    364

    365

    366

    Reprsentations graphiques 393

    Partitions (extraits)

    Scne 1 396

    Scne II.. 426

    Scne III................................................................................. 438

    Scne IV 457

    Scne V 478

    Scne VI 479

    Scne VII............................................................................... 562

    BIBLIOGRAPHIE 566

  • INTRODUCTION

    On connat surtout Germaine Tailleferre (1892-1983) pour sa participationcomme seule femme au sein du Groupe des Six. La charmante exception,l

    comme disait le pote Jean Cocteau. Mais au-del de ce fait, que savons-nous

    de cette compositrice et de sa musique?

    Ne au tournant de ce sicle, Germaine Tailleferre sera vite tributaire des

    lieux et des courants de cette poque o btir une carrire artistique, pour une

    femme, expose toutes les rsistances et tous les prjugs en place. L'objet decette tude n'est pas de lancer une diatribe renfort fministe, mme si

    Tailleferre porte l'odieux de ces prjugs. Nous voulons surtout amener lelecteur dpasser l'image dans laquelle cette compositrice est enferme par le

    regard des autres.

    Tailleferre dmontra htivement un grand potentiel artistique, tant sur le

    plan pictural que musical. Sa passion pour la musique et son besoin de

    cration l'amneront au mtier de compositrice, mtier dont elle surmontera

    les difficults grce un ta'.:mt musical indniable et un souci constant de

    professionnalisme. Une solide formation en techniques d'criture acquise au

    Conservatoire national suprieur de musique de Paris lui servira d'assise pour

    dvelopper son propre langage musical d'influence moderne. Sa dmarche

    cratrice l'intgrera au milieu des jeunes compositeurs parisiens, et plusspcifiquement au Grou~e des Six.

    Pour Tailleferre, cette adhsion a deux consquences: la premire est

    l'opportunit de lancer sa carrire; l'autre, plus ngative, est la non

    1 Jean Cocteau cit par Juliette Hacquard dans ..Germaine Tailleferre: mon temps c'est leprsent.., Nouvelles Rive-gauche 76-77 (1982).

  • 2reconnaissance de son authenticit d'artiste. Tailleferre est dsormais

    reconnue pour tre la seule femme des Six, et non la compositrice.

    Malheureusement, sa personnalit, dite charmante, n'avait aucune affinit

    avec le ngoce qui s'installe souvent entre l'exercice d'un art et sa

    reconnaissance. l'oppos, elle montre de l'inhibition, un excs de modestieet un manquE' de confiance tel qu'en tmoigne cette citation:

    Je n'avais aucune dfense, je n'osais ouvrir la bouche de peurde faire une gaffe ou de dire une normit. J'admirais DariusMilhaud toujours l'aise, Georges Auric toujours blouissant.Seul Durey, aussi complex que moi, me comprenait.2

    Tailleferre ne se permettra pas d'tre l'gale des fortes personnalits du

    Groupe des Six et, ne dtenant pas un temprament combatif, elle se fera

    discrte, mme si elle est considre alors par ses pairs comme un des meilleurs

    compositeurs de son poque.3 L'opinion qu'elle a de sa musique tmoigne

    d'ailleurs de sa modestie: Ce n'est pas de la grande musique, je le sais. C'estde la musique gaie, lgre, qui fait que, quelquefois, on me compare aux petits

    matres du xvme, ce dont je sui!. trs fire.4Il va sans dire que la musique de Tailleferre souffrira d'une alination

    caractristique de son poque tel point que

  • 3

    Elle surmontera malgr tout cet obstacle, car toute sa vie - on verra que

    sa longvit jouera en sa faveur - elle s'appuiera sur ces forces majeures (untalent musical indniable et un souci constant du professionnalisme) pour fairece qui la passionne. C'est prcis,nent l que l'on retrouve la vraie combativit

    de Tailleferre. Car bien que ses proches, surtout son pre et ses deux maris, ne

    la supporteront jamais dans cette voie. elle persistera composer et,paradoxalement, le pcule que lui rapporteront ses compositions contribuera de

    faon significative au revenu familial.

    La qualit de son travail l'amnera recevoir plusieurs commandes de

    l'tat et de la Radiodiffusion franaise, de mme qu' collaborer avec plusieurspersonnalits dont Charlie Chaplin, Paul Claudel, Paul Valry, Eugne Ionesco

    et Marguerite Duras. L'clectisme dont fera preuve Tailleferre se dploie en

    une liste d'oeuvres offrant une palette de genres et de styles diversifis. Le

    catalogue de son oeuvre, dress en annexe 1, tmoigne de la polyvalence de la

    compositrice. Cette qualit se rvle dans ses compositions qui sont empreintes

    tantt de la fracheur et de la fantaisie de la musique populaire, tantt de la

    clart et de l'lgance du classicisme, tantt du fondu de l'impressionnisme.

    Germaine Tailleferre composera toute sa vie, ce qui reprsente environ 70

    annes d'activit cratrice. Mme si elle tombera dans l'oubli, elle aura t une

    compositrice prolifique ayant son actif prs de 175 oeuvres. Le premier

    chapitre veut numrer les faits biographiques et leur redonner le poids qui

    leur revient. Nous ne voulons en aucun cas dfendre ou excuser l'orientation

    qu'a pu prendre la carrire de cette compositrice. Comme il n'existe encore

    aucune biographie de langue franaise sur Tailleferre, certains dtails vont au

    del de l'information musicologique, permettant ainsi de mieux dessiner son

    music has always been gracious and feminine (

  • 4

    profil professionnel. Nous terminerons ce premier chapitre en prsentant une

    vue gnrale de son oeuvre par le biais du catalogue. Ce dernier reprsente

    une contribution importante, d'abord par sa classification par catgorie de

    genres musicaux et d'instruments, mais surtout par l'apport d'informations

    nouvelles et complmentaires aux catalogues parus ce jour.L'oeuvre de Taill~ferre est toutefois mconnue et ne fait que commencer

    faire l'objet d'tude de la part des univer~1taires. Dans la littrature, il existepeu d'ouvrages vous la vie ou l'oeuvre de la compositrice. Parmi ces rares

    publications, nous comptons un document de premire source: Mmoires

    l'emporte-pice de l'ailleferre, recueillis par Frdric Robert.6 C'est vers 1960

    que la compositrice commena rdiger son autobiographie? En 1972, elle en

    annona la publication dans le quotidien Ouest-France. 8 Mais pour des raisons

    inconnues, le projet avorta. Le manuscrit fut finalement confi Robert9 quien complta le contenu par des extraits d'entrevues avec Radio-France tirs de

    l'mission Archives du xxe sicle. Publi en 1986 sous sa direction, Mmoires l'emporte-pice demeure un document prcieux. Mme si plusieurs erreurs

    chronologiques s'y glissent, ces pages nous dvoilent la nature vritable de

    Tailleferre chez qui la spontanit, l'humour et la modestie sont au rendez-

    vous.

    Laura Mitgang, auteure de La Princesse des Six: A Life of Germaine

    Tailleferre,lO rencontra Robert Paris en janvier 1982.11 Elle dsiraits'entretenir avec lui de la vie de Tailleferre, laquelle elle projetait deconsacrer son mmoire de baccalaurat. Dans une volont de collaboration, il

    6 Parus dans la Revue internationale de musique franaise 19 (1986), pp. 6-82.7 Frdric Robert dans Mmoires l'emporte-pice.., p. 78.8 Le 18 fvrier 1972.9 Robert est, entre autres, auteur de Louis Durey, l'an des Six (Paris: Les diteurs franaisrunis, 1968).10 Dissertation (B. A.), Oberlin College, Ohio, 1982.11 Plus prcisment les 11 et 27 janvier (Ibid., p. 138).

  • 5lui laissa une copie du manuscrit des Mmoires l'emporte-pice. Mitgang

    ajouta aux faits relats dans les Mmoires, avant mme la parution de cedernier,12 trois entrevues qu'elle eut avec Tailleferre, les 13, 15 et 17 janvier1982,13 ainsi qu'une quantit d'autres propos tenus par des personnalits

    entourant la compositrice, dont Georges Auric pour ne nommer que luj,14Mitgang dposa son mmoire en mai de la mme anne, soit quatre ans avant

    la publication des Mmoires l'emporte-pice. En 1987, elle publia une

    version condense de son mmoire sous le titre, Germaine Tailleferre:

    Before, During and After "Les Six",15 dans laquelle elle relatait la vie de

    Tailleferre d'un point de vue fministe.

    La dissertation de Caroline L. Potter, Germaine Tailleferre (1892-1983) : ACompositional Critique,16 fut le premier ouvrage musicologique entirement

    consacr la vie et l'oeuvre de Tailleferre,17 Son premier chapitre,

    biographique, est principalement bas sur les Mmoires l'emporte-pice et

    l'ouvrage de Mitgang, enrichi de dtails relatifs aux spcificits musicales de

    certaines compositions. L'originalit de son ouvrage se trouve dans le

    deuxime chapitre, o l'auteure dresse une tude comparative entre des

    12 Il faut mentionner qu'une portion des Mmoires l'emporte-pice fut dite par Robert dansCrer 19-20 (1975) et dans Europe 1507 (1971). Le premier article concerne le Groupe des Six, etle deuxime, la collaboration avec Paul Valry (note de Robert dans Mmoires l'emporte-pice, p.7).13Ib'd .1 ., p. VI.14 Mitgang rencontra Auric le 19 janvier 1982 (Ibid., p.137).15 Publi dans The Musical Woman, vol. 2, d. par J. L. Zaimont, C. O. Lauser et J. Goltieb,(N.Y.: Greenwood Press, 1987), pp 177-221.16 Dissertation (M. Mus.), University of Liverpool, 1992.17 En tant que rfrence analytique, nous ne pouvons ngliger le travail accompli par Richard B.Bobbitt dans sa dissertation (Ph. D.), The Harmonie Idiom in the Works of Les Six (BostonUniversity Graduate School, 1963). Dans cet ouvrage, l'auteur consacre une petite portion auxcaractristiques harmoniques de l'oeuvre de Tailleferre tout en tablissant des liens avec cellesdes autres membres des Six.

    Nous pouvons ajouter la liste de rfrences biographiques le premier chapitre de l'ouvrage deRobert Shapiro qui vient tout juste de paratre: Germaine Tailleferre, A Bi~-Bibliography(Westport: Greenwood, 1994). Mais, ce dernier contient de nombreuses erreurs qui sment laconfusion dans ce qui a t tabli auparavant. Par contre, la bibliographie offre une listeexhaustive avec des informations prcieuses.

  • 6versions de mmes compositions telles que Trio (1916-17/1978), Morceausymphonique (1920) et Ballade (1920-22), le Concerto pour violon et orchestre(1936), et la Deuxime Sonate pour violon (1947-48) et, finalement, les deuxversions de la chanson L'adieu du cavalier (1963). Dans cette tude fonde surles manuscrits, Potter tente de dmontrer comment Tailleferre recompose

    partir de compositions existantes. Dans son dernier chapitre, elle procde

    l'tude du style musical de la compositrice, reprsentatif de la tradition

    franaise, dans lequel Potter reconnat les influences des clavecinistes du XVIIIe

    sicle, de Ravel, de Faur et de Stravinsky. La dernire partie du troisime

    chapitre se consacre relever les spcificits de ce style dans diffrentes oeuvres

    en se concentrant sur des paramtres distincts: le rythme, la mlodie,

    l'harmonie, l'orchestration et la forme.

    La question de la forme nous intresse particulirement. Potter, dans sa

    dissertation, arrive la conch-,sion que l'approche formelle chez Tailleferre est

    htroclite et exempte de modle fixe, de sorte qu'il devient impossible d'en

    tirer des gnralits. D'un ct, nous devons admettre qu'effectivement, la

    compositrice a une touche personnelle dans son faonnement de la forme et,

    d'un autre ct, nous ne pouvons compltement rejeter la prsence del'lment formel dans sa conception cratrice, Tailleferre tant elle-mme une

    fervente du courant no-classique.

    Son admiration pour les matres du XVIIIe sicle s'est rgulirement

    manifeste par les genres de cumposition qu'elle entreprit: Sicilienne pour

    piano (1928), Pastorale en Ut pour piano (1929), Partita pour piano (1957), Suitepour deux pianos (1948), Forlane pour flte et piano (1972) et Gaillarde pourtrompette et piano (1972) ne reprsentent qu'une portion du corpus voquantle pass. De plus, elle crivit dans les notes de programme, lors de

  • 7l'interprtation New York (1925) de son Concerto pour piano et orchestre(1923-24) :

    La forme classique que j'ai utilise dans cette oeuvre doit trevue comme une sorte de raction contre l'impressionnisme etl'orientalisme et comme une indication d'une volont detrouver un mode d'expression purement musicale, exempt detoutes implications littraires. lB

    Puisque Tailleferre conoit la forme de manire originale, cette dernire

    ne correspond pas exactement aux prototypes prsents dans la littrature de

    l'analyse formelle. TI nous faudra donc l'tudier sous un angle diffrent. Cette

    thse propose de considrer la forme non seulement comme une vrification

    de la conformit aux modles, mais comme la rsultante d'un processus

    d'laboration partir d'un lment intrinsque de la composition: le motif.

    Aussi, par voie systmique de l'analyse motivique et formelle, cette tude veut

    dmontrer la matrise compositionnelle de Tailleferre o la cohsion occupe le

    premier rang. Le deuxime chapitre discute du processus compositionnel de

    l'auteure et offre une mthodologie capable de mettre en valeur l'lment

    motivique comme source d'dification de la forme. Trois mthodes d'analyse

    y sont tudies et proposes: l'analyse motivique, rductionnelle et fvL'lllelle.

    L'analyse motivique utilise puise sa source dans la thorie du

    Grundgestalt et de la variation dveloppe'), conceptualise par ArnoldSchoenberg (1874-1951),19 o le motif ou l'ide initiale est, simultanment,l'lment dclencheur et d'accomplissement de la composition. Son approche

    met en valeur le motif qui se manifeste non seulement sur le plan mlodique,

    lB The classic form 1 have used in this work may be regarded as in a way a reaction againstImpressionism and Orientalism, and as an indication of an attempt to find a purely musical modeof expression, exempt from ail literary implications (Notes de programme non dates, citesdans Laura Mitgang, La Princesse des Six: A LUe of Gennaine Tailleferre, p. 43).19 Nous nous gardons ici de faire la revue de la littrature de mme que d'expliquer en dtails lesfondements des diverses thories, ce qui est l'objet du chapitre 2.

  • 8mais aussi dans d'autres lments tels que l'harmonie et les relations

    thmatiques et formelles.

    Pour mener bien notre tude selon l'approche motivique, nous avons

    dfini quelques motifs caractristiques de la signature compositionnelle de

    Tailleferre, dont la liste apparat l'annexe 2. Dans celle-ci, certains motifs sont

    regroups par leur contour spcifique, d'autres par leur entit en tant

    qu'intervalles distincts. Ces derniers permettent de considrer le motif en tant

    qu'ensemble de hauteurs de son utilis aussi bien sur le plan mlodique

    qu'harmonique. Mme s'il est probable que la mthode de classification par

    contenu intervallique serait compatible avec la thorie des ensembles prsente

    par Allen Forte,20 elle n'est pas applique pour autant.

    L'analyse rductionnelle dveloppe par le thoricien Heinrich Schenker

    (1868-1935) apporte un:.. dimension supplmentaire l'analyse motivique entraitant le motif plusieurs niveaux de structure de la composition. Un haut

    degr de cohrence organique s'obtient lorsque le motif de surface se

    reproduit l'arrire-plan de la composition. Cette relation s'tablit au moyen

    de reprsentations graphiques sous divers paliers de structure que nous

    appelons analyse rductionnelle. Cette dernire mettra en lumire la

    filiation entre les motifs structurels et la forme adopte. Tout en rpondant

    l'objet principal de la thse, l'application de l'analyse formelle permettrad'examiner le degr de conformit de Tailleferre aux principes des formes

    classiques malgr l'criture post-tonale.21

    20 Voir, entre autres, The Structure of Atonal Music (New Haven: Yale University Press, 1973).21 Par criture post-tonale, nous rfrons, dans le contexte qui nous concerne, une musique qui ne seconforme pas strictement aux normes qui rgissent le systme tonal comme on l'entend dans lespratiques baroques, classiques et romantiques. Ceci n'exclut pas qu'on y reconnaisse la spcificitdiatonique de cette musique et la prsence, dans certains cas, d'un centre tonal ou d'une rfrence un mode prcis.

  • 9L'tude analytique suivante est mene minutieusement.

    Consquemment, l'ampleur d'une telle prsentation limite le nombre

    d'oeuvres examiner. Aussi, cette dmarche analytique repose sur trois

    oeuvres de genres et de styles diffrents, reprsentatives du corpus

    compositionnel de l'auteure :

    Quatuor cordes (1917-1919) Image (1918) Cantate du Narcisse (1938).

    Le troisime chapitre met en application la dmarche analytique propose

    dans les trois mouvements de Quatuor cordes. Cette oeuvre est considrecomme la premire composition importante que Tailleferre ait crite. Les

    pages de ces trois mouvements confirment la matrise des techniques d'criture

    musicale qu'elle a acquises au Conservatoire et dgagent son penchant pour les

    formes classiques et sa recherche de nouveaux types de langage musical et

    d'effets sonores tels que la polytonalit et la polyharmonie. Aussi, l'analyse

    nous permettra de vrifier comment la compositrice se sert des conventions

    formelles dans un contexte musical o se manifeste une licence des lois

    rgissant le systme tonal.

    Le quatrime chapitre concerne aussi une oeuvre de la premire priode

    de crativit de Tailleferre, mais de style contrastant. Image pour huit

    instruments est une exprimentation sonore base sur la polyharmonie, la

    polymodalit et les clusters. L'espace musical de l'oeuvre est trait en une

    succession de blocs sonores qui se dfinissent par leur propre entit

    mlodique/harmonique. L'tude de cette oeuvre nous amnera dcouvrir

    comment l'articulation de ces blocs sonores dfinit la forme et se produit en

    concertation avec les motifs sous-jacents la composition.Le cinquime chapitre dmontre cette spcificit compositionnelle dans

    une oeuvre de grande envergure: la Cantate du Narcisse, crite en 1938 pour

  • 10

    choeur de voix de femme, soprano, tnor et orchestre de chambre sur un texte

    de Paul Valry, doit tre considre comme une oeuvre dramatique matresse

    trs proche d'un opra en son genre. Dans La Cantate du Narcisse, Taillef~rre

    rend hommage la tradition de la musique franaise o le no-classicisme est

    amen son apoge.

    Cette composition, en voie d'dition, remonte la moiti de sa priode de

    crativit et dmontre plusieurs lments nouveaux en comparaison des

    oeuvres tudies prcdemment, considrant l'adjonction de la composantedramatique. Aussi, avant de procder l'analyse comme telle, le cinquime

    chapitre traite des aspects extra-musicaux de l'oeuvre tels Clue, premirement,

    la gense de la Cantate du Narcisse, et, deuximement, l'historique de la

    cration de l'oeuvre. La troisime partie du chapitre relve les thmatiques du

    livret tandis que la quatrime tablit l'alliance de la posie avec la musique.

    Les deux dernires parties du chapitre cinq se consacrent principalement

    l'analyse musicale de l'oeuvre. Comparativement aux dmarches prcdentes,

    nous aborderons l'analyse de la Cantate du Narcisse de manire plus gnrale

    en slectionnant les passages reprsentatifs des caractristiques souleves. La

    cinquime partie discute de la forme et de la notion de proportion, tant des

    petites structures tels les airs que des plus grandes telles les scnes (un et deux)et l'oeuvre dans son entier. La sixime partie du chapitre s'attarde aux

    spcificits motiviques qui ont des liens avec la structure formelle de l'oeuvre.

    Tout au long de cette dmarche, nous insisterons sur la tendance de la

    composition musicale de Tailleferre s'unir troitement au texte potique de

    Valry.

    En conclusion, non seulement nous ferons tat de l'tude analyt' lue

    mene, mais nous synthtiserons des traits caractristiques du style

    compositionnel de Tailleferre d'aprs les lments discuts. Ce rsum

  • 11

    stylistique se ralisera en dbordant du cadre des trois oeuvres tudies afin

    d'offrir une vision plus reprsentative de son oeuvre.

    La contribution majeure de cette thse rside dans l'applicationsystmatique de l'analyse musicale sur des oeuvres d'une compositrice reste

    dans l'ombre. Le modle d'analyse choisi, qui fusionne trois mthodes, se

    prte parfaitement ce genre de musique issue de la tradition franaise.

    L'tude mene souligne les qualits compositionnelles de Tailleferre, qui cet

    ouvrage veut rendre hommage. Cela n'en fait pas moins une dmonstration

    de la cohsion compositionnelle dans l'oeuvre de Germaine Tailleferre du

    motif jusqu' la forme.

  • CHAPITRE 1LA VIE DE GERMAINE TAILLEFERREI

    Germaine Marcelle Taillefesse,2 ne le 19 avril 1892 Saint-Maur-des-

    Fosss, en banlieue de Paris,3 est la cadette d'une famille de trois filles et deux

    garons, famille dont on dirait aujourd'hui qu'elle est dysfonctionnelle. Lecouple marquait son quotidien de disputes et le climat familial ~n souffraitnormment. Arthur Taillefesse, le pre, tait cultivateur, adultre et sans

    aucune sensibilit pour la musique, tandis que la mre, Marie Dsire

    Taillefesse,4 avait reu une bonne ducation de jeune fille au couvent o elleapprit jouer du piano.

    Germaine Tailleferre hrite de sa mre son talent de pianiste accomplie.

    Dj l'ge de cinq ans, Germaine joue du piano en prenant plaisir reproduire deux voix tout ce qu'elle entendait, surtout Mozart. Cet hritage

    s'avrera beaucoup plus qu'un intrt secondaire, car trs rapidement, elle se

    mettra improviser et composer des petits morceaux. Son premier projet

    1 Ce chapitre est une synthse des sources biographiques disponibles. Les premires sourcesproviennent des tmoignages de Tailleferre recueillis dans les Mmoires l'emporte-pice etdans les entrevues radiophoniques qu'elle a donnes en 1977 et 1979. Le flou entourant lachronologie des vnements sera attnu par nos entretiens avec Hacquard.

    Les recherches de Mitgang et de Potter sont d'un apport considrable dans la rectification desfaits biographiques. Comme nous rfrons, dans le prsent chapitre, certains de leurs ouvrages..les indications en'notes de bas de page se rsumeront de la faon suivante :Mitgang (1982), pour le mmoire, La Princesse des Six: A Life of Germaine Tailleferre;Mitgang (1987), pour l'article, Germaine Tailleferre: Before, During and After "Les Six";Potter, pour l'article, Germaine Tailleferre (1892-1983): A Century Appraisab., Muziek &Welenschap 2/2 (1992), pp. 109-128. Cet article est, en grande partie, la reproduction exacte dupremier chapitre de la thse de matrise de la mme auteure.2 Plus tard, lorsque Germaine entra au Conservatoire national suprieur de musique de Paris, elledcida d'adopter le pseudonyme de Tailleferre. Sa mre et SIlS deux soeurs suivirent son exempleen changeant leur nom de Taillefesse pour Tailleferre, qui tait tout de mme le nom originaire deleurs aeux. (Voir Tailleferre, Mmoires l'emporte-pice, p. 8.)3 Dans l'actuel Val-de-Marne.4 Contre toute vraisemblance, la jeune fille portait le mme nom de famille de jeune fille que celuide son prtendant.

  • 13

    d'envergure, en regard de ses huit ans, sera celui d'crire un opra avec ungrand air intitul, Les lieux du malheur-re.5

    C'est l'poque o Germaine Tailleferre accompagne sa soeur ses cours

    d'aquarelle chez Perret-Dortail et passe le temps des leons improviser sur le

    piano queue entrepos dans l'atelier. Le peintre Dortail, convaincu des

    talents de la jeune musicienne, persuadera sa mre de la prsenter une amie,va Sautereau-Meyer, professeure au Conservatoire de Paris, qui, sanshsitation, la prendra en charge. Puisque son pre sera strictement contre la

    formation musicale, Tailleferre devra poursuivre ses leons de piano en

    maniganant tout un scnario de cachettes avec la complicit de la concierge et

    de sa professeure. Ce sera une priode d'angoisse pour la jeune fille quichappera cette ralit grce la musique et la peinture de l'atelier du peintre

    Dortail o elle se sentait dans son lment.

    En dpit des interdictions paternelles, Tailleferre, l'ge de 12 ans (1904),franchit les portes du Conservatoire national suprieur de musique de Paris en

    tant admise la classe de solfge d'va Meyer. Deux ans plus tard, la rage etles menaces du pre seront apaises lorsqu'il verra imprim son nom de

    famille dans le journal annonant les laurats du concours de solfge pass le28 juin 1906. Mme si une grande bataille sera ainsi gagne, jamais iln'acceptera de subvenir aux besoins matriels de sa fille pourtant voue une

    carrire musicale. Sa dtermination et son opinitret pousseront la jeune fille acqurir une indpendance financire par l'entremise de la musique. Cet

    enjeu vite gagn dterminera une partie de son destin de compositrice.La poursuite de ses tudes au Conservatoire amnera Tailleferre dans les

    classes d'harmonie d'Henri Dallier, de contrepoint et de fugue de Georges

    5 Tailleferre mentionne dans ses -Mmoires l'emporte-pice que le "re tait indispensablepour la ponctuation de sa phrase musicale (p. 11).

  • 14

    Caussade, de composition de Charles-Marie Widor et d'accompagnement

    d'Estyle Csar o elle se dmarquera en raflant de 1913 1915 tous les premit:rs

    prix dans ces disciplines, l'exception de la composition: ce concours n'ayant

    pas lieu cause de la guerre. Le Conservatoire lui dcerna le premier prix

    d'harmonie le 16 juin 1913, de contrepoint le 25 mai 19146 etd'accompagnement le 19 juin 1915.

    Le souvenir du concours de contrepoint est demeur trs vif dans l'esprit

    de l'colire modle d'alors.7 Ce concours consistait en la composition d'une

    fugue partir d'un sujet et d'une rponse donns. Or li s'avra qu'une erreurs'tait glisse dans l'nonc de dpart et avait chapp la vigilance du

    responsable du concours, Faur-le-rveur.8 Voyant que la partie tait perdue

    d'avance, Tailleferre dcida de passer ses dix-huit heures en loge s'amuser

    crire une composition libre, de la musique" comme elle le prcisa dans ses

    Mmoires :

    C'est pour cette raison que j'obtins le Premier Prix l'unanimitaprs l'excution de mon devoir quatre mains par Faur etDebussy, ravis de n'avoir plus compter les fautes (mon devoirn'en eut comport que trop!).9A partir de 1912, le Conservatoire reoit des tudiants qui seront

    dterminants dans la dmarche artistique de Tailleferre tels qu'Arthur

    Honegger, Georges Auric,lD et, en particulier, Darius Milhaud. Ce quatuor

    d'amis se recroisera dans la classe de composition, elle-mme dstabilise par le

    6 Cette mme anne, Tailleferre voulait passer son brevet de pilote en ballon sphrique!(

  • 15

    contexte de la Premire Guerre mondiale avec les ?bsences trop frquentes de

    son professeur Charles-Marie Widor. Cette classe de composition fait vite place

    des rencontres chez Milhaud.

    Tailleferre admettra volontiers qu'elle apprit beaucoup plus de ces

    rencontres qu'avec n'importe quel autre professeur. C'est Milhaud qu'elle

    doit d'tre initie la musique de Ravel, Debussy, Schoenberg, Bartok et, par-

    dessus tout, Stravinsky.11 Ensemble, Milhaud et Tailleferre prendront plaisir

    jouer la rduction pOUl" piano quatre mains du Sacre du printemps 12 et dePtrouchka. Stravinsky sera une vritable rvlation pour la musicienne

    franaise et elle s'en inspirera jusque dans ses improvisations, ce qui lui vaudrad'tre renvoye de la classe d'orgue tenue par Eugne Gigout.l3

    Pour se reposer de la formation rigoureuse du Conservatoire et des leons

    prives qu'elle donne pour subvenir ses besoins et ceux de sa mre,14

    Tailleferre suivra des cours de croquis l'Acadmie de la Grande Chaumire et

    l'Acadmie Ranson, reconnues par les matres K. X. Roussel et Maurice

    Denis. Son got pour les arts visuels lui fera souvent remettre en question sa

    direction artistique jusqu' considrer l'abandon des tudes musicales.Tailleferre confesse:

    Je songeais abandonner la musique, les tudes pianistiquesm'assommaient. Je travaillais mal. Quand je devais tudier untrait de la main gauche, j'improvisais de la main droite. Jem'amusais bien plus ce jeu qu' vaincre une difficult technique.

    11 Tailleferre confessera: En dehors de Wagner, je ne connaissais peu prs nen (

  • 16

    [... ] J'ai tent une dernire fois de me prsenter la classesuprieure de piano. Ce devait se solder par un dsastre. J'avaisun tel trac que j'ai jou un prlude et une fugue de Bach dans unautre ton.t5

    Mais de nouvelles tendances dans la cration musical'"! se dessinent. Le 18

    mai 1917, le Thtre du Chtelet met l'affiche Parade, ballet raliste de Jean

    Cocteau, rik Satie et Pablo Picasso. Ce ralisme incarn par la simplicit et laclart du cirque et du music-hall juxtaposs au cubisme scandalise. Ce scandale,qui aurait pu n'tre qu'un vnement mondain, s'avra une voie

    qu'empruntera toute une gnration de musiciens. Le pote Blaise Cendrars et

    trois jeunes musiciens - Auric, Durey et Honegger - s'empresserontd'organiser une soire de posie et de musique en hommage Satie la Salle

    Huyghens.t6

    De Parade dcoulera une coexistence des peintres, des potes et des

    musiciens. Ces derniers, partir de cette voie principale, exploreront de

    nouvelles avenues. Visant l'interdisciplinarit des arts, on encouragera qu'un

    mdium en supporte un autre et on verra Satie, entre autres, dvelopper le

    concept de la musique d'ameublement: sorte de mobilier musical fait pour

    ne pas tre cout,17 mais pour agrmenter l'environnement d'une autre

    activit telle une exposition de peinture. Pour raliser son projet, Satierecherchait de jeunes musiciens. Melkers, Durey, Auric et Honegger taientparmi ses recrues.

    15 Ibid., p. 24.16 Le concert aura lieu le 6 juin 1917 ayant au programme la rduction quatre mains de Parade deSatie, Trio d'Auric, Six pomes d'Apollinaire d'Honegger et Carillons de Durey (Mitgang [1987],p. 181). Cette salle situe au 6 rue Huyghens tait un atelier dsaffect qui appartenait aupeintre mile Lejeune et qui fut dcouvert par le compositeur d'origine sudoise Melkers. Ayant larput:iltion d'tre l'htesse des performances artistiques d'avant-garde, la Salle Huyghensconnaitra un grand essor.17 Erik Satie, ~crifs, runis, tablis et prsents par Ornella Volta, nouv. d. rev. et aug. (Paris:Champ libre, 1981), pp. 190 et 307-308.

  • 17

    Quant Tailleferre, elle n'avait qu'une envie: celle de se joindre cespromoteurs de musique d'ameublement. Dans l'esprit de ces performances,

    elle crivit en 1917 deux mouvements pour quatuor cordes et ne suite de

    deux pices pour deux pianos, Jeux de plein air. Elle fit une premire lecture

    de la suite avec son amie Marcelle Meyer, une pianiste de concert se

    spcialisant dans la musique moderne. Elle tait cent lieues de se douter iue

    Satie assisterait cette lecture. Tailleferre relate l'vnement:

    Je lui [Marcelle Meyer] apportai donc mes morceaux deuxpianos Ueux de plein air ], afin d'en faire la lecture; comme elletait une trs bonne lectrice, nous en donnmes une excellenteavant-premire. Sur ces entrefaites, Satie arriva. Aprs avoirperu quelques bribes de ces morceaux dans l'antichambre, il entradans le salon, ravi, et demanda qui en tait l'auteur. Quand nousfmes prsents, il m'embrassa et m'appela sa fille musicale; ilvoulut tout de suite m'inscrire au programme de ses concerts demusique d'ameublemenb>. Ce fut pour moi le dimanche de machance, car toute ma vie en fut transforme. Je savais dsormaisque je ne ferais pas de peinture, mais de la composition.l8Aussi, Satie l'impliqua dans une srie de concerts de la nouvelle

    gnration de musiciens partir de laquelle il fonda la Socit des Nouveaux

    Jeunes, forme alors de Durey, Auric, Honegger, Tailleferre et Roland-

    Manuel.19 Dans ses Mmoires, Tailleferre se remmore un des concerts des

    Nouveaux Jeunes qui eut lieu le 15 janvier 1918 au Thtre du Vieux-Colombier :20

    18 Mmoires l'emporte-pice.., p. 26.19 On ne connat pas les circonstances qui font que Roland-Manuel ne sera pas compt parmi le futurGroupe des Six. Accompagnant souvent le groupe, il a t identifi comme le septime.. duGroupe des Six! Plus tard, lors d'un concert du 7 juin 1919 de la Socit nationale, Tailleferre etSatie joueront ensemble la transcription pour piano 4 mains de Parade. Satie lui offrit alors unecopie de la partition ddicace A ma douce & gentille "fille" Germaine Tailleferre (Potter,p. 111, n. 9).20 Le Thtre du Vieux-Colombier tait dirig l'poque par la chanteuse Jane Barthori. quitait la recherche de performances multidisciplinaires avant-gardistes. A son concert taitaussi inscrit au programme Jeux de plein air.

  • 18

    Pour ma part, je prsentai mon Quatuor cordes (du moins lesdeux premiers mouvements, le final n'tant pas encore achev).21Georges Auric fit entendre des mlodies, dont Le Gloxynia[Gloxinia] chant par Pierre Bertin qu'accompagnait MarcelleMeyer; Louis Dt

  • 19

    La simplicit, la clart et la puret du discours musical constituent les

    lignes directrices de ce manifeste reprsentant la musique des Nouveaux

    Jeunes dont l'Euterpe s'incarne en quelque sorte dans le cirque, le music-hall

    et le caf-concert. Au cours de 1919, Milhaud, aprs une absence de deux ans-

    car il tait attach la Dlgation de France au Brsil - se joint cinqmusiciens du groupe pour l'dition d'une collection de pices pour piano,

    L'Album des 6. Ce recueil, dont les pices furent composes au cours du

    deuxime semestre de 1919 comprend:

    PrludeRomance sans ParoleSarabandeMazurkaValsePastorale

    d'Auricde Dureyd'Honeggerde Milhaud28de Poulencde Tailleferre.

    Le lancement de L'Album des 6 eut lieu au dbut de janvier 1920, lasuite de quoi le musicologue, critique et compositeur Henri Collet publia deux

    articles l'intention de ces six compositeurs.29 Le premier article parat le 16

    janvier 1920 sous le titre de Un livre de Rimsky et un livre de Cocteau: LesCinq Russes, les Six Franais et Erik Satie l'intrieur duquel il considre que

    ces insparables ainsi qu'en tmoigne le curieux recueil "du groupe des Six",

    28 Seule la pice de Milhaud date de 1914 d son absence.29 Les sources ne sont pas unanimes quant la date et au lieu exacts de la rencontre de Collet avecLes Six. Jean Roy va jusqu' prciser la date du 8 janvier 1920 conformment l'agenda d'Honegger(Le Groupe des Six [Paris: Seuil, 1994], p.7). D'aprs Tailleferre, la rencontre s'tait produitechez Milhaud (

  • 20

    affirment aujourd'hui, par un magnifique et volontaire retour la simplicit,le renouveau de la musique franaise.30

    Une semaine plus tard, soit le 23 janvier, Collet publie un autre article -Les Six franais: Darius Milhaud, Louis Durey, Georges Auric, Arthur

    Honegger, Francis Poulenc, et Germaine Tailleferre31 - qui dcrit le style de

    chacun d'eux. Sur Tailleferre, il crira:

    Les Jeux de plein air, la Pastorale ou le Quatuor de GermaineTailleferre rvlent enfin une nature fminine sans coquetterie etmivrerie. Ce sont oeuvres de jeune fille d'aujoud'hui, franche etdroite, fine et avertie de toutes les audaces de son art. Aussi quelsrythmes dcids! quel aplomb charmant dans ces gammesruisselantes, fluides et sans nuances, par-dessus les successionsharmoniques arides qu'appuie une pdale rythme, dans telcache-cache mitoula!32

    Aprs la parution de ces dp.ux articles, le Groupe des Six fut

    officiellement lanc, avec Cocteau comme porte-parole. Mme s'ils trouvaient

    surprenante cette tiquette,33 chacun en prit son parti car ce fut de cette faon

    qu'ils devinrent connus. Ils avoueront qu'ils taient plus lis par l'amiti que

    par une parent esthtique se runissant chaque samedi soir: d'abord chez

    Milhaud, puis dans un modeste restaurant, le Petit-Bessonneau.34 Ces

    dners des Six, qui devaient servir mettre au point les projets etprogrammes des futurs concerts, taient rellement des prtextes runions

    d'une frache gat,35 o les plus grandes ides de frivolit dfilaient.

    Tailleferre relate avoir mme vu Cocteau mont bicyclette sur la table, la

    30 Comdia, 16 janvier 1920.31 Comdia, 2" janvier 1920.32 Ibid.33 L'tonnement des Six- pour cette appellation de Groupe des Six utilise par Collet dans sonarticle surprend d'autant plus que l'on sait l'empressement avec lequel ces membres ont senti lebesoin d'en justifier le bien-fond. Pourtant, leur recueil de 1920, L'Album des 6. invite cettednomination.34 Tailleferre, Mmoires l'emporte-pice, p. 29.35 Ibid., p. 27.

  • 21

    fin du repas, et se livrant mille pitreries.36 Un bon nombre d'interprtes, de

    peintres et d'crivains se joignaient eux pour prendre part cette ftehebdomadaire.37 Aprs le repas, les samedistes38 allaient habituellement la

    foire de Montmartre ou au cirque Mdrano avant de retourner chez Milhaud,

    o il y avait lecture de nouveaux pomes ou de nouvelles compositions.39

    De ces joyeuses rencontres naquit le proie~ Les Maris de la Tour Eiffel,une commande des Ballets sudois Cocteau. Ce spectacle, sous l'ascendant de

    Parade, est une prestation surraliste ayant comme toile de fond une noce.

    L'action se droule le 14 juillet, jour de la prise de la Bastille, sur une terrassedu premier niveau de la Tour Eiffel et ironise une noce petite-bourgeoise en

    confrontant le banquet traditionel au nouveau crmonial de la photo, le tout

    comment par deux narrateurs aux mgaphones.

    Chaque incident fantastique qui survient lors de la sance de photos

    forme le sujet des diffrents numros de danse composs par chacun des Six, l'exception de Durey. Ce demier aurait, quatre jours avant la premire, refusde collaborer au projet, et c'est Tailleferre qui reprit sa partie pied lev. Dansses Mmoires, elle raconte qu'au fur et mesure qu'elle crivait

    Valse des dpches, Milhaud l'orchestrait.4o l'origine, Tailleferre devait s'entenir la composition de Quadril/e, dont les ides musicales furent inspires

    36 Ibid., p. 29.37 Parmi les interprtes, on comptait: Arthur Rubinstein, Marcelle Meyer, Juliette Meerovitch,Andre Vaurabourg, Koubitzky; les peintres: Marie Laurencin, Irne Lagut, Valentine Gross, GuyPierre Fauconnet; les crivains: Lucien Daudet, Raymond Radiguet, Paul Morand.(Voir Milhaud, Noies sans musique, p. 103; Tailleferre, Mmoires l'emporte-pice.., p.29;Volta, Album des 6, p.8.)38 Ce fut le nom que l'on donna aux adeptes des diners des Six. Morand, lui, y allait de laformule abrge S.A.M. de la Socit d'Admiration mutuelle (Volta, Album des 6, p.8).39 Milhaud, Notes sans musiqlU', p. 103.40 Mmoires l'emporte-pice, p. 29. La partition d'orchestre du ballet Les Maris de la TourEiffel fut retrouve seulement en 1956 au Muse de Danse de Stockholm lors d'un voyage deCocteau. Par contre, La Fugue du Massacre de Milhaud n'a jamais t retrouve et le compositeuren a crit une nouvelle version pour l'dition en 1971 (notes de programme d'enregistrement parEdward Johnson, Les Maris de la Tour Eiffel, Geoffrey Simon, chef d'orchestre pour ThePhiJharmonia Orchestra. Chandos CHAN 8356, 1985).

  • 22

    du Quadrille des lanciers que sa mre jouait au piano pour faire danser sesenfants.

    Le soir de la premire, le 18 juin 1921 au Thtre des Champs-lyses, LesBallets sudois scandalisrent le public parisien par ce spectacle dlirant Les

    Maris de la Tour Eiffel. Les Maris fut le dernier projet du groupe en soi."Chacun allait dsormais suine sa voie comme le disait Tailleferre41 qui se

    retrouva sans ses compagnons d'armes pour poursuivre sa carrire de

    compositrice. Car il faut bien l'admettre, ces rencontres rgulires avec "Les

    Six lui avaient permis de s'intgrer au milieu artistique parisien qui

    reconnaissait maintenant son travail de comp0sitrice.

    Cette reconnaissance lui venait de ses pairs et se vrifiait chez les "Six

    par la lgitimit que ceux-ci accordaient son rle de compositrice o elle fut

    souvent la rfrence. Milhaud et Poulenc, entre autres, bnficirent de ses

    suggestions. La place que des interprtes comme Arthur Rubinstein, Alfred

    Cortot, Hlne Jourdan-Morhange et Jacques Thibaud ont rserve ses

    oeuvres a contribu internationaliser sa musique. Enfin, le support de

    Stravinsky, Koechlin42 et Ravel l'ont stimule poursuivre cette carrire de

    femme compositrice malgr les rsi~tances habituelles de l'poque.

    Ravel fut l'un des compositeurs qui l'appuya le plus.43 Malgr le

    dsaccord que manifestait Satie, Tailleferre, souvent accompagne de Jourdan-

    Morhange, visitait rgulirement Ravel Montfort-l'Amaury. Ces visites

    taient une sorte de ressourcement musical tant au plan de la composition et

    41 Mmoires l'emporte-pice, p. 29.42 Tailleferre suivra sporadiquement des leons de composition et d'orchestration avec Koechlin.Selon Potter, ces leons prendront place au cours de trois priodes de 1916 1923: du 8 dcembre1916 jusqu'au dbut de 1917; du 31 octobre au 1er dcembre 1922; du 20 mars au 4 mai 1923 (p. 113, n.14).43 En 1924, lors d'un concours de composition, il fut le seul du jury voter pour Tailleferre. (Lettre Roland-Manuel, le 10 avril 1924, reproduite dans Ren Chalupt, Ravel au miroir de ses lettres,correspondance runie par Marcelle Grard et kcn Chalupt (Paris: Robert Laffont, 1956),pp. 207-208).

  • 23

    de l'orchestration qu'au plan de la sant, car Ravel adorait la marche la

    campagne. Tailleferre nous en dresse un portrait:

    Il me souvint de l'une d'elles o nous avions fait quatorzekilomtres; en rentrant le soir, nous tions extnus de fatigue.Ravel me mit au piano et me pria de lui jouer tout PtrolJchkapar coeur. C'tait pour moi la seule faon de m'exprimer, carj'tais bourre de complexes.44Tailleferre obtenait un grand succs jouer avec frnsie Ptrouchka, Le

    Sacre du printemps, L'Oiseau de feu dans les salons mondains de mcnes.C'tait sa faon elle de vendre ses talents musicaux ce qui lui attira, en 1920,

    une commande de la Princesse d'Edmond de Polignac d'une Sonate pourviolon et piano. Ddicace Jacque!; Thibaud,45 cttte Sonate fut cre le 17juin 1922 au Thtre du Vieux-Colombier par ce violoniste accompagn aupiano par Cortot. La premire de cette oeuvre lui valut des loges de l~ part des

    critiques.

    Au cours de la mme anne, Tailleferre compltera une oeuvre

    importante: Ballade pour piano et orchestre (1920-22). Un mois aprs lacration de celle-ci, ralise le 3 fvrier 1923, la compagnie des Ballets sudois

    lui offrira de composer la musique d'un ballet sur un scnario d'Hlne

    Perdriat, Le Marchand d'oiseaux. Le thme du ballet, la punition de l'orgueilvaniteux, est dvelopp dans l'histoire de deux soeurs aux valeurs opposes

    qui se cherchent un amoureux. L'argument est simple:

    Un jour les deux soeurs dcouvrant leur porte deux bouquetsen choisissent chacune un; mais tandis que l'ane ddaigne lesfleurs des champs, sa cadette les prend comme la parure qui luiconvient le mieux et se laisse aimer par un simple marchandd'oiseaux, alors que l'autre accepte les hommages d'un richetranger masqu. Mais une colire turbulente arrachebrusquement le masque de ce dernier et l'on reconnat le vieux

    44 Mmoires l'emporte-pice, p. 36.45 Tailleferre dut surmonter sa peine cause par un amour impossible avec Thibaud, qui dura troisannes.

  • 24

    marchand du port. Confusion, effarouchement, tandis que lacadette, au bras du marchand d'oiseaux, s'loigne d'un pas desplus gracieux, aux applaudissements de tous.46

    La premire eut lieu le 25 mai 1923 avec un succs sans gal. Le 25 mai,

    Colette crivait:

    fi n'est rien de plus dire. Mais est-ce donc un si mince loge?Sourions au Marchand d'oiseaux, son acide et frais dcor, sescostumes ironiques ... Vous voulez un scnario? Pourquoi? .. Cepetit divertissement est le triomphe de Mlle Germaine Tailleferre,auteur d'une mordante partition, o le motif populaire et laronde enfantine brillent, se cachent, reparaissent, rubans qui lientun bouquet orchestra1.47

    Ce succs, doit-on le mentionner, est d au dvouement entier de

    Tailleferre. Jean Brlin, qui devait assumer la chorgraphie tait, selon elle, un

    mdiocre directeur artistique qui, par contre, avait la dcence de laisser la

    conception chorgraphique aux auteurs. Ainsi, Tailleferre, la ballettomane

    qu'elle tait, dut prendre en main la chorgraphie. Dans ses Mmoires, elle

    relate comment, au son d'un fou-rire gnral, elle a mis au point la

    chortlgraphie du Final :

    Dans l'enthousiasme et l'inconscience, je me mis danser ouplutt courir d'un bout de la scne l'autre, soulevant avec messouliers un nuage de poussire. C'tait, pour la joie de tous, unpatapoum tonitruant qui sonnait comme une charge decavalerie.48

    Le Marchand d'oiseaux a t jou quatre-vingt-treize fois entre 1923 et1924. Depuis cette date, le ballet n'a pas t entendu, sauf l'

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    Cythre bas sur le Voyages autour du monde de Bougainville. Sans tarder,elle termina d'crire la partition. Mais, le projet a tout de mme avort suite la mort de Diaghilev survenue avant la prsentation du ballet.49

    Le style no-classique dont fait preuve Le Marchand d'oiseaux aparticulirement charm la Princesse Edmond de Polignac qui lui commanda,

    la fin de l'anne 1923, un Concerto pour piano et orchestre dans le style allaScarlatti. Le caractre brillant et expressif tout comme la fermet dans

    l'architecture ont permis que ce Concerto soit reconnu sur le continentamricain au cours des deux annes suivantes.

    C'est en 1925 que Tailleferre s'embarqua pour les tats-Unis o elleesprait faire carrire. Sa situation Paris n'tant plus ce qu'elle tait depuis la

    fin des activits des Six, Tailleferre faisait face un srieux problme

    financier, surtout qu'elle devait assumer les cots exorbitants des soins

    mdicaux pour sa mre. C'est ainsi qu'elle dcida d'accepter l'invitation d'une

    amie new-yorkaise, Marion Dougherty, passer l'hiver 1925 chez elle. Ce

    sjour lui permit de rencontrer le chef d'orchestre Sergey Koussevitzky quientreprit d'engager Cortot pour jouer le Concerto pour piano de lacompositrice.

    Elle fut acclame New York au Aeolian Hall peu de temps aprs son

    arrive, soit le :;'4 fvrier 1925, pour sa premire Sonate pour violon et piano(1920-21) interprte par Robert Smandt accompagn par l'auteure. Les 20-21mars eut lieu la cration amricaine du Concerto pour piano et orchestre par le

    Philadelphia Orchestra avec Cortot au piano.50 Le 3 avril 1925, Cortot rejouerale Concerto, mais cette fois sous la direction de Koussevitzky au SymphonyHall de Boston tandis que Tailleferre l'interprtera les 2 et 3 avril avec Wilhem

    49 Potter, p. 114.50 Une dduction que Mitgang (1987) a faite suite ses recherches (p. 213, n. 43).

  • 26

    Mengelberg dirigeant la Philharmonic-Symphony Society of New York

    Carnegie Hall.51

    Suite ces concerts, Tailleferre reprend le bateau vers la terre franaise au

    mois de mai 1925 pour la quitter de nouveau au mois de septembre de la mme

    anne. Le succs que remportrent ses oeuvres en Amrique lui donna l'esF Jir

    de dcrocher, un jour, un poste de professeure dans un collge de musique,espoir qu'elle a nourri pendant ses trois sjours aux tats-Unis et quil'amenrent la conclusion que pour les Amricains, il faut russir du

    premier coup".S2

    La dernire tentative date du mois de septembre 1926, au cours duquel elle

    fait la rencontre, lors d'une soire chez Alfred Knopff, d'un caricaturiste clbre

    du New Yorker, Ralph Barton. Ds la premire rencontre, Barton demandaTailleferre en mariage exigeant une rponse dans les vingt-quatre heures.

    Malgr l'incongruit de la demande, le mariage fut finalement clbr le 3

    dcembre 1926 au Connecticut.S3

    Le couple Barton s'installa Manhattan, en plein coeur de la vie culturelle

    new-yorkaise, o une semaine aprs leur mariage, ils reurent la visite

    quotidienne de Charlie Chaplin, de passage New York. Mme si ce partage du

    quotidien dans leur vie de couple a dmarr trop tt, Tailleferre tait toujoursenchante d'accueillir, chaque aprs-midi, cette vedette du cinma avec qui elle

    pouvait partager son mtier de musicienne beaucoup plus qu'elle ne pouvait le

    faire avec son mari qui ne voulait rien entendre.

    51 Mitgang (1987), p. 194 et Mmoires l'emporte-pice, p. 48.52 Mmoires l'emporte-pice, p. 48. .53 Potter, p. 115. Ce n'est pas d'abord l'enthousiasme qui anima Tailleferre mais bien laperplexit, car l'ventualit d'tre l'objet d'un quatrime mariage de cet homme l'effrayait. Parcontre, l'amricanit de ce francophile et les conseils de Bernard Boutet de Monvel eurentraison de ses apprhensions.

  • 27

    Tailleferre et Chaplin prenaient plaisir se mettre au piano et

    improviser. J'autres moments, il improvisait des sketches o Tailleferrel'accompagnait dans un change quitable: soit qu'elle suivait l'action, soit

    qu' son tour, il suivait le rythme suggr par la musicienne. Ces visites

    journalires durrent six mois, reproduisant toujours le mme scnario dcritpar Tailleferre:

    Charlie arrivait pour djeuner, ensuite nous nous mettions aupiano. Il jouait assez bien, avec une grande facilit, et il improvisaitsurtout une musique qui correspondait aux personnages de sesfilms. Il possdait ~"1 mlange d'italianisme la Puccini et unecocasserie la Satie dont il n'avait pas conscience; aussi lui donnaije le conseil d'crire la musique de ses films. Il prparait cettepoque Le Cirque. 54

    Chaplin aurait voulu que Tailleferre l'accompagne Hollywood pour

    qu'ils puissent crire ensemble la musique de son film. Mais elle prit vite

    conscience que le contexte social de l'poque ne permettait pas une femme

    marie d'accepter un tel projet. Selon Barton, la vie conjugale interdisait une pouse tout dveloppement de carrire,55 surtout aprs avoir accompagn

    Tailleferre Boston pour les rptitions d'orchestre de Jeux de plein air(1924),56 o Barton sentit le danger de devenir Monsieur Tailleferre. Il y eut,tout de mme, la cration de la version orchestrale de Jeux de plein air, le 5mars 1926, et puis, du Concertino pour harpe et orchestre (1926), le 3 mars 1927,toutes deux donnes par la Boston Symphony sous la direction de

    Koussevitzky.. Aprs quoi, le couple dcida de s'installer Paris.

    Ici, Tailleferre laisse Chaplin sur le quai, mais elle retrouvera un Paul

    Claudel sur le bateau, Claudel qu'elle connaissait pour l'avoir dj rencontr

    54 Mmoires l'empor-pice.., p. 51.55 Par exemple, aussitt mari, le caricaturiste acheta un piano mcanique sa femmepianiste/compositrice jugeant que c'tait l une bonne blague lui faire. Mais la blague s'arrtaitici, car en ralit Ului interdisait de toucher le piano.56 Tailleferre raconte que Jeux de plein air originalement crit en 1917, a t orchestr suite unrve au cours de l't 1925 (

  • 28

    aux reprsentations des Ballets sudois. Lors de leurs nombreuses promenades

    sur le pont, ce dernier proposa Tailleferre d'crire une sorte de dcor

    sonore pour une pice en prose qu'il achevait pour commmorer le centime

    anniversaire de naissance de Marcelin Berthelot (1827-1907).

    Par dcor sonore, accompagnant le dialogue philosophique qui se

    droulait Sous le rempart d'Athnes, - comme le titre l'indique -le poteentendait une musique qui n'ait aucun rapport avec les personnages ni avec

    ce qu'ils disenb>,57 mais qui devait crer une atmosphre pastorale avec les

    bruissements qui s'y rattachent. Claudel avait une ide trs prcise de la

    composition musicale et il insista pour que Tailleferre accepte l'offre, la sachant

    trs rceptive aux auteurs. Mais la compositrice, malgr son envie d'adhrer

    ce projet, refusait, par loyaut, de pntrer une chasse garde forme parMilhaud et Honegger, qui taient les musiciens attitrs de Claude1.58 C'est

    Milhaud lui-mme qui la persuada de prendre la commande et l'unique

    performance de Sous le rempart d'Athnes eut lieu le 24 octobre 1927, au Palaisde l'lyse, ayant pour tte d'affiche Balptr, et la direction d'orchestreDsir-mile Inghelbrecht.59

    En 1928, Tailleferre composa une srie d'oeuvres telles que Deux Valsespour deux pianos, Sicilienne et Pastorale en LAb pour piano solo et Pavane,Nocturne, Final pour orchestre. L'anne suivante, elle mit en musique Sixchansons franaises (1929) sur des textes d'crivains des XVe, XVIIe et XVIIIesicles dont chacune est consacre une femme de son entourage et marque

    d'un humour sarcastique l'oppos de sa vie conjugale dchue, ponctued'adultres et de violences.

    57 Ibid., p. 56.58 On peut se demander si ces scrupules auraient t partags par ses collgues.59 Robert Orledge, A chronological Catalogue of the Compositions of Germaine Tailleferre(1892-1983)>>, Muziek & Wetenschap 2/2 (1992), p. 135.

  • 29

    Ces annes sombres se terminrent dans un cafouillage invraisemblable,

    un soir du printemps 1930, quand elle annona son mari qu'elle tait

    enceinte. Sa raction des plus violentes traumatisa Tailleferre qui perdit

    l'enfant.6o Elle ne revit jamais cet homme qui rentra sans tarder New York.Le divorce fut prononc le 20 avril 1931, et Barton se suicida le 20 mai

    suivant.61

    Dans la mme anne, l'envie frntique d'avoir un enfant la poussa se

    marier un jeune avocat, Jean Legeat, qu'elle avait rencontr l'anneprcdente et qui fut pris d'elle. Le 4 juin 1931 naquit sa fille uniqueFranoise.62 La satisfaction que la maternit lui procura compensa l'erreur

    qu'elle venait de raliser en se remariant, car cette deuxime vie conjugalen'tait gure mieux que la premire. Par contre, l'arrive de sa fille fut la

    source d'un grand bonheur qui lui permit de garder le cap sur la composition.

    Ces annes de cration furent marques par une srie de musiques de

    films, particulirement des documentaires de Maurice Cloche.63 C'tait pour

    elle une excellente faon de subvenir aux besoins matriels qui pesaient de plus

    en plus sur ses paules, en raison de l'activit professionnelle rduite de son

    mari afflig d'une maladie pulmonaire. En plus des commandes de musique

    de film, elle crivit trois oeuvres importantes pour orchestre.

    Ouverture pour orchestre64 (1930-1932), compose la demande de laPrincesse de Polignac, fut cre le 25 dcembre 1932 par l'Orchestre

    Symphonique de Paris sous la direction de Pierre Monteux, et le rappel la fin

    60 Dans les faits, Barton lui avait braqu la pointe d'un revolver sur le ventre, convaincu qu'il netoucherait pas sa vie, mais seulement celle du foetus.61 Mitgang (1987), p. 197.62 Potter, p. 117.63 Voir le catalogue de ses oeuvres en annexe 1 dans la section film sous la rubrique musique descne et illustration musicale.64 Cette Ouverture a resservi pour l'opra Le Marin du Bolivar (1937). Elle n'a pas t composespcifiquement pour l'opra comique Zu/aina sur un livret de Charles-Henri Hirsch. comme lementionne Odette Pannetier, Avec Germaine Tailleferre, Candide (nov. 1931).

  • 30

    du concert tmoigne du succs obtenu. Cette reconnaissance se situait

    l'oppos de la raction de Legeat qui fut pris de rage, ne supportant pas son

    tour de jouer les "Monsieur Tailleferre".65 Le mme scnario se reproduisitlors des premires du Concerto pour deux pianos, choeur et orchestre en 1934et du Concerto pour violon et orchestre en 1936.66

    Cette dernire oeuvre a t compose Leysin en Scisse, o la famille dut

    s'installer de 1934 1936 pour la convalescence de Legeat souffrant de

    tuberculose. Le retour Paris en 1936 ne dura que quelques mois, mais il fut

    suffisamment long pour que Tailleferre participe au concert d'inauguration

    d'un nouveau groupe de compositeurs, La Jeune France,67 et qu'elle

    remplisse deux commandes pour l'Exposition de Paris de 1937: la premire est

    une pice pour piano, Au pavillon d'Alsace, qui fait partie d'un recueilintitul A l'Exposition, issu de la collaboration de plusieurs compositeurs;68l'autre commande F.!5t un opra-comique, Le Marin de Bolivar, sur un livretd'Henri Jeanson.

    La dtrioration de la sant de Legeat poussa la famille s'installer

    Grasse o Tailleferre rencontra rgulirement le pote Paul Valry. Chaque

    semaine, il venait enseigner au Centre universitaire mditerranen de Nice.

    Jamais l'ide de collaborer avec ce grand pote n'avait effleur l'esprit de la

    compositrice mme lorsqu'une bohmienne lui avait prdit lors d'une

    65 Mmoires l'emporte-pice, p.64,66 Le deuxime mouvement du Concerto pour violon a t orchestr par Igor Markevitch lademande de ce dernier, Lors des rptitions d'orchestre, Monteux, dcrouvrant les faits, demanda Tailleferre pourquoi elle avait accept une telle offre, La rponse tant tout simplement qu'ellevoulait donner sa chance quelqu'un qui lui tait cher. Encore une fois, la gnrosit prenait ledessus sur la carrire.67 La Jeune France tait compose d'Olivier Messiaen, d'Andr Jolivet, Daniel Lesur et d'YvesBaudrier.68 Les autres collaborateurs du recueil sont Georges Auric, Marcel Delannoy, Jacques Ibert, DariusMilhaud, Francis Poulenc, Henri Sauguet et Florent Schmitt.

  • 31

    journe de printemps 1938 qu'elle recevrait une commande importante quiserait ralise avec une personnalit illustre.69

    Sans prter foi cette prdiction, Tailleferre vit, dans le courrier de la

    mme journe, une lettre provenant de la Direction des Arts et Lettres quiannonait la commande d'une oeuvre lyrique, de prfrence une cantate, avec

    le collaborateur de son choix. En racontant la nouvelle Valry, elle fut

    surprise de la raction de celui-ci: Votre collaborateur, ce sera moi. J'ai

    toujours dsir crire un nouveau Narcisse qui ft mis en musique sous laforme d'une cantate "alla Gluck".70 Tailleferre hsita, mais l'ide de se rfrer

    un style classique dont la musique ne soit ni descriptive, ni symboliste,

    l'encouragea se lancer dans l'aventure de la Cantate du Narcisse. Elle mit en

    musique chaque scne du libretto de Valry avec une coute et une conscience

    professionnelle sans gales.

    C'est dans un esprit de symbiose que naquit La Cantate du Narcisse dont

    les collaborateurs garderont un souvenir unique. Quel moment pour ce beaufils de musique et de posie! dira Valry?l Par la suite, Tailleferre ne reverra

    Valry qu'une seule fois, Paris en 1941, o elle lui fera entendre au piano la

    merveilleuse voix de leur enfant Narcisse tel qu'il la surnomma.72 La

    Cantate du Narcisse n'a t entendue pour la premire fois, dans sa version

    complte, qu'en 1942 en l'absence de Paul Valry?3

    69 Les dtails de l'anecdote sonl rapports dans le chapitre 5.70 Mmoires l'emporte-picl!", p. 69.71 Cit par Tailleferre, Ibid., p. 71, note 19. Tailleferre gardera, elle aussi, un trs bon souvenirde ce travail de La Cantate du Narcisse mme si Legeat lui rendait parfois la tche difficile enla drangeant constamment pendant son travail. Mitgang (1982) ira jusqu' mentionner que sesnombreuses crises de jalousie se manifestaient par des coups et par la destruction de ses manuscrits(p. 71 et p. 64, n. 2).72 Voir la lettre de Valry envoye Tailleferre, reproduite dans Mmoires l'emporte-pice",p.70.73 Les dtails sur les diffrentes excutions sont donns dans le chapitre 5.

  • 32

    En cette mme anne, la famille Legeat-Tailleferre fuit le midi, occup par

    les Nazis, pour atteindre l'Amrique en passant par l'Espagne et le Portugal.

    Legeat obtint un poste Washington pendant que Tailleferre et sa fille

    s'installrent Philadelphie, aprs un sjour New York.74 Au cours desquatre annes passes aux tats-Unis, Tailleferre n'eut aucun lan vers lacration, sauf pour l'criture d'un Ave Maria (1942) la demande spciale demadame Markevitch, directrice d'un choeur de voix de femmes au Collge

    Swarthmore de Philac'"ll:'hie. Somme toute, elle se sent isole, et l'exception

    de quelques lves en priv, son sjour ne lui permettra que de revoir des treschers comme Stravinsky et Milhaud. la visite de ce dernier, elle joua demmoire La Cantate du Narcisse. 75

    Au printemps 1946, Tailleferre revient en France o elle retrouve sa

    maison pille par les Allemands et la destruction de plusieurs de ses

    manuscrits. Graduellement, elle se remet la tche de la composition avec de

    la musique de film. Datent de cette priode Les confidences d'un micro,Concidences et Torrents. La trame musicale de ce dernier film est unecollaboration avec Auric.

    En 1948, elle compose la musique d'un ballet de Lise Deharme, Paris-

    Magie, et se lance dans un grand projet d'une satyre lyrique sur un texted'Henri Jeanson, Il tait un petit navire. Dans cette collaboration, elle neretrouve pas l'efficacit qu'elle avait connue avec Claudel ou Valry. Elle doit

    attendre des semaines et des mois pour que le librettiste lui livre chaque

    nouvelle scne, si bien que la premire n'aura lieu qu'en 1951, le 9 mars.

    Comme pour Les Maris de la Tour Eiffel, la pice Il tait un petit navire fait

    74 Mitgang (1987), p. 201.75 Poller, p. 120. Nicole A. Paiement, chef d'orchestre, qui travaille prsentement une ditioncritique de l'oeuvre, a en sa possession une version transcrite sur du papier manuscrit portant lamarque Schirmer. Ceci porte croire que Tailleferre, n'ayant pas la partition aux tats-Unis,aurait retranscrite de mmoire celle grande oeuvre.

  • 33

    l'objet d'un chahut total de la salle. L'auteure attribue la cause de cet chec nonpas au livret, ni la musique, mais bien la longueur de l'oeuvre. C'tait le

    directeur de l'Opra-Comique, Henry Malherbe qui avait insist sur la

    prolongation du livret en trois actes au lieu d'un seul, ce qui en diminuaitl'impact.76

    Cette mauvaise exprience a min son enthousiasme pour l'criture

    laquelle elle consacre dj moins de temps depuis la dclaration de la guerre,Par contre, elle posera des gestes qui stabiliseront sa vie. L'anne 1955 marque

    le divorce d'avec son second mari, suivi de l'achat d'une maison St-Tropez,

    voisine de celle de Durey. C'est cette mme priode qu'elle renoue les liens

    avec ses camarades des Six. De cette famille, comme elle le dira,77 elle

    reverra rgulirement Poulenc avec qui elle dveloppera une grande amiti.78

    Pour pallier ses problmes financiers, Tailleferre se tourne vers la

    peinture en trompe-l'oeil et la restauration de meubles anciens. Outre ces

    activits, elle s'implique, en 1951, dans l'organisation d'une exposition sur

    Les Six79, Les retrouvailles avec son ancien milieu artistique lui permettent

    de se joindre un groupe de musiciens form d'Auric, Honegger, Daniel-Lesur, Roland-Manuel et Henri Sauguet pour la ralisation d'un projet collectifde musique de chambre: "Variations ou mditations sur un thme de Camille,

    opra de Campra. Tailleferre y composa une Sarabande pour la collection

    intitule, La Guirlande de Campra, qui fut prsente au Festival d'Aix-en-

    Provence en juillet 1952.80

    76 Mmoires l'emporte-pice..,pp. 72-73.77 Ibid., p, 75,78 Les surnoms qu'ils s'taient donns, Poupoul et Bidulette, tmoignent de l'affection qu'ils aurontl'un pour l'autre (Ibid" p. 73).79 Rgulirement, des clbrations viendront marquer cette formation des Six" qui sontparticulirement bien relates par Volta dans Album des 6.80 Mmoires l'emporte-pice.., pp. 75-76,

  • 34

    Depuis 1950, Taiiieferre est revenue dfinitivement la composition par

    la cration de nombreux concertos. Par ordre chronologique, on note un

    deuxime Concerto pour piano (1951) ddi sa fille Franoise qui voulaitfaire une carrire de pianiste; un Concerto pour flte, piano et orchestre dechambre (1952-53), jou par Jean-Pierre Rampal; un Concerto pour chant etorchestre (1953), command par la colorature Janine Micheau, et qui est unetranscription de la Sonate pour harpe ddie Nicanor Zabaleta crite peu de

    temps avant la commande du concerto; un Concerto des vaines paroles (1953-54) sur un texte de Jean Tardieu, crit pour le baryton Bernard Lefort, avec quielle ralisa une tourne europenne.

    Lors de sa tourne de concerts avec Lefort, Tailleferre assista la

    reprsentation de son ballet Parisiana (1953) au Festival Edinburgh ennovembre 1954. Ce ballet, dont le dcor et les costumes relevaient du travail de

    son gendre, Jean-Luc de Rudder, avait t cr l'anne prcdente l'Opra de

    Copenhagen. Ce fut la seule collaboration que Tailleferre a pu raliser avec ce

    demier car le mariage de Franoise ne dura que le temps de donner naissance

    sa fille Elvire, en 1955.81 Suite la proclamation du divorce en 1962, c'est

    Tailleferre qui prit compltement en charge sa petite-fille Elvire,82 sa fille

    Franoise tant motionnellement incapable de l'assumer.

    Malgr ses diverses proccupations financires et familiales, Tailleferre ne

    dlaisse plus pour autant la composition. En plus de quelques concertos, une

    quantit de musiques de films et de scne, ces annes cinquante, seront

    particulirement occupes crire des opras. Premirement, nous comptons

    une srie de quatre opras appele: Du style galant au style mchant (1955).

    81 Mitgang (1987), p. 204.82 Comme le tmoigne Hacquard, Tailleferre developpera une relation trs proche avec sa petite-fille qui se maintiendra jusqu' la fin de la vie de Tailleferre (nos entretiens avec lui, septembre1991).

  • 35

    Commands par Radio-France, ces opras d'une dure d'environ vingt

    minutes chacun devaient dmontrer, avec une touche d'humour, l'volution

    de l'opra franais de Rameau Charpentier. Tailleferre fut la hauteur de la

    commande en ralisant quatre pastiches ingnieux: La fille d'opra, dans lestyle de Rameau; Le bel ambitieux, dans le style romantique de Boieldieu,

    Auber, Rossini; Monsieur Petitpois achte un chteau, dans le style

    d'Offenbach; et La pauvre Eugnie, dans le style de Charpentier. Ravie de

    l'exprience, la Radio franaise lui commande deux opras de chambre: La

    petite sirne (1957), sur un livret de Philippe Soupault d'aprs Hans Anderson;et Le Matre (1959), un opra de chambre surraliste sur un texte d'EugneIonesco. Finalement, la Radio lui demande une musique de scne pour la

    pice de Francis Jammes, Au paradis avec les nes (1962) qui remportera le PrixItalia.83

    Tout en ralisant les diverses commandes, Tailleferre se penche sur

    l'ensemble de son oeuvre et la remet en question. Un jour, elle confia Jourdan-~orhange:

    ~a musique ne m'intresse plus et la musique dodcaphoniqueet concrte qui m'attire, reprsente un tel travail que je n'ai pas laforce de l'entreprendre. C'est un peu comme si je voulaism'exprimer en chinois! C'est un peu tard pour apprendre!84

    ~algr ses soixante-cinq ans, Tailleferre exprimente le dodcaphonismeavec sa Sonate pour clarinette seule (1957). Reconnaissant elle-mme l'cartqui la spare de la matrise des principes dodcaphoniques, elle fera de

    l'exprience son unique incursion dans cet univers mystrieux et

    complexe.85 ~ais cet essai est marqu d'un besoin de renouveau qu'elle

    83 Milgang (1987), p. 205.84 Hlne Jourdan-Morhange, Mes Amis musiciens (Paris: ditions franaises runies, 1948),p.160.85 Mmoires l'emporte-pice, p. 76.

  • 36

    comblera en cherchant plutt dans un domaine qui lui est accessible, celui des

    couleurs sonores.

    Des oeuvres pour petit ensemble dotes d'une combinaison

    d'instruments assez originale caractrisent les compositions de la prochaine

    dcennie telle que la partita, Hommage Rameau, pour deux pianos et quatre

    percussions (1964). La rencontre de Dsir Dondeyne, en 1969, a l'effet d'uncatalyseur dans cette recherche. Compositeur et chef d'orchestre d'harmonie, il

    fit la transcription de la partita pour trio d'anches et orchestre cordes (1962)pour petit orchestre d'harmonie qui reut un accueil clatant Issy-Ies-

    Moulineaux lors du cinquantime anniversaire du Groupe des Six.

    L'ouverture vers un nouvel horizon sonore pousse Tailleferre crire, en

    1974, une Sinfonietta pour l'Orchestre des cadets d'Alfred Loewenguth et, en1977, une Suite-divertimento orchestre pour grand ensemble d'harmonie parDondeyne.86

    L'arrive de l'anne 1970 marquera sa dernire adhsion des

    productions multi-mdias avec le documentaire sur les peintres

    impressionnistes, Impressions, Soleil levant. Tailleferre occupe alors un petitappartement (enfoui dans une cour intrieure) situ rue d'Assas, prs dujardin du Luxembourg, o elle partage sa vie de compositrice avecl'enseignement de la musique. Tout en prparant, en priv, des lves pour le

    baccalaurat en harmonie et en contrepoint, elle enseigne, de 1970 1972,

    l'accompagnement la Schola Cantorum. De ce poste, elle dira: Enseignant

    des lves, je me sens redevenir moi-mme mon tour, ce qui est une faonagrable de terminer sa vie en la recommenant.87

    86 Jusqu' la fin de sa vie, Dondeyne sera un grand ami et collaborateur de Tailleferre. Comme il atoujours dmontr un grand intrt pour sa musique, elle lui confia la plupart de ses manuscrits.Prsentement, Dondeyne et Hacquard sont dresser un catalogue thmatique sur l'oeuvre deTailleferre.87 Mmoires l'emporte-pice., p. 78.

  • 37

    En 1976, elle revit l'amour qu'elle a pour les enfants en acceptant le poste

    d'accompagnatrice aux classes de rythmique l'cole alsacienne, situe deuxpas de chez elle. Au cours de ces sances, les coliers tiraient plaisir de son art

    d'improviser de cette vieille dame sur des airs enfantins.88

    85 ans, en plus de ses quatre heures quotidiennes d'accompagnement l'cole alsacienne, Tailleferre demeure toujours active en composition et ellele sera presque jusqu' la fin de sa vie. Ce n'est, par contre, qu' cet ge degrande maturit qu'elle dcidera des rgles du jeu: quand on me demande, jen'accepte que si je peux faire ce qui me plato>.89 Les compositions de cettepoque sont le reflet de ses activits pdagogiques. Elle compose plusieurs

    miniatures pour divers instruments vent, des recueils de petites pices pour

    l'enseignement du piano. En 1978, elle crit la musique de scne pour le Cid:une tragi-comdie en cinq actes de Corneille prsente du 14 au 16 juillet par LaCompagnie du Thtre Mmorial au Thtre du Manoir Corneille Petit-

    Couronne.

    Les autres commandes, proprement dites, proviennent principalement du

    Ministre de la culture et de l'environnement. Avec leur appui, elle crit la

    Troisime Sonate pour violon et piano (1974), Sinfonietta (1974-75), Suite-divertimento (1977) et Trio pour piano, violon et violoncelle (1978).90 l'gede 89 ans, une dernire commande lui sera transmise, cette fois, par Radio-

    France: le Concerto de la fidlit pour voix leve et orchestre (1981), bas surle thme du premier mouvement de la Sonate pour harpe (1953), futinterprt le 7 mars 1982 l'Opra de Paris par Arleen Auger, soprano, et

    Zoltan Pesko, chef d'orchestre. Ce Concerto de la fidlit, unanimement

    88 Nos entretiens avec Hacquard, septembre 1991.89 Entrevue par Raymond Lyon, "Visite Germaine Tailleferre.., Le Courrier nusica/ de France 61(1978), p. 4.90 Les premier et quatrime mouvements du Trio sont une revision du premier et troisimemouvements d'un Trio crit en 1916-17.

  • 38

    accueilli91 et couronn du Prix de la Ville de Paris,92 souligne bien l'oeuvre

    d'une femme qui a d combattre toute sa vie pour continuer poursuivre sa

    carrire de compositrice.

    Au crpuscule de sa vie, Tailleferre peut maintenant affirmer qu'elle a

    rempli deux importantes missions: l'une est d'avoir t une compositrice

    consciencieuse, et l'autre de s'tre donne compltement l'amour d'autrui.

    Ce n'est que plus tard dans sa vie qu'elle prendra conscience que ses

    dispositions altruistes ont desservi sa carrire. son amie Jourdan-Morhange,elle avoua:

    Mon sens du devoir et l'amour ardent que j'ai apport auxtres m'ont accapare au point de renoncer trop souvent la joied'crire et d'exprimer beaucoup plus que je n'ai pu le faire .. etc'est triste ...93

    Cette attention particulire qu'elle accorda autrui fut confirme

    lorsqu'elle prit en charge sa petite-fille Elvire et par l'importance qu'elle

    accordait maintenir les liens avec ses anciens camarades des Six. Mme s'il

    n'y avait plus de projet collectif entre eux, (,Les Six ont continu d'existertout au long de leur vie de sorte que la perte de l'un d'eux reprsentait pour les

    autres une dchirure.

    C'est dans cet esprit que Tailleferre a vcu la disparition de chacun des

    Six, tant la dernire de l'quipage du bateau dire adieu la vie, le 7

    novembre 1983, sans jamais l'avoir laiss driver. On peut dplorer cette prisede conscience tardive, car on sent que cette artiste dj prolifique aurait fait

    91 Tous ceux que j'ai rencontrs Paris ayant eu la chance d'assister la premire - MadeleineMilhaud, Frdric Robert, Georges Hacquard, par exemple - sont unanimes sur la critique

    ~itive de son oeuvre.Ce prix s'ajoute aux prcdents : Grand Prix Musical du Conseil Gnral de la Seine (1960); Prix ltalia (1962) pour la musique de scne Au paradis avec les anes, pice de Francis Jammes; Prix de l'Acadmie des Beaux-Arts (1973);- Grand Prix Musical de la Ville de Paris (1978).

    93 Jourdan-Morhange, p. 157.

  • 39

    beaucoup plus n'eut t des contraintes de la vie qu'elle a d continuellement

    contourner avec beaucoup de souplesse. Son action ne fut jamais celle du raz-de-mare drangeant et de courte dure, mais bien celui de la vague qui,

    pendant 91 ans, rode le rcif et le faonne en profondeur.

    Malgr les embches, Tailleferre est sans cesse la tche de sorte que son

    labeur fut rcompens par une abondante rcolte d'oeuvres de styles et de

    genres diversifis. La liste de ses oeuvres, dresse dans un catalogue en annexe

    1, illustre cette diversit qui va de la musique de scne et de film au rpertoire

    de concert en passant par des concertos, des opras, de la musique de chambre

    et des chansons.

    Mme si une quantit considrable d'oeuvres y sont cites, la liste n'est

    toutefois pas exhaustive. Plusieurs partitions ont t perdues ou dtruites

    pendant la Deuxime Guerre et au cours de ses nombreux dmnagements. Il

    faut aussi mettre en cause le manque d'organisation de la compositrice.

    Consquemment, ses oeuvres se trouvent disperses parmi sa famille, ses amis

    et ses diteurs, ce qui rend leur consultation trs ardue. Prsentement,

    l'Association Germaine-Tailleferre tente nergiquement de rapatrier toutes ses

    compositions en un mme lieu sous sa tutelle.

    Nous soulignons la grande contribution qu'ont apporte les auteurs

    respectifs des deux catalogues publis rcemment: le premier, de Robert

    Orledge, est paru en 1992,94 et le deuxime, de Robert Shapiro, en 1994.95 Ces

    catalogues offrent des informations prcieuses jamais diffuses jusqu'maintenant. Mais malgr la valeur remarquable de leur travail, il subsiste des

    erreurs dans les donnes pour les raisons ci-haut mentionnes. Prsentement,

    94 Op. cit.95 Op. cit.

  • 40

    Georges Hacquard et Dsir Dondeyne, membres actifs de l'Association, sont

    laborer un catalogue qui a pour but de mettre jour plusieurs donnes et depallier certaines lacunes existant dans les catalogues publis. D'ici la parution

    du leur, cette annexe offre une autre version du catalogue qui a t

    volontairement revis par Hacquard.

    Contrairement aux catalogues cits dont la liste des oeuvres est compile

    chronologiquement, celui-ci est organis par instrument ou par catgorie

    d'ensemble instrumental, correspondant parfois certains genres musicaux,

    l'intrieur duquel chaque entre d'oeuvres suit l'ordre alphabtique.

    Le catalogue ouvre avec les oeuvres conues pour clavier, notamment

    pour piano solo, piano quatre mains, deux pianos et pour orgue. Bien que le

    piano sera pour elle son instrument de travail de composition et

    d'improvisation, son oeuvre crite n'est pas majoritairement destine cedernier malgr ce qu'on a pu en dire.

    La catgorie suivante, regroupant toute une srie de mlodies, dmontre

    combien la compositrice avait en affection la voix. L'oeuvre Six chansonsfranaises est sa contribution la plus importante ce corpus. Dans ce qui suit,sous la rubrique des instruments avec ou sans accompagnement de piano, nous

    notons plusieurs miniatures qui sont le reflet de ses proccupations

    pdagogiques propres aux annes soixante-dix, alors qu'elle enseignait la

    Schola Cantorum, puis l'cole alsacienne de Paris. Par contre, ses diversessonates pour violon et pour harpe rencontrent les exigences d'un rpertoire de

    concert.

    Nous trouvons, dans la catgorie de musique de chambre, des oeuvres

    pour trio, quatuor et quintettes. Celles qui impliquent plus que cinq musiciens

    entrent dans la sous-catgorie d'ensemble instrumental. Tailleferre a compos

    de la musique de chambre, soit pour une formation conventionnelle comme

  • 41

    Trio pour piano, violon et violoncelle ou Qua t Il or, soit pour unecombinaison spciale d'instruments telle que Image pour flte, clarinette,

    violoncelle, cleGta, piano et quatuor cordes. Ceci sans compter les

    compositions pour chant et petits ensembles instrumentaux qui dnotent une

    intrumentation originale et distincte pour chacune d'elles, mme si elle

    s'incorpore dans un cycle ou une collection. Le dernier type de musique de

    chambre concerne le chant choral dont Tailleferre a trs peu exploit les

    possibilits. Enfin, la Cantate du Narcisse reprsente une oeuvre dramatique

    matresse trs proche d'un opra en son genre.

    Les prochaines catgories comportent des oeuvres pour plus grands

    ensembles identifies sous les rubriques suivantes:

    grand orchestre et orchestre de chambre ou d'harmonie; concerto et concertino pour instruments divers; concerto et concertino pour voix; opra, oprette et comdie musicale.

    fi faut prciser que les oeuvres pour orchestre d'harmonie sous-entendent dans

    la majorit des cas, la participation de Dondeyne via son expertise enarrangement. D'ailleurs, partir de 1969, ce compositeur et chef d'orchestre

    d'harmonie a collabor plusieurs orchestrations d'oeuvres de Tailleferre.

    Mme s'il s'agit de compositions grande formation, Tailleferre rduit

    l'instrumentation de rigueur quand vient le temps d'crire des concertos, des

    opras et des oeuvres orchestrales. Encore une fois, la musique vocale prime et

    le penchant de la compositrice pour la voix est tel qu'elle la traite en

    instrument capable de rivaliser avec l'orchestre. En ce sens, elle fut innovatrice

    de se rfrer dans piusieurs compositions au genre concerto pour faire briller la

    voix. Sans compter qu'elle a conu bon nombre d'opras dont la plupart sont

    des opras-bouffes crits aprs la Deuxime Guerre mondiale.

  • 42

    La musique de scne et l'illustration musicale forment une catgorie

    part divise en sous-catgories comme suit :

    ballet; film; radio; thtre.

    Les oeuvres crites pour les mdias comme la radio, le cinma et la tlvision

    sont celles qui sont les plus difficiles retracer, pour ne pas dire inaccessibles.

    Aussi, peu d'informations sont disponibles pour couvrir ce volet.96

    Finalement, la dernire catgorie concerne des recueils vocation

    didactique auxquels Tailleferre a collabor. l'exception d'un ouvrage desolfge, ces compositions sont particulirement destines l'apprentissage du

    piano.

    Ce premier catalogue accessible en langue franaise offre les informations

    propres chaque oeuvre organises en colonnes dont le nombre varie de cinq

    six. l'extrme gauche, la premire colonne prsente le titre et, s'il y a lieu, lesous-titre de chacune des compositions. Lorsqu'il est appropri et possible de le

    faire, les diffrents mouvement!' qui composent une oeuvre donne sont

    identifis en dessous du titre. La deuxime colonne concerne les annes de

    composition. Certaines d'entre elles, prcdes d'un point d'interrogation,

    demeurent incertaines. Les sources de publication, savoir l'anne et le nom

    de l'dition, sont indiques dans les deux colonnes suivantes. Une autre

    colonne, suivant la premire, est parfois incluse pour ajouter des informationsspcifiques quant l'instrumentation, comme c'est le cas dans la musique

    d'ensemble instrumental.

    La colonne se trouvant l'extrme droite renferme plusieurs

    informations diverses sur la composition, lorsque disponibles. En premier

    96 ce sujet, voir Grover Wilkins, "Enqute sur un rpertoire au-dessus de tout soupon,Vibrations: musiques, mdias, socit, d. spciale, Les musiques des films 4 (1987) : 203-213.

  • 43

    lieu, ces informations apportent des renseignements supplmentaires sur le

    motif de la composition, savoir si elle a fait l'objet d'une commande oud'une collaboration (Coll), et, le cas chant, avec quels musiciens, ou encore sielle a remport un prix. Les ddicaces (Dd) sont prcises de mme que lalocalisation des manuscrits (MSS) lesquels se trouvent en majeure partie l'Association Germaine-Tailleferre (AGT) ou dans une des maisons