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Urgences 1996;XV:3-4 0 Elsevier, Paris Editorial II faut militariser les secours P Huguenard 47, rue de Falkirk. 94000 Crheil, France La France nest pas a I’abri des catastrophes. Les organismes de secours (sapeurs-pom- piers, Securite civile, SAMU, Croix-Rouge...), les enseignants en medecine de catastrophe et meme les ministeres interesses (Action humani- taire d’llrgence, Defense, Environnement, Inte- rieur, Sante) en sont persuades. D’ailleurs la terre vient de trembler dans I’Aude, la-meme ou la Securite civile avait organise nag&e des exer- cites sur le theme du seisme. Les catastrophes ferroviaires, les crash d’aero- nefs, les feux de petrochimie, les inondations, les avalanches et meme les accidents nucleaires (de centrales ou de transports) et evidemment les attentats restent probables. Un passe recent a vu se derouler des secours pour victimes nom- breuses plutot bien organises selon des plans qui se precisent regulierement. Mais nous n’avons pas encore connu de catastrophes majeures comme Mexico, Bhopal, El Asnam, Armero, Ere- van, Kobe, Okai’do (tunnel) et bien d’autres. Les specialistes imaginent assez bien, conside- rant la vulnerabilite de nos zones urbanisees denses et &endues, ce que provoquerait un seisme de magnitude 6 dans une des failles sis- miques repertoriees, par exemple a Nice... et ils savent que nos plans detailles, nos moyens ter- restres et aeriens developpes, nos cadres infor- mes et nos personnels entrain& seraient depas- ses par I’evenement, surtout faute d’intervenants qualifies en nombre suffisant. L’addition des effec- tifs reellement operationnels : sapeurs-pompiers (brigade, bataillon, professionnels), Securite civile (seulement trois unites d’intervention UISC sur le territoire national a Nogent-le-Rotrou, a Rochefort et a Brignoles), les cellules mobiles d’intervention chimique et radiologique, quelques dizaines de medecins de SAMU, le renfot-t des Armees, no- tamment du service de Sante, meme en y ajoutant les benevoles des societes d’assistance... et a supposer que ces effectifs soient tous rapidement mobilisables, cette addition demontrerait que les moyens sont tres inferieurs aux besoins generes par une veritable catastrophe majeure, meme si une <c information preventive )) de la population, loin d’etre achevee, parvenait a limiter les pertes et les dommages. II ne faut pas oublier qu’un attentat, consider+ a tort comme un accident q( catastrophique “, ne fait que quelques dizaines de blesses, si bien trait& qu’on trouve meme le temps de s’interesser a leur psychisme, alors que les victimes d’une cata- strophe majeure se compteraient pas milliers. Les cadres experiment&s existent (trop peu nom- breux, pas toujours bien repartis, mais generale- ment competents) et pourraient, avec du temps et des moyens, prendre en charge la formation des milliers d’intervenants qui seraient necessaires. Cependant, tout le monde comprend aisement que des secours efficaces exigent une organisa- tion saris faille, tres hierarchisee, bien preparee par une formation pointue avec des exercices reellement difficiles, et, le moment venu, ceuvrant saris retard avec methode, rigueur, discipline et professionnalisme. Toutes ces qualites sont a I’evidence depuis toujours des verfus militaires qui sont encore ge- neralement repandues et reconnues. De la a penser que la militarisation des secours, progressive et au moins partielle au debut, serait une solution opportune et elegante au probleme des victimes en grand nombre, il n’y a qu’un pas dont on s’etonne qu’il ne soit pas encore franchi. Les circonstances sont en effet favorables. L’Armee reduit ses effectifs. Les jeunes ne pour- ront plus tous suivre la formation militaire qui contribuait a faire d’eux des citoyens, a verifier aussi leur Sante, et leur niveau de connaissances, a les preparer a un metier, ti les aider a vivre en communaute... ce qu’ils trouveraient encore dans un c( service national d’assistance a> vraiment au service de la Nation. Deja 22 000 appeles du contingent sont affec- t& & des emplois non strictement militaires : 450

II faut militariser les secours

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Page 1: II faut militariser les secours

Urgences 1996;XV:3-4 0 Elsevier, Paris

Editorial

II faut militariser les secours

P Huguenard

47, rue de Falkirk. 94000 Crheil, France

La France nest pas a I’abri des catastrophes. Les organismes de secours (sapeurs-pom-

piers, Securite civile, SAMU, Croix-Rouge...), les enseignants en medecine de catastrophe et meme les ministeres interesses (Action humani- taire d’llrgence, Defense, Environnement, Inte- rieur, Sante) en sont persuades. D’ailleurs la terre vient de trembler dans I’Aude, la-meme ou la Securite civile avait organise nag&e des exer- cites sur le theme du seisme.

Les catastrophes ferroviaires, les crash d’aero- nefs, les feux de petrochimie, les inondations, les avalanches et meme les accidents nucleaires (de centrales ou de transports) et evidemment les attentats restent probables. Un passe recent a vu se derouler des secours pour victimes nom- breuses plutot bien organises selon des plans qui se precisent regulierement. Mais nous n’avons pas encore connu de catastrophes majeures comme Mexico, Bhopal, El Asnam, Armero, Ere- van, Kobe, Okai’do (tunnel) et bien d’autres.

Les specialistes imaginent assez bien, conside- rant la vulnerabilite de nos zones urbanisees denses et &endues, ce que provoquerait un seisme de magnitude 6 dans une des failles sis- miques repertoriees, par exemple a Nice... et ils savent que nos plans detailles, nos moyens ter- restres et aeriens developpes, nos cadres infor- mes et nos personnels entrain& seraient depas- ses par I’evenement, surtout faute d’intervenants qualifies en nombre suffisant. L’addition des effec- tifs reellement operationnels : sapeurs-pompiers (brigade, bataillon, professionnels), Securite civile (seulement trois unites d’intervention UISC sur le territoire national a Nogent-le-Rotrou, a Rochefort et a Brignoles), les cellules mobiles d’intervention chimique et radiologique, quelques dizaines de medecins de SAMU, le renfot-t des Armees, no- tamment du service de Sante, meme en y ajoutant les benevoles des societes d’assistance... et a supposer que ces effectifs soient tous rapidement mobilisables, cette addition demontrerait que les

moyens sont tres inferieurs aux besoins generes par une veritable catastrophe majeure, meme si une <c information preventive )) de la population, loin d’etre achevee, parvenait a limiter les pertes et les dommages.

II ne faut pas oublier qu’un attentat, consider+ a tort comme un accident q( catastrophique “, ne fait que quelques dizaines de blesses, si bien trait& qu’on trouve meme le temps de s’interesser a leur psychisme, alors que les victimes d’une cata- strophe majeure se compteraient pas milliers.

Les cadres experiment&s existent (trop peu nom- breux, pas toujours bien repartis, mais generale- ment competents) et pourraient, avec du temps et des moyens, prendre en charge la formation des milliers d’intervenants qui seraient necessaires.

Cependant, tout le monde comprend aisement que des secours efficaces exigent une organisa- tion saris faille, tres hierarchisee, bien preparee par une formation pointue avec des exercices reellement difficiles, et, le moment venu, ceuvrant saris retard avec methode, rigueur, discipline et professionnalisme.

Toutes ces qualites sont a I’evidence depuis toujours des verfus militaires qui sont encore ge- neralement repandues et reconnues.

De la a penser que la militarisation des secours, progressive et au moins partielle au debut, serait une solution opportune et elegante au probleme des victimes en grand nombre, il n’y a qu’un pas dont on s’etonne qu’il ne soit pas encore franchi.

Les circonstances sont en effet favorables. L’Armee reduit ses effectifs. Les jeunes ne pour- ront plus tous suivre la formation militaire qui contribuait a faire d’eux des citoyens, a verifier aussi leur Sante, et leur niveau de connaissances, a les preparer a un metier, ti les aider a vivre en communaute... ce qu’ils trouveraient encore dans un c( service national d’assistance a> vraiment au service de la Nation.

Deja 22 000 appeles du contingent sont affec- t& & des emplois non strictement militaires : 450

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a la Securite civile, 878 a I’aide technique, 4 766 a la cooperation, 8 004 a la Police nationale, aux- quels s’ajoutent ceux qui accomplissent leur ser- vice national dans la gendarmerie, a la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (sans doute la meilleure formule pour ce qui est de la preparation aux secours avec les UISC), au bataillon des marins-pompiers de Marseille...

II est vrai que plus de 200 000 encore ont effect& en 1994 leur service national sous forme militaire.

II faudra consentir un leger effort d’imagination et trouver un financement (pas beaucoup plus important que pour habiller, armer, loger, enca- drer les appeles en casernes) afin de cc civiliser >> leur service national en militarisant les secours.

De meme que, nag&e, des etudiants en me- decine du contingent affect& aux Samu pour formation puis aux SMUR ont participe aux se- tours routiers a la satisfaction g&-&ale, des ap- peles secouristes pourraient Qtre affect& a I’EDF, a la Croix-Rouge, aux grands chantiers BTP, aux SAMU-sociaux, au secours en montagne..., apt-es une preformation dans les ecoles de I’Armee comme celle des sous-officiers du service de san- te (ENSOSSAT), ou il ne manquerait pas de re- servistes assurant volontairement leur encadre- ment. Pour commencer, a titre experimental, on pourrait creer les unites d’intervention de securite civile prevues a I’origine pour etre sept et qui ne sont toujours que quatre : Corte, Nogent, Bri- gnoles et Rochefort qui Porte d’ailleurs le numero 7. Les SDIS (services departementaux d’incendie et de secours) accueilleraient probablement avec satisfaction des appeles a former, si ce n’est pas aux frais des collectivites locales.

Mais les contribuables francais participeraient plus volontiers a un budget des Armees pour un service national d’assistance et secours assurant la securite des citoyens menaces par d’inelucta- bles catastrophes a venir en metropole et dans les Dom-Tom, tandis que la defense du territoire, au

demeurant peu menace, serait confiee a une ar- mee de metier.

POST-SCRIPTUM

La declaration du President de la Republique en date du 22 fevrier 1996, qui annoncait une refonte du service militaire et le developpement d’un ser- vice civil, nous fournit I’occasion d’insister sur ce que pourrait etre un service national de secours : probablement base sur le volontariat, il remplace- rait les hordes de secouristes desordonnes par une cohorte (ou un corps) de sauveteurs-secou- ristes professionnalises destinee a intervenir en France et egalement (< projetee a> dans les Dom- Tom ou g II&ranger, en cas de catastrophe et meme seulement d’accidents majeurs. Ses mem- bres recevraient une formation aussi poussee que possible (strategic, tactique, logistique, assi- stance aux victimes et aux impliques...) plutot en 10 mois qu’en 6. Ils porteraient un uniforme (plus esthetique que celui des equipes Croix-Rouge), un casque blanc et un ceinturon (ces details ont leur importance) qu’ils conserveraient et entre- tiendraient, a I’instar des soldats suisses. Reste- rait a definir (entre autres) leur denomination : (c secours national )a est exclu (vichyssois), <c Corps de secours >’ est deja utilise, Armee de secours (confusion avec Armee du Salut ; de toute facon I’allusion aux armes n’est pas souhaitable), service de secours (donne SS en abrege !)... or- ganisation de secours et reparation (OSER) serait acceptable, mais on peut trouver mieux.

L’insigne pourrait etre la Croix a six branches bleues des services ambulanciers, mais eventiel- lement de couleur rouge.

Elle figurerait sur la boucle du ceinturon avec une devise, moins fanatique que gott mit tins, moins naive que << sauver ou perir )a... mais en veillant 8 eviter toute derive vers le dangereux Hitler Jugend.