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    IMAGINAIRE ET IDENTIT ESPRE DANSLENTREPRISE : LE CAS DU CIRPP

    Ren Barbier (CIRPP, octobre 2008)

    Sommaire

    Introduction

    Chapitre 1.- Problmatique de limaginaire ?

    - Dfinir limaginaire : premire approche- Transversalit de limaginaire- Histoire du concept dimaginaire- Proposition de dfinitions

    Chapitre 2.- Identit et entreprise

    - Identit ou culture dentreprise : le cas de la revue Autrement - Quid de la notion didentit de lentreprise- Identit de lentreprise et rivalit mimtique

    Chapitre 3.- Le cas du CIRPP : lidentit espre dune institution scientifique (livrable endcembre)

    - Lmergence historique dune institution scientifique- Une organisation souple et lgre- Une reconnaissance de ltat de fait- Une finalit ducative explicite- Jeux et enjeux dans linstitution du savoir acadmique : quelle matrise symbolique

    lgitime pour lHomo Academicus ?- Risques et esprance dans le cas du CIRPP

    Les premires recherches du CIRPP insignifiance ou effet Ben Barka en sciences humaines bureaucratisation et lourdeur institue dynamisme crateur et institution ouverte

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    INTRODUCTION

    Cette anne (2008), les deux textes que jai donns avec, en plus, celui que je donnerai en

    dcembre, tentent de prciser le concept d identit espre dune organisation de biens et

    services symboliques caractre scientifique, en loccurrence le Centre dInnovation et de

    Recherche en Pdagogie de Paris (CIRPP).

    Le premier texte pose le problme du type de recherche et de scientificit propos dans le

    cadre du CIRPP, en rflchissant sur la question de la notion mme de recherche, de

    chercheur et de mthodologies de recherche en sciences de lhomme et de la socit et en

    sciences de lducation tout particulirement.

    Le texte doctobre 2008 permet de prciser les concepts-cls sous-jacents et utiles la

    construction de lobjet de connaissance : l identit espre du CIRPP.

    Ds quil sagit desprance, limaginaire est en marche. Il sagit donc den reprer toute sa

    complexit, ses diffrentes acceptions et les thories qui sy rapportent pour commencer

    comprendre en quoi une institution comme le CIRPP pourra dterminer un certain espoir

    de lgitimation acadmique.

    Cet espoir va de pair avec la notion d identit de ce type dorganisation.

    Cest donc la question de lidentit mme dune entreprise qui est analyse alors, en liaison

    avec celle de la culture dentreprise comme concept dominant jusqu ces dernires annes.

    Sans aller jusqu parler d me de lentreprise, comme chez diffrents auteurs, la notion

    mme didentit demande tre discute, en liaison avec la culture dentreprise, les figures

    dominantes de leadership et limaginaire social dans lequel baigne lorganisation

    considre.

    Le texte de dcembre cernera particulirement le concept d identit espre du CIRPP. Il

    sagira dune construction intellectuelle et thorique qui prendra appui sur les premires

    ralisations scientifiques du Centre, eu gard des exigences institutionnelles de la cit savante

    en ducation. Nous en cernerons la porte, la spcificit, les risques et les avances, les

    limites.

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    Chapitre 1

    PROBLEMATIQUE DE LIMAGINAIRE.

    La confrence donne par Georges Bertin1

    , dans le cadre du CIRPP, le jeudi 23 octobre2008, nous a permis de faire le point sur le concept dimaginaire selon ses diffrentes

    acceptions. Nous avons pu ainsi nous rendre compte que ce concept a subi des alas de

    lgitimation dans le monde acadmique. Sil a t plus ou moins disqualifi par la pense

    cartsienne et positiviste, il a t reconnu par celle du romantisme et du surralisme. La

    psychanalyse freudienne et lacanienne la promu et la psychologie des profondeurs jungienne

    la enrichi par son ouverture sur le monde des mythes et des archtypes. Des anthropologues

    comme Franois Laplantine ou des historiens des religions comme Mircea Eliade ou HenriCorbin nous ont conduits reconnatre la complexit dun concept majeur, aujourdhui, en

    sciences de lhomme et de la socit. Mme si Ren Girard semble plus ou moins ignor des

    chercheurs de limaginaire, nous avons fait remarquer quil avait sa place galement dans les

    thories plurielles autour de ce concept car le dsir et la rivalit mimtiques sur un objet

    dsir parce que lautre lobtient ou la obtenu, fondateur de la socit pour Ren Girard, est

    manifestement riche dimaginaire et de violence circonscrite par linstitution du bouc

    missaire dont la figure paradigmatique du Christ innocent dnonce, daprs lauteur, la

    logique de la mconnaissance institue du processus de victimisation.

    Dfinir limaginaire

    Essayons de prciser par ce que nous entendons sous le terme d imaginaire .

    Imaginaire implique :

    une source : la capacit dimaginer radicalement quelque chose.

    un processus : le droulement mental qui prend appui sur cette capacit et provoque sans

    cesse un flux entre le rel voil et le symbolique socialement sanctionn, contribuant ainsi

    crer la ralit permettant une communication relative entre les tres humains.

    un rsultat : limaginaire effectif qui se donne voir travers des figures, des formes, des

    images pouvant tre repres et soumises linvestigation scientifique, philosophique et

    1Georges Bertin a soutenu sa thse dHabilitation diriger des recherches intituleDu mythe et de l'imaginaire l'intelligence du social, Sorbonne, 3 dcembre 1999, deux tomes. Tome 1 (Vol 1) :mmoire (112 pages, dont 5

    pages de bibliographie) Tome 2 (Vol 2 et 3), documents d'accompagnement (349 pages, plus 33 pages dedocuments divers). Jury : Michel Maffesoli (dir, Universit Paris 5), Jacques Ardoino (Universit Paris 8), RenBarbier (Universit Paris 8), Patrick Tacussel (Universit Montpellier III), Bernard Valade (Universit Paris 5).

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    mythopotique.

    La capacit dimaginer quelque chose me semble relever dune mergence originale de

    lvolution psychique accdant un niveau de complexit suprieure. Je formule lhypothse

    que lindividu sexu, vou la mort, a dvelopp en mme temps que le fait dtre mortel une

    capacit de rsoudre cette chance par une nouvelle facult : limagination. Il peut ainsi

    sortir de son caractre dtre mortel par linvention dune autre histoire le concernant. Cette

    hypothse me semble taye par luvre des artistes et des chefs religieux charismatiques qui,

    presque tous, nous proposent des formes symboliques tentant de rsoudre le caractre

    inluctable dune mort absolue de ltre dans sa totalit. LArt, la posie, la littrature nous

    entranent dans un univers o le symbole nous parle sans cesse dun autre regard possible sur

    le monde, dun autre rapport un signifi inaccessible mais actualis inadquatement dans

    luvre dart. La Religion, sous ses formes les plus institues, prend sa source dans une

    possibilit dtre au del de la mort, au moins pour une partie spirituelle de notre tre.

    Il est questionnant de se rendre compte que lhomme na jamais pu, vraiment, assumer

    sans rien dire ou imaginer la mort absolue de son tre-au-monde. Chacun sait que dans

    linconscient la mort nexiste pas. Limagination (et limaginaire) est consubstantielle au fait

    de mourir. Les plus grands artistes sont galement ceux qui sont la fois les plus grands

    vivants et les plus proches du sentiment de la mort imminente.

    Transversalit de limaginaire

    La notion de transversalit a t emprunte par les institutionnalistes Flix Guattari et

    la psychothrapie institutionnelle2. La plupart du temps les gens vivent dans la

    mconnaissance de leur coefficient de transversalit. A ct des relations verticales et

    hirarchiques usuelles dans les grandes organisations, on reconnat parfois les relations

    horizontales entre personnes de mme statut social. Mais les rapports qui brouillent les

    cartes ainsi lgitimes. Ceux qui oprent un mlange contre nature sont en gnral luds

    ou considrs comme dangereux. Ainsi dans un hpital psychiatrique lorsqu'on organise des

    runions de personnes aux statuts diffrents dans une perspective de communaut

    thrapeutique. En pdagogie institutionnelle, l'assemble du groupe-classe dans laquelle le

    2 Flix Guattari,Transversalit et psychanalyse,Paris, Maspero, 1970

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    professeur tente d'tre un membre du groupe parmi les lves, pour toutes les dcisions

    collectives, permet l'mergence des facteurs de transversalit. A fortiori, en socianalyse

    interne, lorsque tout un tablissement s'exprime en assemble gnrale du personnel. Cette

    notion est fondamentale dans tout processus de formation. Partons d'un exemple : soit un

    groupe de stagiaires dans un stage de communications et de relations humaines. On appellera

    transversalit la multiplicit opaque des diffrences personnelles et sociales

    institutionnalises qui renvoient, pour chacun, des rfrences et des appartenances varies et

    non-dites explicitement, mais prgnantes dans la situation,(ce que J. Ardoino nomme

    traversalits )3.

    Diffrences entre hommes et femmes ; jeunes et vieux ; trangers et nationaux ; ouvriers

    et bourgeois ; croyants et non-croyants ; maris et clibataires ; avec enfants et sans enfants ;

    militants et apolitiques etc. Cet ensemble de diffrences, lies des rfrences et des

    appartenances sociales et culturelles multiples, agit comme un ensemble de rapports de sens

    dans lequel baigne le groupe en question d'une manire imaginaire. Imaginaire en tant que

    non-conscient (mconnaissance institue); imaginaire en tant que subconscient (censure,

    rpression); imaginaire en tant qu'inconscient (refoulement). L'Analyse Institutionnelle tentera

    l'lucidation principalement de la transversalit sociopolitique, institue et instituante, lie

    l'emprise de l'Imaginaire Social de la socit considre dans l'institution tudie. Les

    sociopsychanalystes dans la ligne de Grard Mendel seront plus sensibles la transversalit

    libidinale ou s'expriment les pulsions oedipiennes et archaques des individus dans un

    processus de psychologisation du Politique. L'Approche Transversale que je dfends y

    ajoutera l'importance d'une reconnaissance de la transversalit de l'imaginaire sacral qui

    s'appuie sur le fait que l'homme est non-sparable de l'ensemble de l'univers naturel et

    cosmique qu'il se reprsente toujours travers ses symboles et ses mythes, ses arts, sa posie

    et ses spiritualits religieuses.

    LApproche Transversale, thorie psychosociologique existentielle et multirfrentielleque jai propose4 , implique que lon mette en uvre, dans toute situation ducative, trois

    types dcoute : scientifique-clinique, avec sa mthodologie propre de recherche-action ;

    potique-existentielle qui prend en compte les phnomnes imprvus rsultant de laction

    des minorits et de la particularit dans un groupe ou chez un individu ; spirituelle-

    philosophique cest dire lcoute des valeurs ultimes qui sont en uvre chez le sujet

    3 Jacques Ardoino,Education et politique. Propos actuels sur lducation II,Paris, Gauthier-Villars, 1977

    4 Ren Barbier,LApproche Transversale, sensibilisation lcoute mytho-potique en ducation,Habilitation diriger des recherches, universit Paris 8, 1992, 2 volumes, 619 p. etLapproche Transversale.

    Lcoute sensible en sciences humaines,Anthropos, 1997, 357p

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    (individu ou groupe). Valeurs ultimes cest dire, ce par quoi nous sommes rattachs la vie,

    ce que nous investissons le plus quant au sens de la vie. Nous avons tous de telles valeurs,

    mme si nous ne savons pas toujours les reconnatre avec suffisamment de lucidit, cette

    lucidit qui est la blessure la plus rapproche du soleil comme lcrit le pote Ren Char5

    . Dans un groupe, quelles sont ses valeurs ultimes, ce par quoi il accepte de risquer lessentiel

    ?

    Le groupe, comme chacun dentre nous, a besoin de linterpellation de l autre pour

    cheminer vers ses valeurs ultimes et pour en faire une vritable force intrieure. Non pas de

    lautre grand interprtateur qui nous dirait ce que nous sommes en fonction de rfrents

    totalement extrieurs nous-mmes6 . Mais de lautre comme miroir actif, susceptible

    dentrer conflictuellement avec nous pour nous faire dcouvrir, dans le rapport humain qui na

    pas peur de la confrontation, les valeurs essentielles notre devenir7 . Ainsi, au del de la

    phnomnologie, le psychosociologue est un hermneute de lexistence concrte, acceptant de

    se risquer prter du sens (Jacques Ardoino) aux activits dautrui. Mais il na jamais de

    projet autre sur le groupe, que de crer les conditions dune meilleure comprhension de

    chacun et de tous, en vue d une plus grande autonomie lucide.8

    Lcoute sensible sinscrit dans cette constellation des trois coutes mais galement dun

    axe de vigilancequi retient comme postulat, trois types dimaginaire toujours en acte dans

    une situation ducative en vue dlucider leur transversalit9 inluctable. Limaginaire

    personnel-pulsionnel, avec la question non tranche de la nature des pulsions ( quid de la

    pulsion de mort, par rapport Eros ?) ; Limaginaire social-institutionnel, avec son magma

    de significations imaginaires sociales (Cornlius Castoriadis)10 , produit psychique

    5 Ren Char, Oeuvres compltes,Paris, Gallimard, La Pliade, 19836 Sur ce point, je suis en accord avec Michel Lobrot,Les forces profondes du moi , Paris, Economica, 19837 On sait que lacceptation interne des personnes partir desquelles on mne une recherche, est une des

    conditions ncessaires la dmarche qualitative en sciences humaines comme le pense Alex MucchielliLesmthodes qualitatives, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1991, pp.111 ss.8 Ce que jappelle lucidation est le travail par lequel les hommes essaient de penser ce quils font et de

    savoir ce quils pensent crit Corneius Castoriadis dansLinstitution imaginaire de la socit, Paris, Seuil,1975, p.8. Mais quest-ce que penser ?

    9 Par transversalit jentends un rseau symbolique, relativement structur et stable, constitu commeune sorte de bain de sens o se mlent significations, rfrences, valeurs, mythes et symboles, internes etexternes au sujet, dans lequel il baigne et par lequel sa vie prend un poids existentiel.

    10 Cornelius Castoriadis,linstitution imaginaire de la socit, Paris, Le Seuil, 1975, ouvrage classiqueauquel il faut ajouter ses six tomes des Carrefours du labyrinthe(1978, 1986, 1990, et red 2004 2008), Seuil,ses nombreuses confrences et sminaires indits lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales ou ailleurs(on peut se les procurer Agora International, une nouvelle association qui se consacre la diffusion de sapense: contacter David A. Curtis, 27 rue Froidevaux 750014 Paris) et un article de fond sur sa problmatique,

    intitul Logique, imagination, rflexion pp 9-35, quil a rdig pour une publication collective dans lacollection de Didier Anzieu Inconscient et culture , consacre linconscient et la science , Paris, Dunod,1991. On consultera galement les Actes de la Dcade de Cerisy-La-Salle qui lui tait consacre en juillet 1991.

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    collectif, au niveau de la socit, dune capacit radicale de crer des formes, figures, images

    plus ou moins taye au dveloppement de la base matrielle, technologique et conomique,

    de la socit. Par exemple lensemble des significations imaginaires sociales qui ont

    accompagnes la monte de la technologie informatique et lre des ordinateurs, ou encore les

    modifications dans les attitudes et les comportements sexuels la suite de lusage gnralis

    de la contraception par voie orale, et peut-tre, dans les prochaines annes, la suite de la

    pandmie du SIDA. Limaginaire social simpose durablement par le biais des institutions et

    des organisations (familiales, professionnelles, syndicales, politiques, de loisirs, de culture

    etc.).

    Mais nous devons galement faire la place un autre type dimaginaire, que je nomme

    limaginaire sacraldu fait de limpact de forces et dnergies qui nous traversent sans que

    nous puissions les contrler ( forces telluriques, bouleversements cologiques, nergies

    cosmiques, pandmies incontrlables, ou plus modestement notre rapport la mort et au non-

    tre). Ltre humain est jet dans la nature et doit y trouver un sens. Il dveloppe un trait

    essentiel de son identit : lhomo religiosuscomme la fait remarquer Mircea Eliade dans ses

    brillantes recherches11.

    Chaque type dimaginaire engendre sa propre transversalit, cest--dire son rseau

    symbolique spcifique dot, en relation et en proportion variables, dune composante

    structuro-fonctionnelle ct de sa composante imaginaire (voir schma).

    - Latransversalit phantasmatiquepour limaginaire pulsionnel qui exprime lensemble

    des fantasmes dun individu ou dun groupe12 selon une logique o se joue en partie la

    conjonction conflictuelle dEros et de Thanatos.

    - La transversalit institutionnelle, rseau symbolique socialement sanctionn, qui est

    suscite par limaginaire social selon une logique dialectique dinstituant, dinstitu et

    dinstitutionnalisation.

    - Latransversalit notique13 qui affirme symboliquement le jeu de limaginaire sacral

    11 LOeuvre de Mircea Eliade est immense, reconnue internationalement mais encore largement mconnuedes chercheurs en sciences de lducation. Voir notammentImages et symboles ; Essai sur le symbolismemagico-religieux ; Paris Tel Gallimard ,1979 ;La nostalgie des origines, Paris, Gallimard, ides 1978 ; LeChamanisme et les techniques archaques de l'extase, Paris, Payot, 1983 ;Histoire des croyances et desides religieuses, 3 tomes, Paris, Payot, 1983 ; Trait d'Histoire des Religions, Paris, Payot, 1949, red. 1979.

    12 Mais sur ce point des fantasmes collectifs, je suis plutt en connivence avec Florence Giust-Desprairieset son imaginaire collectif comme une sorte dassemblage singulier et relativement stable de fantasmesindividuels en fonction dune structure de sollicitation organisationnelle lie limaginaire social), quavec lesthses dominantes de Didier Anzieu et de Ren Kas ( appareil psychique groupal . cf Florence Giust-

    Desprairies,Lenfant rv, significations imaginaires dune cole nouvelle, Paris, A. Colin, 1989.13 notique du grec noetikos, qui a rapport la pense (nose, du grec nosis). La nose est lacte par

    lequel on pense, le Nome tant ce que lon pense. Le terme renvoie donc la dfinition de la pense et,

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    face au mystre de ltre-au-monde, principalement selon deux modes dtre : le mode

    apollinien (srnit, sagesse) et le mode dionysiaque (transe mystique et orgiaque).

    Thorie de lApproche Transversale

    LApproche Transversalea pour vise dlucider cliniquement, et selon un processus de

    recherche-action existentielle, lie au sens de la cration potique et de la mditationspirituelle, cette transversalit plurielle partir de limaginaire et aux niveaux concrets de la

    personne, du groupe et de lorganisation, selon lexpression de leurs produits, de leurs

    pratiques et de leurs discours.

    Lcoute sensibleest la faon de prendre conscience et dintervenir pour un chercheur, un

    mon sens, de la pense du fond (Grund) suivant en cela lexpression de Martin Heidegger dans le principede raison ,(cf.Heidegger Martin, le principe de raison, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1983 (red)). Cest en cesens que J. Krishnamurti parle de l veil de lintelligence . Le Dr. Marie-Thrse Brosse dans son livre sur la

    Conscience-Energiepropose le terme de notique dans une acception semblable cf. Brosse Marie-Thrse(Dr. ), La Conscience-Energie, structure de l'homme et de l'univers. Ses implications scientifiques sociales etspirituelles , Saint-Vincent-sur-Jabron, ditions Prsence, 1984

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    ducateur, qui se trouve dans cette logique de lapproche transversale14 .

    Un groupe de personnes comme ce groupe de stagiaires dont je parlais prcdemment, est

    d'abord un champ de dsirs qui s'affrontent, se confrontent, se frustrent, se ralisent, selon la

    logique de l'imaginaire. Le dsir, li l'nergie biologique du sujet et au jeu de son

    imagination devant le manque, l'impossibilit de raliser compltement ce dsir dans la

    situation, suscite un univers fantasmatique qui recouvre les autres, pour le meilleur et pour le

    pire. Dsir de vie, lan vital d'abord et surtout qui dborde lindividu pour dynamiser

    galement les socits.

    Histoire du concept dimaginaire

    Des trois concepts proposs par J. Lacan - le Rel, le Symbolique et l'Imaginaire - le

    dernier me semble tre d'une importance existentielle et d'une profondeur sans fond pour

    l'homme contemporain. L'histoire du concept d'imaginaire est lie la dynamique des

    reprsentations intellectuelles dichotomiques depuis l'Antiquit . On a toujours eu tendance

    opposer rel et imaginaire, raison et imagination, objectivit et subjectivit.

    J'ai distingu trois phases volutives dans l'histoire de ce concept : la phase de succession

    aprs le prsocratique qui actualisera peu peu une pense rationnelle et potentialisera la

    fonction imaginante de l'tre humain ; la phase de subversion partir du Romantisme et plus

    tard du Surralisme qui actualisera l'imaginaire crateur et potentialisera le rel/rationnel; la

    phase d'autorisation enfin, contemporaine, qui tente une articulation lucide, partir de

    Gaston Bachelard, de la fonction du rel et de la fonction de l'irrel 15. Nous pouvons

    14 cf.Ren Barbier, lcoute sensible en approche transversale, Pratiques de Formation/Analyses, s/dir. J.

    Ardoino et R. Barbier, Lapproche multirfrentielle en formation et en sciences de lducation, universit Paris8, Formation Permanente, n25-26, avril 1993. Voir galement louvrage de ma collgue de lUniversit duQubec Montral, Madame Marie-Claire Landry, intitul la crativit des enfants, malgr ou grce lducation, Les ditions Logiques, Qubec, Canada, 1992, 191 pages. On retrouve dans son livre uneconception de l coute active qui dbouche sur la cration, de la mme veine que celle de l coutesensible dcrite ici. Mon voyage dtude en 1992 de presque deux mois au Brsil (8000 kilomtres lintrieurdu pays, 120 heures de confrences, dans 10 universits) me confirme que nous commenons tre quelquesuns, dans le monde, vouloir sortir des sentiers battus monodisciplinaires ou faussement interdisciplinaires enducation, malgr la force encore trs vive de linstitu. Dans le mme sens, lorientation rcente vers unrenouveau de lanthropologie culturelle de lducation de Jean Marie Brohm (universit de Caen) (cf soncolloque sur la possession organis en Normandie avec ce spcialiste de limaginaire quest Georges Bertinen septembre 1992). En philosophie de lducation, il faudrait citer le regrett Olivier Reboul, dcd endcembre 1992, qui nhsite pas dans ces derniers textes de rappeler limportance de la dimension du sacr en

    ducation (inLa philosophie de lducation, Paris, PUF, 1989, 127 p. et les valeurs en ducation, Paris, PUF,1992)

    15 Gaston Bachelard,La potique de lespace,Paris, P.U.F., 1958

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    penser dsormais avec Cornelius Castoriadis16 et l'encontre de Jacques Lacan, que

    l'imaginaire est premier et constitutif mme de la psych

    La phase de succession

    Elle se caractrise par lactualisation de la pense rationnelle et la potentialisation de la

    fonction imaginante de ltre humain. Aprs les prsocratiques, la philosophie grecque va

    imposer peu peu un dualisme entre rel et imaginaire.

    On trouvera ainsi dun ct, la sensation, la perception, les conduits adaptes la ralit et,

    de lautre, la fantaisie, le rve, laffabulation, lart, sans interaction entre les deux domaines.

    Dtienne et Vernant ont bien montr le refoulement, partir du Ve sicle avant J.C., duneforme dintelligence de la ruse, la mtis, finalit pratique, qui demandait lexpression dune

    imagination subtile et dune attitude mentale combinant le flair, la sagacit, la dbrouillardise,

    dans des activits aussi diverses que le savoir-faire de lartisan, lhabilet du sophiste, la

    prudence du politique ou lart du pilote dirigeant son navire17 . Comme lcrivent les deux

    auteurs, lunivers intellectuel du philosophe grec, contrairement celui des penseurs

    chinois ou indiens, suppose une dichotomie radicale entre ltre et le devenir, lintelligible et

    le sensible (p.11).

    Mais, en vrit, cette sparation ne fut atteinte que par un petit nombre dintellectuels dans

    lAntiquit. Dodds souligne, cet gard, travers ltude des textes depuis lpope

    homrique jusqu la fin du IIIe sicle, lingrence des puissances de limaginaire, caractre

    surnaturel, dans les affaires humaines. Vers 432 av. J-C., Athnes, le refus de croire au

    surnaturel et le fait denseigner lastronomie, devinrent des dlits et ceci pendant encore trente

    ans18. Les conditions intellectuelles de la science sont cres ds le VIe sicle, mais elles sont

    loin de triompher. La philosophie elle-mme, chez Platon par exemple, continuera faire

    appel au mythe et juxtaposer une grande rigueur de raisonnement des conceptions

    mystiques ou religieuses. Socrate nhsitait pas invoquer son damon pour agir. Ce

    dmon reprsentait pur lui une sorte de voix intrieure divine qui lorientait dans ses

    conduites. Aristote, malgr tout, devance Freud, en indiquant, dans le cas du rve

    prmonitoire, la puissance de son dsir ou de notre crainte dans lmergence de la

    16 Cornelius Castoriadis, l institution imaginaire de la socit, Paris, Seuil, 1975

    17 Marcel Dtienne, Jean-Pierre Vernant,Les Ruses de lintelligence, la mtis des Grecs, Paris, Flammarion,coll. Champ, 1978.

    18 Dodds,Les Grecs et lirrationnel, Paris, Flammarion, Champ, 1977, p.189

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    reprsentation onirique dun vnement probable, ou mme que nous provoquons ensuite.

    Plotin renforcera la coupure monde intelligible/monde sensible, ce dernier devenant pure

    dgnrescence. Avec lavnement du Christianisme, cest la tendance religieuse qui

    lemporte pour un temps sur la tendance scientifique grecque. Mais le problme central au

    Moyen Age reste la conciliation de la religion rvle avec largumentation rationnelle,

    notamment avec le Thomisme. La succession grecque va rebondir la Renaissance. Avec

    labandon de lidal contemplatif, srige lobligation de crer un type de pense la fois

    rigoureux et appropri aux phnomnes. Laction nest plus lantithse de la connaissance.

    Rien nest indigne dtre connu, encore faut-il trouver les mthodes de la connaissance.

    Descartes sera reconnu par tout, la fois comme un modle de rigueur intellectuelle et comme

    le fondateur du rationalisme moderne.

    La mthode cartsienne se ramne deux oprations : lintuition et la dduction, assorties

    de critres de certitude (vidence et rigueur dductive). Mais noublions pas que Descartes fut

    galement cet homme qui prouva sa premire intuition mthodologique dans une sorte de

    rvlation divine, au cours de la nuit du 9 au 10 novembre 1619, par lintermdiaire de trois

    rves divinatoires. Il fera dailleurs un plerinage en Italie, cinq ans plus tard, pour remercier

    Dieu de lavoir inspir. A bien le considrer Descartes fut-il vraiment le crateur original que

    le mythe scientifique a consacr ? Il semble bien tre dans la ligne de la succession

    philosophique grecque, parfois mme avec quelques lments rgressifs par rapport ses

    rcents prdcesseurs, comme le soutient Jean-Franois Revel19.

    Quoiquil en soit, aprs Descartes, les philosophes vont juger svrement limagination en

    tant que facult, mode dexercice de la pense. Limage qui en rsulte et plus gnralement

    limaginaire, sont dautant plus trompeurs quil peuvent se donner pour rels et vrais. Ainsi,

    jamais un dtour par limaginaire ne pourra nous apprendre quoi que ce soit dessentiel.

    Alain, puis Sartre, insistent sur la seule ralit matrielle de limaginaire : les mouvements du

    corps auxquels il donne lieu, par opposition lirralit matrielle de son contenu. Pour

    Sartre, lors de la constitution de lobjet irrel, le savoir joue le rle de la perception et cest

    lui que sincorpore le sentiment. Nous restons matres de tout objet irrel et il peut disparatre

    si nous le voulons. Objets-fantmes qui nous dtournent du rel et qui nous rendent maladroit

    lorsque nous devons le retrouver, comme le montre Sartre dans lhistoire dAnnie. Pour lui, il

    y a bien un abme qui spare limaginaire du rel20 . A chaque instant, dans le face

    face au rel, notre moi imaginaire clate et disparat, cdant la place au moi rel. Lun

    19 Jean-Franois Revel,Histoire de la philosophie occidentale, Paris, Stock, 1970, T.2, pp. 123-16320 Jean-Paul Sartre,Limaginaire, Paris, Gallimard, 1940, p. 186 ss. (cit. p.188)

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    exclut lautre ncessairement. Dans la cration mme, Alain soutient que lartiste opte

    dlibrment pour le rel contre limaginaire. Il est, de ce point de vue, non le contraire du

    savant, mais beaucoup plus du rveur et du fou.

    Pour reprendre ce qucrit Maryvonne Saison, dans une tude sur limaginaire dans la

    cration thtrale et la Mdecine mentale, si nous radicalisons au maximum la position

    rationaliste dualiste de Sartre ou dAlain, nous constatons que limaginaire comme irrel ne

    peut pas entrer dans une relation positive au rel. Lacte crateur sanalyse uniquement en

    fonction du rel, tout imaginaire reprsentant une entrave la cration21 . Cest dans la

    mme foule thorique que je situe lapproche lacanienne de limaginaire, dans son

    opposition au symbolique. Sil reste de limaginaire, cest que quelque chose na pas march

    dans laccession au symbolique et ce peut tre la voie du dlire. Li limage visuelle et une

    fonction intrinsquement spculaire, leurrante, limaginaire est le signe dun chec de la

    fonction symbolique de ltre humain.

    La phase de subversion

    Elle affirme une actualisation de limaginaire et une potentialisation du rel/rationnel. Dj

    chez les Grecs, lambivalence tait remarquable : il y a comme une impossibilit de se dfaire

    de limaginaire. Ne peut-on parier sur sa valeur positive, voire rvolutionnaire ? Ce sera

    loption prise par le Mouvement romantique au XIXe sicle. Limaginaire devient le seul rel

    et limagination, la voie de sa ralisation. Pour que le rel soit, il faut faire un dtour par

    limaginaire. Certes la coupure existe toujours entre rel et imaginaire. Le rve est valoris,

    limagination est reine. Mais lambigut demeure : on oscille entre lespoir, aprs un

    dtour provisoire, dune rconciliation finale de limaginaire et du rel, et le refus dfinitif de

    toute ralit extrieure pour ne plus couter que dobscures voix intrieures (Maryvonne

    Saison)22. Le Surralisme tente de rsoudre ce problme en opposant cette fois le surrel au

    couple rel-imaginaire. Pour les Surralistes, il sagit avant tout dlargir notre perception

    selon notre propension lexpression sous toutes ses formes. Llment-cl du Surralisme

    rside dans notre force psychique libre des entraves, des urgences perceptives et de toute

    rfrence oblige une ralit extrieure, par lintermdiaire de limage. Limage surraliste

    concilie les contraires par le moyen de concidences fortuites. Elle associe sujet et objet, esprit

    21 Maryvonne Saison,Imaginaire, imaginable, parcours philosophique travers le thtre et la Mdecinementale, Paris, Klincksieck, Esthtique, 1981, p. 34

    22 Maryvonne Saison, opus cit, p.37

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    et matire, conscient et inconscient. Mais lopposition demeure entre extrieur et intrieur,

    entre subjectif et objectif, signes dun chec de la rconciliation qui nest quun horizon

    potique - le point gamma - dont parle si bien Andr Breton : Tout porte croire quil

    existe un certain point de lesprit do la vie et la mort, le rel et limaginaire, le pass et le

    futur, le communicable et lincommunicable, le haut et le bas cessent dtre perus

    contradictoirement. Or cest en vain quon chercherait lactivit surraliste un autre mobile

    que lespoir de dtermination de ce point23 .

    Du point de vue social, limaginaire restera potentiellement subversif tout en restant cach

    et volontairement ignor. Ren Lourau parle alors de deux types de lutte de classes. Il

    distingue la lutte des classes conjoncturelle et la lutte des classes transhistorique. La premire

    sexerce et saffirme dans le cadre dun enjeu historique balis par la politique institue un

    moment prcis. Elle se meut dans lunivers mortifre de la rationalit rpressive.

    La seconde, au contraire, sinscrit dans le champ dune permanence de la posie, de la

    cration, de lesprance rvolutionnaire et renvoie un continuum onirique quon ne saurait

    rduire une srie de simples dchirures dans le tissu de la vie courante et consciente. Sans

    croire un sens de lHistoire prdtermin, Ren Lourau soutient que le postulat dun

    continuum onirique nest pas plus dlirant que le postulat dun continuum du mouvement

    social - rvolutionnaire pendant de brves priodes - qui drange les formes tablies, les

    dissout lentement ou soudainement, en direction de formes de plus en plus fluides24 .

    La phase dautorisation

    La fin du XXe sicle ouvre lre de lautorisation dans laquelle nous assistons un

    rquilibre entre le ple dactualisation et le ple de potentialisation de limaginaire et du rel.

    Il fallait sans doute avoir connu les deux premires phases dexclusion rciproque pour

    pouvoir accder, difficilement encore, cette troisime phase. En suivant la logique de la

    bipolarit antagoniste de Stphane Lupasco, nous dirons que nous entrons dans une sorte d

    tat T o un mi-actualisation et une mi-potentialisation imaginaire/rationel-rel tendant

    vers un quilibre dynamique25.

    Gaston Bachelard fut un des pionniers de cette phase dautorisation une poque o il

    ntait pas encore de bon ton de valoriser la potique de la rverie. Pour Bachelard, la

    23 Andr Breton,Manifestes du surralisme,Paris, Gallimard, Ides, pp.133-13424 Ren Lourau,LEtat-inconscient,Paris, Les Editions de Minuit, 198125 Stphane Lupasco,Les Trois matires, Paris, 10/18, 1970 (1e d. 1960)

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    fonction de lirrel est psychiquement aussi utile que la fonction du rel . Durant son

    activit diurne, lhomme construit le rel grce lesprit scientifique qui commence toujours

    par une catharsis intellectuelle et affective . Il sagit bien de se purger de tout imaginaire au

    profit de labstraction. Contrairement ce que croyait Raumur, lair ne peut tre

    analogiquement compar une ponge, au moins pour un scientifique. Pendant son activit

    nocturne, lhomme rve limaginaire. La seule faon de parler srieusement de limaginaire

    reste alors de le crer soi-mme en permanence, en devenant soi-mme auteur : Limage ne

    peut tre tudie que par limage, en rvant les images telles quelles sassemblent dans la

    rverie. Cest un non-sens que de prtendre tudier objectivement limagination puisquon ne

    peroit vraiment limage que si on ladmire crit G. Bachelard26.

    Pour le philosophe de la potique des lments, entre le concept et limage, aucune

    synthse nest possible. Lhomme doit se rsigner vivre cartel entre ses deux ples. De

    cette tension voulue comme telle, peut-on dire avec Jacques Gagey, que Bachelard sort de la

    sparation entre deux modes dexistence27? Je ne le pense pas. Une tension peut conduire la

    cration, elle ne dpasse pas le dualisme fondamental de la psych. Mais il se peut que

    Bachelard ait t plus rus quil ny parat. A lire un tmoin privilgi comme Jean Lescure,

    tout porte croire que la fonction de lirrel avait sans doute un poids dterminant dans

    lexistence concrte du vieux philosophe28 . Ncrivit-il pas que le pote parle au seuil de

    ltre dans la Potique de lespace?

    Dans la ligne bachelardienne Gilbert Durand est sans conteste, dans les sciences humaines,

    un prcurseur. Fondateur du Centre de Recherche sur lImaginaire Grenoble en 1966, il na

    cess depuis de tout faire pour donner un statut pistmologique solide limaginaire. Michel

    Maffesoli, qui a repris la direction du C.R.I. situ maintenant Paris, prolonge, dans un sens

    peut-tre plus dionysiaque et postmoderne les recherches du Durand sur limaginaire.

    Pour Gilbert Durand, on peut dgager une structure anthropologique de limaginaire. Sa

    thorie s'articule sur la notion de trajet anthropologique de l'imaginaire , c'est dire une

    incessant change entre des pulsions subjectives et assimilatrices et le milieu extrieur,

    cosmique et social, qui impose ses contraintes. Les images sassemblent en essaims, en

    constellations dimages qui sont relevables dune classification tripolaire. Certes, pour cela, il

    nous faut sortir des hermneutiques rductrices fort la mode dans les sciences de lhomme et

    dcouvrir une hermneutique instauratrice, dans la ligne de Gaston Bachelard en redonnant

    26 Gaston Bachelard,La Potique de la rverie, Paris, PUF, 1965, p. 4627 Jacques Gagey, Gaston Bachelard ou la conversion limaginaire, Paris, Marcel Rivire, 196928 Jean Lescure;Un t avec Bachelard, Paris, Luneau Ascot diteurs, 1983, 278 p.

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    toute sa puissance au signifi du symbole. Sous cet angle, Gilbert Durand sloigne tout

    fait de linterprtation lacanienne de limaginaire. A partir dun fondement structuro-moteur

    de ltre humain, largement emprunt aux chercheurs russes (cole rflexologique de

    Lningrad partir de l'tude des nouveaux-ns ou de la copulation chez l'animal), Gilbert

    Durand nomme trois tendances : celle consistant se redresser, celle consistant engloutir et

    celle consistant rythmer et copuler. De cette base neuro-physiologique, G. Durand dgage

    trois grandes lignes de force, formant des schmes fondamentaux, structurant les

    constellations dimages : le schme schizomorphe ou hroque, le schme mystique et le

    schme synthtique. Chaque schme reprsente la matrice profonde dune srie darchtypes

    et dimages varis. Le schme hroque ou schizomorphe, qui s'appuie sur une dominante-

    rflexe de position et qui ordonne la position du corps redress, appelle les images de

    redressement, d'ascension, daffirmation, de spectaculaire, de purification, de combat, de

    rupture diartique, de jour, de luminosit. Les symboles sont les armes, les flches, les

    glaives. Le schme mystiquequi s'appuie sur la dominante rflexe de nutrition (succion

    labiale et orientation correspondante de la tte du nouveau-n), et de digestion , agglutine

    les images de profondeur, de descente, d'avalement, de retraite, de blottissement, d'intimit,

    de refuge, de nuit, de sombre. Les symboles sont des coupes, des coffres, des grottes etc,. Le

    schme synthtique, enfin, s'appuie sur la dominante-rflexe copulative obissant soit au

    cycle vital (puissance sexuelle individuelle), soit au cycle saisonnier, soit au cycle d'oestrus

    chez les mammifres femelles. Les images sont celles de rythmicit, de dialectique,

    darticulation entre le dehors et le dedans, de mdiation, de progressivit. Les symboles sont

    la roue, la baratte, le briquet. Les archtypes peuvent tre considres comme une

    substantification des schmes au contact de l'environnement naturel et social. Ainsi aux

    schmes ascensionnels correspondent immuablement les archtypes du ciel, du sommet, du

    chef. En se liant leur tour des images diffrencies selon les cultures, les archtypes

    s'actualisent en symboles. A la diffrence de l'archtype, le symbole se caractrise par son

    extrme fragilit. En perdant de sa polyvalence, le symbole volue vers ce que Ren Alleau

    nomme le synthme , la rduction sociologique de la fonction symbolique. Pour Gilbert

    Durand, le mythe est un systme dynamique de symboles, d'archtypes et de schmes qui

    sous l'impulsion d'un schme ou d'un groupe de schmes tend se composer en rcit. Gilbert

    Durand prtend que nous pouvons classer toutes les images humaines dans ces trois schmes

    et l'un de ses collgues, le psychologue Yves Durand, a tabli un test projectif (lAT9) qui

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    semble confirmer son hypothse29.

    Durand cherche recenser, rpertorier, classer, situer les images pour cerner

    limaginaire conu comme lensemble des images et des relations dimages qui constitue le

    capital de lhomo sapiens30 . Il cherche des lois et se mfie dune hermneutique fonde

    essentiellement sur lintuition et la sympathie avec lauteur. De sa collecte dimages il tire une

    srie densembles constitus autour de noyaux organisateurs (constellations et archtypes).

    Cette dmarche irrite certains, comme Maryvonne Saison, qui y voit une tendance la

    normalisation de limaginaire, notamment travers ltude dune collaborateur et homonyme

    de Gilbert Durand, Yves Durand, sur le thme du refuge. Mais M. Saison ne serait-elle pas

    happe par une valorisation outrancire et ultramoderne de limaginaire, rejoignant ainsi le

    Romantisme et le Surralisme ? La recherche exigeante de Gilbert Durand et de son quipe

    porte ses fruits, en vrit, tant au niveau national quau niveau international, comme nous

    avons pu nous en rendre compte lors de la Dcade de Cerisy consacre Gilbert Durand en

    1991. Certes le typologisme de limaginaire est craindre avec son imaginaire collect,

    recens, class dont on prtend connatre les lois, dterminer les variations possibles partir

    dun fond commun (M. Saison, p. 60). Les risques de rigidit et les rcuprations de

    limaginaire par les tenants de la Nouvelle Droite sont possibles, comme en tmoignent

    des publications sur les mythes europens de leur revue. Pourtant, rencontrer lhomme

    G. Durand et le suivre dans sa pense toujours fconde, le danger ne viendra pas de lui, jen

    suis convaincu. Au contraire, sa pense ouverte laventure de notre fin de sicle, nous

    propose des outils thoriques pour comprendre la formation et le devenir de limaginaire,

    notamment travers ce quil appelle les bassins smantiques , ces sortes dquivalents des

    pistms ou des visions du monde paradigmatique .

    Cornelius Castoriadis est le penseur qui prsente une des meilleures voies daccs au plein

    accomplissement de cette phase dautorisation.

    Nous parlons dimaginaire - crit-il - lorsque nous voulons parler de quelque chose d

    invent - quil sagisse dune invention absolue ( une histoire imagine de toutes

    pices ) ou dun glissement, dun dplacement de sens, o des symboles dj disponibles sont

    investis dautres significations que leur significations normalesou canoniques ... Dans

    les deux cas, il est entendu que limaginaire se spare du rel, quil prtende se mettre sa

    29

    Yves Durand,L'exploration de l'imaginaire. Introduction la modlisation des univers mythiques, Paris,L'espace bleu, 1988, 354 p30 Gilbert Durand,Les Structures anthropologiques de limaginaire, Paris, Bordas, 1969, p.12

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    place (un mensonge) ou quil ne le prtende pas (un roman) 31.

    Pour Castoriadis, limaginaire doit utiliser le symbolique, non seulement pour sexprimer,

    mais pour exister et inversement le symbolique prsuppose la capacit limaginaire : voir

    dans une chose ce quelle nest pas, de la voir autre quelle nest. Limaginaire est l uvre

    dun imagination radicale, non spculaire et permanente, dans le cadre de la psych/soma.

    Limaginaire dont parle Castoriadis nest pas image de : il est cration incessante et

    essentiellement indtermine (social-historique et psychique) de figures, formes, images

    partir desquelles seulement il peut tre question de quelque chose. Ce que nous appelons

    ralit et rationalit en sont des uvres32.

    Cet imaginaire, dans lesprit de Castoriadis, est double (social historique et psychique) et

    irrsorbable. Limaginaire est la capacit lmentaire et irrductible dvoquer une image, la

    facult originaire de poser ou de se donner, sous le mode de la reprsentation, une chose et

    une relation qui ne sont pas. Limaginaire, tant psychique que social relve de la logique des

    magmas pour laquelle, quel que soit leffort de rationalit, le rsidu inexpliqu demeure en

    ltat de magma 33.

    Ce magma est dynamis par un flux incessant de reprsentations et de significations,

    conues comme mergeant dun imaginaire radical et non comme de simples reflets ou copies

    de chose. Devant lattrait mass-mdiatique du mot imaginaire social repris comme effet

    plutt spculaire, Castoriadis a beaucoup insist sur cet aspect crateur de limaginaire social

    au Colloque de Cerisy le concernant en juillet 1990. Pour lui la reprsentation est la

    prsentation perptuelle, le flux incessant dans et par lequel quoi que ce soit se donne. Elle

    nappartient pas au sujet, elle est, pour commencer, le sujet...Elle est prcisment ce par quoi

    ce nous ne peut tre jamais enferm en lui-mme, ce par quoi il fuit de tous les cts, se

    fait constamment comme autre que ce quil est, se pose dans et par la position de figures et

    dpasse toute figure donne . 34

    Limaginaire total, cest limaginaire radical qui rgne la fois comme social-historique et

    comme psych-soma : Comme social-historique il est fleuve ouvert du collectif anonyme :

    comme psych-soma, il est flux reprsentatif/affectif/intentionnel. Ce qui, dans le social-

    historique, est position, cration, faire tre, nous le nommons imaginaire social au sens

    premier du terme, ou socit instituante. Ce qui, dans la psych-soma est position, cration,

    31 Cornelius Castoriadis,Linstitution imaginaire de la socit,Paris, Le Seuil, 1975, p. 17732 C. Castoriadis, opus cit, p.833 C. Castoriadis, La logique des magmas et la question de lautonomie, Colloque de Cerisy, lAuto-

    organisation, de la physique au politique, s/dir. de P. Dumouchel et J-P. Dupuy, Paris, Le Seuil, 1983, pp. 421-450 (avec les dbats)

    34 C. Castoriadis, Linstitution imaginaire de la socit, opus cit, p. 445

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    faire tre pour la psych-soma, nous le nommons imagination radicale 35.

    Castoriadis me semble tre le penseur qui, dans lesprit occidental, tient le mieux les deux

    bouts de la problmatique historique du concept dimaginaire. Dune part il plonge trs loin

    dans les mandres des significations sociales et des reprsentations individuelles et dautre

    part il rsiste la tentation dengloutissement fusionnel et le relie au rel-rationnel. Mais

    noublions pas que, dans sa conception, limaginaire est toujours premier et radical.

    Cornelius Castoriadis propose une rflexion sur la nature mme de limaginaire. Il ne cherche

    pas classer les images comme chez Durand mais en rendre compte, dans leur origine.

    Castoriadis place l'imaginaire sur un plan radical dans la dynamique psychique comme dans

    celle des rapports sociaux. Pour lui, l'imaginaire radical sous la forme de l'imagination

    radicale et de l'imaginaire social ou socit instituante, surgit du Chaos/Abme/Sans-Fond. On

    peut dire qu'il en est un de ses modes d'tre, comme d'ailleurs des strates ensemblistes-

    identitaires. Il existe sans cesse un flux reprsentatif/intentionnel de formes, figures symboles

    dans la psych : la psych est cela mme, mergence de reprsentations accompagnes d'un

    affect et insr dans un procs intentionnel (crit-il dans Linstitution imaginaire de la

    socit, Seuil, 1975, p.382). Elle est cette capacit de faire surgir une premire

    reprsentation, une mise en image (Bildung et Einbildung). Le rel est dans et par ce flux

    reprsentatif de la psych, car qu'est-ce qu'une chose en vrit ? si ce n'est toujours chose

    relative aux conditionnements de toute sorte de celui qui l'observe (cf.1975, p.318). La psych

    comme imagination radicale, nous dit Castoriadis, fait surgir dj une "premire"

    reprsentation partir d'un rien de reprsentation, c'est--dire partir de rien. (1975, p.383).

    Elle est dans son caractre in-sens, la matrice et le prototype de ce que sera toujours pour

    le sujet, le sens : le tenir-ensemble indestructible, se visant soi-mme et fond sur soi-mme,

    source illimit de plaisir quoi ne manque rien et qui ne laisse rien dsirer (1975, p.397).

    Cette reprsentation radicale n'est pas ce qui est re-prsent (reprsentant autre chose comme

    le mot allemand Vertretung)), mais bien plutt Vorstellung: ce qui est pos, plac devant. Il

    s'agit d'une position/prsentation, phantasma au sens aristotlicien. Pour Castoriadis

    l'imagination radicale constitue la psych comme un formant qui n'est que dans et par ce

    qu'il forme et comme ce qu'il forme; elle est BildungetEinbildung (1975, p.383). On voit

    bien que pour lui, comme pour Jean-Paul Sartre ou Edmond Husserl, la conscience est

    toujours conscience de quelque chose, mais qui, radicalement, n'est pas extrieur l'acte

    mme de conscience, ce qui ne nie pas que le monde existe en soi et que la psych ne possde

    35 C. Castoriadis, opus cit, p. 493

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    pas la capacit d'tre affecte, de recevoir des impressions partir de l'extrieur d'elle-mme.

    Ce dernier point conduit Castoriadis nier toute possibilit de mditation, au sens oriental du

    terme, comme il l'indique dans un entretien que nous avons ralis avec lui et qu'il reprend

    dans son dernier Carrefour du labyrinthe VI paru en 1999. Pour Castoriadis, par ailleurs,

    l'imaginaire c'est aussi l'imaginaire social. Il soutient qu'il y a dans cette sphre du social-

    historique quelque chose de spcifique et d'autonome par rapport la psych individuelle,

    mme si cela n'exclut pas une sorte d'tayage des significations imaginaires sociales sur et par

    les reprsentions psychiques individuelles. Sur le plan de l'imaginaire social, expression du

    Chaos/Abme/Sans-Fond, dans le faire-social historique, la socit institue sans cesse de

    nouvelles positions , de nouvelles formes de socit, de nouvelles mythologies,

    irrductibles ce qui a dj t. Dans certaines circonstances historiques, ce flux magmatique

    de significations imaginaires sociales, engendre des institutions, des structures sociales, qui

    vont rsister pour quelque temps l'chelle de l'Histoire, au Chaos qui est toujours

    cration/destruction de ce qui apparat. Mais pour Castoriadis il semble bien qu'une fois

    survenues, certaines significations imaginaires sociales accdent au statut de vrit et rsistent

    alors la dchance temporelle (l'ide dmocratique par exemple ou l'anti-esclavagisme). Ces

    significations imaginaires sociales, non rductibles un rel ou rationnel quelconque,

    se donnent voir dans des formes de socialit effective et durable qui sont de vritables

    crations social-historiques compltement inimaginables pour leurs contemporains. Dans ce

    magma de significations imaginaires sociales, certaines se constituent comme imaginaire

    central et mythologisent la socit d'une manire dynamique. Peut-tre en s'tayant dans des

    groupes et institutions frontalires ayant une spcificit imaginaire. Ainsi - je cite c'est

    l'institution de la socit qui dtermine ce qui est "rel" et ce qui ne l'est pas, ce qui "a un

    sens" et ce qui en est priv. La sorcellerie tait relle Salem il y a trois sicles et plus

    maintenant...toute socit est un systme d'interprtation du monde; et, ici encore le terme

    "interprtation" est plat et impropre. Toute socit est une construction, une constitution, une

    cration d'un monde, de son propre monde 36. Pour Castoriadis par exemple, la Grce antique

    est la premire socit s'tre interroge explicitement sur la reprsentation collective

    institue du monde - c'est--dire s'tre livre la philosophie, comme il le prcise : Et, de

    mme qu'en Grce l'activit politique dbouche rapidement sur la question : qu'est-ce que la

    justice en gnral ? et pas simplement : cette loi particulire est-elle bonne ou mauvaise, juste

    ou injuste ? de mme l'interrogation philosophique dbouche rapidement sur la question :

    36Cornelius Castoriadis, Les carrefours du labyrinthe,Seuil, 1986, p.226-227

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    qu'est-ce que la vrit ? et non plus seulement : est-ce que telle ou telle reprsentation du

    monde est vraie ? Et ces deux questions sont des questions authentiques - c'est--dire des

    questions qui doivent rester ouvertes jamais (1986, p.283). On peut s'interroger pour

    savoir si la rflexion philosophique a vraiment et exclusivement pris naissance en Grce, et si

    l'Orient n'a pas connu, lui aussi, des formes authentiques et ancestrales de pense proprement

    philosophique, purement et simplement ignores, aprs une brve reconnaissance au dbut du

    XIXe sicle, par l'institution de l'enseignement de la philosophie en Occident comme nous le

    rappelle Roger-Pol Droit en 1989. Dans son effectivit, limaginaire peut tre compris dune

    double manire, comme le propose Eugne Enriquez, la suite de Castoriadis. Dans

    limaginaire social leurrant, on assiste un travestissement de la ralit pour conforter les

    pouvoirs tablis, la dimension institue de linstitution. Dans limaginaire social moteur, par

    contre, linstituant prdomine, le radicalement neuf merge et bouleverse la structure de toute

    institution.

    Peut-on articuler sans coup frir les thses de Castoriadis et celles de Gilbert Durand sur

    limaginaire ?

    Ce dernier ne se pose pas vraiment la question de la nature de l'imaginaire comme

    Castoriadis. Il dgage dans une sorte de phnomnologie rflexive, les trois schmesessentiels toute constellation imaginaire. Schmes structuraux, en dernire instance.

    Castoriadis part d'un postulat philosophique avec son concept d'imaginaire radical anim par

    la cration au cur mme du Chaos, Abme, Sans-Fond dont il parle ontologiquement et

    que, sans doute, ne renierait pas Gaston Bachelard. Mais s'il y a cration incessante dans le

    flux reprsentatifs, affectif et intentionnel de la psych comme dans le flux ininterrompu des

    significations imaginaires d'origine social-historique, comment ce double flux cratif, prenant

    forme, peut-il s'ingnier demeurer dans un cadre tripolaire de la thorie du schme deGilbert Durand ? Toute forme imaginaire est-elle structure d'une manire intemporelle et

    inaltrable ? Peut-il y avoir mutation formelle de telle sorte qu'une autre structuration soit

    ncessaire pour comprendre le processus ?

    Un autre philosophe, plus proche de lesthtique, Mikel Dufrenne, accepte de runir

    totalement imaginaire et rel. Limagination devient le prolongement de la nature. La coupure

    nest plus entre imaginaire et rel mais entre imagination authentique et imaginaire irrel,

    cration vide dune imagination strotype et strilisante. Pour Mikel Dufrenne, par les

    grandes images nous approfondissement notre perception du rel. Elles constituent le

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    vritable imaginaire conu comme qualit de perception du rel qui appelle une pratique, une

    action par rapport (ou de) ce rel. Il est en quelque sorte un pr-rel : ce nest pas lhomme

    qui invente ou fabule mais la nature en lui et par lui : le rel alors chappe lui-mme et

    sexprime comme pr-rel dans limaginaire 37. Pour Mikel Dufrenne, la personne qui a le

    pouvoir dimaginer juste est quelquun dinspir. Limaginaire devient la preuve de notre

    insertion profonde dans la nature dont nous procdons et dont nous hritons. Sous cet angle,

    peut-tre puis-je soutenir cette image : limaginaire est le parfum du rel, lodeur de la rose,

    je sais que la rose existe puisque je limagine.

    En fin de compte, quappelons-nous imaginaire ?

    Aprs cette excursion dans lhistoire du concept, quappelons-nous, aujourdhui,

    imaginaire ? Notre conception reprend les rflexions des penseurs de lautorisation.

    Imaginer, c'est se reprsenter quelque chose, ce qui implique une drivation par rapport au

    jeu immdiat des sensations et une association de la mmoire. Imaginer c'est galement

    juxtaposer, combiner, articuler et synthtiser des images ou des ides pour les reproduire en

    les figurant ou pour en tirer des rangements ou des arrangements diffrents.

    Mais, d'une manire encore plus radicale, imaginer, rappelle Jacques Ardoino en suivant C.Castoriadis, c'est crer, en fonction de l'exprience acquise et actuelle, autre chose que ce

    qui tait dj l, prexistant, disponible ou encore ignor 38. Il s'agit d'une vritable mise en

    acte d'une capacit de cration et d'invention qui opre une rupture avec l'ordre tabli de la

    symbolisation habituelle. Nous pouvons dire que l'imagination est la mise en uvre, dans

    ce cas, d'une sensibilit gnralisatrice compltement relie au rel, la Nature qui

    advient par son truchement crateur. Pour l'artiste par exemple, l'imagination dsigne alors

    cette motricit secrte et pourtant manifeste par quoi l'ide devient nature en s'exprimant par

    le langage des mains...C'est en quoi l'artiste est une force de la nature : son imagination

    l'accorde la Nature qui agit dans sa nature. (Mikel Dufrenne)39

    Le Symbolique n'est jamais que l'cume du mouvement permanent des vagues d'un

    imaginaire ocanique qui, dans ses grands fonds, se confond avec le rel. Dtacher le

    37 Mikel Dufrenne,Sminaire sur lArt et le Rel, luniversit de Paris 10 Nanterre, (1972-1973), cit parMaryvonne Saison, opus cit, p.78.

    38 Jacques Ardoino, les jeux de limaginaire et le travail de lducation, Pratiques de Formation/Analyses,

    imaginaire et ducation, T.1., n 8, dcembre 1984, 11-31, p.12, Universit de Paris VIII, FormationPermanente.

    39 Mikel Dufrenne,Esthtique et philosophie, Paris, Klincksieck, 1967, 212 p., p.69

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    signifiant du signifi pour en expliquer la structure, c'est croire que le tourbillon dans la

    rivire est une entit spare de celle-ci et plus encore de l'eau qui la constitue

    fondamentalement. C'est une illusion d'optique qu'a opre pendant longtemps la pense

    formelle, objectiviste et anti-existentielle en sciences humaines. Le mot sang ou le mot

    soleil ne sauraient tre dtachs de leur dimension imaginaire et de leur potentialit

    symbolique dans une culture donne, except pour le sage non-dualiste, transpersonnel et

    transculturel, pour qui ce qui est demeure inchang au cur d'un mouvement incessant de

    formes toujours nouvelles et aussitt dtruites, d'instant en instant.

    Proposition de dfinitions

    Nous dfinirons comme suit nos principaux concepts :- Il nexiste que le Rel-Monde, cet inconnu de la matire, en dernire instance.

    - La racine du Rel, le Rel voil, est ce qui chappe lemprise du symbolique.

    - Limaginaire est une fonction du Rel, dans sa complexit.

    - Le symbolique est une cration permanente du flux imaginaire dans sa composante

    imaginable .

    - Limaginable est ce qui, dans limaginaire, permet de soutirer une partie du Rel, pour le

    pr-figurer, le donner voir (Paul Eluard) dune faon polysmique, quivoque et

    ambivalente dans un champ symbolique. Ce qui ouvre limaginaire la cration du Monde.

    - La ralit, cest du Rel puis par limaginaire et tamis, prfigur, par le symbolique.

    La ralitest tout ce que lon peut comprendre et saisir du Rel par le biais ncessaire du

    symbolique, notamment par le langage comme lment essentiel.

    - On se cogne contre le Rel,mais on sappuie contre la ralitque lon construit sans

    cesse travers un champ symbolique.

    - Limaginaire-source est la facult de cration radicale de formes, figures, images,

    symboles, mythes, tant psychiques que social-historiques, qui sexprime par et dans le

    Reprsenter/Dire des hommes.

    - Limaginaire-processusest le droulement et le dveloppement de limaginaire-source.

    - Limaginaire-effectifest le rsultat symbolique ou chimrique du cours de limaginaire-

    processus.

    - Lechimrique est le rsultat dune perte de la ralit dans un processus dexpansion

    dmesure de limaginaire irrel qui saccompagne dune rduction considrable et

    inconsciente de la polysmie, de lquivocit et de lambivalence des significations et des

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    reprsentations issues de la complexit du Monde.

    - Le symbolique est lensemble des traductions de limaginable dans et par un code, une

    structure de significations socialement admises une poque considre.

    Dans le symbolique :

    * La synthmatique est le code scientifique qui exprime la rduction maximale de la

    polysmie du Rel, en fonction dune convention arbitraire mais ncessaire.

    * La symbolique est lensemble des rapports de sens quexpriment les arts et les diverses

    spiritualits, par le truchement des symboles et des mythes. Elle suppose un dcryptage et une

    hermneutique.

    - Lidologique reprsente le systme dides, de significations et de reprsentations

    puises dans le symbolique et se rapprochant sans cesse du chimrique par un processus de

    rationalisation rductrice de plus en plus sophistiqu.

    Limaginaire comme errance du Rel

    Dans son aventure et son flux migratoire, limaginaire vient draguer le Rel, mais celui-ci

    nest pas autre chose que celui-l. Rsultat dune activit chimico-lectrique des cellules

    crbrales, limaginaire, dans sa composante personnelle, est le Rel-Monde qui sexprime

    sur le mode de laphusis. Limaginaire dit lerrance du Rel dans le cerveau humain. On peut

    comprendre limaginaire, analogiquement, comme une onde et comme une particule. En tant

    que flux particulaire, limaginaire extriorise le Rel en lui arrachant des fragments sans cesse

    renouvels, qui viennent sinscrire, transforms, dans un champ symbolique.

    Mais en tant quonde, limaginaire est le Rel tout entier comme expression de lUn-Tout

    dans sa singularit imaginante.

    Cest pour cette raison que limaginaire spare et unifie tout la fois. Le Rel fragment,

    entran par le flux de limaginaire, ne peut tre reconnu scientifiquement que par des

    concepts et des thories ou par des symbolismes religieux qui semparent dune de ses

    cohrences supposes au dtriment de toutes les autres passes, prsentes et venir. Dans son

    point de jonction avec le chimrique, la drive imaginaire-Rel aboutit lenfermement

    psychotique, sparation radicale dune vision aphone au sein dun logos mdicalis et

    tonitruant quelle perce, sans cesse, dinquitants trous noirs.

    Mais par lautre ouverture, limaginaire unifie ce qui semble tre spar : le pass, le

    prsent et lavenir ; lespace et le temps ; la naissance et la mort ; lamour et la haine ; le

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    stable et le mouvant ; la pense et laction ; la reproduction et la cration. Comprendre le

    double jeu de limaginaire comme pichenette du Jeu du Monde, cest assumer avec humour,

    lambivalence radicale de lHomme.

    Transversalit phantasmatique de limaginaire pulsionnel

    Limaginaire pulsionnel renvoie la problmatique de la psych-soma individuelle, sa

    dynamique pulsionnelle et ses mcanismes de dfense. La pulsion (Trieb) se manifeste dans

    la psych par l'intermdiaire d'une reprsentation (forme par et dans la psych ). Du point de

    vue psychanalytique, nous pouvons soutenir deux catgories de pulsions antagonistes : Eros

    et Thanatos, la pulsion de vie et la pulsion de mort. Si les psychanalystes s'accordent sur lapulsion de vie (pulsions sexuelles et pulsions d'auto-conservation), ils ne partagent pas tous

    l'obsession de Sigmund Freud pour la pulsion de mort partir d' au-del du principe de

    plaisir (1920). On sait que pour Freud, la pulsion de mort (traduit par la suite par

    Thanatos ) s'impose, en dernire instance, comme une tendance inhrente l'tre humain,

    revenir un tat antrieur de non-tension, au moment de la non-vie qui, ncessairement, a

    prcd la vie dont Eros a constitu le moteur et le trouble-paix comme il l'appellera

    dans le Moi et le Ca.

    On connat la nvrose freudienne propos de la question de la mort, ce qui en fait

    d'ailleurs mes yeux un tre profondment attachant. Son mdecin, Max Schur a crit un

    remarquable livre sur ce sujet.40 Il parat vident que sa thorie de la pulsion de mort est

    directement relie l' histoire personnelle de Freud (il tait atteint d'un cancer), son histoire

    familiale (notamment la mort de son petit fils Heinele) et de son histoire sociale (il a vcu

    douloureusement et lucidement l'hcatombe de la Premire Guerre Mondiale).

    L'argumentation freudienne peut tre conteste bien des niveaux41. Il n'est pas vrai que tous

    les tres vivants cherchent rduire fondamentalement toute nouvelle tension. Chez les chats

    et les chiens, ce qui pourrait, premire vue, constituer des lments de pulsions de mort est

    expliqu diffremment et pertinemment par les psychologues, qui mettent en lumire

    l'importance, chez l'homme, de la subtilit et la varits des facteurs cognitifs devant une

    situation problmatique. (Jacques Van Rillaer)42 .

    40 Max Schur,La mort dans la vie de Freud, Paris, Gallimard, 1982 (1975), 688 p.

    41 Voir la r-interprtation du clbre cas dAnna O, par Michel LobrotLes forces profondes du moi, Paris,Economica, 1983

    42 Jacques Van Rillaer, les illusions de la psychanalyse, Belgique, P.Mardaga, 1980, 415 p., pp 288-296

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    Jappelle imaginaire pulsionnel la fois la source, le processus et le rsultat dune

    imagination qui prend appui sur les pulsions de ltre humain. Derrire cette notion se dessine

    donc une thorie des pulsions lies aux besoins fondamentaux de lindividu. La question est

    particulirement difficile. Nous suivons bien volontiers la thorie psychanalytique quand il

    sagit de reprer Eros, la pulsion de vie dans laquelle nous incluons la fois les pulsions

    dauto-conservation et les pulsions sexuelles. Mais ces pulsions lies aux besoins de survivre

    et aux besoins de se reproduire refltent-elles compltement ce que nous pouvons nommer

    Eros ? Ne trouve-t-on pas dautres besoins donnant lieu des pulsions elles-mmes

    engendrant des dsirs, dans ce que nous appelons la pulsion de vie ? On sait que Abraham

    Maslov a propos une thorie des besoins assez large43. Faut-il laccepter o la critiquer

    comme tant idaliste ? Doit-on sen tenir, en fin de compte, deux pulsions Eros et Thanatos

    : la pulsion de vie et la pulsion de mort ? Et mme, dans la foule freudienne, ne voir, en

    dernire instance, que le jeu muet et souterrain, de la pulsion de mort ? Sur quoi staye donc

    cette capacit imaginer : la survie, la reproduction, le besoin dtre reconnu, le besoin dtre

    reli une totalit plus vaste ?

    Les freudiens ont fond leur thorie sur le besoin de survivre. A partir de la faim, le bb

    se lie fantasmatiquement au sein dans un imaginaire indiffrenci, totalitaire et tragique.

    Lamour nat de ce rapport ce qui nourrit dabord le corps en tat de besoin. Lamour est

    donn de surcrot. Les historiens parlent galement delamour en plus, relevant la relativit

    de lamour maternel, envisag comme un instinct, suivant les poques, dans lhistoire

    sociale44. Il nest pas un besoin primaire. Certes, ensuite, lamour devient, en quelque sorte,

    partie intgrante, de la relation entre lenfant et sa mre. Le regard de lenfant vers sa mre,

    pendant quelle lui donne le sein, scelle le sentiment amoureux, sur un plaisir dorgane. Il

    devient indissociable dun plaisir sensoriel. Puis peu peu le sentiment amoureux prendra sa

    relative autonomie et inventera sa propre sphre fantasmatique.

    Mais nexiste-il pas un besoin primaire que nous pouvons nommer attachement avecRen Zazzo ? Un besoin indpendant, ds le dbut, de celui de se nourrir et tout aussi

    primordial pour la survie physique de ltre humain ? Les travaux du psychanalyste anglais

    John Bowlby, de lamricain Ren Spitz et ceux de Ren Zazzo mont convaincu de

    lexistence de ce type de besoin primaire chez ltre humain, et dune pulsion dattachement

    43 Abraham Maslow., Vers une psychologie de ltre, Paris, Fayard, 197444 Elisabeth Badinter,Lamour en plus, histoire de lamour maternel, XVII-XX sicle, Paris, Flammarion,

    1980, 373 p.

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    correspondante45. Ds lors il sensuit un champ de dsir et de reprsentations imaginaires

    propres ce registre fondamental.

    Cela ne nie pas, pour autant, la question de la pulsion de mort. Encore faut-il sentendre sur

    ce concept.

    La pulsion de mort au sens freudien du terme, est conue comme un retour dun point de

    tension corporel vers un point de non-tension procurant une satisfaction psychologique. Cest

    la dcharge orgasmique nomme galement petite mort . La pulsion de mort nous entrane

    vers un retour ltat inerte, de non-mouvement, de non-vie, en fonction dune loi et dune

    compulsion de rptition. Pour Freud, la vie vient de la matire inerte et y retourne suivant

    une attraction essentielle, aprs avoir dcouvert sa finitude inscrite dans la sexualit, chez ce

    vivant complexe quon nomme un tre humain. Le jeu de lnergie libidinale est celui dun

    ternel retour vers la non-vie aprs une entropie sans cesse croissante. Loption philosophique

    est tragique et son fondement est celui dun stocisme moderne qui regarde la mort en face.

    Sigmund Freud et ses dizaines doprations chirurgicales la mchoire, Freud reli

    inluctablement pendant presque vingt ans son cancer, en sait quelque chose.

    La psychanalyse, sous cet angle, est proprement rvolutionnaire car toutes les dictatures

    sont fondes sur un dni de la mort et une assurance illusoire gonfle didologies. Mais la

    psychanalyse a-t-elle, pour autant, raison ? Nul ne peut saveugler sur la prise de position

    indmontrable qui est la base de la philosophie freudienne. Quest-ce que la Vie ? et quest-

    ce que la pulsion de vie ou la pulsion de mort ? Personne, ce jour et en ltat de nos

    connaissances scientifiques, ne peut rpondre premptoirement cette question. Le passage

    dun tat de tension un tat de non-tension est-il vraiment ce qui procure un plaisir

    recherch inconsciemment en dernire instance ? Ne faut-il pas faire le point sur ce qui relve

    dun processus de rduction et dun processus damplification, dun mouvement centripte et

    dun mouvement centrifuge de lnergie, dans le bien-tre de lhomme ? Le plaisir de

    lorgasme, dans la sexualit par exemple, est-il li exclusivement et principalement la

    dtente corporelle aprs une phase dextrme tension ? Nous pouvons concevoir une autre

    option, dans la foule de Georges Bataille et de sa notion de dpense 46. Lnergie sexuelle

    qui nous dynamise doit (tlonomiquement) se rpandre dans une totalit plus vaste que nous-

    mmes. La phase extrme du vcu de diffusion expansive infinie de cette tension nergtique

    dans un plus dnergie englobante, avec le rire joyeux qui laccompagne, ne constituerait-elle

    45 Ren Zazzo et al., lattachement, Paris, Delachaux et Niestl, coll. Zeithos, 1974 et la mise au point deHubert Montagner,lattachement, les dbuts de la tendresse, Paris, Odile Jacob, 1988, 335 p.

    46 Georges Bataille,La part maudite, Paris, Point/ ditions de Minuit, 1967

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    pas alors ce quon nomme orgasme 47?

    En vrit, sur cette question minemment intime, chacun peut valuer sa propre exprience

    sa juste mesure et en tirer des consquences pour une philosophie de la vie. Bien sr si nous

    suivons la conception de la pulsion de mort chez Franoise Dolto, nous pouvons facilement

    nous accorder. Ne nous dit-elle pas que nous entrons dans la pulsion de mort chaque fois

    que nous nous endormons car nous mourrons alors en tant qutre de dsir conscient. Sous cet

    angle la pulsion de mort est ce qui met en cause radicalement notre ego. Cette conception

    rejoint les points de vue des plus hautes sagesses de lhumanit pour lesquelles savoir mourir

    ne consiste pas seulement reconnatre la finitude du corps mais accepter dans une vision

    pntrante lextinction mme de lego li au mental.

    Revenons notre thorie des pulsions la base de cet imaginaire pulsionnel.

    Pour ma part, j'entends par Eros tout ce qui vise la complexification, la structuration

    et l'attraction du vivant par et vers son semblable.

    Par Thanatos, ce qui cherche, d'une manire oppose et complmentaire, mais sans

    jugement sur la priorit de la pulsion, la dstructuration, la simplification, la rpulsion du

    vivant l'gard de l'autre.

    Par Polmos, ce qui est de l'ordre d'une agressivit non destructrice, du caractre

    conflictuel et agonistique en soi et chez les autres.48 Ce qui me parat contraire la mort, ce

    n'est pas la vie mais la naissance. Pas de naissance sans mort. Pas de mort sans (re)naissance

    au sein d'un processus infini de cration/destruction de formes vitales toujours neuves.

    Nous trouvons dabord une pulsion de vie Eros dans laquelle je fais entrer les pulsions

    dauto-conservation et les pulsions sexuelles mais encore une pulsion dattachement, une

    pulsion de reconnaissance de soi par lautre et la socit et une pulsion de reliance envers tout

    ce qui vit. Plus largement la pulsion de vie est cette nergie incarne qui conduit

    conflictuellement un tre dou de vie aller vers une plus grande complexit par le biais de

    structures htrognes de plus en plus organises et de plus en plus vastes. Je caractrise lapulsion de vie comme un phnomne amplificatoire faisant entrer le vivant dans le

    vivant et le vivant dans tout ce qui est et quon dsigne sous le terme de rel . Est anim

    par une pulsion de vie, lhomme qui accomplit ce que Jiddu Krishnamurti nomme la

    rvolution du rel .

    Je reconnais la pulsion de mort sur deux plans :

    - sur le plan physique il sagit bien dune lutte entre des forces entropiques et des forces

    47 lhomme est ltre qui, aprs le cot, rit crit Michel Serres dans le tiers instruit(1991)48 Erich Fromm,La passion de dtruire, anatomie de la destructivit humaine, Paris, R. Laffont, 1975.

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    nguentropiques, avec en dernire instance et par rapport lunit individuelle spare, la

    victoire des forces entropiques et homognisantes. Oui, comme dit le pote tout va vers la

    mort et vers le froid (Eugne Guillevic) pour lindividu.

    - sur le plan psychologique la pulsion de mort est ce qui nous pousse dconstruire la

    nature complique de lego, de ce que nous pouvons nommer notre personnalit , pour

    nous conduire imperceptiblement vers la complexit de lunivers dans lequel notre place est

    infime et phmre. Il sagit dune nergie qui dlie les enchevtrements psychiques et les

    illusions scurisantes, qui rduit la totalit apparente dune vie en units de plus en plus

    lmentaires au point de se dissoudre dans le plus rien. La pulsion de mort nous ramne ce

    point dtre o notre identit a commenc se mouler dans notre reflet spculaire et

    jubilatoire et nous fait passer de lautre ct du miroir o la mort elle-mme se dnoue.

    En vrit la pulsion de mort, sous cet angle, est constitutive de la pulsion de vie porte

    son plus haut degr dintensit. Car la vie nest-elle pas vcue, dinstant en instant, avec le

    maximum dampleur ds lors que nous connaissons de lintrieur quelle est rationnellement

    de lordre dun non-sens radical partir duquel nous pouvons co-natre un je-ne-sais-

    quoi et un-presque-rien (Vladimir Janklvitch) dot dun sens imprvu et dans lequel

    nous ne sommes que poudroiement dtoiles filantes?

    Eros est ce mouvement nergtique interne qui cherche s'extrioriser, dans une

    dynamique d'attraction, de structuration, de complexification, d'htrognisation

    diffrentielle mais aussi, de non-sparabilit, d'unification au systme vivant et, peut-tre

    mme, au systme cosmique dans son intgralit. Toute la force de l'instituant se trouve l, et

    c'est cet endroit que le psychosociologue institutionnaliste doit revenir pour percer son

    occultation par les pouvoirs tablis dans l'organisation. Evidemment la logique inconsciente

    du dsir proprement sexuel, au sens freudien du terme, y a sa place essentielle et la

    psychanalyse reprsente une thorie trs importante de comprhension partielle du mode de

    fonctionnement du sujet humain. Faut-il, pour autant suivre Freud, dans sa radicalit propos

    de la pulsion de mort ? Le travail silencieux de la pulsion de mort est-il le dernier mot de

    l'histoire humaine? Le retour l'inerte, l'inorganique, est-il inscrit d'une manire indlbile

    au cur de la psych au point d'en tre le moteur central? Beaucoup de cas psycho-

    pathologiques nous invitent suivre cette thorie. Mais est-elle gnralisable tout tre

    humain? On sait que l'histoire personnelle tragique de Freud se mle sa conviction thorique

    et on peut se demander s'il n'a pas suivi une pente thorique qui correspondait la fois aux

    connaissances de son temps et sa complexit personnelle. Je ne crois pas que l'on puissetrancher ce dbat qui est, en dernire instance, une croyance trs personnelle exprimenter

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    soi-mme dans les preuves de la vie. Je me refuse en tout cas enseigner dogmatiquement

    sur ce sujet et je rappelle aux tudiants qu'Erich Fromm a crit, avec beaucoup de nuances, l

    ouvrage prcit qui tente de dcrire l'anatomie de la destructivit humaine partir de

    l'anthropologie. Nanmoins, je pense, comme Stanislav Grof et la psychologie

    transpersonnelle, que la question de la mort et de la finitude est une prise de conscience

    inluctable pour tout tre humain digne de ce nom. Sans cette conscience existentiellement

    vcue, le sens de la vie ne saurait tre trouve.

    Pour moi la pulsion de mort signifie que dans un groupe, comme en moi-mme, je

    rencontrerai toujours une tendance la rpulsion, la simplification, la rduction de la

    complexit, la dstructuration, la destructivit au del de l'agressivit. Cette destructivit

    peut me conduire ne plus rien vouloir, ne plus dsirer vivre. Mais son influence est

    relative. Elle est intrinsquement relie au champ de relations sociales positives et ngatives

    qui me constituent : Pour que la mort soit juste, il faut que la vie soit juste crivait Nazim

    Hikmet du fond de sa prison. Le jeu des pulsions conduit la phantasmatisation des rapports

    humains qui correspondent tout une gamme de sensations et de sentiments: joie, peur,

    colre, rverie, envie, admiration. Mais aussi la mise en uvre des mcanismes de dfense :

    projection, sublimation, dplacement, refoulement, isolation, formation ractionnelle,

    retournement contre soi-mme, rgression, annulation rtroactive, inhibition, rtraction,

    ngations, intellectualisation, identification l'agresseur. A retenir, trois types principaux:

    projection, introjection et identification. Un exemple d'affect en uvre dans la

    communication : la Peur.

    - d'tre jug, de me voir travers l'autre.

    - d'tre chang, remis en question.

    - d'tre domin, incompris.

    - d'tre du, mal aim.

    - d'tre utilis, manipul.

    - d'tre sduit puis abandonn.

    - de l'indiscrtion, d'tre viol dans son intimit.

    - d'tre dvor.

    - de s'exhiber.

    - d'avoir mal et de faire mal...

    Transversalit institutionnelle de limaginaire social

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    Pour la comprendre, il faut pouvoir changer de systme de reprage. La transversalit

    institutionnelle suppose un dcentrage par rapport l'individu. Dsormais, ce qui influence le

    comportement provient du champ historico-social. Toute socit, dans son mouvement

    historique (historicit), se cre tout en engendrant un Imaginaire social, c'est--dire un

    ensemble de significations imaginaires sociales :

    - significations ou lments smiotiques comportant du sens.

    - imaginaires, c'est--dire non-conscients des acteurs sociaux et non rductibles un rel

    ou un rationnel.

    - sociales : qui s'imposent tous les membres de la socit indpendamment d'eux et

    engendres par le systme macro-social en tant que tel.

    L'imaginaire social est donc le concept de rfrence pour comprendre la transversalit

    institutionnelle. L'imaginaire social est avant tout :

    - une totalit en acte, toujours inacheve.

    - rgi par un principe de non-consciencede la part de ceux qui le subissent tout en le

    crant et en le reproduisant.

    - insondable et magmatique, c'est--dire inpuisable, dynamique, inextricable. Seuls des

    lments de cohrence peuvent tre dgags, mais ils ne refltent qu'une partie de l'imaginaire

    social.

    - Irrductible une quelconque explication totalisantedu genre de celle d'Emmanuel

    Todd propos des relations entre les structures familiales et les structures des idologies

    politiques49 ou de lexplication causale par le seul dsir mimtique chez Ren Girard.

    -alinant et crateur: l'imaginaire social comporte une dimension de leurre permanent,

    un miroir aux alouettes, mais en mme temps, une dimension cratrice, un Principe

    esprance (Ernst Bloch) qui permet de faire des projets d'avenir et, ainsi de contribuer

    construire la socit future.

    - l'imaginaire social englobe les idologies. Toute idologie n'est qu'une forme

    rationalise et apparente (ou susceptible de l'tre) de l'iceberg imaginaire social dont la plus

    grande partie demeure inconnue.

    - L'imaginaire social se structure, partiellement, sous la forme symbolique d'Institutions.

    Avec Cornelius Castoriadis, le penseur de l'imaginaire social, nous appelons institution

    un rseau symbolique, socialement sanctionn, ou se combinent, en relations et en

    49 Emmanuel Todd,La troisime plante, Paris, Le Seuil, 1983

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    proportions variables, une composante fonctionnelle-relle et une composante

    imaginaire50.La composante fonctionnelle-relle s'appuie sur une base organisationnelle. Les

    grandes Organisations du social exercent leur emprise en imposant tous un champ

    institutionnel dcoulant de l'imaginaire social de la socit considre.

    Par exemple :

    IMAGINAIRE SOCIAL

    Institutions : Education Mariage Militance Religion

    Organisations : Ecoles Famille Syndicats Eglises

    Universits couples partis sectes.

    Il y a toujours un lment de ralit la base de la composante fonctionnelle-relle de

    l'institution. C'est le il faut tre raliste et le il ne faut pas rver! des hommes de

    pouvoir. Mais on oublie trop souvent que cette composante est double par la composante

    imaginaire, la fois leurrante et cratrice. Les Organisations et les groupes vont tre porteurs

    (producteurs/reproducteurs) d'institutions, souvent de manire implicite. Si l'organisation de

    type X (dans la typologie de l'amricain Douglas Mac Gregor)51 renforce plutt l'imaginaire

    social leurrant, conformiste et reproducteur de normes inchanges, l'organisation de type Y,

    au contraire, s'appuie sur la part cratrice, instituante, de l'imaginaire social par son ouverture

    et sa confiance dans les potentialits novatrices de l'tre humain. Encore faut-il se garder de

    toute envie manichenne (le bon = l'instituant ; le mauvais = l'institu) Cet instituant se

    manifeste toujours pour le meilleur et pour le pire: La Bourgeoisie, le Bolchevisme, le

    Nazisme, le Fascisme ont t, ds le dpart, des formes contestataires et minoritaires

    apparemment instituantes par rapport au rgime politique et social en place. On sait ce

    qu'ils sont devenus par la suite.

    Imaginaire social, institutions et habitus

    La socit , dans le droulement de sa propre histoire, et partir des changements dans sa

    base technico-conomique, des rapports de force entre les groupes et les fractions de classes

    sociales qui cherchent asseoir leur hgmonie, mais galement de phnomnes naturels et

    cosmiques sur lesquels nul na de prise, engendre sans discontinuer un magma de

    significations imaginaires sociales, s'imposant tous dans une mconnaissance institue.

    50 Cornelius Castoriadis,Linstitution imaginaire de la socit, Paris, Seuil, 197551 Douglas Mac Gregor,La dimension humaine de lentreprise, Paris, Gauthier-Villars, 1971

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    Toutes les institutions sont porteuses de cet imaginaire social qui constitue galement ce que

    l'on appelle la culture d'une socit . L'idologie n'est que la part rationalise et

    rationalisable de l'imaginaire social. Les institutions sont des rseaux symboliques,

    constitus comme bains de sens pour les agents sociaux. Elles tissent une matrice dans

    laquelle les habitus naissent et s'imposent tous ceux qui sont soumis leur violence

    symbolique. L'habitus est un schme gnrateur de structures conformes la logique de la

    structure d'inculcation (phnomne de reproduction)52 .

    L'habitus conduit les destinataires lgitimes avoir les mmes gots , les mmes

    attirances, les mmes dgots et rpulsions, le mme sens pratique et la mme

    distinction 53 sans qu'ils soient conscients de la faon dont ils ont t mouls ainsi dans et

    par les institutions appropries depuis la naissance jusqu' la mort. Pourtant l'habitus n'est

    jamais totalement russi dans les socits contemporaines habites par des

    phnomnes de diffrenciation culturelle. Il ne saurait tre, comme le pense Pierre Bourdieu,

    une sorte de programme dordinateur , comme il la encore rpt dans une mission

    tlvise dAntoine Spire en dcembre 1990. L'habitus est toujours plus ou moins rat . Il

    prsente des failles par o s'infiltrent des dynamiques de forces instituantes. Cette logique

    rsulte dune cohrence entre les relations conceptuelles de lhabitus, de linstitution et de

    limaginaire social dans la perspective de C. Castoriadis. Au niveau des groupes et des

    classes sociales, cela donne un processus conflictuel entre ce qui est de l'ordre de l'institu et

    de l'ordre de l'instituant dans chaque institution. Cette lutte entre l'instituant et l'institu

    reflte la dialectique mme de l'imaginaire social qui est la fois leurrant et crateur54 .

    Cette conceptualisation de l'imaginaire social et de ses retombes institutionnelles et

    personnelles (par l'habitus) reprsente u