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Università degli Studi di Padova Dipartimento di Studi Linguistici e Letterari Corso di Laurea Magistrale in Lingue Moderne per la Comunicazione e la Cooperazione Internazionale Classe LM-38 Tesi di Laurea Relatore Prof.ssa Anna Bettoni Laureanda Caterina Princivalle n° matr.1086531 / LMLCC Il était une fois…: la Belle et la B ête à travers les siècles et les arts Anno Accademico 2015 / 2016

Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

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Università degli Studi di Padova

Dipartimento di Studi Linguistici e Letterari

Corso di Laurea Magistrale in Lingue Moderne per la Comunicazione e la Cooperazione Internazionale

Classe LM-38

Tesi di Laurea

Relatore

Prof.ssa Anna Bettoni

Laureanda

Caterina Princivalle n° matr.1086531 / LMLCC

Il était une fois…: la Belle et la Bête à

travers les siècles et les arts

Anno Accademico 2015 / 2016

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Sommaire

Introduction……………………………………………………………………………………………….3-6

Chapitre 1

1.1. Marie Leprince de Beaumont, éducatrice et romancière………………7-8

1.2. Le Magasin des enfants : enjeu pédagogique………………………………8-15

Chapitre 2

2.1. La Belle et la Bête : origines de l’histoire…………………………………………16

2.2 Le roi porc de Straparola……………………………………………………...…....16-20

2.3. Éros et Psyché d’Apulée………………………………..………………………….….20-23

2.4. Riquet à la houppe de Charles Perrault……………………………….…….24-26

2.5. Mme d’Aulnoy et son conte antécédent à La Belle et la Bête....26-30

2.6. Le conte de La Belle et la Bête adapté à plusieurs reprises pour la

scène : versions de Marmontel et de Nivelle de la Chaussée…… .……….30-34

2.7. La Belle et la Bête par Mme de Villeneuve………………….……….…….34-37

2.8. La Belle et la Bête : comparaison entre la version de Mme de

Villeneuve et celle de Mme de Beaumont…………………………………………...37-40

2.9. La Belle et la Bête par Mme de Genlis……………………………………….40-41

Chapitre 3

3.1. Figures et éléments du merveilleux dans le conte de fées………..42-44

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Chapitre 4

4.1. La Belle et la Bête : adaptations cinématographiques ; conversion du

texte en film…………………………………………………………………………………………..45-47

4.2. Jean Cocteau et sa version de La Belle et la Bête……………………...47-56

4.3. Walt Disney : modernisation du conte de La Belle et la Bête……56-81

Chapitre 5

5.1. Morale(s) du conte de La Belle et la Bête…………………………………..82-87

Chapitre 6

6.1. La femme et son rôle social de XXIIème au XXème siècle……..…88-101

6.2. Madame Leprince de Beaumont : sa formation et sa mission éducative

adressée au sexe féminin…………………………………………………………..……...101-104

6.3. L’évolution du personnage féminin de Belle dans les principales

versions du conte de La Belle et la Bête………………………………………….104-108

Conclusion………………………………………………………………………………………...107-110

Résumé……………………………………………………………………………………………...111-121

Bibliographie…………………………………………………………………………………….122-125

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4

Introduction

Le conte de La Belle et la Bête, tel que nous le connaissons aujourd’hui,

naît pendant le XVIIème siècle. Les dix dernières années du siècle voient le

succès, dans le domaine littéraire, de récits réservés, en principe, aux

enfants : les contes de fées1. C’est en effet la Belle Époque qu’inspire,

depuis longtemps, poètes et romanciers : on trouve Gargantua mais aussi

les poèmes d’Aristote et de Tasse. Géants, magiciens, nains sont cités par

les poètes. Mais le conte merveilleux n’a pas alors une existence reconnue

dans la littérature ; il est considéré un genre réservé aux enfants. Toutefois,

peu à peu, chez un public blasé des longs romans modernes et aussi, peut-

être, suite à un intérêt majeur par rapport à l’enfance et à l’éducation, ces

« simples » contes acquièrent importance. Si Molière nomme seulement un

passage du conte Peau d’Ane par la bouche d’un enfant dans Le malade

Imaginaire (II, 8), Madame de Sévigné, en 1677, chez « les dames de

Versailles » nous révèle l’existence d’une véritable mode orale, et se lasse

avec joie « mitonner » de contes populaires (lettre du six août). Mais, à

partir de l’arrivée à la Cour de Marie-Adélaïde de Savoie, future Duchesse

de Bourgogne, de onze ans, il y a un véritable développement des contes

1 Robert Raymonde, Nadine Jasmin, Claire Debru, Le conte de Fées littéraire en France : de la fin du 17 à la fin du 18, Paris, H. Champion, 2002.

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de fées. Poètes, doctes et bourgeois lettrés composent des contes

romanesques. Parmi les écrivains plus illustres qui suivent cette mode qui

était sûrement encouragée dans les salons littéraires, il y a avant tout

Perrault qui publie, en 1697, les fameux Contes de ma mère l'Oye ou

Histoires et Contes du Temps Passé ; on rappelle aussi Madame d’Aulnoy

qui, la première en 1690, publie un conte de fées l’Isle de la Félicité, dans

son roman Histoire d’Hippolyte, comte de Douglas, avant de publier ses

Contes des fées en 1697.

Le travail de Perrault sur les contes se base sur des éléments qu’il tire des

récits lettrés de la Renaissance italienne et des « contes de veille ». À partir

de ces sources il crée une tradition populaire.

Les écrivains français des années 1690 jouent un rôle fondamental dans la

formation du conte de fées en tant que genre littéraire européen, mais ils

ne sont pas les responsables de ses origines2. Ils furent plutôt les italiens

Gianbattista Basile et Giovanni Straparola au début du conte des fées. Cette

forme narrative courte, appelée « novella » ou « conto » était un court récit

qui se conformait aux principes d’unité de temps, d’espace et d’action de

l’intrigue. Ayant comme but d’instruire en divertissant en même temps les

lecteurs, ces récits, qui mettaient en scène des épisodes extraordinaires du

2 Aulnoy Marie Cathérine, Jasmin Nadine, Contes des fées, Paris, H. Champion, 2008.

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quotidien, ont été influencés par la tradition orale des contes merveilleux

et des contes de fées, des romans chevaleresques et des fabliaux, de la

poésie épique et des fables.

Parmi les thèmes plus représentés par la littérature populaire il y a en

particulier les histoires des beaux chevaliers vêtus d’une apparence

monstrueuse, parfois aussi animale, jusqu’à ce qu’une jeune fille amoureuse

détruise l’enchantement ; on rappelle les Princes-grenouilles, les Princes

porcs, les Princes serpents etc.3

Le sujet de l’homme aux apparences affreuses qui retrouve son aspect

humain grâce à l’amour d’une fille qui sait regarder au-delà des apparences

est le même qu’on trouve dans le conte de La Belle et la Bête.

Comme dans les autres cas, le sujet du conte est le contraste entre une

« belle âme » enfermée dans un corps difforme. Mais, si l’amour entre en

scène, l’enchantement disparait et le jeune prince retrouve sa beauté.

Le conte de La Belle et la Bête éprouve plusieurs adaptations différentes,

qui vont du théâtre au cinéma, du conte originel publié en 1740 par

Madame Suzanne de Villeneuve au livre illustré en découpe laser, de Céline

Pibre et Frédéric Cartier-Lange, publié cette année. Les versions que j’ai

décidé de citer ici sont celles qui, à mon avis, témoignent les plus les

3 Roche-Mazon, Jeanne, Autour des contes de fées : recueil d’études, accompagnées de pièces complémentaires, Paris, Didier, 1968.

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transformations principales qui a subi le conte originel au cours des

derniers siècles.

Je me suis proposée de récupérer les mythes auxquels le conte de La Belle

et la Bête s’inspire, de les comparer avec la version qu’on connait par Mme

de Beaumont, puis d’examiner les variantes qui ont été créés à partir de ce

conte, tout en cherchant de comprendre ce qu’un travail d’adaptation

entraine, quels sont les principales modifications qui différencient une

version d’une autre et enfin, la raison du succès de chacune adaptation.

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Chapitre 1

1.1. Marie Leprince de Beaumont, éducatrice et romancière.

Jeanne-Marie Leprince est née à Rouen en 1711. Après la mort de sa mère,

lorsqu’elle est encore une enfant, elle est formée à l’école des dames

d’Ernemont, la congrégation la plus importante pour les filles dans le

diocèse de Rouen, en Normandie. Ce sont des sœurs mais il ne s’agit pas

d’un ordre où l’on fait vœu de clôture perpétuelle, elles sont

fondamentalement une congrégation enseignante. Ceci a comme objectif

principal de former les femmes. Mlle Leprince y séjourne de1725 à 1735,

en suivant les cours environ 10 mois par an, les jours ouvrables, sauf le

jeudi. Elle apprend ici la doctrine chrétienne, la lecture, l’écriture et le

calcule. Il semble, donc, que Mlle Leprince ait compris dès son adolescence

son futur comme institutrice4.

En 1727 elle devient enseignante à l’intérieur de la communauté

d’Ernemont. Elle s’occupe de l’alphabétisation et de la première éducation

des filles pauvres. Pendant son temps à Rouen Mlle Leprince fréquente la

société éclairée de la ville. En 1736, elle va à la cour de Lunéville où elle

s’occupe de l’éducation de l’aînée des filles de la régente Elisabeth

4 Chiron Jeanne, Seth Catriona, Marie Leprince de Beaumont : de l’éducation des filles à La belle et la bête, Paris, Classiques Garnier, 2013.

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Charlotte ; puis, en 1737, après le départ de celle-ci au château de

Commercy, elle enseigne pendant quelque temps à trente petites filles chez

les sœurs de la congrégation Notre-Dame, fondée par l’abbé Pierre Fourier

et la mère Alix Le Clerc. Entre-temps elle épouse le marquis Grimard de

Beaumont, capitaine aux Gardes, qui meurt en duel en 1745. Veuve, pour

gagner sa vie, elle publie, en 1748, à Nancy, un roman intitulé Le Triomphe

de la vérité. La même année elle va en Angleterre pour s’occuper de

l’éducation des enfants de la haute société anglaise. En 1757 elle se remarie

avec M. Pichon Tyrell, qui travaille comme secrétaire du comte Raymond,

gouverneur du Cap-Breton, administrateur des hôpitaux de l’armée. Ses

œuvres les plus connues sont notamment le Magasin des enfants, publié

en 1756, puis le Magasin des adolescentes, publié en 1760, Instructions

pour les jeunes dames qui entrent dans le monde et se marient, leurs

devoirs dans cet état et envers leurs enfants, publié en 1764, Éducation

complète, publié en 1772 et les Contes moraux, publiés en 1779.

1.2. Le Magasin des enfants : enjeux pédagogique

La première édition du Magasin des enfants a paru lorsque Mme de

Beaumont travaillait comme gouvernante à Londres. L’œuvre dérive de la

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pratique pédagogique de l’auteur5. Mme de Beaumont, en composant son

Magasin, s’est probablement inspiré à The Governess or, little female

academy, un ouvrage anglais écrit par Sarah Fielding et publié en 1749.

Il s’agissait du premier roman anglais expressément écrit pour les jeunes

femmes. Le roman raconte les vies de neuf filles et de leur gouvernante

Mrs. Teachum. L’auteur décrit précisément dix jours à l’école. Il s’agit d’un

roman didactique concernant la correction du comportement des filles que

l’éducation précédente avait rendue égoïstes et irraisonnables. Au cours du

développement du roman, qui se déroule presque uniquement à l’extérieur

de l’école, les étudiants confessent leurs méfaits passés en exprimant, au

même temps, leur volonté à changer et améliorer. L’obédience, qui est un

sujet central du roman, est acquise de manière autonome des filles à travers

leur volonté. Le même discours est valable pour la raison. Autrement dit,

les filles doivent apprendre à réfléchir par elles-mêmes. L’auteur les aide à

rejoindre cet objectif en leur enseignant comment lire. Aux filles est aussi

demandé de produire un texte à propos de leurs vies, et de lire et

interpréter d’autres textes, comme par exemple des tragédies ou des contes

de fées. Sarah Fielding, comme l’a fait Mme de Beaumont après, inclut des

contes de fées dans son roman. Si à première vue, le roman semble

5 Chiron Jeanne, Seth Catriona, Marie Leprince de Beaumont : de l’éducation des filles à La belle et la bête, Paris, Classiques Garnier, 2013.

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conventionnel et présent une histoire conforme à celles féministes du

XVIIIème siècle, en réalité il propose une vision différente des femmes qui

insiste sur leur intelligence et sur leur pouvoir.

En retournant à Mme de Beaumont, dans la préface du Magasin des enfants

elle manifeste son propos :

« […] Dans lesquels on fait penser, parler, agir les jeunes gens suivant leur

génie, et leurs inclinations. On y représente les défauts de leur âge ; l’on y

montre de quelle manière on peut les en corriger ; on s’applique autant à

leur former le cœur, qu’à leur éclairer l’esprit. On y donne un abrégé de

l’Histoire Sacrée, de la Fable, de la Géographie, etc., le tout rempli de

Réflexions utiles et des Contes moraux pour les amuser agréablement, et

écrit d’un style simple et proportionné à la tendresse de leurs années. »6

Elle se propose de délivrer une éducation morale et religieuse de manière

plaisante et divertissante, en luttant pour que les filles ne soient pas

écartées de l’enseignement.

L’œuvre a été accueilli de manière enthousiaste tant par le public que par

la presse. Son énorme succès est témoigné par les nombreuses rééditions

pendant plus d’un siècle ; on peut compter au total 130 éditions de la

version française entre 1756 et 1887. La grande réussite de l’ouvrage est

6 Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Magasin des enfans ou dialogues d’une sage gouvernante avec

ses eleves, dans lesquels on fait penser, parler, agir les jeunes gens suivant leur gene, et leurs inclinations […], Riom, J.C.Salles, Imp.- Libr., 1806.

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due surtout à l’originalité de l’approche pédagogique 7. Son œuvre est

inspirée de sa passion de l’enseignement, du besoin qu’elle éprouvait, de

partager son savoir. La série de ses Magasins pour les filles a contribué à

se faire connaître à travers toute l’Europe. Mme de Beaumont se propose

non seulement d’enseigner diverses matières aux enfants, et notamment

aux filles, dans les domaines moral et religieux, mais aussi de les amuser,

en intégrant le divertissement dans l’instruction. Les méthodes éducatives

adoptées s’appuient sur le dialogue entre le maitre et ses élèves. Mme de

Beaumont propose à ses élèves des leçons d’histoire, géographie, sciences

naturelles et physique, accompagnées d’anecdotes, de contes merveilleux

et de fables. Les fables et les contes merveilleux ont donc la double fonction

d’illustrer l’enseignement moral et de divertir les enfants. Plusieurs de ces

contes sont simplement des traductions ou des extraits, comme celui de

La Belle et la Bête, mais elle les a traités en les faisant devenir propres.

Le texte est divisé en journées, au cours desquelles Bonne, la gouvernante,

s’entretient avec ses sept élèves et dont certaines ont des noms évocateurs,

comme « Lady Spirituelle », « Lady Sensée » etc. En ce qui concerne le

style, il est simple et facile et la morale est conciliante et claire.

7 Chiron Jeanne, Seth Catriona , Marie Leprince de Beaumont : de l’éducation des filles à La belle et la bête, Paris, Classiques Garnier, 2013.

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Le but principal, c’est-à-dire de « former le cœur » de ces enfants et de

leur éclairer l’esprit, est suivi par l’objectif linguistique, c’est-à-dire

l’apprentissage de la langue française. Elle insiste également sur la nécessité

de commencer l’éducation très tôt, sur l’importance de bien choisir les

précepteurs ou les gouvernantes et sur la vocation particulière

indispensable pour ce métier. L’éducateur doit avant tout toucher le cœur

de ses élèves, conquérir leur respect, susciter leur confiance.

Mme de Beaumont a aussi su se mettre au niveau de ses jeunes lectrices.

Dans sa pratique pédagogique elle a compris l’aversion de la plupart des

enfants pour la lecture, et comme leur répulsion vient de la nature même

des livres que nous mettons dans leurs mains. Il faut leur proposer des

textes avec un style simple. Dans l’Avertissement de son Magasin, elle invite

aussi les éducateurs à adapter le texte aux besoins spécifiques des élèves.

À ce propos, elle suggère à nouveau le problème de la véracité des histoires

qu’on raconte aux enfants. Dans l’Avis aux parents, elle avait déjà abordé

cette question en affirmant que, lorsqu’il s’agit des enfants, il serait mieux

d’imprimer dans leur tête que du vrai. Elle insiste sur la distinction à faire

entre les histoires « vraies » et la fiction. Les histoires données comme

vraies dans le Magasin, servent à illustrer des questions de morale.

Le succès de l’œuvre permet à l’auteur de publier d’autres recueils

pédagogiques. Néanmoins, seul Le Magasin des Enfants lui assure le succès

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littéraire. Mme de Beaumont a réussi à conserver le merveilleux et à

l’adapter à sa méthode. Le Magasin, en effet, a paru à une époque où se

multipliaient en France les recueils pour le plaisir des dames.

Une autre innovation pédagogique importante est représentée par

l’introduction de la distinction entre trois groupes d’âge dans l’éducation

des filles. En tant que gouvernante compétente et maitresse d’école, elle

est consciente de la singularité de chacun de ces groupes. En cette logique,

elle composera, après le Magasin des enfants, destiné aux petites filles, le

Magasin des adolescents, publié en 1760 et le Magasin des jeunes dames,

publié en 1764.

Enfin, la popularité de l’œuvre s’explique par l’absence d’ouvrages de ce

genre à l’époque. Mme de Beaumont, au courant des manques de

l’éducation des filles, a été une des premiers auteurs à rédiger un ouvrage

destiné typiquement aux petites filles. En fait, les gouverneurs et

gouvernantes devaient s’en servir dans toute l’Europe pour l’enseignement

du français en tant que langue étrangère. Le fait que le Magasin a été

traduit dans des nombreux pays européens, (précisément en douze

langues) au moment où les ouvrages pédagogiques pour les jeunes enfants

se faisaient rares partout en Europe, est dû à sa capacité de répondre à

des réels besoins.

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Par sa réflexion sur l’éducation comme par sa pratique pédagogique, Mme

de Beaumont est la première des promoteurs de l’éducation des filles8. Elle

intervient plusieurs fois dans le débat sur ce sujet. Le Magasin est l’un des

premiers livres destinés à l’éducation des filles, à côté du Télémaque, pour

les garçons. En faisant valoir l’aspect récréatif de l’instruction et en se

référant à la pensée de Locke et de Fénelon, elle affirme qu’il faut entrainer

la raison de l’enfant. Son but principal est d’enseigner aux filles à penser et

de les sortir de l’ignorance à laquelle elles ont été prédestinées. L’éducation

conventionnelle de l’époque maintient les filles à l’état passif « d’êtres

parlants, écoutants, regardants », elle veut en faire des « êtres pensants ».

Qui lisait le Magasin ? Presque toutes ces productions ont été traduites en

anglais, allemand, russe, suédois, italien et espagnol. Tout d’abord l’œuvre

a été lu individuellement, en version originale ou en traduction , par la

jeunesse en générale. En France, une dizaine d’années après la première

publication, grâce à la présence du Magasin dans les bibliothèques

publiques et les cabinets littéraires, même un public plus modeste avait

accès à l’œuvre. En ce qui concerne l’éducation privée, dans les familles de

l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, les enfants, les filles surtout, lisaient

8 Chiron Jeanne, Seth Catriona, Marie Leprince de Beaumont : de l’éducation des filles à La belle et la bête, Paris, Classiques Garnier, 2013.

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le Magasin et l’étudiaient. L’objectif était double : enseignement de la

langue française et instruction générale.

Dans le cadre de l’enseignement scolaire, le Magasin était traduit et récité

par les élèves. Enfin, de leur part, les parents, les gouvernantes et les maîtres

lisaient le Magasin pour la méthode pédagogique qu’il proposait. Ce

procédé de l’œuvre a fait école et a inspirée d’autres auteurs tant au

XVIIIème qu’au XIXème siècle.

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Chapitre 2

2.1. La Belle et la Bête : origines de l’histoire

Le conte de La Bella et la Bête de Mme Leprince de Beaumont du 1756,

publié à l’intérieur du recueil intitulé Le Magasin des enfants, a des origines

anciennes. L’émouvante histoire du marchand et de sa fille s’inspire en effet

aux premières transcriptions littéraires de contes populaires issus du

folklore italien, jusqu’alors exclusivement transmis oralement.

2.2. Le roi porc de Straparola

On ne sait pas beaucoup de la vie de Straparola. Narrateur méconnu de la

Renaissance italienne, son nom n’est peut-être qu’un pseudonyme

d’autodérision, « straparlare » signifiant en italien « parler trop ». L’auteur

est né dans les années 1480-1500 à Caravage, près de Bergame. La

première version connue de son existence date de 1508, année où à Venise

est publié un recueil de poèmes amoureux L’Opera nova de Zoan Francesco

Straparola. Il est mort après 1557.

S’inspirant du Decamerone de Boccaccio, Straparola écrit Le piacevoli Notti

(Les nuits facétieuses), un recueil composé de 73 nouvelles et contes insérés

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dans un récit-cadre où il donne une large place à la présence des animaux9.

La première partie a été publiée par Comin da Trino, à Venise, en 1550.

Porté par le succès obtenu, il élabore une deuxième partie, publié chez le

même éditeur en 1553. Seulement en 1556 l’édition de deux parties a parue

avec plusieurs modifications qui cherchaient à adoucir les éléments

indécents pour l’orthodoxie. Il raconte des fêtes de Carnaval pendant

lesquelles dix demoiselles et deux matrones qui composent la cour de

Lucrezia, fille d’Ottaviano Maria Sforza, exilé à Venise, s’entretiennent avec

leurs invités en dansant, en récitant des poésies et on se racontant des

nouvelles. Le récit se déroule sur douze nuits sur l’ile de Murano, près de

Venise ; pendant chacune d’elles, sont racontées cinq nouvelles, précédées

d’un prologue, la « cornice » typique du Decamerone, sauf pour la dernière

nuit où les nouvelles sont treize. Les narratrices, demoiselles de compagnie

de Lucrezia, sont tirées au sort, cinq par nuit, excepté pour les nouvelles II,

IV et V, où parlent d’autres membres de la « brigata ». Pour la dernière

nuit, Lucrezia et sept des gentilshommes présents se joignent aux cinque

narratrices et racontent une brève nouvelle chacun. Parmi eux on note la

présence de Pietro et Antonio Bembo. Chaque nouvelle se termine par une

énigme en une octave, dont la résolution est proposée à l’assemblée. Si

9 Pirovano, Donato, Le piacevoli notti / Giovan Francesco Straparola, I novellieri italiani; vol. 29, Roma, Salerno, 2000.

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Boccace est le modèle incontestable, le recueil est riche d’échos populaires

et dialectaux : en effet, la nouvelle V, est écrite en bergamasque tandis que

la nouvelle IV en padouan.

Ce recueil contient la première version écrite du conte de fées La Belle et

la Bête, le récit intitulé Le roi porc. Il s’agit d’un conte très simple, qui

présent une structure tiré du folklore italien et de la tradition orale. Dans

cette version, nous retrouvons la Bête sous la forme d’un porc, la Belle qui

s’appelle Maldine et les deux sœurs méchantes. L’histoire est totalement

différente : une reine met au monde un enfant porc qui, lorsqu’il est en

âge, demande d’être marié. La reine va trouver une famille de pauvres

paysans qui a trois filles très belles et demande l’ainée en mariage. Cette

dernière accepte juste pour l’argent mais refusant que le porc ne la

touche elle décide de le tuer. Mais le porc, en entendant cela, la tue. De

même pour la cadette. Lorsque la benjamine, qui était plus belle que les

autres, se présenta au château, le porc s’est approché d’elle et elle lui a fait

des caresses. Meldine comprend le secret et le révèle à la reine : son fils

n’était pas un porc mais un beau jeune homme caché sous une peau de

porc. Enfin, Meldine et le roi porc ont vécu heureux. Dans cette histoire,

est présent le cycle du fiancé animal. En général, Le Piacevoli Notti sont

traversées par une parade d’animaux dont Straparola étudie le

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comportement mais qui ont, avant tout, une portée symbolique 10 . Ils

représentent en effet les passions humaines. Dans toutes les aventures

qu’on trouve dans les nouvelles, ce sont les animaux, reconnaissants, qui

proposent leur aide aux héros et portent au dénouement heureux de

l’histoire. Mais le recueil de Straparola représente aussi l’aspect fantastique

des choses. Les animaux sont doués d’un pouvoir surnaturel : ils peuvent

parler avec les héros et aussi entre eux et ils ont la capacité de satisfaire

les vœux les plus impensables. Encore, le merveilleux se montre dans les

métamorphoses qui caractérisent les nouvelles. On prend comme exemple

la nouvelle du Roi porc qui présente la métamorphose d’un jeune prince

en porc. En ce cas, le sort jeté par une fée, n’est levée jusqu’à ce qu’il trouve

une épouse qui l’aime. Après avoir suscité le dégout de deux sœurs, la

troisième l’accepte tel qu’il est. Il retire alors sa peau sale et se transforme

en un beau jeune homme. Les animaux, en tant qu’êtres épouvantables et

horribles, peuvent être vus comme les peurs cachés de l’homme. En ce

sens, les contes de fées montrent qu’il faut accepter le coté ténébreux de

l’existence, en réagissant, sans se laisser anéantir, comme les héros, qui,

même grâce à l’aide des animaux, affrontent les épreuves inattendue de la

vie et finissent toujours par vaincre. Les animaux sont le moyen que

10 Pirovano, Donato, Le piacevoli notti / Giovan Francesco Straparola, I novellieri italiani; vol. 29, Roma, Salerno, 2000.

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Straparola utilise pour aborder les dilemmes de la vie, comme la peur de

la mort, le besoin d’être aimé etc. Les nouvelles ont le rôle de guide pour

les enfants et les adultes aussi et, en conduisant le lecteur dans un monde

fantastique, quelque fois aussi cruel que le mode réel, lui permettent de

mieux se connaître, en découvrant « l’autre ».

2.3. Éros et Psyché d’Apulée

La fable d'Éros et Psyché occupe le centre des Métamorphoses, un roman

écrit par Apulée au IIème siècle, également connu sous le titre L’âne d’or.

L’épisode raconte de Psyché, fille d’un roi. Elle était si belle que Venus,

déesse de la Beauté, envieuse, demande à son fils, Éros, de la faire aimer

d’un monstre. Mais Éros se frappe avec une de ses flèches et tomba

amoureux d’elle. Il la porte dans son palais où elle vit dans le secret et en

ignorant l’identité de son mari ; Éros lui intime de ne jamais chercher à voir

son visage sous peine de grands malheurs. Éros passe toutes les nuits avec

elle mais à l’aube il part. Psyché, de temps en temps, veut voir sa famille,

ainsi, ses sœurs viennent la voir au château. Pendant la deuxième visite, les

sœurs de Psyché la persuadent de dévoiler son mari. Psyché, un soir, attend

qu’Éros soit endormi, allume une lampe à huile et s’approche de lui pour

le voir. Elle a juste découverte que son mari est le dieu de l’amour qu’une

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goutte de la lampe tombe sur l’épaule d’Éros qui se réveille et disparait à

l’instant. La seule solution venant à l’esprit de Psyché est le suicide ; elle se

jette donc dans le fleuve le plus proche mais le fleuve complaisant repose

celle-ci sur le rivage sans dommage. Pendant ce temps, Venus, qui

découvre le secret de son fils et surtout qui est son épouse, prive Éros de

ses ailes, de son arc et de ses flèches. Psyché, enceinte, traverse le monde

à la recherche de son époux et à la fin elle arrive chez Venus en la priant

de pouvoir revoir son époux ; la déesse accepte mais à la condition que

Psyché réussisse des épreuves très difficiles. Psyché réussi à les surmonter

mais, au cours d’une d’elle, elle respire une odeur qui la fait dormir. Éros

s’évade juste à temps pour la réveiller. Après il s’envole vers l’Olympe pour

exposer la situation à Jupiter qui décide de célébrer le mariage. Afin que

ce mariage soit valide, il transforme la jeune fille en déesse, lui donnant

l’immortalité. Ils vécurent donc heureux pour l’éternité ; une fille naquit,

Volupté, déesse des plaisirs de l’amour.

L'épisode d'Éros et Psyché culmine dans cette lampe à huile soulevée au-

dessus du visage de l'aimé, dans cette chute d'une goutte qui brûle la peau

du dieu. En lisant cette histoire, il semblerait encore une fois que le pouvoir

des dieux prévale et que le destin humain qui voulait s'élever au divin

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23

revienne en arrière, en bas. Mais en fait, ce n'est pas le cas chez Apulée,

alors que, au secours de Psyché, apparait la pitié de Jupiter souverain11.

Contrairement à la version d’Apulée, le conte de La Belle et la Bête écrit

par Mme de Beaumont, est destiné spécifiquement aux femmes avec le but

de les amener à réfléchir sur les vertus de l’amour. Il ne tient compte que

de l’épreuve du fiancé monstrueux et non de la quête de l’époux disparu.

Le conte d’Apulée est le premier antécédent connu de la littérature

occidentale du faible de La Belle et la Bête et il constitue, au même temps,

un mythe sur lequel réfléchir à propos de la différence entre les hommes

et les femmes. Ce récit raconte comment un couple amoureux évolue à

travers les difficultés rencontrées. Le couple de la Belle et la Bête se

métamorphosent en effet tout au long de l’histoire pour arriver à résoudre

les conflits extérieurs et intérieurs. La figure d’un mari qui a des

ressemblances bestiales représente un sujet qu’on retrouve à l’intérieur des

histoires beaucoup plus anciennes. Les précédents sont nombreux, comme

dans les recueils de Les milles et une nuit, par exemple. Tous ces contes,

présentent des similitudes. Un autre exemple est constitué de l’œuvre A

Midsummer night’s dream (Le songe d’une nuit d’été), une comédie où

Shakespeare fait la caricature de cette histoire d’amour avec les

11 Nicolas Waquet, Carlo Ossola, Apuleius / Éros et Psyché, Paris, Payot & Rivages, 2006.

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personnages de Titania et Bottom qui s’opposent, en représentant la

beauté d’une coté et la bestialité de l’autre côté. Dans le mythe d’Apulée,

c’est Psyché qui lutte et Amour attend qu’elle démontre d’être digne de

lui. Elle doit payer sa faute pour obtenir l’amour d’Éros ; il est, dans

l’histoire, le but de son voyage, de sa recherche. La structure de La Belle et

la Bête, renverse les rôles qu’on peut s’attendre à partir du titre : la fille

doit acquérir la sagesse et la capacité à regarder au-delà des apparences

pour comprendre que la monstruosité se trouve dans les yeux de celui qui

regarde ; au contraire, l’âme de la Bête se révèle bonne et généreuse. La

Bête représente le choix de la jeune fille entre la famille et l’inconnu. Dans

toutes les différentes versions de La Belle et la Bête, on trouve au fond le

même canevas, qui commence par la rencontre avec « l’autre » pour

terminer par son accueil et tolérance. La menace de l’autre est abordée et

dépassée. Le protagoniste négatif se démontre donc précieux pour le

dénouement de l’histoire. Le thème de l’amour triomphe : d’abord l’amour

du père pour sa jeune fille qui coupe la rose pour elle en provoquant

l’action ; il y a ensuite l’amour filial de Belle qui se sacrifie, et son amour

encore pour un être monstrueux mais avec une noblesse de cœur. Comme

dans le cas d’Éros et Psyché donc, l’évolution de la narration décrit le

processus qui porte jusqu’à la connaissance de soi.

Page 25: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

25

2.4. Riquet à la houppe de Charles Perrault

Riquet à la houppe est un conte populaire dont la version la plus célèbre

est celle écrite par Charles Perrault insérée dans le recueil Histoires ou

contes du temps passé en 169712.

L’histoire raconte d’une reine qui eut un enfant très laid mais une fée qui

était présente à sa naissance lui donna l’intelligence, la sympathie et un

esprit vivace. En plus, il avait aussi le don magique de donner ces qualités

à la personne qu’il aimerait le plus au monde. Après quelques années la

reine d’un royaume voisin eut deux petites filles ; la première était jolie

mais stupide, la deuxième était laide mais si intelligente que personne ne

s’apercevrait de sa laideur. La fée qui était présente à la naissance de Riquet

décida de donner à cette fille le don de rendre beau la personne qu’elle

épouserait. Lorsqu’elles grandissaient, tout le monde s’intéressait à la fille

laide et personne ne remarquait la belle princesse. Un jour elle se

promenait dans un bois et pleurait ; tout à coup elle vit un homme très

laid, il était Riquet à la houppe. Il demanda la raison de sa tristesse et il lui

demanda de l’épouser pour pouvoir lui donner l’esprit qu’elle désirait. La

princesse, qui n’avait pas d’intelligence, accepta sa demande mais le

12 Banville Théodore de, 3-4 : Occidentales ; Rimes dorées ; Rondels ; La perle ; Idylles prussiennes ; Riquet a la houppe, 1972. - 2 v. en 1, Genève, Slatkine reprints, 1972.

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mariage aurait lieu un an plus tard. Entre temps, la princesse devenait

intelligente et commençait à changer d’avis à propos du mariage avec

Riquet. Mais elle refusait aussi tous les jeunes princes du royaume parce

qu’elle avait besoin du temps pour réfléchir. Un jour elle retourna dans le

bois pour décider si accepter la demande de mariage d’un prince très beau

et aussi plein d’esprit. Tout à coup le sol s’ouvrit et sous ses pieds elle vit

une cuisine pleine de personnes surgit de terre. Cela faisait un an

exactement qu’elle avait promis à Riquet à la houppe de l’épouser. Lorsque

Riquet parut, elle admit de ne pas vouloir se marier avec lui ; mais Riquet

réussit à la convaincre en lui rappelant qu’elle avait aussi un don : celui de

donner sa beauté à celui qu’elle épouserait. Ainsi, elle accepta, donna la

beauté à Riquet et ils se marièrent avec le consentement du père de la

princesse.

La moralité du conte est très claire : il ne faut pas juger quelqu’un sur les

apparences parce que la beauté se trouve dans les yeux de celui qui

regarde. En plus, il faut rappeler que la beauté disparait et enfin, ce qui

compte c’est l’esprit. L’amour transfigure l’être aimé at la noblesse de

caractère l’emporte sur la beauté physique. Ce conte nous apprend aussi

que l’amour doit être partagé et il suppose des échanges de part et d’autre.

C’est ce qui arrive à Riquet et à la belle princesse : il lui donne l’intelligence,

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27

elle lui donne la beauté. Lorsqu’ on regarde avec les yeux de l’amour tout

nous semble beau.

Ce conte est considéré un antécédent à l’histoire de La Belle et la Bête ; en

effet on y retrouve les mêmes sujets : le merveilleux, la beauté, la laideur,

les apparences, l’amour, la métamorphose etc. Ces contes accordent la

même place au merveilleux. Dans La Belle et la Bête le lieu magique par

excellence est le château de la Bête où se manifestent la plupart des

événements surnaturels, comme par exemple la Belle qui voit son père à

travers un miroir dans sa chambre ou la bague magique qu’elle utilise pour

retourner chez son père. La transformation même de la Bête est un

événement magique. Dans Riquet à la houppe on retrouve cette

métamorphose : la belle princesse devenue intelligente, avant d’épouser

Riquet lui donne la beauté. La fée qui au début de l’histoire distribue des

dons aux reines est aussi un élément magique des deux contes. Dans les

deux cas, c’est le pouvoir de l’amour qui rend Riquet et la Bête beaux aux

yeux de la Belle et de la princesse.

2.5. Mme d’Aulnoy et son conte antécédent à La Belle et la Bête

Chez Mme D’Aulnoy on peut retrouver deux formes du conte de La Belle

et la Bête : Gracieuse et Percinet et Le serpentin vert. Le premier est très

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proche du conte d’Apulée Éros et Psyché auquel ce conte fait référence, il

a été publié pour la première fois dans son recueil Les Contes de fées en

1698 ; le deuxième est une variante et il est très proche de ce que

deviendra La Belle et la Bête. Le conte Gracieuse et Percinet se rapproche

le plus étroitement à la version du conte Éros et Psyché raconté par Apulée

dans Les Métamorphoses. Cette histoire connait un grand succès en

particulier en France, Espagne et Italie pendant le XVIIème siècle, témoigné

par les nombreuses reprises artistiques et littérales. Il a été réédité aux

XIXème et XXème siècle. Gracieuse et Percinet présent le schéma typique

du conte, et en particulier du mythe d’Apulée, c’est-à-dire des épreuves

accomplies par l’héroïne prisonnière de sa belle-mère jalouse mais sauvé

par son amant13. L’histoire raconte de Gracieuse, fille d’un roi et d’une reine.

Après la morte de la reine, le roi décide d’épouser la duchesse Grognon,

une femme riche et méchante qui commence à persécuter sa belle-fille. Un

jour Gracieuse connait un page, nommé Percinet, qui s’offre de la servir ;

en réalité il est un prince doué de pouvoirs magiques qui l’aime et, dans

l’espoir d’obtenir sa main, le soutien face à sa belle-mère. La duchesse

Grognon pour éliminer Gracieuse, la soumis à une série d’épreuves. Le

dernier subterfuge fait tomber Gracieuse dans le fond d’un puits. Mais là-

13 Jasmin, Nadine, Contes des fées / Madame d’Aulnoy, Paris, H. Champion, 2008.

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bas La jeune fille trouve une porte qui la conduit au château de Percinet

où Gracieuse décide enfin de l’épouser. Au mariage participent aussi les

fées, parmi lesquelles il y a aussi celle qui a aidé la duchesse à trouver les

épreuves insurpassables soumises à Gracieuse. Lorsqu’elle s’aperçue que la

jeune fille est devenue l’épouse de Percinet, elle demande pardon mais le

prince ne l’accepte pas. Alors la fée, sur une balle de feu tiré par deux

serpents, rejoint la duchesse et l’étrangle avec ses mains.

Chez Mme d’Aulnoy, le conte se complique en différents épisodes, comme

par exemple le remariage du roi avec la duchesse Grognon, future marâtre

de l’héroïne ; la cour assidue du prince Percinet, qui protège sa maitresse

Gracieuse de l’hostilité de sa belle-mère avant que commence l’ensemble

des épreuves. Les épreuves subies par l’héroïne, diffèrent beaucoup, chez

Mme d’Aulnoy, de celles qu’on trouve dans l’épisode raconté par Apulée.

Mme d’Aulnoy donc, n’hésite pas à modifier le conte original. On trouve

aussi d’autres différences, comme par exemple l’opposition entre l’héroïne

Gracieuse et Psyché. Le premier plus « passif » de la deuxième qui fait

preuve d’une initiative supérieure. De même, les personnages masculins

sont discrédités ici, par rapport au conte d’Éros et Psyché, où on trouve le

dieu d’Amour. Ici Percinet se présent comme un amant respectueux et

soumis, tandis que, le roi est disqualifié par un double défaut : l’avarice et

la faiblesse devant la puissance et la méchanceté de la duchesse Grognon.

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Ici la monstruosité est représentée par la duchesse Grognon : boiteuse,

borgne et bossue, sale et impure, elle est rapprochée au diable et à une

sorcière à travers la couleur rouge qui recourt tout au long de l’histoire.

Elle semble constituer l’exacte antithèse de Venus, déesse de la beauté.

Ce conte initiatique, où se mêlent les éléments fantastiques et populaires,

se conclut enfin avec la découverte de l’amour par la princesse, qui devient

une femme.

En ce qui concerne Le serpentin vert, il s’agit d’un conte qui suit le schéma

narratif de l’histoire d’Éros et Psyché : l’héroïne épouse le roi, qu’elle ne

connait pas, et elle vit heureuse jusqu’au moment où, poussée par sa

famille, transgresse l’interdit et voit son mari, provoquant sa fuite, la chute

de son royaume et son propre esclavage. Seulement après une série

d’épreuves, la princesse peut reconquérir son époux. Mme d’Aulnoy suit

fidèlement le schéma narratif mais on trouve quand même des variations,

comme par exemple dans les épreuves imposées à la princesse, dont elle

reprend seulement partialement les modèles antérieurs. Dans toutes ces

versions, l’amant de l’héroïne est inconnu et caché et la narration du conte

se base sur le seul pouvoir de la parole. Il faut aussi souligner, ici comme

dans les autres contes, le pouvoir de la curiosité, notamment féminine. Ce

« désir curieux » propre des hommes, et ses dangers, sont la base sur

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31

laquelle se fonde l’histoire de Psyché, celle-ci et beaucoup d’autres14. Le

serpentin vert, au contraire des personnages masculins qu’on trouve dans

les autres histoires, est entouré du mystère ; en effet, on ne connait pas sa

vie passée et sa métamorphose.

2.6. Le conte de La Belle et la Bête adapté à plusieurs reprises pour la

scène : versions de Marmontel et de Nivelle de la Chaussée

Parmi toutes les adaptations du conte La Belle et la Bête, celle de

Marmontel a eu un grand succès. Zémire et Azor a été réalisée en

collaboration avec le compositeur Grétry ; il s’agit d’une comédie-ballet en

quatre actes, en vers, mêlée de chants et de danses, représentée pour la

première fois en 1771. Zémire et Azor a deux sources. L’histoire de base et

les caractéristiques fondamentales des personnages viennent du conte de

Mme de Beaumont, tandis que les noms et certaines situations sont repris

de la comédie sentimentale de Nivelle de la Chaussée, en trois actes, en

vers, intitulée Amour pour amour15. Cette pièce, publiée en 1742, maintient

les éléments essentiels du conte de Mme de Villeneuve : Azor, le

14 Jacques Barchilon, Philippe Hourcade, Les contes des fées / Madame d’Aulnoy, Paris, Société des textes français modernes, 1997. 15 Nivelle de La Chaussee Pierre Claude, Lalauze Adolphe, Lacroix Paul, Contes et poésies de La Chaussée, Paris, Librairie des bibliophiles, Jouaust, 1880.

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protagoniste masculin transformé en bête par une fée jalouse, doit trouver

une jeune fille capable de lui déclarer son amour pour retrouver son aspect

humain. Zémire, l’héroïne de la pièce, n’a pas de famille ; elle fait des rêves

du prince tout comme la Belle de Mme de Villeneuve. Cette comédie est

située près de Bagdad. La pièce reçoit un certain succès : elle est jouée

treize fois à la comédie française, puis à Versailles, elle est reprise avec

succès en 1744 et 1765.

Marmontel emprunte le nom des deux héros à la pièce de théâtre de La

Chaussée mais il modifie le lieu de l’action, qui se déroule en Perse et il

donne un aspect bestial au prince (peau tigrée et crinière noire rappelant

le lion). En plus, Fatmé et Lisbé, les sœurs de Zémire, ont un esprit gentil,

contrairement aux deux contes écrits. L’opéra obtient un grand succès ; il

est représenté jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Ce genre d’opéra, sorte de

comédie-ballet mêlant musique italienne et lyrisme français, est très

souvent interprété en Italie mais pas en France. L’opéra donne au conte

une dimension spectaculaire et fastueuse à travers les éléments magiques

que Mme de Beaumont avait supprimés dans sa version.

Parmi les thèmes centraux de cet œuvre il y a l’amour de Belle et sa

dévotion envers son père, avant tout, et le sentiment d’amour réciproque

aussi qu’elle développe pour la Bête.

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33

Un autre thème traité par Marmontel est le caractère de l’homme primitif.

Dans le cas de ce conte, Azor, représente un type de noble sauvage ; mais

sauvage seulement en apparence, parce qu’il est noble de cœur.

La Belle est devenue Zémire, fille d’un négociant d’Ormus appelé Sander,

et la Bête Azor, est un prince persan, roi de Kamir ; les deux sœurs de la

Belle sont Fatmé et Lisbé ; quant à Ali, esclave de Sander, il joue le rôle,

nouveau, d’un confident et d’un chaperon. Mais on retrouve, sous

l’influence orientale, les principaux éléments du conte : le marchand ruiné

dans le palais enchanté, la rose fatidique, le sacrifice de la Belle, la

transfiguration de la Bête, l’intervention finale de la fée, qui tire la morale.

Azor a été transformé en une bête par une fée haineuse et il ne peut pas

retourner à son aspect humain jusqu’au moment où il arrive à inspirer le

vrai amour dans le cœur d’une femme. Zémire est une fille gentille,

adorable et charmante ; ses sœurs ont demandé à leur père qui est un

marchant, lorsqu’il était en train de partir pour un voyage d’affaires, de leur

porter, à son retour, des bijoux, Belle lui a demandé seulement une rose.

Sander, le père, et son serviteur, Ali, de retour de leur voyage, vont dans

un palais enchanté pour se protéger d’une tempête. Là-bas Sander trouve

la rose pour Belle et il la coupe. Mais le palais était d’Azor, qui compare en

colère. Azor accorde à Sander de saluer ses filles une dernière fois avant

d’être tué de sa part. Mais, une fois que son père retourne chez lui, Zémire

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34

décide de se sacrifier à sa la place et de se rendre donc au palais. Dans un

premier moment elle est terrifiée par la Bête, ensuite, elle reste frappée par

sa noble attitude. Complétement sous l’influence de Zémire, Azor lui

permet de visiter une dernière fois sa famille, avant de vivre avec lui dans

le château. Mais, au lieu de profiter de cette occasion et rester avec son

père et ses sœurs, Belle décide de retourner chez la Bête. Alors que la Belle

cherche la Bête dans une partie sauvage du jardin du château, la Bête se

réapproprie de son aspect humain.

Les personnages représentés par Marmontel montrent évidemment leur

esprit aimable et l’intensité avec laquelle ils aiment. Marmontel a en effet

la capacité de toucher son public en lui faisant partager les mêmes

sentiments de bonté éprouvés par les personnages du conte.

Des autres aspects essentiels de la scène, en plus du cadre oriental,

magique, qui s’insèrent dans la tradition de l’opéra-ballet, répertoire du

Théâtre Italien, ce sont la danse et la musique16. En effet, un aspect très

important de cet opéra-comique c’est le rôle expressif de la musique, en

particulier, en certains moments. Dans l’acte 3, par exemple, où se situe le

climax, soit le public, soit Zémire sont frappés par la beauté de la musique

qui accompagne la transformation d’Azor en être humain. Remarquable

16 Grétry, André-Ernest-Modeste, Marmontel, M., Zémir et Azor : Comédie-ballet en verse et en quatre actes, mêlees de chants et de danses ..., Paris, chez Vente, 1771.

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35

c’est aussi le solo dans l’acte 4, lorsque Zémire pleut dans le jardin du

château. Cette ariette, est l’exemple plus spectaculaire de l’improvisation

de Grétry, où l’orchestre souligne un particulier moment de révélation.

Zémire et Azor a eu un grand succès, au point qu’en 1788, à Marseille,

l’armée a dû intervenir puisque le public avait demandé deux

représentations par jour.

2.7. La Belle et la Bête par Mme de Villeneuve

Mme de Beaumont a emprunté le thème et le canevas de son œuvre à

Mme de Villeneuve, écrivaine française qui a inséré ce récit dans le recueil

Les contes marins, ou la jeune Américaine, en 1740. Sa version donne les

composants essentiels au conte dont ont été faites plusieurs adaptations.

Mme de Villeneuve est la première femme à introduire le genre du conte

en France. Elle avait l’habitude de publier ses œuvres signées uniquement

de la première lettre de son patronyme « Mme D.V. » ; ce qui lui donnait

la possibilité d’obtenir la reconnaissance sur l’attribution de certaines

œuvres. L’édition en deux volumes de son recueil, contient le conte de La

Belle et la Bête inséré dans un récit-cadre. Elle a pris connaissance de

l’histoire de La Belle et la Bête pendant un voyage en bateau en direction

de Saint-Dominique. Chaque passager énonçait une série de contes lors de

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36

la traversée ; celui de La Belle et la Bête est introduit par une femme de

chambre : Mlle de Chon. La version du conte de Mme de Villeneuve

reprend ce conte. Il y a la Belle, la cadette d’une famille de douze enfants

composée de six frères et cinq sœurs. Mme de Villeneuve représente son

héroïne comme une jeune fille généreuse, jolie et dotée d’un grand

courage.

« Une beauté parfaite ornait sa jeunesse, une égalité d'humeur la rendait

adorable. Son cœur, aussi généreux que pitoyable, se faisait voir en tout.

Aussi sensible que ses sœurs aux révolutions qui venaient d'accabler sa

famille, par une force d'esprit qui n'est pas ordinaire à son sexe, elle sut

cacher sa douleur et se mettre au-dessus de l'adversité.17 »

Elle accepte de remplacer son père au château de la Bête pour lui sauver

la vie.

Quant à la Bête, Mme de Villeneuve la décrit comme un monstre couvert

d’écailles avec une trompe d’éléphant, dépourvue de grâce et d’esprit.

« [...] Sa frayeur fut grande, quand il aperçut à ses côtés une horrible Bête,

qui d'un air furieux lui mit sur le col une espèce de trompe semblable à

celle d'un éléphant. 18»

17 Biancardi Elisa, La jeune americaine et les contes marins (la Belle et la bete) ; Les belles solitaires Madame de Villeneuve Magasin des enfants : (la Belle et la bete) Madame Leprince de Beaumont, Paris :

Honore Champion, 2008, p.98. 18 Ibid., p.104.

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37

« Un bruit effroyable, causé par le poids énorme de son corps, par le

cliquetis terrible de ses écailles et par des hurlements affreux annonça son

arrivée. 19»

Mais, grâce à son amour, elle dévoile les fausses apparences et rend à la

Bête son aspect humain. Mme de Villeneuve unit ici la présence des fées à

l’histoire d’amour et ajoute des références à la pastorale et au roman,

genres en vogue au XVIIème siècle. Elle ajoute aussi dans le conte le goût

de l’époque pour la mode et la décoration. Le château de la Bête est un

palais fastueux et singulier où les valets sont changés en statues, où des

singes et des perroquets sont au service de la Belle, où les fenêtres donnent

sur le monde. En outre, au cours de son séjour, la Belle assiste à des

représentations théâtrales de la Comédie Italienne et à l’opéra, elle visite la

foire Saint-Germain et se promène aux Tuileries.

Le conte de Mme de Villeneuve peut être décomposé en deux parties. La

première partie concerne l’histoire d’amour entre la Belle et de la Bête, la

deuxième est dédiée à la rivalité des fées, à leurs bizarres habitudes et aux

origines de la Belle. Celle-ci est en effet la fille d’un roi et d’une fée. La

tante de la Belle, également fée, l’a fait adopter alors qu’elle était encore

19 Biancardi Elisa, La jeune americaine et les contes marins (la Belle et la bete) ; Les belles solitaires

Madame de Villeneuve Magasin des enfants : (la Belle et la bete) Madame Leprince de Beaumont, Paris : Honore Champion, 2008, p.115.

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38

petite, par la famille du marchand pour la sauver de la méchante fée qui

transforma le prince en Bête. Celui-ci n’est autre que le cousin de la Belle.

Le conte se termine avec la réunion de la Belle et la Bête, libérée de son

sortilège, sur la punition de la méchante fée et le retour au Royaume du

prince.

Par sa longueur et son style assez bizarre et dépassé, le conte de Mme de

Villeneuve tombe assez rapidement dans l’oubli. L’œuvre est rapidement

éclipsée par la version de Mme de Beaumont qui reste encore aujourd’hui

la version référence du conte.

2.8. La Belle et la Bête : comparaison entre la version de Mme de Villeneuve

et celle de Mme Leprince de Beaumont

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont reprend l’histoire introduite par Mme

de Villeneuve quelques années plus tard. Elle publie le conte de La Belle et

la Bête en 1756 dans son traité d’éducation Le magasin des Enfants, ou

dialogues entre une sage gouvernante et plusieurs de ses élèves de la

première distinction. Il s’agit de quatorze contes moraux dans lesquels

l’auteur unit féerie et morale, le tout plein de christ ianisme. Dans son

Avertissement du Magasin, Mme de Beaumont reconnait s’être inspirée

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39

d’ouvrages écrits par d’autres auteurs mais en même temps, elle en

disqualifie l’intérêt qu’ils ont suscité :

« Comme j'avais résolu de m'approprier tout ce que je trouverais à mon

usage, dans les ouvrages des autres, j'ai relu avec attention ces Contes, je

n'en ai pas lu un seul que je pusse raccommoder selon mes vues, et j'avoue

que j'ai trouvé les contes de ma mère l'Oye, quelque puérils qu'ils soient,

plus utiles aux enfants, que ceux qu'on a écrit dans un style plus relevé. »20

Le conte est écrit dans une langue simple et il a comme but avant tout

d’éduquer des jeunes anglaises en leur apprenant la langue française. Mme

de Beaumont efface trois longs passages du roman de Mme de Villeneuve.

Il s’agit de la description des enchantements du palais, des nombreux rêves

de la Belle dans lesquels elle aperçoit le prince et la fée qui l’encouragent

à se méfier des apparences et des épisodes concernant le passé de la Bête

et du monde des fées. Mme de Beaumont conserve l’essentiel du conte,

simplifie l’histoire et allège le style littéraire assez prolifique et riche de

Mme de Villeneuve.

Mme de Beaumont a été accusé d’avoir utilisé le texte de Mme de

Villeneuve sans en donner la source et de l’avoir dépuré. En effet elle

20 Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Magasin des enfans ou dialogues d’une sage gouvernante avec

ses eleves, dans lesquels on fait penser, parler, agir les jeunes gens suivant leur gene, et leurs inclinations […]. , Riom, J.C.Salles, Imp.- Libr., 1806, p. 7.

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40

élimine toute référence explicite à la sexualité. Chez Mme de Villeneuve la

Bête demande à la Belle si elle accepte de coucher avec lui ; Mme de

Beaumont, qui écrivait pour de très jeunes enfants a décidé d’en fa ire une

proposition de mariage. Mme de Beaumont supprime donc l’érotisme

contenu dans la version de Mme de Villeneuve. Elle adoucie le conte et

élimine tous les éléments qu’elle considère inutiles ou dangereux pour

l’éducation de ses jeunes filles. Elle exclût toute allusion à l’union sexuelle

de la Belle avec la Bête ainsi que toute allusion à l’érotisme naissant de la

Belle qui tombe amoureuse d’un bel inconnu qu’elle retrouve toutes les

nuits en rêve. Le conte doit être pur, vertueux et moral du moment qu’il a

pour principale fonction d’éduquer de jeunes enfants. Toutes les situations

équivoques décrites par Mme de Villeneuve sont donc omises.

En ce qui concerne la description physique de la Bête, elle décide de rester

vague, en laissant au lecteur la conscience d’imaginer une propre version

du protagoniste masculin. Si, en général, l’auteur reste fidèle au texte

original, elle change de nombreux détails de l’action, mais surtout les

caractéristiques des personnages. En particulier, elle accentue plus

clairement les différences entre la Belle et ses sœurs. Les disparités les plus

évidentes concernent la personnalité de Belle. Chez Mme de Villeneuve,

c’est sous la pression de ses sœurs, qui lui reprochent d’avoir demandé à

son père de lui rapporter une rose, que Belle se décide à se sacrifier pour

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41

son père en allant chez la bête. Même la décision d’épouser le monstre ne

vient pas d’elle-même, c’est le père qui la pousse à ce mariage. Dans la

version de Mme de Beaumont, au contraire, Belle a un caractère

indépendant et déterminé.

Enfin, et surtout, les deux versions diffèrent par leur écriture. En générale

on peut dire que le conte de Mme de Beaumont est plus facile et sobre,

plus concret, proche de la réalité quotidienne et plus moralisant.

Le dessein de Mme de Beaumont est très différent, et son œuvre s’oppose

à celui de Mme de Villeneuve par le ton, la forme et le volume. C’est sans

doute aussi à cause de la qualité de l’écriture que La Belle et la Bête de

Mme de Beaumont est devenue un classique de la littérature et que sa

version supplante celle de l’auteur qui l’a inspirée.

2.9. La Belle et la Bête par Mme de Genlis

Plus tard, Mme de Genlis en a donné une comédie qu’on trouve dans son

Théâtre d’éducation à l’usage des jeunes personnes. Il s’agit de la dernière

adaptation du conte de La Belle et la Bête connue au XVIIIème siècle,

publiée précisément en 1779. Elle est la seule à conserver le titre original

de l’œuvre La Belle et la Bête. Mme de Genlis simplifie la version de Mme

de Beaumont en effaçant les événements qui se déroulent avant la

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rencontre de la Belle avec la Bête. Elle réduit le nombre des personnages

à trois : Zirphée (la Belle), Phanor (la Bete) et Phédime (la servante de

Zirphée qui joue le rôle de guide morale et de porte-parole de Mme de

Genlis). Elle supprime la rose tout comme l’avait fait La Chaussée. Même si

la pièce conserve le titre original, Mme de Genlis laisse paraitre l’influence

des fables orientales à travers les noms de ses personnages. L’amour n’est

plus au centre de l’œuvre chez Mme de Genlis. Les deux héros se montrent

charitables l’un envers de l’autre et Zirphée éprouve plus de la charité pour

Phanor qu’un véritable amour. Mme de Genlis met en scène la bienfaisance

et la vertu, sa pièce est une œuvre morale destinée à l’éducation des

enfants. Elle s’inscrit dans la tradition de Mme de Beaumont. La

transformation du prince en Bête n’est pas justifiée. Phanor reste humain,

il semble défiguré mais il n’a pas l’apparence d’une bête.

La pièce de Mme de Genlis est rapidement traduite en anglais et contribue

sans doute, avec l’œuvre de Mme de Beaumont, à la diffusion européenne

du conte de La Belle et la Bête après la Révolution Française.

Page 43: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

43

Chapitre 3

3.1. Figures et éléments du merveilleux dans le conte de fées.

Le personnage merveilleux par antonomase est avant tout la fée. Le mot

fée vient du latin fata, nom qui désignait les Parques, divinités des Enfers,

maîtresses du destin des hommes dont elles filaient la trame. Au long de

l’histoire ce nom trouve différentes définitions qu’indiquent que la fée n’est

pas nécessairement un personnage bénéfique. Dans un contexte qui mêle

croyance populaire et rationalisme, émerge, dans la tradition littéraire du

conte merveilleux, la figure de la fée la plus célèbre : une dame immortelle

douée des pouvoirs surnaturels qu’elle exerce au profit ou au détriment

des hommes. Les fées peuvent donc punir autant que récompenser – la

Bête a subi une métamorphose par une fée.

À l’époque de Mme de Beaumont, la croyance en l’existence des

personnages merveilleux est profondément ancrée. Dans les contes de fées

les éléments symboliques étaient porteurs de magie. On peut identifier le

symbole avec un objet, une image, un mot, un son qui représente quelque

chose d’autre par association ou affinité. Dans le conte de La Belle et la

Bête, dans toutes les différentes versions, il y a des éléments symboliques

qui se répètent. La rose, par exemple, représente la passion amoureuse et

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44

le temps qui s’écoule. D’autres symboles qu’on trouve dans l’histoire sont :

la bague, qui représente à la fois la cohésion, le mariage, l’attachement, la

fidélité (la Bête donne une bague à la Belle pour qu’elle revienne à lui) ; le

miroir, qui met en communication le château de la Bête et la maison de

Belle ; le coffre, métaphore du cœur d’or de la Bête caché sous une armure

de cuir. Ou encore, le château enchanté, qui représente le corps dont la

Bête est prisonnière, mais aussi la richesse qui lui appartient ; enfin, le foret,

c’est un lieu de découverte, qui n’a pas des frontières, ténébreux, qui inspire

l’inquiétude et la terreur.

Les trois personnages principaux sont la Belle, son père Maurice et la Bête.

La présence d’un personnage aux caractéristiques bestiales dans ce conte

s’explique par l’adhésion de l’auteur à une longue tradition narrative

présente déjà dans les mythes de l’antiquité ou dans les récits médiévaux.

Au même titre que les objets magiques, les animaux étaient souvent insérés

dans les contes de fées afin de souligner la nature extraordinaire de

l’histoire, ils faisaient partie intégrante de l’action. Le caractère qui met en

commun les humains métamorphosés en animaux, comme la Bête, et tous

les animaux qui remplissent ces récits, est la capacité de parler, raisonner

et aimer. Pour les héros bienveillants, il s’agit d’une transformation

temporaire, elle devient au contraire irréversible lorsqu’il s’agit de punir un

méchant. C’est le cas des sœurs de la Belle qui dans le conte sont

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transformées en pierres, elles sont punies par leur méchanceté. La

transformation d’un homme en animal est douloureuse surtout parce que

ceux qui sont transformés conservent leur esprit et leur intelligence mais

ils sont éloignés du monde par leur déchéance physique. Plus l’apparence

extérieure est méprisable, plus dure est l’épreuve à supporter.

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46

Chapitre 4

4.1. La Belle et la Bête : adaptations cinématographiques. Conversion du

texte en film.

Qu’est-ce que c’est l’adaptation ?21 Le dictionnaire Le Robert, la définit

comme : 1- « La traduction très libre d’une pièce de théâtre, comportant

des modifications nombreuses qui la mettent au gout du jour » ; 2- « La

transposition à la scène ou à l’écran d’une œuvre narrative ; 3-

« Arrangement ou transcription musicale22 ».

Donc ce mot ne désigne pas uniquement le passage d’un récit littéraire ou

d’une pièce théâtrale à un film. Cette pratique s’étend également dans les

domaines de la musique, de la danse ou des bandes dessinées. On trouve

aussi d’exercices inverses, c’est-à-dire la réécriture des romans après des

pièces théâtrales ou des films. De toute façon, le passage au cinéma des

récits écrits est l’exemple le plus fréquent d’adaptation. Généralement, les

adaptations ont lieu pour deux raisons : soit pour expérimenter une

nouvelle technique d’exécution ou une nouvelle forme d’art, soit parce que

21 Lu Shenghui, Transformation et réception du texte par le film, Bern, P. Lang, 1999.

Jeanne-Marie Clerc, Monique Carcaus- Macaire, L’adaptation cinématographique et littéraire, Paris, Klincksieck, 2004.

22 Rey-Debove, Josette, Dictionnaire du français, Paris, Le Robert : CLE international, 1999.

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le publique est différent, nouveau par rapport à celui de l’œuvre originelle.

Le problème principal qui se pose avec l’adaptation est de comprendre

comment se réalise une transposition d’un énoncé en une représentation

iconographique, quelles sont les correspondances entre un système et

l’autre. Les éléments du texte originaux impliquent des interactions

complexes avec le nouveau médium iconique et aussi avec le milieu social

et culturel dans lequel la nouvelle version s’insère 23 . Dans le cas de

l’adaptation cinématographique, les modifications sont qualitatives et

quantitatives. L’œuvre est modifiée selon les relations avec le contexte

historique différent et aussi selon un nouveau type de public.

L’adaptation cinématographique des œuvres littéraires pose des problèmes

qui ne concernent pas seulement la fidélité des images au texte24. Cette

pratique impose, à travers le moyen de la caméra, des contraintes qui

obligent l’histoire à acquérir des significations nouvelles.

Il faut considérer le rapport entre la représentation du temps et la

concaténation des images ; il faut tenir compte de la fonction narrative des

personnages et de leurs représentations sur la scène ; enfin, du scénario et

du rythme de la reproduction. Cette comparaison entre les mots et les

images souligne que ce qui arrive en réalité dans le passage de l’œuvre

23 Jeanne-Marie Clerc, Monique Carcaus- Macaire, L’adaptation cinématographique et littéraire, Paris,

Klincksieck, 2004. 24 Neil Sinyard, Filming literature: the art of screen adaptation, London, Croom Helm, 1986

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littéraire au film c’est le conflit entre deux conceptions du monde et une

quête d’identité. Les images donc, dans la tentative de représenter

autrement la réalité, exigent des signes mais aussi des significations

différentes par rapport à l’œuvre originelle, c’est-à-dire un sens nouveau.

4.2. Jean Cocteau et sa version de La Belle et la Bête.

À notre époque c’est surtout grâce au film de Cocteau du 1946 que le

conte de La Belle et la Bête reste dans la mémoire collective européenne25.

Cocteau dans l’adaptation de ce conte s’inspire dès le début du film à la

version de Mme de Beaumont. En transposant le conte au cinéma les

transformations principales concernent : le récit, les personnages en

générale et les symboles. Si dans le conte le raconte est linéaire, c’est-à-

dire début, déroulement, dénouement et fin, dans le film il n’y a pas une

logique temporelle : le temps peut être accéléré ou ralenti, on peut avoir

des actions qui se développent dans le même instant, ou encore des flash-

back. Si on analyse l’expression des sentiments, on trouve dans le conte

une morale qui unit la bonté et la beauté et qui exalte la vertu comme

moyen pour rejoindre le bonheur parfait. Dans le film, on retrouve les

25 Jean Cocteau, La Belle et la Bête : journal d’un film, Paris, J.B. Janin, 1946.

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49

qualités morales symboliques des personnages et des dialogues constitués

d’énoncés courts et précis qui rappellent la brévité du récit originel. Enfin,

au sérieux du conte, Cocteau a ajouté de l’humour dans les dialogues et

les attitudes des personnages. En ce qui concerne les personnages dans le

récit, ils n’ont pas un nom véritable, mais seulement un archétype de la

beauté et de la bonté.

Cocteau modifie avant tout le système des personnages. Belle, jeune fille,

simple, très jolie, généreuse, honnête, patiente, modeste, loyale et asservie

à sa famille. Si dans un premier moment elle est effrayée par la Bête et la

première fois qu’elle la voit elle s’évanouit, après l’avoir connu, elle

reconnait ses qualités humaines qui vont au-delà de son apparence. Tout

en se méfiant de son animalité, elle se promène avec lui et essaie de se

mettre à sa place.

Dans le film Belle a deux sœurs, Adélaïde et Félicie, et un frère, Ludovic.

Ses sœurs sont égoïstes, stupides, manipulatrices, superficielles et

méchantes. Leur présence dans le film sert à accentuer les qualités positives

de Belle. Ludovic est un garçon sans caractère, inattentif et versatile. Il n’a

pas d’argent.

Il y a un nouveau personnage aussi : Avenant, dont le nom représente sa

qualité principale. Il est un ami de Ludovic et il aime Belle. Dans le conte,

Belle a plusieurs prétendants qui restent toutefois mystérieux ; Cocteau fait

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d’Avenant le seul candidat qui veut épouser Belle. Mais Belle, dans toutes

les deux versions refuse de s’épouser pour rester avec son père et l’aider.

Avenant, à la fin du film, poussé par le désir de s’enrichir, se glisse dans le

pavillon de Diane, qui se trouve près du palais de la Bête, en entrant par

le toit. La statue de Diane qui se trouve à l’intérieur, s’anime et frappe avec

une flèche Avenant qui tombe et meurt en prenant les apparences de la

Bête, et, au même moment, la Bête, qui retrouve son apparence humaine,

prend son aspect. Quant à la Bête, dans le conte elle est abstraite,

terrifiante, horrible, elle n’a pas des vêtements, un visage et un corps.

Cocteau la représente en utilisant le maquillage, qui rend le monstre

concret et vivant. Il a un visage bestial et humain à la fois, il porte des

vêtements précieux qui lui donnent un aspect noble et civil, et il alterne

une conduite animale et majestueuse. Il est terrifiante fragile et vulnérable

à la fois. S’il se montre sans cœur avec le père de Belle, il se démontre

attentif et amoureux face à la Belle. Il tombe amoureux de Belle la première

fois qu’il la voit et il lui fait sa demande de mariage pendant le premier

diner. Dans le film Cocteau représente plusieurs fois la Bête qui lutte contre

sa nature bestiale ; cette nature lui empêche de vivre un amour réciproque

avec la Belle. Mais il a en elle une confiance totale et il la démontre en la

laissant retourner chez son père, et en lui donnant le gant et la clé du

pavillon de Diane.

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51

Le père est un marchand qui a subi des déboires et a été dépassé par ses

déconvenues. Il est incapable à trouver des solutions aux excès de ses fils.

Belle est la seule à lui être dévouée. Il est le responsable de la perturbation

de l’histoire, en volant une rose pour la donner à la Belle.

En ce qui concerne le déroulement du conte, Cocteau ne le change pas. Il

y a d’abord la description du monde réel, avec la présentation de la Belle

et de sa famille, et après du monde fantastique, le château et la Bête.

Cocteau décide de mêler les éléments réels au monde merveilleux. Le

personnage même de la Bête en est un exemple : ses vêtements, ses

sentiments et sa voix sont humains, au contraire le visage, les instincts et

les mains sont d’un animal. Les lieux de l’action sont principalement la

ferme où habite Belle et sa famille et le château de la Bête.

L’époque n’est pas spécifiée ; on peut seulement supposer d’être entre le

XVIème et le XVIIème siècle si on se réfère aux vêtements ou aux intérieurs

de la maison de la Belle.

Le film commence par un prologue qui a la forme d’un texte écrit à la main.

Il avance lentement pour donner au spectateur le temps de le lire et il se

conclut avec l’expression « Il était une fois… » qui nous introduit au film,

suivie par la signature de Cocteau et d’une étoile.

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L’enfance croit ce qu’on lui raconte et ne le met pas en doute. Elle croit

qu’une rose qu’on cueille peut attirer des drames dans une famille.

Elle croit que les mains d’une bête humaine qui tue se mettent à fumer et

que cette bête en a honte lorsqu’une jeune fille habite sa maison. Elle croit

mille autres choses bien naïves. Un peu de cette naïveté que je vous

demande et, pour nous porter bonne chance à tous, laissez-moi vous dire

quatre mots magiques, véritable « Sésame, ouvre-toi » de l’enfance : Il était

une fois...

Jean Cocteau26

Jean Cocteau donc énonce au début les codes du conte qui a adopté pour

son adaptation du récit de Mme de Beaumont. À travers l’emploi de

l’expression « Il était une fois » Cocteau nous permet d’entrer dans le conte

comme dans le film. Il décide de s’adresser directement au public, « C’est

un peu de cette naïveté que je vous demande… ». Une autre technique

utilisée au début est celle du film dans le film, avec la présence du cinéaste

et de l’acteur principal dans le prologue.

Le sens du magnifique est réalisé par plusieurs éléments. L’aspect

« fumée » de la Bête et de certains personnages (comme les statues de la

cheminée, par exemple) qui donne un état incertain à leur corps et qui

26 Jean Cocteau, Prologue du film, La Belle et la Bête, 1946.

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contribuent à créer une atmosphère irréelle et magique. Ou encore le miroir

qui se trouve dans la chambre de la Belle. « Réfléchissez pour moi et je

réfléchirai pour vous » dit le miroir à la Belle. En effet, le miroir peut

« réfléchir », c’est-à-dire voir plus loin que ce que voient les yeux. L’effet

merveilleux et magique est réalisé aussi avec le maquillage, les chandeliers

de l’entrée du château, le collier que la Bête a donné à Belle se transformant

en corde fumante en changeant de mains, les arbres dans la forêt qui

s’écartent automatiquement au passage et qui révèlent au père de Belle le

château de la Bête etc.

Les objets dans le conte de Mme de Beaumont jouent un rôle narratif

fondamental. Les plus importantes sont : la rose, que Belle demande à son

père, le miroir qui apparait une fois dans le conte lorsque Belle arrive dans

le château et lui permet de voir ce qui se passe en même temps chez son

père ; la bague, qui permet le transport du palais de la Bête à la maison

de la Belle. Au cinéma, Cocteau propose cinq « objets magiques » : la rose,

le miroir, qui montre une réalité que les hommes ne peuvent pas voir ; le

gant, qui permet de se déplacer dans le temps et l’espace ; une clé d’or,

qui ouvre le pavillon de Diane où sont gardées toutes les richesses et les

secrets auxquels on ne peut pas avoir accès ; les candélabres, des bras qui

sortent des murs s’éloignent sur le passage, et les bougies s’allumant par

enchantement. Pour conclure, les statues : peuplent le château de la Bête

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en suivant avec le regard les déplacements des visiteurs, exhalent fumée

ou poussière et contribuent à créer l’atmosphère magique et surréaliste du

film.

Si on analyse les informations présentes à l’intérieur du journal de tournage

de Cocteau, on remarque les contraintes qu’il a affrontées en se

confrontant à un matériau textuel qui doit être adapté au cinéma. Sa

conception du cinéma est celle d’un « artisan » qui doit savoir « organiser

le silence » du texte écrit qui, selon lui, ne doit jamais être second à

l’image27. Il était plus intéressé à la réalité du tournage plutôt qu’au travail

de scénariste et d’adaptateur des textes. Même s’il considérait le cinéma

comme une forme d’écriture, c’était notamment la différence entre les deux

formes d’art qui lui permettait de représenter une chose différente aux

mots. La caméra avait, selon Cocteau, le même pouvoir de la poésie ; toutes

les deux étaient des instruments nécessaires à représenter et à transformer

le monde. L’adaptation du conte de La Belle et la Bête de Mme de

Beaumont exprime sa conception paradoxale selon laquelle la réalité est

messagère du merveilleux. Il traitait l’aspect féerique comme un composant

du quotidien parce qu’il croyait que l’irréel s’insère à l’intérieur de la réalité.

27 Jeanne-Marie Clerc, Monique Carcaud-Macaire, L’adapatation cinématographique et littéraire, Paris, Klincksieck, 2004.

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C’est précisément cette forme irréelle à l’intérieur du réel qui caractérise

l’adaptation de La Belle et la Bête.

Cocteau a été accusé par la critique de ne pas avoir suivi fidèlement

l’intrigue originelle. Un des éléments qui a plus désorienté la critique a été

le personnage d’Avenant, amoureux de Belle mais qui n’est pas digne d’elle.

Au dénouement de l’histoire, lorsque la Bête se transforme en Prince, ce

dernier ressemble bizarrement à Avenant. Pas seulement le public et la

critique, mais même la Belle se démontre aliénée en voyant la Bête très

semblable à son premier prétendant :

« Vous êtes heureuse ?, lui demande-t-il. Et elle répond : il faudra que je

m’habitue.28 »

Cocteau décide de représenter la déception de la Belle pour faire

comprendre au public que, même face aux merveilleux, le cœur humain

reste imprévisible et que le merveilleux réside en réalité dans l’authenticité

profonde et mystérieuse des sentiments. Cela constitue le quotidien de nos

vies. Cocteau a compris que le fantastique se soustrait à toute

représentation concrète ; ce qu’il se propose de décrire à travers la caméra

c’est le monde réel, même dans l’impossibilité de l’enfermer dans une vision

28 Jean Cocteau, La Belle et la Bête, fi lm du 1946.

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claire et logique, afin que nous puissions développer sur lui un nouveau

regard. L’essence du film se trouve dans la relation qui s’établie entre les

images qu’on voit à l’écran et celles qui se trouvent au fond de l’âme de

chacun et qui sont conçues comme les seules indiscutables. En ce sens, le

spectateur devient poète et cinéaste lui-même et fait du film la base de sa

propre représentation du monde.

Le rapport entre les deux représentations de La Belle et la Bête, le conte et

le film, démontre la fidélité de la part de Jean Cocteau qui tient compte en

même temps de l’aspect merveilleux et de la fin moralisatrice du conte.

L’habileté de Cocteau a été de conserver la trame originelle et les qualités

et valeurs morales et symboliques des personnages, tout en donnant à

cette histoire ce qui peut la faire survivre : la magie, les lieux, les situations.

Quelle est le message de ce film ? À travers l’évolution du rapport entre la

Belle et la Bête, Cocteau veut communiquer l’importance de reconnaitre les

êtres vivants au-delà des apparences, dans leurs valeurs morales qui sont

partagés par toute l’humanité. Ce qui compte c’est la beauté morale. En se

développant dans le monde de la fantaisie, ce conte nous présent un

homme transformé en monstre qui se sent en exile de la société mais qui,

à la fin, arrive à être aimé et accepté.

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57

4.3. Walt Disney : modernisation du conte de fées

Le film d’animation La Belle et la Bête de Walt Disney est traditionnellement

considéré comme étant adressé aux enfants ; malgré cela, les adultes aussi

le réputent intéressant parce qu’il montre les différences entre les hommes

et les femmes en société, la nature problématique des normes sociales

concernant les rôles de genre, et les attentes des hommes par rapport aux

femmes. Les contes de fée ont joué et continuent à jouer un rôle

fondamental dans la société. Si certains contes sont moins populaires que

d’autres, et donc racontés moins souvent, toutes les années des nouvelles

versions des contes de fées trouvent leur place dans les librairies, au

théâtre, au cinéma, et aussi à l’intérieur des chansons. Cela arrive parce que

tout le monde retourne toujours à la tradition des contes de fées. Ils

représentent un élément constitutif de la culture populaire qui reflète la

société d’une certaine époque. La large variété des domaines qui étudient

les contes de fées, témoignent leur complexité en tant que documents

sociaux, culturels, psychologiques et littéraires. La complexité des contes

de fées vient de la façon par laquelle les auteurs les utilisent pour aider le

public à surmonter la peur et l’anxiété. Le lecteur, de sa part, a la liberté, la

capacité mais surtout la responsabilité de construire sa propre signification

du conte qu’il lit, comme, en même temps, les auteurs ont le pouvoir

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d’adapter et modifier les textes originaux29. On peut dire que les contes

mettent en question nos idées à propos des morales établies d’avance, déjà

données et fixées. À différence des autres histoires, la morale d’un conte

dépend des circonstances, et elle ne reste pas la même dans le temps. En

changeant les époques, même les sentiments qui animent une société

changent. Les auteurs des contes de fées intègrent les changements dans

la version qu’ils donnent à un conte ancien parce que, même s’ils sont en

train de raconter à nouveau une histoire, toutes les versions nouvelles

constituent une variante inédite et simultanément un nouveau début. Ce

dernier, permet au public de construire de nouvelles interprétations des

contes de fées. Les contes de fées cherchent à nous rassurer que toutes les

choses marchent à la fin ou que nous sommes capables de régler un

problème. En quelque façon, les contes de fées demandent au public de

gérer leur vie à travers le dépassement des difficultés pour devenir maîtres

de leur destinée. Les contes de fées, donc, nous « forcent » à maîtriser

personnellement « et ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps ».

Dans l’adaptation de La Belle et la Bête de Walt Disney, l’attention est

placée en particulier sur la Bête, et cela est démontré dès le début du film

29 Piffault Olivier, Il était une fois … les contes de fées, Seuil, bibliothéque nationale de France, 2001.

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qui commence en racontant le sort de la Bête ; seulement plus tard après

cela, il s’attèle à l’histoire de Belle et de sa famille.

Pour Disney, la chose la plus importante était de rester fidèle à l’esprit du

conte, en cherchant à extraire des éléments appropriés pour un film

d’animation, même si l’œuvre, qui semble simple à première vue, s’est

révélée plutôt difficile. La troupe Disney s’est demandée quel dessein

donner à l’œuvre, quelles caractéristiques et quels éléments conserver et

supprimer30.

La narration de base raconte l’histoire d’une famille où une fille est obligée

à se sacrifier pour réparer une faute commise par son père. La jeune fille,

Belle, vit pendant un certain temps avec une bête qu’elle finit par aimer. Le

pouvoir de son amour transforme la bête en prince qui épouse la jeune

fille. Mais ces éléments ne suffisaient pas pour créer un film d’animation. Il

fallait donc trouver de nouveaux éléments et enrichir certaines pages afin

de produire une intrigue plus attrayante. La trame garde les éléments de

base : le père, Belle et la Bête. En revanche, le reste de la famille est

supprimé. Belle devient fille unique. L’histoire est allégée, tous les éléments

jugés inutiles sont effacés. Pour simplifier l’intrigue, l’histoire s’ouvre

directement sur la métamorphose du prince en Bête puis continue sur la

30 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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60

vie de Belle et de son père au village où ils viennent d’emménager. Le père

de Belle devient un simple inventeur. Il n’est pas question de fortune

envolée, de marchandises perdues ou d’impôts à régler. Dans la version

Disney, Belle et son père vivent dans un humble hameau à l’écart du village.

Une localité typiquement française avec les commerces essentiels à la vie

sociale et culturelle de la communauté : boulangerie, poissonnerie,

boucherie-charcuterie, salon de coiffure, quincaillerie et bibliothèque. On

aperçoit des personnages issus du monde agricole : des fermiers, des

chevaux de traits, des moutons, des poules. Tout comme le conte, l’histoire

du film est placée hors du temps. Il est impossible de savoir précisément

l’année et le lieu exacts où se déroule l’action. De même, l’Age des

personnages n’est pas communiqué, le spectateur déduit par les rares

indices temporels disséminés dans le film que le prince a été transformé à

l’âge de onze ans en bête et que cette situation dure depuis dix ans. La

raison de l’emménagement de Maurice, le père, et de Belle, n’est pas

donnée également. La situation initiale est donc simplifiée à l’extrême pour

être plus efficace. Les quatre personnages principaux nous sont présentés

en moins de dix minutes.

Dans le conte, la Bête offrait plusieurs objets magiques à la Belle. Dans le

film d’animation, trois objets sur les quatre sont supprimés et on se

retrouve que le miroir. L’équipe Disney élimine aussi tout le deuxième acte

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61

où Belle passe ses journées au château et dîne chaque soir avec la Bête. À

sa place, ils introduisent une scène où Belle s’enfuit du château effrayée

par la colère de la Bête. Elle est attaquée par les loups, comme son père

un peu auparavant, au moment où elle traverse le foret. Elle est sauvée par

la Bête qui se blesse au cours du combat pour la sauver. Cette scène

provoque le rapprochement des deux personnages qui partagent

désormais leurs journées entre les promenades, les repas et les lectures de

romans au coin du feu.

Le dernier acte est abordé de manière similaire. Belle s’inquiète pour son

père et demande à la Bête d’aller le retrouver. La différence se situe

essentiellement sur certains détails. Le père n’a pas continué son existence

tranquillement installé dans sa maison ; il est parti à la recherche de sa fille

depuis le moment où il l’a perdue. Elle ne lui rend pas visite mais vient

pour le sauver du froid et de la faim. La Bête se laisse envahir par le

désespoir mais contrairement au conte, son désespoir ne menace pas sa

vie. Belle n’a jamais promis de revenir, inversement que dans le conte. Les

scénaristes trouvent un subterfuge pour faire revenir Belle auprès de la

Bête31. Ils utilisent le rival amoureux, Gaston, pour obliger Belle à sauver la

Bête. Celui-ci s’est mis en tête de tuer la Bête. Belle revient au château et

31 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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avoue son amour à la Bête avant que celle-ci ne meurt. L’esprit tragique

de la scène est respecté dans presque toute sa totalité. L’équipe Disney a

écarté la demande en mariage, en simplifiant ainsi l’histoire d’amour. Le

film d’animation donne à la fin du conte une illustration vivante :

« La Bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle : « Vous avez oublié votre

promesse ; le chagrin de vous avoir perdue m’a fait résoudre à me laisser

mourir de faim ; mais je meurs content, puisque j’ai le plaisir de vous revoir

encore une fois.

– Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle ; vous vivrez

pour devenir mon époux : dès ce moment je vous donne ma main, et je

jure que je ne serai qu’à vous. Hélas ! Je croyais n’avoir que de l’amitié

pour vous ; je sens que je ne pourrais vivre sans vous voir. »

À peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles, qu’elle vit le château brillant

de lumière ; les feux d’artifice, la musique, tout lui annonçait une fête»32.

L’équipe Disney supprime les dernières lignes concernant le retour de la

fée et la punition des sœurs de Belle. L’histoire se termine sur la valse du

couple et le baiser qu’ils s’échangent dans un château ayant retrouvé sa

splendeur. L’enchantement est levé et chaque chose est retournée à la

condition qui précédait la mésaventure du prince.

32 Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Dominique Boutel, Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i llustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989.

Page 63: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

63

Tous les éléments conservés ou supprimés visent à simplifier l’histoire. Le

spectateur doit comprendre rapidement l’histoire et être guidé tout au long

du récit. Les éléments qui ont été conservés soit restent à l’identique, soit

ils subissent une transformation plus ou moins totale afin de mieux intégrer

l’histoire33.

L’élément révolutionnaire du conte qui poussait le père à se déplacer de la

ville à la campagne et inversement, a été effacé, donc il n’y a pas le prétexte

justifiant le départ du père pour la ville et sa rencontre avec la Bête. La

troupe Disney se sert alors du statut d’inventeur de Maurice pour l’envoyer

participer à une foire dans une ville voisine. Ils conservent l’épisode du père

perdu en forêt menacé par des loups. La rencontre est modifiée afin

d’amener directement Belle au château. La Bête enferme le père dans un

cachot obligeant Belle à se déplacer pour le retrouver. Belle accepte de

prendre la place de son père et de vivre dans le château de la Bête. Le

groupe Disney a donc supprimé un autre élément très important, celui de

la rose. Le motif qui symbolisait la faute du père dans le conte n’apparait

plus. Dans la version Disney, le père n’a commis aucune faute hormis celle

de s’être réfugié au château pour y passer la nuit. Au contraire, dans le

conte la rose est l’élément qui autorise la rencontre entre Belle et la Bête,

33 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

Page 64: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

64

elle représente donc un motif essentiel. L’emploi de la rose dans le film

d’animation trouve un emploi différent mais il continue à avoir un rôle

central dans l’histoire. Le motif de la rose est introduit dès le prologue. Une

vieille dame demande asile auprès du Prince et lui offre une rose en

échange d’un abri contre le mauvais temps. Celui-ci refuse, la vieille dame

se transforme en une magnifique fée qui décide de le punir. Elle le

métamorphose en Bête et lui offre la rose qu’il avait refusé auparavant. Ce

n’est donc plus le père qui commet une faute mais bien le prince et la rose

en est le symbole. C’est un rappel constant de l’outrage qu’il a affligé à la

fée. Le temps s’écoule au rythme de l’éclosion de la rose. Chaque chute du

pétale figure la fuite du temps qui passe. La chute du dernier pétale mettra

fin aux espoirs du prince de redevenir humain s’il ne remplit pas les

conditions imposées par la fée. La rose représente un élément prioritaire.

Dans le prologue, lorsque le sort lui est jeté, la Bête reçoit la rose et le

miroir magique. La rose est le symbole du temps qui lui reste pour aimer

quelqu’un et être aimé en retour. Si la rose se fane et meurt, la Bête gardera

son masque pour toujours.

Le deuxième motif à être conservé et transformé radicalement par rapport

au rôle qu’il avait dans le conte de Mme de Beaumont est celui du miroir

magique. À l’origine, le miroir est offert à la Belle par la Bête. Il suffit qu’elle

le désire et ce miroir lui permet de voir le monde, il lui reflète ses pensées.

Page 65: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

65

« Hélas ! dit-elle, en soupirant, je ne souhaite rien que de revoir mon

pauvre père, et de savoir ce qu’il fait à présent : elle avait dit cela en elle-

même. Quelle fut sa surprise ! En jetant les yeux sur un grand miroir, d’y

voir sa maison où son père arrivait avec un visage extrêmement triste. […]

Un moment après tout cela disparut, et la Belle ne put s’empêcher de

penser que la Bête était bien complaisante, qu’elle n’avait rien à craindre

d’elle.34»

Dans la version Disney le miroir est offert au prince transformé en Bête par

la fée. Il symbolise une fenêtre ouverte sur le monde. La Bête recours

régulièrement au miroir pour observer Belle à son insu.

La condamne de la Bête est son apparence horrible qui lui empêche de

sortir du château sans s’exposer à la méchanceté et à la cruauté des

personnes. La Bête conserve le miroir aux cotés de la rose qu’il protège

sous une cloche en verre. Ce sont ses trésors les plus précieux. Lorsque

Belle, par curiosité, s’introduit dans l’aile ouest et décloche la rose, la Bête

se met en colère, elle devient comme folle et s’empresse de mettre la rose

en sécurité.

Un des changements le plus importants et des plus décisifs est celui du

point de vue. Jusqu’ici les versions écrites du conte ont toujours fondé

l’histoire du point de vue de Belle. Pour la première fois l’équipe Disney

34 Leprince de Beaumont Jeanne-Marie, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Dominique Boutel,

Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i l lustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989, pp. 42,43.

Page 66: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

66

décide de situer l’histoire du point de vue de la Bête. Cette idée vient

d’Howard Ashman qui s’est occupé également des changements des

éléments par rapport au conte originel.35

Une autre idée d’Ashman a été celle de transformer les objets magiques

en protagonistes bizarres et amusants. Les précédentes versions utilisaient

simplement des objets enchantés sans visage ni personnalité, ils semblaient

des fantômes se déplaçant dans le château de la Bête, à l’aspect lugubre

et triste. À l’intérieur du château on trouve trois personnages domestiques :

le chandelier Lumière, l’horloge de cheminé Big Ben et la théière Mrs

Samovar qui s’occupent des visiteurs du château, distraient la Belle, calment

la Bête et créent des instants magiques pour ces deux personnages. Walt

Disney souligne l’importance des personnages qui semblent « mineurs »

mais qui, en réalité, contribuent à soutenir l’histoire. Les objets aident le

couple à se former et à évoluer, parce que si le sortilège de leur maitre est

rompu, le leur le sera aussi et ils pourront redevenir humains.

Donner une personnalité à un objet n’est pas une chose facile ; il faut

réaliser un mélange parfait entre les caractéristiques propres à l’objet et les

caractéristiques humaines propres à la personne qui se cache derrière

35 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

Page 67: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

67

l’objet36. Lumière, est le maitre de l’hôtel, il reçoit les visiteurs du château.

En effet il accueille Maurice et permet à Belle de le retrouver, il suggère à

la Bête d’installer Belle dans une chambre plutôt qu’au cachot, puis

d’accomplir son premier acte généraux, c’est-à-dire le don de la

bibliothèque. En outre, il dirige la défense du château face aux villageois. Il

est également conscient de l’importance que l’union entre Belle et la Bête

s’accomplisse librement ainsi il suggère à Big Ben, qui est trop pressant, de

laisser la nature suivre son cours. C’est un personnage très captivant,

toujours de bonne humeur. Son meilleur ami est Big Ben. Les deux objets

s’opposent soit par leurs caractéristiques physiques soit par leurs

caractères. Lumière est longiligne et courageux, Big Ben est corpulent et

flegmatique, plutôt calme ; il est le majordome, il doit s’assurer que tout

est en ordre, il obéit scrupuleusement aux ordres et veille à ce que

personne ne désobéisse. Sa tête est formée par le cadran de l’horloge, les

aiguilles ressemblent à des moustaches. Ses bras sont en réalité deux

petites poignées sur le côté, son corps est formé par une gaine en bois

laissant entrevoir les mouvements du balancier. Ses pieds sont formés par

les quatre extrémités du socle qui lui donnent une allure déséquilibrée.

36 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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68

Le trio est complété par la théière Mrs Samovar, aimable, gentille, serviable,

patiente, elle prend le rôle d’une vraie mère de famille ; elle est une

cuisinière qui offre toute sa tendresse à tous les habitants du château. Elle

calme l’agressivité de la Bête et allège les tensions entre Lumière et Big

Ben. Elle aide Belle à se sentir à l’aise. En ce qui concerne son aspect, Mrs

Samovar n’a ni bras ni jambes. Sa tête est constituée du récipient entier, le

couvercle de la théière lui sert de chapeau. Le socle de la théière lui sert à

se déplacer. À ces trois objets s’ajoute le fils de Mrs Samovar, Zip, une

petite tasse de thé, ingénu et innocent, au comportement très enfantin.

Curieux et sympathique, Zip pose beaucoup de questions à sa mère et

s’amuse à faire quelques plaisanteries. Même s’il est petit, Zip participe à

l’action, c’est grâce à lui si Belle est délivrée de la cave et peut arriver à

temps pour sauver la Bête. Tout comme sa mère, il n’a ni jambes, ni bras.

La tasse lui sert de tête. Il se déplace par petits sauts comme le fait Mrs

Samovar.

Ces personnages secondaires n’apportent pas seulement le bonheur qui

manque au séjour de Belle au château mais participent à l’action tout en

amusant le public. En outre, ils connaissent la vraie nature de la Bête, ils

savent qu’elle n’est pas méchante en réalité mais qu’elle se cache derrière

une apparence ombrageuse et grincheuse. Ainsi, ils aident Belle et le

spectateur à reconnaitre sa vraie nature qui se cache derrière un masque.

Page 69: Il était une fois…: la Belle et la Bête à travers les siècles et les arts

69

Un autre personnage introduit par l’équipe Disney est Gaston, prétendant

de Belle. Il a été inventé pour contraster l’amour entre Belle et la Bête. Dans

le conte, les sœurs de Belle jouaient ce rôle, mais du moment qu’elles ont

été éliminées de l’histoire, le nouvel personnage subversif de Gaston a été

introduit. Il s’agit d’un jeune homme, beau, narcissique, comique,

respectable, aimé de tout le monde, l’esbroufeur du village qui doit servir

à expliquer la morale du conte, à nous faire comprendre qu’il faut se méfier

des apparences. En effet, Gaston est en réalité méchant et ignoble. Il

privilégie son aspect extérieur et il passe le temps à contempler sa beauté.

Il n’est pas difficile de comprendre qu’il est sexiste et qu’il a une mentalité

arriérée. Il règne sur le village ; gardien de la taverne et chasseur

expérimenté, il représente la banalisation absolue. Caché dans l’ombre, la

première action qu’il achève est de tuer un oiseau que son acolyte met

promptement dans un sac. Après il montre sa vanité en s’admirant dans le

reflet d’un plat d’argent. Lefou, le compagnon affreux, est sa véritable

image. Lefou se promène avec une dépouille informe dont le seul signe

distinctif est une paire de cornes qui font allusion à la nature diabolique

de son maitre. Même le trône de Gaston a des éléments bestiaux : une

paire de cornes et des peaux de différentes bêtes qui renvoient à la nature

animale de son propriétaire.

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70

Gaston déclare qu’il veut épouser Belle sans lui faire la demande de

mariage d’avance, en la pointant de son fusil peu après avoir abattu

l’oiseau, et il dérobe son livre et le couvre de boue à deux reprises. Enfin,

il la force à se marier avec lui en organisant un complot pour éloigner

Maurice et l’enfermer dans un asile en corrompant un fonctionnaire

improbe. Mais il n’arrive pas à contrôler la situation et il est ridiculisé par

les habitants du village. Ainsi, pour prendre sa revanche il décide de tuer

la Bête. Dans un certain sens, l’équipe Disney nous présent Gaston comme

une « deuxième bête ». Gaston est à envisager en miroir avec le devenir

de la Bête : en dépit de l’apparence bestiale de l’une et de la beauté

extérieure de l’autre, leur évolution respective et l’affrontement final

montrera où se situe la véritable humanité37.

D’un point de vue socio-historique, on trouve ici la prééminence et la

promotion de la masculinité. Gaston est le symbole du traditionnel système

patriarcal selon lequel les hommes dominent les femmes. Gaston est

intérieurement comme la Bête est à l’extérieure. Le destin de la Bête est

une transformation qui efface sa bestialité et lui donne à nouveau un aspect

humain ; au contraire, la punition pour Gaston, en tant qu’être cruel, est la

mort.

37 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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71

La morale que le film semble nous communiquer à travers le personnage

de Gaston est que les hommes doivent contrôler leur masculinité, ou mieux,

changer radicalement leur attitude. En ce sens, le film semble porter le

public à réfléchir sur les normes patriarcales qui renforcent les croyances

selon lesquelles les femmes doivent être soumises aux hommes et sur les

moyens pour s’en libérer.

Si on réfléchit en général sur les personnages de l’histoire, on peut

remarquer que Mme de Beaumont ne décrit presque pas les protagonistes

de son conte, qui sont montrés par leurs qualités morales ; au contraire, la

troupe Disney se focalise sur une description plus détaillée et approfondie

des personnages, à partir de la Bête. Il s’agit du premier personnage à nous

être présenté. Physiquement la Bête parait monstrueuse mais elle ne se

montre pas mauvaise, au contraire, elle révèle un caractère docile. Il s’agit

d’un personnage complexe, qui n’a pas simplement une double nature,

mais qui trouve en lui son propre ennemi. Elle doit lutter contre son

insatisfaction, sa rage et son narcissisme. La Bête se montre féroce et

brutale mais, au fond, elle a du cœur. En effet, elle aurait eu l’occasion de

tuer le père de Belle, par exemple, mais elle l’emprisonne simplement dans

un cachot ; ou encore, elle se démontre douce et attentive par rapport à

Belle. Les yeux de la Bête jouent un rôle fondamental, ce sont eux « qui

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72

laissent deviner la part d’humanité » de la Bête 38 . Ils nous aident à

comprendre la Bête, tout comme ses « mains » et sa façon de se déplacer.

On peut reconnaitre son côté humain lorsqu’il serre Belle dans ses bras,

par exemple ; en ce moment, il se montre attentif, presque timoré et

craintif. L’évolution intérieure de la Bête s’effectue en parallèle avec sa

transformation extérieure. Si au début du film d’animation la Bête, qui porte

seulement un pantalon, se déplace à quatre pattes, après, elle évolue peu

à peu en bipède et s’habille comme un être humain. Et enfin, la

transformation totale de la Bête arrive avec sa mort qui lui donne à nouveau

son aspect humain.

Le deuxième personnage principal introduit est celui de Belle. L’héroïne est

brune, aux cheveux mi- longs, avec des yeux en amande, un peu exotiques,

des sourcils épais et une bouche charnue. Elle est une jeune fille forte et

courageuse, sage et intelligente, intellectuelle aux valeurs affirmées qui

n’hésite pas à sacrifier sa liberté pour sauver son père. Dans le conte, la

Belle lit, joue du clavecin, chante, coude et file. Ici, elle nous est présentée

comme une jeune femme européenne lettrée, perspicace et mûre. Cette

caractéristique particulière lui donne une grande indépendance par rapport

aux hommes et une très grande connaissance du monde. Sa personnalité

38 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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73

singulière et rare lui permet d’aller au-delà de l’apparence repoussante de

la Bête et de voir sa richesse intérieure. À l’égard de la Bête, Belle se montre

ferme, elle est capable de lui tenir tête. Belle se distingue du reste des

habitants du village pas seulement par son amour pour la lecture, parce

qu’elle habite à l’écart du village et par ses vêtements-en effet elle est la

seule fille qui porte une robe très simple et bleue-, mais aussi par son état

d’âme. Dès l’ouverture du film, Belle déclare se sentir enfermée dans un

village dont les habitants lui sont étrangers. Le village est décrit comme un

monde purement attaché aux préoccupations matérielles, que Belle veut

fuir en vivant « autre chose que cette vie ». Cette « autre chose » s’aperçoit

dans l’enthousiasme qu’elle montre en discutant avec le libraire, dont la

mappemonde symbolise son désir de découverte. Le vieil homme qui

travaille dans la librairie, incarne le savoir, une porte ouverte sur le monde.

Belle cherche à intéresser les villageois à la lecture, de les tirer des

occupations quotidiennes qu’ils accomplissent mécaniquement, mais ses

efforts restent vains. Les habitants du village, de leur part, se réputent

énormément loin de cette fille «très étrange ». Ce monde dépourvu d’idées

est souligné par l’image de Belle qui, assise sur une fontaine, tente

d’instruire un troupeau de moutons, dont la signification est éloquente. Les

moutons qui cherchent à manger son livre représentent les villageois qui

s’efforcent d’entraver sa lecture. Elle est consciente de sa différence par

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74

rapport aux autres mais elle démontre de ne pas donner du poids aux

opinions d’autrui ; elle a des aspirations, des projets ambitieux pour son

futur. Après la demande en mariage de Gaston, le désir de s’enfuir de Belle

devient imposant. Se réfugiant dans une énorme vallée, elle chante vouloir

« s’envoler dans le bleu de l’espace », dont la couleur est le même de sa

robe.

La Belle et la Bête ont subi une véritable métamorphose dans le film

d’animation Disney. Tous les deux sont dynamiques et modernes, ils

possèdent un caractère fort qui leur permet de se rapporter sur un même

plan. Même le personnage du père de Belle, Maurice, est changé ; plus

précisément, il n’a plus le rôle fondamental qu’il avait dans le conte. Il n’est

plus la cause de la rencontre entre Belle et la Bête. Celle-ci se fait bien

malgré lui ; il est peint comme un vieil homme enfermé dans un cachot

qui attend la venue de sa fille. Tout à long du film, il n’a pas les capacités

pour sauver Belle, et il n’arrive non plus à convaincre les habitants du village

à l’aider et même à s’occuper de sa santé. Il nous est présenté comme un

homme gentil, de bon cœur, mais aussi faible et influençable. Il se laisse

tromper par Gaston et il ne s’aperçoit pas que la Bête est autre chose qu’un

monstre parce qu’il est incapable de voir au-delà des apparences. L’équipe

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75

Disney l’a surtout employé pour souligner l’amour filial de Belle et pour

donner à l’histoire une touche d’ironie en plus39.

Cependant, ces trois personnages ne sont pas les seuls éléments sur

lesquels le conte se fonde ; il faut aussi rappeler le temps et l’espace du

conte.

En ce qui concerne le temps du conte, l’équipe Disney ne donne pas aux

lecteurs des repères précis. L’histoire s’ouvre sur l’expression « Il était une

fois » qui renvoie à un passé accompli, hors du temps, à un univers

fantastique et perdu, privant le spectateur de la possibilité de connaitre

l’année précise où se déroule l’action. Il s’agit donc d’accepter la réalité

temporelle proposée. Il faut approuver ce monde qui mêle le non-sens et

la réalité. On doit se contenter de recueillir quelques indices dispersés tout

au long de l’histoire. La version Disney continue, par conséquent, la

tradition du conte originel. Malgré son désir de moderniser l’histoire, elle

veut conserver cet aspect du conte, son temps flexible. Ce que nous savons

du prince, par exemple, à partir du prologue, c’est qu’il a été condamné

jeune et qu’il n’est plus en contact avec le monde depuis un certain nombre

d’années. De plus, Lumière nous informe que la malédiction dure depuis

dix ans. Un élément fondamental de l’histoire qui symbolise le temps qui

39 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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s’écoule, c’est la rose, qui se flétrira le jour de vingt-et-un an du prince ;

avant ce jour-là le prince devra être aimé par une femme où il restera une

Bête par toujours. Mais il s’agit seulement des hypothèses que le spectateur

avance et pas des donnés précis ; il est impossible de savoir avec certitude

les âges respectifs de chacun des protagonistes.

L’histoire, en considérant les vêtements et les coiffures, on la situe aux

alentours du XVIIIème siècle. En analysant le moment de l’année pendant

lequel l’histoire commence, si on se réfère à Belle se promenant dans le

village au début du film, par exemple, on peut observer qu’il fait beau

temps, que l’herbe et les feuilles des arbres sont vertes et luxuriantes. On

peut supposer que l’histoire commence à la fin de l’été ; cette hypothèse

peut être confirmée par le départ de Maurice pour la Foire. En effet, lorsqu’il

traverse le foret, les feuilles sont jaunes et presque toutes tombées au sol.

Et au retour de son voyage, le père traverse une tempête de pluie qui le

porte à chercher un lieu où se réfugier, et c’est en ce moment qu’il s’arrête

au château de la Bête. L’automne est arrivé. Ensuite, lorsque Belle arrive au

château pour délivrer son père, il se met à neiger, annonçant l’arrivée de

l’hiver, période pendant laquelle Belle reste au château de la Bête. L’hiver,

saison qui ralentit le monde, est le reflet de la transformation intérieure qui

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77

se produit dans la conscience des deux protagonistes40. Les attentions de

la Belle permettent à la Bête de retrouver peu à peu sa nature humaine et

le feu de la cheminée devient un foyer où s’unissent progressivement les

deux personnages. En laissant Belle retourner chez son père pour le sauver,

la Bête fait preuve de son humanité retrouvée. Le printemps est proclamé

par l’apparition des premières fleurs lorsque Belle se trouve encore au

château avec la Bête et c’est la saison pendant laquelle l’histoire se termine.

En ce cas, on peut supposer que le séjour de Belle au château a duré

presque une année entière.

En ce qui concerne l’espace du conte, en général, on ne trouve pas des

lieux typiques d’un pays ou d’une région, mais l’histoire se déroule dans

des lieux bien précis comme un château, une baraque ou un forêt, par

exemple. Dans le conte de Mme de Beaumont, lorsque la Belle retourne

chez son père elle utilise une bague magique qui la transporte du château

à la maison de son père. La version Disney, au contraire, en restant toujours

dans la simplification et en privilégiant l’aspect réel de l’histoire, maintient

le problème réel des déplacements spatiaux. Ainsi, les protagonistes se

servent du cheval ou vont à pied pour se déplacer d’un lieu à l’autre.

40 Thomas, Bob, Disney's art of animation: from Mickey Mouse to Beauty and the beast, New York: Hyperion, copyr. 1991.

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Les lieux essentiels du conte sont la forêt et la chambre. La forêt est un

lieu qui renvoie à plusieurs images différentes comme celle du danger, de

la peur, de l’inconscient, de l’introspection, de la désorientation ou de la

vulnérabilité. C’est un endroit ténébreux qui suscite l’angoisse et qui est

généralement associé aux sorcières et aux loups. Dans le film d’animation

Disney, la forêt est le lieu où Maurice se perd et où Belle et aussi son père

risquent la mort lorsqu’ils sont attaqués par des loups. Dans la forêt la Bête,

luttant contre les loups pour sauver sa vie et celle de Belle, démontre son

côté animale.

La chambre aussi est un lieu très important. C’est l’endroit choisi par Walt

Disney comme théâtre de la romance qui nait entre Belle et la Bête. Il y a

aussi un balcon où se passent les principaux moments romantiques et le

drame final.

En règle générale donc, le film de Walt Disney conserve l’espace et le temps

utilisé dans le conte tout en ajoutant des détails qui aident à situer l’histoire

dans une réalité contemporaine.

Comme c’était pour le film de Cocteau, le film d’animation Disney s’ouvre

sur un prologue d’environ deux minutes reprenant les marqueurs

spécifiques du conte ; cet élément caractériser le film en le conte : « Il était

une fois » présentant ainsi le film comme un conte lui-même.

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« Il était une fois, dans un pays lointain, un jeune Prince qui vivait dans un

somptueux château. Bien que la vie l'ait comblé de tous ses bienfaits, le

Prince était un homme capricieux, égoïste et insensible. Un soir d'hiver, une

vieille mendiante se présenta au château et lui offrit une rose, en échange

d'un abri contre le froid qui faisait rage. Saisi de répulsion devant sa

misérable apparence, le Prince ricana de son modeste présent et chassa la

vieille femme. Elle tenta de lui faire entendre qu'il ne fallait jamais se fier

aux apparences et que la vraie beauté venait du cœur. Lorsqu 'il la repoussa

pour la seconde fois, la hideuse apparition se métamorphosa sous ses yeux

en une créature enchanteresse. Le Prince essaya de se faire pardonner mais

il était trop tard, car elle avait compris la sécheresse de ce cœur déserté

par l'amour. En punition, elle le transforma en une Bête monstrueuse et

jeta un sort sur le château, ainsi que sur tous ses occupants. Horrifié par

son aspect effroyable, la Bête se terra au fond de son château avec pour

seule fenêtre sur le monde extérieur, un miroir magique. La rose qui lui

avait été offerte, était une rose enchantée, qui ne se flétrirait qu'au jour de

son vingt et unième anniversaire. Avant la chute du dernier pétale de la

fleur magique, le Prince devrait aimer une femme et s'en faire aimer en

retour, pour briser le charme. Dans le cas contraire, il se verrait condamner

à garder l'apparence d'un monstre pour l'éternité. Plus les années passaient,

et plus le Prince perdait tout espoir d'échapper à cette malédiction, car en

réalité, qui pourrait un jour aimer une Bête?»41.

Les principaux éléments de l’histoire, les circonstances de l’enchantement

et les circonstances nécessaires pour arriver à la dissolution du sortilège,

sont présentés à la manière d’un conte. L’histoire s’achève sur une question

adressée directement au spectateur. On comprend tout de suite que la

41 Walt Disney, La Belle et la Bête, film d’animation, 1991.

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Bête sera sauvée et que c’est Belle qui la sauvera. À la fin de l’histoire on

retrouve les vitraux qui ont été utilisés au début, pour illustrer le prologue.

Ceux-ci, qui se montrent presque identiques à ceux du prologue, sont

réintroduits à la fin pour conclure le conte. En ce moment, il n’y a plus de

narration mais une courte chanson qui vient accomplir l’histoire

heureusement :

« Tout comme les étoiles,

S'éteignent en cachette,

L'histoire éternelle,

Touche de son aile,

La Belle et la Bête.

L'histoire éternelle,

Touche de son aile,

La Belle et la Bête.42»

Comme dans le cas des autres adaptations, ce film d’animation inspiré à

l’histoire originelle de La Belle et la Bête, démontre comme un conte peut

être adapté pour correspondre aux besoins du public d’une certaine

époque.

42 Walt Disney, La Belle et la Bête, film d’animation, 1991.

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81

Chapitre 5

5.1. Morale(s) du conte

Les enjeux sociaux et moraux de ce conte sont nombreux. Il faut considérer,

avant tout, la période historique. Le concept de richesse est prédominant.

Au XVIIIème siècle la société se divisait en différentes ordres : la

bourgeoisie, le clergé et le tiers-état. L’argent, qui est évoqué dans cette

œuvre, était au centre même de la société, synonyme de prospérité et de

bonheur. L’incipit de La Belle et la Bête est bien représentatif de cet aspect :

« Il était une fois un marchand extrêmement riche43 ».

Ainsi, lorsque le père perd ses biens, il se trouve obligé, et Belle aussi, à

travailler « comme des paysans » ce qui semble présenté par Mme de

Beaumont comme dépréciatif. Les sœurs, qui se refusent de travailler, sont

rejetées par leurs prétendants lorsqu’ ils apprennent leur pauvreté. Belle,

au contraire, montre une richesse d’esprit qu’elles n’ont pas. Même avant

la perte de ses biens elle a des plaisirs simples, comme la lecture. Elle aide

son père au travail sans discuter. Elle est aussi un modèle de patience et

43 Leprince de Beaumont Jeanne-Marie, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Dominique Boutel,

Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i l lustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989, p.5.

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de dévotion à sa famille. Lorsqu’ elle se sacrifie pour son père auprès de la

Bête, elle accomplit un acte « héroïque ». Toutes les valeurs du conte sont

regroupées dans les dernières paroles de la fée, qui peuvent être

considérées comme une sorte de morale du conte :

« La Belle, lui dit cette dame, qui était une grande fée, venez recevoir la

récompense de votre bon choix : vous avez préféré la vertu à la beauté et

à l'esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même

personne. Vous allez devenir une grande reine : j'espère que le trône ne

détruira pas vos vertus. Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux

sœurs de Belle, je connais votre cœur, et toute la malice qu'il enferme.

Devenez deux statues ; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui

vous enveloppera. Vous demeurerez à la porte du palais de votre sœur, et

je ne vous impose point d'autre peine, que d'être témoins de son bonheur.

Vous ne pourrez revenir dans votre premier état, qu'au moment où vous

reconnaîtrez vos fautes ; mais j'ai bien peur que vous ne restiez toujours

statues. On se corrige de l'orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la

paresse : mais c'est une espèce de miracle que la conversion d'un cœur

méchant et envieux.44 »

La morale de cette histoire consiste premièrement dans le fait qu’il ne faut

pas s’attacher à la beauté pour juger quelqu’un : ce qui conte est d’avoir

une âme bonne, et plus précisément vertueuse.

44 Leprince de Beaumont Jeanne-Marie, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Dominique Boutel,

Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i l lustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989, pp. 69-71.

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83

Ce conte nous fait réfléchir sur l’être et l’apparaitre à une époque dominée

par les préjugés sociaux. Mme de Beaumont nous apprend non seulement

à regarder les êtres humains au-delà des apparences mais aussi à découvrir

la puissance de l’amour et à réfléchir sur notre conduite personnelle parce

que le mensonge et la méchanceté seront punis. La métaphore de la

punition est ici représentée premièrement par la transformation en Bête du

prince ; en second lieu, on trouve les fées qui repoussent les sœurs

méchantes et abattent le malheur sur elles : elles sont transformées en

pierres. Mme de Beaumont se sert de cette transformation, qui rapproche

les sœurs de l’état de la nature, pour souligner l’importance d’être humbles

et la nécessité d’abandonner le superficiel45.

Ce conte, qu’il faut rappeler, a été destiné avant tout aux enfants, nous fait

apprendre une deuxième leçon : il faut accepter de se séparer du foyer et

de l’univers sécurisant auquel il correspond.

Enfin, on peut aussi faire une remarque à propos de la vertu de Belle. Elle

répond aux désirs des hommes, en générale ; elle représente une fille

exemplaire qui fait partie d’une société de type patriarcale. Comme dans

les contes de Perrault, qui ne sont pas neutres mais très chargés

idéologiquement, les contes de Mme de Beaumont véhiculent des normes

45 Piffault Olivier, Il était une fois … les contes de fées, Seuil, Bibliothèque Nationale de France, 2001.

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84

de conduite et de comportements très codifiés. Par exemple, le caractère

rationnel sera attribué à un héros masculin tandis que la folie et l’irrationnel

plutôt à un personnage féminin. De plus, l’héroïne est généralement

associée à un archétype de la femme soumise, pure, très belle, qui s’occupe

du foyer, mais pas très intelligente. Les femmes sont souvent considérées

comme très naïves à la différence des héros qui sont courageux, vigoureux

et font preuve d’astuce pour tromper leur ennemi. Dans les contes de fées,

le personnage du méchant est souvent représenté par une femme. Comme

dans le cas de l’histoire de Cendrillon avec la marâtre et les méchantes

sœurs ou encore de La Belle et la Bête avec les deux sœurs qui se moquent

d’elle.

L’intrigue originelle de La Belle et la Bête a toujours été interprété comme

une image de la condition des femmes et des leurs attentes sociales

pendant le XVIIIème siècle46. Cette idée a été favorite dans une période où

les mariages arrangés étaient très débattues. Les premières versions du

conte, en particulier celle de Mme de Beaumont, présentent l’histoire

comme une façon de montrer aux jeunes femmes comment se conformer

aux normes de la société contemporaine et aux attentes placées sur elles.

Mme de Beaumont se sert du protagoniste féminin, la Belle, pour donner

46 Goncourt Edmond, Goncourt Jules, La donna nel XVIII secolo, Palermo, Sellerio, 2010.

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aux jeunes femmes un modèle auquel se référer47. L’influence de son travail

comme gouvernante à Londres est évidente en la façon ou l’histoire se

présente comme un manuel d’utilisation pour jeunes femmes. L’auteur a

imposé ses croyances or celles de la société en générale aux lecteurs à

travers ses œuvres. En lisant le conte de La Belle et la Bête il ressort que,

selon les normes sociales, les caractéristiques extérieures d’un homme sont

secondaires, tandis que dans une femme l’aspect, la beauté, comptent.

C’est une des leçons enseignées aux enfants. C’est-à-dire que le

personnage de la Belle doit maintenir sa beauté extérieure tout au long du

conte tandis que la fascination de la Bête, et des hommes en générale,

n’est pas indispensable. Toujours en ce qui concerne la leçon sur

l’apparence de Mme de Beaumont, elle semble encourager la soumission

féminine à travers le caractère de la Belle. Dans le conte, les actions de la

Belle semblent motivées par les besoins du père et la situation particulière

de la Bête. La Belle sacrifie elle-même au début du conte afin de sauver la

vie de son père et à la fin elle retourne au château pour sauver la vie de la

Bête. Au lieu de s’engager dans son propre chemin, elle semble transférer

simplement sa soumission du père à la Bête. En décrivant la Belle avec ces

traits particuliers et on se focalisant sur son être au service des désirs

47 Chiron Jeanne, Seth Catriona, Marie Leprince de Beaumont : de l’éducation des filles à La belle et la Bête, Paris, Classiques Garnier, 2013.

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masculins, Mme de Beaumont semble suggérer à ses jeunes lectrices que

pour être une femme idéale, il faut se sacrifier, en renonçant aux besoins

et aux désirs personnels.

Pour conclure, l’histoire semble refléter l’expérience de Mme de Beaumont

en tant que femme qui a été mariée elle-même et en tant qu’institutrice et

écrivain qui s’est occupée, tout au long de sa vie, de l’éducation et de

l’instruction des enfants.

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Chapitre 6

6.1. La femme et son rôle social du XVIIème au XXème siècle.

Le rôle de la femme pendant le XVIIème siècle varie fortement selon

l’appartenance à une précise classe sociale, mais il reste de toute façon

réduit 48 . À l’intérieur de la classe noble, les femmes recevaient une

éducation de base et elles se plaçaient au-dessus de la classe populaire par

leur connaissance des mœurs, aussi bien par un langage élevé que par

l’élégance des leurs vêtements. Les femmes les plus instruites participaient

aux salons littéraires et partageaient les curiosités et les disciplines

intellectuelles ou prenaient part aux débats philosophiques et scientifiques.

Au contraire, si elles appartenaient à la classe populaire, elles n’avaient pas

d’estime. Elles étaient mères et femmes à la dépendance de leur époux.

Ce qui est remarquable, c'est l'attitude de l'opinion publique qui accepte

de voir, sans indignation, les femmes sortir de leur rôle traditionnel, usurper

non seulement les positions masculines mais aussi les titres correspondants.

On reconnaît à la femme noble le droit d'exercer les mêmes fonctions qu'un

gentilhomme. D'autre part, les femmes jouent un rôle dans l'évolution

48 Léon Abensour, La femme et le féminisme avant la Révolution, Genève, Slatkine, 1977.

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littéraire et la transformation des mœurs. Les femmes deviennent l'esprit

de tous les salons. Le goût des femmes fait les lois. Au début du siècle il y

a les ouvrages de Pierre de l'Escale, et ceux du capitaine Vigoureux,

l'Apologie pour les femmes, de Jeanne de Miremont, Le traité de l'égalité

des hommes et des femmes de Mlle de Gournay. En 1665, paraît La femme

généreuse, qui montre que son sexe est meilleur, plus noble et plus vaillant

que l'homme, dédié par Jaquette Guillaume à la duchesse d'Alençon. En

1673 et 1674, Poulain de la Barre fait paraître deux ouvrages capitaux : De

l'égalité des Sexes et De l'éducation des Dames49. Si la plupart de ces

œuvres ne sont que des variations sur des thèmes connus, comme la

fidélité, la constance et la chasteté des femmes et la possibilité pour la

femme de parvenir, par une éducation appropriée, à exercer les mêmes

charges que l'homme et les mêmes droits, la Traité de l'égalité des hommes

et des femmes et les œuvres de Poulain de la Barre, se distinguent et

témoignent de l'heureuse évolution subie par le féminisme50.

S’inspirant de Montaigne et de ses méthodes-universelle enquête et libre

critique, appel au bon sens et à la raison contre toute autorité-, Mlle de

Gournay affirme dans son œuvre que l'être humain n'est ni homme ni

femme mais homme et femme à la fois, les deux sexes se complètent, ils

49 Poullain de La Barre, De l’égalité des deux sexes, Paris, Fayard, 1984. 50 Poullain de La Barre, Poullain de la Barre e la teoria dell’uguaglianza , Milano, UNICOPLI, 1996.

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ne s'opposent pas51. Quant à l'inégalité des esprits, elle est due seulement

à une différente éducation. Selon l'auteur, l'infériorité féminine n'est que

occasionnelle et relative parce que ni la volonté de Dieu, ni celle de la

nature l'ont destiné, mais seulement la volonté toujours changeante de

l'homme. La femme est donc en droit de revendiquer l'égalité avec les

hommes dans tous les domaines. Dans la société, la femme est comme

l'homme idoine aux lettres et aux affaires.

En utilisant un langage plus serré et plus puissant, Poulain de la Barre,

présente à sa façon la même apologie. Ses ouvrages représentent l'étape

la plus importante qu’ait franchie l'idée féministe. Avec lui le féminisme se

manifeste et des discussions scolastiques et des controverses littéraires sont

portées sur leur véritable terrain : l'égalité naturelle de tous les êtres

humains, les droits de la femme comme membre de la société. Ses

ouvrages critiquent un préjugé qui pour universel qu'il soit, ne transcende

pas un examen réfléchi et objectif. En ne se remettant qu’à la seule raison

pour examiner les questions qui divisent les hommes, il présente les

résultats de sa recherche en s’appuyant uniquement sur ses idées claires et

spécifiques52. La raison montre que la prétendue supériorité de l'homme

51 Gournay, Marie Le Jars, Schurman, Anna Maria, Poullain de La Barre, Clarke, Desmond M., The equality of the sexes : three feminist texts of the seventeenth century, Oxford, Oxford University Press,

2013. 52 Poullain de La Barre, Poullain de la Barre e la teoria dell’uguaglianza , Milano, UNICOPLI, 1996.

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90

n'est qu'une usurpation. L'état d'infériorité physique met la femme dans

une position de faiblesse, voilà ce qui a permis aux hommes aux siècles où

régnait seule la force, d'établir leur empire sur les femmes. Plus tard les

historiens, hommes également, ont déformé l'histoire. Le mensonge de

l'histoire officielle a été dénoncé par les féministes. Poulain de La Barre est

leur précurseur. Repoussant comme mensongère l'autorité, Poulain de La

Barre, pour réfuter ses adversaires, fait appel à la nature, à la raison et à

l'observation des faits sociaux. En affirmant que les hommes et les femmes

ne diffèrent que par leur sexe, il déclare que tout esprit, féminin comme

masculin, est susceptible de s'initier aux sciences53. Pourvue du bon sens et

de la logique, toute femme comme tout homme, peut saisir les différentes

sciences. Ce grand principe, trouve, pendant le XVIIème et XVIIIème siècle,

en faveur des femmes son application. S'il suffit de qualités générales pour

réussir dans toutes les sciences, les femmes comme les hommes en sont

susceptibles. Poulain de La Barre affirme que tous, hommes et femmes, ont

le droit de connaître la vérité, puisque l'esprit est en tous également

capable de connaître. Donc il repousse cette distinction entre l'esprit des

femmes impulsif et faible, et celui des hommes, solide et modéré, en

réclamant pour les deux sexes le droit à la vérité. Mais afin que cette

53 Poulain de La Barre, Poulain de la Barre e la teoria dell’uguaglianza, Milano, UNICOPLI, 1996.

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condition soit possible, il est nécessaire de reformer l'éducation. Il faut

abolir la frivolité qui règne dans l'éducation de la femme, pour la remplacer

par une forte et philosophique instruction. Il faut munir la femme des

principes premiers nécessaires à la connaissance de nous-mêmes et à celle

de la nature. Pourvues d'un raisonnement juste et d'un sens équilibré, la

femme pourra aborder les livres et la nature, étudier les différentes

disciplines. Les deux sexes ont le droit de pouvoir bien conduire leurs vies

et de trouver leur bonheur dans la pratique de la vertu. C'est donc

précisément l'infériorité d'instruction qui fait l'infériorité de la femme dans

la famille et dans la société. Puis, Poulain affirme que les femmes ont des

qualités particulières : une éloquence naturelle, patience, promptitude et

sens pratique. Donc, du moment que la femme est naturellement douée

du don de la parole et de la patience, une fois qu’elle possède la

connaissance des sciences, il n'y a rien de plus facile pour elle de

l'enseigner.

Les ouvres de Poulain de la Barre, constituent certainement les apologies

le plus serré pour l'émancipation féminine54. Egalité naturelle des sexes

prouvée par l'identité des cerveaux, combattue par la différence injuste de

l'éducation55.

54 Poullain de La Barre, Poullain de la Barre e la teoria dell’uguaglianza , Milano, UNICOPLI, 1996. 55 Henri Marion, L’éducation des jeunes filles, Paris, A.Colin, 1910.

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92

Pour tous ceux qui observaient les hommes, les femmes paraissaient des

êtres esclaves de leur cœur et de leurs sens. Elles ne sont pas guidées par

la lumière de la raison mais par les impulses du cœur.

Au XVIIème et XVIIIème siècle, la satire reproduisant des femmes qui se

ridiculisaient à cause de leur volonté d’apprendre où parce qu’elles

exhibaient leur savoir acquis, est présente partout au théâtre et dans les

ouvres littéraires. Inférieure à l'homme, la femme, selon Molière, par

exemple, ne doit pas viser à cultiver son esprit de la même façon que

l'homme. Il dénie à la femme le droit à une culture supérieure parce qu'il

est convaincu que la place de la femme est au foyer, et toute occupation

intellectuelle la détourne de ses devoirs d'épouse et de mère. Avec ses

Précieuse ridicules et ses Femmes savantes, il se moque de la femme

savante. Comme Molière, Boileau se montre extrêmement féministe et met

la femme à l'origine du mal.

Le mouvement féministe, qui se développe surtout à partir de la fin du

XVIIème siècle, règne de Louis XIV- qui était extrêmement défavorable au

mouvement féministe, car le triomphe de la monarchie absolue dans le

domaine politique suppose, dans le domaine social, familial, religieux,

moral, le triomphe d'autres conceptions qui sont hostiles à l'émancipation

de la femme- prépare le féminisme du XVIIIème siècle, qui constitue un

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93

des éléments essentiels pour comprendre la position de la question

féminine au siècle suivant.

Les femmes du XVIIème siècle donc, vivaient leur existence en suivant les

règles fixées par les stéréotypes courants, en occupant les rôles de fille,

femme et mère, selon les impératifs sociaux communs56. Pour une femme

il était nécessaire d’être insérée à l’intérieur d’un contexte socio-familial qui

définissait son statut sur la base de ses relations avec un père ou un mari.

En outre, elle était jugée selon son appartenance à une classe sociale

particulière. Une jeune fille vertueuse était considérée une future mère et

femme honnête et attentionnée. La figure maternelle assumait donc un rôle

extrêmement important à l’intérieure d’une famille pour transmettre ses

qualités positives et des principes moraux vigoureux aux enfants, même

s’elle était subordonnée par rapport au mari. Cependant, les croyances

populaires misogynes et l’empreinte patriarcale des institutions, avaient la

tendance à voir la femme comme inférieure à l’homme. L’influence des

conventions sociales était si forte que même les femmes apprenaient à

penser en termes d’une évidente différentiation. Pour renverser les préjugés

construits autour à un parcours culturel différencié entre filles et garçons,

56 Léon Abensour, La femme et le féminisme avant la Révolution, Genève, Slatkine, 1977.

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il fallait avant tout nier l’infériorité du sexe faible et puis, affirmer l’identité

entre l’homme et la femme par rapport au potentiel éducatif57.

Le facteur qu’impliquait le plus les intellectuels sensibles au problème de

la revendication féminine était la religion. La passion avec qui les Puritains

s’efforçaient de dessiner une précise figure féminine, pieuse et vertueuse,

donnait origine à un grand nombre des revendications qui soulignaient

l’assujettissement des femmes par rapport au péché et la domination de

l’homme sur la femme. Comme conséquence de ce type d’idéologie, naquit

la nécessité de l’affirmation d’une éducation qui fournisse une instruction

relative pas seulement à la broderie et à la couture mais aussi à la religion

et aux sciences en générale. Il y avait la conscience de l’existence d’un lien

étroit entre l’éducation et la religion ; la corrélation entre le savoir,

l’éducation et une attitude pieuse et compatissante étaient indispensables.

Surtout de la part de la bourgeoisie, crût la demande d’un plus haut

nombre des écoles. Mais si l’éducation commençait à l’âge de six ans soit

pour les garçons soit pour les filles, elle était plus approfondie pour les

premiers, et plus centrée sur un curriculum de type classiciste58. Les jeunes

filles recevaient les premières bases d’instruction chez elles ; d’habitude,

elles étaient confiées aux attentions de la mère, d’une gouvernante ou

57 Léon Abensour, La femme et le féminisme avant la Révolution, Genève, Slatkine, 1977. 58 Bonatelli Paolo, Lineamenti d’educazione e di storia dell’educazione femminile, Firenze, La Nuova Italia, 1942.

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d’une institutrice qui faisait leçon à domicile. Du moment qu’elles étaient

préparées avant tout pour devenir des bonnes femmes, leur éducation

poursuivait normalement jusqu’à leur mariage. Elles apprenaient à écrire, à

lire, à jouer un instrument, à danser, à chanter et à broder ; tandis que les

garçons étudiaient le latin, le grec et l’hébreu.

La littérature en générale voyait ironiquement toute tentative de supposer

une possible égalité entre l’homme et la femme, ou les efforts d’exalter les

vertus féminines. Même si la question sur l’éducation des filles commence

à se poser dès la fin du XVIIème siècle, surtout après le Traité de l’éducation

des filles de Fénelon, les écrits se diffusent encore plus à partir de la moitié

du XVIIIème siècle. Cette période se caractérise par une explosion de traités

d’éducation destinés aux garçons et sur le début des questions regardant

l’instruction des filles. Mais il ne s’agit pas de donner aux jeunes filles le

même type d’éducation réservée aux garçons ; il était question de former

le « sexe faible » afin qu’il soit prêt pour une vie domestique d’épouse et

de mère. Donc, le débat, ne concerne pas l’égalité d’instruction entre les

deux sexes mais plutôt la position destinée aux femmes en société.

Le XVIIIème siècle, est une période caractérisée par la dominance d’une

société chrétienne. Les mentalités se basent sur des croyances anciennes,

surtout en ce qui concerne les femmes. Le mythe selon lequel la femme a

été créée à partir de l’homme persiste ; sur ce mythe se fonde le

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96

comportement des hommes à l’égard des femmes. Ou encore, en reprenant

la tradition judéo-chrétienne selon laquelle Eve a incité Adam à manger le

fruit interdit, la femme reste le symbole du péché, de la tribulation du genre

humain. Donc les femmes en générale sont cause de plusieurs malheurs.

Elles sont considérées inférieures aussi du point de vue intellectuel et

physiologique-de constitution délicate, trop sensibles et sentimentales, de

nerfs fragiles et de raison limitée-, loin des fonctions sociales et toujours

identifiées avec le foyer, dépourvues de leur individualité59.

C’est au XIXème siècle que les femmes commencent à réagir, à exprimer

leurs opinions, même si elles n’obtiennent pas tout de suite des nouveaux

droits. Elles obtiennent toutefois un statut civil : le contrat de mariage, le

divorce en 1792 (qui sera supprimé en 1816), le droit à l’héritage.

Juridiquement elles n’ont pas de pouvoir ; seulement en 1907, l’épouse

peut disposer de son salaire60.

Même si l’enseignement technique reste destiné aux hommes, les femmes

commencent à être recherchées aussi pour travailler dans les usines pour

faire des travaux mal payés, longs et exténuants. Se développent en même

59 Bonatelli Paolo, Lineamenti d’educazione e di storia dell’educazione femminile, Firenze, La Nuova Italia, 1942. 60 Pieroni Bortolotti Franca, Appunti sulle origini del movimento femminile tra ’800 e ’900: due lezioni e lettere sulla lotta delle donne in Italia e in Europa , Roma: C. Salemi tipografo editore, 1986.

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temps les emplois de service comme les demoiselles de poste, les dactylos,

les institutrices ou les vendeuses.

Les femmes bourgeoises, au contraire, supervisent le travail des

domestiques et s’occupent de l’éducation morale et religieuse des enfants.

Dans les années 1880 se développent les manifestations et les conférences

des féministes qui revendiquent les droits sociaux et civils. Les mouvements

suffragistes font leur apparition61.

Au début du 1900 on trouve les premières avocates, médecins et

professeurs. Marie Curie est la première femme professeur à la Sorbonne

en 1906. Sur le plan des mœurs, les mentalités évoluent aussi. Le modèle

de la femme au foyer disparait et un cinquième des femmes mariées

travaillent. Le « sexe faible » commence aussi à conduire les voitures.

Pendant les guerres elles remplacent les hommes en devenant les « chef

de famille » et elles acquièrent une indépendance sans précédents. Enfin,

il ne faut pas oublier le droit de vote permis aux femmes à partir du 1945.

C’est donc à ce siècle que les femmes commencent à s’insérer dans tous

les secteurs sociaux62.

En revenant aux siècles XVIème et XVIIème, les femmes écrivains qui se

sont battues pour avoir la parole, ont en général consacré leur attention

61 Pieroni Bortolotti Franca , Appunti sulle origini del movimento femminile tra ’800 e ’900: due lezioni e

lettere sulla lotta delle donne in Italia e in Europa, Roma: C. Salemi tipografo editore, 1986. 62 Durand Suzanne Marie, Éducation féminine : chemins nouveaux, Lyon, L’école et la famille, 1949.

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en particulier à la description des héroïnes féminines. L’éloge des femmes

se déroule par la mise en scène des figures féminines qui se distinguent

rarement par leurs qualités extérieures mais qui, au contraire, se

différencient par leurs vertus et intelligence. Les princesses décrites dans

les contes, par exemple, ne sont pas simplement belles et charmantes, elles

sont aussi instruites et capables. Leurs esprits s’exercent dans les domaines

littéraires et artistiques et cette capacité leur permet d’expérimenter leur

sociabilité avec un public vaste dans les différentes occasions mondaines

où dans les salons littéraires. Les héroïnes se démontrent donc féminines

et modernes au même temps.

Une autre particularité des traités féminins de cette époque est leur

caractère paradoxal ; le genre du paradoxe avait connu un grand succès

pendant le XVIème siècle63. En répondant aux critiques injustifiées dont la

femme a fait l’objet, ces textes sont construits sur le renversement de

l’opinion. Cette technique consiste à renverser l’opinion fixée. Dans les

textes féminins la démarche paradoxale prend diverses formes. Et pour

renforcer une position et démontrer l’absurdité des pensées du temps, les

femmes écrivains invoquaient aussi plusieurs autorités, comme Sénèque,

saint Augustin ou même Dieu. Pour être influentes, elles utilisaient toutes

63 Smith, Paul J., Landheer, Ronald, Le paradoxe en linguistique et en littérature, Genève, Librairie Droz, 1996.

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les armes possibles : la caricature, l’appel aux faits, l’usage des mots chargés

affectivement, l’ironie, l’invective, le sarcasme etc. De l’autre côté, la femme

du XVIème siècle cherchait à justifier sa prise de parole en se décrivant

avec des caractéristiques féminines susceptibles d’inspirer la confiance

publique, comme l’honnêteté, la modestie et la simplicité. Elle faisait appel

aux aspects positifs qui produisent l’exercice des sciences, comme par

exemple le perfectionnement de l’âme et un agrandissement de l’esprit. Au

XVIIème siècle on voit se développer la nouvelle tendance à souligner pas

seulement la personnalité morale des femmes, mais aussi leurs qualités

intellectuelles et leurs compétences techniques.

Même si toutes ces protestations et revendications féminines n’ont pas la

même valeur littéraire, elles sont toutes très intéressantes parce qu’elles

nous permettent de comprendre la prise de conscience féministe à ses

origines et elles sont fondamentales dans l’histoire du féminisme français.

De toute façon, les contes représentent le lieu où on voit la rupture entre

la tradition dont ils sont issus et la période historique où ils se sont

développés.

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6.2. Madame Leprince de Beaumont : sa formation et sa mission

éducative adressée au sexe féminin.

Mme Leprince, suite à la morte de sa mère, entre au couvent d’Ernemont

à l’âge de 14 ans. Dès son enfance donc, elle a été suivie et instruite par

des femmes savantes. Inspiré par ces figures féminines, Jeanne-Marie, trois

ans plus tard son entrée dans l’Académie, commence à enseigner la lecture,

l’écriture et la mathématique aux élèves les plus pauvres. Après dix ans au

couvent, elle est introduite à la cour de Lunéville où elle devient l’institutrice

de la princesse Elisabeth-Thérèse et après, elle s’occupe de l’éducation des

princes et princesses pendant le règne du roi Stanislas. En 1748 elle

s’installe à Londres où, pendant des années, elle est la gouvernante d’une

jeune fille noble, Sophie ; en même temps, entre 1757 et 1760, elle publie

plusieurs ouvrages. En 1762 elle part pour Annecy où s’occupe encore de

l’instruction des enfants et de la gestion de ses propriétés jusqu’à sa mort,

en 1780. Après son départ de Londres, toutefois, elle n’a pas arrêté d’écrire ;

au contraires, ses œuvres continuent à paraitre jusqu’à 1779. Même si elle

manque d’instruction scientifique, elle cherche quand-même de mettre à

disposition de ses élèves aussi les matières qu’elle ne maitrise pas mais qui

la passionnent.

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À part ses plusieurs œuvres littéraires, il faut reconnaitre à Mme de

Beaumont sa compétence comme pédagogue et son intérêt marqué pour

l’instruction des jeunes filles. En étant une activiste passionnée pour le droit

à l’éducation féminine, elle écrit afin de faire comprendre aux jeunes filles,

avant tout, et aussi aux mères, aux gouvernantes et aux éducatrices,

l’importance de l’apprentissage, et du raisonnement fait par soi-même64.

En tant que gouvernante, elle savait en première personne les manques du

programme d’études de l’époque destiné aux jeunes filles aristocratiques.

En appuyant les idées qui commençaient à se diffuser à l’époque, elle

croyait en l’égalité des deux sexes devant l’apprentissage de toutes les

matières.

Elle croyait que les femmes ne sont pas juste un ornement, mais des êtres

capables, indépendants et intelligents. Son objectif est donc celui de

soustraire les jeunes filles à l’ignorance et pas de leur donner une éducation

complète, comme celle qui était appliqué au sexe masculin.

Elle vise à former des femmes du monde ayant des connaissances de base

en chaque matière, plutôt que de créer des intellectuelles. Son but donc

n’est pas celui de créer des « femmes savantes ». En sachant ce qui est

important dans la vie d’une femme de son époque, elle utilise son savoir

64 Chiron Jeanne, Seth Catriona, Marie Leprince de Beaumont : de l’éducation des filles à La belle et la bête, Paris, Classiques Garnier, 2013.

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102

pour façonner des femmes modèles qui sachent être avant tout des

parfaites épouses et mères, vertueuses et pas frivoles, mais qui ne se

vantent pas de leurs connaissances. Donc Mme de Beaumont est de l’avis

que la femme doit être instruite mais à un fin seulement domestique,

notamment pour faire plaisir à son mari et pour garantir l’instruction aux

enfants et l’organisation du ménage. Il n’y a pas, selon l’auteur, une

différence entre les capacités des hommes et des femmes quant à

l’apprentissage. De toute façon, sa vision corresponde à la coutume de

l’époque qui exaltait la femme qui s’occupe de l’administration domestique,

de son mari et de ses enfants et qui ne doit pas faire montre de ses

connaissances puisque elles sont avant tout prérogative de l’homme.

En promouvant ce genre de vie apparemment conservative, Mme de

Beaumont a lutté en faveur d’un nouveau rôle pour les femmes dans la vie

privée qui pouvait améliorer leur condition dans la société entière.

Cependant, on peut considérer Mme de Beaumont « une révolutionnaire »

parce qu’elle nous a fourni nombreuses ouvres sur les femmes vertueuses

et comment les imiter ; elle a montré comment quelques fois la vie se

déroule différemment de nos plans, elle a lutté pour donner aux femmes

un nouveau rôle social ; elle a pensé la femme au foyer qu’elle promue,

comme un moyen pour reformer la société à partir de la famille. Elle a

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103

lancé une réforme sociale menée par les femmes bourgeoises et

aristocratiques.

6.3. L’évolution du personnage féminin de Belle dans les principales

versions de l’histoire de La Belle et la Bête.

Dans le conte de La Belle et la Bête Madame de Beaumont nous révèle son

idéal de femme parfaite à travers le personnage de Belle65. Elle décrit

l’héroïne féminine comme une jeune femme sage, honnête,

compassionnant et dévouée. Elle met sa famille, c’est-à-dire, son père,

avant tout-elle se sacrifie pour lui en allant dans le château de la Bête-, elle

a un caractère forte et indépendante-elle démontre de penser par soi-

même et de savoir tenir tête au tempérament bourru de la Bête-, elle se

démontre capable dans le ménage et les petits travaux. En outre, elle est

très intelligente et profonde-elle aime lire, aussi en allant au-delà des

apparences-, mais elle se montre humble et ne se vante jamais. Enfin, autre

élément fondamental pour l’éducation d’une fille à l’époque, elle est

croyante, elle s’adresse à Dieu et prie. Pour mettre en évidence les aspects

positifs de la Belle, Mme de Beaumont la met en contraste avec les défauts

65 Leprince de Beaumont Jeanne-Marie, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Domini que Boutel,

Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i l lustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989.

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104

et l’infériorité de ses sœurs qui sont décrites comme des femmes avides,

superficielles, ignorantes, jalouses, méchantes, insensibles, vaniteuse et

frivoles. Leur méchanceté est punie durement : elles sont transformées en

statues de pierre :

« Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux sœurs de Belle, je connais

votre cœur, et toute la malice qu'il enferme. Devenez deux statues ; mais

conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. Vous

demeurerez à la porte du palais de votre sœur, et je ne vous impose point

d'autre peine, que d'être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir

dans votre premier état, qu'au moment où vous reconnaîtrez vos

fautes ; mais j'ai bien peur que vous ne restiez toujours statues.

On se corrige de l’orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la paresse

: mais c'est une espèce de miracle que la conversion d'un cœur méchant

et envieux.66»

La seule façon pour échapper à leur destin est de se repentir, en

manifestant du regret pour leur comportement à l’égard de la Belle

puisque, selon l’auteur, une femme montre sa valeur aussi en reconnaissant

ses fautes et en démontrant de savoir les corriger et en s’améliorant.

66 Leprince de Beaumont Jeanne-Marie, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Dominique Boutel,

Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i l lustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989, pp. 69-71.

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Dans la représentation du personnage de Belle dans le film du 1946,

Cocteau reste fidèle à l’image donnée par Madame de Beaumont dans le

conte.

En ce qui concerne les autres personnages féminines, il dévalue légèrement

la destinée des sœurs, qui ne se marient pas et ne sont pas châtiées. En se

focalisant sur leur description intérieure, il décrit les sœurs de Belle comme

des êtres moralement discutables, et cet aspect ne fait que mettre en

évidence de plus en plus les qualités distinctives de Belle67.

En ce qui concerne Belle dans le film d’animation Disney, elle semble à

première vue pareille aux premières princesses Disney, des femmes passives

et soumises. En réalité, si on regarde au-delà de son apparence, elle se

montre une des plus extraordinaires héroïnes féminines Disney 68 . À

l’extérieur elle est très jolie, elle a les cheveux bruns mi- longs, les yeux

noisette, les joues roses et une ligne sculptée. Comme la Belle par rapport

à ses sœurs dans le conte, Belle s’oppose dans le film aux femmes de son

village qui occupent le traditionnel rôle féminin, celui qui prévoit que la

femme soit soumise à un homme et passe son temps dans la maison, en

faisant le ménage et en gardant ses enfants. Belle, au contraire, n’a pas

d’intérêt à ce qui la société lui impose en tant que femme, elle rêve une

67 Jean Cocteau, La Belle et la Bête : journal d’un film, Paris, J.B. Janin, 1946. 68 Disney, Walt, La bella e la bestia, Milano : A. Mondadori, 1992.

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vie différente, meilleure ; elle désire voyager à l’aventure. Au début du film,

Belle décrit son histoire préférée, celle où l’héroïne trouve le prince

charmant. Donc, elle affirme de vouloir trouver elle-même l’amour mais

seulement lorsqu’elle est prête et à la condition de trouver l’homme qui

correspond à ses attentes. Les habitants de son village l’incitent afin qu’elle

se marie avec Gaston mais Belle ne pourrais jamais l’épouser. Elle préfère

rester seule et n’avoir pas d’amis plutôt que se compromettre. Elle est un

personnage qui exprime sa féminité tout en étant, en même temps, une

femme forte et autonome. Belle est très intelligente, et son caractère résulte

avant tout de son amour pour la lecture qui lui donne une imagination

active, un vocabulaire étendu et une attitude ouverte. Elle n’a pas peur

d’exprimer son point de vue. Elle n’écoute pas les opinions d’autrui, elle est

très indépendante et elle n’aime pas être contrôlée par un homme. Elle est

aussi très altruiste et généreuse, elle aime prendre soin des autres-dans le

film elle prend la place de son père dans le château pour lui sauver la vie.

On trouve ici que les protagonistes d’un film d’animation Disney

transcendent les traditionnels stéréotypes de genre. À part pour Belle qui

n’est pas une victime des apparences et qui ne peut pas être réduite à une

jeune femme qui se sent incomplète sans un mari, même les personnages

masculins rompent avec la description archétypique utilisée

traditionnellement par les producteurs Disney. Gaston, par exemple, qui est

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107

présenté comme « un type bien », aimé par tous et parfait physiquement,

se révèle en réalité méchant. De l’autre côté, la Bête, qui est représentée

comme un être d’une laideur repoussante, se démontre être « le prince

charmant ». Pour la première fois dans un film d’animation Disney, le

message que les producteurs veulent transmettre au public, c’est-à-dire

que ce qui se trouve à l’intérieur est plus important par rapport à ce qui

est montré à l’extérieur, est renforcé.

Pour conclure donc, Belle représentée par Disney est très différente par

rapport au protagoniste féminin du conte originel. Elle corresponde à l’idéal

de femme moderne qui est extrêmement changés du passé.

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Conclusion

Les différentes versions du conte originel de La Belle et la Bête que j’ai

analysées pendant ma recherche démontrent comment le travail

d’adaptation d’un conte de fée ne soit pas si simple comme on peut

supposer. En effet il ne s’agit pas simplement d’utiliser deux média

différents pour représenter la même histoire mais il faut réécrire le conte

en accordant l’œuvre littéraire à un nouveau type de support. Le résultat

final dépend de la façon où l’histoire originelle est interprétée et modifiée

par les exécuteurs. En outre, afin que l’histoire soit croyable, il faut adapter

les personnages, et quelque fois aussi l’intrigue, à l’époque où se déroule

la nouvelle version.

Le caractère extraordinaire de l’œuvre de Cocteau vient de sa capacité

d’unir le réalisme du cinéma avec le merveilleux, propre du conte. Réalisé

en 1945, le film de La Belle et la Bête maintient l’aspect féerique de l’histoire

originelle -souvenons-nous du château de la Bête, des bras candélabres et

des cariatides vivantes encadrant la cheminée- mais présent aussi un regard

attentif et complet par rapport à la réalité. Certes, on trouve des effets

spéciaux dans le film, mais Cocteau donne au conte une expression

concrète. La composante magique du film de Cocteau repose sur l’union

de deux mondes différents : le pays lumineux et accessible de la Belle et le

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château mystérieux et sinistre de la Bête. À la différence de Mme de

Beaumont, qui n’a pas dû représenter concrètement les personnages et les

choses, Cocteau s’est occupé de créer les personnages, la Bête, par

exemple, de la rendre concrète et animée. Cocteau a su donner à ce

personnage un aspect animal sans le rendre violent où brutal, à tel point

que la Bête arrive à se faire aimer par la Belle mais aussi par le public.

Le principal changement entre le conte de Mme de Beaumont et le film de

Cocteau, avec le film d’animation Disney, se situe sur la volonté des

producteurs de simplifier l’histoire afin de la rendre plus compréhensible

possible et sur la modernisation des personnages. Un autre changement

significatif c’est le point de vue à partir duquel l’histoire est racontée. Dans

le conte de Mme de Beaumont et dans le film de Cocteau aussi, le récit est

exposé à partir du côté du personnage de Belle, tandis que les producteurs

Disney ont décidé de présenter l’intrigue de la perspective de la Bête.

Deux éléments qui unissent les différentes versions de La Belle et la Bête

sont le temps et l’espace. Tout le monde sait que le conte de fées ne

précise jamais le lieu où se déroule l’histoire, qui est toujours lointain ou

imaginaire, ou l’époque, qui est fictive ou trop éloignée, et les personnages

ne peuvent pas être reconnus. En outre, tous les héros doivent

généralement s’éloigner du milieu familial et traverser des lieux particuliers,

souvent magiques, pour acquérir leur identité. C’est le cas de Maurice, le

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110

père de Belle, qui se perd dans la forêt, lieu désert, sombre, dangereux,

adverse, associé aux sorcières, où en général, l’homme découvre son

identité à travers une rencontre avec la peur, la mort et le surnaturel. Le

héros est donc constamment soumis à des épreuves et confronté à ses

propres limites. Dans La Belle et la Bête, la Belle doit s’occuper des travaux

domestiques, tâche qu’elle ne devrait pas exercer ; ensuite, elle s’offre de

prendre la place de son père en se trouvant à se confronter avec la Bête.

Cependant, il arrive toujours à dépasser ces espaces hostiles en allant au-

delà des limites humains, mais la réussite est due à une intervention

magique. Il est rare que l’histoire finisse avec la morte du personnage

principale. La plupart des contes se terminent par récompenser le héros,

qui trouve le bonheur dans l’amour.

« Non ma chère Bête, vous ne mourrez point, vous vivrez pour devenir

mon époux […]. À peine la Belle eut-elle prononcée ces paroles qu’elle vit

le château brillant de lumière, les feux d’artifices, la musique, tout lui

annonçait une fête mais toutes ces beautés n’arrêtèrent point sa vue : elle

se retourna vers sa Bête dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa

surprise ! La Bête avait disparu, elle ne vit à ses pieds qu’un prince plus

beau que l’amour qui la remerciait d’avoir fini son enchantement. 69»

69 Leprince de Beaumont Jeanne-Marie, La Belle et la Bête, avec la collaboration de Dominique Boutel,

Nadia Jarry, Marie-Hélène Larre, Anne Panzani, et Catherine Vialles, i l lustré par Willi Glasauer, Gallimard, 1989, pp. 65-67.

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Le message que les contes de fées donnent aux enfants est que les

épreuves sont toujours surmontées, que les difficultés de la vie sont

inévitables, inattendues et souvent aussi injustes mais qu’à la fin on arrive

toujours au bout de toutes les adversités. Enfin, le conte de fées sert aussi

à rappeler aux hommes qu’ils ne peuvent pas contrôler l’espace et le temps.

Pour conclure, le succès de La Belle et la Bête ne repose pas seulement sur

les féeriques illustrations faites au théâtre où sur les techniques

cinématographiques utilisées par l’équipe Walt Disney pour produire le film

d’animation, il se base surtout sur l’histoire qui, dès le début à fasciné le

public par sa véridicité et par sa morale universelle.

Les variantes de l’histoire originelle que j’ai décidé de prendre en

considération sont seulement les plus célèbres ; l’évolution du conte

originel de La belle et la Bête continue.

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Riassunto

In questo elaborato ho scelto di trattare l’evoluzione della fiaba “La bella

e la bestia” nel corso dei secoli e delle diverse forme d’arte.

Questa fiaba è stata infatti sottoposta a numerosi adattamenti che vanno

dal genere letterario, a quello teatrale, al cinema.

Mi sono proposta innanzitutto di recuperare i miti a cui s’ispira questo

racconto per poi confrontarli con la versione più celebre, quella scritta

da Mme de Beaumont, e con gli adattamenti più significativi che sono

stati creati a partire da quest’ultima. Ho inoltre cercato di comprendere

quali siano state le difficoltà degli autori nella trasposizione del racconto

da una forma d’arte all’altra e quali siano le differenze più notevoli che

hanno segnato ogni passaggio. Infine, ho tentato di capire quali siano

le ragioni del successo universale di questa fiaba.

Ho esaminato solo alcuni dei molteplici adattamenti che sono stati

realizzati fino ad oggi; quelli che, a mio parere, meglio dimostrano

quanto e come la storia sia stata modificata a partire dalle sue origini e

cosa questo lavoro di adattamento abbia comportato.

Il racconto originale de “La bella e la bestia”, nella versione che

conosciamo oggi, fu composto da Mme de Villeneuve e apparve per la

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113

prima volta in Francia nel 1740, all’interno di una raccolta di racconti

intitolata La jeune Américaine et les contes marins. Solamente nel 1757

divenne celebre, dopo che Mme de Beaumont lo riprese, lo modificò e

lo pubblicò all’interno dei suoi Magasin des Enfants.

Mme de Villeneuve venne a conoscenza della fiaba della bella e la bestia

durante un viaggio in nave verso Santo Domingo. Durante la traversata,

ogni passeggero narrava una serie di racconti; quello della bella e la

bestia fu introdotto da una cameriera d’albergo, Mme de Chon. È da

quest’ultima che Mme de Villeneuve riprende gli elementi fondanti della

fiaba. La sua versione può essere suddivisa in due parti: la prima racconta

la storia d’amore tra Bella e la bestia, la seconda è dedicata alla rivalità

tra le fate, alle loro abitudini e alle origini di Bella, figlia di un re e di

una fata.

A causa della lunghezza del racconto e dello stile arcaico, la versione di

Mme de Villeneuve è presto dimenticata e viene eclissata da quella di

Mme de Beaumont che resta ancora oggi l’unico riferimento.

Le origini di questa fiaba sono antiche, risalgono infatti alle prime

trascrizioni di racconti popolari e di favole provenienti dal folklore

italiano e fino ad allora trasmesse esclusivamente per via orale. Ad una

in particolare s’ispira Mme de Villeneuve nel comporre La bella e la

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114

bestia: “Le roi porc” di Straparola. Scrittore pressoché sconosciuto del

Rinascimento italiano, si ricorda in particolare per la raccolta intitolata

“Le piacevoli notti”, composta da 73 novelle e racconti nei quali l’autore

narra di episodi fantastici popolati da animali dotati di poteri

sovrannaturali che aiutano gli eroi a portare a termine la loro missione.

Le roi porc, ad esempio, descrive la metamorfosi di un giovane principe

in maiale. Quest’ultimo ritroverà il suo aspetto umano solo dopo aver

trovato una ragazza che l’ami.

Un’altra fiaba da cui Mme de Villeneuve prende spunto è quella di

Amore e Psiche, composta da Apuleio nel secondo secolo d.C. In questo

caso si tratta di una storia d’amore tra un dio ed una principessa,

contrastata prima dalla diversa “natura” dei due protagonisti e in seguito

dalle numerose prove a cui i due sono sottoposti prima di poter vivere

“felici e contenti”. Si nota una somiglianza tra le due protagoniste

femminili, Psiche e Bella, che devono confrontarsi con una controparte

maschile che non si mostra, che devono “svelare”. Ma mentre Psiche

deve superare numerose prove prima di essere considerata all’altezza di

Amore, Bella deve compiere un viaggio di ricerca interiore per arrivare

alla conquista della saggezza che le permetta di comprendere che la

bestia non rappresenta una minaccia e che la mostruosità si trova negli

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115

occhi di chi osserva. In entrambe i casi, i personaggi negativi disseminati

nei due racconti sono fondamentali non solo per evidenziare le

caratteristiche positive dei protagonisti, ma soprattutto per provocare

l’azione e permettere la conclusione felice della storia.

Riquet à la houppe è un altro dei racconti popolari che hanno ispirato

la storia della bella e la bestia. Scritto da Perrault nel 1697, tratta di una

regina che ebbe un principe molto brutto, Enrichetto, ma dotato di

un’intelligenza straordinaria, di simpatia e di uno spirito vivace. Egli

aveva il potere di donare queste stesse qualità alla persona che avrebbe

amato. Qualche anno più tardi, in un regno vicino, nacquero due

principesse, una bella ma stupida, l’altra brutta ma molto intelligente. La

principessa più bella aveva il dono di regalare la bellezza esteriore

all’uomo che avrebbe amato. Crescendo, tutti gli abitanti del regno

s’interessavano alla principessa brutta ma intelligente, mentre la sorella

veniva lasciata da parte. Un giorno, trovandosi quest’ultima a

passeggiare nel bosco, incontrò Enrichetto che le chiese di sposarla. La

principessa accettò ma a patto che il matrimonio si svolgesse un anno

più tardi. Nel frattempo Enrichetto, innamorato di lei, le donò

l’intelligenza. Dopo che fu trascorso un anno, la principessa ed

Enrichetto si ritrovarono nella foresta dove lei si rifiutò di sposare il

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principe a causa del suo aspetto mostruoso. Enrichetto a quel punto le

ricordò che lei aveva il potere di rendere bello l’uomo che avrebbe

sposato. Così la principessa donò la bellezza al principe, e si sposarono.

Anche in questo caso la morale è la stessa che troviamo nel racconto

della bella e la bestia: non bisogna giudicare qualcuno a partire dal suo

aspetto esteriore; l’amore trasfigura l’essere amato e la nobiltà del

carattere vince sempre sulla bellezza fisica. In entrambe le storie,

ritroviamo gli stessi temi: l’amore, la magia, la bellezza, la mostruosità,

le apparenze e le trasformazioni esteriori ed interiori.

Gli ultimi due racconti antecedenti alla fiaba della bella e la bestia sono

Gracieuse et Percinet e Le serpentin vert. Composti da Mme d’Aulnoy

nel 1698, entrambi riprendono il mito di Apuleio, Amore e Psiche, in

particolare nelle numerose prove compiute dalle eroine delle due fiabe

e dall’intromissione della famiglia all’amore tra i due protagonisti. Due

elementi in comune ai tre racconti sono la figura dell’eroe che rimane

nascosto all’amante fino alla fine, e la curiosità delle eroine che sta alla

base dell’intrigo.

La maggior parte delle versioni successive si rifanno in particolare a

quella di Mme de Beaumont. Jeanne-Marie Leprince de Beaumont si

dedicò, fin da giovane, all’educazione e all’insegnamento delle bambine

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e delle adolescenti che sono cresciute, come lei, all’interno della

comunità d’Ernemont. A partire dal 1736, si occupa della formazione

delle figlie della regina Elisabetta Charlotte presso la corte di Lunéville e

in seguito dell’educazione di trenta fanciulle presso la congregazione di

Notre-Dame. Rifacendosi alle sue esperienze d’istitutrice, nel frattempo

pubblica numerose opere: nel 1756, il Magasin des enfants, poi il

Magasin des adolescents, nel 1760 e in seguito ˝Instructions pour les

jeunes dames qui entrent dans le monde et se marient, leurs devoirs

dans cet état et envers leurs enfants″ nel 1764, ˝Éducation complète″,

nel 1772 et i ″Contes moraux″, pubblicati nel 1779. In queste opere,

l’autrice insiste sull’uguaglianza tra uomini e donne in quanto a

intelligenza, sottolineando inoltre la necessità dello stesso tipo di

istruzione per entrambi i sessi. Il successo che hanno riscontrato le sue

raccolte si basa soprattutto sull’originalità dell’approccio pedagogico

proposto. Dialogando con i suoi alunni, Mme de Beaumont si propose

d’insegnare integrando il divertimento all’istruzione. Le lezioni di storia,

religione, geografia, scienze naturali e fisica, erano accompagnate da

aneddoti, favole e racconti popolari e meravigliosi. Secondo Mme de

Beaumont era fondamentale per gli educatori mettersi a livello dei loro

alunni per poter comprendere di cosa avevano bisogno e per proporre

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118

dei testi adatti alle loro necessità. Mme de Beaumont fu una delle prime

promotrici dell’educazione femminile e si batté affinché le femmine

potessero uscire dallo “stato passivo” a cui erano state da sempre

destinate, imparando così a sviluppare un pensiero autonomo.

Il genere letterario a cui appartiene “La bella e la bestia”, quello delle

fiabe, si è sviluppato negli ultimi decenni del diciassettesimo secolo. I

racconti meravigliosi e quelli popolari, destinati principalmente ai

bambini, diventano un genere molto apprezzato anche dagli adulti. Tra

gli scrittori più celebri che appartenenti a questa corrente letteraria, si

ricordano Perrault e i suoi famosi racconti pubblicati nel 1697 intitolati

“Contes de ma mère l’Oye ou Histoires et Contes du temps passé”, e la

fiaba L’Isle de la félicité, scritta da Mme d’Aulnoy e pubblicata nel 1690.

Tra tutti gli adattamenti della fiaba della bella e la bestia che sono stati

realizzati nel corso dei secoli, quello di Marmontel ebbe un grande

successo. Zémire et Azor è stato realizzato in collaborazione con il

compositore Grétry; si tratta di una commedia in quattro atti, in versi,

mescolata a canti e danze; fu rappresentata per la prima volta nel 1771.

La storia si basa fondamentalmente sulla versione di Mme de Beaumont,

anche nelle caratteristiche dei personaggi, mentre i nomi ed alcune

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119

situazioni riprendono la commedia sentimentale di Nivelle de la

Chaussée, Amour pour Amour. Quest’opera, pubblicata nel 1742,

mantiene gli elementi essenziali della versione di Mme de Villeneuve.

Marmontel cambia il luogo dell’azione, chi situa in Persia, e descrive le

due sorelle di Bella come delle persone gentili, contrariamente alle

versioni precedenti. Quest’opera, che dona al racconto una dimensione

spettacolare grazie all’introduzione di elementi magici - eliminati da

Mme de Beaumont nella sua versione - ebbe un grande successo e

venne rappresentata fino alla fine del diciottesimo secolo.

Più tardi, nel 1779, Mme de Genlis compone una commedia, l’ultima

versione teatrale della bella e la bestia conosciuta durante il diciottesimo

secolo, contenuta nel suo Théâtre d’éducation à l’usage des jeunes

personnes. Fu la sola a conservare il titolo originale e si distinse per aver

semplificato la trama, togliendo degli episodi che si svolgevano prima

dell’incontro tra la bella e la bestia. Ridusse inoltre il numero dei

personaggi a tre: Zirphée (Bella), Phanor (la bestia) e Phédime (la serva

di Bella). Elimina inoltre l’elemento magico della rosa. Significativo più

di tutto è il sentimento che lega i due protagonisti; non si tratta infatti

di amore ma più che altro di carità e affetto.

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L’opera di Mme de Genlis fu tradotta in inglese e contribuì

notevolmente, assieme alla versione di Mme de Beaumont, alla

diffusione de “La bella e la bestia” in tutta Europa.

Nella nostra epoca è soprattutto grazie al film di Cocteau del 1946 che

il racconto resta nella memoria collettiva europea. La trama recupera la

versione di Mme de Beaumont, mentre per quanto riguarda i personaggi

e la logica temporale dell’azione, Cocteau apporta delle modifiche. È

presente una nuova figura maschile, Avenant, amico del fratello di Bella

e suo pretendente. Quest’ultimo, alla fine del film, morirà a causa della

sua avidità prendendo le sembianze della bestia; allo stesso momento,

la bestia, recuperando la sua umanità, assume il suo aspetto.

Una delle difficoltà principali affrontate da Cocteau nell’adattamento del

racconto al cinema è stata la rappresentazione della bestia, che appare

per la prima volta concretamente. Cocteau si serve del trucco e di effetti

speciali per riuscire a rendere la sua mostruosità ma sottolinea allo

stesso tempo la sua componente antropomorfa, mantenendo gli abiti e

la voce umani, oltre ai sentimenti.

Anche in questa versione del racconto, l’epoca non viene specificata; si

può solo supporre di essere tra il diciassettesimo e il diciottesimo secolo.

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L’aspetto meraviglioso del racconto è mantenuto soprattutto attraverso

oggetti magici che popolano il castello della bestia: la rosa, lo specchio,

il guanto, la chiave d’oro, le statue, le candele, la collana ecc.

Ciò che ha stupito maggiormente di questo adattamento fu la capacità

di Cocteau non solo di mantenere la trama originale e la morale del

racconto, ma soprattutto di rendere quotidiano il meraviglioso. L’autore

credeva infatti che l’irreale fosse parte della realtà e che anche

quest’ultima fosse impossibile da fissare definitivamente in quanto ogni

spettatore conserva dentro di sé una sua unica rappresentazione.

Nell’adattamento “La bella e la bestia” di Walt Disney, l’attenzione è

posta in particolare sulla bestia, la cui sorte è raccontata all’inizio. La

storia, pur mantenendo la trama originale, è in generale alleggerita; tutti

gli elementi ritenuti inutili sono cancellati. Considerando i personaggi,

quelli principali sono Bella, suo padre e la bestia. Una nuova figura

maschile è Gaston, pretendente di Bella che in un certo senso sostituisce

le sorelle dell’eroina svolgendo il ruolo di colui che cerca di impedire

l’unione tra i due protagonisti della storia.

Anche in questa versione il tempo e il luogo non sono specificati, come

anche l’età dei personaggi. Bella e suo padre vivono in un villaggio

dall’aspetto tipicamente francese, mentre la bestia vive in un castello

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nella foresta. Sempre con lo scopo di semplificare la storia, nella versione

Disney la maggior parte degli elementi magici è eliminata: ritroviamo la

rosa e lo specchio. Quest’ultimo permette alla bestia di vedere cosa

succede al di fuori del castello e di controllare Bella, la rosa segna invece

il passaggio del tempo. Prima che la rosa abbia perso l’ultimo petalo, la

bestia deve riuscire a farsi amare, altrimenti conserverà questo aspetto

animale per sempre.

Uno dei cambiamenti più significativi introdotti dalla Disney è la

trasformazione degli oggetti magici in personaggi divertenti e bizzarri.

Le versioni precedenti utilizzavano semplicemente degli oggetti incantati

senza personalità. In questo adattamento troviamo invece tre

personaggi: un candeliere, un orologio e una teiera. Questi ultimi

aiutano la Bella e la bestia a superare tutte le difficoltà e ad avvicinarsi

tra loro, contribuendo ad una conclusione felice della vicenda.

Per concludere, “La bella e la bestia”, e gli stessi protagonisti, hanno

subito una vera e propria evoluzione dal racconto originale fino alla

versione cinematografica della Disney. Pur restando fedeli alla fiaba

presentata da Mme de Beaumont, i personaggi sono stati modernizzati,

gli eventi adattati ad un epoca più recente e la trama è stata in generale

semplificata in modo da facilitarne la comprensione anche ai più piccoli.

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Bibliographie

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