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DOSSIER Le déclin des abeilles, un casse-tête pour la recherche Dossier rédigé par Pascale Mollier, Magali Sarazin et Isabelle Savini Responsables scientifiques : Bernard Vaissière, Luc Belzunces et Yves Le Conte, unité mixte de recherche Inra-Université d’ Avignon « Abeilles et environnement » P armi 20 000 espèces d’abeilles présentes dans le monde, Apis mellifera est la plus répandue et celle que l’on connaît le mieux. Mais, comme ses cousines sauvages, elle est menacée de déclin. Evaluer ce phénomène, en comprendre les causes s’apparente à un vrai casse-tête pour la recherche et un enjeu pour nos sociétés dont l’alimentation dépend pour une bonne partie de la pollinisation des plantes à fleurs.

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RLe déclin des abeilles,un casse-tête pour la recherche

Dossier rédigé par Pascale Mollier, Magali Sarazin

et Isabelle Savini Responsables scientifiques :

Bernard Vaissière, Luc Belzunceset Yves Le Conte, unité mixte de recherche

Inra-Université d’ Avignon « Abeilles et environnement »

Parmi 20 000 espèces d’abeilles présentes dans le monde, Apis melliferaest la plus répandue et celle que l’on connaît le mieux. Mais, comme ses cousines sauvages, elle est menacée de déclin. Evaluer ce phénomène,en comprendre les causes s’apparente à un vrai casse-tête pour la recherche

et un enjeu pour nos sociétés dont l’alimentation dépend pour une bonne partie de la pollinisation des plantes à fleurs.

Les abeilles sauvages et domestiques contribuent à la pollinisation de 80% des espèces de plantes à fleurs.

C e sont des pollinisatriceshors pair en raison, toutd’abord, de leur morpho-logie, car toutes les

abeilles ont des poils branchus sur lecorps, et c’est d’ailleurs ce qui les dif-férencie des guêpes. Ces poils leurpermettent de transporter des quan-tités considérables de pollen dans leurtoison et ce pollen conserve long-temps sa viabilité. En raison ensuitede leur régime alimentaire, exclusi-vement constitué de nectar, leur sour-ce de sucre, et de pollen, leur sourcede protéines, lipides, vitamines et élé-ments minéraux. En raison enfin deleur comportement de butinage carune abeille visite prioritairement uneseule espèce végétale lors d’un voya-ge, ce qui améliore considérablementl’efficacité du transport du pollen.Ainsi, le dépôt sur les stigmates depollen à la fois abondant et d’originesvariées offre un plus grand choix degamètes mâles lors de la fécondationet favorise l’évolution des plantes.

Parmi les abeilles, les meilleures pol-linisatrices sont les abeilles sauvages àlangue longue, caractéristique quifacilite leur accès au nectar et quiconditionne en partie leur préféren-ce pour certaines fleurs. La plupartde ces abeilles sauvages sont des espè-ces solitaires dont les populationssont très variables, ainsi l’avantagenumérique revient à leurs cousinesdomestiques qui vivent en colonies.Pour une seule ruche, on peut en effetcompter 60 000 individus dont enmoyenne un tiers de butineuses quivisitent chaque jour des centaines defleurs. De plus, celles-ci butinent nonseulement pour leurs propres besoinsmais pour la colonie entière, sur unrayon d’action qui atteint dix à dou-ze kilomètres.

Etudier l’ensemble des pollinisateurs « Les scientifiques s’intéressent à l’ensemble de la faune pollinisatrice,dans sa diversité », explique Bernard

Vaissière, spécialiste de la pollinisa-tion des cultures au sein du labora-toire Abeilles et environnement de l’Inra. « Nos études portent sur lesabeilles en général, pas seulement surles abeilles domestiques. Il existe eneffet 1000 espèces d’abeilles sauvagesen France, qui toutes interviennentdans la pollinisation et interagissententre elles. Il peut y avoir complémen-tarité entre différents groupes de polli-nisateurs plus ou moins généralistes,leurs comportements de butinage peu-vent changer en fonction des situationsde cohabitation, des relations de sub-stitution peuvent aussi se créer. C’est cetensemble qu’il faut étudier ! » En effet, la cohabitation de plusieursespèces de pollinisateurs, par exempleabeilles sauvages et abeilles domes-tiques, peut se traduire par une pol-linisation plus efficace. Cela s’expliquepar une complémentarité entre leurscomportements de butinage et par lacompétition qui stimule la mobilitédes individus entre les plantes. Dansle cas de la production de semencehybride de tournesols, la présence d’abeilles sauvages améliore ainsi jus-qu’à cinq fois l’efficacité pollinisatri-ce des abeilles domestiques. A l’exception de certaines relationsexclusives, la majorité des pollinisa-teurs visitent plusieurs espèces végé-tales. Et réciproquement, une espècede plante est généralement polliniséepar plusieurs espèces de pollinisa-teurs. Mais dans certaines régions, ilne reste pratiquement plus du toutd’abeilles domestiques et l’on ne saitque très peu de choses sur l’évolutiondes populations d’abeilles sauvages.

Moins d’abeilles sauvages,moins de diversité florale Connaître l’état des populations natu-relles d’insectes pollinisateurs, véri-table gageure, est l'un des défis

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Les abeilles, super-pollinisatrices…

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« IDENTIFIERles espèces

nécessite de constituer

des collections. »,Bernard Vaissière.

Il y a 1 000 espècesd’abeilles en France

dont 1 espècedomestique.◗

INRA MAGAZINE • N°9 • JUIN 2009II

d’Alarm, programme de recherchesmené de 2004 à 2009 pour évaluerles risques encourus par la biodiver-sité terrestre et aquatique en Europe(www.alarmproject.net). « C’est lepremier programme européen à pren-dre en compte les pollinisateurs » sou-ligne Bernard Vaissière, partenaire duprojet. Dans ce cadre, des scientifiquesanglais et hollandais ont réussi à agré-ger les premiers indicateurs chiffrésfiables, en s’appuyant sur une longuetradition d’inventaires historiques del’entomofaune, un suivi sur les tren-te dernières années et un réseau decitoyens qui participent aux obser-vations (plus d’un million de don-nées ont ainsi été collectées et exa-minées). Ils se sont intéressés auxpopulations d’abeilles sauvages soli-taires et de syrphes, mouches qui res-semblent à des abeilles ou à des guê-pes et qui peuvent avoir une activitépollinisatrice importante en particu-lier sous les faibles latitudes. Ce tra-vail, publié dans Science en 2006, amis en évidence un déclin à la fois del’abondance et de la diversité desabeilles sauvages depuis 1980 dans67 % des zones répertoriées auRoyaume-Uni, ainsi que le déclin desplantes associées à ces pollinisateurs.Pour les syrphes, aucune tendance nese dessine vraiment pour le Royaume-Uni, tandis qu’aux Pays-Bas, leurdiversité progresse dans 34 % deszones étudiées. Les auteurs notentaussi dans ces deux pays une dimi-nution de la quantité et de la diversité

des plantes pollinisées par les abeillesalors que ce n’est pas le cas pour lesplantes pollinisées autrement. Sanstoutefois parler de crise de pollinisa-

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La pollinisationLa pollinisation est le transportdu pollen depuis les anthères,éléments de l’appareil repro -ducteur mâle, qui le produisent,jusqu’à la partie femelle, lestigmate, de la même fleur oud’une autre fleur de la mêmeplante ou d’une autre plante(pollinisation croisée). Lapollinisation par les insectes,dénommée entomophile, estindispensable à la fécondationd’une majorité d’espèces deplantes à fleurs que l’on cultivepour leur graine (colza,tournesol, sarrasin), leur fruit(pomme, poire, kiwi, melon),leur racine ou leur bulbe(carotte, radis, oignon), leur

feuillage (chou, salade)...Environ 225 000 espèces deplantes à fleurs sontpollinisées par 200 000espèces d’animaux parmilesquelles en premier lieu desinsectes, de l’ordre deshyménoptères (abeilles etguêpes principalement), desdiptères (mouches syrphes enparticulier), des lépidoptères(papillons) ou des coléoptères(charançons), et aussi enmilieu tropical, des oiseaux etdes chauves-souris.Le vent est le vecteur principalpour 10 % des plantes à fleursdont la plupart des céréales(riz, maïs, orge, seigle).

tion, les auteurs attribuent ces chan-gements à l'artificialisation des pay-sages aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Un rapport américain paru en2007 et émanant du NationalResearch Council de l’Acadé mie desSciences sur le statut des pollinisa-teurs en Amérique du Nord (Canada,Etats-Unis, et Mexique) constate aussile déclin des abeilles sauvages, sanstoutefois le chiffrer.Comme leurs choix floraux sont plusmarqués et leur période d’activitélimitée pour la plupart à quelquessemaines, les abeilles sauvages, quisont solitaires à plus de 80 %, sont lesplus menacées, en particulier sous lapression de l’agriculture moderne :les haies qui abritent leurs habitatsdisparaissent, la monoculture, toutcomme la fauche précoce et répétéedes prairies et des bords de route et dechamps entraînent la raréfaction desfleurs qui les alimentent. Même si l’on manque cruellementde données sur le long terme et

UNE ABEILLE TRANSPORTE sur une seule de ses pattes postérieures 500 000 grains de pollen.

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R d’approches expérimentales à grandeéchelle, les scientifiques s’accordent àconstater la diminution des pollini-sateurs sauvages dans le monde etredoutent la disparition en cascade dela flore et de la faune associées ; lesconséquences sur les écosystèmesnaturels restant encore plus difficiles àévaluer que sur les écosystèmes agri-coles.

La pollinisation, une activité àpart entière pour l’apiculture Le rôle des abeilles dans la pollinisa-tion n'a été découvert qu'au XVIIIe

siècle. Et la pratique de la pollinisa-tion des cultures par l’introductionde colonies d’abeilles domestiques auxabords des parcelles ne date que d’unsiècle ; elle n'a longtemps été consi-dérée que comme une activité annexede l’apiculture, traditionnellementorientée vers la récolte de miel et d’au-tres produits de la ruche comme lagelée royale, ou la cire. La situation abeaucoup évolué ces vingt dernièresannées, et de nombreux apiculteurs,aux Etats-Unis comme en France,tirent maintenant de la pollinisationdes cultures une partie de leurs reve-nus. On élève aussi aujourd’hui des

milliers de colonies de bourdons ter-restres (Bombus terrestris) pour la pol-linisation des cultures sous serre, lestomates en particulier.

Une pollinisation plus efficace et de meilleurs fruits Dès 1858, Charles Darwin montraitchez plusieurs espèces de légumineu-ses que les fleurs recouvertes d’un filetpour empêcher la visite des abeillesdonnaient moins de graines que lesfleurs laissées en pollinisation libre.Actuellement, l’équipe Pollinisationet écologie des abeilles de l’Inra à Avi-gnon a mis au point une méthode per-mettant de quantifier précisément lapart relative des différents vecteurs :insectes, vent, autopollinisation pas-sive (cf. photo). Les chercheurs ontenrichi leur dispositif d’un systèmede vidéosurveillance qui permet demettre en relation la quantité de pol-len déposé avec le type d’insectes etla durée et l’heure de leur visite.Les chercheurs de l’Inra ont ainsimontré, dans le cas d’une productiond’oignon porte-graines (c'est-à-direcultivé pour obtenir des semences),que la pollinisation par les abeillescontribue pour 66 % des graines obte-

nues alors que l’auto-pollinisation pas-sive et le vent n’interviennent que pour12 à 30 %. Au-delà du rendement, ilsobservent que la qualité germi nativeest améliorée de 10 % pour les grainesissues des fleurs visitées par les abeillespar rapport à celles produites par lesfleurs pollinisées sans intervention desinsectes. Dès 1990, les chercheursavaient constaté l’effet positif du nom-bre de grains de pollen déposés sur lestigmate sur les caracté ristiques fina-les du melon, son poids à la récolte, saforme, mais aussi la teneur en sucreet la qualité gustative de sa chair. L’amélioration qualitative des fruits etdes graines s’explique par une meilleu-re compétition pollinique lorsque lepollen est abondant et d’origine variée.

Valeur économique Dans le cadre d’Alarm, les chercheursont également entrepris de chiffrer lavaleur de l'activité pollinisatrice desinsectes, essentiellement des abeilles,pour les principales cultures dontl'homme se nourrit dans le monde.En s'appuyant sur une revue biblio-graphique de la dépendance aux pol-linisateurs des principales cultures ali-mentaires publiée en 2007 et sur lesdonnées FAO pour 2005, ils ont établicette valeur à 153 milliards d'euros,soit 9,5 % de la valeur de la productionagricole mondiale pour ces cultures.Les cultures qui dépendent des polli-nisateurs assurent 35 %, en tonnes, dela production mondiale de nourritu-re, contre 60 % provenant de culturesqui n'en dépendent pas (principale-ment les céréales) et 5 % d'espècespour lesquelles l'impact des pollini-sateurs est encore inconnu.L'étude a aussi mis en évidence queles cultures les plus dépendantes de lapollinisation par les insectes sont aus-si celles qui ont la valeur économiquela plus importante. Cette étude reste une simulation théo-rique avec des limites, que les scienti-fiques cherchent à dépasser. Elle neprend par exemple pas en comptel'impact sur la production de semen-ces, très important pour de nom-breuses cultures fourragères, légu-mières et horticoles, ni les effets surla flore sauvage. Par ailleurs, les cal-culs simulent une disparition totaleet non un déclin graduel, sans intégrerles réponses stratégiques que les pro-ducteurs adopteraient pour faire faceà une telle disparition.

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FILET L’équipe

d’Avignon a mis au point

une méthode pour quantifier

l’autopollinisation,la pollinisation par

le vent et celle des insectes.◗

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CARTE D’EUROPE DES MORTALITÉS. En noir : taux de mortalité en 2007 et 2008, présentés au congrès scientifique de Zagreben mars 2009 (source : carte issue de Pour la Sciencen° 379, mai 2009).En rouge : taux de mortalité pourles années 2006 et 2007 obtenuspar l’Efsa à la suite d’une enquêteauprès des pays membres (source : The Efsa Journal 154, 1-28).

L es fléaux s’attaquant aux abeillesne manquent pas : on dénom-bre une trentaine de parasites,pathogènes et prédateurs qui se

déplacent de pays en pays. S’y ajoutent lesconséquences néfastes de l’intensificationde l’agriculture : pesticides, réduction descultures nectarifères et pollinifères, etc.Cela signifie-t-il qu’il y a addition de plu-sieurs causes séparées ? Ces causes sont-elles distribuées de la même façon selonles pays ? Ou bien y a-t-il synergie entreplusieurs causes, les unes rendant lesabeilles plus vulnérables aux autres ? Faut-il distinguer les causes selon que l’on a affaire à des mortalités d’hiver ou d’été,

des dépeuplements, affaiblissements,effondrements des populations de ru-chers ? Force est de constater que lesscientifiques ne font qu’amorcer deséléments d’explication.

Difficile chiffrage de la mortalitéPremièrement, mesurer le déclin descolonies d’abeilles reste malaisé. Desécrits décrivent des mortalités massi-ves d’abeilles dès 950, 992 et 1443 enIrlande. L’Université de Pennsylvanierapporte des disparitions de coloniesà grande échelle en 1869 aux Etats-Unis, Mexique, Australie, France, Suè-

de et Allemagne. Ces écrits évoquentun syndrome d’effondrement qui faitécho à ce que les Américains nom-ment aujourd’hui le « Colony collap-se disorder » ou CCD dans le jargondes spécialistes internationaux.Depuis 2006, ce syndrome d’effon -drement des colonies décrit des mor-talités inexpliquées. La loque améri-caine (une bactérie) dans les années1950, puis l’invasion par l’acarienVarroa destructor dans les années1980, ont fait des ravages dans despans entiers de l’apiculture. Saisir la nouveauté et l’ampleur dudépeuplement actuel nécessite dedisposer de taux de mortalité fiables.Or, peu de pays possèdent des réseauxde surveillance organisés. En Francenotamment, les remontées d’infor-mations du terrain font défaut pourapprécier précisément l’ampleur desmortalités. Peu d’apiculteurs décla-rent officiellement les mortalités observées dans leurs ruchers d’autantque la déclaration annuelle obligatoi-re des ruches a été supprimée en 2005,par souci de simplification. Cettedéclaration devrait cependant êtrerétablie. En 2007, le ministère de l’Agriculture via le Centre nationaldu développement agricole (CNDA)a organisé une enquête sur l’ensembledu territoire. Une exploitation sur 5 enmoyenne a été sondée, parmi près de800 exploitations apicoles profes-

Causes possibles du déclin 2

Si le déclin des pollinisateurs touche autant les espèces sauvages que les abeilles domestiques(Apis mellifera L.), les causes de ce déclin ont été étudiées essentiellement chez ces dernières.D’après le consensus qui s’est dégagé ces dernières années, ce déclin seraient multifactoriel.

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R sionnelles (comportant plus de 150ruches). On aboutit à un chiffremoyen de pertes hivernales de colo-nies pour la France de 29 %. Les per-tes sont plus élevées en Auvergne (38%), Franche- Comté (45 %), Bourgo-gne (50 %) et Alsace (62 %). Cetteenquête va être poursuivie sur plu-sieurs années dans le cadre d’unobserva toire de la filière apicole. En Europe, seuls huit pays ont unréseau de surveillance épidémiolo-gique et leurs résultats sont difficile-ment comparables en l’absence dedéfinitions standardisées des phéno-mènes d’affaiblissement, effondrementou mortalité. C’est pourquoi on dispo-se de chiffrages variables selon lesdispositifs d’évaluation (cf. p. V). Mal-gré les disparités, ces chiffres reflètentune situation préoccupante avec destaux de mortalité souvent supérieurs à10 % -valeur considérée comme « nor-male » en France (16% aux Etats-Unis)- et surtout avec une situationqui perdure et s’étend dans le monde(décrite en Europe, USA, Chine…).

Caractérisation des troubles Les causes de mortalité des abeillessont bien établies en cas de maladiesdont les symptômes sont clairementidentifiés sur le terrain (varroase,nosémose, loque), ou bien lors d’in-toxications aiguës dues le plus sou-

vent à un mésusage des produits agri-coles : traitements réalisés en pleinefloraison, par vent fort, voire usagede produits non autorisés. Dans cesderniers cas, on retrouve souvent untas d’abeilles mortes devant la ruche etune analyse en laboratoire peut prou-ver la présence d’insecticides dans lescadavres. L’Afssa (rapport 2008) notetoutefois que ces accidents phytosa-nitaires se raréfient en France, « tra-duisant à la fois de meilleures pratiquesagricoles et une tendance chez les éle-veurs d’abeilles domestiques à moinsdéclarer d’éventuels incidents ».

A chaque pays son fléauDe manière non exclusive, chaque payssemble privilégier sa propre thèse pourexpliquer la mortalité des abeilles.

Belgique : « le bon vieux varroa »Les travaux de scientifiques belges(équipe d’entomologie de la facultéagronomique de Gembloux en Wal-lonie) imputent la mortalité des colo-nies dans la région principalementau parasite Varroa destructor. Selonces scientifiques, les apiculteurs peu-vent difficilement faire le rapproche-ment entre la mortalité et la varroase,car les acaricides peuvent semblerefficaces les deux premières annéesd’utilisation et le dépérissement n’apparaître que la troisième année.

Sans décimer la colonie, le varroaaffaiblit les défenses des abeilles et lesrend plus sensibles aux virus et bac-téries, comme le montrent des tra-vaux récents (Cox-Foster et al., PNAS2005). Il est en outre lui-même vec-teur de virus.Les scientifiques estiment que plus de99 % des abeilles domestiques enEurope sont potentiellement infestéespar le varroa depuis vingt ans (sour-ce : projet Coloss p. XI). Le varroa adéjà développé des résistances contreplusieurs produits de traitement, unseul produit autorisé étant encore jugéefficace (le procédé Apivar, à base d’a-mitraze). Cette situation ne permetdonc plus l’alternance des traitementsnécessaire pour retarder l’apparitiond’une résistance au produit.

Espagne : mise en évidence de la Nosema ceranæ en EuropeEn Espagne, entre 2003 et 2004, unsyndrome de dépopulation des colo-nies d’abeilles décime jusqu’à 40 %du cheptel. Une équipe du Centreapicole régional de Castille-La Man-che privilégie la piste des pathogènescar les dépeuplements d’abeilles seproduisent dans toutes les régionsespagnoles, quels que soient les cul-tures et les traitements phytosanitai-res utilisés. Ils constatent que la quasi -totalité des milliers d’échantillons

1- VARROA. 2- Cadres de

ruches touchés par le CCD.

3- Test detoxicité des

pesticides sur larvesd’abeilles,

mis au point parl’équipe de

l’Inra duMagneraud,

homologué parla Commission

des essaisbiologiques

en France.◗

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FAUX ! « Si les abeilles venaient à disparaître de la planète, les hommes n’auraient plus que quatre années à vivre ». Cette assertion souvent colportée serait attribuée à tort à Einstein. Elle daterait d’un argumentaire choc de 1994, selon Mary Berembaum,entomologiste américaine curieuse que personne ne l’ait retrouvée dans les écrits du scientifique (American Entomologist, été 2007).

prélevés sur le territoire sont dia-gnostiqués positifs pour la nosémose,une parasitose. Mais les abeilles affec-tées ne présentant pas les symptômesclassiques, les scientifiques font alorsl’hypothèse qu’il s’agit d’une nouvel-le forme de Nosema et mettent enévidence en 2006 une espèce asia-tique encore jamais identifiée enEurope, Nosema ceranæ. Ce pathogè-ne est désormais considéré commeétant le principal responsable du syn-drome de dépeuplement actuel desexploitations apicoles en Espagne.

L’enquête récente des Américains : un nouveau virus ?C’est en revanche le « Colony collap-se disorder » qui alarme les Etats-Unis,avec 30 à 90 % de pertes lors de l’hiver 2006-2007. Les ouvrièresdisparaissent de la ruche sans qu’on retrouve de cadavres. L’autopsie desabeilles révèle diverses combinaisonsde pathogènes, aucun n’étant suffi-sant pour expliquer toutes les pertes.Tous les types d’apiculteurs sont tou-chés : professionnels, amateurs, bio,sédentaires ou itinérants. Par ailleurs,une enquête ne montre pas de corré-lation temporelle avec l’utilisation depesticides. Les chercheurs américainsréalisent alors une expérience : lors-qu’ils transvasent des colonies sainesdans des ruches atteintes de CCD, ilsconservent la santé des colonies seu-lement dans les ruches qui ont étépréalablement irradiées. Ils organi-sent alors une « chasse au microbe »utilisant l’approche métagénomique.Le séquençage de l’ADN total pré-sent dans le corps des abeilles per-met l’identification de l’ensemble desagents biologiques. Seule la présencedu virus IAPV (virus israélien de laparalysie aiguë) apparaît corrélée auCCD. Mais cela ne dit pas si le virusest un agent causal ou un simple «marqueur » du syndrome. Parailleurs, les symptômes observés enIsraël (paralysie, tremblements, pré-sence de mortes auprès de la ruche)ne sont pas les mêmes que ceux duCCD américain. Devant ces nouvellesinterrogations, les recherches s’orientent vers l’étude des diversvariants du virus et des expérimen-tations combinant différentes causes.

En France, la bataille des pesticidesEn France, le débat s’est focalisé surles pesticides. Jusqu'en 1994, voire

1996 dans certaines régions, le tour-nesol procurait une production demiel abondante et régulière. Les api-culteurs avaient l’habitude de trans-humer leurs ruches près des champsde tournesol en période de floraison.Puis, la régularité de cette productiona été interrompue. « Des colonies deve-nues énormes, car stimulées par la miel-lée de juin (châtaignier, toutes fleurs,bourdaine) s'effondraient quelquesjours plus tard sur tournesol » rappor-te un apiculteur de Vendée, régiondont le miel provient à 80 % du tour-nesol (propos repris dans le rapportde l’Afssa de 2002). Les symptômesobservés ne correspondant pas à desmaladies connues ou à des intoxica-tions classiques, certains apiculteursont fait le lien avec l’apparition conco-mitante d’un nouveau procédé detraitement insecticide par enrobagedes graines utilisé sur tournesol etmaïs : le Gaucho®, à base d’imidaclo-pride. Le Gaucho®, ainsi que leRégent®, le Cruiser® ou le Poncho®sont, à des degrés divers, des pesticidessystémiques, c’est-à-dire capables de

migrer dans tous les organes de laplante, d’où leur présence dans le pollen et le nectar des fleurs. S’ensuivent près de 10 années d’expé -ri mentations contradictoires impli-quant des experts de Bayer et duministère de l’Agriculture, des api-culteurs et des scientifiques. Au final,les essais en laboratoire montrent d’une part que l’imidaclopride a unetoxicité chronique (impact de dosesrépétées) et des effets sub-létaux (pertur bations n’entraînant pas lamort) à des doses très faibles, bieninférieures à celle qui induit une toxi-cité aiguë et d’autre part, que de tellesdoses peuvent être ingérées à partirde pollen et/ou du nectar des fleurstraitées. Donc le risque existe, maissans qu’il y ait de preuves sur le terrainpermettant de le quantifier. En effet, ilest difficile de doser des produits pré-sents en quantité infime dans descadavres d’abeilles, qui de surcroît, sedécomposent très vite. La France applique le principe de pré-caution et interdit le Gaucho® surtournesol en janvier 1999 et sur maïs 2

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Polémique autour des insecticides

« Le problème des résultats acquisen laboratoire en exposant lesabeilles à de faibles doses, c’est queles effets observés sont induits avecdes protocoles de nourrissage forcédes abeilles, qui s’éloignent desconditions d’exposition sur le terrain.Ils portent de plus sur des observa-tions fines du comportement ou dela physiologie de l’abeille au niveauindividuel. Sur le terrain, les étudesdisponibles mettant en œuvre destraitements de semences n’ont pasmis en évidence de pertes de colo-nies, et ce même en plaçant des ru-ches à l’intérieur des champs enfleurs. En conditions réelles, il estprobable que les abeilles ont suffi-samment de choix parmi les sour-ces de pollen et n’ingèrent pas lesdoses conduisant à une mortalitémassive et à des pertes de colonies. Un cas de mortalité impliquant le Ré-

CHEF DE L’UNITÉ ÉCOTOXICOLOGIE ET ENVIRONNEMENT, DIRECTION DU VÉGÉTAL ET DE L’ENVIRONNEMENT, AFSSA

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gent® a été observé en 2003 enMidi-Pyrénées sur quelques ruches,mais il s’explique par un enrobagedéfectueux des graines qui s’est tra-duit par la libération de poussièrescontenant du fipronil dans l’at-mosphère au moment du semis, les-quelles, re-déposées sur des fleurs,ont conduit à l’exposition de buti-neuses à des doses létales de pro-duit. Un accident de plus grande am-pleur s’est produit en 2008 dansl’ouest de l’Allemagne, atteignant12 000 ruches. Là encore, l'accident,impliquant cette fois de la clothiani-dine (substance active du produitPoncho®), trouve son origine dansun pelliculage défectueux, en conjonc-tion avec des vents forts au momentdes semis. L’utilisation de semoirspneumatiques non équipés de dé-flecteurs, voire rejetant les poussiè-res verticalement, accentue encore

la dispersion. C’est à la suite de cetaccident que l’Allemagne a suspendules autorisations de mise sur le mar-ché du Poncho® et du Cruiser®. LaFrance a autorisé le Cruiser® en2008 pour le maïs, après avoir de-mandé à la firme qui le produit undossier complémentaire au dossiereuropéen, comprenant des essais enchamp et des garanties sur le pelli-culage des semences. De plus, l’u-tilisation du Cruiser® est encadréepar un dispositif de suivi post-homo-logation : des ruches sont placéesdans des champs traités et compa-rées à des ruches témoins, dans desconditions qui donnent l’assurancede détecter un problème éventuel :distance suffisante entre les ruchespour éviter les interférences, éloi-gnement des cultures attractives pourobliger les abeilles à se nourrir surles parcelles traitées. »

On n’a pas démontré d’effets sur le terrain lorsque les conditions d’emploisont respectées

en mai 2004. L’imidaclopride continue à être utilisée enpulvérisation dans les vergers et en enrobage de graines surbetteraves et différentes céréales (blé, seigle, orge, tritica-le). Cette substance, mise sur le marché avant 1991, a étéréévaluée selon les directives européennes de 1991 etinscrite en 2008 sur la liste européenne des produitsphyto sanitaires agréés. Les préparations qui en sont issuesseront, elles, réévaluées en 2010. Le Régent®, autre insecticide utilisé en enrobage de graines, est retiré du marché fin février 2004 tandis que leCruiser® mis sur le marché plus récemment est en revanche autorisé, avec un dispositif de surveillance post -homologation.

Des facteurs négligés ou émergentsEnfin, d’autres hypothèses causales sont encore peu étu-diées. La régression des espaces semi-naturels (et leurgestion) et la simplification des assolements réduisent lesressources et leur diversité. Ainsi, les surfaces en légumi-neuses (trèfle, luzerne, sainfoin) qui possèdent de bonnesqualités nectarifères et pollinifères ont diminué de manièreconstante. De plus, parmi les cultures qui se sont déve-loppées le maïs produit du pollen de qualité très moyenneet pas de nectar. La transhumance des ruches apportepar ailleurs une réponse plus quantitative que qualitativeà la malnutrition, et induit des à-coups dans l'alimentationdes abeilles. L’apparition de prédateurs exotiques et invasifs comme lefrelon à pattes jaunes Vespa velutina, dit aussi frelon asia-

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COLLECTE D’ABEILLES

dans des pièges à liquide pour connaître leur

biodiversité et constituer

les collections.

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systémiques en enrobage de semences

« En ce qui concerne l’imidaclopride,nous avons montré en laboratoireque, si la dose létale en toxicité aiguëest déjà très faible par rapport à d’au-tres insecticides (4 à 40 nanogram-mes par abeille, 1 ng = 10-9 gramme),la dose létale chronique est environ4 000 fois plus faible. Pour évaluerl’effet d’une toxicité chronique, lesabeilles sont nourries pendant 10jours avec un sirop de sucre conte-nant des concentrations connues deproduit : l’ingestion d’1 picogrammepar jour suffit à tuer une abeille en10 jours (1 pg = 10-12 gramme). Deplus, l’imidaclopride se dégrade ensix métabolites dont certains sont en-core plus toxiques. Par ailleurs, avecla plupart des insecticides, on obs-erve des effets sublétaux, c’est-à-direque l’abeille ne meurt pas, mais pré-sente des troubles comportementaux(désorientation), physiologiques (mal-

DIRECTEUR DE L’UMR INRA-UNIVERSITÉ AVIGNON ET PAYS DE VAUCLUSE « ABEILLES ET ENVIRONNEMENT »

O LUC BELZUNCES

formations des ailes, diminution decroissance…) ou métaboliques (hypo-glycémie…). Tous ces effets peuventà terme se répercuter sur la survie dela colonie. Depuis que l’on sait me-surer de très faibles doses d’imida-clopride dans le pollen, on voit quela concentration biodisponible est del’ordre du microgramme par kg de pol-len. Soit, pour une nourrice quiconsomme, en 10 jours, 60 mg depollen, une dose ingérée de 60 pg.On est donc bien dans une zone d’ex-position correspondant à un risque.Ces résultats bousculent les concep-tions classiques et notre première pu-blication parue en 2001, faite sur unedemande initiale de la firme Bayer,n’a pas été bien reçue. Nous atta-chons une grande importance à notreindépendance de publication en l’in-cluant d’emblée dans nos contratsquels qu’ils soient. »

Des produits toxiques à très faibles doses

O YVES LE CONTE

« Le combat des apiculteurs professionnels contre leGaucho® et le Régent® a eu un effet très positif surles médias et le public, qui prennent en compte main-tenant l’abeille à la fois pour son intérêt propre et entant que sentinelle de l’environnement. Mais leur luttecontre les traitements de semences ne doit pas occul-ter d’autres hypothèses, comme par exemple, l’éven-tuelle toxicité de certains cultivars de tournesol. Il nefaut pas non plus sous-estimer l’importance des autrespesticides et des pathogènes. Grâce aux travaux desEspagnols et des Américains, on sait rétrospectivementque les nouveaux pathogènes comme Nosema ce-ranæ ou l’IAPV pouvaient être présents aussi en Francedès 1995. Les études scientifiques en cours, en parti-culier le projet Coloss auquel mon équipe participe, de-vraient permettre d’y voir plus clair dans la hiérarchiedes facteurs de mortalité et la « boîte noire » des synergiesentre facteurs. Ces études bénéficient de la bonneconnaissance de la biologie de l’abeille domestique etdu séquençage récent de son génome, en 2006. »

DIRECTEUR DE RECHERCHE, UMR INRA-UNIVERSITÉ AVIGNON ET PAYS DE VAUCLUSE « ABEILLES ET ENVIRONNEMENT »

Ne sous-estimons pas les agents pathogènes biologiques

tique, identifié en 2004 vers Bordeauxest une menace prise très au sérieuxpar les apiculteurs, car contrairementau frelon européen, le frelon à pat-tes jaunes s’attaque particulièrementaux abeilles. Les scientifiques dénom-

braient deux nids en Aquitaine en2004 et plus de 2000 nids en 2008. D’autres hypothèses sont encore évo-quées, en particulier l’influence deschamps électriques et magnétiquessur les abeilles, qui les perçoivent par

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Piège à frelonsCe piège à frelons mis au point par une équipe de Bordeaux (UMRSanté végétale) contient du jus de pomme concentré. Suspendu à unmètre du sol autour des ruches, il piège les frelons à pattes jaunesavec une sélectivité satisfaisante. Sur le terrain expérimental près de Bordeaux, 2000 frelons à pattes jaunes capturés dans 4 piègesdurant 6 mois contre 160 frelons européens qui sont préservés.Ce piège pourra être perfectionné grâce à une meilleure connaissancede la biologie du frelon. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence queses besoins alimentaires varient au cours de l’année. Au printemps, ilse nourrit essentiellement d’abeilles, riches en protéines, alors qu’aumoment de l’hibernation, il recherche plutôt des aliments sucrés. Lasubstance attractive du piège pourrait ainsi être adaptée à ces besoinsfluctuants. Pour augmenter sa spécificité, on pourrait aussi lui ajouterune phéromone (substance d’attraction sexuelle) que les chercheurssont en train de caractériser.Les recherches sur le comportement et la génétique du frelon à pattesjaunes bénéficient d’un contrat de recherche financé par Viniflhorcoordonné par le Muséum d’Histoire naturelle et associant aussi lelaboratoire Evolution génome spéciation CNRS-IRD de Gif sur Yvette.

l’intermédiaire de petits cristauxabdominaux contenant du fer. Enfin, le changement climatique quirisque de modifier les périodes defloraison des plantes, pourrait devenirun facteur aggravant.

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Réévaluation des risquesSi la question du rôle des pesticidesdans les problèmes qui affectent lescolonies n'est pas tranchée, leur miseen cause insistante par les apiculteursa utilement questionné l’évaluationdes risques écotoxicologiques. Les tra-vaux en cours de Luc Belzunces à l’Inra mettent en relief des courbesde réponse plus complexes qu’unesimple relation linéaire entre doses etimpact, soulignant la nécessité de révi-ser les conceptions actuelles en éco-toxicité. Par ailleurs, un groupe detravail de l’International Commissionon Plant Bee Relationship, piloté parl’Afssa, travaille sur l’harmonisationau niveau européen des procéduresd’évaluation et du document-guidepour l’utilisation des insecticides sys-témiques en traitement de semences.L’évaluation tient compte des quanti-tés d’insecticides présentes dans lepollen et le nectar (et non plus de la

dose par hectare, comme pour lesinsecticides non systémiques), destoxicités aiguës, chroniques et sublé-tales, en utilisant des quotients derisques calculés en fonction d’impactsobservés sur le terrain, différents deceux qui sont observés en laboratoire.

Une épidémio-surveillance à l’échelle européenneLa démarche épidémiologique consis-te à rechercher des corrélations entreun phénomène et une variation dansles facteurs potentiellement impli-qués. Elle exige un corpus de données

Réflexions sur une crise 3Quinze ans après la première alerte lancée par des apiculteurs et incriminant le Gaucho, la controverse se poursuit en France. Néanmoins, cette crise a étél'occasion de réagir en développant des recherches nouvelles. On s'achemine à la foisvers la mise en place de dispositifs d'observation plus internationaux et vers unestructuration de la filière apicole française.

L'apiculture en France220 000 apiculteurs français en1988, 70 000 en 2008 (source :Fédération nationale desorgani sations sanitairesapicoles départementales)1,4 million de ruches Plus de 90% d’apiculteurs dits« de loisir » (possédant de 1 à30 ruches) et 2% d’apiculteursconsidérés comme profes -sionnels (exploitant plus de 150ruches). Les mortalitésd’abeilles ont abouti ces

dernières années à unediminution des « petitsapiculteurs » et une augmen -tation des professionnels quiont eux-mêmes accru lenombre de ruches qu’ilsexploitent.La production de miel, de 18 000 t récoltées en 2007 (25 000 en 2004), est en baissedepuis 10 ans, alors que laconsommation reste stable, à 40 000 t par an.

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important pour atteindre des rela-tions statistiquement significatives.Or ces données manquent et leuracquisition nécessiterait des disposi-tifs de suivis lourds et de longuedurée. A défaut, le traitement desdonnées disponibles s'avère souventdécevant, voire peu exploitable.L’Efsa, l’Autorité européenne de sécu-rité des aliments, a lancé une experti-se pour étudier spécifiquement le syn-drome du CCD. Elle analysera enparticulier la qualité des méthodesd’enquête utilisées dans chaque pays,leur pertinence par rapport au suividu CCD et devrait permettre d’iden-tifier les facteurs pouvant contribuer àce syndrome. L'opération, d'une duréede 9 mois, a débuté en janvier 2009.Elle est confiée à un consortium descientifiques européens, dirigé parl’Afssa en partenariat avec le CentralScience Laboratory (CSL) auRoyaume -Uni et l’Inra. Les scienti-fiques mobilisés dans l’expertise sontégalement membres du réseau Coloss,projet européen dont l’objectif estd’enrayer le CCD.

Structuration de la filière apicole En France, les problèmes qui affec-tent les abeilles ne semblent pas avoirfait l'objet de beaucoup d’étudessociologiques ou économiques. Tout lemonde constate que la filière est mor-celée, représentée par différentes orga-nisations et groupements de défense,

dont plusieurs syndicats en concur-rence. Les recommandations formu-lées par l'Académie d'agriculture, lerapport parlementaire du député Mar-tial Saddier ou le récent rapport del'Afssa appellent à structurer la filièreapicole sur le modèle des autres pro-ductions animales, avec une inter-profession unifiée et un appui technique organisé. Un nouvel Instituttechnique de l’abeille est en cours decréation. Il sera chargé d’élaborer lescahiers des charges des programmesde recherche appliquée et de diffuserdes conseils techniques. En attendantla mise en place de cette structure, lerapport Saddier prône la création d’unComité opérationnel apicole, plate-forme d’échanges et de dialogue entre

tous les acteurs de la filière. Le rap-port parlementaire invite, par ailleurs,à définir un statut de l'apiculteur, dif-férenciant amateurs et professionnelset harmonisant les conditions d'accèsaux aides européennes ; à développerune politique de signes officiels dequalité alors que le miel apparaît com-me un marché faiblement encadré surle plan réglementaire, avec des impor-tations de qualités et d’origines diver-ses et de fortes fluctuations de sescours mondiaux.

Débat social Après quinze ans de controversesdepuis la première incrimination duGaucho®, la bataille d’experts conti-nue, alimentée par les incertitudes

Les résultats scientifiques sur le Gaucho® ont été obtenus par étapes, contribuant à entretenir la controverse sur les quan-tités détectables et quantifiables dans la plante. Ce n’est qu’en 2003 que les méthodes d'analyse ont permis de quantifierles doses infimes de produit présentes dans les pollens et nectars. En 2001, le ministère de l’Agriculture a constitué un comi-té scientifique et technique indépendant pour examiner la masse de résultats obtenus sur les troubles des abeilles (245 rapportsd’étude et 93 publications scientifiques). Les rapports rendus en 2003 et 2006 pour le Gaucho® et le Régent®, respecti -vement, confirment qu’ils peuvent entraîner des risques préoccupants selon les types d’abeilles et les scénarios de consom-mation de sorte qu’ils peuvent être « un des éléments de l’explication de l’affaiblissement des populations d’abeilles ».

ORapport 2003 : http://agriculture.gouv.fr/spip/IMG/pdf/rapportfin.pdfEfsa : www.efsa.europa.eu/EFSA/efsa_locale_1178620753816_home.htm

La controverse française autour des effets du Gaucho sur les abeilles a fait l'objet d'une analyse sociologique par LauraMaxim dans le cadre du programme Alarm (thèse de l’Université de Versailles-St Quentin, Centre d'économie et d'éthique pourl'environnement et le développement, 2008). Elle montre que les acteurs utilisent la science dans le débat public en triant lesdonnées qui leur sont favorables et contribuent ainsi à accentuer ou déplacer les incertitudes scientifiques. Elle propose en conclu-sion de développer des critères d'évaluation de la qualité de l'information transmise par les divers acteurs impliqués dans undébat autour d'un risque environnemental. Ainsi, pour que l'information communiquée par un acteur puisse être considérée com-me pertinente pour le débat et plus largement pour la prise de décisions, elle doit inclure des références à l'ensemble des connais-sances scientifiques existantes, y compris celles avancées par les autres acteurs. Il est tout aussi important que cette informationconcerne directement le risque discuté, dans ses détails géographiques, écotoxicologiques, biologiques, etc., pour éviter la confu-sion avec des phénomènes apparemment similaires, mais qui peuvent être en réalité très différents.

Le Gaucho®, une polémique entretenue par les incertitudes scientifiques…

…mais aussi par une incertitude construite socialement

Un Coloss contre les pertes des colonies d’abeillesUn groupe de chercheurs animé parPeter Neumann, du Centre de recherchesur l’abeille de Liebefeld-Posieux enSuisse, a obtenu un financementeuropéen (action COST 2008-2012) pourcréer un réseau international decollaboration sur les pertes d’abeillesdomestiques, associant scientifiques,apiculteurs et industriels de 27 pays(Europe, USA, Chine, Egypte, etc.). Ceréseau Coloss (comme Colony Losses)mobilise entre autres les chercheurs surune nouvelle approche demétagénomique, pour identifier

l’ensemble des agents pathogènesaffectant les abeilles. Ils mènerontensuite des expériences pour distinguerles facteurs majeurs c’est-à-dire causantdes pertes importantes dans plusieurspays et les facteurs mineurs ou locaux.Ils testeront également l’effet decombinaisons de ces facteurs, enlaboratoire et en champ, pour explorerles possibilités de synergies. Un groupede travail s’emploiera aussi à mettre aupoint des méthodes d’évaluation de l’étatdu cheptel d’abeilles domestiques enEurope, en lien avec l’expertise de l’Efsa.

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❝ Lorsqu’ellebutine le nectar,l’abeille se couvrede pollen qu’elle récupèreen se brossantavec ses pattesavant. ❞

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qu’ils ne sont pas ! Un temps j’ai crupouvoir m’en tenir à souligner lescontradictions des discours et les para-doxes du terrain. Mais ce discours esttotalement inaudible en temps de crise. »Finalement, l’issue lui semble positive :« on a certainement plus appris surl’éco toxicologie, les pathologies et l’éco-logie des abeilles ces dix dernières annéesqu’en un siècle d’apidologie ! ». D’après Laura Maxim, chercheuse ensocio-économie de la biodiversité (cf. encadré p. XI), « le débat souligneaussi le besoin de consulter toutes lesparties prenantes lors des avis et déci-sions émanant de dispositifs publics derégulation. Le manque de confiancejoue un rôle essentiel dans les contro-

+d’infosOrapports :Agriculture et biodiversité. Valoriser les synergies. Rapportd'expertise scientifique collective réalisé par l'Inra juin 2008 :www.inra.fr/l_institut/expertise.Mortalités, effondrements et affaiblissements des coloniesd’abeilles. Rapport Afssa, novembre 2008.Pour une filière apicole durable. Rapport parlementaire deMartial Saddier au premier ministre François Fillon, octobre2008.Opublications :- Nicola Gallai, Jean-Michel Salles, Josef Settele, Bernard E.Vaissière. 2009.Economic Valuation of the Vulnerability ofWorld Agriculture Confronted with Pollinator Decline",Ecological Economics, 68, 810-821- Diana Cox-Foster et Dennis van Engelsdorp, Sauvons lesabeilles, Pour la Science, mai 2009- Yves Le Conte, Marion Ellis, Mortalités et dépopulations descolonies d’abeilles domestiques : le cas américain. Biofutur284, janvier 2008- Séverine Suchail, David Guez and Luc P. Belzunces., 2001.Discrepency between toxicity induced by low and high dosesof imidacloprid in Apis mellifera. Environ. Toxicol. Chem. 20,2482-2486- Laura Maxim et al., 2007, Uncertainty : cause or effect of

scientifiques, les marges d'interpréta-tion laissées par l’extrapolation derésultats obtenus en conditions expéri -mentales ou le calcul des quotients derisque. Vincent Tardieu, journalistequi finalise un livre-enquête sur ledéclin des abeilles, se montre cepen-dant compréhensif envers les cher-cheurs qui « devaient élaborer des outilset méthodes d’évaluation en partantd’un feuille blanche alors même qu’onleur demandait d’apporter des réponsesrapides et précises sur un risque confus ».Quant à sa profession, il note qu’enpériode de polémique, « le journa listeest censé arbitrer, défendre, prouver,convaincre. Comme les scientifiques ensomme ! A l’image d’ultimes experts

verses, et dans le cas des pesticides, unedes raisons est liée au fait que les étudesécotoxicologiques préalables sont effec-tuées par la firme qui sollicite l’autori-sation de mise sur le marché. Latransparence des évaluations du risqueest essentielle, car elle peut renforcernon seulement leur légitimité mais aussileur qualité. Pourquoi ne pas imaginer,en France, une démarche similaire àcelle de l’Efsa, qui publie sur son siteinternet les évaluations du risque desmatières actives et demande l’avis desparties prenantes avant qu’une déci-sion soit prise ? »Cette analyse souligne combien lessciences sociales peuvent éclairer lesprocessus de gestion des risques. ●

stakeholders’debates ? Analysis of a case study: the risk forhoneybees of the insecticide Gaucho. Science of TotalEnvironnement 376, 1-17- Pierrick Aupinel, Piotr Medrzycki, Dominique Fortini, BrunoMichaud, Jean-Noël Taséi, Jean-François Odoux. 2007. A newlarval in vitro rearing method to test effects of pesticides onhoney bee brood. REDIA, Vol. XC, 91-94Orevues :- Apidologie, revue internationale consacrée à la science desabeilles au sens large, Apidologie est éditée par EDPSciences, en partenariat avec l’Inra et la Deutscher Imkerbund,association des apiculteurs allemands : www.apidologie.org- Insectes, revue de l’OPIE, office pour les insectes et leurenvironnement, association naturaliste qui anime la Maison desinsectes dans les Yvelines (78) et en régions :www.inra.fr/opie-insectes/- Revue en ligne Apoidea (www.oabeilles.org), publiée parl’Observatoire des abeilles, association nationale pour l’étudeet à la sauvegarde des abeilles sauvages en France.Ofilm :Abeilles sous surveillance, film de Jean-Marc Serelle, réalisépour la Cité des sciences, 2009 : www.cite-sciences.frOColloque :Apimondia, colloque international, Montpellier, 15-20 septembre 2009

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