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mum de 36 épreuves – mais souvent beaucoup moins – on n’en trouve pas deux identiques, ce sont toutes des épreuves d’artiste. Lequel a aussi été un jeune graveur extraordinaire, capable de la même maîtrise que Dürer dans un auto- portrait en 1955, et qui continue à graver aujourd’hui. Actuellement, il travaille sur quelque chose de très émouvant, de très beau: une femme jaillissant des vagues.» Cet alchimiste couru dès la Docu- menta de 1972 à Kassel, vu avec ses gra- vures dès 1990 au MoMA à New York, ce peintre souvent rapproché des hyperré- alistes, ce saisissant lecteur des traits de Patti Smith, Luciano Castelli, Markus Raetz comme d’anonymes, l’accrochage veveysan va le chercher aux prémices de sa mise au point technique, dans les an- nées 1980. «On a voulu cette exposition panoramique, donnant des points de Le Musée Jenisch, grâce à la Collection Nestlé mais aussi du dépôt d’une collection particulière, conserve plusieurs pièces de l’artiste bernois comme cette «Natascha IV», 1987-1988, xylographie (232,5 x 182 cm), épreuve en bleu et chair. D’ abord… elles forcent au recul, un réflexe face à la majesté. Mais aussi une question d’échelle et surtout l’effet d’un silence qui s’impose. Prégnant. Contemplatif. Subjectif. Empreintes d’une hypersensi- bilité humaine ou naturelle, les xylogra- phies de Franz Gertsch monumentalisent la présence. Des visages s’élevant sur plus de deux mètres de haut. Des cours d’eau noire courant sur cinq mètres de large. Puis… vient le temps du détail, irrésis- tible parce qu’attisé par la curiosité. On s’approche. On scrute la naissance de cette sensation de réel, l’origine de cet éclat si vivant dans les regards, le souffle si altier d’une feuille de pétasite blanc. D’où viennent-ils? Quelle est cette rare magie? Au-delà de l’ample intériorité d’un médi- tatif, elle peut se résumer au faire! Ou en d’autres mots, à la virtuosité d’un artiste saisissant la fugacité d’un instant mais œuvrant avec le temps, son savoir, sa pa- tience, sa lenteur. Il s’expose au Musée Je- nisch à Vevey, une rare opportunité de voir les gravures de ce Bernois de 87 ans Avec sa gouge, il transperce les filtres du réel Rare et plus rare encore en Suisse romande, le Bernois Franz Gertsch, 87 ans, offre une pause hors du temps et grand format au Musée Jenisch à Vevey en Suisse romande. Vingt-deux estampes et une technique! Du geste gravé à celui de l’impression, elles se fient à la seule main de Franz Gertsch ré- interprétant sur bois le savoir-faire du «cribé» ou l’art du XVe siècle de piquer le cuivre d’infimes points à l’aide d’une gouge. Essaimés par constellations, nuées ou densités, ces points modèlent, ils com- posent, ce sont eux qui disent l’essence. La matrice prête pour l’encrage, la main l’ac- compagne puis le temps de l’impression venu, c’est elle encore qui maîtrise mais cette fois aidée d’autres, vu l’ampleur de la tâche s’étendant sur des formats de plu- sieurs mètres. C’est cette main qui masse la feuille de papier japon, qui dicte ses pres- sions et passe le temps nécessaire à l’égali- sation de la couleur. Avantage à l’être et à la nature «Dans notre monde des technologies visuelles, le pixel est l’unité qui définit l’image, chez Gertsch, c’est un geste qui fait des trous… ou pas! Et au moment de l’impression, les rythmes, les sensations, les encrages diffèrent d’une feuille à l’au- tre, glisse Rainer Michael Mason, l’auteur du catalogue raisonné et commissaire de l’exposition veveysanne. Sur un maxi- Florence Millioud Henriques Si Franz Gertsch fait ses premières gravures dans les années 1950, c’est à partir de 1986 qu’il met au point sa technique propre utilisée notamment dans «Vera», 1994, xylographie (91 x 105 cm) épreuve en brun gris sur papier japon. COLLECTION PARTICULIERE Exposition Franz Gertsch portraitise la nature comme dans «Schwartzwasser II», 1993-1994, xylographie (202 x 549 cm). En c

il transperce les filtres du réel · la même maîtrise que Dürer dans un auto-portrait en 1955, et qui continue à graver aujourd’hui. Actuellement, il travaille sur quelque

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Page 1: il transperce les filtres du réel · la même maîtrise que Dürer dans un auto-portrait en 1955, et qui continue à graver aujourd’hui. Actuellement, il travaille sur quelque

24 heures | Vendredi 27 octobre 2017

VLX

mum de 36 épreuves – mais souventbeaucoup moins – on n’en trouve pasdeux identiques, ce sont toutes desépreuves d’artiste. Lequel a aussi été unjeune graveur extraordinaire, capable dela même maîtrise que Dürer dans un auto-portrait en 1955, et qui continue à graver

aujourd’hui. Actuellement, il travaille surquelque chose de très émouvant, de trèsbeau: une femme jaillissant des vagues.»

Cet alchimiste couru dès la Docu-menta de 1972 à Kassel, vu avec ses gra-vures dès 1990 au MoMA à New York, cepeintre souvent rapproché des hyperré-

alistes, ce saisissant lecteur des traits dePatti Smith, Luciano Castelli, MarkusRaetz comme d’anonymes, l’accrochageveveysan va le chercher aux prémices desa mise au point technique, dans les an-nées 1980. «On a voulu cette expositionpanoramique, donnant des points de

paraissent, évanescents, avant dese dérober dans un écrin délimitépar deux néons. Déjà l’imaginairese met en route. Qui sont ces deuxpersonnages qui se dessinentlentement? Ils s’appellent Lucas

et Victor. Entre eux se tisse une re-lation d’amitié fraternelle, entrejeux enfantins, rites d’initiation etsoutien mutuel.

La grande réussite du specta-cle réside dans ce subtil équilibre

Dans Hocus Pocus, le chorégraphe Philippe Saire s’est inspiré du Grand cahier, d’Agota Kristof. PHILIPPE PACHE

Culture & Société

Le Musée Jenisch, grâce à la Collection Nestlémais aussi du dépôt d’une collection particulière, conserve plusieurs pièces de l’artiste bernois comme cette «Natascha IV», 1987-1988, xylographie(232,5 x 182 cm), épreuve en bleu et chair.

D’abord… elles forcentau recul, un réflexeface à la majesté. Maisaussi une questiond’échelle et surtoutl’effet d’un silence

qui s’impose. Prégnant. Contemplatif.Subjectif. Empreintes d’une hypersensi-bilité humaine ou naturelle, les xylogra-phies de Franz Gertsch monumentalisentla présence. Des visages s’élevant sur plusde deux mètres de haut. Des cours d’eaunoire courant sur cinq mètres de large.

Puis… vient le temps du détail, irrésis-tible parce qu’attisé par la curiosité. Ons’approche. On scrute la naissance decette sensation de réel, l’origine de cetéclat si vivant dans les regards, le souffle sialtier d’une feuille de pétasite blanc. D’oùviennent-ils? Quelle est cette rare magie?Au-delà de l’ample intériorité d’un médi-tatif, elle peut se résumer au faire! Ou end’autres mots, à la virtuosité d’un artistesaisissant la fugacité d’un instant maisœuvrant avec le temps, son savoir, sa pa-tience, sa lenteur. Il s’expose au Musée Je-nisch à Vevey, une rare opportunité devoir les gravures de ce Bernois de 87 ans

Avec sa gouge, il transperce les filtres du réel

Rare et plus rare encore en Suisse romande, le Bernois Franz Gertsch, 87 ans, offre une pause hors du temps et grand format au Musée Jenisch à Vevey

en Suisse romande.Vingt-deux estampes et une technique!

Du geste gravé à celui de l’impression, ellesse fient à la seule main de Franz Gertsch ré-interprétant sur bois le savoir-faire du «cribé» ou l’art du XVe siècle de piquer le cuivre d’infimes points à l’aide d’une gouge. Essaimés par constellations, nuées ou densités, ces points modèlent, ils com-posent, ce sont eux qui disent l’essence. Lamatrice prête pour l’encrage, la main l’ac-compagne puis le temps de l’impression venu, c’est elle encore qui maîtrise mais cette fois aidée d’autres, vu l’ampleur de la tâche s’étendant sur des formats de plu-sieurs mètres. C’est cette main qui masse lafeuille de papier japon, qui dicte ses pres-sions et passe le temps nécessaire à l’égali-sation de la couleur.

Avantage à l’être et à la nature«Dans notre monde des technologiesvisuelles, le pixel est l’unité qui définitl’image, chez Gertsch, c’est un geste quifait des trous… ou pas! Et au moment del’impression, les rythmes, les sensations,les encrages diffèrent d’une feuille à l’au-tre, glisse Rainer Michael Mason, l’auteurdu catalogue raisonné et commissaire del’exposition veveysanne. Sur un maxi-

Florence Millioud Henriques

Si Franz Gertsch fait ses premières gravures dansles années 1950, c’est à partir de 1986 qu’il met au pointsa technique propre utilisée notamment dans «Vera», 1994, xylographie (91 x 105 cm) épreuve en brun gris sur papier japon. COLLECTION PARTICULIERE

Exposition

Franz Gertsch portraitise la nature comme dans «Schwartzwasser II», 1993-1994, xylographie (202 x 549 cm). En croisant portraits et paysages, l’exposition veveysanne insiste sur cet art de voir. COLLECTION DE L’ARTISTE

Une danse fraternelle enchante le Petit Théâtre

La danse contemporaine, inacces-sible pour les enfants? Hocus Pocus (Abracadabra en anglais)! D’un coup de baguette magique, le chorégraphe Philippe Saire a brodéun spectacle enchanteur au Petit Théâtre (en tournée du 24 au 30 nov. à l’Echandole, à Yverdon, puisles 2 et 3 déc. à l’Oriental-Vevey).

Dans cette partition pour deuxdanseurs, le chorégraphe réutilisehabilement le dispositif de Va-cuum (à revoir le 29 nov. à l’Echan-dole). Des fragments de corps ap-

entre abstraction et une toile nar-rative minimale offrant des clésde lecture aux jeunes specta-teurs. Ainsi, on se crée tout unmonde dans cette scène où Lucasplonge dans les tréfonds océa-niques peuplés d’étranges créa-tures: une sirène aux cheveuxd’argent, des méduses déployantleurs fils et ce monstre des mersaux dents acérées, qui gobe ledanseur avant de lâcher un rot.Sur la rive, Victor attend, inquiet.Non, on ne vous dévoilera pas lafin! Natacha Rossel

Lausanne, Petit ThéâtreJusqu’au 5 nov. (dès 7 ans)Rens. 021 323 62 13www.philippesaire.ch

CritiqueLe chorégraphe Philippe Saire a brodé un spectacle esthétique et poétique

Repéré pour vous

Hommage à Philippe RahmyLors de la fête de finissage des40 ans des Editions d’En Bas,samedi à Lausanne, un hommageà Philippe Rahmy figurera au pro-gramme. De 16 à 17 h se déroule-ront des lectures et part-ages autour de l’écrivainromand disparu au dé-but octobre, auteur deBéton armé, Allegra oudu récent Monarques.Un débat suivra à 17 h surson livre Propositions dé-mocratiques et surUtopies du XXIe siècle deLibero Zuppiroli, avecIsaac Pante, Jean Rich-ard et Pascal Cottin. En

plus des versions bilingues fran-çais-anglais de l’œuvre serontprésentées les versions alle-mandes et espagnoles. Ces deuxrencontres seront retransmises

en direct sur la page Fa-cebook de la maisond’éditions. Au menu en-core, une rencontre au-tour des théâtres lausan-nois avec Olivier Robert(14 h) et le vernissage del’Almanach des révolu-tions (19 h). C.R.

Lausanne, rue Saint-Martin 18, sa 28 octobre dès 14 hwww.en-bas.net

Page 2: il transperce les filtres du réel · la même maîtrise que Dürer dans un auto-portrait en 1955, et qui continue à graver aujourd’hui. Actuellement, il travaille sur quelque

24 heures | Vendredi 27 octobre 2017

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repère, explique Rainer Michael Mason.Mais ce n’est pas une rétrospective, cen’est pas nécessaire.»

Dont acte! Aérienne, la présentationpapillonne sur le fil de la rareté pour ac-compagner Franz Gertsch jusqu’à l’unede ses dernières xylographies, Sommer2017. Le rapport à l’être, à la nature prendl’avantage. Portraits et paysages semêlent, se chassent et se croisent commeune seule et même perception de la réa-lité avec au départ, toujours, la photogra-phie. L’expérience du regard, de la vue, laquestion de la ressemblance, de lavraisemblance. Si elle sert de support àl’œuvre peint ou gravé, si sa facture, sanetteté classique et ses outils fondent sonstyle, la photographie «rendu maximumdu réel» pour l’artiste, est surtout unjalon, une frontière qui se dépasse à la re-cherche d’un autre vertige. A Vevey, c’estlui qui saisit, c’est lui qui guide vers et àtravers un espace-temps différent.

Vevey, Musée JenischJusqu’au di 4 fév 2018, du ma au di (10h-18h)www.museejenisch.ch

«Dans notre monde des technologies visuelles, le pixel est l’unité qui définit l’image, chez Gertsch, c’est un geste qui fait des trous… ou pas!»Rainer Michael Mason, commissaire de l’exposition

Culture & Société Culture SociétéGastro Ciné Conso

Sortir Les gens

Exposition

Franz Gertsch portraitise la nature comme dans «Schwartzwasser II», 1993-1994, xylographie (202 x 549 cm). En croisant portraits et paysages, l’exposition veveysanne insiste sur cet art de voir. COLLECTION DE L’ARTISTE

Mais encore...

3,4 miosEn francs, le prix le plus cher jamais payé pour une toile du Bernois. Elles sont rares – 63 pièces peintes entre 1969 et 2005 – et donc plus rares encore dans les salles des ventes. Le 8 mars dernier, Sotheby’s se réjouissait d’avoir un Franz Gertsch à son catalogue londonien, les enchères sont vite montées pour Luciano II, acrylique sur toile de234 x 346 cm chassant le précédent record de Luciano I établi à 2,3 mios en 2011.

«Le choix de la gravure sur bois a pu surprendre (…) mais j’ai pris celacomme un nouveau défi. Il fallait réinventerune technique»Franz Gertsch dans une interview en 2010

Un musée pour luiConservé dans les grandes collections muséales suisses – Zurich, Bâle, Berne, Genève ou encore Vevey – Franz Gertsch reçoit aussi en son musée à Berthoud, Burgdorf en allemand. Financé par un industriel et pensé avec l’artiste, l’ouvrage cubique ouvert depuis 2002 offre 1000 m2 de surfaces d’exposition. A l’affiche, l’oppor-tunité de voir Gertsch dans ses œuvres de 1984 à aujourd’hui mais aussi des expositions temporaires ouvertes à d’autres artistes.

Burgdorf (BE)Fermé les lundis et mardiswww.museum-franzgertsch.ch

Dans Tiens ferme ta couronne, YannickHaenel avance à peine déguisé sous sonalter ego, Jean Deichel. D’Introduction àla mort française en Renards pâles et au-tre Cercle, le romancier a déjà convié cetécrivain à la fois brillant et pathétique.«C’est mon narrateur, nous avons vieilliensemble depuis une vingtaine d’an-nées. Témoin des dévastations dumonde, il marche à sa lisière, sans fa-mille. Sur le point d’être expulsé de sonlogement, il m’apparaît comme le sym-bole de l’expropriation contemporaine,tous ces désirs arrachés à une société quiformate. Un antihéros, le dernier poète.»A l’évidence, son double de chair ne dé-daignerait pas voir son existence tenirdans deux valises prêtes à être oubliéessur un quai de gare. Lui se serait fait lamalle depuis longtemps. A tout juste50 ans, le Parisien se dépouille des orip-eaux du dandysme intello. Il ne faut passe fier à l’injection proustienne d’un titrequi pose en prise de tête mais secoue sur-tout les icônes. «D’ailleurs, j’ai appris en-suite que Proust avait emprunté cetteformule à Saint-Jean», précise l’auteur.Le savoir, ici, se recycle à l’infini, pré-texte à embardées liturgiques. Il suffitd’en organiser les hasards et coïnci-dences.

Ainsi, avec la superbe du loser, lehéros passe ses nuits à décrypter la ba-leine de Melville et ses jours à visionnerles films de Cimino. Ou peut-être l’in-verse. Dans une fusion inespérée, Jeancherche à fourguer The Great Melville, unscénario de 700 pages, à l’idole holly-woodienne déchue. Rock et baroque, lepersonnage se corse par son mode de vie.Pour financer ses obsessions, il s’est im-provisé «dog-sitter» du dalmatien Sab-bat. Les plantes vertes de son proprié-taire ont défunté depuis longtemps.Apocalypse Now et les Walkyries de Cop-pola trottent dans ses pensées.

«Comme l’énonce Flaubert, lesphrases sont des aventures. J’ai inté-gré la littérature, mais le septième artme semble la grande mythologie duXXe siècle. Sans avoir perdu la foi,je suis désormais cinéphile nonpratiquant.» Comme Jean Deichel,Yannick Haenel préfère se faire soncinéma. «Une batterie de scènes peuple mes fantasmes sans que jedoive revoir les films. Quant àCimino… son destin fou m’a sonné, dela gloire de cinq oscars à sa chute gran-diose.» Aux portes de ce paradis, IsabelleHuppert approuverait, qui apparaît dansle livre en muse destroy, engloutissantcrûment du steak tartare à l’heureoù les bonnes gens se bercentdans un cocon. Dans Tiensferme ta couronne, la ré-alité étrangle la fiction,provoquant des haut-le-cœur qui vomissentla banalité avec uneélégance classieuse.

D’où une faran-dole de noms connusqui tombent au coindes phrases pour lesdétourner vers d’au-tres territoires. «Lanomination sauve dela mort, prononcer

les noms de Kafka ou d’autres figuresmythiques, c’est les rendre vivants. Jesuis obsédé par la circulation patro-nymique, ce vaste récit invisible de la vie.Mon rêve serait d’aboutir à un poème denoms.» Le résultat pécherait sans doutepar sécheresse encyclopédique, voirepar la vacuité d’un Bottin mondain. «Ah!Mais il ne faudrait pas oublier la séduc-tion, la ruse à ourdir un roman. La joie durécit vient du fait de tirer les fils. Ainsi, enrelisant Moby Dick, je me suis arrêté surune description du cachalot, elle parlaitde «l’intérieur mystiquement alvéolé desa tête». L’expression m’a donné le fourire. Puis j’ai pensé à Jean Deichel quej’avais réveillé une fois de plus, à ce quilui arriverait si je le dotais d’un pareil at-

tribut.»Et de fait, avec sa tronche en alvéoles,

le narrateur peut sauter de flaques tragi-comiques en marais philosophiques,glissant sur des aphorismes plus souventbrillants que pédants. «Tout un substratmystique qui fait décoller ses aventuresridicules ou spirituelles», s’amuse l’au-teur. La toile de fond, puisqu’un sacré ci-néma fermente ici, s’unifie par diverseschasses à l’homme. Dans Voyage au boutde l’enfer, le classique de Cimino, RobertDe Niro ajuste un daim mais ne le tire pas.Plus loin, Jean Deichel s’enivre avec desArtémis et autre Diane. Une forêt de ré-férences fonde un humus mortifère oùgalopent proies et traqueurs. Jusqu’à dé-gainer «Haenel», marque d’une cara-bine. Le cor de Saint-Hubert peut sonnerl’hallali, les trompettes de la gloire aussi se font entendre. Yannick

Haenel tient ferme sacouronne de dilet-tante magnifique.

Cécile Lecoultre

Tiens ferme ta couronneYannick HaenelEd. Gallimard,

335 p.

Dans ses chasses à l’homme, Yannick Haenel ruse avec Dieu

«Une batterie de scènes peuple mes fantasmes sans que je doive revoir les films. Quant à Cimino… son destin fou m’a sonné»

LittératureLe romancier séduit les jurys des Goncourt, Médicis et Renaudot avec «Tiens ferme ta couronne»

L’Académie couronne Rondeau

Dieu, Melville, Cimino et lui…

Yannick Haenel, diable d’auteur.

AFP/SAGET

trafic d’art en Libye, et Harry, indic dans les banlieues parisiennes. Sans couronne, Yannick Haenel, nommé par les jurys des Goncourt et autres trophées majeurs de la rentrée, use d’autodérision. «J’adorerais décider d’avoir un prix. Car dans la galère éditoriale du XXIe s., où les éditeurs sont frappés de plein fouet par la crise, ces honneurs aident un livre à exister et à son auteur d’écrire le suivant.»

UZoom Le Grand Prix du roman de l’Académie française a été décerné hier. A 13 voix contre 12 pour Yannick Haenel et Tiens ferme ta couronne, les éminences du Quai Conti ont préféré Daniel Rondeau pour Mécaniques du chaos (Ed. Grasset). Ce roman altruiste, dont le but avoué est de rendre compte de la folie de notre époque, suit Habiba, Somalienne naufragée à Malte, un archéologue français soupçonnant du

Un tigre du piano à Yverdon-les-Bains

Visiteur régulier de Suisse ro-mande – sa dernière venue re-monte au dernier Cully Jazz seule-ment –, le pianiste arménien Ti-gran Hamasyan fait partie de cesmusiciens que l’on est toujoursheureux de retrouver tant il secaractérise par l’invention deformes nouvelles et de détours in-attendus. Après avoir mené unquintet musclé où officiait d’ail-leurs le batteur genevois ArthurHnatek, après sa collaborationavec le chœur d’Erevan qui han-

tait le répertoire immémoriald’Arménie et après une allianceavec Eivind Aarset et Jan Bangpour un album chez ECM quicomplexifiait le propos d’effetsélectroniques mystérieux, le

voilà qui réapparaît, cette fois àYverdon, à l’enseigne du festivaltransfrontalier JazzContreband.

Avec son dernier projet, unAncient Observer, le virtuose de30 ans revient à l’exercice dusolo, déjà pratiqué avec superbesur son album de 2010 A Fable,mais avec moins de lyrisme cré-pusculaire et plus de trouvaillessonores audacieuses, en décli-nant les thématiques avec un sensdu concret, notamment histo-rique, qui peut étonner de la partd’un musicien. Boris Senff

Yverdon-les-Bains, l’EchandoleSa 28 octobre (21 h)Rens.: 024 423 65 80www.jazzcontreband.com

ConcertTigran Hamasyan joueà l’Echandole à l’enseigne de JazzContreband

Tigran, samedi à Yverdon. DR