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166 LA LUTTE POUR L INTEROBJECTIVATION LA LUTTE POUR L INTEROBJECTIVATION REMARQUES SUR L OBJET ET LA RECONNAISSANCE REMARQUES SUR L OBJET ET LA RECONNAISSANCE PAR OLIVIER V OIROL PAR OLIVIER V OIROL (INSTITUT FÜR SOZIALFORSCHUNG ET UNIL) (INSTITUT FÜR SOZIALFORSCHUNG ET UNIL) Le concept de lutte pour la reconnaissance a introduit Le concept de lutte pour la reconnaissance a introduit une dimension négligée dans les approches antérieures du une dimension négligée dans les approches antérieures du conflit social, celle de la moralité. S’inscrivant en faux conflit social, celle de la moralité. S’inscrivant en faux contre une tradition de philosophie sociale et de sciences contre une tradition de philosophie sociale et de sciences sociales pour laquelle la source de la conflictualité ré- sociales pour laquelle la source de la conflictualité ré- side dans l’auto-préservation individuelle ou la recherche side dans l’auto-préservation individuelle ou la recherche d’intérêts matériels, les travaux d’Axel Honneth ont sou- d’intérêts matériels, les travaux d’Axel Honneth ont sou- tenu l’idée que les conflits sont avant tout guidés par tenu l’idée que les conflits sont avant tout guidés par des motifs moraux des motifs moraux 1 1 . Les acteurs sociaux entrent en lutte . Les acteurs sociaux entrent en lutte parce que leurs attentes morales ont été blessées et parce parce que leurs attentes morales ont été blessées et parce que c’est là le seul moyen pour eux de pouvoir accé- que c’est là le seul moyen pour eux de pouvoir accé- der à la reconnaissance. Ainsi, loin de la seule « lutte der à la reconnaissance. Ainsi, loin de la seule « lutte pour l’existence », la maximisation du profit individuel pour l’existence », la maximisation du profit individuel ou la satisfaction de besoins matériels, le conflit social ou la satisfaction de besoins matériels, le conflit social est pensé comme une lutte pour la reconnaissance. Ce à est pensé comme une lutte pour la reconnaissance. Ce à quoi les sujets espèrent accéder, c’est à une relation non quoi les sujets espèrent accéder, c’est à une relation non distordue avec eux-mêmes, avec leurs congénères et avec distordue avec eux-mêmes, avec leurs congénères et avec la collectivité dans laquelle ils s’inscrivent, et cela, ils la collectivité dans laquelle ils s’inscrivent, et cela, ils ne le peuvent pas sans la présence et l’agir d’autres per- ne le peuvent pas sans la présence et l’agir d’autres per- sonnes. Ainsi, loin d’être auto-référencielle, la reconnais- sonnes. Ainsi, loin d’être auto-référencielle, la reconnais- sance renvoie à un processus relationnel puisque, selon sance renvoie à un processus relationnel puisque, selon cette approche, il est impossible de développer un rapport cette approche, il est impossible de développer un rapport positif à soi-même sans l’agir d’autrui. Conçu dans ces positif à soi-même sans l’agir d’autrui. Conçu dans ces 1 Honneth, 2000. 1 Honneth, 2000.

(INSTITUT OZIALFORSCHUNG · Honneth a développé sa conception de la lutte pour la reconnaissance. Il se réfère à Habermas qui est selon lui parvenu à échapper à l’impasse

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LA LUTTE POUR L’INTEROBJECTIVATIONLA LUTTE POUR L’INTEROBJECTIVATION

REMARQUES SUR L’OBJET ET LA RECONNAISSANCEREMARQUES SUR L’OBJET ET LA RECONNAISSANCE

PAR OLIVIER VOIROLPAR OLIVIER VOIROL

(INSTITUT FÜR SOZIALFORSCHUNG ET UNIL)(INSTITUT FÜR SOZIALFORSCHUNG ET UNIL)

Le concept de lutte pour la reconnaissance a introduit Le concept de lutte pour la reconnaissance a introduit une dimension négligée dans les approches antérieures du une dimension négligée dans les approches antérieures du conflit social, celle de la moralité. S’inscrivant en faux conflit social, celle de la moralité. S’inscrivant en faux contre une tradition de philosophie sociale et de sciences contre une tradition de philosophie sociale et de sciences sociales pour laquelle la source de la conflictualité ré-sociales pour laquelle la source de la conflictualité ré-side dans l’auto-préservation individuelle ou la recherche side dans l’auto-préservation individuelle ou la recherche d’intérêts matériels, les travaux d’Axel Honneth ont sou-d’intérêts matériels, les travaux d’Axel Honneth ont sou-tenu l’idée que les conflits sont avant tout guidés par tenu l’idée que les conflits sont avant tout guidés par des motifs morauxdes motifs moraux 1 1. Les acteurs sociaux entrent en lutte . Les acteurs sociaux entrent en lutte parce que leurs attentes morales ont été blessées et parce parce que leurs attentes morales ont été blessées et parce que c’est là le seul moyen pour eux de pouvoir accé-que c’est là le seul moyen pour eux de pouvoir accé-der à la reconnaissance. Ainsi, loin de la seule « lutte der à la reconnaissance. Ainsi, loin de la seule « lutte pour l’existence », la maximisation du profit individuel pour l’existence », la maximisation du profit individuel ou la satisfaction de besoins matériels, le conflit social ou la satisfaction de besoins matériels, le conflit social est pensé comme une lutte pour la reconnaissance. Ce à est pensé comme une lutte pour la reconnaissance. Ce à quoi les sujets espèrent accéder, c’est à une relation non quoi les sujets espèrent accéder, c’est à une relation non distordue avec eux-mêmes, avec leurs congénères et avec distordue avec eux-mêmes, avec leurs congénères et avec la collectivité dans laquelle ils s’inscrivent, et cela, ils la collectivité dans laquelle ils s’inscrivent, et cela, ils ne le peuvent pas sans la présence et l’agir d’autres per-ne le peuvent pas sans la présence et l’agir d’autres per-sonnes. Ainsi, loin d’être auto-référencielle, la reconnais-sonnes. Ainsi, loin d’être auto-référencielle, la reconnais-sance renvoie à un processus relationnel puisque, selon sance renvoie à un processus relationnel puisque, selon cette approche, il est impossible de développer un rapport cette approche, il est impossible de développer un rapport positif à soi-même sans l’agir d’autrui. Conçu dans ces positif à soi-même sans l’agir d’autrui. Conçu dans ces

1 Honneth, 2000.1 Honneth, 2000.

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La lutte pour l’interobjectivationLa lutte pour l’interobjectivation

termes, le rapport de reconnaissance vise des sujets qui termes, le rapport de reconnaissance vise des sujets qui se constituent mutuellement dans un rapport intersubjec-se constituent mutuellement dans un rapport intersubjec-tif. À ce rapport je tu s’adossent des institutions dont le tif. À ce rapport je tu s’adossent des institutions dont le propre est d’assurer les conditions de la reconnaissance propre est d’assurer les conditions de la reconnaissance – notamment juridique à l’image du droit moderne – qui – notamment juridique à l’image du droit moderne – qui sont à la fois les destinataires de ces demandes et leurs sont à la fois les destinataires de ces demandes et leurs garants à long terme. En accordant une place centrale garants à long terme. En accordant une place centrale à la moralité des relations intersubjectives « bipolaires » à la moralité des relations intersubjectives « bipolaires » immédiates (amour, amitié) ou « tripolaires » en tant immédiates (amour, amitié) ou « tripolaires » en tant qu’elles sont médiatisées par des institutions sociales, et qu’elles sont médiatisées par des institutions sociales, et donc en étant attentive aux relations entre les sujets et aux donc en étant attentive aux relations entre les sujets et aux institutions sociales, l’approche de la reconnaissance a institutions sociales, l’approche de la reconnaissance a désinvesti ces autres « tiers » que sont les supports objec-désinvesti ces autres « tiers » que sont les supports objec-tifs de ces rapports. Il faut notamment entendre par là les tifs de ces rapports. Il faut notamment entendre par là les différents objets (usuels, techniques, esthétiques, etc.) sur différents objets (usuels, techniques, esthétiques, etc.) sur lesquels les acteurs sociaux s’appuient pour agir et entrer lesquels les acteurs sociaux s’appuient pour agir et entrer en relation, et, au sens large, les traits fondamentaux d’un en relation, et, au sens large, les traits fondamentaux d’un environnement matériel, technique et physique permettant environnement matériel, technique et physique permettant le déploiement des rapports sociaux. La théorie des luttes le déploiement des rapports sociaux. La théorie des luttes pour la reconnaissance a privilégié la dimension morale, pour la reconnaissance a privilégié la dimension morale, perceptive, communicationnelle des rapports sociaux sur perceptive, communicationnelle des rapports sociaux sur la prise en compte de leur matérialité. Cela n’est guère la prise en compte de leur matérialité. Cela n’est guère surprenant si l’on considère qu’elle s’inscrit dans le pro-surprenant si l’on considère qu’elle s’inscrit dans le pro-longement du « paradigme de la communication » déve-longement du « paradigme de la communication » déve-loppé par Jürgen Habermas dont l’intérêt pour la moralité loppé par Jürgen Habermas dont l’intérêt pour la moralité des processus langagiers de l’entente intersubjective est des processus langagiers de l’entente intersubjective est proportionnel à son désintérêt pour les questions relatives proportionnel à son désintérêt pour les questions relatives à la matérialité des rapports sociaux. Après avoir esquissé à la matérialité des rapports sociaux. Après avoir esquissé les principales dimensions de cette problématique, je ten-les principales dimensions de cette problématique, je ten-terai de mettre en évidence les problèmes qu’elle pose à terai de mettre en évidence les problèmes qu’elle pose à une approche de la reconnaissance attentive à la maté-une approche de la reconnaissance attentive à la maté-rialité des rapports sociaux. Dans un second temps, je rialité des rapports sociaux. Dans un second temps, je me tournerai vers l’anthropologie symétrique de Bruno me tournerai vers l’anthropologie symétrique de Bruno Latour, une perspective qui accorde aux objets un sta-Latour, une perspective qui accorde aux objets un sta-tut très différent puisqu’elle les met sur un pied d’égalité tut très différent puisqu’elle les met sur un pied d’égalité avec les sujets humains, procédant ainsi à une mise en avec les sujets humains, procédant ainsi à une mise en symétrie radicale. Tout en tentant de voir quels sont les symétrie radicale. Tout en tentant de voir quels sont les

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?

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apports possibles d’une telle perspective à la théorie de la apports possibles d’une telle perspective à la théorie de la reconnaissance j’essaierai d’en montrer les limites. Enfin, reconnaissance j’essaierai d’en montrer les limites. Enfin, dans un troisième temps, je tenterai de montrer comment dans un troisième temps, je tenterai de montrer comment on peut envisager les traits d’une conflictualité prenant la on peut envisager les traits d’une conflictualité prenant la forme d’une lutte pour l’interobjectivation sur la base d’un forme d’une lutte pour l’interobjectivation sur la base d’un tel dialogue entre les deux perspectives théoriques.tel dialogue entre les deux perspectives théoriques.

IntersubjectivitéIntersubjectivité

La philosophie hégélienne a marqué une étape ma-La philosophie hégélienne a marqué une étape ma-jeure dans ce thème classique de la philosophie qu’est jeure dans ce thème classique de la philosophie qu’est l’opposition entre sujet et objet. Si Kant considérait le l’opposition entre sujet et objet. Si Kant considérait le sujet comme constituant l’objet et le plaçait au centre sujet comme constituant l’objet et le plaçait au centre de la connaissance, Hegel montra qu’une critique de la de la connaissance, Hegel montra qu’une critique de la connaissance mène à une relation réciproque du sujet et connaissance mène à une relation réciproque du sujet et de l’objetde l’objet 2 2. Pour lui, l’autoréflexion de la raison connais-. Pour lui, l’autoréflexion de la raison connais-sante ne peut pas être restreinte à la seule analyse des pré-sante ne peut pas être restreinte à la seule analyse des pré-supposés de l’expérience, une telle autoréflexion devant supposés de l’expérience, une telle autoréflexion devant être étendue aux présupposés sous-tendant la constitution être étendue aux présupposés sous-tendant la constitution du sujet connaissant dans son rapport à l’objet. La consti-du sujet connaissant dans son rapport à l’objet. La consti-tution du sujet devient alors inséparable de celle de l’objet tution du sujet devient alors inséparable de celle de l’objet – et de la « matérialité » : on ne saurait détacher ces enti-– et de la « matérialité » : on ne saurait détacher ces enti-tés reliées entre elles dans un processus dialectique. Le tés reliées entre elles dans un processus dialectique. Le déploiement de l’expérience de la conscience renvoie alors déploiement de l’expérience de la conscience renvoie alors à l’extériorisation d’un sujet s’objectivant et se réappro-à l’extériorisation d’un sujet s’objectivant et se réappro-priant ce qui a été extériorisé. L’histoire même est vue priant ce qui a été extériorisé. L’histoire même est vue comme une activité d’un sujet singulier et collectif s’exté-comme une activité d’un sujet singulier et collectif s’exté-riorisant dans l’objet et se réappropriant tour à tour ce qui riorisant dans l’objet et se réappropriant tour à tour ce qui a été extériorisé. Dans cette perspective, la conscience ne a été extériorisé. Dans cette perspective, la conscience ne peut exister dans une relation auto-référencielle, elle exige peut exister dans une relation auto-référencielle, elle exige un autre qu’elle-même dont elle peut-être consciente : elle un autre qu’elle-même dont elle peut-être consciente : elle doit se connaître comme sujet connaissant par l’intermé-doit se connaître comme sujet connaissant par l’intermé-diaire de l’objet – et prend ainsi conscience de ce qu’elle diaire de l’objet – et prend ainsi conscience de ce qu’elle n’est pas. Elle fait l’expérience de cet objet autre comme n’est pas. Elle fait l’expérience de cet objet autre comme un autre de soi qu’elle cherche à s’approprier, non pas un autre de soi qu’elle cherche à s’approprier, non pas

2 Hegel, 1993 (1807)2 Hegel, 1993 (1807).

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ? La lutte pour l’interobjectivationLa lutte pour l’interobjectivation

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pour en prendre possession mais se « retrouver » et se pour en prendre possession mais se « retrouver » et se reconnaître dans cette objectivité qui peut être incorpo-reconnaître dans cette objectivité qui peut être incorpo-rée dans la connaissance de soi d’un sujet en quête de rée dans la connaissance de soi d’un sujet en quête de consistance. Pour Hegel, l’activité de la conscience dans consistance. Pour Hegel, l’activité de la conscience dans laquelle le sujet s’extériorise en transformant l’objet et laquelle le sujet s’extériorise en transformant l’objet et en lui conférant ainsi une forme humaine, est le travail. en lui conférant ainsi une forme humaine, est le travail. Le travail est l’activité par laquelle l’esprit transforme la Le travail est l’activité par laquelle l’esprit transforme la nature extérieure en une propriété seconde, historicisée : nature extérieure en une propriété seconde, historicisée : le sujet agit en travaillant et devient son propre objet. le sujet agit en travaillant et devient son propre objet. C’est l’activité de formation de l’objet et d’appropriation C’est l’activité de formation de l’objet et d’appropriation de l’esprit qui correspond à la formation de la conscience ; de l’esprit qui correspond à la formation de la conscience ; elle suppose un processus inséparable d’une elle suppose un processus inséparable d’une luttelutte du sujet du sujet pour se réapproprier un objet qui risque sans cesse de lui pour se réapproprier un objet qui risque sans cesse de lui rester étranger.rester étranger.

Cette dialectique de la formation réciproque du Cette dialectique de la formation réciproque du sujet et de l’objet est à l’arrière-plan de bien des sujet et de l’objet est à l’arrière-plan de bien des débats philosophiques du XXdébats philosophiques du XXe siècle. C’est sans doute siècle. C’est sans doute la philosophie de Jürgen Habermas qui s’est le plus la philosophie de Jürgen Habermas qui s’est le plus confrontée à ce modèle pour offrir une alternative sous la confrontée à ce modèle pour offrir une alternative sous la forme du « paradigme de la communication » insistant sur forme du « paradigme de la communication » insistant sur l’intersubjectivité et le rôle premier du langage dans une l’intersubjectivité et le rôle premier du langage dans une relation dialogique entre les sujets. Habermas postule que relation dialogique entre les sujets. Habermas postule que cette opposition entre sujet et objet est le thème central cette opposition entre sujet et objet est le thème central de ce qu’il nomme la « philosophie de la conscience », de ce qu’il nomme la « philosophie de la conscience », qui procède à ses yeux d’une conception réductrice de qui procède à ses yeux d’une conception réductrice de l’actionl’action 3 3. En effet, à cette dernière correspond la forme . En effet, à cette dernière correspond la forme d’action relative au travail : une activité « rationnelle par d’action relative au travail : une activité « rationnelle par rapport à une fin » obéissant à des règles techniques vi-rapport à une fin » obéissant à des règles techniques vi-sant la réalisation d’objectifs préalablement définis, acti-sant la réalisation d’objectifs préalablement définis, acti-vité dont la validité dépend de règles techniques destinées vité dont la validité dépend de règles techniques destinées à résoudre des problèmes. Selon Habermas, le travail à résoudre des problèmes. Selon Habermas, le travail relève ainsi d’une rationalisation permettant l’extension relève ainsi d’une rationalisation permettant l’extension du pouvoir de disposer techniquement des choses. À du pouvoir de disposer techniquement des choses. À partir de sa lecture de Hegel, Habermas montre qu’une partir de sa lecture de Hegel, Habermas montre qu’une autre catégorie était disponible chez ce dernier, celle autre catégorie était disponible chez ce dernier, celle de l’interaction, une activité du sujet ne portant pas sur de l’interaction, une activité du sujet ne portant pas sur

3 Habermas, 1976.3 Habermas, 1976.

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?

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l’objet mais sur des normes et des symboles au moyen l’objet mais sur des normes et des symboles au moyen du langage. L’interaction – ou action communicationnelle du langage. L’interaction – ou action communicationnelle – est orientée par des normes et des attentes de compor-– est orientée par des normes et des attentes de compor-tements réciproques par des sujets agissant qui doivent tements réciproques par des sujets agissant qui doivent en comprendre la teneur et la reconnaître ; elle dépend en comprendre la teneur et la reconnaître ; elle dépend de normes reconnues et procède d’une raison émancipa-de normes reconnues et procède d’une raison émancipa-trice tournée vers l’extension de la communication sans trice tournée vers l’extension de la communication sans contrainte. Habermas fait de l’action sur les symboles et contrainte. Habermas fait de l’action sur les symboles et les normes, et non pas sur les objets, le point de référence les normes, et non pas sur les objets, le point de référence d’une théorie de l’action communicationnelle dans laquelle d’une théorie de l’action communicationnelle dans laquelle il entrevoit de nouveaux potentiels d’émancipationil entrevoit de nouveaux potentiels d’émancipation 4 4. C’est . C’est dans ce type d’action qu’il place les potentiels moraux dans ce type d’action qu’il place les potentiels moraux des relations entre les sujets. Du coup, les relations entre des relations entre les sujets. Du coup, les relations entre les sujets prennent le pas sur les relations des sujets à les sujets prennent le pas sur les relations des sujets à l’objet, selon une conception de l’intersubjectivité qui est l’objet, selon une conception de l’intersubjectivité qui est le socle de sa théorie de la communication. L’autonomie le socle de sa théorie de la communication. L’autonomie suppose l’exercice de la compétence communicationnelle suppose l’exercice de la compétence communicationnelle dans la justification des bases de l’action à partir d’un dans la justification des bases de l’action à partir d’un point de vue universel, et non pas celle du sujet qui point de vue universel, et non pas celle du sujet qui se constitue, individuellement et collectivement, dans se constitue, individuellement et collectivement, dans son rapport à l’objet qu’il façonne. Selon Habermas, son rapport à l’objet qu’il façonne. Selon Habermas, l’action ne peut pas être définie à l’aune de la relation l’action ne peut pas être définie à l’aune de la relation entre sujet et objet – selon l’idée de l’objectivation, de entre sujet et objet – selon l’idée de l’objectivation, de l’externalisation et de l’appropriation – car elle doit l’être l’externalisation et de l’appropriation – car elle doit l’être à l’aune de la relation entre des sujets et donc considérée à l’aune de la relation entre des sujets et donc considérée comme une communication médiatisée par le langage. comme une communication médiatisée par le langage. Un tel « tournant » vers le langage au détriment de la Un tel « tournant » vers le langage au détriment de la matérialité objective suppose selon lui d’abandonner la matérialité objective suppose selon lui d’abandonner la « philosophie du sujet » au profit d’une philosophie de « philosophie du sujet » au profit d’une philosophie de l’intersubjectivité.l’intersubjectivité.

C’est dans ce cadre d’une philosophie de l’intersubjectivité C’est dans ce cadre d’une philosophie de l’intersubjectivité dégagée d’une « philosophe de la conscience » qu’Axel dégagée d’une « philosophe de la conscience » qu’Axel Honneth a développé sa conception de la lutte pour la Honneth a développé sa conception de la lutte pour la reconnaissance. Il se réfère à Habermas qui est selon lui reconnaissance. Il se réfère à Habermas qui est selon lui parvenu à échapper à l’impasse d’une théorie de l’action parvenu à échapper à l’impasse d’une théorie de l’action faisant du travail sur l’objet la seule modalité d’action faisant du travail sur l’objet la seule modalité d’action

4 Habermas, 1988.4 Habermas, 1988.

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ? La lutte pour l’interobjectivationLa lutte pour l’interobjectivation

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possible. Il accepte son tournant communicationnel, sans possible. Il accepte son tournant communicationnel, sans endosser pour autant l’ensemble de son édifice théorique endosser pour autant l’ensemble de son édifice théorique auquel il adresse certaines objections. Il montre par auquel il adresse certaines objections. Il montre par exemple qu’en se focalisant sur les règles formelles de exemple qu’en se focalisant sur les règles formelles de la communication réussie, Habermas néglige le rôle du la communication réussie, Habermas néglige le rôle du conflit social, des expériences morales négatives (injus-conflit social, des expériences morales négatives (injus-tice, mépris) et des dynamiques de protestation qu’elles tice, mépris) et des dynamiques de protestation qu’elles sont susceptibles d’engendrer. Selon Honneth, ce ne sont sont susceptibles d’engendrer. Selon Honneth, ce ne sont pas les seules atteintes aux procédures de l’entente langa-pas les seules atteintes aux procédures de l’entente langa-gière qui sont à l’origine des protestations sociales mais gière qui sont à l’origine des protestations sociales mais aussi, et surtout, les expériences morales négatives faites aussi, et surtout, les expériences morales négatives faites par les sujets sociaux liées à la violation des conditions par les sujets sociaux liées à la violation des conditions d’un rapport positif à eux-mêmes et aux autres. En en-d’un rapport positif à eux-mêmes et aux autres. En en-trant en conflit, les sujets ne se contentent pas de réaffir-trant en conflit, les sujets ne se contentent pas de réaffir-mer les conditions normatives de la discussion publique mer les conditions normatives de la discussion publique car ils exigent, plus fondamentalement, une transforma-car ils exigent, plus fondamentalement, une transforma-tion des rapports de reconnaissance sociale pour s’assurer tion des rapports de reconnaissance sociale pour s’assurer les conditions du rapport positif à soiles conditions du rapport positif à soi 5 5. C’est ainsi que . C’est ainsi que Honneth montre – contrairement à Habermas – qu’il est Honneth montre – contrairement à Habermas – qu’il est possible de défendre une perspective conflictuelle dès lors possible de défendre une perspective conflictuelle dès lors qu’il subsiste des expériences morales de sujets lésés dans qu’il subsiste des expériences morales de sujets lésés dans leurs attentes morales négatives qui sont à l’origine de leurs attentes morales négatives qui sont à l’origine de comportements conflictuels – y compris ancrés dans des comportements conflictuels – y compris ancrés dans des sentiments d’injustice non formulés dans des systèmes de sentiments d’injustice non formulés dans des systèmes de valeurs cohérents.valeurs cohérents.

Une telle conception du conflit social adossée à des Une telle conception du conflit social adossée à des principes moraux ancrés dans l’expérience vécue ne fait principes moraux ancrés dans l’expérience vécue ne fait pourtant guère florès dans les sciences sociales et dans la pourtant guère florès dans les sciences sociales et dans la philosophie politique, où domine une approche du conflit philosophie politique, où domine une approche du conflit réduisant ce dernier à des jeux de pouvoir guidés par des réduisant ce dernier à des jeux de pouvoir guidés par des fins stratégiques. C’est dans ce contexte que Honneth dé-fins stratégiques. C’est dans ce contexte que Honneth dé-fend une conception non instrumentale s’offrant comme fend une conception non instrumentale s’offrant comme alternative au modèle de la « lutte pour l’existence » qui alternative au modèle de la « lutte pour l’existence » qui prédomine dans la philosophie sociale depuis Hobbes et prédomine dans la philosophie sociale depuis Hobbes et Machiavel. Et c’est dans ce cadre qu’interviennent Hegel Machiavel. Et c’est dans ce cadre qu’interviennent Hegel et son modèle de la lutte pour la reconnaissance : une et son modèle de la lutte pour la reconnaissance : une

5 Voirol, 20035 Voirol, 2003.

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?

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lutte qui vise moins la préservation « atomiste » de soi lutte qui vise moins la préservation « atomiste » de soi que l’établissement de relations réciproques. Selon Hegel, que l’établissement de relations réciproques. Selon Hegel, la réalisation de l’être humain dépend avant tout de l’exis-la réalisation de l’être humain dépend avant tout de l’exis-tence de relations éthiques différenciées. S’inspirant de tence de relations éthiques différenciées. S’inspirant de cette pensée, Honneth souligne que la possibilité même cette pensée, Honneth souligne que la possibilité même de la formation de l’identité de la personne est tributaire de la formation de l’identité de la personne est tributaire de relations de reconnaissance constituées de manière de relations de reconnaissance constituées de manière intersubjective. Si Honneth reprend l’héritage hégélien, intersubjective. Si Honneth reprend l’héritage hégélien, il rejette néanmoins sa dialectique du sujet et de l’ob-il rejette néanmoins sa dialectique du sujet et de l’ob-jet – endossant, en ce sens, la critique habermassienne jet – endossant, en ce sens, la critique habermassienne de la philosophie du sujet. La lecture qu’il propose de de la philosophie du sujet. La lecture qu’il propose de Hegel pour concevoir sa théorie du conflit se restreint aux Hegel pour concevoir sa théorie du conflit se restreint aux écrits de Iéna – soit un Hegel intersubjectif antérieur au écrits de Iéna – soit un Hegel intersubjectif antérieur au tournant de la philosophie de la conscience.tournant de la philosophie de la conscience.

Cette lecture met de côté la question de l’objectivité Cette lecture met de côté la question de l’objectivité des rapports sociaux thématisée par Hegel. Les rapports des rapports sociaux thématisée par Hegel. Les rapports de reconnaissance apparaissent ainsi comme des rapports de reconnaissance apparaissent ainsi comme des rapports entre des sujets, médiatisés par des normes et des insti-entre des sujets, médiatisés par des normes et des insti-tutions, dont le propre est d’exprimer le contenu normatif tutions, dont le propre est d’exprimer le contenu normatif de ces relations. Pour le dire vite, il n’y a pas d’objet, de ces relations. Pour le dire vite, il n’y a pas d’objet, pas de matérialité, dans la théorie de la reconnaissance pas de matérialité, dans la théorie de la reconnaissance de Honnethde Honneth 6 6. On peut considérer qu’il y a là un para-. On peut considérer qu’il y a là un para-doxe, pour un auteur qui, sur bien des points, a fait jouer doxe, pour un auteur qui, sur bien des points, a fait jouer Hegel contre l’approche formelle de Kant à l’œuvre chez Hegel contre l’approche formelle de Kant à l’œuvre chez Habermas, pour approfondir à sa manière le paradigme Habermas, pour approfondir à sa manière le paradigme de la communicationde la communication 7 7. Ceci n’est pas sans conséquence . Ceci n’est pas sans conséquence sur son approche de la reconnaissance qui est ancrée dans sur son approche de la reconnaissance qui est ancrée dans une conception des sujets « sans objetsune conception des sujets « sans objets 8 8 ». Il est difficile ». Il est difficile de faire entrer les objets dans la théorie de la reconnais-de faire entrer les objets dans la théorie de la reconnais-sance ; et quand ils parviennent à trouver une place, c’est sance ; et quand ils parviennent à trouver une place, c’est une place secondaire où ils sont des moyens d’exprimer la une place secondaire où ils sont des moyens d’exprimer la normativité des rapports intersubjectifs de reconnaissance normativité des rapports intersubjectifs de reconnaissance – ils ne sont en aucun cas leurs conditions.– ils ne sont en aucun cas leurs conditions.

6 Pour une discussion sur ce point, voir Axel Honneth, 6 Pour une discussion sur ce point, voir Axel Honneth, La société du méprisLa société du mépris ; ; sur le rapport à Mead et l’effacement de la matérialité, voir également Deranty, sur le rapport à Mead et l’effacement de la matérialité, voir également Deranty, 2005.2005.

7 Honneth, 2008.7 Honneth, 2008.

8 Sur ce point Fischbach, 2009.8 Sur ce point Fischbach, 2009.

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ? La lutte pour l’interobjectivationLa lutte pour l’interobjectivation

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La lutte pour la reconnaissance est abordée exclusi-La lutte pour la reconnaissance est abordée exclusi-vement dans sa composante morale et normative, parfois vement dans sa composante morale et normative, parfois sa dimension communicationnelle, à l’exclusion de ses sa dimension communicationnelle, à l’exclusion de ses dimensions matérielles. À mes yeux, il y a là un déficit dimensions matérielles. À mes yeux, il y a là un déficit dans la théorie de la reconnaissance dont une des mani-dans la théorie de la reconnaissance dont une des mani-festations est, entre autres, la discussion interminable sur festations est, entre autres, la discussion interminable sur le statut du culturel et du matériel et les liens entre recon-le statut du culturel et du matériel et les liens entre recon-naissance et redistribution au sein de cette théorienaissance et redistribution au sein de cette théorie 9 9. Parce . Parce que cet aspect matériel de la reconnaissance est sous-thé-que cet aspect matériel de la reconnaissance est sous-thé-matisé, ce problème resurgit sans cesse dans les débats matisé, ce problème resurgit sans cesse dans les débats sur le statut de la reconnaissance, d’où la question de sur le statut de la reconnaissance, d’où la question de savoir s’il ne convient pas de réintroduire les objets et de savoir s’il ne convient pas de réintroduire les objets et de faire une place accrue à la matérialité dans les rapports de faire une place accrue à la matérialité dans les rapports de reconnaissance. Sur quelles bases théoriques ? Plusieurs reconnaissance. Sur quelles bases théoriques ? Plusieurs réponses peuvent être apportées à ce problème ; je tenterai réponses peuvent être apportées à ce problème ; je tenterai d’en esquisser une dans les pages qui suivent, s’inspirant d’en esquisser une dans les pages qui suivent, s’inspirant de l’anthropologie symétrique de Bruno Latour.de l’anthropologie symétrique de Bruno Latour.

InterobjectivitéInterobjectivité

Avec ses collègues du Avec ses collègues du Centre de Sociologie de l’Inno-Centre de Sociologie de l’Inno-vationvation (CSI) (notamment M. Akrich, M. Callon, A. Hen- (CSI) (notamment M. Akrich, M. Callon, A. Hen-nion, etc.) Bruno Latour a développé un programme en nion, etc.) Bruno Latour a développé un programme en sociologie et en anthropologie dont le champ initial d’ap-sociologie et en anthropologie dont le champ initial d’ap-plication fut le domaine des sciences et des techniques. plication fut le domaine des sciences et des techniques. Latour a ensuite étendu son champ d’application au droit Latour a ensuite étendu son champ d’application au droit et à la démocratie en développant une approche tendant et à la démocratie en développant une approche tendant de plus en plus vers la philosophie politiquede plus en plus vers la philosophie politique 10 10. Latour . Latour a pour ambition de refonder une pensée politique de la a pour ambition de refonder une pensée politique de la démocratie et du monde commun apte à faire entrer les démocratie et du monde commun apte à faire entrer les « non humains », le monde des objets et la nature, en « non humains », le monde des objets et la nature, en démocratie.démocratie. 11 11 Cette approche s’est construite autour d’un Cette approche s’est construite autour d’un programme dans lequel les objets jouent un rôle central. programme dans lequel les objets jouent un rôle central.

9 Honneth, Fraser, 2003 ; Voirol, 2010.9 Honneth, Fraser, 2003 ; Voirol, 2010.

10 Latour, 2003.10 Latour, 2003.

11 Latour, 2005.11 Latour, 2005.

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Un tel programme se caractérise tout d’abord par son Un tel programme se caractérise tout d’abord par son principe deprincipe de symétrie symétrie radicale, procédant à une remise en radicale, procédant à une remise en cause des oppositions classiques dans la philosophie et les cause des oppositions classiques dans la philosophie et les sciences sociales, entre nature et culture, sujet et objet, sciences sociales, entre nature et culture, sujet et objet, société moderne et société traditionnelle, vrai et fauxsociété moderne et société traditionnelle, vrai et faux 12 12. . Cette mise à plat s’affirme dans son refus de faire une Cette mise à plat s’affirme dans son refus de faire une distinction ontologique entre les humains et les non-hu-distinction ontologique entre les humains et les non-hu-mains : il s’agit de traiter de la même manière les objets mains : il s’agit de traiter de la même manière les objets et les sujets, les choses et les humains, le vrai et le faux, et les sujets, les choses et les humains, le vrai et le faux, sans faire jouer une distinction de principe. Latour en-sans faire jouer une distinction de principe. Latour en-tend ainsi mettre à jour les relations réciproques, souvent tend ainsi mettre à jour les relations réciproques, souvent oubliées, entre la socialisation des objets et l’objectivation oubliées, entre la socialisation des objets et l’objectivation du social. Dès lors qu’il n’y a pas de distinction de prin-du social. Dès lors qu’il n’y a pas de distinction de prin-cipe entre les deux, les objets (ou les non-humains) sont cipe entre les deux, les objets (ou les non-humains) sont hissés au statut d’acteurs agissants – ou « actants » – au hissés au statut d’acteurs agissants – ou « actants » – au même titre que les sujets humains. Ils sont des actants de même titre que les sujets humains. Ils sont des actants de plein droit peuplant le monde social au même titre que plein droit peuplant le monde social au même titre que les sujets humains ; comprendre ce que sont les objets, les les sujets humains ; comprendre ce que sont les objets, les machines et les faits revient donc à « comprendre ce que machines et les faits revient donc à « comprendre ce que sont les humainssont les humains 13 13 » « Décrire l’association des choses ou » « Décrire l’association des choses ou décrire l’association des humains est un seul et même décrire l’association des humains est un seul et même travail », dit Latourtravail », dit Latour 14 14.

À ce principe de symétrie radicale s’ajoute un refus À ce principe de symétrie radicale s’ajoute un refus de concevoir un ordre surplombant les pratiques situées de concevoir un ordre surplombant les pratiques situées configurées par des objets et configurant ces derniersconfigurées par des objets et configurant ces derniers 15 15. . Pour Latour, il n’y a pas de référent transcendant « au-Pour Latour, il n’y a pas de référent transcendant « au-dessus » des pratiques des humains et non-humains : dessus » des pratiques des humains et non-humains : l’action est toujours locale. Si des processus de généra-l’action est toujours locale. Si des processus de généra-lisation ou d’abstraction existent, ils demeurent toujours lisation ou d’abstraction existent, ils demeurent toujours agencés localement. Dépourvues de transcendance, ces agencés localement. Dépourvues de transcendance, ces actions locales s’assemblent notamment grâce à des objets actions locales s’assemblent notamment grâce à des objets techniques comme les plans, les listings, les compteurs, techniques comme les plans, les listings, les compteurs, les balances, les formulaires, etc., qui « permettant à un les balances, les formulaires, etc., qui « permettant à un

12 Latour, 1991.12 Latour, 1991.

13 Latour, 1989, p. 345.13 Latour, 1989, p. 345.

14 Latour, 1989, p. 341.14 Latour, 1989, p. 341.

15 Latour, 1994.15 Latour, 1994.

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lieu de se relier à un autre », distant. Par conséquent, le lieu de se relier à un autre », distant. Par conséquent, le principe du lien chez Latour, ce qui fait qu’une société principe du lien chez Latour, ce qui fait qu’une société existe, ne se situe pas dans les idées ou les symboles existe, ne se situe pas dans les idées ou les symboles mais dans les objets, des machines et des techniques. mais dans les objets, des machines et des techniques. Le lien social se tisse dans les objets, notamment par Le lien social se tisse dans les objets, notamment par la médiation qu’ils assurent : le facteur de lien n’est pas la médiation qu’ils assurent : le facteur de lien n’est pas l’Autrui généralisé constitué symboliquement (Mead), l’Autrui généralisé constitué symboliquement (Mead), l’habitus (Bourdieu), le social (Durkheim), le don (Mauss), l’habitus (Bourdieu), le social (Durkheim), le don (Mauss), la reconnaissance (Honneth) ou encore la communication la reconnaissance (Honneth) ou encore la communication langagière (Habermas). C’est par la médiation des objets langagière (Habermas). C’est par la médiation des objets qu’une action locale devient interaction, une action agis-qu’une action locale devient interaction, une action agis-sant sur une autre action. L’action est vue comme un sant sur une autre action. L’action est vue comme un agir sur un autre agir par la médiation des objets : agir, agir sur un autre agir par la médiation des objets : agir, pour Latour, c’est avant tout « faire passer à l’action » des pour Latour, c’est avant tout « faire passer à l’action » des humains ou des non-humains. L’action se partage et se humains ou des non-humains. L’action se partage et se distribue avec d’autres actions, elle n’est pas soluble dans distribue avec d’autres actions, elle n’est pas soluble dans une structure ou une quelconque entité transcendante. une structure ou une quelconque entité transcendante. Des liens sans cesse reformulés entremêlent des humains Des liens sans cesse reformulés entremêlent des humains et des objets, liens qui assemblent les situations locales et des objets, liens qui assemblent les situations locales entre elles, permettent le détachement de l’interaction, entre elles, permettent le détachement de l’interaction, font circuler l’action dans le temps et dans l’espace, et font circuler l’action dans le temps et dans l’espace, et enrichissent ainsi l’interaction. Dans une telle perspec-enrichissent ainsi l’interaction. Dans une telle perspec-tive, les objets sont donc bien plus que des intermédiaires tive, les objets sont donc bien plus que des intermédiaires ou des moyens : en les dotant d’action, ils sont des média-ou des moyens : en les dotant d’action, ils sont des média-teurs de l’action. « Les objets ne sont pas des moyens, dit teurs de l’action. « Les objets ne sont pas des moyens, dit Latour, mais des médiateurs, au même titre que tous les Latour, mais des médiateurs, au même titre que tous les autres actants ». Dès lors, se dégage l’idée d’une société autres actants ». Dès lors, se dégage l’idée d’une société construite sur des objets : le social ne se fonde pas sur construite sur des objets : le social ne se fonde pas sur l’intersubjectivité mais sur l’interobjectivité.l’intersubjectivité mais sur l’interobjectivité.

Si ce social interobjectif n’est pas vu comme figé dans Si ce social interobjectif n’est pas vu comme figé dans des objets mais comme une dynamique se refaisant tou-des objets mais comme une dynamique se refaisant tou-jours, cela implique l’exigence de ne jamais concevoir les jours, cela implique l’exigence de ne jamais concevoir les objets comme des « états » mais comme des processus objets comme des « états » mais comme des processus en « train de se faire ». « Nous accédons, dit Latour, à la en « train de se faire ». « Nous accédons, dit Latour, à la science et à la technique par la porte dérobée de la science science et à la technique par la porte dérobée de la science en train de se faire, et non par l’entrée plus grandiose de en train de se faire, et non par l’entrée plus grandiose de

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la science faitela science faite 16 16. » Cela signifie un refus de considé-. » Cela signifie un refus de considé-rer les objets et les faits indépendamment des processus rer les objets et les faits indépendamment des processus entremêlés de leur constitution et de leurs assemblages. entremêlés de leur constitution et de leurs assemblages. Latour s’intéresse, du coup, non pas aux objets en tant Latour s’intéresse, du coup, non pas aux objets en tant que tels mais à leur fabrication, à ces fameuses « boîtes que tels mais à leur fabrication, à ces fameuses « boîtes noires » qui sont autant de coagulations de processus dont noires » qui sont autant de coagulations de processus dont la genèse a été effacée. Ce sont des « mini-totalisations » la genèse a été effacée. Ce sont des « mini-totalisations » rigidifiées et inquestionnées de processus multiples, de rigidifiées et inquestionnées de processus multiples, de débats, de conflits. Une « boîte noire » est un objet ou un débats, de conflits. Une « boîte noire » est un objet ou un fait stabilisé à l’issue d’une controverse, devenu non pro-fait stabilisé à l’issue d’une controverse, devenu non pro-blématique ; elle agit comme un tout unique, et en faire blématique ; elle agit comme un tout unique, et en faire usage revient à se « conformer » à ces éléments. Selon usage revient à se « conformer » à ces éléments. Selon Latour, il est cependant possible, à tout moment, d’ouvrir Latour, il est cependant possible, à tout moment, d’ouvrir une « boîte noire », de décortiquer les éléments dont elle une « boîte noire », de décortiquer les éléments dont elle est composée, de démêler les conflits, les disputes et les est composée, de démêler les conflits, les disputes et les controverses ayant donné lieu à sa formation pour, éven-controverses ayant donné lieu à sa formation pour, éven-tuellement, les réanimer. Aucun fait, aucune certitude, tuellement, les réanimer. Aucun fait, aucune certitude, aucune forme, n’échappe par principe à cette activité de aucune forme, n’échappe par principe à cette activité de réanimation. Latour mène une analyse processuelle appli-réanimation. Latour mène une analyse processuelle appli-quée à restituer les pratiques sociales dans ce qu’elles sont quée à restituer les pratiques sociales dans ce qu’elles sont « en train de se faire » en refusant leur caractère figé ou « en train de se faire » en refusant leur caractère figé ou réifié : tout objet est toujours une action dans un cours réifié : tout objet est toujours une action dans un cours d’action en train de se faire. C’est une des raisons pour d’action en train de se faire. C’est une des raisons pour lesquelles Latour conteste les approches situées « au-des-lesquelles Latour conteste les approches situées « au-des-sus » des pratiques des actants (humains et non-humains), sus » des pratiques des actants (humains et non-humains), lesquelles tendent à oblitérer les actions locales et à rigi-lesquelles tendent à oblitérer les actions locales et à rigi-difier l’action, à la rendre insaisissable. Postuler d’emblée difier l’action, à la rendre insaisissable. Postuler d’emblée l’existence d’un « au-dessus », d’un ordre transcendant l’existence d’un « au-dessus », d’un ordre transcendant les pratiques locales procède, d’une part, d’un oubli des les pratiques locales procède, d’une part, d’un oubli des processus par lesquels l’action locale se relie aux autres processus par lesquels l’action locale se relie aux autres actions pour venir les alimenter et, d’autre part, d’un ou-actions pour venir les alimenter et, d’autre part, d’un ou-bli des médiations par les objets permettant à une action bli des médiations par les objets permettant à une action de se relier à d’autres. Rendre compte de la société, c’est de se relier à d’autres. Rendre compte de la société, c’est restituer son caractère processuel, ce qui implique une restituer son caractère processuel, ce qui implique une sociologie qui suit le travail de la médiation par les objets. sociologie qui suit le travail de la médiation par les objets. Il y a chez Latour une aversion méthodologique de prin-Il y a chez Latour une aversion méthodologique de prin-

16 Latour, 1989, p. 29.16 Latour, 1989, p. 29.

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cipe pour tout ce qui est figé, stable, rigidifié, doublé d’un cipe pour tout ce qui est figé, stable, rigidifié, doublé d’un vitalisme animé par une attention constante pour ce qui vitalisme animé par une attention constante pour ce qui se déplace, ce processus « de la vie » et de l’action : les se déplace, ce processus « de la vie » et de l’action : les objets sont des êtres mouvants insérés dans l’action.objets sont des êtres mouvants insérés dans l’action.

Reconnaissance interobjectiveReconnaissance interobjective

S’il est possible d’articuler le programme latourien de S’il est possible d’articuler le programme latourien de l’interobjectivité dans le cadre de la théorie de la recon-l’interobjectivité dans le cadre de la théorie de la recon-naissance en ajoutant à cette dernière la dimension maté-naissance en ajoutant à cette dernière la dimension maté-rielle qui lui fait défaut, deux obstacles théoriques méritent rielle qui lui fait défaut, deux obstacles théoriques méritent d’être évoqués d’emblée. Pour commencer, il me semble d’être évoqués d’emblée. Pour commencer, il me semble impossible d’accepter le postulat de symétrie radicale entre impossible d’accepter le postulat de symétrie radicale entre les humains et les non humains dans le cadre de la théorie les humains et les non humains dans le cadre de la théorie de la reconnaissance. Pour Honneth, les rapports entre les de la reconnaissance. Pour Honneth, les rapports entre les humains priment sur les rapports de ces derniers avec les humains priment sur les rapports de ces derniers avec les non humains ; il insiste sur le « primat » des relations de non humains ; il insiste sur le « primat » des relations de reconnaissancereconnaissance 17 17, à la fois dans les rapports sociaux et de , à la fois dans les rapports sociaux et de manière ontogénétique : dans le processus de socialisation manière ontogénétique : dans le processus de socialisation et d’individuation, le jeune enfant doit d’abord apprendre et d’individuation, le jeune enfant doit d’abord apprendre à développer un rapport intersubjectif aux personnes de à développer un rapport intersubjectif aux personnes de référence pour pouvoir développer un rapport aux objets. référence pour pouvoir développer un rapport aux objets. C’est notamment sur la base de la recherche en psychologie C’est notamment sur la base de la recherche en psychologie de la petite enfance que Honneth montre que le processus de la petite enfance que Honneth montre que le processus de « réification » consistant à développer un rapport objec-de « réification » consistant à développer un rapport objec-tivant à des partenaires d’interaction est toujours un oubli tivant à des partenaires d’interaction est toujours un oubli d’une reconnaissance intersubjective préalable. Ainsi, l’ap-d’une reconnaissance intersubjective préalable. Ainsi, l’ap-proche honnethienne de la reconnaissance introduit une proche honnethienne de la reconnaissance introduit une différenciation fondamentale entre les humains et les non-différenciation fondamentale entre les humains et les non-humains qui permet de faire la critique de la réification, humains qui permet de faire la critique de la réification, de la transformation des humains en choses. À l’inverse, de la transformation des humains en choses. À l’inverse, dans la perspective de Latour, il est impossible de rendre dans la perspective de Latour, il est impossible de rendre compte et de critiquer la transformation d’un rapport entre compte et de critiquer la transformation d’un rapport entre

17 Honneth, 2007.17 Honneth, 2007.

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des humains en rapports entre des chosesdes humains en rapports entre des choses 18 18. L’effacement . L’effacement de la médiation des objets chez Honneth, par le primat de de la médiation des objets chez Honneth, par le primat de l’intersubjectivité symbolique, d’une part, l’impossibilité l’intersubjectivité symbolique, d’une part, l’impossibilité de rendre compte de la réification dans l’interobjectivité de rendre compte de la réification dans l’interobjectivité latourienne, d’autre part, incite à penser une forme de re-latourienne, d’autre part, incite à penser une forme de re-connaissance interobjective susceptible de faire une place connaissance interobjective susceptible de faire une place accrue à l’interobjectivation sans toutefois retomber dans accrue à l’interobjectivation sans toutefois retomber dans la symétrie latourienne.la symétrie latourienne.

Le second obstacle d’une articulation entre l’anthropo-Le second obstacle d’une articulation entre l’anthropo-logie symétrique et la théorie de la reconnaissance porte logie symétrique et la théorie de la reconnaissance porte sur la question de la morale et du statut de la normativité. sur la question de la morale et du statut de la normativité. Pour la théorie de la reconnaissance, la médiation est Pour la théorie de la reconnaissance, la médiation est forcément un lien impliquant des relations d’appréciation forcément un lien impliquant des relations d’appréciation normatives entre les sujets. Or, la manière dont Latour normatives entre les sujets. Or, la manière dont Latour pense la médiation par les objets fait peu de place aux pense la médiation par les objets fait peu de place aux questions morales ; ou lorsque la morale apparaît, c’est questions morales ; ou lorsque la morale apparaît, c’est comme une contraintecomme une contrainte 19 19. Pour Latour, ce qui est premier, . Pour Latour, ce qui est premier, ce sont les formes de relation, les liens et les assemblages ce sont les formes de relation, les liens et les assemblages permettant d’agir sur un agir – Latour s’intéresse davan-permettant d’agir sur un agir – Latour s’intéresse davan-tage à ce qui fait lien, aux modalités de l’assemblage et tage à ce qui fait lien, aux modalités de l’assemblage et non aux questions normatives propres à cette médiation. non aux questions normatives propres à cette médiation. Il s’intéresse au fait, par exemple, que cette médiation par Il s’intéresse au fait, par exemple, que cette médiation par les objets est le lieu où s’incarnent des normes sociales, les objets est le lieu où s’incarnent des normes sociales, d’usages et de valeursd’usages et de valeurs 20 20. Penser la reconnaissance dans . Penser la reconnaissance dans ce cadre implique de considérer que toute interobjectivité ce cadre implique de considérer que toute interobjectivité

18 Il me semble inévitable de réintroduire une distinction ontologique entre les 18 Il me semble inévitable de réintroduire une distinction ontologique entre les humains et les non-humains. Je ne vois pas comment faire autrement. Comme humains et les non-humains. Je ne vois pas comment faire autrement. Comme le souligne Frédéric Vandenberghe : « Il suffit de suivre les objets jusqu’à leurs le souligne Frédéric Vandenberghe : « Il suffit de suivre les objets jusqu’à leurs racines pour retrouver, en fin de parcours, les humains comme racines pour retrouver, en fin de parcours, les humains comme archarch et comme et comme telostelos. Quelle que soit la façon don les humains sont reliés aux non-humains, . Quelle que soit la façon don les humains sont reliés aux non-humains, ce sont toujours les humains qui rencontrent les non-humains et les dotent, ce sont toujours les humains qui rencontrent les non-humains et les dotent, le cas échéant, d’un sens, d’une valeur d’usage ou d’une valeur d’échange. le cas échéant, d’un sens, d’une valeur d’usage ou d’une valeur d’échange. Les non-humains ont un sens pour les humains, soit de façon proximale, par Les non-humains ont un sens pour les humains, soit de façon proximale, par qu’ils les rencontrent dans le monde ambiant et les saisissent à l’intérieur d’une qu’ils les rencontrent dans le monde ambiant et les saisissent à l’intérieur d’une multiplicité de régimes de justification axiologiques – des régimes domestiques multiplicité de régimes de justification axiologiques – des régimes domestiques et civiques aux régimes marchand et industriel (Thévenot) – soit, de façon et civiques aux régimes marchand et industriel (Thévenot) – soit, de façon ultime, parce qu’ils les ont faits. Des artefacts, comme des machines ou autres ultime, parce qu’ils les ont faits. Des artefacts, comme des machines ou autres objets sociotechniques du même genre, ne sont rein d’autre que de l’esprit objets sociotechniques du même genre, ne sont rein d’autre que de l’esprit objectivité et matérialité », in Vandenberghe, 2006, p. 161.objectivité et matérialité », in Vandenberghe, 2006, p. 161.

19 Latour, 1993.19 Latour, 1993.

20 Latour, 1993.20 Latour, 1993.

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ? La lutte pour l’interobjectivationLa lutte pour l’interobjectivation

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est une manière, même implicite, de conférer une recon-est une manière, même implicite, de conférer une recon-naissance à des destinataires en tant qu’elle est configurée naissance à des destinataires en tant qu’elle est configurée dans l’objet s’adressant à eux à titre de « programmes dans l’objet s’adressant à eux à titre de « programmes d’action ». La théorie de la reconnaissance peut corriger d’action ». La théorie de la reconnaissance peut corriger ce déficit normatif de l’interobjectivation latourienne en ce déficit normatif de l’interobjectivation latourienne en insistant sur le fait que tout objet est une « boîte noire » insistant sur le fait que tout objet est une « boîte noire » qui est le résultat momentané d’une lutte pour la recon-qui est le résultat momentané d’une lutte pour la recon-naissance antérieure. L’approche latourienne peut s’ali-naissance antérieure. L’approche latourienne peut s’ali-menter de l’approche normative permettant d’envisager menter de l’approche normative permettant d’envisager une composante morale dans les objets et les actions qu’ils une composante morale dans les objets et les actions qu’ils engagent par leurs « programmes d’action ». C’est à partir engagent par leurs « programmes d’action ». C’est à partir de cette articulation qu’il devient possible de concevoir de cette articulation qu’il devient possible de concevoir des rapports antagonistes de reconnaissance et des luttes des rapports antagonistes de reconnaissance et des luttes insérées dans les processus d’interobjectivation. C’est ce insérées dans les processus d’interobjectivation. C’est ce dernier point que j’aborderai dans la dernière partie de dernier point que j’aborderai dans la dernière partie de ce texte.ce texte.

En accordant un rôle majeur aux objets, Latour s’ins-En accordant un rôle majeur aux objets, Latour s’ins-crit en faux contre une partie des sciences sociales et de la crit en faux contre une partie des sciences sociales et de la philosophie sociale contemporaine dont l’intérêt pour les philosophie sociale contemporaine dont l’intérêt pour les objets et la matérialité est pour le moins timide. Il ouvre objets et la matérialité est pour le moins timide. Il ouvre la voie à une conception qui confère un statut premier à la voie à une conception qui confère un statut premier à la matérialité des pratiques sociales et offre une alterna-la matérialité des pratiques sociales et offre une alterna-tive à une conception du social enfermée dans les seuls tive à une conception du social enfermée dans les seuls rapports langagiers, les processus symboliques et les rela-rapports langagiers, les processus symboliques et les rela-tions intersubjectives. C’est au travers des objets – et la tions intersubjectives. C’est au travers des objets – et la dimension matérielle – que se configure le rapport social dimension matérielle – que se configure le rapport social et que des actions des sujets se relient entre eux ; inver-et que des actions des sujets se relient entre eux ; inver-sement, le social contribue à configurer des objets dans sement, le social contribue à configurer des objets dans un processus continu. En quoi est-ce que cette conception un processus continu. En quoi est-ce que cette conception de l’interobjectivité ouvre des pistes pour conférer une de l’interobjectivité ouvre des pistes pour conférer une place accrue aux objets et à la matérialité dans la théorie place accrue aux objets et à la matérialité dans la théorie de la reconnaissance ? Cette dernière peut-elle s’inspirer de la reconnaissance ? Cette dernière peut-elle s’inspirer du programme latourien pour élargir son acception de du programme latourien pour élargir son acception de la lutte en incorporant la dimension matérielle effacée la lutte en incorporant la dimension matérielle effacée par l’approche intersubjective ? Si les postulats des deux par l’approche intersubjective ? Si les postulats des deux approches sont sur bien des points éloignés – notamment, approches sont sur bien des points éloignés – notamment, le postulat du programme latourien symétrisant humains le postulat du programme latourien symétrisant humains

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?

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et non humains –, il est néanmoins possible d’articuler et non humains –, il est néanmoins possible d’articuler le social interobjectif à la reconnaissance intersubjective.le social interobjectif à la reconnaissance intersubjective.

Un point essentiel de cette articulation consiste à ajou-Un point essentiel de cette articulation consiste à ajou-ter au rapport intersubjectif entre les sujets la médiation ter au rapport intersubjectif entre les sujets la médiation des objets. Si ce rapport s’opère par l’adoption de la pers-des objets. Si ce rapport s’opère par l’adoption de la pers-pective de l’autre pour accéder au sens de ses propres pective de l’autre pour accéder au sens de ses propres actions et développer un actions et développer un rapport à soirapport à soi, alors il faut conce-, alors il faut conce-voir que ce partenaire n’est pas toujours un humain et voir que ce partenaire n’est pas toujours un humain et qu’il peut porter sur des entités objectives. C’est notam-qu’il peut porter sur des entités objectives. C’est notam-ment le cas lorsque le sujet développe une activité intense ment le cas lorsque le sujet développe une activité intense avec des objets techniques, un rapport si familier avec ces avec des objets techniques, un rapport si familier avec ces derniers qu’il en vient à faire corps avec eux dans un cou-derniers qu’il en vient à faire corps avec eux dans un cou-plage momentanéplage momentané 21 21. Dans ce cas, le sujet développe un . Dans ce cas, le sujet développe un sens de soi en ce que le rapport « praxique » avec l’objet sens de soi en ce que le rapport « praxique » avec l’objet l’invite à adopter la perspective de l’objet et de son « pro-l’invite à adopter la perspective de l’objet et de son « pro-gramme d’action » afin de développer sa propre activité. gramme d’action » afin de développer sa propre activité. Dans un tel cas de figure, on a affaire à Dans un tel cas de figure, on a affaire à un rapport à soi un rapport à soi médiatisé par l’objetmédiatisé par l’objet plus qu’à une « image de soi » et des plus qu’à une « image de soi » et des symboles signifiants.symboles signifiants.

On peut parler d’une reconnaissance interobjective On peut parler d’une reconnaissance interobjective lorsque le sujet parvient à développer un sens positif de lorsque le sujet parvient à développer un sens positif de soi dans son activité en parvenant à multiplier ses possibi-soi dans son activité en parvenant à multiplier ses possibi-lités d’action et d’interaction avec son environnement. Si-lités d’action et d’interaction avec son environnement. Si-multanément, cette action avec l’objet impliquant un rap-multanément, cette action avec l’objet impliquant un rap-port à soi qui se donne aussi comme rapport à l’autre (à port à soi qui se donne aussi comme rapport à l’autre (à un « tu ») dans la mesure où l’objet qui fait corps dans ce un « tu ») dans la mesure où l’objet qui fait corps dans ce couplage entre sujet et objet incorpore lui-même une acti-couplage entre sujet et objet incorpore lui-même une acti-vité possible « déposée » par l’action d’autrui dans l’objet vité possible « déposée » par l’action d’autrui dans l’objet – y compris lorsque cet autre sujet est distant et invisible. – y compris lorsque cet autre sujet est distant et invisible. Ce rapport à autrui peut aussi être synchrone dans la Ce rapport à autrui peut aussi être synchrone dans la mesure où le rapport du sujet à l’objet invite à une action mesure où le rapport du sujet à l’objet invite à une action commune avec d’autres sujets, parce que l’action du sujet commune avec d’autres sujets, parce que l’action du sujet avec l’objet s’adresse aussi à autrui comme signe objectivé avec l’objet s’adresse aussi à autrui comme signe objectivé du soi. À ce niveau, être reconnu signifie pouvoir déve-du soi. À ce niveau, être reconnu signifie pouvoir déve-lopper la conviction que le rapport à l’objet nourrit le sens lopper la conviction que le rapport à l’objet nourrit le sens de soi par le fait que ce même objet nourrit à son tour la de soi par le fait que ce même objet nourrit à son tour la

21 Julien, Rosselin, Warnier, 2010.21 Julien, Rosselin, Warnier, 2010.

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possibilité d’action d’un partenaire d’interaction. Le sujet possibilité d’action d’un partenaire d’interaction. Le sujet développe un rapport à soi positif en prenant conscience développe un rapport à soi positif en prenant conscience de la valeur de ses actes dans le façonnement d’objets et de la valeur de ses actes dans le façonnement d’objets et par sa capacité à alimenter un agir de manière indirecte par sa capacité à alimenter un agir de manière indirecte – et rendre possible l’agir de l’autre. En livrant le produit – et rendre possible l’agir de l’autre. En livrant le produit de son action, le sujet est apte à percevoir ses apports et de son action, le sujet est apte à percevoir ses apports et à développer un rapport positif à soi par le savoir sur les à développer un rapport positif à soi par le savoir sur les usages que font ses partenaires de l’objet de ses actions.usages que font ses partenaires de l’objet de ses actions.

C’est sur la base de ce rapport à l’autre qu’est pos-C’est sur la base de ce rapport à l’autre qu’est pos-sible un rapport au collectif (nous), dans la mesure où les sible un rapport au collectif (nous), dans la mesure où les partenaires d’interaction ne se donnent pas comme des partenaires d’interaction ne se donnent pas comme des autres immédiats mais, dans ce cas, comme un collectif autres immédiats mais, dans ce cas, comme un collectif intangible de pratiques tangibles. À ce niveau collectif, intangible de pratiques tangibles. À ce niveau collectif, la reconnaissance interobjective s’opère par la capacité la reconnaissance interobjective s’opère par la capacité des sujets à s’orienter et à s’engager dans un objet com-des sujets à s’orienter et à s’engager dans un objet com-mun d’activité et d’attention dans lequel ils se retrouvent mun d’activité et d’attention dans lequel ils se retrouvent à titre de membres d’un collectif d’action et d’engagement à titre de membres d’un collectif d’action et d’engagement faisant l’expérience d’un objet commun. Dans ce cas, la faisant l’expérience d’un objet commun. Dans ce cas, la reconnaissance interobjective se réfère moins à la possibi-reconnaissance interobjective se réfère moins à la possibi-lité d’action d’autrui qu’à une capacité de reconnaissance lité d’action d’autrui qu’à une capacité de reconnaissance et pas simplement une entente qui serait possible par le et pas simplement une entente qui serait possible par le seul recours à la construction langagière. Sans l’existence seul recours à la construction langagière. Sans l’existence d’un objet partagé, cette entente ne serait pas possible.d’un objet partagé, cette entente ne serait pas possible.

Centrée sur les modalités intersubjectives de la re-Centrée sur les modalités intersubjectives de la re-connaissance en cherchant à savoir comment les sujets connaissance en cherchant à savoir comment les sujets s’apprécient et entrent en lutte à propos de ces appré-s’apprécient et entrent en lutte à propos de ces appré-ciations, la théorie de la reconnaissance est ainsi inci-ciations, la théorie de la reconnaissance est ainsi inci-tée à faire une place aux objets. Concevoir les relations tée à faire une place aux objets. Concevoir les relations de reconnaissance non seulement en termes de relations de reconnaissance non seulement en termes de relations intersubjectives mais aussi en termes d’interobjectivation intersubjectives mais aussi en termes d’interobjectivation permet d’insister sur le rôle de la matérialité des objets permet d’insister sur le rôle de la matérialité des objets dans la formation du rapport à soi, mais aussi du rapport dans la formation du rapport à soi, mais aussi du rapport aux autres par la médiation des objets – ce qui permet aux autres par la médiation des objets – ce qui permet d’éviter la « philosophie du sujet » dénoncée autrefois par d’éviter la « philosophie du sujet » dénoncée autrefois par Habermas et qui motivait le passage au paradigme de Habermas et qui motivait le passage au paradigme de l’intersubjectivité langagière. Cette relation d’interobjec-l’intersubjectivité langagière. Cette relation d’interobjec-tivation est autant indispensable que la reconnaissance tivation est autant indispensable que la reconnaissance

Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?Qu’est-ce que lutter pour la reconnaisance ?

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intersubjective pour la construction d’un rapport à soi intersubjective pour la construction d’un rapport à soi susceptible d’atteindre une certaine consistance pratique ; susceptible d’atteindre une certaine consistance pratique ; sans objet, comment le sujet peut-il prendre conscience de sans objet, comment le sujet peut-il prendre conscience de la consistance de son agir dans le monde et de l’agir que la consistance de son agir dans le monde et de l’agir que les partenaires déploient suite à son propre agir objectivé ?les partenaires déploient suite à son propre agir objectivé ?

LutteLutte

À partir de la reconnaissance interobjective, on peut À partir de la reconnaissance interobjective, on peut envisager les formes que prend la non-reconnaissance : envisager les formes que prend la non-reconnaissance : l’objet dont dépend le rapport à soi, à l’autre et au monde l’objet dont dépend le rapport à soi, à l’autre et au monde ne permet pas – ou plus – le déploiement d’un agir réci-ne permet pas – ou plus – le déploiement d’un agir réci-proque et la confirmation positive de cet agir dans cet proque et la confirmation positive de cet agir dans cet « autre ». Trois cas de figure peuvent être envisagés. Pre-« autre ». Trois cas de figure peuvent être envisagés. Pre-mièrement, cela peut être dû au fait que le « programme mièrement, cela peut être dû au fait que le « programme d’action » de l’objet peut limiter les possibilités d’action d’action » de l’objet peut limiter les possibilités d’action du sujet, voire porter atteinte au sens positif qu’il a de du sujet, voire porter atteinte au sens positif qu’il a de lui-même. Ensuite, l’objet peut rester un objet figé, pé-lui-même. Ensuite, l’objet peut rester un objet figé, pé-trifié, réifié, avec lequel il est impossible de s’engager trifié, réifié, avec lequel il est impossible de s’engager activement et de manière créative – ce qui oblitère le activement et de manière créative – ce qui oblitère le processus de reconnaissance interobjective au profit d’une processus de reconnaissance interobjective au profit d’une indifférence du sujet envers la chose réifiée, à laquelle indifférence du sujet envers la chose réifiée, à laquelle cette dernière « répond » par sa froideur. Enfin, dans un cette dernière « répond » par sa froideur. Enfin, dans un troisième cas de figure, les partenaires d’interaction ne troisième cas de figure, les partenaires d’interaction ne reconnaissent pas l’objet sur la base duquel s’engage leur reconnaissent pas l’objet sur la base duquel s’engage leur entente commune, soit qu’ils lui appliquent des catégories entente commune, soit qu’ils lui appliquent des catégories biaisées le rendant méconnaissable, soit qu’ils le nient biaisées le rendant méconnaissable, soit qu’ils le nient comme objet digne d’attention commune. Dans ce dernier comme objet digne d’attention commune. Dans ce dernier cas, les membres du collectif sont dans l’impossibilité de cas, les membres du collectif sont dans l’impossibilité de se percevoir comme partageant l’expérience d’un objet se percevoir comme partageant l’expérience d’un objet commun reposant sur une factualité partagée ; c’est une commun reposant sur une factualité partagée ; c’est une non-reconnaissance de l’objet comme entité du monde non-reconnaissance de l’objet comme entité du monde communcommun 22 22. Dans ces trois cas de figure, la chaîne de . Dans ces trois cas de figure, la chaîne de la reconnaissance interobjective est brisée, ce qui donne la reconnaissance interobjective est brisée, ce qui donne lieu à des expériences négatives – irréductibles aux seuls lieu à des expériences négatives – irréductibles aux seuls

22 Zask, 2004.22 Zask, 2004.

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rapports intersubjectifs articulés par la communication rapports intersubjectifs articulés par la communication langagière.langagière.

Ces formes de non-reconnaissance peuvent donner nais-Ces formes de non-reconnaissance peuvent donner nais-sance à des luttes impliquant les objets. On peut alors en-sance à des luttes impliquant les objets. On peut alors en-visager un cadre de conflictualité faisant une place accrue visager un cadre de conflictualité faisant une place accrue aux objets : il y a une lutte des sujets non seulement pour aux objets : il y a une lutte des sujets non seulement pour être reconnus par d’autres sujets mais aussi pour dégager être reconnus par d’autres sujets mais aussi pour dégager les objets de leur état figé et inerte et pour les faire entrer les objets de leur état figé et inerte et pour les faire entrer dans un processus d’interobjectivation. En ce sens, les dans un processus d’interobjectivation. En ce sens, les objets cessent d’être des choses inertes indifférentes aux objets cessent d’être des choses inertes indifférentes aux sujets ou des objets agissant sur l’action des sujets sans sujets ou des objets agissant sur l’action des sujets sans offrir de possibilités de développer, avec eux, une action offrir de possibilités de développer, avec eux, une action réciproque. Cette lutte instaure une praxis commune par réciproque. Cette lutte instaure une praxis commune par laquelle ils agissent sur des objets configurés selon leur laquelle ils agissent sur des objets configurés selon leur plan d’action tout en s’appuyant sur les plans d’action de plan d’action tout en s’appuyant sur les plans d’action de ces objets pour élargir leurs possibilités d’agir. Dans ce ces objets pour élargir leurs possibilités d’agir. Dans ce cas, le sujet parvient à l’autoréalisation non pas dans le cas, le sujet parvient à l’autoréalisation non pas dans le rapport intersubjectif aux autres, mais dans son rapport rapport intersubjectif aux autres, mais dans son rapport à un objet qui rend possible en retour le sens de sa à un objet qui rend possible en retour le sens de sa propre activité et démultiplie sa capacité d’action. On propre activité et démultiplie sa capacité d’action. On peut parler de lutte car un tel processus ne va pas de peut parler de lutte car un tel processus ne va pas de soi dès lors que l’inertie des processus sociaux conduit soi dès lors que l’inertie des processus sociaux conduit moins à ouvrir sans cesse des « boîtes noires » qu’à les moins à ouvrir sans cesse des « boîtes noires » qu’à les refermer et instituer un usage fonctionnel de « faits » et refermer et instituer un usage fonctionnel de « faits » et d’objets réifiés en choses. Dans ce cas, la lutte tente de d’objets réifiés en choses. Dans ce cas, la lutte tente de maintenir un rapport actif aux objets, une interaction avec maintenir un rapport actif aux objets, une interaction avec ces derniers, pour se dégager de l’action des objets sur ces derniers, pour se dégager de l’action des objets sur notre action. Mais une telle interaction est mise à mal notre action. Mais une telle interaction est mise à mal dans la réification : plus les relations que le sujet établit dans la réification : plus les relations que le sujet établit avec les objets sont médiatisées par la forme marchande avec les objets sont médiatisées par la forme marchande et plus ils sont défigurés dans leur objectivité – ce qui et plus ils sont défigurés dans leur objectivité – ce qui défigure aussi les sujets dans leur subjectivité. La lutte défigure aussi les sujets dans leur subjectivité. La lutte pour l’interobjectivation prend alors la forme d’une lutte pour l’interobjectivation prend alors la forme d’une lutte contre cette défiguration des objets – et des sujets. Une contre cette défiguration des objets – et des sujets. Une telle conception du conflit rencontre en partie le projet telle conception du conflit rencontre en partie le projet latourien consistant à « repeupler le monde apparemment latourien consistant à « repeupler le monde apparemment figé des objets », y compris par la recherche sociologique figé des objets », y compris par la recherche sociologique

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appelée à dé-réifier les objets en situant son regard dans appelée à dé-réifier les objets en situant son regard dans le mouvement et en repeuplant le monde réifié des choses. le mouvement et en repeuplant le monde réifié des choses. Ce regard se dresse alors contre l’oblitération et la rigidi-Ce regard se dresse alors contre l’oblitération et la rigidi-fication du social.fication du social.

À partir de cette interobjectivation peut s’engager À partir de cette interobjectivation peut s’engager une lutte à un second niveau, lorsque les sujets ne se une lutte à un second niveau, lorsque les sujets ne se contentent pas de rouvrir les « boîtes noires » que sont les contentent pas de rouvrir les « boîtes noires » que sont les objets mais de les réinvestir de morale et d’histoire. Dans objets mais de les réinvestir de morale et d’histoire. Dans ce cas, les sujets parviennent à voir la configuration de ce cas, les sujets parviennent à voir la configuration de l’objet dans sa normativité et à identifier cette configura-l’objet dans sa normativité et à identifier cette configura-tion comme la source de leurs expériences négatives dans tion comme la source de leurs expériences négatives dans l’interaction avec l’objet. Ce dernier engage par exemple l’interaction avec l’objet. Ce dernier engage par exemple les sujets dans un type d’activité qui dégrade leur rap-les sujets dans un type d’activité qui dégrade leur rap-port à eux-mêmes ou qui les empêche d’agir. La lutte port à eux-mêmes ou qui les empêche d’agir. La lutte fait ici émerger la dimension normative du « programme fait ici émerger la dimension normative du « programme d’action » incorporé dans l’objet dont la réalisation blesse d’action » incorporé dans l’objet dont la réalisation blesse les attentes de reconnaissance implicites formulées à leur les attentes de reconnaissance implicites formulées à leur égard par les sujets qui agissent avec eux. L’objet contro-égard par les sujets qui agissent avec eux. L’objet contro-versé apparaît alors comme le fruit d’une coagulation de versé apparaît alors comme le fruit d’une coagulation de conflits antérieurs à l’issue desquels s’est formé un com-conflits antérieurs à l’issue desquels s’est formé un com-promis provisoire ayant donné sa configuration à l’objet promis provisoire ayant donné sa configuration à l’objet – sa forme, son « programme d’action », ses usages futurs – sa forme, son « programme d’action », ses usages futurs conférant une certaine place au sujet. En considérant le conférant une certaine place au sujet. En considérant le conflit de reconnaissance comme une lutte pour l’interob-conflit de reconnaissance comme une lutte pour l’interob-jectivation, on est à même de restituer les manières dont, jectivation, on est à même de restituer les manières dont, par exemple, un objet technique a, à moment donné, coa-par exemple, un objet technique a, à moment donné, coa-gulé un ensemble d’acteurs en lutte pour la reconnaissance gulé un ensemble d’acteurs en lutte pour la reconnaissance – une reconnaissance qui s’opérerait dans leur capacité à – une reconnaissance qui s’opérerait dans leur capacité à prendre part à la configuration de l’objet, à définir sa prendre part à la configuration de l’objet, à définir sa forme, ses aspects extérieurs, ses usages futurs, etc. Cette forme, ses aspects extérieurs, ses usages futurs, etc. Cette objectification de conflits antérieurs est aussi une façon objectification de conflits antérieurs est aussi une façon d’accorder une valeur à certains usages des objets au d’accorder une valeur à certains usages des objets au détriment d’autres usages. Ces fabrications d’objets sont détriment d’autres usages. Ces fabrications d’objets sont souvent des processus lents donnant lieu à des disputes souvent des processus lents donnant lieu à des disputes et des conflits aboutissant à un accord momentané. Ces et des conflits aboutissant à un accord momentané. Ces objets incitent aussi certains usages conférant une place objets incitent aussi certains usages conférant une place et une reconnaissance aux activités de leur maniement et et une reconnaissance aux activités de leur maniement et

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de leurs usages. On voit ainsi comment la conflictualité de leurs usages. On voit ainsi comment la conflictualité relative à la reconnaissance peut apparaître comme une relative à la reconnaissance peut apparaître comme une lutte pour l’interobjectivation dont les aboutissements pro-lutte pour l’interobjectivation dont les aboutissements pro-visoires se coagulent dans des objets.visoires se coagulent dans des objets.

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