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INNOVATIONS ORGANISATIONNELLES DE LA CULTURE ET REVITALISATION SOCIALE, IDENTITAIRE ET ÉCONOMIQUE DES TERRITOIRES : L'EXEMPLE DE LA DÉCENTRALISATION D'UN ÉTABLISSEMENT CULTUREL NATIONAL Gerhard Krauss De Boeck Supérieur | Innovations 2014/1 - n° 43 pages 115 à 133 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2014-1-page-115.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Krauss Gerhard, « Innovations organisationnelles de la culture et revitalisation sociale, identitaire et économique des territoires : l'exemple de la décentralisation d'un établissement culturel national », Innovations, 2014/1 n° 43, p. 115-133. DOI : 10.3917/inno.043.0115 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 12/04/2014 23h54. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 12/04/2014 23h54. © De Boeck Supérieur

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INNOVATIONS ORGANISATIONNELLES DE LA CULTURE ETREVITALISATION SOCIALE, IDENTITAIRE ET ÉCONOMIQUE DESTERRITOIRES : L'EXEMPLE DE LA DÉCENTRALISATION D'UNÉTABLISSEMENT CULTUREL NATIONAL Gerhard Krauss De Boeck Supérieur | Innovations 2014/1 - n° 43pages 115 à 133

ISSN 1267-4982Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2014-1-page-115.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Krauss Gerhard, « Innovations organisationnelles de la culture et revitalisation sociale, identitaire et économique des

territoires : l'exemple de la décentralisation d'un établissement culturel national »,

Innovations, 2014/1 n° 43, p. 115-133. DOI : 10.3917/inno.043.0115

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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INNOVATIONS ORGANISATIONNELLES DE LA CULTURE ET REVITALISATION

SOCIALE, IDENTITAIRE ET ÉCONOMIQUE DES

TERRITOIRES : L’EXEMPLE DE LA DÉCENTRALISATION

D’UN ÉTABLISSEMENT CULTUREL NATIONAL1

Gerhard KRAUSSESO-Rennes (Espaces et Sociétés), UMR CNRS 6590

Université de Rennes [email protected]

Le présent article étudie le cas de la décentralisation d’un établissement culturel national en France : l’implantation du Centre Pompidou à Metz. Il reconstitue le processus qui a conduit à cette nouvelle structure et au choix inattendu de la ville de Metz. À l’exemple du Centre Pompidou à Metz, nous démontrerons en quoi l’innovation nécessitait la formation d’un champ d’action stratégique autour du projet, dont l’émergence au départ était plu-tôt incertaine, voire improbable. Il fut rendu possible grâce à la rencontre, au bon moment, d’acteurs-clés dans des circonstances favorables, dont le caractère aléatoire est difficile à nier.

Le cas étudié relève du secteur des « industries culturelles et créa-tives »2 – désignation introduite dans le débat dès la fin des années 1990

1. Le présent article s’appuie sur des recherches ayant bénéficié d’un financement de la Maison des sciences de l’homme en Bretagne (MSHB), du conseil scientifique de l’université Rennes 2, ainsi que du laboratoire ESO-Rennes (UMR CNRS 6590). Nous remercions ces institutions pour leur soutien.2. Plus précisément du sous-secteur des infrastructures culturelles.

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afin de rendre compte des liens entre culture, innovation et développement économique (cf. DCMS 1998 ; 2001). Cette désignation met l’accent da-vantage sur la dimension économique que sur les seuls objectifs culturels du secteur. De nos jours, la créativité culturelle est supposée jouer un rôle central dans les économies postindustrielles (KEA 2009) et l’économie de la culture attire une attention accrue, en raison notamment des effets ex-ternes positifs que peuvent avoir les biens ou services culturels sur d’autres activités (Benhamou, 2011). Les externalités générées par l’activité d’un musée (qui fait partie des infrastructures culturelles) sur l’économie locale (Johnson, 2003, pp. 316 et 319) en sont un exemple. Différentes utilisations de la terminologie peuvent néanmoins être constatées. Throsby identifie six modèles différents de catégorisations des industries culturelles et créa-tives (Throsby, 2008), Hesmondhalgh distingue entre le courant nord-amé-ricain de l’économie de la culture et l’approche des industries culturelles (Hesmondhalgh, 2008, p. 553 ; 2007). Globalement, ces « industries » se caractérisent par des taux de croissance élevés (UNCTAD, 2010 : 23) et une production « à grande échelle de biens et de services culturels ayant suffisamment de contenu artistique pour être considéré comme créatives et culturellement impor-tantes » (Towse, 2003, p. 170).

Partant de l’hypothèse que le succès de l’implantation d’un nouvel établis-sement culturel sur le territoire, dans ses différentes dimensions : culturelle, symbolique, identitaire, sociale et économique, dépend de son encastrement social, nous avons choisi de mettre l’accent sur l’analyse des processus en amont de l’encastrement social de l’objet culturel, au lieu d’aborder direc-tement les effets directs et indirects, notamment économiques. Ces derniers auraient été plus difficiles à évaluer, l’implantation du Centre Pompidou à Metz étant encore récente.

LE CADRE THÉORIQUE : FORMATION D’UN « CHAMP D’ACTION STRATÉGIQUE » AUTOUR DU PROJET D’INNOVATION ET RELATIONS MULTI-SCALAIRES

Le concept de « système d’innovation » englobe l’idée d’un système cohérent d’institutions et d’acteurs favorisant les innovations. Appliqué aux « secteurs », il vise à élargir la perspective de l’économie industrielle standard, dépassant la conception sectorielle classique axée sur la techno-logie, la demande et l’interdépendance stratégique, en y ajoutant d’autres facteurs majeurs, tels le savoir, les complémentarités ou encore l’hétéro-généité des agents (Malerba, 1999). Le « système sectoriel d’innovation »

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(Malerba, 1999) représente comme le « système régional d’innovation » (Braczyk, Cooke, Heidenreich, 2004) une variante plus récente des concepts de « système d’innovation » et de « système national innovation » (Lundvall, 1992 ; Nelson, 1993).

Afin de développer une compréhension plus fine des processus en œuvre dans un système sectoriel d’innovation, nous nous appuierons par la suite, pour le domaine de l’art et de la culture, sur les observations empiriques du cas évoqué. Nous avançons l’hypothèse qu’autour des projets d’innovation se forment des champs d’action stratégiques visant des innovations institu-tionnelles et organisationnelles, en parallèle aux innovations conceptuelles-techniques.

Le concept de « champ d’action stratégique » (Fligstein, McAdam, 2011, 2012) a récemment été présenté par des auteurs proches du courant néo-ins-titutionnel. Au départ, ce dernier (cf. Powell, DiMaggio, 1991) s’était ins-piré de la théorie des champs de Pierre Bourdieu. Les néo-institutionnalistes mobilisent le concept d’institution dans une perspective surtout phénomé-nologique, en insistant plus particulièrement sur la dimension cognitive des institutions, ainsi que sur leurs effets sur la perception de la réalité (voir à cet égard l’article pionnier de Meyer et Rowan, 1977).

La théorie des champs d’action stratégique élaborée par Neil Fligstein et McAdam vise à corriger l’orientation dominante du néo-institutionnalisme des années 1980 et 1990. Pendant ces deux décennies, les auteurs s’inscri-vant dans ce courant privilégiaient l’analyse de la stabilité cognitive de l’ordre social, ainsi que celle des phénomènes d’isomorphisme, aux dépens de l’analyse des luttes et conflits entre les acteurs autour de la création d’insti-tutions. L’approche de Fligstein et McAdam prend dorénavant davantage en compte la dimension dynamique de l’émergence des institutions et met l’ac-cent sur l’importance des conflits, du changement et de la remise en question de l’ordre institutionnel au cours d’affrontements politiques entre acteurs.

Le cas de l’implantation du Centre Pompidou à Metz illustre bien le caractère à la fois stratégique et collectif du projet d’innovation. La clé de réussite de ce dernier était son encastrement social (au sens de la sociologie de Granovetter) dans un réseau vaste d’acteurs hétérogènes, et la formation d’un cadre institutionnel lui étant favorable. La genèse du projet et sa réali-sation reflètent la formation et l’évolution d’un champ d’action stratégique, composé d’acteurs à intérêts variables, liés par des relations stratégiques, qui s’accordent sur les enjeux communs du champ.

À part ces coalitions intra-, mais aussi intersectorielles, le projet d’inno-vation était connecté, de façon variable, à des échelles spatiales différentes. Il était exposé à des influences multi-spatiales. Ayant une certaine visibilité

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internationale, il était sensible aux influences extérieures, par exemple, au débat autour du Musée Guggenheim à Bilbao. S’y ajoutaient les répercus-sions nationales, notamment l’enjeu de la décentralisation des institutions culturelles nationales, et locales/régionales (redynamisation du territoire). Afin de prendre en compte les interdépendances et multiples interactions entre les différentes échelles spatiales, nous proposons d’associer la théorie de structuration d’Anthony Giddens (Giddens, 1987) et celle de la structu-ration des échelles et des relations socio-spatiales de Neil Brenner (Brenner, 2001). Selon la première, le concept de « dualité du structurel » permet de lier structure et action. Les structures et institutions ne sont pas fixes, mais évoluent et n’existent qu’à travers leur utilisation (donc reproduction et modification) récurrente par les acteurs sociaux. La deuxième permet d’intégrer la question des interdépendances entre différentes échelles spa-tiales dans l’analyse. L’originalité de l’approche de Brenner consiste à penser cette question comme processus de structuration et restructuration des dif-férentes échelles. Dans notre cas, celui de la création d’un deuxième Centre Pompidou en province, la problématique des relations multi-scalaires s’y trouve en filigrane, à travers les questions relatives à l’influence des évolu-tions globales, telle la mondialisation, ainsi que celle des politiques cultu-relles, sociales et économique aux niveaux national et territorial.

LE POINT DE DÉPART : LA DÉCENTRALISATION DU CENTRE POMPIDOU ET LA RECHERCHE DE SON NOUVEAU LIEU D’IMPLANTATION3

La décision en faveur d’un projet de décentralisation du Centre Pompidou illustre bien la capacité d’innovation du secteur culturel en France, bien que la réalisation du projet n’ait pu se faire sans l’implication d’autres secteurs,

3. Notre étude de cas du Centre Pompidou-Metz s’appuie – outre l’analyse de documents et de publications scientifiques – sur l’exploitation de 23 interviews semi directives, d’une durée d’une heure en moyenne (le maximum étant deux heures et demie), avec les acteurs clés du projet. Plusieurs séjours a Metz et à Paris ont été effectués dans la période entre juin 2011 et janvier 2012 pour mener ces interviews (interviews avec les initiateurs du projet du côté du Centre Pompidou Paris et de la Mairie de Metz, les membres du jury de concours d’architectes, les directions du Centre Pompidou de Paris et de Metz, les secrétaires généraux des deux Centres, l’un des architectes, l’équipe de programmation du Centre Pompidou-Metz, les relations pu-bliques, l’association des amis du Centre Pompidou-Metz, les représentants d’autres institutions culturelles de la région, tels les directeurs de musées, de collections d’art ou d’Écoles d’art ; les représentants des collectivités territoriales, tels la municipalité, le département, la région ; les acteurs économiques impliqués tels la chambre de commerce et d’industrie, l’agence locale de développement économique etc.).

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notamment politique et économique. Il s’agit d’un projet d’abord à carac-tère essentiellement national, même si les acteurs majeurs impliqués (indivi-duels et/ou institutionnels) disposent d’importants liens transnationaux, sont reconnus sur la scène internationale des grandes institutions culturelles et participent régulièrement à des rencontres avec leurs homologues dans d’autres pays.

La décision se situe bien à l’intérieur du système sectoriel d’innovation de la culture, ayant mûri en interne, dans le Centre Pompidou lui-même, sans intervention politique externe particulière. Ainsi, l’initiative n’est pas venue du haut de l’État français, mais de l’ancien Président du Centre Pompidou de l’époque, Jean-Jacques Aillagon.

Cette initiative a été motivée par essentiellement trois raisons : Premiè-rement, une part (trop) importante d’institutions culturelles en France était traditionnellement concentrée à Paris, produisant de grandes inégalités dans l’accès à la culture parmi la population française. Créer un deuxième Centre Pompidou en dehors de la région parisienne – selon le discours officiel – vou-lait donc dire : apporter la culture plus près des populations habitant les ré-gions (similaire à la conception des Maisons de la Culture d’André Malraux). Deuxièmement, en tant qu’institution nationale, le Centre Pompidou avait, dès son origine, la vocation de jouer un rôle très actif dans l’implémenta-tion des politiques de décentralisation. Lorsque le Centre Pompidou avait été créé au milieu des années 1970, le Ministre de la Culture de l’époque, Michel Guy, avait même utilisé le terme de « centrale de la décentralisa-tion » pour désigner le futur rôle du Centre. L’État s’était ainsi engagé, dès le départ, à ce que le Centre Pompidou se tourne plus particulièrement vers la décentralisation. Troisièmement, les exemples de filialisation de l’activité de grands musées étrangers. Reconnus sur la scène internationale, ils ont également inspiré la réflexion de la présidence du Centre Pompidou dans la deuxième moitié des années 1990 : la Tate Gallery avec ses antennes à Liverpool et à St. Ives, le Guggenheim (sur un modèle plus mercantile) et ses filiales à Venise, Berlin et à Bilbao. Il était dans l’air du temps de penser à de possibles satellisations dans d’autres lieux que le territoire parisien.

Ceci suggère que le Centre Pompidou faisait bien partie d’un système sectoriel d’innovation, dépassant le seul cadre national. Ses stratégies étant influencées par celles d’autres institutions homologues à l’étranger. La seule différence avec les autres musées ayant créé des filiales avec une approche assez mercantile et économique, en particulier le Guggenheim, était de conserver un modèle de service public, et donc de renoncer à une approche commerciale de la culture. Enfin, une autre particularité de la stra-tégie du Centre Pompidou était l’utilisation de la filialisation dans le strict cadre national (pour apporter la culture aux régions). Ainsi, la création du

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Centre Pompidou-Metz ne faisait pas partie de la stratégie internationale du Centre parisien, alors que la création de filiales était au cœur même de la stratégie internationale des autres grands musées étrangers, tel la Fondation Guggenheim.

La création du Centre Pompidou-Metz était finalement le produit d’une rencontre heureuse entre deux types de groupes d’acteurs : d’un côté, la pré-sidence du Centre Pompidou et la direction de son musée national d’art mo-derne, menées par l’ancien président Aillagon qui recherchait de possibles lieux d’implantation pour la création d’un deuxième Centre Pompidou, dans le but d’en élargir le public d’une part et de développer une nouvelle program-mation d’expositions d’art moderne et contemporain en province d’autre part ; et de l’autre côté, les élus locaux qui avaient des préoccupations dif-férentes, parce qu’ils étaient surtout intéressés par les possibles retombées économiques et par la contribution de la nouvelle institution culturelle à l’amélioration de l’image de la ville et de la région.

Toutefois, la recherche d’un lieu d’implantation s’avérait compliquée, les villes prises d’abord en considération et approchées, telles que Lille, Montpellier, Caen ou Albi n’ayant pas manifesté d’intérêt, la plupart du temps par faute de moyens (mais une fois le lieu d’implantation désigné, la jalousie réapparaissait, comme dans le cas de Nancy qui s’opposait à la décision en faveur de Metz, intervenant auprès du Président Chirac). Les réticences de ces villes s’expliquaient par le fait qu’il s’agissait d’un très gros investissement, entièrement à la charge des collectivités territoriales (et de la ville) concernées. À cet égard, le choix de Metz peut apparaître quelque peu comme le fruit du hasard ou d’une heureuse rencontre entre différents facteurs avantageux : Premièrement, le pouvoir financier disponible (Metz et la communauté d’agglomération de Metz Métropole étaient quasiment les seuls parmi les candidats imaginés à être en mesure de financer un projet d’une telle ampleur). Deuxièmement, le « hasard des rencontres » entre les personnes décisives (même si celui-ci dépendait aussi des réseaux personnels de ces dernières). Troisièmement, le hasard positif qui faisait que l’idée du projet fut un jour lancée lors d’une rencontre informelle entre Jean-Jacques Aillagon et l’adjointe du maire de Metz de l’époque, et qu’elle finalement se réalisa, alors que personne ne semblait y croire.

La prise de décision, qui débouchera sur une innovation organisationnelle majeure sous forme du nouveau Centre et qui aura un impact important sur le développement de réseaux sectoriels sur le territoire, a été préparée dans un cercle très restreint. Les acteurs clés de cette première étape décisive étaient Jean-Jacques Aillagon, en tant que président du Centre Pompidou, et Jean-Marie Rausch, en tant que Maire de Metz, ainsi que leurs équipes res-pectives. Du côté du Centre Pompidou, la dimension culturelle et artistique

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du projet (apporter la culture plus près des populations, donner un accès plus égalitaire aux collections, développer des projets originaux d’exposi-tion) était certes prédominante, mais elle faisait aussi un cas important des problèmes économiques se posant sur le territoire avec la conviction de pou-voir apporter, malgré tout, des solutions. Du côté de la municipalité de Metz, obtenir un tel projet prestigieux d’équipement culturel signifiait clairement une grande opportunité pour améliorer l’image de la ville et du territoire et pour redynamiser l’économie locale, notamment en utilisant le futur Centre et son image à des fins de marketing territorial.

Enfin, les hommes poursuivent aussi des intérêts personnels. Le Maire de Metz, par exemple, ayant été en fonction pendant plus de trois décennies et se trouvant en fin de carrière, était peut-être lui-même plus ou moins séduit par la perspective de pouvoir laisser une trace de son règne avec le Centre Pompidou-Metz.

LA CONSTRUCTION INSTITUTIONNELLE DU CENTRE POMPIDOU-METZ

La réalisation du projet dépendait entièrement de la capacité de finance-ment des collectivités territoriales. Le Centre Pompidou avait bien l’inten-tion de ne contribuer qu’en termes de savoir-faire et d’apporter ses collec-tions bien-sûr, mais aucune ressource financière. L’utilisation des œuvres des collections du Centre Pompidou Paris – ces dernières devant représenter au moins deux tiers des œuvres exposées à Metz – implique en effet que le Centre Pompidou-Metz n’a pas vocation à bâtir sa propre collection : les expositions du Centre Pompidou-Metz comprennent uniquement des œuvres prêtées, qui appartiennent majoritairement aux collections du Centre Pompidou Paris. Malgré cela, le Centre Pompidou-Metz jouit d’une grande autono-mie artistique et scientifique (à la seule condition que la qualité des projets satisfasse les exigences élevées d’un « Centre Pompidou »). Cela lui donne la possibilité de se construire une identité propre, n’apparaissant pas uni-quement comme une « antenne » du Centre Pompidou – terme que les res-ponsables récusent par ailleurs – et facilitant le développement d’un propre réseau de collaborations sur le territoire. Les expositions sont initiées et/ou conçues sur place par sa propre équipe de conservateurs (souvent sous forme de projets collaboratifs), et ne peuvent être montrées ailleurs en France.

Comme le Centre à Paris, le Centre Pompidou-Metz a adopté une approche assez large et pluridisciplinaire, ne se limitant pas à des projets d’exposition. Même si ces derniers représentent un pilier central du Centre, ses activités ne se limitent pas à la conception, au développement et à la

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programmation de nouvelles expositions temporaires. Il est aussi un centre d’information et de recherche et essaye d’élargir le public à travers le tou-risme culturel et les programmes spécifiques pour jeunes.

Dans le domaine des expositions, l’activité est principalement orientée vers le développement d’expositions d’art moderne et contemporain, avec l’accent sur l’art moderne néanmoins. Le segment que le Centre Pompidou-Metz vise à occuper est quelque peu différent des autres musées situés dans la région, ceci ouvrant la perspective d’une complémentarité possible entre ces différentes institutions culturelles. L’accent mis sur l’art moderne signifie en principe une ouverture vers un public plus large, au lieu de viser seulement un public de connaisseurs, bien formé, ce qui aurait restreint l’activité aux seules formes contemporaines et expérimentales de l’art – un segment déjà bien occupé par d’autres institutions culturelles de la région (par exemple, le FRAC Lorraine, la Synagogue de Delme, le MUDAM à Luxembourg etc.).

Le Centre Pompidou-Metz représente aussi un label. La référence à l’image générale du Centre Pompidou s’impose, incluant son architecture emblématique de 20e siècle dans le quartier de Beaubourg à Paris, conçue par Renzo Piano et Richard Rogers dans les années 1970. Il était clair, dès le départ, que ce lien devait être respecté, impliquant une conception archi-tecturale innovante pour le Centre Pompidou-Metz. Il faudrait un bâtiment emblématique pour la ville, bien visible, à l’instar de la Tour Eiffel à Paris.

Sur le plan opérationnel, l’utilisation du label « Centre Pompidou » est comme une appellation contrôlée, puisque la qualité du travail des équipes de Metz, en particulier celle de leurs projets d’exposition, est surveillée par les instances internes du Centre Pompidou. En fait, les projets et la pro-grammation à Metz et à Paris sont soumis aux mêmes procédures internes : Ainsi, tous les projets (expositions et autres activités culturelles) doivent être présentés au conseil de programmation du Centre Pompidou à Paris (qui se réunit à peu près toutes les deux semaines) et obtenir au préalable l’accord de ce dernier avant de pouvoir être réalisés. Des échanges réguliers et un vrai dialogue sont pratiqués en amont, le directeur du Centre Pompidou-Metz étant lui-même un ancien conservateur du Centre Pompidou Paris qui partage sa vie entre Metz et Paris et qui vient régulièrement à Paris avec les commissaires des expositions qu’il a en projet pour présenter, devant cette instance, sa programmation des mois ou des années à venir.

Ainsi, la structure de gouvernance accorde au Centre Parisien un impor-tant pouvoir de contrôle, le principal enjeu étant de pouvoir contrôler l’uti-lisation du label « Centre Pompidou ». Ce pouvoir de contrôle n’a pas été acquis automatiquement. Il se manifeste aussi au niveau du conseil d’admi-nistration du Centre Pompidou-Metz où le Centre Pompidou dispose d’une

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minorité de blocage (un tiers des sièges) et où son président exerce égale-ment la fonction de président du Centre messin. Ce privilège du Centre parisien n’a pas été obtenu sans contestation, certains représentants des col-lectivités territoriales y étant fortement opposés.

Concernant le financement de l’activité et de la construction du Centre Pompidou-Metz, le principe est simple : il peut emprunter les œuvres de la collection du Centre Pompidou Paris gratuitement4, mais doit financer les coûts annexes (assurance, transport etc.). Les trois quarts du budget environ sont alloués par les collectivités territoriales, le reste étant de l’autofinance-ment. Le Centre Pompidou Paris ne prend en charge aucun frais direct, mais apporte son savoir et ses collections. Les collectivités territoriales – après avoir financé l’investissement5, c’est-à-dire la construction du bâtiment – continuent à assurer le budget opérationnel, la plus grosse part revenant à Metz Métropole (4,6 millions d’euros) et la région Lorraine (4 millions d’euros), alors que la ville de Metz participe avec 400 000 euros. Une part croissante du budget doit être assurée par l’autofinancement (location de salles, billetterie etc.).6

L’IMPLANTATION DU CENTRE POMPIDOU À METZ : MOBILISATION ET DÉVELOPPEMENT DE RÉSEAUX

Selon notre hypothèse principale, la qualité intrinsèque du projet d’im-plantation du nouveau centre à Metz n’est pas l’aspect le plus important pour déterminer ses chances de succès. Plus importantes encore sont la formation et la mobilisation d’un réseau de soutien dans le secteur culturel et de l’art, voire au-delà de ce dernier. Nous supposons que cela implique la constitu-tion d’un champ d’action stratégique. Ainsi, la configuration institution-nelle émergente qui pourrait favoriser un succès durable du nouveau centre dépend de la formation de nouvelles coalitions d’acteurs stratégiques, réunis autour d’enjeux communs.

4. À la différence, par exemple, du musée Guggenheim à Bilbao qui doit payer des droits impor-tants à la Fondation Guggenheim de New York. 5. La plus grande partie de l’investissement a été prise en charge par Metz Métropole (43,33 mil-lions d’euros hors taxes), suivi par la région Lorraine (10 millions d’euros), le département (10 millions d’euros), l’État (4 millions d’euros) et le FEDER (2 millions d’euros). 6. Alors qu’initialement fixé à 1 million d’euros dans le budget 2010, ce poste passe à 3 mil-lions d’euros dans le budget 2011 et à 3,5 millions d’euros dans celui de 2012 (source : Centre Pompidou-Metz, Budget Primitif 2012 – Variations par rapport au Budget Primitif 2011).

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L’éventail des acteurs impliqués est large, montrant l’imbrication de dif-férents niveaux et arènes d’action dans un même système sectoriel d’inno-vation : cela va des acteurs que certains qualifieraient de membres d’une « classe capitaliste transnationale » (Sklair, 2005)7, en passant par des acteurs nationaux qui, eux-mêmes peuvent être présents à d’autres niveaux (inter-national, régional, local) dans leur domaine, jusqu’aux acteurs territoriaux (région, département, métropole, ville). En outre, imposer des innovations dans le secteur culturel revêt souvent un caractère politique, d’où l’existence de nombreux liens avec les acteurs des politiques culturelles.

L’organisation du concours international d’architectes en 2003 repré-sentait un premier pas vers l’encastrement institutionnel8 du futur Centre Pompidou-Metz, en réunissant un nombre important de personnalités et experts de différents secteurs, et en communiquant avec les communautés nationales et internationales. La visibilité nationale et internationale a été favorisée par l’ouverture internationale du concours, ainsi que par la com-munication autour du projet, à travers de nombreuses expositions des six concepts architecturaux présélectionnés parmi les 157 architectes partici-pants de 15 pays différents.

L’encastrement institutionnel ensuite était facilité par la décision de créer une association de préfiguration du Centre Pompidou-Metz. Ceci per-mettait de développer un réseau sur le territoire et de réaliser de premiers projets collaboratifs avec d’autres institutions culturelles de la Lorraine et de la « grande région européenne »9. En outre, pendant les quatre années précé-dant l’ouverture du Centre Pompidou-Metz, un important travail relationnel a été entrepris pour favoriser l’enracinement social du futur centre, autant avec des élus locaux et leurs administrations qu’avec des acteurs culturels. L’objectif était de créer des liens avec les réseaux existant sur le territoire, tout en rassurant les institutions culturelles locales que l’arrivée du Centre Pompidou ne représenterait aucun danger pour elles, notamment pour leurs

7. Selon Sklair (2005), on ne peut pas comprendre l’« iconicité » contemporaine de jeunes mu-sées sans faire le lien avec le processus de mondialisation et le rôle joué par une nouvelle classe capitaliste transnationale qui lie les différents espaces géographiques et sociaux. Cette classe transnationale est composée de membres ayant à la fois des agendas locaux et mondiaux. Elle bénéficie directement des projets de nouveaux musées (par exemple, les architectes vedettes et leurs cabinets mondialisés, les sociétés immobilières de développement, les hommes politiques et les bureaucrates mondialisés, les professionnels mondialisés, les médias, etc.). 8. Le terme d’« encastrement » est utilisé au sens de la sociologie de Granovetter. Le concept d’« institution » est utilisé dans sa signification sociologique, en tant qu’ensemble des usages établis structurant la vie collective.9. La « grande région européenne » représente la région transfrontalière englobant la Lorraine, la Sarre, le Luxembourg, la Rhénanie-Palatinat et une partie de la Belgique (la Wallonie et la Communauté germanophone).

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budgets. Afin de gagner la coopération et le soutien des acteurs locaux, le futur directeur du Centre Pompidou-Metz défendait la position qu’il coopé-rerait avec les institutions culturelles locales sur une base d’égalité.

Malgré tout, implanter un Centre Pompidou à Metz était une tâche dif-ficile. D’un côté, le Centre Pompidou représentait une institution très pari-sienne. Ainsi, les relations qui devaient être établies avec des acteurs locaux et régionaux, et donc non parisiens, n’étaient pas vraiment évidentes. L’arrivée du Centre Pompidou à Metz impliquait le transfert d’un certain nombre de personnel de Paris à Metz – un fait que les acteurs locaux pouvaient per-cevoir comme signe d’une relation non équilibrée. Il y avait effectivement une certaine méfiance parmi les professionnels du milieu culturel local, les conduisant à observer attentivement tous les gestes symboliques du nouveau centre. Cela concernait notamment la politique de communication et les relations avec les acteurs locaux. D’un autre côté, l’implantation du Centre Pompidou à Metz supposait une petite révolution sur le plan des mentalités, puisque pendant des décennies, la politique culturelle à Metz a été menée de façon très autonome, sans regard de l’extérieur.

Il y avait cependant quelques exceptions à la prédominance des Parisiens dans l’équipe. Celles-ci étaient le résultat des relations nouées en amont avec les locaux. En effet, le conservateur en charge du projet, qui était destiné à devenir le directeur du nouveau centre, avait déjà précédemment développé des liens avec les institutions culturelles majeures de la région, notamment avec le FRAC Lorraine10. Par la suite, il avait recruté, en novembre 2008, pour son équipe, l’ancienne responsable des projets, de la coordination et des publications du FRAC Lorraine – une jeune historienne de l’art – qui allait devenir sa responsable adjointe de la programmation. À part le phénomène, très intéressant, de mobilité de personnel entre des institutions différentes11, créant lui-même quelque part des liens « invisibles » entre les différents ac-teurs, ce recrutement peut être considéré comme une tentative majeure pour contrebalancer le poids de la vision parisienne du centre, en mettant une

10. Il est ensuite devenu membre du conseil d’administration du FRAC Lorraine, mandat qu’il détient toujours. 11. La responsable adjointe du pôle de programmation du Centre Pompidou-Metz travaillait auparavant au FRAC Lorraine de 2002 à 2008. Mais elle a également connu de l’intérieur une autre institution culturelle majeure de la grande région européenne, le MUDAM à Luxembourg, où elle avait réalisé, en tant que stagiaire, son mémoire de fin d’études. D’autres exemples de mo-bilités ont pu être identifiés dans le cadre de cette recherche exploratoire. Par exemple, l’ancien président de l’association des amis du FRAC Lorraine, après un passage intermédiaire à la maire de Metz en tant que directeur de l’urbanisme, a été recruté par le Centre Pompidou-Metz pour la position du directeur technique.

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jeune historienne de l’art locale, dynamique et fortement impliquée, à une position clé du Centre Pompidou-Metz.

Dès le départ, il était clair que la position qu’allait occuper le Centre Pompidou-Metz sur le territoire serait une nouveauté, car aucune autre ins-titution culturelle de ce type, ni de poids international similaire, n’existait dans ce lieu, voire dans la grande région européenne. L’arrivée du centre devait avoir un impact sur les réseaux déjà existants, auquel il cherchait à se connecter. L’une des conséquences que l’on peut observer est la tendance vers une coordination de fait entre la programmation du Centre Pompidou-Metz et les autres institutions culturelles présentes sur le territoire. Cela peut être illustré à l’exemple de l’exposition « Erre, variations labyrinthiques », réalisée en coopération entre un commissaire de l’exposition du Centre Pompidou-Metz (la responsable adjointe de la programmation, évoquée ci-dessus) et un autre externe, proche du FRAC Lorraine. À part ce lien très concret, le FRAC, mais aussi la Synagogue de Delme (qui est un petit centre d’art contemporain réputé, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Metz) avaient mis en place des expositions complémentaires (l’exposi-tion du FRAC « Le moins du monde », étudiant le rôle de la médiation, a été montrée pendant presque la même période que l’exposition « Erre » du Centre Pompidou ; l’exposition de la Synagogue de Delme, intitulée « Les milles rêves de Stellavista » tournait autour du thème des fantômes et était ouverte, elle aussi, pendant l’hiver 2011-2012). Ce phénomène suggère que ces organisations ensemble commencent à former dorénavant un « champ organisationnel » (Scott, 2008 ; DiMaggio, 1986 ; DiMaggio, Powell, 1991), ou un « champ d’action stratégique » (Fligstein, McAdam, 2012).

Enfin, un autre aspect important de l’encastrement social et institution-nel du nouveau Centre Pompidou-Metz concerne l’ensemble des relations dépassant le seul secteur culturel. Le Centre Pompidou-Metz représente un modèle institutionnel culturel non mercantile, utilisant très majoritai-rement de l’argent public, en particulier celui provenant des collectivités territoriales. Un investissement justifié par une volonté politique de favori-ser l’accès à la culture dans la tradition d’une politique publique culturelle héritée de l’après-guerre à l’instar des Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) de Malraux ou du Théâtre National Populaire (TNP) de Jean Vilar. Cependant, la dimension économique n’est pas effacée pour autant, au contraire le contexte d’une économie locale en difficulté et en pleine res-tructuration légitime les attentes de retour sur investissements des contribu-teurs locaux au projet.

Sur la question des retombées potentielles pour l’économie régionale, diffé-rents types de phénomènes économiquement souhaitables peuvent être distin-gués. Premièrement, le projet inclut la construction d’un nouveau bâtiment,

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nécessitant des services intensifs en connaissances et des innovations faisant appel à toute une rangée de techniques, services, fournisseurs etc. Un bâtiment iconique d’un musée est en effet comparable à un prototype, aucun modèle n’existant ailleurs. Une demande nouvelle donc pouvant être bénéfique à des entreprises spécialisées de la région (à condition qu’il y en ait et qu’elles pos-sèdent les compétences techniques et la capacité à satisfaire cette demande spé-cifique). Le centre en tant que donneur d’ordre peut aussi contribuer au renfor-cement de différents autres types de services sur le territoire. Deuxièmement, des retombées très concrètes pour l’économie locale peuvent être espérées dans le domaine du commerce (commerce de détail, restauration, hôtellerie) si le Centre Pompidou-Metz devient une attraction touristique. À cet égard, la fréquentation du musée et l’évolution du nombre de visiteurs deviennent des indicateurs majeurs. Troisièmement, l’espoir d’une revitalisation de l’éco-nomie territoriale ne peut être satisfait qu’à condition que l’implantation du Centre Pompidou-Metz contribue véritablement à de nouvelles constellations d’acteurs dans le secteur économique, facilitant ainsi les innovations à venir. Ceci supposerait que des réseaux se développent au-delà du seul secteur cultu-rel, créant ainsi des liens avec le secteur des entreprises.

Pour la construction du bâtiment, des entreprises de la région ont bien été impliquées. Suite à l’abandon d’Arup (Londres), Demathieu&Bard a été choisi comme entreprise générale, une entreprise familiale aujourd’hui inter-nationale, mais qui a ses origines en Lorraine avec siège à Metz, et qui était responsable du choix des sous-traitants. Pour la construction du toit, qui faisait toute l’originalité du design architectural et nécessitait un savoir-faire particulier, toutefois, aucune entreprise locale, voire ailleurs en France, ne pouvait être trouvée, malgré les recherches et la volonté des architectes de privilégier une entreprise française. La structure particulière du toit, qui était l’élément central et d’ailleurs l’élément le plus coûteux du projet, sa concep-tion nécessitant des recherches d’environ un an et demi, représentait un design très complexe utilisant du bois et exigeant un savoir-faire très spéci-fique pour la charpente.12 L’entreprise qui disposait du savoir-faire nécessaire a été trouvée dans le sud-ouest de l’Allemagne, en Bade-Wurtemberg. Celle-ci représentait une PME d’une cinquantaine de salariés, typique du modèle des PME spécialisées de cette région d’Allemagne.

Jusqu’à aujourd’hui, les seuls domaines économiques où l’on peut obser-ver des effets positifs, directement imputables à l’implantation du Centre Pompidou-Metz, sont ceux liés au tourisme. Le nombre de visiteurs a été

12. Il s’agissait d’une charpente dans laquelle il n’y a pas un nœud qui ait les mêmes dimensions que l’autre. Elle comprend une série d’hexagones où les déformations sucessives des épaisseurs de lamellé-collé font qu’aucun nœud n’a la même dimension qu’un autre.

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élevé pendant les premiers 12 mois après l’ouverture du Centre en 2010 (au total environ 850 000 visiteurs ; source : Centre Pompidou, 2011, p. 4), pour se stabiliser ensuite à un niveau plus bas, mais toujours élevé (environ 530 000 entrées classiques et 21 500 entrées non classiques en 2011 ; Krauss, 2012, p. 72). Ce nombre élevé de visiteurs contribue fortement à la légiti-mité du Centre Pompidou-Metz ; toutefois, la structure des chiffres révèle une attractivité internationale relativement faible de ce dernier, la part des visiteurs étrangers dépassant à peine les 10 % (précisément 10,6 % pour la période entre décembre 2010 et décembre 2011 ; ibid., p. 73). En outre, les pays les plus représentés parmi les visiteurs étrangers sont les pays voisins à proximité géographique (les Belges étant les plus nombreux avec une part de 31 %, viennent ensuite les Luxembourgeois avec une part de 22 %, avant les Allemands avec une part de 21 %, ibid.). Le caractère régional de l’attracti-vité du centre se reflète aussi dans le poids important des visiteurs originaires de Lorraine (57 % des visiteurs pour la période de décembre 2010 à décembre 2011, ibid.), la deuxième position étant occupé par l’Ile-de-France (13 % des visiteurs, ibid.) et la troisième par l’Alsace (8 % des visiteurs, ibid.). Ces trois régions plus les régions de Champagne-Ardenne et de Franche-Comté, également dans un rayon géographique proche, représentent ensemble, à elles seules, 82 % des visiteurs du Centre Pompidou-Metz (ibid.). Parmi les visiteurs de Lorraine, on constate le même phénomène – cette fois au niveau de la région – d’une concentration géographique des visiteurs à proximité du Centre : ainsi, les visiteurs originaires du département de la Moselle repré-sentaient à eux seuls deux tiers des visiteurs de Lorraine en 2011 (ibid., p. 74), le tiers restant venant presque entièrement du département de Meurthe-et-Moselle. Les autres départements de la région qui sont plus éloignés de Metz totalisent ensemble seulement 6,5 % des visiteurs de la région.

L’afflux de ces visiteurs profite à un petit nombre de domaines écono-miques, essentiellement au commerce, aux restaurants et hôtels. Ce sont les premiers où des liens se sont développés au-delà du seul secteur culturel. Mais tous les commerçants ne profitent pas de la même façon, car les effets économiques positifs suivent une distribution spatiale très inégale, les visi-teurs empruntant un nombre restreint d’itinéraires, toujours les mêmes, pour traverser la ville (Boquet et al., 2011).

L’initiative pour lier la culture et l’économie, une fois que la construction du Centre Pompidou-Metz a été dans sa phase finale, est venue de l’agence de développement économique de Metz Métropole (Metz Métropole Développement)13 qui met en œuvre la stratégie de Metz Métropole et de la

13. Il s’agit d’une agence commune de Metz Métropole et de la ville de Metz (elle est financée à hauteur de 60 % par Metz Métropole et à 40 % par la ville de Metz).

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ville de Metz pour utiliser le Centre Pompidou-Metz comme instrument de la politique de redynamisation économique du territoire. En conservant cette optique, on peut alors étudier dans quelle mesure le Centre Pompidou-Metz devient un « objet-frontière » – boundary object (Star, Griesemer, 1989). L’objet-frontière permet en effet de développer de nouveaux réseaux d’inno-vation dans l’économie locale, ainsi qu’une nouvelle vision pour les acteurs économiques. Pompidou-Metz est lié au Centre Pompidou Paris par une convention d’association. Celle qui le relie aux collectivités territoriales dé-finit des objectifs communs : développement et valorisation culturel du ter-ritoire, développement économique et touristique. Il fournit une infrastruc-ture aux professionnels de la culture, mais aussi à des acteurs issus d’autres secteurs. Différentes communautés distinctes commencent ainsi à commu-niquer entre elles grâce à l’existence du centre, même si la compréhension mutuelle reste difficile entre les commerçants locaux, les acteurs du dévelop-pement économique du territoire (dont Metz Métropole Développement), les représentants de la municipalité et de la région, l’équipe de programma-tion du Centre Pompidou-Metz, les entreprises mécènes, et autres acteurs du domaine culturel.

Les retombées économiques que l’on pouvait espérer en théorie, en réa-lité, n’étaient pas évidentes, parce que les acteurs économiques au départ ne percevaient pas forcément ces nouvelles opportunités. Au contraire, beaucoup de travail était nécessaire pour préparer les acteurs économiques, d’abord les commerçants, à l’arrivée du Centre Pompidou à Metz.14 Ce tra-vail a été effectué principalement par Metz Métropole Développement.15

Alors que les pratiques établies dans les services liés au tourisme semblent évoluer, les relations avec le monde des entreprises, notamment industrielles, s’avèrent plus compliquées et plus difficiles à développer. La connexion

14. Parmi les problèmes évoqués par nos interlocuteurs figurait le manque d’une véritable culture de service dans le commerce et dans la restauration avant l’arrivée du Centre Pompidou, se manifestant par des horaires d’ouverture restreints (par exemple, trop de restaurants fermés le dimanche), par un manque d’expérience dans l’accueil de touristes étrangers, par des problèmes linguistiques (non maîtrise de langues étrangères, telle l’anglais ou l’allemand).15. Metz Métropole Développement avait aussi lancé en parallèle une grande campagne de pro-motion du territoire, afin de défaire la mauvaise image de Metz et de la remplacer par une nou-velle représentation plus positive. Il y avait essentiellement trois campagnes de communication : Une première utilisait l’image d’artistes connus, tels Warhol, Dalí et Picasso, dans de grands posters, souvent affichés dans les gares SNCF, avec l’artiste disant : « Je m’installe à Metz ». Cette campagne, cofinancée par Metz Métropole Développement et le Centre Pompidou-Metz visait les futurs visiteurs et l’inauguration du Centre Pompidou-Metz. Une deuxième campagne avait des objectifs plus économiques, visant les dirigeants, les décideurs économiques et les chefs d’entreprises, parce que Metz avait traditionnellement des difficultés à attirer les jeunes cadres, en particulier de Paris. Enfin, une troisième campagne visait aussi les familles.

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possible entre le Centre Pompidou-Metz et les entreprises industrielles est moins évidente, car ces dernières, en particulier les plus petites, ne per-çoivent pas facilement le bénéfice potentiel d’une coopération avec le secteur culturel. Dans ce domaine, la stratégie des acteurs impliqués, tels le Centre Pompidou-Metz, l’agence de développement économique de Metz Métropole et la chambre de commerce et d’industrie, a été de favoriser d’abord l’appro-priation cognitive et spatiale de cet établissement culturel par ces acteurs économiques. À cet égard, différents moyens ont été utilisés, par exemple en organisant des évènements et des conférences dans le Centre Pompidou-Metz spécialement pour ces derniers, en les incitant à louer des espaces du Centre Pompidou-Metz pour leurs propres workshops et réunions aussi souvent que possible (en particulier avec leurs partenaires étrangers), en amenant leurs partenaires externes au centre et en leur offrant une visite, ou enfin en orien-tant les acteurs économiques vers l’association des amis du Centre Pompidou-Metz (qui a l’objectif de réunir des mécènes et donc est intéressée à créer et entretenir des liens avec les entreprises et les entrepreneurs).

Malgré tout, la structure économique de la Lorraine et la faible concen-tration de ses élites culturelles et socio-économiques posent problème pour le développement du mécénat culturel. Les PME, très majoritaires, ne voient pas nécessairement le bénéfice qu’elles pourraient tirer de leur soutien à la culture. Ainsi, le soutien des entreprises au Centre Pompidou-Metz est faible et très inégal. Leur appropriation symbolique de ce dernier l’est également. Peu d’entreprises ont les moyens de s’engager dans du mécénat en faveur de la culture et peu nombreuses sont celles qui peuvent s’offrir la location des salles dans cet endroit symbolique. L’opportunité à bénéficier de l’aura d’une institution culturelle prestigieuse ne s’ouvre donc pas à tous les acteurs économiques de la même façon. Les plus modestes s’en interdisant pratique-ment eux-mêmes l’accès et le bénéfice.

CONCLUSION

Les créations de nouveaux musées d’art moderne et contemporain repré-sentent un type d’innovation particulier du secteur de l’art et de la culture. Il s’agit d’innovations organisationnelles et institutionnelles propres à ce sys-tème sectoriel d’innovation : premièrement, les grands projets sont uniques et nécessitent une organisation adaptée spécifique, et deuxièmement, la création d’un nouveau grand musée a en outre toujours des conséquences pour l’ensemble de la communauté organisationnelle. La réussite de l’im-plantation d’un nouveau musée dépend de son encastrement social actuel et futur ce qui, selon notre argumentation, implique la formation d’un champ d’action stratégique pérenne.

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Le secteur étudié montre la particularité d’une différenciation interne en différentes arènes d’action16, à des niveaux différents, qui entretiennent des liens avec d’autres « secteurs », tels les secteurs politique et économique. Par conséquent, il est difficile de comprendre le fonctionnement interne du système sectoriel d’innovation dans ce domaine sans tenir compte sys-tématiquement des influences externes. Des éléments nouveaux peuvent être apportés par la vision des hommes politiques, non seulement au niveau national (ministère de la culture, par exemple), mais aussi et surtout au plan territorial. Ainsi, les acteurs ne prennent pas uniquement en compte la dimension culturelle et artistique pour justifier leurs actions, mais aussi les attentes concernant les effets économiques.

Enfin le cas du projet du Centre Pompidou-Metz montre aussi les interdé-pendances entre les différentes échelles spatiales. Initiée au niveau national par la présidence du Centre Pompidou Paris, la réalisation de ce projet de décentralisation nécessitait une étroite collaboration avec les collectivités territoriales (municipalité, communauté d’agglomération de la métropole, conseil général, conseil régional), ainsi qu’une ouverture et visibilité interna-tionale du projet (par exemple, intégration des cabinets d’architectes inter-nationaux). Contrairement au cas du musée Guggenheim à Bilbao, le projet du Centre Pompidou-Metz ne faisait pas directement partie de la stratégie internationale de la maison mère. La visibilité du Centre Pompidou-Metz sur l’échelle internationale n’a pas été cherchée dans le seul but d’augmenter la réputation internationale du Centre Pompidou, celle-ci étant considérée comme déjà bien établie, donc ne nécessitant aucune action particulière. En revanche, l’autonomie relative dont jouit le Centre Pompidou-Metz sur le plan artistique et scientifique lui crée de nombreuses opportunités pour nouer des liens avec les autres institutions culturelles présentes sur le terri-toire, et de s’engager dans des projets en partenariat à côté de ces dernières. Ainsi, un champ d’action stratégique émerge et se construit, réunissant des acteurs hétérogènes autour des enjeux communs, ce qui contribue à la péren-nité du Centre Pompidou-Metz.

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16. Une arène d’action est ici définie comme un espace social où interagissent acteurs, actions et idées. Les frontières entre les arènes ne sont ni fixes ni étanches, mais fluides et imperméables, pouvant évoluer grâce aux interactions sociales.

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