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J Radiol 2005;86:567-72 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2005 formation médicale continue le point sur… Iatrogénie des produits de contraste O Clément haque technique d’imagerie (rayons X, IRM, ultrasons) a vu se développer des produits de contraste pour améliorer la qualité du diagnostic. Les produits de contraste appartiennent à la classe des médica- ments et doivent respecter cet aspect réglementaire, que ce soit pour l’autorisation de mise sur le marché ou la pharmacovigilance. Le bénéfice attendu de ces médicaments étant d’ordre diagno- stique et non pas thérapeutique, il importe que la toxicité soit minimale pour que le rapport bénéfice-risque soit favorable au patient. Globalement, les produits de contraste non spécifiques iodés et gadolinés sont extrêmement bien tolérés et les accidents iatrogè- nes sont peu fréquents. Les accidents graves et mortels sont ex- ceptionnels. Le but de cet article est de passer en revue les différents types de iatrogénie possible avec les produits de contraste iodés ou gadoli- nés, et d’envisager les moyens de traitement et de prévention. Incidence et classification des effets secondaires La classification la plus simple des produits de contraste iodés est basée sur leur structure chimique. On distingue les monomères et les dimères et les produits ioniques ou non ioniques (fig. 1). Le caractère dimérique ou non ionique permet de diminuer l’osmo- lalité et d’améliorer la tolérance. Les monomères ioniques tendent à disparaître du marché pour être remplacés par des produits de contraste de basse osmolalité, essentiellement les monomères non ioniques en scanner. Ceci a permis de diminuer l’incidence des effets secondaires dans leur ensemble, comme cela a été bien démontré par l’étude de Katayama et al. (1) (tableau I). Bien que l’incidence des effets secondaires graves soit faible, l’éventualité d’un effet secondaire sévère dans la pratique pro- fessionnelle d’un radiologue est une possibilité qui surviendra probablement au cours de sa carrière et pour laquelle il doit être préparé. En effet, le nombre d’injections annuelles dans les hôpitaux publics en France a été estimé à 2 millions en 1994 par une enquête INSERM (2). Ainsi, même si l’incidence est faible le nombre de décès imputables aux produits de contraste peut être estimé à 8 par an, si l’on utilise des produits de basse osmolalité (tableau II). Dans la littérature, la classification des effets secondaires se fait souvent en fonction de la gravité qui est évaluée par le traitement requis (pas de traitement, traitement simple, réanimation, décès). Cette classification ne permet pas de distinguer des effets secondaires de physiopathologie très différente (allergie, malaise vagal, infarctus, OAP) et induit donc une difficulté de lecture des articles sur la prévention des accidents secondaires (3). Une autre classification plus physiopathologique distingue les réactions immédiates (survenant dans l’heure qui suit l’injection de produit de contraste) et les réactions retardées (entre 1 heure et une semaine après l’injection). De nombreux systèmes et organes peuvent être intéressés par ces réactions (tableau III). Enfin, la classification de Ring et Messmer utilisée par les anesthésistes pour les réactions aux produits anesthésiques s’in- téresse uniquement aux réactions allergiques avec 4 grades (tableau IV) (4). Effets cardio-vasculaires et rhéologiques On distingue les effets centraux dus à l’action directe du produit de contraste sur le muscle cardiaque. Ces effets sont particulièrement Abstract Résumé Iatrogenic complications from contrast materials J Radiol 2005;86:567-72 Iodinated or gadolinium-based contrast agents are usually well tolerated, but some adverse events can happen due to a direct toxicity of the injected molecule (contrast-induced nephropathy, abnormal thyroid function), or to an indirect effect like in true allergic reactions. Radiologists must be familiar with the possibility of adverse events from contrast agents or injection procedures, and should be able to treat the patient. Also, they should take all necessary actions to minimize the occurrence of possible reactions in the presence of risk factors. Les produits de contraste iodés et gadolinés sont très bien tolérés, mais des effets secondaires peuvent survenir, soit par des mécanismes de toxicité directe de la molécule (insuffisance rénale, dysthyroïdie), soit par mécanisme indirect (réaction allergique anaphylactique). Le radiologue doit connaître les effets secondaires et les complications de l’injection et être capable de traiter le patient. Il doit surtout prendre les mesures nécessaires pour minimiser la survenue de réactions prévisibles en présence de facteurs de risque. Key words: Contrast media, complications. Contrast media, effects. Anaphylaxis and allergy. Kidney, effects of drugs on. Mots-clés : Produits de contraste, iatrogénie. Rein, insuffisance. C Service de Radiologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris. Correspondance : O Clément E-mail : [email protected]

Iatrogénie des produits de contraste

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Page 1: Iatrogénie des produits de contraste

J Radiol 2005;86:567-72© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2005

formation médicale continue

le point sur…

Iatrogénie des produits de contraste

O Clément

haque technique d’imagerie (rayons X, IRM, ultrasons) avu se développer des produits de contraste pour améliorerla qualité du diagnostic.

Les produits de contraste appartiennent à la classe des médica-ments et doivent respecter cet aspect réglementaire, que ce soitpour l’autorisation de mise sur le marché ou la pharmacovigilance.Le bénéfice attendu de ces médicaments étant d’ordre diagno-stique et non pas thérapeutique, il importe que la toxicité soitminimale pour que le rapport bénéfice-risque soit favorable aupatient.Globalement, les produits de contraste non spécifiques iodés etgadolinés sont extrêmement bien tolérés et les accidents iatrogè-nes sont peu fréquents. Les accidents graves et mortels sont ex-ceptionnels.Le but de cet article est de passer en revue les différents types deiatrogénie possible avec les produits de contraste iodés ou gadoli-nés, et d’envisager les moyens de traitement et de prévention.

Incidence et classification des effets secondaires

La classification la plus simple des produits de contraste iodés estbasée sur leur structure chimique. On distingue les monomèreset les dimères et les produits ioniques ou non ioniques

(fig. 1)

. Lecaractère dimérique ou non ionique permet de diminuer l’osmo-lalité et d’améliorer la tolérance.Les monomères ioniques tendent à disparaître du marché pourêtre remplacés par des produits de contraste de basse osmolalité,essentiellement les monomères non ioniques en scanner.

Ceci a permis de diminuer l’incidence des effets secondaires dansleur ensemble, comme cela a été bien démontré par l’étude deKatayama

et al.

(1)

(tableau I)

.Bien que l’incidence des effets secondaires graves soit faible,l’éventualité d’un effet secondaire sévère dans la pratique pro-fessionnelle d’un radiologue est une possibilité qui surviendraprobablement au cours de sa carrière et pour laquelle il doit êtrepréparé. En effet, le nombre d’injections annuelles dans leshôpitaux publics en France a été estimé à 2 millions en 1994 parune enquête INSERM (2). Ainsi, même si l’incidence est faible lenombre de décès imputables aux produits de contraste peut êtreestimé à 8 par an, si l’on utilise des produits de basse osmolalité

(tableau II)

.Dans la littérature, la classification des effets secondaires se faitsouvent en fonction de la gravité qui est évaluée par le traitementrequis (pas de traitement, traitement simple, réanimation, décès).Cette classification ne permet pas de distinguer des effetssecondaires de physiopathologie très différente (allergie, malaisevagal, infarctus, OAP) et induit donc une difficulté de lecture desarticles sur la prévention des accidents secondaires (3).Une autre classification plus physiopathologique distingue lesréactions immédiates (survenant dans l’heure qui suit l’injectionde produit de contraste) et les réactions retardées (entre 1 heure etune semaine après l’injection).De nombreux systèmes et organes peuvent être intéressés par cesréactions

(tableau III)

.Enfin, la classification de Ring et Messmer utilisée par lesanesthésistes pour les réactions aux produits anesthésiques s’in-téresse uniquement aux réactions allergiques avec 4 grades

(tableau IV)

(4).

Effets cardio-vasculaires et rhéologiques

On distingue les effets centraux dus à l’action directe du produit decontraste sur le muscle cardiaque. Ces effets sont particulièrement

Abstract Résumé

Iatrogenic complications from contrast materials

J Radiol 2005;86:567-72

Iodinated or gadolinium-based contrast agents are usually well tolerated, but some adverse events can happen due to a direct toxicity of the injected molecule (contrast-induced nephropathy, abnormal thyroid function), or to an indirect effect like in true allergic reactions. Radiologists must be familiar with the possibility of adverse events from contrast agents or injection procedures, and should be able to treat the patient. Also, they should take all necessary actions to minimize the occurrence of possible reactions in the presence of risk factors.

Les produits de contraste iodés et gadolinés sont très bien tolérés, mais des effets secondaires peuvent survenir, soit par des mécanismes de toxicité directe de la molécule (insuffisance rénale, dysthyroïdie), soit par mécanisme indirect (réaction allergique anaphylactique). Le radiologue doit connaître les effets secondaires et les complications de l’injection et être capable de traiter le patient. Il doit surtout prendre les mesures nécessaires pour minimiser la survenue de réactions prévisibles en présence de facteurs de risque.

Key words:

Contrast media, complications. Contrast media, effects. Anaphylaxis and allergy. Kidney, effects of drugs on.

Mots-clés :

Produits de contraste, iatrogénie. Rein, insuffisance.

C

Service de Radiologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris.Correspondance : O Clément E-mail : [email protected]

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importants à prendre en considération lors des cathétérismes car-diaques. Classiquement, un effet inotrope négatif avec des troublesdu rythme transitoire ont été décrits (extra-systole). Les produits decontraste ioniques entraînent un effet inotrope négatif. Le débit co-ronaire est diminué en début d’injection puis augmente. Ces effetscardiaques sont diminués avec des produits de basse osmolalité (5).

Les effets sur le système vasculaire périphérique sont dus auxmodifications des mouvements d’eau induits par l’appel osmotiquedu produit de contraste (6). Plus l’osmolalité du produit est im-portante, plus l’appel d’eau intra-vasculaire est important et induitun certain nombre de manifestations : vasodilatation, sensationde chaleur, douleurs.

Tableau ID’après Katayama et al. (1). Incidence des effets secondaires en fonction du produit de contraste utilisé. Les produits non ioniques et de basse osmolalité induisent moins d’effets secondaires. Il y a eu un décès dans chaque groupe.

Table IAccording to Katayama et al. (1). Incidence of adverse events as a function of the injected contrast agent. Non ionic and low osmolality agents induce less adverse events. There has been one death in each group.

PDC ionique de haute osmolalité PDC non ionique et de basse osmolalité

Nombre de patients inclus 169 284 168 363

Nombre total de réactions (%) 12,66 % 3,13 %

Sévère 0,22 % 0,04 %

Très sévère 0,04 % 0,004 %

Décès 0,0006 % 0,0006 %

Tableau IIPrévalence des décès en fonction de l’utilisation des produits de contraste d’après ANDEM 1994.

Table IIPrevalence of deaths as a function of the injected contrast agent.

Produit de Contraste Nombre Fréquence (par millions) Intervalle de confiance à 95 %

Haute osmolalité 3/257 059 11,7 2,4 – 34,1

Basse osmolalité 1/256 443 3,9 0,1 – 21,7

Tableau IIIDifférents effets secondaires immédiats ou retardés des produits de contraste iodés.

Table IIIDifferent immediate or delayed adverse events of iodinated contrast agents.

Cœur Neuro Respiratoire Cutané Digestif Rénal Thyroïde

Immédiates Angor choc Épilepsie Asthme Rash Nausées

(< 1 h) Vaso-vagal Œdème Laryngé Urticaire Vomissements

Tardives Charge osmotique Charge osmotique Allergie Type 4

Insuffisance rénale

Dysthyroïdie

(< 1 sem) Œdème Pulmonaire

Tableau IVClassification de Ring et Messmer pour les réactions allergiques.

Table IVRing and Messmer classification for allergic reactions.

Grade Peau-Muqueuses Gastro-Intestinale Respiratoire Cardiovasculaire

I – Erythème généralisé– Urticaire étendu– Œdème de la face– Œdème muqueuses

Aucun Aucun Aucun

II – Idem – – Nausées importantes à distance de l’injection

– Toux– Dyspnée

– Tachycardie > 30 %– Hypotension (chute systolique > 30 %)

III – Idem – – Vomissements et/ou diarrhée – Bronchospasme– Cyanose

– Choc (PA syst < 80 et FC > 100 en l’absence de béta bloquant)

IV – Idem – – Idem – – Arrêt respiratoire – Arrêt circulatoire

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La surcharge volumique est également responsable d’une éven-tuelle décompensation cardiaque avec œdème pulmonaire.Les effets du produit de contraste sur les éléments figurés du sangont été l’objet de nombreux articles dans la littérature (7). Lesproduits de contraste ioniques ont un effet anti-agrégant pla-quettaire qui n’est pas retrouvé avec les produits non ioniques. Ilexiste d’autre part, un effet anti-coagulant qui est plus marquéavec les produits ioniques. Ces propriétés ont été mises en avantpour l’intérêt des produits de contraste de basse osmolalité ionique(Hexabrix) en angiographie en particulier cardiaque.

Problèmes des béta-bloquants

Les patients présentant des facteurs de risque cardio-vasculairesont souvent un traitement béta-bloquant. Les béta-bloquants en-traînent un risque supplémentaire en cas de choc anaphylactiquedu fait de la mauvaise efficacité du traitement par l’adrénaline.Comme la probabilité de survenue d’un choc anaphylactique estextrêmement faible, et que l’arrêt d’un traitement béta bloquantaurait des effets délétères pour le patient, il n’est pas recomman-dé d’arrêter les béta-bloquants avant une injection de produit decontraste iodé.

Effets neurologiques

Les complications neurologiques des produits de contraste sur-viennent essentiellement après injection intrathécale. Ils peuvententraîner des convulsions (8). Pour cette voie d’injection, seuls lesproduits de contraste non ioniques peuvent être autorisés, car lesproduits de contraste ioniques entraînent un risque d’arachnoï-dite.Par voie intra-vasculaire, les produits de contraste ioniques hyper-osmolaires ont été accusés d’augmenter l’œdème intra-cérébral

et d’entraîner des risques d’engagement en cas d’hypertensionintra-crânienne sévère. Ce risque semble minime avec les pro-duits de contraste de basse osmolalité, en particulier en scanner,et l’injection ne doit pas être contre-indiquée si elle est nécessaire.

Toxicité rénale

La néphropathie induite par les produits de contraste se définitpar une élévation de la créatinine de plus de 42

µ

mol/l ou de plusde 25 % de son taux de base dans les 72 heures qui suivent l’injec-tion d’un produit de contraste iodé. En règle générale, cette élé-vation est transitoire et la créatinine revient à son taux de base en2 semaines.La néphropathie est due à une nécrose tubulaire aiguë résultantd’un angor rénal (diminution de l’oxygénation et augmentationdu travail du rein), et d’une toxicité directe de l’agent de contrastesur la cellule tubulaire (9).Le diagnostic différentiel est l’embolie de cholestérol où l’éléva-tion de la créatinine commence à partir de la deuxième semaineet continue à évoluer jusqu’à la dialyse.La néphropathie induite par les produits de contraste est impor-tante à prévenir car elle entraîne une augmentation de la morbi-dité du patient. Il faut identifier les patients présentant desfacteurs de risque qui sont :• l’insuffisance rénale pré-existante (clairance de la créatinine< 60 ml/mn ;• ou créatinine supérieure à 105

µ

mol chez l’homme et 80 µmol/lchez la femme).La clairance de la créatinine peut être appréciée par la formule deCockcroft et Gault (10).

Cl créat (ml/min) = 1,23

×

(140-âge)

×

poids/créat plasm (µmoles/l) chez l’homme

Cl créat (ml/min) = 1,04

×

(140-âge)

×

poids/créat plasm (µmoles/l) chez la femme

Quand la clairance de la créatinine est inférieure à 30 ml/mn,l’indication d’injection doit être discutée avec le médecin dupatient, et réservée à des cas exceptionnels :• diabète avec insuffisance rénale ;• hypoperfusion rénale (déshydratation, hypotension, hypo-volémie…) ;• prise de médicaments néphrotoxiques ;• myélome avec protéinurie ;• injection de produit de contraste dans les 3 jours précédents.Si un patient présente l’un de ces facteurs de risque retrouvé àl’interrogatoire, un protocole de prévention doit être mis en routeà base d’hydratation :•

per os

2 litres d’eau riche en sodium et en bicarbonate pendantles 24 heures précédant et les 24 heures suivant l’injection• ou parentéral, si impossibilité d’hydratation

per os

: 100 ml/heurede sérum salé isotonique ou de sérum bicarbonaté isotoniquependant les 12 heures précédant et les 12 heures suivant l’injectionde produit de contraste.Parallèlement à cette hydratation, il faut utiliser un produit decontraste de faible osmolalité (11). L’effet préventif de l’adminis-tration de la N-acétylcystéine est très discuté dans la littérature(12, 13). L’utilisation des chélates de gadolinium en imagerie par

Fig. 1 : Schéma simplifié (les radicaux sur les cycles ne sont pas indiqués) des produits de contraste iodés. A : monomère ionique (Telebrix®, Radioselectan®) ; B : monomère non ionique (Omnipaque®, Optiray®, Iopamiron®, Ultravist®, Xenetix®, Iomeron®). C : dimère ionique (Hexabrix®) ; D dimère non ionique (Visipaque®).

Fig. 1: Simplified schematic diagram (side-groups added to the benzene rings are not drawn) of iodinated contrast agents. A: ionic monomer (Telebrix®, Radioselectan®); B: non ionic monomers (Omnipaque®, Optiray®, Iopamiron®, Ultravist®, Xenetix®, Iomeron®). C: ionic dimer (Hexabrix®); D non-ionic dimer (Visipaque®).

I I

I

A

I I

I

B

I I

I

C

I I

I

I I

I

D

I I

I

COO-

COO-

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rayons X n’a pas d’intérêt pour prévenir l’insuffisance rénale, carleur néphrotoxicité n’est pas inférieure à pouvoir opacifiant égal.

Iatrogénie du jeûne

Le jeûne est très largement prescrit dans le milieu radiologiqueavant toute injection de produit de contraste iodé, comme l’amontré une enquête de pratique réalisée par la SFR en 2003.Le but recherché du jeûne est d’éviter l’inhalation après vomisse-ment induit par une injection de produit de contraste. Cette atti-tude quasi systématique avant injection intravasculaire de pro-duits iodés est ancrée dans les habitudes et n’a plus d’indication àl’heure actuelle du fait de l’utilisation des produits de basse osmo-lalité qui entraînent très rarement des vomissements. De plus, lasurvenue d’un vomissement n’est pas synonyme d’inhalation etde syndrome de Mendelson chez un patient conscient avec un ré-flexe de déglutition présent.En revanche, la mise à jeun systématique des patients est suscep-tible d’entraîner un certain nombre d’effets iatrogènes :• hypoglycémie ;• malaise lors de l’attente ;• agressivité en salle d’attente ;• impatience ;• arrêt du traitement habituel médicamenteux ;• absence d’hydratation correcte particulièrement délétère chezles patients à risque.Ainsi, les dernières recommandations de la Société Française deRadiologie incitent à ne plus mettre systématiquement les pa-tients à jeun et à reclasser le jeûne dans son cadre réglementaire,c’est-à-dire celui d’une prescription médicale écrite et limitéedans le temps pour certains types d’examens radiologiques sus-ceptibles d’être suivis d’une anesthésie générale (14-15).

Iatrogénie chez le diabétique

Le patient diabétique est plus à même de présenter des effetssecondaires du fait :• de la préparation à l’examen qu’il aura reçu (jeûne éventuel) ;• des complications de micro-angiopathie du diabète (risqued’insuffisance rénale) ;• du fait du traitement administré.Le patient diabétique doit donc faire l’objet d’un soin et d’unesurveillance particuliers.

1. Risque d’insuffisance rénale

Toute injection de produit de contraste chez un patient diabéti-que doit être réalisée après le dosage de la créatinine plasmatique.Un patient diabétique présentant une altération de la clairancede la créatinine (inférieure à 60 ml/mn) représente un risqueaccru de néphropathie et doit donc être particulièrement bienpréparé, en particulier par une hydratation correcte.Le jeûne (cf. chapitre précédent) n’est plus indiqué de manièresystématique pour les injections intraveineuses. Ainsi, la procé-dure de préparation des patients diabétiques (en particulier avantun scanner) est simplifiée avec possibilité de prendre son traite-ment, de prendre une collation et de s’hydrater.

2. Problème des anti-diabétiques orauxà base de metformine

Les dérivés de la metformine (Glucophage

®

, Glucinan

®

, Sta-gid

®

et autres produits génériques) sont susceptibles d’entraînerune acidose lactique.Le mécanisme de cette acidose lactique est complexe : en casd’apparition d’une néphropathie induite par les produits decontraste, la metformine, qui normalement est éliminée par voierénale se retrouverait en surdosage avec risque d’acidose lactique(16).Les dérivés de la metformine ayant une demi-vie plasmatiquecourte, il suffit d’arrêter le médicament le jour de l’injection duproduit de contraste et de le reprendre 48 heures après (en ayantvérifié que la fonction rénale ne s’est pas dégradée). Il s’agit d’unemodification des pratiques par rapport aux anciennes habitudesqui préconisaient d’arrêter la metformine 48 heures auparavant.Pour les autres anti-diabétiques oraux et l’insuline, il n’y a pas né-cessité de les arrêter.

Iatrogénie thyroïdienne

Du fait de la présence d’iodures dans les préparations de produitsde contraste iodés, leur injection intravasculaire est susceptibled’entraîner des dysthyroïdies (17).

1. Femme enceinte

Il existe un risque d’hypothyroïdie de l’enfant à la naissance sil’injection a lieu à partir de la 14

e

semaine de grossesse. L’équipepédiatrique et obstétricale doit être prévenue d’une injectionchez la mère afin de dépister le nouveau-né (18).

2. Adulte

Chez les patients porteurs de goître ou ayant des antécédents dedysthyroïdie, il existe un risque d’hypo ou d’hyperthyroïdie à lasuite d’une injection de produit de contraste iodé (19).Si le patient est carencé en iode, il existe un risque d’hyperthyroïdie,alors que si le patient est surchargé en iode, il existe un risqued’hypothyroïdie.

Iatrogénie d’origine allergique

Les produits de contraste iodés et gadolinés sont susceptiblesd’entraîner des réactions de type allergique. Les mécanismes et laprévention de ces manifestations sont controversés dans la litté-rature.On distingue les réactions allergiques immédiates (survenantjusqu’à une heure après l’injection) et les réactions tardives sur-venant entre une heure et une semaine après l’injection.Les réactions immédiates font intervenir les médiateurs de l’in-flammation et se manifestent par des signes cutanés (érythème,urticaire, œdème angio-neurotique ou œdème de Quincke, dessignes digestifs (vomissements, diarrhées), des signes respira-toires (dyspnée) et des signes cardio-vasculaires, hypotension,tachycardie, collapsus cardio-vasculaire. Le

tableau IV

reproduit

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la classification de Ring et Messmer qui distingue 4 grades desévérité.Les réactions tardives sont essentiellement cutanées et mettent enjeu un mécanisme d’immunité cellulaire lymphocytaire T.Dans les réactions immédiates, les publications récentes ontmontré que deux mécanismes pouvaient être évoqués (20-23) :• une histamino-libération non spécifique par stimulation di-recte des basophiles endothéliaux par le produit de contraste ;• un mécanisme d’anaphylaxie IgE dépendant (type I de la clas-sification de Gell et Combs) faisant intervenir une dégranulationmastocytaire et la présence d’IgE spécifique.Le diagnostic différentiel entre ces deux mécanismes se fait surtrois types d’arguments :• clinique : plus la réaction est sévère, plus elle a de chance d’êtreanaphylactique ;• biologique (prise de sang) : l’élévation de l’histamine et de latryptase témoigne d’une dégranulation mastocytaire ;• présence d’IgE spécifiques. Il n’existe pas de dosage commer-cial des IgE spécifiques. Leur présence se met en évidence pardes tests allergologiques en réalisant des tests cutanés. Les testsallergologiques sont réalisés par un allergologue spécialisé dansl’allergie médicamenteuse.L’ensemble des arguments cliniques, biologiques et allergologi-ques permet de différencier une histamino-libération non spéci-fique et une anaphylaxie.

Prévention des réactions allergiques

L’exploration systématique des patients ayant présenté une réac-tion de type allergique est très importante, car elle permettra deconseiller le patient sur la conduite à tenir pour une nouvelleinjection à venir.La prémédication n’a pas beaucoup d’intérêt depuis l’utilisationsystématique des produits de contraste non ionique et de basseosmolalité (24). Chez les patients n’ayant jamais reçu de produitde contraste, aucune publication n’a montré son intérêt dans laprévention des réactions sévères. Chez les patients ayant déjàprésenté une réaction aux produits de contraste, le problème estplus compliqué :• soit il s’agit d’une histamino-libération non spécifique, dans cecas, la prémédication du patient pourrait permettre de prévenirla dégranulation des basophiles ;• soit il s’agit d’une anaphylaxie et dans ce cas, la prémédicationne permettra pas d’éviter la survenue d’un choc anaphylactiquesévère.Ainsi, chez les patients ayant présenté une réaction allergique, laprémédication ne peut, au mieux, que prévenir des réactions peu sé-vères et ne permet en aucun cas d’être à l’abri d’une réaction sévère.Il faut donc que le radiologue soit préparé à la survenue d’uneréaction sévère après l’injection du patient.Seule une étude de physiopathologie de grande envergure sur lapopulation des patients ayant présenté une réaction à un produitde contraste permettra de comprendre les mécanismes et envisa-ger une prévention scientifiquement valide.

Iatrogénie et extravasation de produitde contraste

L’extravasation ou les incidents de perfusion sont des complica-tions non exceptionnelles lors des injections intraveineuses de

produit de contraste, du fait de l’utilisation quasi systématiquedes injecteurs automatiques (0,04 à 0,09 %).Généralement bien tolérée, une extravasation peut être source decomplications locales voire de séquelles (25). On distingue uncertain nombre de facteurs de risque pour la survenue d’une ex-travasation ou pour sa gravité potentielle (26) :• les âges extrêmes de la vie, les troubles de la conscience, lestroubles vasculaires artériels, veineux ou lymphatiques, les trou-bles trophiques (27) ;• la topographie du site d’injection (dos de la main, dos du piedsont un risque particulier d’extravasation) ;• l’ancienneté de la perfusion, les pansements masquant le sited’injection, l’utilisation d’aiguilles plutôt que de cathéters et l’in-jection en amont d’un site de ponction récent ;• l’osmolalité du produit de contraste qui est responsable de latoxicité cutanée.La tolérance cutanée est plus faible avec les produits hyperosmo-laires qu’avec les produits de contraste à osmolalité réduite. Ainsi,on considère qu’une quantité supérieure à 30 cc de produit decontraste ionique d’osmolalité élevée est un risque de gravitéalors que ce volume augmente à 100 cc pour un produit non ioniquede basse osmolalité.Le traitement comprend des mesures de prévention par l’utilisa-tion systématique du cathéter, le test des voies veineuses, l’évite-ment de la main et du pied et l’utilisation de produit de contrasteà faible charge osmotique.

Conclusion

Les produits de contraste iodés ou gadolinés sont extrêmementbien tolérés en particulier en regard de la grande quantité injec-tée, en particulier pour les produits iodés.Certaines complications (néphropathie, complications chez lediabétique, extravasation) peuvent être prévenues par desmoyens simples tels qu’un interrogatoire, une hydratationcorrecte et des protocoles d’injection respectés.D’autres risques exceptionnels, comme le risque allergique gra-vissime, nécessitent une organisation du poste de travail pourpouvoir réagir de manière appropriée lors de la survenue del’effet secondaire.Il ne faut surtout jamais oublier que l’injection d’un produit decontraste doit être validée par le radiologue pour chaque patientaprès avoir évalué le rapport bénéfice-risque.

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