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Institut d’Etude du Développement Economique et Social (IEDES) Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Master 1 « Crise : interventions d’urgence et actions de développement » « LA VIOLENCIA », UNE CRISE AUX RACINES HISTORIQUES PROFONDES, ET AUX CONSEQUENCES DURABLES (COLOMBIE) Fanny Outrequin Odile Bobrow Sous la Direction de Mme Anne Le Naëlou - juin 2006 - 1

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Institut d’Etude du Développement Economique et Social (IEDES) Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Master 1 « Crise : interventions d’urgence et actions de développement »

« LA VIOLENCIA », UNE CRISE AUX RACINES HISTORIQUES

PROFONDES, ET AUX CONSEQUENCES DURABLES

(COLOMBIE)

Fanny Outrequin

Odile Bobrow

Sous la Direction de Mme Anne Le Naëlou

- juin 2006 -

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Sommaire

Introduction..……………………………………………………………………………p. 4

1ère Partie : Racines de la Violencia

1. Le XIXème siècle : un passé lointain qui laisse des traces…………..……………p.5

1-1 De nombreuses guerres civiles…………………………………………… p.5

1-2 Un passé historique de lutte politique inter partisane…………………… p.6

2. 1942 à 1945 : des tensions de plus en plus perceptibles…………………………...p.6

2.1. Le problème agraire…………………………………………………………p.7

2.2. La perte de crédibilité de la politique libérale………………………………p.9

2.3. Une faiblesse de l’Etat dans tous les domaines…………………………… p.10

2.4. Un syndicalisme faible et subordonné au parti libéral ……….…………….p.11

3. 1945-1948 : montée en puissance du gaïtanisme…………………………………..p.12

2ème Partie : La Violencia, guerre civile de 1948 à 1965

1. « Crise politique » : une définition……………………………………………………p.14

2. Le 9 avril 1948 : el Bogotazo ou « le coup de Bogota »………………..…………….p.15

2.1. Le soulèvement dans le Quindio ………………………………………………p.17

2.2. L’Union Nationale : un semblant de retour au calme………………...………..p.18

2.3. Le retour des notables………………………………………………………….p.19

2.4. Le bipartisme à certains niveaux………………………………………………p.20

2.4. La capitulation des libéraux……………………………………………………p.20

3.1949-1953 : une violence en chaîne…………………………………………………….p.22 3.1. 1949 : évènements politiques crisogènes…………………………………….p.22

3.2. Escalade de la violence sous le régime de Laureano Gomez (1949-1953)…. p.23

3.2.1. Les conservateurs persécutent des libéraux……………………...p.25

3.2.2. Les bandes armées libérales ripostent…………………………....p.27

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3ème Partie : Sortie de crise

1. De l’amnistie à la dictature de Rojas Pinilla (1953-1957).……………..…………….p.29

2. Le Frente Nacional (1958-1974).………………………………………………………p.30

3. La prolifération de nouveaux régulateurs : les groupes guérilleros………………...p.32

4. L’engagement américain en Colombie………………………………………………..p.34

Conclusion……………………………………………………………………………..….p.35 Bibliographie……………………………………………………………..……………….p.38 Annexes…………………………………………………………………………………….p.39

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Introduction

La Colombie, comme ses voisins d’Amérique Latine, est colonisée dés le XVIème

siècle. L’économie coloniale a pour principales raisons la constitution d’un réservoir

économique destiné à l’exploitation afin d’augmenter le trésor royal, et l’entreprise

missionnaire. Durant cette période, les mines sont exploitées, la mise en place de

l’esclavage sur les indiens puis sur les africains est une mesure courante. Puis, la

Colombie gagne son indépendance face à l’Espagne en 1819 et, s’intègre au marché

international en se spécialisant dans l’exportation de l’or, du café, des ressources

premières, et de la drogue aujourd’hui. Dés le XVIème siècle, elle voit se développer sur

son territoire un réseau de contrebande passant par Antiocha, et remontant le fleuve

Magdalena jusqu’à son embouchure sur l’océan atlantique. A la fin du XIXème, les

grandes entreprises étrangères (Nord américaines principalement) prennent le

contrôle de la production à travers l’établissement de grandes firmes multinationales,

tel que la United Frut Company.

Le début du XXème siècle connaît un calme relatif (stabilité politique)

contrairement aux nombreux coups d’Etat qui se succèdent dans le reste du continent

Latino américain. Mais en 1948 éclate une guerre civile qui dure jusque 1965. Elle est

appelée ultérieurement « la Violencia ». Durant ces quinze ans, des milliers de

colombiens, principalement ruraux, meurent et soufrent d’agressions perpétuelles.

On compte 300 000 morts sur une population de 11 000 000 d’habitants. Quels sont

les facteurs qui ont plongé la Colombie dans une situation que l’on a qualifiée de

« crise » ? Pourquoi qualifie-t on cette période de « crise politique » ? Pourquoi cette

crise politique a-t-elle été nommée « Violencia » ? Au moment le plus violent de la

crise, quels ont été les réactions, les évènements qui ont accéléré, amplifié la crise ?

Dans une première partie, nous verrons que des tensions existent depuis le

XIXème siècle, et sont exacerbées quelques années avant la Violencia. Dans une

seconde partie, nous étudierons la période de la Violencia, depuis l’évènement

déclencheur de la crise (le « coup de Bogota ») jusqu’au paroxysme de la violence.

Nous tenterons de mettre en relief les réactions crisogènes, c’est-à-dire les réactions

amplificatrices et accélératrices de crise. La troisième partie traitera du déroulement

final de la Violencia, c'est-à-dire la sortie de crise.

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1ère Partie : Racines de la Violencia

1. Le XIXème siècle : un passé lointain qui laisse des traces

1.1. De nombreuses guerres civiles

Au sortir de la guerre d’indépendance, les colombiens doivent se substituer aux

colons espagnols quant à la gouvernance de l’Etat, à la gestion de l’économie. Mais

aucune éducation ou formation n’est enseignée aux élites originaires d’Amérique

Latine. C’est pourquoi suite à l’indépendance, une période de troubles politiques, de

luttes de pouvoir s’amorce, et rend ainsi difficile l’établissement d’un gouvernement

stable et démocratique jusque dans les années 1960.

Sur le plan économique, Eduardo Galeano constate que l’indépendance entraîne

un enrichissement des ports, une augmentation du gaspillage faite par l’oligarchie

avide de luxe, une ruine des manufactures locales naissantes, et une frustration du

marché interne.

C’est donc dans ce contexte socio-économique que se déclenche des guerres civiles

massives et généralisées. En effet, en 1840 éclate la « guerre des Suprèmes », en

1860-1877 la « guerre Fédérale », la « Bataille de Garapata » en 1877, la « Bataille de

la Humarada » en 1885, et la « Guerre des Milles jours » au tournant du siècle (1899-

1902) qui cause 200 000 morts.

Ces guerres civiles sont la résultante d’une lutte acharnée pour le pouvoir entre le

parti conservateur et le parti libéral, qui s’allient stratégiquement, luttent, puis

s’allient de nouveau. FG Martinez parle d’ «un mouvement se répétant sans cesse

pendant tout un siècle ». Le XIXème siècle connaît une violence politique certaine, où

la présence de l’Etat est réduite, sauf dans les grandes villes, et où il existe une forte

opposition entre les potentats locaux et le pouvoir central.

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La guerre est alors un élément fondateur du droit, de l’ordre juridique et politique,

d’une nouvelle forme d’institutionnalisation comme le souligne Gonzalo Sanchez.

C’est de là que naissent les premières constitutions colombiennes, à savoir la

Constitution de Rionegro en 1863, puis celle de 1886 inchangée jusqu’en 1991.

Sur le long terme, cette succession de guerres entraîne une multiplication des

fronts de colonisation (forte migration), et renforce le caciquisme sur le plan

politique.

1.2. Un passé historique de luttes politiques inter partisanes

Depuis la création de la République, la confrontation entre parti conservateur et

parti libéral se base sur la conception qu’ils souhaitent donner quant à la forme de

l’organisation politique, le modèle de développement, la relation Eglise-Etat, et la

légalité de la conduite de la guerre.

Pour les conservateurs, la République doit être unitaire, avec un pouvoir central

basé à Bogota. L’Eglise ne doit pas être en rupture avec l’Etat.

Pour les libéraux, la République doit être décentralisée, avec un parlement fort et

un pouvoir présidentiel moindre ; ils veulent une République fédérale, avec des

pouvoirs régionaux conséquents. Ils sont partisans d’une rupture claire et définitive

du lien qui existe entre l’Etat et l’Eglise.

A la tête de chaque parti, c’est une élite blanche, riche, généralement grand

propriétaire terriens (hacienda), et qui ont une idée de quelle serait la « bonne

République ». Ce sont des caudillos, avec beaucoup de pouvoir régional, et capables

de mobiliser la population de leur région sur un discours « manichéen ». En effet,

l’engagement de la population est plus le fait de voir dans le caudillo la possibilité

d’obtenir un emploi, le fait d’une vengeance personnelle («les libéraux ont tués mon

père ») et d’une tradition familiale, que d’une conviction et une idéologie politique.

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A la fin du XIXème siècle, ce sont l’Eglise, l’hacienda et les partis qui dominent,

alors que l’Etat se voit déjà relativement absent, ce qui aura des conséquences

durables et permanentes.

2. 1942-1945, des tensions de plus en plus perceptibles

La première moitié du XXème siècle est celui d’un contexte où continue de dominer

Eglise, hacienda et partis, et où de nouvelles formes de pouvoir politique, identités

collectives et réseaux de relations sociales émergent (à travers le gaïtanisme

notamment). Le penchant culturel pour la guerre est moins vif qu’au XIXème siècle,

notamment pour calmer une situation difficile suite à la « Guerre des milles jours »,

où d’un point de vue économique, le pays en sort très affecté : sur –dévaluation,

économie dépendante au cours des matières premières ( café, caoutchouc..), perte de

Panama.

La période 1942-45 est celle qui précède les premières manifestations des

sanglantes attaques inter partisanes. Quels sont les problèmes en jeu ?

2.1. Le problème agraire

Dans cette première moitié du XXème siècle, selon Eduardo Galeano, 96% des

exploitations sont aux mains de grands propriétaires terriens. Les paysans et

journaliers qui y travaillent sont la plupart du temps exploités. Le système de

l’hacienda du XIXème siècle continue de dominer. Il se caractérise alors par des

populations semi serviles, un patronage qui force les travailleurs à s’endetter, un

travail forcé des communautés indiennes. Ce système traduit une situation de

pénurie généralisée de main d’œuvre et la nécessité pour les maîtres de la terre de

fixer les hommes afin de pouvoir en disposer. Il existe alors une extrême

concentration foncière dans un système social fondé sur l’exclusion ou

l’assujettissement à de multiples formes de domination paternaliste. Dans la théorie

économique, la concentration foncière latifundiste associée au métayage n’est pas le

système les plus efficace. En effet, la taille de l’exploitation n’est pas optimale puisque

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les terres sont la plupart du temps sous exploitées ou exploitées de manière extensive.

Et, du point de vue du paysan, le métayage, le fermage, ou le contrat de travail

n’incite pas au travail. C’est une situation d’inefficience marshallienne où le paysan

n’est pas incité car il ne touche qu’une fraction de la production pour le métayage, où

se produit un problème d’aléas morale et de tire-au-flanc en ce qui concerne le

contrat de travail. C’est pourquoi la réforme agraire apparaît essentielle pour une

meilleur redistribution des terres, du bien-être, et d’une meilleur efficacité et

productivité.

De plus, l’économie est fortement dépendante des cours et des

multinationales, et les bénéfices tombent dans les mains de ces firmes et de

l’oligarchie (prospérité du café). Même en période prospère, il n’y a aucune

répercussion sur les prix ni sur les salaires, ce qui empêche le pouvoir d’achat de se

développer et par conséquent ne stimule pas la demande. Cette spécialisation dans

les produits primaires peut se transformer en une situation paradoxale analysé par

Bhagwati. Un pays comme la Colombie (petit pays dans le sens où il ne contrôle pas

les prix mondiaux) qui se spécialise dans l’exportation de produits primaires tente

alors d’exporter le plus possible. Or cette augmentation de l’offre de produits

primaires entraîne une baisse des prix mondiaux, donc une baisse des revenus des

exportations qui se traduit par une dégradation des termes de l’échange. Le pays

connaît alors une baisse des capacités à couvrir l’ensemble de ses besoins. Il y a un

risque de se trouver dans une dynamique de croissance appauvrissante (le PIB est tiré

par les exportations mais sa capacité à couvrir ses besoins diminue).

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2.2. La perte de crédibilité de la politique libérale

Les réformes politiques et sociales du libéralisme dans les années 30

(interventionnisme, Etat laïque, syndicats, loi sur les terres, etc.) tentent de

moderniser le pays et d’incorporer les secteurs de la classe moyenne, ouvriers et

paysans jusque là exclus. Mais ce changement fait l’objet d’une dure résistance et

d’une pause à partir du gouvernement Santos (1938-1942). De 1942 à 1945, le

gouvernement libéral de Lopez connaît une détérioration pour plusieurs raisons.

C’est un période de forte spéculation et inflation (sur la base 100 en février

1937, l’indice des prix à Bogota pour les ouvriers atteint 142,3 en 1943, 171,2 en 1944

et 190,6 en 1945 soit une augmentation de 55% en trois ans, où l’Etat régulateur se

démantèle rapidement en faveur d’un libéralisme économique prononcé, par de

grands groupes économiques puissants (nationaux et étrangers).

L’instabilité du gouvernement est menacée par l’intolérance croissante du parti

opposé, par la diffusion de cette ambiance dans une partie de l’armée, par le

déploiement du mouvement d’opposition gaïtaniste, et enfin par des désaccords

internes des dirigeants libéraux.

Le parti libéral se divise en une aile modérée (Santos) et en une aile populiste

radicale (Gaïtan), laquelle débouche sur le renoncement du président Lopez (1944),

puis en juillet 1945 , sur l’intérim de Alberto Lleras Camargo (libéral) comme

Président de la République (Presidente Encargado). À partir de 1945, l'aile la plus

radicale du parti libéral, dirigée par Jorge Eliecer Gaïtán, qui s'oppose à la politique

d'Union Nationale du président Alberto Lleras Camargo, devient de plus en plus

populaire.

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2.3. Une latente faiblesse de l’Etat

Au niveau théorique, l’Etat faible a des risques de tomber dans un scénario tel

que : l’Etat faible a un projet de développement faible à savoir se maintenir au

pouvoir. Au sein de la société, il y a peu de changement, les anciennes régulations se

maintiennent et règlent le système. La pauvreté se perpétue, et il y a recours à la

répression en cas de mécontentement.

L’Etat est incapable de se doter des moyens d’exercer son autorité sur une

grande partie du territoire. Empiriquement, la faiblesse de l’Etat se manifeste dans de

nombreux domaines. Depuis le XIXème, l’éducation est aux mains de l’Eglise

catholique, ainsi que les travaux de constructions, le financement de fêtes religieuses

(résultant d’un travail collectif payé en monnaie ou en nature). L’Etat est incapable de

gérer les ressources, les infrastructures, car la géographie et la diversité culturelle

sont complexes. Le pays est peuplé essentiellement dans les zones andines, et l’Etat

peine à pénétrer les autres régions d’accès difficile (Amazonie, zones marécageuses

etc.)

Ce sont les municipes avec les gamonales (chefs politiques du municipe) qui

ont une capacité de représenter la population devant les instances de l’Etat. Le

gamonal est généralement propriétaire de terrains, de maisons, acheteur de café ou

distributeur de marchandises, ensemble d’activités qui lui confèrent un pouvoir

économique certain. Il obtient son pouvoir politique à travers quatre types d’électorat

particulier. D’une part, en agglomération et en ville, il obtient des votes en assurant

aux électeurs un emploi. C’est en effet le cas du gamonal d’Armenia Barrera Uribe qui

obtint environ 2000 voix en 1928 par les cantonniers qui le suivaient de façon

inconditionnelle afin de se faire recruter. D’autre part, le gamonal bénéficie des votes

des moyens et petits propriétaires ruraux, des petits commerçants, par un lien de

loyauté envers ce dernier. C’est un moyen pour cet ensemble de population (le plus

important en nombre) de s’assimiler aux grands propriétaires, avec les même valeurs

et même droits. Quant aux grands propriétaires et commerçants, c’est un vote

pragmatique visant à assurer leur influence dans les organismes de décisions de la

localité. Et enfin les journaliers agricoles, ne possédant rien, ayant une faible

présence dans la production, n’ayant pas de syndicat, se voient contraint de voter

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pour les listes préférées de leurs patrons auxquels ils sont attachés par un lien

paternaliste.

Ainsi l’Etat reste faible dans le contrôle de la redistribution et de la

perméabilité des organismes quant à l’intervention des personnes, et tire son profit

tant qu’il arrive à maintenir la tutelle du gamonal.

2.4. Un syndicalisme faible et subordonné au parti libéral

Le lourd appareil de l’unique confédération nationale existante, la

Confédération des Travailleurs de Colombie (CTC) est contrôlé par le parti libéral et

ses dirigeants. Elle est totalement subordonnée aux gouvernements de ce parti. En

conséquence, les initiatives de ses syndicats, à partir de certaines limites, sont

interceptées par la puissance centrale qui représente plus spécialement les

travailleurs des transports et des travaux publics (qui constituent une partie non

négligeable de la population ouvrière). Jusqu’en 1944, les rares syndicats qui existent

dans l’industrie privée, en générale ne sont pas affiliés à la CTC et sont de type

clairement patronal. Pour connaître la répartition sectorielle des syndicats à la CTC

en 1947, voir l’annexe n°1. La prolifération de syndicats enregistrée dans les

entreprises à partir de 1944 et l’apparition du syndicalisme dans de nouvelles

branches du secteur public ne changent pas la situation précédente qualitativement,

car il n’y a pas de changement dans l’évolution négative des salaires. Le

gouvernement de Lopez, au lieu d’avoir profité au développement ouvrier, renforce

plutôt les liens entre la CTC et le Gouvernement, en particulier après le coup d’Etat

raté de 1944. En contre partie, le Gouvernement a dicté les mesures sociales du décret

2350 (décret concernant en particulier les prestations sociales du salaire),

partiellement transformé en loi quelques mois plus tard.

Le gros de la base ouvrière ne peut s’identifier complètement aux appareils

syndicaux. On voit même apparaître une prolifération désordonnée de plates-formes

revendicatives, présentées séparément par les syndicats, à partir du mois d’août 1945.

Mais c’est sur le plan politique que le mécontentement est à son comble.

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Les travailleurs ont un patron (capitaliste particulier ou Etat patron), mais la

majeur partie du tertiaire n’en a pas (travailleurs indépendants/à leur compte ou

patrons/directeurs), et il n’y a pas de confrontation directe de classe. De même, une

grande partie des travailleurs ruraux produisent en 1945, le surplus de travail sous

des formes différentes de la relation salariée, alors que les journaliers agricoles n’ont

pas de syndicat dans leur département.

3. 1945-1948 : montée en puissance du gaïtanisme

Suite aux difficultés économiques et politiques du gouvernement de Lopez, un

nouveau mouvement, le Mouvement Populaire du Libéralisme, émerge avec à sa tête

un leader charismatique, populiste, social et politique, Jorge Eliecer Gaïtan,

accompagné d’un personnel politique dit « les promoteurs du gaïtanisme ».

Gaïtan attaque l’oligarchie sur le plan économique et social. En effet, il reproche à

la bourgeoisie industrielle, aux douze familles ploutocratiques, de s’approprier les

surprofits liés à l’inflation et la spéculation. Gaïtan réussit à mobiliser une grande

partie de la population urbaine au départ, puis rurale, avec comme leitmotiv de

faciliter au peuple (perçu comme un ensemble de consommateurs virtuels frustrés

que l’on doit sauver) l’accès aux produits du marché et aux services publics. Le

gaïtanisme va principalement récupérer les voix des ouvriers sous-employés, des

marginaux, des ouvriers ferroviaires, des artisans pauvres, des cantonniers, des

chômeurs, ainsi que des récolteurs de café de certaines zones rurales du Quindio et

Armenia.

Cependant, les paysans restent pour beaucoup conservateurs, ainsi que les

propriétaires de petits ateliers et de petites entreprises. En effet, ils attribuent leur

condition économique précaire à la mauvaise gestion des gouvernements libéraux

antérieurs, ils réaffirment leurs croyance traditionnelle dans le lien entre religion et

politique (attaqué par les libéraux), ils sont attachés au cacique ou gamonal,

pourvoyeur d’intérêts matériels, ils ont peur du triomphe de Gaïtan vu comme en

faveur des ouvriers.

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Ainsi, les conservateurs et le clergé privilégient l’espace des croyances religieuses,

en identifiant le discours anti-oligarchique des libéraux à une lutte des classes

marxistes, à la fausseté des doctrines étrangères importés. Ils donnent alors une

vision totalisatrice du bien (la religion) contre le mal (les libéraux, les communistes).

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2ème partie : La Violencia, guerre civile de 1947 à 1965

En 1947 se regroupent les différents libéraux ce qui donne un rapport de force

favorable aux gaïtanistes qui mènent la lutte sociale et anti-oligarchique, et provoque

une crise contre le personnel de l’Etat et l’ensemble dominant. Dès 1947, la violence

commence de s’inscrire sur le terrain faisant 14 000 victimes. Les deux départements

du Santander et du Boyaca sont les deux principaux théâtres d’affrontement. Au

cours des premiers mois de 1948, la loi « du feu et du sang » ne fait que s’étendre.

Voir annexe n°2 : la localisation de la violence en 1948

1. « crise politique », une définition

L’analyse théorique définit la crise politique au sens stricte comme étant la

confrontation entre deux partis politiques aboutissant à une guerre.

Dans la conception des philosophes des lumières, Hobbes décrit l’Etat de nature

comme celui des libertés totales (tuer, défendre sa vie), où les individus sont en

perpétuels affrontements. C’est la loi du plus fort qui l’emporte. Pour y mettre fin,

Hobbes démontre l’utilité de nouer un contrat entre les individus. Il y a donc

institution d’un tiers pour empêcher l’utilisation abusive de son droit à l’homicide. Ce

tiers est donc représenté par l’Etat.

Dans le contexte de la Violencia, on est en présence de deux groupes, qui ne

prennent pas en compte les besoins de la population. Ce sont les intérêts des élites

politiques qui s’affrontent au détriment de la population civile. Ce dualisme qui

entraîne une dissolution du tiers (non prise en compte de la population) a pour

conséquence de dissoudre la société, ce qui ne pourrait être le cas à plusieurs car il y

aurait négociation certaine. C’est ainsi que se déroule la Violencia de manière

schématique : dualisme→ dissolution du tiers→ état de guerre.

Une définition d’après Gérard-François Dumond est la suivante : « une crise

politique interne est un conflit qui affecte les dirigeants d'un Etat, la nature de ses

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institutions, ou son régime de société : elle débouche sur un remaniement

gouvernemental, sur un changement de gouvernement si le précédent s'est senti

contraint de démissionner, sur des adaptations constitutionnelles, ou sur un

changement de régime » (Recteur Gérard-François DUMONT, Qu’est-ce qu’une

crise ?, dans Geostrategiques, avril 2001, n°4,

http://www.strategicsinternational.com/f4dumont.htm)

2. 9 avril 1948 : « el bogotazo » ou « le coup de Bogota »

C’est le neuf avril 1948 que Gaïtan est assassiné en plein centre de Bogota,

alors que la conférence panaméricaine est réunie en présence du général Marshall

dans la capitale. Les résultats d’une enquête de Scotland Yard sur le meurtre n’ont

jamais été publiés.

L’assassinat de Gaïtan, dont la popularité est considérable, déclenche une

émeute sanglante que les forces armées mettent trois jours à réprimer. Les

armureries sont pillées, les prisons sont ouvertes, la foule libérale s’en prend aux

bâtiments officiels et entreprend le siège du Palais présidentiel. La police de Bogota

sympathise dans sa majorité avec eux. La 5ème division de police se rallie ouvertement

et sa caserne devient le centre des opérations. Des consignes révolutionnaires sont

diffusées et la chute du Palais présidentiel est présentée comme imminente par les

moyens de la chaîne gaïtaniste de radio, puis des autres chaînes dont les insurgés ont

pris le contrôle. Mais il les insurgés connaissent l’échec face aux soldats de la garde

ministérielle. Les magasins sont pillés, de nombreux bâtiments publics et la

cathédrale sont mis à feu.

Ainsi, dans l’après midi du neuf avril, le gouvernement constitutionnel est mis

en péril par le soulèvement spontané des libéraux. Dans le Palais présidentiel, une

délégation libérale dirigée par Dario Echandia et Carlos Lleras Restrepo entame des

négociations pour mettre au point une nouvelle formule politique. Le dénouement

n’est pas celui que le peuple libéral espère. Le succès est momentané : destitution du

gouvernement local de certains municipes (Quindio), les conservateurs sont apeurés

et destitués de fait, mais pas d’actes révolutionnaires visant à une prise du pouvoir

central n’est entrepris. Au lieu de la démission d’Ospina et la mise sur pied d’un

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gouvernement libéral, c’est le retour à un gouvernement d’Union Nationale qui est

entériné. La seule satisfaction est de voir Laureano Gomez écarté, et Dario Echandia

nommé ministre du Gouvernement. Malgré la déception, les gaïtanistes et les

dirigeant syndicaux se rallient à cette formule

L’insurrection, dirigée essentiellement contre les conservateurs sans être

contrôlée par les libéraux, s’étend à l’ensemble du pays. Durant ces journées, aucune

organisation n’est parvenue à canaliser l’insurrection.

Des qu’ils apprennent la nouvelle par la radio, les libéraux interrompent leurs

activités dans d’innombrables villes, bourgades et hameaux. Outre l’emprisonnement,

le pillage, les violences contre les prêtres, des juntes révolutionnaires se forment pour

assurer le contrôle de l’administration locale. Les juntes manifestent une volonté

politique de rendre le pouvoir au libéralisme et une aspiration sociale à prendre en

charge les revendications populaires. La grande majorité se dissout paisiblement

lorsque est annoncé le retour à l’Union Nationale. Aucune ne résiste par les armes au

rétablissement de l’autorité constitutionnelle.

On compte plusieurs milliers de victimes et la répression n’est pas moins

sévère que dans la capitale. Le terme de bogotazo est resté synonyme d’explosion

populaire incontrôlée.

Selon C. M. Ortiz Sarmiento, le neuf avril ne résulte donc pas simplement de

l’attachement affectif au leader et de l’espoir d’une prise de pouvoir par les libéraux,

mais surtout d’une réclamation diffuse du surplus de travail approprié par les autres.

Les comptes rendus du Secrétariat du gouvernement du département de

Caldas ayant trait à l’ordre public mentionnent la zone du Quindio comme la plus

convulsionnée le 9 avril.

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2.1. Le Soulèvement dans le Quindio

Voir annexe n°3 : La position géographique de la région du Quindio. La

version qui circule spontanément parmi les libéraux est que les responsables du

crime de Bogota sont les conservateurs alliés au clergé. Ainsi la cible de l’attaque dans

les agglomérations est, après l’autorité conservatrice, la population civile de ce parti,

puis selon leur rôle politique les jours précédents, les fonctionnaires du clergé.

L’inculpation de l’oligarchie des deux partis sera une version mûrie ultérieurement et

alimentée par les dirigeants les plus fidèles au gaïtanisme, ceux de la JEGA.

A part quelques exceptions de libéraux arrêtés, ce sont surtout les

conservateurs qui se cachent ce 9 avril. Une grande peur s’empare d’eux, ainsi qu’une

intense colère, qui se serait transformée en une rancœur comprenant les

ressentiments amers du passé.

Dans les couches basses du libéralisme (récolteurs, ouvriers ferroviaires,

petits artisans pauvres, cantonniers, chômeurs, sous-employés, paysans pauvres), le 9

avril est un mélange de douleur, de colère et d’alcool. L’audace avec laquelle ces

foules agissent et le succès momentané de la destitution du gouvernement local ne

peuvent être qualifiés de révolutionnaires ; on ne peut pas non plus parler de l’échec

d’une révolution car il n’existait ni plan ni coordination de ce type. Les casernes et les

stations de police sont occupées, les conservateurs sont apeurés, l’autorité est

destituée de fait, mais les insurgés hésitent entre les appels au calme des modérés et

le grand espoir d’une prise du pouvoir central par le parti.

Le 10 avril, le président Ospina Pérez demande aux dirigeants libéraux de

contribuer au rétablissement de l’ordre et forme un nouveau gouvernement d’Union

Nationale. Mais le bogotazo est le point de départ d’une exceptionnelle période de

violence. Des insurrections paysannes libérales se produisent simultanément à

travers le pays, opposant libéraux et conservateurs. Comme dans beaucoup de

municipes de Colombie, devancés par de grandes villes et par le centre ouvrier de

Barranqua, des juntes dénommées révolutionnaires se constituent dans les municipes

du Quindio, dans les circonscriptions départementales du Caldas et du Valle.

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2.2. L’Union Nationale : un retour au calme en apparence

Une semaine après le 9 avril, tout semble rentrer dans l’ordre. L’Union

Nationale est reconstituée selon sa définition première, qui est de rassembler les

élites socio-économiques des deux partis politiques. L’accord se fait aussitôt pour

séparer ce qui, au cours de ces journées, a un caractère purement politique, de ce qui

a un caractère d’insurrection sociale. La justice militaire a la charge de juger les

individus impliqués dans l’insurrection. Un des principaux adversaires de Gaïtan,

Carlos Lleras Restrepo, accède à la direction du parti libéral. Craignant que la

violence ne mène à une révolte sociale paysanne, les dirigeants du Parti libéral

soutiennent les mesures répressives du gouvernement conservateur pour réprimer les

soulèvements et préserver les oligarchies libérale et conservatrice. L’ordre de déposer

les armes vient très vite, du centre.

Au lendemain des journées d’avril, la poursuite de la violence ne semble pas

inexorable. C’est plutôt la restauration tranquille du vieil ordre élitiste qui paraît

probable. En témoigne le retour en force des notables aux postes de commandement

politique, dans le gouvernement et dans les partis, la reconstitution d’un système

d’Union Nationale, à présent entériné par les états-majors des deux partis et

accompagnés d’une rigoureuse répartition des postes publics entre chacune des deux

communautés, la présence de Dario Echandia au ministère du Gouvernement, la

dislocation du mouvement gaïtaniste, la condamnation quasi-unanime à l’encontre

des « excès de la populace », la mise en œuvre sur tout le territoire d’une justice

expéditive pour réprimer les insurgés. Il y a donc bien une reprise en main par

l’ensemble des élites politiques et économiques, qui paraît aussi impliquer le contrôle

des phénomènes de violence.

Mais il ne faut pas longtemps pour percevoir la fragilité de ce « gentlemen’s

agreement ». La violence continue à s’amplifier. L’ère de la violence généralisée et de

la complète dérive des repères politique s’ouvre. Pour les 12 mois de 1948, il aura plus

de 43 000 morts.

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2.3. Le retour des notables

Pour mieux comprendre l’efficacité des anciens dirigeants libéraux, en tant que

médiateurs du Gouvernement conservateur dans l’échec des soulèvements, il faut

tenir compte de la rapide transmigration du leadership du peuple : sans caudillo et

habitués à une conduite d’exécutants, face à un mouvement démesuré et flou, les

adjoints immédiats de Gaïtan accourent instantanément à la recherche des anciens

chefs. Bien que le libéralisme se soit unifié, ses notables sont restés en marge, à

l’exception d’Echendia. D’autres se trouvent hors du pays (Santos et Lopez), d’autres

encore offrent leurs services à l’entreprise privée et à la politique économique du

Gouvernement Ospina. En quelques heures, les gaïtanistes ressuscitent les chefs

libéraux d’un vieux régime usé.

La prise du pouvoir libéral constituent pour les chefs les plus importants un

non-sens voire un danger. L’opinion tend globalement vers un gouvernement

partagé. Sur ce fond, c’est le Président Ospina qui est le mieux indiqué pour gérer la

continuité du projet de l’Etat libéral mis en marche par Lopez et sur lequel existe un

accord oligarchique. C’est aussi Ospina qui est le plus habile et le plus crédible pour

satisfaire le marchandage des intérêts économiques fragmentaires quand au même

moment, le prorata partisan de l’Union Nationale restaurée garantit les butin des

caciques libéraux, la mobilité des cadres, et donc le rodage séculaire du contrôle

politique. Pour les libéraux, cette occasion ne se prête pas à la prise du pouvoir. Leur

clientèle est fortement mobilisée. L’Etat sauveur dont Gaïtan prédisait l’avènement va

à l’encontre des idées et des compromis de ces notables. La situation se synthétise

dans la phrase d’Echendia : « le pouvoir pour quoi faire ? »

Le rachat des chefs nationaux s’accompagne d’un renforcement progressif des

caciques de toujours et de leurs hommes politiques, dans la mesure où les gaïtanistes

et les dirigeants les plus impliqués dans les incidents du 9 avril se voient poussés à la

fuite, sont détenus, sont condamnés ou menacés, plus que les autres, par les

conservateurs et les nouvelles autorités locales.

Mais le 9 Avril n’est que la culmination d’un processus qui avait commencé du

vivant de Gaïtan.

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2.4. Le bipartisme à certains niveaux

Le neuf avril va également être le renforcement de la solidarité entre les

potentats et les riches conservateurs et libéraux dont les figures politiques n’avaient

pas été très actives le 9 avril. Par exemple, A Calarca, les deux noms les plus

importants du libéralisme traditionnel s’ajoutent à ceux des dirigeants locaux

conservateurs pour rejoindre la Junta désignée par les autorités du Municipe avec

l’objectif de collecter de l’argent en solidarité avec les victimes du 9 avril à Bogota.

Les oligarques politiques du conservatisme local, en général caractérisés pars leur

tolérance et leur esprit biparti, au lieu de se manifester pour un accroissement des

forces policières, avec possibilité de les contrôler de façon sectaire, recherchent plutôt

la présence de l’armée. Par cette attitude, ils savent ainsi pouvoir trouver l’appui de

leurs associés libéraux. La junta pro cuarteles se présente ainsi comme une junta

civica digne de la reconnaissance de l’ensemble des citoyens qui se trouvent ainsi

protégés du fanatisme des deux partis et des attaques contre la propriété privée

perpétrée le 9 et que continuent de perpétrer les bandes armées rurales.

Bien sûr, cela n’empêche pas que la manipulation de la police reste aux mains

des maires partiaux en 1948 et les années suivantes et sous la pression des maires

caciques. Elle révèle, par la suite, les caractères de persécution libérale que

connaissent d’autres municipes.

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2.5. La capitulation des libéraux

A Pijao, on somme les insurgés de se rendre et ils le font grâce à l’intervention

directe des deux principaux Ministres Libéraux qui venaient de prendre leur charge

dans le nouveau cabinet biparti. Le but du soulèvement (la prise du gouvernement

central) est évincé. Mais le Ministre de l’Intérieur Echandia (Premier Ministre) argue

que l’esprit démocratique du libéralisme ne peut accepter que des fonctionnaires

désignés selon la Constitution et que les juntes constituées le 9 avril, malgré l’appui

de la majorité, soient anti-démocratiques. Les deux Ministres, de l’Intérieur et de la

Justice, garantissent verbalement, en contre partie de la soumission, la nomination

de fonctionnaires libéraux, et la clémence envers les dirigeants lors des procès. On

nomme effectivement maire un partisan, mais pour quelques mois. A Alcala, on

nomme le chef du gaïtanisme lui-même, mais pour quelques jours seulement, et on le

remplace ensuite par un employé conservateur. Ce remplacement provoque la colère

du dirigeant et de ses compagnons qui assassinent le nouveau maire quelques jours

après sa prise de fonction. Arrive de Cali un successeur qui déclenche une

persécution aveugle. Le directoire libéral est dissout, le chef et les hommes politiques

locaux s’enfuient, et la population (presque toute libérale) sert de chair à canon.

La composition libérale des fonctionnaires nommés en contrepartie de la

reddition ne dure finalement qu’un temps dans les municipes. Malgré les promesses

d’Echendia, c’est la répartition partisane des gouvernements qui prévaut entre le

Ministère et les mairies, et c’est finalement les Gouverneurs qui nomment les

autorités des municipes. Or, il est facile pour Echendia de réaliser son offre dans les

cas des Gouverneurs des régions proches du libéralisme, comme le Tolima. Ce

département connaît alors la chasse aux conservateurs. A San Antonio, par exemple,

la chasse est violente et donne naissance par réaction au bataillon des Faucons,

tristement célèbre : organisé à l’origine avec des paysans à des fins défensives, il se

transforme en contre-guerilla officielle, et s’acharne sur les libéraux.

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3. 1949-1953 : une violence en chaîne

Les dissensions au sein des partis traditionnels dont les leaders sont en

désaccord sur la tactique à adopter (les libéraux en particulier hésitent entre la

coopération avec le Gouvernement et l’opposition totale), le renforcement du Parti

Communiste qui prétend pouvoir compter sur 25 000 militants et s’identifie avec le

mouvement gaïtaniste, la méthode adoptée par le président Laureano Gomez, qui

délègue ses pouvoirs, pour des raisons de santé, au docteur Urdaneta Arbelaez, sont

autant de facteurs qui favorisent le déferlement de la violence.

Les grands propriétaires terriens organisent des milices armées, l’Eglise est

prise à partie, des milliers de paysans sont assassinés, des bandes armées se

réclament des libéraux ou des conservateurs, ou échappent à tout contrôle,

s’affrontent dans les provinces. En septembre 1952, les journaux du Parti libéral (El

Tiempo et El Espectador) sont mis à sac dans la capitale par des émeutiers, ainsi que

les domiciles de deux des principaux dirigeants libéraux, Alfonso Lopez et Carlos

Lleras Restrepo, qui se réfugient dans une ambassade.

3.1. 1949 : évènements politiques crisogènes

Quatre évènements politiques ponctuent en 1949 la marche vers la

généralisation de la Violencia :

- La rupture de l’Union National, le 21 mai 1949. Elle intervient à la veille des

élections parlementaires, à l’initiative des libéraux qui entendent ainsi protester

contre la violence officielle pratiquée par les conservateurs dans le Boyaca et le

Narino. En dépit de l’alliance informelle entre les deux partis, deux libéraux de haut

rang sont assassinés en 1949, poussant les libéraux à s’abstenir aux élections de 1950.

- La résolution, adoptée par les libéraux en juillet, d’avancer la date des

élections présidentielles prévue en avril 1950. Cette mesure destinée à éviter

l’effritement de leurs positions est présentée par les conservateurs comme un

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véritable coup d’Etat, et la violence fait à cette occasion son entrée jusque dans

l’enceinte parlementaire.

- Le ralliement du parti conservateur, en octobre 1949, à la candidature de

Laureano Gomez, revenu de son semi-exil en Espagne qui avait suivi le 9 avril. Ce

choix fait l’effet aux yeux des libéraux, d’une véritable déclaration de guerre.

- La décision prise par le parti libéral le 28 octobre de renoncer à prendre part

aux élections présidentielles, puis, quelques jours après, celle d’entamer au Congrès

la procédure de destitution de Mariano Ospina Perez. L’opposition libérale, qui l’a

emporté et dispose de la majorité au congrès, demande la mise en accusation, par le

Sénat, du président Ospina Pérez. Ce dernier répond en fermant le Congrès et en

imposant sur tout le territoire l’état de siège et la censure.

3.2. Escalade de la violence sous le régime de Laureano

Gomez (1949-1953)

Si les élections générales pour les assemblées de juin 1949 maintiennent les

participations respectives des partis et leurs proportions réciproques en termes

proches de ceux des deux élections précédentes, la Direction Nationale Libérale

appelle tous les partisans à l’abstention. La raison alléguée est le manque de garanties

surtout à cause des persécutions des policiers et souvent des conservateurs civils

contre les libéraux dans les différentes régions du pays. Ainsi, le candidat

conservateur, le docteur Laureano Gomez, est élu à une écrasante majorité. Sur les

décombres de la démocratie libérale, il annonce la mise en place d’un Etat

corporatiste, mais cet Etat ne verra jamais le jour.

Le régime de Gomez (soutenu par l’Eglise, qui avait été persécutée pendant le

soulèvement, et par les Etats-Unis, qui voyaient le soutien du Parti communiste aux

paysans à travers le prisme de la Guerre froide) élève la répression vers de nouveaux

sommets. La violence chaotique oppose les libéraux contre les conservateurs, elle

entraîne aussi des combats entre l’oligarchie et les paysans sans terre qui forcent de

nombreux grands propriétaires à abandonner leurs terres et à s’enfuir vers la ville

pour retrouver une relative sécurité.

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Il va donc se produire une escalade de violence, puisque suite à ces guérillas le

Gouvernement emploie la police, puis l’armée (à partir de 1952-53 face aux guérillas

libérales et à leur immense appui paysan) pour procéder à des éliminations, à un

génocide auquel se mêle un sadisme important, conséquence de la vengeance.

C’est alors une terreur concentrée qui se déroule pendant ces années, résultant

de la volonté des conservateurs de démanteler « à feu et à sang » la rébellion d’avril.

Elle se manifeste par un ensemble de dispositions idéologiques, légales et coercitives

à l’encontre des organisations ouvrières, civiques ou sociales, ainsi que par une

généralisation de la répression.

Laureano Gomez va instituer une véritable politique structurée de la terreur.

En effet, il établit une stratégie et une programmation chronologique de la terreur,

dans laquelle sont recrutés des agents de la terreur (policiers, armée, forces mixtes,

pajaros qui sont des « oiseaux de passage » c’est-à-dire des mercenaires volants

allant de ville en ville pour faire des assassinats exécutés sur commande en contre

partie d’argent), qui agissent selon des rituels de la terreur sur ordre du Ministère de

l’intérieur et des gouverneurs, contre la subversion c’est-à-dire le libéralisme. Ex : la

coupe de la crevette consiste à couper la gorge et faire sortir la langue, et la coupe du

poisson dite bocachiquio consiste à faire des entailles le long du corps.

Le contexte est celui d’une indissolubilité entre l’ordre public, la prééminence

partisane et le caciquisme.

Du point de vue de l’analyse sociologique, cette transformation politique (la

rébellion) contribue à diviser le pays selon que l’on appartient à l’identité

conservatrice ou libérale. L’identité devient alors une catégorie politique que

l’individu revendique. On passe d’une identité dite substantielle (attachement à sa

famille, au sang, à la vereda, défini par le sociologue Orlando Fals Borda comme étant

un groupe social ethnocentrique et autonome), à une identité dynamique,

situationnelle, relationnelle et hétérogène. Ce n’est plus le lien de sang qui compte

mais celui d’appartenance à l’un des deux clans.

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Ce conflit peut-être qualifié de « politicide ». Ce terme est élaboré en 1988 par

B.Harf et T.Gurr. Il exprime une situation d’assassinat en masse d’individus en raison

de leurs opinions politiques. Durant la Violencia, ce sont bien des milliers

d’assassinats qui sont commis entre deux clans politiques, même si pour une partie

de la population l’attachement n’est pas tant idéologique, mais plutôt hérités de

tradition familiale, de volonté de venger un membre de sa famille. Il en reste tout de

même que d’un point de vue global, ces tueries résultent du fait d’appartenance

politique.

3.2.1. Les conservateurs persécutent les libéraux

Nous n’entrerons pas dans le détail sur les polémiques entre les sphères

directrices libérales et le Gouvernement conservateur, sur les discussions autour du

calendrier électoral, ou sur les sessions agitées du Congrès qui vont même jusqu’à

l’assassinat d’un député libéral dans l’enceinte parlementaire. Nous observons plutôt

les manifestations dans la région du Quindio. Dans tous les municipes sans

exception, la campagne électorale s’accompagne de voies de fait contre les libéraux, et

dans certains villages, du début de la série d’assassinats perpétrés par la police. Cet

enchaînement d’actions a pour objectif l’intimidation des libéraux, et cependant ne

s’achève pas avec le triomphe forcé que l’absence d’opposant a octroyé aux

conservateurs le 27 novembre. Elle se poursuit plus tard dans la même mesure et de

façon croissante. Deux jours après le vote, on célèbre à Circasia le résultat par un

massif passage à tabac des libéraux. L’intimidation dans un but compétitif semble

céder le pas à un enhardissement dévastateur et à des buts plus tournés vers

l’extermination que vers la joute électorale.

Va alors se consolider un mouvement de persécution des libéraux, à travers

l’aplanchada, correction à la machette reçue par les libéraux dans les villages. Les

victimes les plus fréquentes sont les paysans (agregados ou propriétaires) et les

journaliers qui viennent s’approvisionner le samedi ou dimanche sur les lieux

d’approvisionnement et de marché. Cet état de chose réduit au le déplacement des

hommes adultes. Ils envoient leurs enfants et / ou leurs femmes mais elles

n’échappent pas non plus à l’aplanchada.

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A la fin de 1949, les municipes à forte majorité gaïtaniste ne sont pas en

meilleure position pour se défendre et empêcher la progression des battues. Au

contraire, ces municipes connaissent une généralisation plus rapide des formes

extrêmes de persécution : torture raffinée, fausse application de la loi de fuite,

fusillade directe des détenus sans procès.

Dans les municipes où la proportion du parti gouvernemental est plus

considérable, il y a une forte participation des civils conservateurs parmi les

aplanchadores, alors que dans les municipes ou leur nombre est plus faible, ce sont

les policiers qui exécutent cette tâche. Dans les deux cas, les libéraux ne montrent

aucune résistance, et à part quelques cs isolés de personnes ayant réussi à fuir dans le

maquis et qui s’essayent à leurs premières attaques armées, ils n’organisent aucun

système de défense collective.

Malgré les formes les plus violentes exclues par la Constitution (correction à

coup de machette, incarcération…) les policiers et les aplanchadores ne sont jamais

retenus pas les autorités locales, car celles-ci sont majoritairement conservatrices

jusqu’à la fin de 1949. Les rares maires qui avaient été laissés comme quota du

libéralisme en 1948 ont été relevés.

Le plus grand danger pour les habitants réside dans la conduite et les procédés

utilisés par les gardes départementaux des douanes qui pratiquent des violations de

domiciles dans ordre judiciaire, n’ont aucune discipline policière,, n’ont pas

d’uniforme, et partent dans les villages et veredas à la veille des élections pour

commettre toute sorte de forfait contre les habitants dans le but d’intimider e parti

adverse. A partir de 1950, on enregistre dans les campagnes des arrestations en série,

ne tenant pas compte des normes judiciaires, des massacres de familles entières ou

de journaliers, souvent accompagnés d’incendies que les paysans attribuent tout

spécialement aux carabiniers et aux piquets de police. L’institution reconnaît elle-

même les excès et l’arbitraire de son personnel dans les premières années de la

décennie de 1950, mais elle le fait à l’époque du début du Frente Nacional (1957-

1958), lorsque la persécution classique massive des libéraux perd sa fonction qet que

l’intimidation se fait par d’autres méthodes. Malgré les changements juridiques que

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signifiait la nationalisation de la Police et Police Nationale, l’agent de police reste

immergé dans l’armature immuable du municipe et de la vereda dont les gamonales

(conservateurs) restent les bornes ; les gamonales détiennent le monopole des liens

avec les institutions officielles.

L’ensemble des policiers, dépendants plus ou moins des caciques

conservateurs selon les régions et les différentes réglementations qui se succèdent,

constitue encore dans les années 1950 la plus grande partie de l’appareil répressif de

l’Etat. Au début de la décennie, le personnel de police représente 25 000 hommes et

celui de l’armée 15 000. Les us et les abus des policiers dans les municipes

n’émanent en générale pas seulement de l’investiture officielle dont ils sont porteurs,

en accord avec les lois, même au plus petit grade de la hiérarchie ; c’est en

l’occurrence l’accomplissement des ordres du Ministère de l’Intérieur et du

Gouverneur. La subversion désigne tout le libéralisme.

3.2.2. Les bandes armées libérales ripostent

Pour se défendre des agressions officielles et para officielles, les libéraux vont

créer des petits groupes armés contre le gouvernement. Ces guérillas ne proviennent

pas du seul sentiment de vengeance, mais aussi d’une condition historique, à savoir

l’inaction de l’Etat face à la demande de justice, face à la complicité criminelle des

fonctionnaires, ou par leur volonté de laisser le délit impuni. Cette organisation de la

résistance dans de nombreuses régions sont donc des mouvements d’opposition

contraints par la Violencia, et non des projets politiques et insurrectionnels de prise

de pouvoir du gouvernement.

Ces guérillas des 1950 se substituent aux mouvements sociaux (syndicat

agraire, organisation indigène…), sont les portes paroles de mouvements partisans

(libéraux ou conservateurs), ou encore sont les représentants de certaines

communautés. Ces guérillas sont imaginées comme des zones de libertés. Elles sont

essentiellement rurales, et bénéficient d’un soutien urbain pour certaines. Malgré un

projet de coordination nationale de guérillas en 1953 (Lois des guérillas des Llanos),

elles restent dans des rapports conflictuels et ce projet s’avère être une utopie. Ce

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n’est qu’à partir de 1953 que les paysans s’investissent, soutiennent et protégent leurs

bandes armées, et ce pour répondre à l’œuvre du Gouvernement, à savoir la

généralisation et l’intensification des persécutions. La prise du maquis vise donc à

défendre la vie et les biens des autres, en même temps que leur propre vie, et

d’assurer leur subsistance matérielle, résultant du vide de l’Etat quant à cette fonction

protectrice et judiciaire.

Bilan de cette période : en 1949, la Violencia fait 18 500 victimes. Elle atteint

son Paroxysme en 1950, avec plus de 50 000 morts. Elle revient ensuite à des

proportions plus modestes : 10 300 morts en en 1951, 13 250 en 1952, 8 600 en 1953.

C’est donc un bilan de 150 000 victimes sur six années (1948 à 1953), soit presque 1%

de la population. Toutes les régions sont loin d’être également touchées. Dans celle

qui le sont le pourcentage est bien supérieur. Voir annexes n°5 à n°7.

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3ème Partie : Une sortie de crise ?

La sortie de crise se décompose en deux étapes. La première concerne

l’amnistie proposée par Rojas Pinilla (1953) et stoppe pour un temps les guérillas des

plaines. La deuxième phase résulte d’une opposition à Pinilla se traduisant par

l’élaboration du Frente Nacional (pacte de 1957). S’en suit une période de transition

où vont émerger de plus en plus de guérillas, de violence sociale jusqu’à un

banditisme accru dés les années 1980.

1. De l’amnistie à la dictature de Rojas Pinilla (1953-1957)

Suite à la désorganisation, à la terreur que connaît le pays pendant la période de la

Violencia, le coup d’Etat lancé par le général Rojas Pinilla contre la « dictature » de

Laureano Gomez le 13 juin 1953 est soutenu par une bonne partie de l’opinion. En

effet, Pinilla promet la fin de cet état de violence. Il propose alors une amnistie à tous

ces groupes en conflit, et leur répond en créant le bureau pour la reconstruction et le

secours.

Ainsi en quelques mois, le pays retrouve une relative stabilité pacifique. En effet la

guerre civile est pratiquement terminée, de nombreuses personnes émigrées rentrent

au pays, l’administration centrale reprend le contrôle sur des régions qui s’étaient

autoproclamées autonomes.

Cependant, cette stabilité n’est que de courte durée. La violence continue. Elle est

entretenue par les réticences de certains libéraux, notamment dans le bas clergé et les

partisans de Gomez. En effet, de nombreux gomezistas libérés vont commencer à tuer

des paysans innocents. Par conséquent, des paysans qui avaient signé l’amnistie

reprennent les armes. Pour y faire face, Pinilla lance une offensive militaire en 1955

contre ces paysans (Guerre de Villarica). Pendant cette offensive, dans le

département de Tolima vont naître des mouvements d’autodéfense qui deviennent

par la suite les Farcs.

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Dés 1954 le gouvernement Pinilla se durcit. Il nomme en 1954 le colonel Agudelo à la

tête de l’université, il crée un parti « chrétien et bolivarien » faisant office de

« troisième force », il gouverne par décrets, il suspend le congrès. Tout un ensemble

de mesures qui tend à rendre le gouvernement trop autoritaire à la vue des autres

partis. C’est ainsi qu’en 1956, l’unanimité des libéraux et conservateurs s’opposent à

Pinilla. Ils rejettent alors la responsabilité de la Violencia sur ce dernier. Suite à leur

mécontentement, les élites libérales et conservatrices vont organiser en 1957 une

grève générale et des manifestations dans la capitale afin de le pousser à la démission.

Cette opération fonctionne et débouche sur l’exil du général en Espagne, et sur

l’ébauche d’un Front National (Frente Nacional).

2. Le Frente Nacional (1958-1974)

En 1957, une élite conservatrice et une élite libérale, accompagnées par Laureano

Gomez vont établir un pacte : le Frente Nacional. Il est appliqué en 1963 sur une

période de seize ans. Il s’agit d’un consensus entre le parti conservateur et le parti

libéral visant à une alternance planifiée. Le projet vise à une réconciliation par

rapport à la terreur connue pendant la Violencia, à réhabiliter, à reconstruire et à

réformer en cherchant à édifier un plan de modernisation capitaliste de l’économie et

de l’Etat par rapport au contexte actuel. Gonzalo Sanchez parle d’une transition de la

« tyrannie de l’exclusion » à la « tyrannie du consensus », visant à unifier les classes

dominantes par rapport à la résistance. A partir de 1958, les deux partis se succèdent

au pouvoir tous les quatre ans et se distribuent tous les postes officiels de manière

égale, au service d’une même politique.

C'est ainsi qu'à Alberto Lleras Camargo, libéral (1958-1962), succéde Guillermo

León Valencia, conservateur (1962-1966) ; qu'après Carlos Lleras Restrepo, libéral

(1966-1970), c’est le tour de Misael Pastrana Borrero, conservateur (1970-1974).

Alfonso López Michelsen, libéral, élu en 1974, loin de mettre un terme (comme il en a

le droit) à un pacte qui bloque complètement la vie politique colombienne, s'applique

à le renforcer dans les faits, en faisant entrer des ministres conservateurs dans son

gouvernement et dans les principaux emplois publics, et en tentant, à la fin de son

mandat, d'institutionnaliser la parité politique entre les deux partis.

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Selon Sarmiento, on constate une baisse des chiffres des indices de la violence

entre 1965-80 ce qui montre bien un certain retour au calme. Voir annexes n°8 à

n°12.

Ainsi, dans sa définition stricte, la crise politique est terminée puisqu’ un

consensus s’est établi entre les deux partis à travers le Frente Nacional.

Cependant, pris dans un cadre plus large, l’Etat n’est toujours pas capable

d’assurer la protection de la totalité de la population, de son territoire, d’assurer les

fonctions minimales. Déjà pendant la période de la Violencia, le rôle des guérillas, des

pajaros existe car l’Etat n’est pas apte à défendre ni les libéraux, ni les conservateurs.

Les acteurs hégémoniques d’auparavant se voient bien diminuer. En effet, les

haciendas sont certes dédommagées mais se voient contraintes au repli, la

domination de l’Eglise est fortement remise en cause, et les partis sont passés d’une

compétition à mort à une répartition programmée et disciplinée du pouvoir.

Ainsi, le Frente Nacional élimine la guerre entre partis, mais crée la guerre

insurrectionnelle (dominants /dominés).

La Commission ministérielle qui présente le plan de réhabilitation (assistance

sociale aux victimes de la Violencia, et réincorporation des ex combattants à la vie

civile et au travail productif) connaît certaines difficultés. D’une part, il y a un

désaccord dans les faits, entre les hommes politiques qui souhaitent une action

immédiate, et les techniciens qui veulent planifier sur le long terme. D’autre part, ils

ont du mal à définir des priorités, ce qui se manifeste par l’absence d’un diagnostique

clair et d’une véritable politique de réhabilitation. Concrètement, aucune solution

n’est apportée quant aux besoins des victimes, dans des situations de chômage, d’exil,

ce qui entraîne une perte de confiance de la population quant aux actions de l’Etat.

Puis au niveau régional se reproduit le conflit entre techniciens et politiques ce qui

bloque d’autant plus la réhabilitation, ajouté au problème de la définition des zones

qui peuvent bénéficier de la réhabilitation (celles stabilisées, ou celles encore en

conflit ?), du regain de luttes paysannes liées à la politique de parcellisation. En

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définitive, l’envergure des problèmes est supérieure à la capacité administrative,

financière et politique de la Commission et donc du gouvernement.

La formation du Frente Nacional met un terme à l’aspect « XIXème siècle » de la

Violencia, a savoir un conflit entre les factions de l’élite au pouvoir. Néanmoins le

gouvernement doit encore faire face aux mouvements armés.

3. La prolifération de nouveaux régulateurs : les groupes

guérilleros

En parallèle au pacte politique, de nouveaux acteurs ou existants déjà sous la

Violencia vont émerger. Pour les premiers, ce sont des groupes guérilleros qui vont

s’installer dans des régions éloignées pendant et après la Violencia, et devenir un

régulateur actif face aux faiblesses institutionnelles de l’Etat. Ces groupes sont

composés de nombreux paysans, la plupart libéraux et communistes, qui ont survécu

aux offensives militaires des années 1950 en s’exilant vers des régions inhabitées pour

la plupart à l’est des départements du Meta et du Caqueta (les « longues marches »).

Ils étaient protégés par les mouvements armés d’autodéfense. Ils défrichaient et

travaillaient de nouvelles terres dans des zones dites « républiques indépendantes ».

L’objectif était de se libérer d’un gouvernement national dont ils se méfiaient. Pour

nuire à ces républiques, le gouvernement va les définir comme des gangs de bandits

communistes, ce qui sert alors d’excuse pour lancer des attaques militaires à leur

encontre, pour les condamner politiquement et pour les bloquer économiquement.

Du coté des propriétaires terriens des tensions vont naître également, puisque

rapidement ils vont avoir des prétentions sur les terres nouvellement défrichées.

Ainsi les républiques tombent les unes après les autres aux mains de l’armée et une

fois sous contrôle gouvernemental, les terres finissent dans les mains des grands

propriétaires fonciers. C’est pourquoi, les paysans sont obligés de s’enfoncer un peu

plus dans la jungle, et se rendent compte que leur seule chance d’obtenir la justice

sociale repose sur leur capacité à se battre à un niveau national contre le

gouvernement. Dans cette logique, les mouvements armés d’autodéfense

commencent à disperser des unités dans diverses régions du pays afin de combattre

les forces armées sur plusieurs fronts en même temps, dirigés par une structure

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centrale. Le 20 juillet 1964, les différents fronts de ces mouvements établissent leur

programme de réforme agraire. Deux ans plus tard, ils deviennent officiellement les

FARC.

Un autre mouvement guérillo prend naissance dans cette période de post-crise,

c’est le M-19. Il est crée par des membres socialistes du parti Alliance nationale

populaire dit ANAPO (parti politique indépendant formé par des partisans de Rojas

Pinilla) en réponse à une fraude électorale lors des élections d’avril 1970 remporté de

justesse par Misael Pastrana Borrero du parti du Frente Nacional contre Rojas

Pinilla. En effet ils accusent le gouvernement d’avoir manipulé le comptage des votes.

Dans ce contexte de « démocratie limitée » d’autres mouvements guérilleros se

créent dans les années 1960. C’est notamment le cas de l’Armée populaire de

libération (EPL) dans le département d’Antiocha. Ce mouvement est influencé par la

Révolution cubaine. Ils sont convaincus que la théorie du foco d’Ernesto « Che »

Guevara, l’insurrection armée, est la voie révolutionnaire à suivre. Et suite à la

séparation entre l’Union Soviétique et la Chine, l’EPL décide de suivre la théorie

maoïste de la « guerre populaire prolongée ».

Enfin, un des derniers mouvements guérilleros d’ampleur est l’Armée de

libération nationale (ELN) crée en 1964 par des étudiants revenant de Cuba, dans le

département de Santander. Ils forment alors le deuxième plus important groupe de

guérilleros de la nation. Ils basent leurs idées sur les principes de guérilla rurale du

Che. Contrairement au M-19 et à l’EPL, ils ont refusés jusqu’à présent de rendre les

armes et de participer au système politique.

Ainsi les FARC est le seul groupe guérillero colombien qui a des racines paysannes

et qui précède à la fois le Frente Nacional et la Révolution cubaine. Quant à l’ELN, à

l’EPL et au M-19, ils sont tous des mouvements menés par les intellectuels urbains,

typiques de nombreux groupes de guérilleros d’Amérique Latine des années 1960 :

des réactions armées, inspirées par Cuba, face à la situation intérieure politique,

sociale et économique. Voir annexes n°13 à n°14 les tableaux des morts violentes

dues aux bandes armées.

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4. L’engagement américain en Colombie

L’intervention américaine en Colombie dans le domaine politique se fait

surtout présente après la Violencia. Au cours de la Violencia, Washington s’abstient

d’intervenir et compte sur leurs alliés Colombiens dans leur lutte contre le

communisme. En effet, la Colombie est le seul pays d’Amérique Latine à envoyer ses

troupes pour soutenir les Etats-Unis pendant la guerre de Corée (1950-1953), et

Bogota rompt ses relations diplomatiques avec la Havane avant même les Etats-Unis.

Ce n’est que lors de la révolution cubaine que les Etats-Unis reprennent un fort

intérêt envers l’Amérique Latine. Ils redoutent un nouveau Cuba et sont préoccupés

par l’émergence de groupes guérillas marxistes-léninistes, guévaristes ou encore

maoïstes notamment en Colombie. Comme c’est à cette époque qu’apparaissent les

FARC puis l’ELN et un peu plus tard l’EPL, ils redoutent le développement et la

consolidation de ces guérillas. Les américains décident alors de ne pas ménager leur

aide à ce pays, faisant office d’exemple à leur politique contre-révolutionnaire dans la

région. Cette aide est économique et sociale d’une part : la Colombie est l’un des

principaux bénéficiaires de l’Alliance pour le progrès qui est un programme d’aide

socioéconomique à l’Amérique Latine lancé en 1961 par le Président Kennedy (visite

remarquée dans le pays la même année). Elle est militaire d’autre part : la

coopération entre les forces armées américaines et colombiennes se traduit

notamment par l’opération contre les FARC à Marquetalia en 1964. Marquetalia

marque alors le début d’une présence continue de l’armée américaine auprès des

forces armées colombiennes.

Ainsi, la coopération économique et militaire entre les deux pays s’est renforcée

même si très vite les mouvements de guérilla colombiens, comme du reste les autres

mouvements latino-américains, n’ont plus représenté un risque majeur pour les

Etats-Unis. Malgré l’apparition de nouvelles organisations armées tels que le M19, la

lutte n’a en rien les caractéristiques d’une guerre civile. Les guérillas ne comptent que

quelques centaines de combattants et sont incapables d’inquiéter le régime.

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Conclusion

La Violencia ne peut en aucun cas s’expliquer comme un événement

particulier, apparu au milieu de rien, sans conséquences ni enjeux sur le futur. En

effet, elle s’intègre dans un contexte passé tout au long du XIXème siècle caractérisé

par de nombreux conflits politiques entre conservateurs et libéraux. L’éclatement de

la guerre fait suite à un contexte proche économique et social de plus en plus difficile,

où les tensions économiques, sociales, politiques s’exacerbent.

Mais c’est bel et bien un fait précis qui déclenche la guerre civile, à savoir

l’assassinat de J. E. Gaïtan en Avril 1948. Les tensions antérieures se cristallisent en

se focalisant sur l’assassinat. Les élites augmentent les haines et amplifient le

mouvement par des discours manichéens, et donne au conflit une dimension

vengeresse. C’est alors une violence en cascade, où les attaques entre les deux partis

se font écho (les guérillas libérales naissent pour répondre aux attaques des

conservateurs, qui eux même répondent par l’emploi accru de la police, des pajaros,

et ainsi de suite). Ainsi, pour en finir avec ces quinze années de violence intense, R.

Pinilla propose une amnistie qui permettra un court retour au calme. Mais très vite,

son gouvernement devient de plus en plus stricte et ne répond aucunement aux

besoins des populations. C’est dans ce contexte que des élites politiques créent le

Frente Nacional (réconciliation et alternance des deux partis). Cette sortie de crise en

deux étapes (la première induisant la seconde) est bienvenue par la population,

première victime de cette guerre civile. Le Frente Nacional va réguler pendant une

dizaine d’années la vie politique du pays en installant une alternance entre

conservateurs et libéraux par un consensus. Parallèlement, la Colombie connaît de

nouveaux régulateurs. Les guérillas, l’armée, sont des résultantes du conflit armé, et

vont prendre de plus en plus d’ampleur dans ce post crise. Les Etats-Unis vont

augmenter leur influence à travers le programme Kennedy. Cette influence va se

poursuivre jusqu’à aujourd’hui (Plan Colombie).

Cependant, le Frente Nacional ne permet une sortie de crise qu’en apparence.

En effet, il résout le conflit entre partis politiques, mais l’Etat reste dans une situation

de crise beaucoup plus large. Même si la crise se régule sur le court terme, à moyen et

long terme, le Frente Nacional connaît certaines limites, et très rapidement la

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violence refait surface. Dés le départ il y a désaccord au sein même des décisions

quant aux programmes à mettre en place, ce qui affaiblit la crédibilité de l’Etat. Puis,

ce consensus a pour conséquence d’exclure automatiquement les autres partis du

système politique pendant quinze ans. Plus tard dans les années 1980, les guérillas,

loin de s’arrêter, ne cesse d’augmenter leur pouvoir territorial et économique. On

parle alors d’un Etat libanisé c'est-à-dire un Etat central qui ne contrôle plus son

territoire et des acteurs « illégitimes » accaparent le pouvoir de l’Etat sur certaines

zones. La violence se réinscrit dans le quotidien des colombiens comme « la

représentation et la modalité concrète des relations sociales et politiques ».

C’est pourquoi aujourd’hui la Violencia est étudiée afin de mieux comprendre

la situation actuelle, cet état de violence permanent. Non pas que la Violencia a

engendré directement la situation actuelle, mais plutôt s’y insère et y contribue, dans

le sens où cette période montre une certaine inaction de l’Etat et la mise en place

d’instances qui prennent le relais jusqu’à aujourd’hui. Cela vient donc du fait de

l’incapacité de l’Etat à réguler. C’est pourquoi des groupes, des instances de

régulations (Farcs dans la région de Caqueta, ELN, paramilitaires…) autorégulent,

gèrent certaines régions en instaurant la loi du plus fort et un état de violence

généralisée à partir des années 1980. Quel est alors l’élément qui dynamise

l’ensemble, qui engendre ce climat de violence permanent ? La réponse est loin d’être

évidente. Pour les portes paroles militaires du gouvernement, la responsabilité

exclusive est la guérilla. Pour la presse étrangère, ce sont les trafiquants de drogues.

Pour les forces démocratiques, cela vient du phénomène de la guerre sale.

D’après Gonzalo Sanchez, on assiste ces dernières années à un phénomène où

chaque forme de violence crée à son tour plusieurs autres formes de violence. De

violences politiques et partisanes, on passe à des violences révolutionnaires et à du

banditisme, contrés par des violences paramilitaires, qui finissent jusqu’à des

violences dans la vie privée. L’historien Tulio Halperin considère la Violencia comme

« un passé indomptable, mais aussi inachevé ». Sanchez démontre que depuis les

années 1980, où ces guérillas révolutionnaires deviennent totalement autonome du

point de vue de leur projets, de leurs méthodes, de leurs stratégies et formes de

leadership, la Colombie est dans un état de Guerre totale, à savoir une guerre de tous

contre tous, dans une société où une grande partie de la population est armée ou

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protégée par les armes. Il parle d’une « guerre sale » car c’est une guerre de la société

entière contre elle-même. En effet, il y a un caractère multiforme et bilatéral de la

violence. C’est une violence politique à savoir un antagonisme entre partis avec une

relation dominant contre rébellion, vision construite par la guérilla ou contre la

guérilla. C’est une violence socio-économique qui se traduit par la défense ou

l’acquisition de la propriété ou des ressources. C’est une violence de territoires avec

comme problématique l’extinction ou la survie des minorités ethniques. C’est une

violence socioculturelle pour lutter du droit à la différence et de transgresser ce droit.

La Colombie reflète alors un contexte de violence qui envahi tous les domaines : le

politique, le social, le privé. C’est en effet l’analyse que fait la Commission

colombienne dans les années 1990 dans son rapport « La Colombie : Violence et

démocratie » : « De nombreuses formes de violence s’alimentent mutuellement, se

superposent de telle manière que leur aggravation en perspective ne laisse pas

présager une éventuelle crise insurrectionnelle mais une anarchie généralisée de la

vie sociale et politique du pays ».

Face à cette situation, les enjeux actuels sont donc de taille. Il est urgent pour

le gouvernement colombien de retrouver une certaine légitimité politique, mais aussi

économique. En effet, les réformes doivent concerner la modernisation de l’économie

mais aussi du système politique, en augmentant le champ de la démocratie, en

diminuant le pouvoir des caciques locaux, en traduisant en justice les barons de la

drogue, en concluant des accords de paix avec les différents mouvements de guérillas.

Ces réformes ont déjà été lancés sous Gaviria dans les années 1990, et se sont

traduites par un relatif échec. D’après un article dans la revue « Environnement

économique et politique de transition vers une économie de marché », l’échec

culmine avec la nouvelle Constitution de 1991 car elle a pour principale conséquences

de faire des concessions particulières à certains groupes d’intérêts tels l’armée, les

syndicats d’enseignants et autres groupes puissants du monde du travail. Elle ne fait

donc qu’accentuer les comportements de rente, et instaure une structure économique

incompatible avec une économie moderne efficace et impersonnelle.

Comment favoriser alors la légitimité et la crédibilité dans les années 2000 ?

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BIBLIOGRAPHIE PECAUT Daniel, 1987, L’ordre et la violence, Evolution socio-politique de la Colombie entre 1930 et 1953, Editions de l’EHESS, 381 p. GALEANO Eduardo, Les veines ouvertes de l’Amérique Latine, Terres humaines. GROS Christian, 1997, Pour une sociologie des populations indiennes et paysannes de l’Amérique Latine, L’Harmattan. JEAN François et RUFIN Jean-François, 1996, Economie des guerres civiles, Hachette, Plurial Inedit. ORTIZ SARMIENTO Carlos Miguel, 1990, La violence en Colombie, Racines historiques et sociales, L’Harmattan, 310 p. SANCHEZ Gonzalo, 1998, Guerre et politique en Colombie, L’Harmattan, 216 p.

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Annexes N°1 Répartition sectorielle des syndicats à la CTC en 1947

N°2 Localisation de la violence en 1948

N°3 Position géographique de la région du Quindio

N°4 Localisation de la violence en 1949

N°5 Tableau des morts dues à la Violencia entre 1946 et 1957, par départements

N°6 Tableau des parcelles agricoles abandonnées à cause de la Violencia

N°7 Distribution départementale des victimes de la violence de 1946 à 1957

N°8 Carte de la localisation de la violence en 1962

N°9 Localisation de la violence en 1962 : départements les plus affectés

N°10 Réduction des morts causées par les bandes armées dans les municipes plus

affectés en 1962

N°11 Accroissement et réduction de la violence en 1963

N°12 Tableaux des morts violentes dues aux bandes armées, 1958-1964

N°13 Tableau comparé des morts causées par les bandes armées, 1958-1967

N°14 Tableau des morts dues à la Violencia entre 1958 et 1966, par départements

N°15 Tableaux des morts violentes dues aux bandes armées en 1962

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