Intentionnalité et intentionnalisme chez Brentano, La structure métaphysique de la référence intentionnelle

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    Bulletin danalyse phnomnologique VI 8, 2010 (Actes 3), p. 3-28ISSN 1782-2041 http://popups.ulg.ac.be/bap.htm

    Intentionnalit et intentionnalisme chez Brentano : Lastructure mtaphysique de la rfrence intentionnelle

    Par FEDERICO BOCCACCINIUniversit de Paris 1 Universit di Pisa

    How is objective reference or intentionality possible ?

    How is it possible for one thing to direct its thoughts uponanother thing ? Wittgenstein summarized the question byasking : What makes my idea of him an idea of him ?(R. Chisholm, The First Person.)

    1. Une thorie de lintentionnalit est-elle possible ?

    Tel un prisme, dur et ingal comme un cristal, au tournant du sicle, laphilosophie no-aristotlicienne de Franz Brentano (1838-1917) a rassembl

    les formulations les plus importantes de la philosophie de lge moderne pourles diffracter sur toute la philosophie du XXesicle par le biais de son cole 1.Mme si la source de ces rayons sest teinte, nous pouvons percevoir laforce de sa luminosit par ses clats, qui jaillissent encore, ponctuellement,au cur de plusieurs dbats contemporains, comme travers un vitrail. Il

    1Pour une introduction lcole de Brentano, voir L. Albertazzi, M. Libardi, R. Poli(ds), The School of Franz Brentano, Dordrecht, Kluwer,1996 ; B. Smith, AustrianPhilosophy. The Legacy of Franz Brentano, Chigago-LaSalle, Open Court, 1996 ;D. Fisette, G. Frchette, Le legs de Brentano , dans le collectif lcole deBrentano : De Wrzburg Vienne, Paris, Vrin, 2007, p. 7-161. Pour la rception dela philosophie brentanienne, Brentanos impact on twentieth-century philosophy ,dans D. Jacquette (d.), The Cambridge Companion to Brentano, Cambridge,Cambridge University Press, 2004, p. 277-297.

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    nexiste pas une partie de la philosophie dont il ne se soit occup et il aapport un clairage nouveau sur tout ce quil a touch 1. Toutefois, ce nestpas notre objectif de faire ici un historique de Brentano2. Notre travail est

    conceptuel. Lobjet de notre recherche est la nature de la rfrence inten-tionnelle et sa place dans sa philosophie. tant donn que la notion dinten-tionnalit est trs souvent aborde et fait lobjet de nombreux dbats parmiles philosophes, nous pourrions introduire notre recherche en paraphrasantAristote au dbut duDe animaet en observant quil est des plus difficiles deparvenir quelque certitude ce sujet. En effet, tout comme le conceptdme, cette notion philosophique est lie plusieurs autres concepts commeceux de substance, de chose, dacte et desprit, de sorte que sa dfinition esttoujours floue. Quel est donc lintrt de cette notion ? En gnral, ellevoque le rapport entre lesprit et le monde et donc, au fond, parler dinten-tionnalit revient parler de notre tre-au-monde. On est face la question

    de lintentionnalit lorsquon se pose des questions telles que : quand jepense, quoi est-ce que je pense ? la chose mme, ou bien une image ou une ide de la chose ? Est-ce que je pense le contenu (Inhalt) de mon acte,ou bien lobjet (Gegenstand) ? Ou encore, indpendamment de ce que jepense, quelle est la nature de cette relation ?

    Ces questions sont trs prsentes dans toute la philosophie moderne etse retrouvent presque inaltres dans la phnomnologie et la philosophie

    1Dans une nouvelle de lcrivain autrichien Adolf von Wilbrandt (1837-1911), soncontemporain, Brentano est dpeint comme un voyageur venant de la plante Vnus.Cf. A. von Wilbrandt, Der Gast vom Abendstern, dans Novellen aus der Heimat, 2vol. (1882). Il vivait compltement absorb dans ses penses, dtach du monde etdes affaires quotidiennes. Mais il avait aussi un got pour la vie. Il aimait jouer auxchecs et il tait passionn autant par lcriture potique que par celle dnigmes. Cf.William M. Johnston, Lesprit viennois, PUF, p. 343. Brentano a rassembl sesnigmes dans louvrage F. Brentano,Neue Rtsel von nigmatias, Wien, C. GeroldsSohn, 1879.2Sur la famille Brentano, cf. K. Feilchenfeldt, L. Zagari (ds.), Die Brentano, Eineeuropaische Familie, Tubingen, Niemeyer, 1992 ; K. Gnzel, Die Brentano. Einedeutsche Familiengeschichte, Zrick, Artemis & Winkler Verlag, 1993. Sur la vie deFranz Brentano, cf. O. Kraus, Franz Brentano : Zur Kenntnis seines Lebens undseiner Lehre mit Beitrgen von Carl Stumpf und Edmund Husserl , Mnchen, Ch.Becksche Verlagsbuchhandlung, 1919 ; et aussi son Biografical Sketch of FranzBrentano , dans L. McAlister (d.), The Philosophy of Franz Brentano, London,Duckworth, 1976, p. 1-9 ; E. Utitz, Erinnerungen an Franz Brentano , Zeitschriftder Martin-Luther-Universitt Halle-Wittenberg, Gesellschafts- und sprachwissen-schaftliche Reihe, 4 (1955), p. 73-90 ; A. Kastil, Die Philosophie Franz Brentanos,Bern, Francke, 1951, p. 7-24.

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    contemporaine. Pour parler dintentionnalit, le philosophe a le choix entrediffrents niveaux discursifs : lontologique, le smantique et le psycholo-gique. Celui qui dsire aborder ce problme prend donc le risque de passer

    dun champ lautre en confondant les limites des genres et la diffrencespcifique entre les objets de la connaissance, glissant souvent dune dfini-tion conceptuelle une dfinition ontologique, puis dune dfinition onto-logique une smantique, etc. En outre, ltude de lintentionnalit, cest--dire de ce qui est propre au mental, aura une dfinition diffrente selon lafaon dont on aborde la notion. Pour lun, ce sera un problme de naturephysique ; pour un autre, une simple question de logique, et pour un autreencore, il sagira dun problme de langage mal utilis. Le mtaphysicien,enfin, cherchera en dfinir lessence.

    En ce qui concerne notre recherche, le point de vue adopt est la foishistorique et conceptuel ; nous y assumons donc un caractre de neutralit

    par rapport la nature de la notion, mais il faut cependant rappeler que dansle cas de lauteur qui nous occupe, Brentano, il ne sagit ni dune questionontologique, ni dune question smantique, ni dune question logique, cardun point de vue descriptif, lintentionnalit est un phnomne simple donton ne peut donner de dfinition, mais seulement des exemples1. Au final, elle

    1 Sur la nature indfinissable de lintentionnalit et la notion de phnomnepsychique chez Brentano et son usage des exemples, voir F. Brentano, Psychologievom empirischen Standpunkte, Leipzig, Duncker & Humblot, 1874 ; 2. Aufl. mitEinleitung, Anmerkungen und Register hrsg. von O. Kraus, Leipzig, Meiner, 1924,p. 111 ; Psychologie du point de vue empirique, trad. fr. par M. de Gandillac rvisepar J-F.Courtine, Paris, Vrin, 2008 (dornavant PS), p. 92, o il observe : Lexplication que nous proposons nest pas une dfinition suivant les rglestraditionnelles des logiciens. [] Il ne suffit pas, cette fin, de donner desdfinitions gnrales subordonnes. De mme que dans le systme desdmonstrations, linduction soppose la dduction, ainsi lexplication (Erklrung)par le gnral soppose lexplication par le spcial, par lexemple (durch dasBeispiel). [] Quand il sagit, comme dans notre cas, de termes qui ne sont pasdusage courant dans la vie, tandis que les noms des divers phnomnes particulierssont dun usage frquent, lexplication par les dfinitions particulires rendra de plusgrands services encore. Essayons donc dabord dclaircir les concepts [dephnomne psychique et de phnomne physique] par des exemples ; et ilremarque encore la nature ostensible de lintentionnalit dans la dicte M(Metaphysik) 12, trs tardive : Pour parler de faon tout fait gnrale, il estcertain [] que ce que nous percevons avec une vidence immdiate correspond une activit psychique, celle que Descartes appelle au sens large, la pense. Cetteexpression ne sclaire naturellement que par des exemples. Ce qui caractrise lapense cest quelle se rfre toujours un objet. Penser, cest penser quelque chose ;

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    nexiste pas, elle se manifeste. Cest pourquoi chez Brentano nous navonsjamais une dfinition stricte de lintentionnalit (Intentionalitt), mais pluttplusieurs descriptions, car elle nest pas un objet pour lequel on peut avoir un

    concept unitaire. Nous ne lapprhendons quin obliquo travers le langageet sa forme nest pas celle du substantif (il ne sagit pas l dune chose), maisbien du verbe, donc dune action.

    Cest pourquoi, malheureusement, nous ne pouvons pas partager lepoint de vue exprim dans ltude dArkadiusz Chrudzimski, Intentionali-ttstheorie beim frhenBrentano1, qui a cherch de faon trs lgante dmontrer que la premire thorie de lintentionnalit chez Brentano aboutit une ontologie de lobjet immanent. La thse selon laquelle la premirethorie de lintentionnalit nest quune thorie pure de lobjet (eine reineObjekt-Theorie) nous apparat comme discutable. Notre propos est diffrent :sil y a effectivement une mtaphysique de lintentionnalit chez Brentano,

    elle sappuie dabord non pas sur le concept dobjet, mais sur celui derelation, et notamment sur le concept aristotlicien deprov" ti. Il faut direque louvrage de Chrudzimski est seulement ltape finale, et la plus aboutie,dun parcours interprtatif qui a vu, pendant ces derniers annes, lapsychologie brentanienne transforme en une ontologie de lesprit2. Nousavons beaucoup appris de ces recherches. Toutefois, si on parle dontologie,cest quil y a bien un objet ou quelque chose qui se manifeste comme unobjet, une objectit. Mais lintentionnalit parle-t-elle dobjets ? Est-ellequelque chose ? Notre rponse ces questions est ngative. Ce nest pas ceque Brentano avait lesprit lorsquil voquait la notion dintentionale Bezie-hung. Cette ide est probablement plus proche de la pense de Hfler et deMeinong que de celle de Brentano. Or, lorsque nous affirmons que linten-

    tionnalit se manifeste, nous naffirmons pas que sa nature est substantielleou accidentelle, ni mme mystrieuse. Quest-ce donc que lintentionnalit ?Cest un principe, uneajrchv. Et ltude de ce principe, qui se manifeste dansle champ psychologique, nappartient pas la psychologie, bien plutt au

    voir, cest voir quelque chose ; croire, cest croire quelque chose ; aimer, cest aimerquelque chose, etc. F. Brentano, Vom sinnlichen und noetischen Bewutsein(Psychologie vom empirischen Standpunkt III), mit Einleitung und Anmerkungenhrsg. von O. Kraus, Leipzig, Meiner, 1928, p. 53 ; dans PS, p. 425.1A. Chrudzimski,Intentionalittstheorie beim frhen Brentano, Dordrecht, Kluwer,2001.2 Cest la thse dj soutenue chez ses interprtes anglo-saxons. Cf. B. Smith,Austrian Philosophy, op. cit.; D. Jacquette, par exemple, parle de the ontic statusof intended objects ( Brentanos concept of intentionality , dans The CambridgeCompanion to Brentano, op. cit., p. 98-130).

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    champ de la mtaphysique, sil est vrai que, comme Aristote lcrit, parsagesse, chacun entend communment ce qui traite des causes premires etdes principes premiers (ou| d e{neka nu'n poiouvmeqa to;n lovgon tou'tejstivn, o{ti th;n ojnomazomevnhn sofivan peri;ta;prw'ta ai[tia kai;ta;"ajrca;" uJpolambavnousi pavnte",Mtaph.A1 981b, 28-29). Lintentionnalit

    se prsente donc indniablement comme le principe de contradiction et de lamme manire, elle a une dfinition ngative. Il est impossible que le mmeattribut appartienne et nappartienne pas en mme temps au mme sujet etsous le mme rapport (to;ga;r aujto;a{ma uJpavrcein te kai;mh;uJpavrceinajduvnaton tw'/ aujtw'/ kai; kata; to; aujtov (kai; o{sa a[llaprosdiorisaivmeq a[n, e[stw prosdiwrismevna pro;" ta;" logika;"duscereiva"), 1005b 19-20). De la mme faon, il est impossible de pensersans penser quelque chose. Une pense sans objet non seulement nexistepas, mais elle est donc impossible. Or, selon la dfinition de la premire loidescriptive quon rencontre dans la Psychologie :

    Rien ne peut tre jug, mais rien ne peut tre dsir non plus, rien ne peut treespr ou craint qui na dabord t reprsent (Nichts kann beurteilt, nichtskann aber auch begehrt, nichts kann gehofft oder gefrchtet werden, wenn esnicht vorgestellt wird)1

    Il sagit aussi dune dfinition ngative. Cette vidence est donc une certitudengative, ce que Brentano appellera un jugement apodictique ngatif , parlequel il affirme notamment la connaissance dune impossibilit. Cettecertitude nest pas une vrit de fait, mais une vrit de raisonet elle exprimedonc une connaissance a priori. Mais cest quand mme une connaissancengative puisquelle ne pose pas une existence dtermine, un Dasein2.On

    ne connat pas quelque chose, mais plutt limpossibilit que quelque chosesoit. Par consquent, toute la querelle empirisme/transcendantalisme ne con-cerne pas les sources de la connaissance a posteriori/a priori, car mmeBrentano utilise des connaissances a priori, alors que les lois de la psycho-logie descriptive sont toutes a priori. En fait, la diffrence entre une gnoso-logie transcendantale et celle de Brentano rside dans cette question de laconnaissance ngative a priori. Ce que Brentano reproche au transcendan-talisme nest donc pas lapriorisme, mais le fait quil pose, par des jugements

    1PS, p. 112/93.2Dans son introduction, Kraus observe : Sie setzen kein Dasein weil sie, wie alleapriorischen, d.h. apodiktischen, aus den Begriffen einleuchtenden Urteile negativsind , O. Kraus, Einleitung , dans F. Brentano, Psychologie vom empirischenStandpunkte, op. cit., p. XVIII.

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    synthtiques a priori, une connaissance positive, cest--dire une connais-sance de quelque chose. Cest le vritable enjeu qui oppose la philosophie delvidence brentanienne et le transcendantalisme, aussi bien kantien que

    husserlien, en ce qui concerne laspect pistmologique : il y a l deux faonsdiffrentes de comprendre le concept et les limites de la priori. PourBrentano, la connaissance des axiomes et des principes, comme le princi-

    pium contradictionis, est bien une connaissance a priori mais ngative1.Certes, on peut affirmer il existe un carr rond ou simplement dire carrrond . Cest une chose de dire mais cen est une autre de penser. Prononcerces mots nimplique pas quon peut concevoir cet objet, mme commecontenu cognitif. Comme Aristote la bien fait remarqu : Il nest paspossible, en effet, de jamais concevoir quune mme chose est et nest pas[]. Mais il nest pas ncessaire quon pense tout ce quon dit (e[cei ga;rto;n eijrhmevnon diorismovn. ajduvnaton ga;r oJntinou'n taujto;nuJpolambavnein ei\nai kai; mh; ei\nai []. oujk e[sti ga;r ajnagkai'on, a{ti" levgei, tau'ta kai;uJpolambavnein) (1005 b, 23-25). Comme lobserve

    trs justement Tricot dans sa note, le principe de contradiction chez Aristoteest, avant tout, une loi ontologique puis, par extension seulement, une loi delesprit. La pensabilit de lobjet est fonde sur lidentit, le fait dtre soi-mme. Mais lacte de penser ltre en tant quobjet (comme contenu de lapense) et ltre en tant que tel en dehors de lesprit sont soigneusement

    1Rappelons que, lorsque Aristote dmontre par elenchosles principes dans le livre ,le contexte est ontologique. Il y a une science qui tudie ltre en tant qutre [to;o]n h/|o[n], et ses attributs essentiels :e[stin ejpisthvmh ti" h}qewrei'to;o]n h/|o]nkai; ta; touvtw/ uJpavrconta kaq auJtov(1003 a 21-22) et cette dcouverte se

    rattache aux livres prcdents et surtout aux apories du livre B dont cest unerponse. Aristote semble avoir enfin trouv une solution ses recherches. Le conceptde o]n h/| o[n lui permet maintenant de poser une fondation relle des axiomeslogiques. Il peut dmontrer quil y a un o]n h/|o[npour chaque o[n ti. Ce rapport defondation entre ontologie et logique se reflte dans toute luvre de Brentano,surtout dans sa thorie de lvidence. Il faudra toujours en tenir en compte. Cf. aussiJ. Lukasiewicz,Du principe de contradiction chez Aristote(1910), Paris, ditions delclat, 2000, qui insiste, au chapitre XI, sur le lien troit entre le principe decontradiction et lontologie aristotlicienne de la substance. Le principe, selon cephilosophe polonais, est la fois un principe ontologique (aucun objet ne peut lafois possder et ne pas possder une mme proprit), un principe logique (deuxjugements dont lun attribue justement lobjet cette proprit tandis que lautre luirefuse ne peuvent tre vrais tous les deux) et enfin un principe psychologique (deuxconvictions auxquelles correspondent des jugements contradictoires ne peuvent pasexister la fois dans le mme esprit).

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    distingus et la possibilit du premier est fonde sur lexistence dudeuxime : Il y a des philosophes, remarque Aristote en poursuivant, qui,comme nous lavons dit, prtendent, dune part, que la mme chose peut tre

    et ntre pas, et, dautre part, que cela peut se concevoir (Eijsi;devtine"oi{, kaqavper ei[pomen, aujtoivte ejndevcesqaivfasi to;aujto;ei\nai kai;mh;ei\nai, kai;uJpolambavnein ou{tw") (1005 b, 35-1006 a, 1). Il est probablequAristote se rfre ici lcole de Mgare, mais parmi ces philosophes ,nous pourrions ajouter aussi les noms de Bolzano et de Meinong. En effet,aprs Leibniz, cette correspondance fondationnelle entre penser et tre dansles lois de la logique est fragilise. On peut concevoir lobjet carr rond dans une logique fonde sur la ngation du principe de contradiction, o lepossible est quelque chose daussi majeur que le rel effectif dans le sens dela Wirklichkeit, ide tout fait impensable pour Aristote. La question estcomplexe et nous la laisserons de ct ici, tout en remarquant en passant quela querelle des objets meinongiens nest probablement quune querelle sur lacontradiction logique de ces objets et la possibilit, au fond, de se reprsenterou de ne pas se reprsenter quelque chose de contradictoire (et non pasdinexistant comme Pgase) ; elle implique lhritage de la logique leibni-zienne et le traitement de la modalit chez Kant1. Reprsenter ici na pasle sens d imaginer , mais plutt d tre-sens . Lexpression carrrond a du sens (Sinn) mme si sa rfrence est vide. On peut crer unelogique o la loi de la contradiction est suspendue, car sans une rfrence(Bedeutung) fixe au rel, quest-ce qui empche au Sinnde cette expressioncontradictoire d tre effectivement quelque chose ? Notre intention nestpas de trouver une rponse intelligente cette question, mais seulementdvoquer ce point par rapport lintentionnalit brentanienne dans la per-

    spective choisie ici. Disons donc, pour une premire mise au point, queltude de lintentionnalit en tant que principe concerne la mtaphysique, etque lorsque Brentano le rcupre de la psychologie dAristote, il lassocie deux autres couples de principes : la forme et la matire, lacte et lapuissance. Notre but, ici, se limite montrer sa premire source : la catgoriede relation, et aussi souligner toute sa porte : si une dfinition positive delintentionnalit nest pas possible, ds lors sa thorie est impossible. ladiffrence de Husserl et de tout le courant de la phnomnologie, qui chercheune thorie accomplie de lintentionnalit, la dmarche de la phnomno-

    1Cf. V. Raspa, In-contraddizione. Il principio di contraddizione alle origini dellanuova logica, Trieste, Parnaso, 1999 ; et aussi I. Cubeddu, V. Raspa (ds.), Studi distoria del pensiero moderno (Leibniz, Kant, Hegel, Meinong), Urbino, Montefeltro,2002.

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    logie brentanienne cest notre thse est ngative : tant indfinissable,elle ne peut pas tre un objet de connaissance. Elle nest pas donc lobjetpralable dune thorie. Cest pour cette raison que nous disons quelle se

    manifeste .

    2. Se librer dunequivoque : lintentionnalisme brentanien

    En poursuivant notre propos, il ne sera dabord pas inutile de se dbarrasserdune quivoque concernant Brentano. Mme si son nom est souvent citlorsquon voque la question de lintentionnalit, il est la fois associ aureprsentationalisme, ou subjectivisme, ou en tout cas au mentalisme, cest--dire une philosophie inspire dune dimension prive et interne au sujet cause, justement, de limmanence (Immanenz). Hilary Putnam, par exemple,rsume cette ide de faon trs efficace avec cette image :

    Brentano pensait que les phnomnes mentaux se caractrisent par le faitquils sont dirigs vers des contenus [] il na jamais, ma connaissance,employ le terme intentionnalit ni le terme d inexistence intentionnelle nid existence intentionnelle pour dsigner la relation quil y a entre lesprit etle monde rel, ainsi que les philosophes en sont venus employer le termeintentionnalit aprs Husserl. Cest Husserl, non Brentano, qui a vu danslintentionnalit du mental un moyen de comprendre comment lesprit et lemonde sont relis et comment il se faitque dans les actes de conscience nousen arrivions tre dirigs vers un objet1.

    On voit bien comment, dans ce portrait que nous fait Putnam de linten-

    tionnalit chez Brentano, la rfrence intentionnelle chez lui se prsentecomme une simple relation dimmanence un contenu interne la con-science, donc comme quelque chose dintrieur au sujet, de psychique. Decette faon, dans lincapacitde comprendre comment lesprit et le mondesont relis, lintentionnalit chez lui est souvent interprte comme uneforme de psychologisme et place dans la tradition des philosophies qui serattachent un modle de conscience reprsentative de type cartsien (sans jamais bien claircir si Descartes lui-mme tait un psychologiste point sur lequel nous hsitons). Cette image nous montre une subtilecontinuit, construite par le fil rouge dune thorie de lintentionnalit, et undpassement du matre par llve.

    1H. Putnam,Representation and Reality, MIT, 1988, trad. fr. par C. Engel-Tiercelin,Reprsentation et ralit, Paris, ditions Gallimard, 1990, p. 211, n. 1.

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    Parmi les phnomnologues, ce paradigme interprtatif sest difi,notamment, partir du rapport de filiation entreBrentano et Husserl, au filde la continuit discursive et progressive qui permet dexpliquer loriginedun courant philosophique la phnomnologie parmi les plussignificatifs du XXe sicle. Ainsi, la reprise de la notion dintentionnalit aprovoqu un bouleversement profond dans la philosophie allemande de ladeuxime moiti du XIXesicle, ce qui a conduit la naissance de la phno-mnologie de Husserl, qui a fait de lintentionnalit la marque principale dela conscience et nous en a donn une dfinition gnrale dans la cinquime

    Recherche logique o il fait la distinction entre une notion de conscienceencore psychologique et celle dune conscience phnomnologique pure, quiseule peut tre objet et mme condition, aprs le tournant transcendantal dune science. Cette ligne de pense la plus connue revient souvent,rpte comme une litanie, dans la plupart des introductions la phnomno-

    logie, et elle va imposer lide daccepter le champ phnomnologiquecomme vritable avancement, voire comme amlioration, de la thorie de laconnaissance humaine par rapport au cadre labor par le matre de Husserl,qui reste dans lempirisme, le psychologisme ou le mentalisme, cest--direune thorie de la connaissance toute en faveur dun sujet qui se connat pourlui-mme par lexprience interne et qui est incapable pour celade poser lesbases dune connaissance fonde et objective du monde externe1. Mais cetteimage na rien dauthentique, elle a t cre par Husserl lui-mme. Cest luiqui affirme, toujours dans les Ideen I (1913), que lintentionnalit est aucentre de la phnomnologie 2. Ainsi, place au dbut dune ligne de

    1Par exemple, sur le terme intention : Ce terme a t repris par les philosophesallemands qui se rattachent lcole de Brentano et a t de nouveau rendu trs usuelpar la phnomnologie. Voir notamment E. Husserl, Logische Untersuchungen, II,p. 346 et suiv. De l, il est rentr dans le langage philosophique franaiscontemporain. (Dans A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de laphilosophie, vol. I, Paris PUF, 1988, p. 529.) Brentanos account of intentionalitywas developed by his student Edmund Husserl, who reintroduced the Greek termnoema for that which accounts for the directedness of mental states. (T. Crane, Intentionality , dans Routledge Encyclopedia of Philosophy, vol. 4, London,Routledge, 1996, p. 817.)2 E. Husserl, Ides directrices pour une phnomnologie pure et une philosophie

    phnomnologique(Ideen zu einer reinen Phnomenologie und phnomenologischenPhilosophie, I, 1913), trad. fr. par P. Ricur, Paris, Gallimard, 1950, 84 : Lintentionnalit comme thme capital de la phnomnologie , o Husserl crit,p. 287 : Le concept dintentionnalit, pris comme nous lavons fait dans son

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    dveloppement progressive de la phnomnologie, linterprtation husser-lienne de lintentionnalit a conditionn linterprtation du travail de sonmatre et a en mme temps pris Brentano au pige entre intentionnalit et

    intentionnalisme, psychologie et psychologisme1.

    ampleur indtermine, est un concept de dpart et de base absolument indispensableau dbut de la phnomnologie .1Dans son livre, qui a introduit en France la phnomnologie,E. Levinas cite le nomde Brentano lorsquil explique la diffrence entre matire et qualit de lacte en tantque premire formulation de la distinction entre le nome et la nose dans les Ides,dans des pages o il prsente la nouvelle notion de reprsentation chez Husserl(nouvelle par rapport celle de Brentano). Cf. E. Levinas, Thorie de lintuition dansla phnomnologie de Husserl (1930), Paris, Vrin, 1970, p. 90-94. Le nom deBrentano nest presque pas cit chez Sartre et Merleau-Ponty, bien que laphnomnologie de la perception comme lexistentialisme sartrien aient une detteenvers lenseignement de Brentano. En Espagne, Ortega y Gasset, qui a favoris latraduction de la Psychologie dun point de vue empirique en espagnol, ne leconsidre que comme un simple prcurseur de Husserl (Cf. Ortega y Gasset, Obrascompletas, Madrid, Alianza editorial, 1946-47, V, p. 513-42 ; pour la rception deBrentano en Espagne, cf. S. Sanchez-Migallon, Die Rezeption Brentanos in denspanischsprachigen Landern , dans Brentano Studien, 6, (1995/6), p. 315-322).Ltude de T. De Boerconstitue un exemple de ce paradigme, The development ofHusserls thought, trad. angl. par T. Plantinga, titre orig. Ontwikkelingsgang in hetdenken van Husserl, The Hague-Boston, Nijhoff, 1978. Le rcent ouvrage de J.-F.Lavigne, Husserl et la naissance de la phnomnologie (1900-1913), Paris, PUF,2005, dfend le mme avis : linterprtation dynamique de lintentionnalit chezHusserl (oppose celle, statique, de Brentano) est envisage dans un parcoursorient vers la pratique de la rduction transcendantale qui prside la naissance dela phnomnologie. Or, il serait difficile de nier que linterprtation transcendantalede lintentionnalit est effectivement prsente dans le parcours de Husserl ; mais quecette interprtation de lintentionnalit chez lui soit considre comme progrs parrapport aux Recherches logiques et la psychologie descriptive est discutable, demme quon peut discuter le fait que le tournant transcendantal de Husserl verslidalisme soit jug comme le point culminant de la phnomnologie, dans lamesure o le geste de remplacer les choses par leur sens peut tre considr, aucontraire, comme une route qui ne va nulle part. Dans une optique tout faitdiffrente, et de faon plus problmatique et sans un rapport direct dedveloppement, on peut lire les travaux de J. Benoist, notamment Phnomnologie,smantique, ontologie, Paris, PUF, 1997 ; Id., Les reprsentations sans objet : auxorigines de la phnomnologie et de la philosophie analytique, Paris, PUF, 2001, quiont introduit dans le dbat en France, par une prospective critique et conceptuelle, lerapport entre Brentano et son cole. Pour cette prospective, voir aussi J.-F. Courtine,La cause de la phnomnologie, Paris, PUF, 2007, notamment ch. II: Aux origines

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    Ce genre dinterprtation sappuie sur le prjug selon lequel la no-tion dintentionnalit serait un lment tout fait dcisif dans la philosophiebrentanienne, notion psychologique ensuite corrige et purifie par levocabulaire transcendantal de la rduction et de la constitution phnomno-logique. Il va de soi que cette correction transforme aussi notre rception dela psychologie descriptive, qui devient quelque chose dinachev et dedpass. Au contraire, dans notre entreprise de lire Brentano sans aucun pr-jug, nous devons faire leffort de considrer quau lieudun dveloppementunitaire du concept de phnomnologie, il y a bien en fait deux conceptsdiffrents : la phnomnologie brentanienne, de nature intuitionniste, et laphnomnologie husserlienne de nature constitutive 1.

    Pour ce qui nous occupe ici, la rvision de la conception philosophiquede la nature de lintentionnalit chez Brentano concerne la distinction entre

    Inhalt et Objekt et non pas celle entre Objekt et Gegenstand. En 1874,Inhalt

    et Objekt ont encore un statut ambigu, tandis quaux alentours de 1900-1901,Brentano fait une distinction nette entre les deux(Inhalt Objekt). Avec cettedistinction, il rejettera lide que la rfrence intentionnelle soit une relationdans le sens vritable du mot. Cette ide sest dveloppe en trois tapes, quisont les suivantes :

    1. Jusquen 1874 : le contenu dune pense dpend de la rfrence. Larfrence mentale lobjet tant une relation, ds lors le contenu peuttre aussi bien rel quirrel. (Contenu = Objet Rfrence inten-tionnelle = Relation.)

    de la phnomnologie : Laristotlisme de Franz Brentano . Cf. aussi les travaux deK. Schumann, qui na jamais sous-estim la figure de Brentano par rapport celle deHusserl.1 Nous utilisons ici la notion de constitution au sens phnomnologique, enrelation la notion de rduction , dans le sens notamment de point de dpart de laphnomnologie transcendantale en tant que science, notions introduites par Husserlcomment un objet est donn la conscience et pour faire ainsi de la phnomnologieune vritable thorie de la connaissance, sil est vrai que connatre, cest bienconnatre quelque chose. En revanche, le nom de phnomnologie intuitionniste nous semble mieux caractriser la phnomnologie brentanienne dans la mesure oelle ne se propose pas de raliser une thorie de la conscience, mais o elle nie,au contraire, la possibilit de toute thorie de ce type et vise une simple descriptiondes actes psychiques. Sur la notion de constitution, cf. R. Sokolowski, The Forma-tion of Husserls Concept of Constitution, The Hague-Boston, Nijhoff, 1970. Sur lapossibilit de la phnomnologie comme vritable thorie de la connaissance cf. D.Seron, Thorie de la connaissance du point de vue phnomnologique, Genve,Droz, 2006.

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    2. 1875-1901 : changement du rapport entre le contenu et lobjet (Con-tenu Objet) mme si la rfrence intentionnelle est encore unerelation.

    3. Aprs 1905 : le contenu ne dpend plus de la rfrence lobjet,puisque la rfrence mentale nest plus une relation. (Rfrenceintentionelle Relation). Le contenu se rfre lobjet mais il estmtaphysiquement indpendant de lobjet. (Contenu Objet)

    Montrons donc les postulats thoriques de ce changement si remarquable.

    3. Leprov" ti en tant que schme originaire de la rfrence inten-tionnelle.

    Il arrive parfois, dans lhistoire de la philosophie, que les philosophes aientun mot leur disposition pour un concept, sans quil sensuive nces-sairement quils matrisent lutilisation du concept concern. Lutilisationdun mot ou dun nonc nest pas la preuve de la matrise du conceptcorrespondant. Elle peut tre accidentelle, telle une hirondelle qui apparatpar un jour dhiver1. Le dveloppement dune pense peut emprunter desroutes accidentes et parvenir sa forme accomplie grce un langage quisaffine au fil du temps. Souvent, il arrive aussi que les philosophesmatrisent un concept avant davoir trouv le mot juste qui puisse lereprsenter lesprit. Pour cette raison, ils ont parfois fabriqu un langagediffrent du langage utilis au quotidien pour exprimer leurs ides. Toutefois,il est possible aussi davoir un concept lesprit et de lexprimer par despriphrases ou par dautres concepts, par des mots prexistants. Cest un lien

    difficile que celui qui existe entre concept et paroles, un lien qui restetoujours dterminer. Le concept dintentionnalit chez Brentano en est leparfait exemple. Il est pass par cinq phases. Apparemment, (1) dans unedissertation de 1862, Brentano ne sintresse ni au concept, ni au mot. Maiscomme on le montrera, il les connat dj tous les deux ; il na simplementencore labor aucune thorie ce sujet. Son intrt se concentre sur lamtaphysique plus que sur la psychologie. Ensuite, (2) dans La psychologiedAristote (1867), il matrise bien le concept lorsquil parle de ce qui estobjectif (objectiv) dans le sens, pour expliquer la doctrine aristotlicienne delassimilation de la forme : Du point de vue de la matire, en tant quequalit physique, le froid est dans quelque chose de froid ; par contre, en tant

    1Aristote, thique Nicomaque, 1098 a 18-19 : miva ga;r celidw;n e[ar oujpoiei',oujde;miva hJmevra.

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    quobjet, savoir comme quelque chose de senti, il est dans celui qui a lasensation du froid 1. Mais Brentano ne parle pas dintentionnalit et ilnutilise jamais ladjectif intentionnel . (3) Cest dans la Psychologie de

    1874 que font leur apparition, dans toute leur puissance, aussi bien le conceptque le mot, sauf que Brentano nest pas encore conscient de toute lesrpercussions quun tel concept aura ensuite. Il en fait un usage complexesans voir toutes les consquences que pourrait avoir sa pense. Puis, (4)daprs ses lves et leurs ouvrages, qui sont parus depuis lintroduction duconcept, pendant ses annes denseignement Vienne, il passe par une phasede premire critique et de construction du concept en dfinissant mieux sonutilisation et en remaniant son vocabulaire. Enfin, (5) aprs 1905, il estentirement conscient du concept et des mots pour lexprimer de la faon laplus claire jusquau bout , il acquiert la capacit de voir toutes les implica-tions et consquences de sa position philosophique. Cest pourquoi il rejette

    non seulement sa position prcdente, mais aussi la phnomnologie deHusserl et la thorie de lobjet de Meinong. Bien que, selon certains, lideque lintentionnalit chez Brentano trouve son origine chez Aristote est unfait pratiquement vident, nous ne pouvons pas prtendre comprendre unetelle thorie sans expliquer la raison dun tel phnomne. Or, puisquil ny apas de connaissance sans connaissance du pourquoi et du ncessaire, ds lorsnous restituerons grce aux textes mmes la premire phase de dveloppe-ment de la pense de Brentano, puis nous montrerons de quelle manire il achang davis. Pour mieux introduire et justifier notre interprtation gna-logique du concept dintentionnalit, il importe donc de revenir aux textes.

    Pour la phnomnologie, lacte et lobjet ont une relation rciproque. Rciproque est synonyme de corrlatif , et cette loi dialectique de la

    corrlation, Brentano la apprise dAristote, qui observe : Tous les relatifs(prov" ti) ont leurs corrlatifs : par exemple, lesclave est dit esclave du

    1Cf. F. Brentano, Die Psychologie des Aristoteles, insbesondere seine Lehre vomNous Poietikos. Nebst einer Beilage ber das Wirken des aristotelischen Gottes,Mainz, Kirchheim, 1867 ; Wir gebrauchen den Ausdruck objectiv hier und imFolgenden nicht in dem Sinne, der in neuerer Zeit der bliche ist, sondern in jenem,den die Aristoteliker des Mittelalters damit (mit dem scholastischen objective) zuverbinden pflegten, und der eine sehr kurze und prcise Bezeichnung derAristotelischen Lehre ermglicht. Materiell, als physische Beschaffenheit, ist dieKlte in dem Kalten ; als Object, d. h. als Empfundenes, ist sie in dem Klte-fhlenden. Vgl. De Anima, III, 2, 425 b, 25, wo Aristoteles sagt, dass dasaijqhto;nkat ejnevrgeianin dem Sinne sei [le sensible en acte est dans le sens] , p. 80, n. 6.

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    matre, et le matre, matre de lesclave, etc. 1. Et lorsquil remarque que larelation de ltre lesprit est inverse et na pas lieu de la mme faon quedans la plupart des relations , il faut comprendre quil vient juste de dcrire

    la rfrence intentionnelle comme une vritable relation.

    Si la relation du savoir son objet a une base relledans le savoir, la relationinverse de cet objet au savoir nest manifestement pose que par uneopration de lentendement, et la base proprement dite de la relation demeureen ce cas exclusivement ce qui est ds los admis comme son terme ; lobjet dusavoir nest pas unprov" tiparce quil serait, lui, relatif autre chose, maisuniquement parce que quelque chose dautre est relatif lui2.

    Le concept central pour nous ici, cest la notion aristotlicienne deprov" ti3.Lorsqu la fin de sa vie, Brentano revient sur la nature de lens rationis, ilnous rappelle quAristote est

    le prcurseur de cette thorie, quand il enseigne que dans le cas dunegurison, la sant que procure le mdecin prexiste dune certaine faon dansla pense de ce mdecin, lorsquil distingue aussi trois classes deprov" tietqu propos de la relation entre le pensant et le pens il affirme que le secondterme de la relation nest pas rel4.

    Toute la querelle sur les objets intentionnels, la rupture avec lcole, leremaniement de sa pense, tout trouve ici sa cause premire. Au dbut de sonuvre, Brentano trouve le point de fusion entre laction et la connaissancedans la figure catgorielle de la relation : la relation lobjet. Cest dans cettecatgorie quil trouve la convergence de lthique, de laMtaphysiqueet du

    De anima. La relation est le concept opratoire et stratgique de toute son

    1Cat.7, 6 b 28. Cit par Brentano. Cf. F. Brentano, Von der mannigfachen Bedeu-tung des Seienden nach Aristoteles, Freiburg, Herder, 1862 ; trad. fr. par P. David,Dela diversit des acceptions de ltre daprs Aristote, Paris, Vrin, 2005 (dornavant =MBS), p. 42, n. 18.2Ibidem, p. 42 (nous soulignons). Pour Aristote pensable signifie, en effet, que lapense est relative lui, mais la pense nest pas relative ce dont elle est pense,car ce serait rpter deux fois la mme chose (15, 1021 a 26). Ce passage estessentiel pour comprendre la premire formulation de lintentionnalit chez Brentanoet sa thorie du contenu comme partie relle de lacte.3Sur la notion de relation chez Aristote, cf. J. Vuillemin, Thorie des relationsmixtes , dans De la logique la thologie. Cinq tudes sur Aristote, Paris,Flammarion, 1967, p. 147-163.4F. Brentano, ber ens rationis, dicte 06/01/1917, dans PS, p. 272/379.

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    uvre. Or, malgr labsence dune rfrence explicite lintentionnalit danssa dissertation de 1862, on la retrouve nanmoins au cur du texte, dans lelieu, en effet, le plus adquat sa recherche : lunit conceptuelle des

    catgories par la rfrence lunit et la nature de la relation(prov" ti).Cest dans largument XII, correspondant la thorie de lattribution,

    quon retrouve la preuve dductive de la subdivison des catgories (par ladiffrence entre substance et accident), qui nest rien dautre quune analysede la structure de lintention premire (prima intentio). Cette conclusion peuttre tire de la diffrence entre la dfinition de la substance individuelle, enrelation relle avec ses accidents, et la subdivision de la substance ensubstances premire et seconde, distinction uniquement conceptuelle selonBrentano et qui nimplique pas une division entre des choses rellementdiffrentes mais entre des choses qui nauraient des diffrences que danslintention seconde, comme simples onta hs althes1.

    Voil videmment le point important : la prsence chez Brentano de ladoctrine avicennienne de la double structure de lintention2, quil connatdonc dj avant sa priode dtude sur les commentaires mdivaux Muns-ter avec J.-F. Clemens3. Lintention seconde est un simple signe de rflexion,

    1MBS, p. 186.2Cest Avicenne qui a introduit la distinction entre intentiones primo intellectaeetintentiones secundo intellectae. Si les premires sont des relations de type rel avecun objet externe lesprit, les deuximes sont des relations entre lintellect et lespremires intentions. Par exemple, Duns Scotus affirme, concernant la notiondintentio secunda: Res non est tota causa intentionis, sed tantum occasio,inquantum scilicet movet intellectum, ut actu consideret ; et intellectus est principaliscausa (Super Preaedic. q. 3 n. 4) ; Genus et species quae sunt intentionessecundae (Super. Univers. Porph.q. 8 n. 5), citation tire de M. F. Garcia (d.),Lexicon Scholasticum philosophico-theologicum (1910), Hidesheim-Zurich-NewYork, Olms Verlag, 1988, p. 361. Sur ltymologie arabe de ce terme, K. Gyekye, The Terms Prima intentio and Secunda intentio in Arabic logic , Speculum,46, (1971), p. 32-38 ; sur lintention seconde, voir A. D. Conti, Second Intentionsin the Late Middle Ages , dans S. Ebbensen, R.L. Friedman, (ds.), MedievalAnalyses in Language and Cognition, Copenhagen, The Royal Danish Academy ofSciences and Letters, 1999, p. 453-470 ; Intentio dans J. Ritter, K. Grunder(ds.),Historisches Worterbuch der Philosophie, Bale-Stutggart, 1976, p. 466-474 ;pour une introduction au problme de lintentionnalit au XIIe sicle, on peut lireD. Perler, Thories de lintentionnalit au moyen ge, Paris, Vrin, 2003, et, pour unpanorama plus largi, Id., Ancient and Medieval Theories of Intentionality, Leiden,Brill, 2001.3En fait, Brentano nous apprend que cest Trandelenburg qui la initi ltude deThomas dAquin et de ses commentaires (Cf. F. Brentano, Aristoteles Lehre vom

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    cest pourquoi il la place parmi les tres dans le sens vrai, savoir danslesprit. Les genres et les espces existent seulement dans notre entendement,ils sont dits tres (substances secondes) de la mme faon que le vrai, en

    mode inauthentique. Trendelenburg a donc commis une erreur en remarquantque la division de lousia en substance premire et substance seconde seraitde nature plus relle que celle de lonen catgories 1. Nous pouvons alorsremarquer que si la division entre substance premire et substance secondesappuie sur lintention seconde, la distinction entre substances et accidents,qui est selon Brentano la seule et unique distinction vritable du rel, nestquune distinction de lordre de lintention premire, ou de ce que nousappelons aujourdhuiintentionnalit.

    La rfrence intentionnelle entre lacte et lobjet est quelque chose detout fait rel et nous la retrouvons ici dans la distinction opre dans laclasse des accidents (ce qui est in alio), dans une srie ordonne externe la

    substance.Cest l une distinction qui repose sur la diversit des modes dexistencedansla substance premire sur la diversit des modes de la prdication, etcorrespond par l au fondement dj indiqu de la subdivision 2.

    Remarquons aussi autre chose : pour Brentano, lecteur des catgoriesdAristote, les affections, les inhrences (ejnei'nai inesse) et lescirconstances existent dans le monde en tant que parties dune substance.Tout ce qui existe a donc un lien avec la substance. Tout ce qui nest pas unesubstance, comme la relation, qui est dans lombre de ltre , der Schatteneines Seienden3, peut bien exister par attribution la substance. Or, on relielaccident la substance selon trois type de relation : (1) comme inesse(ejnei'nai= inhrence ; tre-prsent), cest--dire comme quelque chose quiest dans la substance en tant que partie de cette dernire ; (2) comme quelquechose qui se situe en dehors de la substance mais qui reste en contact avec

    Ursprung des menschlichen Geistes, Leipzig, Meiner, 1911 ; nouvelle publicationavec une prface de R. George, Hamburg, Meiner, 1980, p. 1, n. 1). En tout cas, ilacquiert sa connaissance de la philosophie du Moyen ge avec Clemens. Pour lareconstitution de la formation philosophique de Brentano dans le contexte catholiqueallemand de son poque, voir F. Boccaccini, Quasi umbrae entium. Brentano eSurez su lens rationis , dans M. Sgarbi (d), Francisco Surez and his Heritage,Milano, Vita e Pensiero, 2010 ( paratre).1MBS, p. 185.2MBS, p. 143 (nous soulignons).3MBS, p. 147.

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    elle (le mouvement par exemple kivnhsi" agir et subir) ; (3) comme cequi existe en partie au sein de cette substance et en partie en dehors de cettedernire (le temps et lespace, qui dterminent les circonstances, les

    situations temporelles et le lieu de la substance). En ce qui concerne notrerecherche, lintentionnalit se cache derrire la notion dinesse, probablementencore inconsciente de son futur rle de protagoniste du discoursphnomnologique. Le prfixe in- a ici un sens locatif et non existentiel.Inesse = tre dans quelque chose. Toute la problmatique de la vexataquaestiode limmanence de lobjet mental ou de lin-existence intentionnelle(die intentionale In-existenz) trouve ici sa premire formulation, quonretrouvera ensuite dans la Psychologie dun point de vue empirique. Or, sansvouloir faire talage dune rudition inutile, mais afin de donner un fonde-ment notre propos, nous soulignons limportance du concept dejnei'naiquimriterait bien dtre approfondi. Ce que nous pouvons ajouter, mais sans

    nous attarder sur ce point, cest que ce premier mode dexistence de la partieexterne de la substance par la relation dinhrence devient dune importancestratgique et va dterminer toute lontologie des qualits secondes lescouleurs, les odeurs, les sons et des nombres, cest--dire les catgories dela qualit et de la quantit. En examinant lanalyse que Brentano fait descatgories dAristote, un objet dtude ardu, deux choses au moins appa-raissent clairement : lesquisse dune premire ontologie dinspiration no-platonicienne dans la division entre en soi et en autre chose , et toutela difficult que prsente le statut ontologique de la relation (prov" ti), quiest la fois essentiel, ambigu et mal dtermin. Quel est le sens de lex-pression lombre de ltre dfinition du statut ontologique de larelation , si fascinant et obscur ? La relation existe-t-elle ou non ? Question

    tout fait dcisive, tant donn que la simple rponse ngative cettequestion conduira Brentano la rupture avec sa premire formulation de larfrence intentionnelle et, en consquence, avec les thories de ses lves.

    Point nest besoin ici dentrer dans le dtail de la dduction, mais ilfaut restituer toute la proccupation brentanienne et son attention la genseontologique des catgories pour comprendre limportance rtrospective de cepoint sur la condition de possibilit du concept de rfrence intentionnellecomme relationmentale quelque chose.

    4. Immanence, inhrence, attribution

    Ce qui retient notre attention, dans la prospective de sens prcise, cestuniquement le rapport entre la gnralit catgorielle et la notion dtre dans

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    sa dfinition qui transcende les catgories. Cest un point dont nous voulonsvraiment souligner limportance dans le processus de la naissance de lathorie de la rfrence intentionnelle, dans la mesure o le problme de la

    transcendance de lens se mle la thorie de la connaissance de lobjetpremier de notre cognition, question qui va aboutir de faon naturelle lapsychologie dAristote, lieu de la premire formulation, en effet, de la thoriede l objectit mentale en tant qu immanence de lobjet dans lesprit.Mais il faut bien remarquer que la structure de lintentionnalit ne se rduitpas un contenu mental. Pour contrer lide selon laquelle la gense de larfrence intentionnelle se trouve dj dans la Psychologie dAristote (1867),nous voulons dmontrer que cest l, sur le plan mtaphysique de sa premirerflexion, quon dcouvre la premire formulation du problme de larfrence intentionnelle, mme si ce nest que dans un langage appartenantplus lordre de ltre qu celui de lesprit. La premire structure de

    lintentionnalit est forge sur la relation dinhrence entre la substance etlaccident. Puis, en passant par lanalyse de la psychologie dAristote, cetteformulation de la rfrence intentionnelle va se mler la relation dimma-nence psychique, jusqu la malheureuse nonciation, dans la Psychologiede1874, dune double nature, comme direction (Richtung) et comme objectit(Gegenstndlichkeit). Mais Brentano nest pas encore tout fait conscient decette confusion lpoque. Son point de vue changera compltementlorsquil verra la cause de son erreur et ses dangereux effets. Afin derecentrer notre discours, prcisons que Brentano nutilise jamais dans sonuvre le substantif Intentionalitt, mais plutt ladjectif intentionnel ,pour dcrire une modalit, aussi bien dans le cas du terme inexistenceintentionnelle , que dans celui de rfrence intentionnelle (intentionale

    Beziehung). Dans le premier cas, nous retrouvons le sens latin du motinhabitatio, pour tous les cas de phnomnes mentaux qui dtiennent laproprit de linhrence (Einwohnen) mentale. Inhabitatio que Brentanoexprime par le mot Inhaben. Cest lexpression qui caractrise le contenu(Inhalt). La rfrence est rfrence un contenu. La consquence de cetteposition mtaphysique o au rapport dinhrence entre la substance etlaccident correspond, sur le plan logique, le rapport dattribution dunprdicat au sujet va conditionner, sur le plan psychologique, la relationdimmanence de la forme par rapport la matire, relation qui est la seule tre une vritable relation psychique . Lide de Brentano est que toutcomme la proprit rouge est inhrente une chose, lobjet pens est enrelation avec lobjet rel. La rfrence intentionnelle et la notion de contenu

    sont donc strictement relies. Si lune varie, lautre aussi. Pour le premierBrentano, dans la proposition le chat est rouge , on pose le prdicat dune

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    qualit du chat : la rougeur. Lintentionnalit tant envisage comme unerelation relle, ce jugement implique aussi bien lexistence du chat, du fonde-ment (Fundament) de la relation, que la rougeur du chat en tant que corrlatif

    (Terminus). Les attributs ou proprits sont, au sens logique, les prdicats dela substance premire, savoir du chat. Sil y a un ballon rouge ct duchat, on a donc deux objets qui partagent la mme proprit. Cette propritnappartient, en tant que proprit individuelle, ni au chat, ni au ballon, ellepeut donc bien tre le prdicat dautres substances. Cest pourquoi elle estuniverselle. Par contre, le sourire du chat ou la position du ballon danslespace sont des attributs ou accidents non universels (Cat.2, 1 b 6), car ilsne peuvent tre prdicats que de la substance avec laquelle ils entretiennentun rapport dinhrence. Seul ce chat peut avoir ce sourire, seul ce ballon peutoccuper cette partie de lespace ce moment prcis. Dans les cours deVienne, Brentano formule sa premire thorie de la catgorie psychologique

    de lobjet qui ntait pas encore prsente dans saPsychologie.

    Cettenouvellethorie aboutit la distinction entre psychologie gntique et psychologie

    descriptive1.Brentano distingue deux sortes de parties : les parties sparablesdans la ralit et les parties distinctives, savoir sparables seulement par lapense. Les premires sont aussi appeles parties physiques, tandis que lesdeuximes sont dites logiques. Or, la condition pour quune partie soit relle-ment sparable est que lobjet et sa partie aient chacun une existenceindpendante aprs la sparation. Par exemple, une queue est une partiesparable dun chat. Brentano distingue ensuite sparabilit unilatrale etsparabilit rciproque. Les actes mentaux sont identifis des partiessparables de faon unilatrale par rapport la conscience et de faonrciproque entre eux. Nous pouvons bien la fois voir une chose et entendre

    une autre chose et continuer dentendre mme lorsque nous cessons de voir.Toutefois, ces deux actes sont fonds sur la conscience car ils ne peuventexister dtachs de cette dernire. Ce type de relation est valable aussi entrecelui qui pense (der Denkende) et le contenu pens. Le corrl de lacte estune partie sparable unilatrale. Si nous revenons notre exemple, la rougeurdu chat est pense comme partie sparable, par analogie justement unepartie physique. Le chat est un reale, la rougeur est unirreale. Mais la pensepeut les viser tout les deux : le chat est lobjet de mon acte, la rougeur peutdevenir le contenu (comme dans le jugement A existe , dans lequel A est lobjet du jugement et lexistence en est le contenu). Brentanoreconnat ensuite lerreur suggre par le langage en observant que la rougeur

    1 Cf. F. Brentano, Meine Letzen Wnsche fr sterreich, Cotta, Stuttgart, 1895,p. 84.

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    du chat ne peut jamais, en aucune faon, tre la partie dune chose, mmedun point de vue uniquement logique. Si on affirme que luniversel rougeur est la partie dun chat, il sensuit par consquent que les concepts

    sont des parties relles des objets. Mais cela est une forme de platonisme queBrentano rcuse. Cest, en rsum, lorigine de la thorie du contenu commepartie relle de lacte, thorie ne dune confusion entre immanence psy-chique et inhrence relle. La consquence en sera la ngation sans conces-sion de nimporte quelle relation entre la rougeur du chat comme contenudune reprsentation et le chat rouge que nous avons devant nous.

    5. La distinction entre contenu et objet : la dernire phase

    Brentano ne voit donc pas de diffrence entre les termes exister et tre , mme si le langage ordinaire peut justifier cette distinction lorsquilfait la distinction entre les verbes sein, bestehen, existierenet les expressionses gibt, es kommt vor. Plusieurs philosophes, comme Bolzano et Meinong,ont tir de cela une variation bizarre de la thorie de lacception de ltredAristote. En ralit, Brentano lui-mme a laiss subsister une ambigut quise retrouve dans la notion de contenu. Il avait interprt dabord le contenudune pense comme partie sparable unilatralement de lacte. Ce queBrentano veut dire de toute faon lorsquil affirme que lintentionnalit est lesigne du mental (Merkmal des Mentalen), cest quun acte mental en tant quetel doit se rfrer un contenu et tre dirig vers un objet (dieBeziehung aufeinen Inhalt, dieRichtung auf ein Objekt).

    Le contenu nest pas une entit. Quest-ce quun contenu ? Le concept

    de contenu, chez Brentano, se confond souvent avec lobjet immanent. Et cedernier est souvent considr comme un intermdiaire pour se reprsenterlobjet transcendant. Ds lors, le contenu est quelque chose qui se situe lintrieur de lesprit, de telle sorte que celui-ci reste dgag du monde. Maisnous pensons que ce ntait pas l lide que Brentano voulait exprimerlorsquil a repris son compte la notion de rfrence intentionnelle. Dans unelettre son lve A. Marty (date du 17 mars 1905), il prcise dailleurs quilfaut toujours discriminer, de la faon la plus claire possible, entre contenu etobjet immanent dune reprsentation. Si dans notre pense nous contemplonsun cheval, notre pense a pour objet immanent un cheval et non pas uncheval en tant que pense. Et au sens strict, seul le cheval peut tre appelobjet, pas le cheval pens.

    Lobjet immanent est donc le cheval rel et peru, tandis que lecontenu est le cheval pens (gedachtes Pferd). Dans ce cas-l, Brentano est

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    trs clair : lobjet immanent nest pas dans lesprit. Die Vorstellung hat nicht vorgestelltes Ding , sondern das Ding . Dans sa lettre, il exclutgalement la possibilit de reconnaitre une valeur ontologique aux notions

    dUrteilsinhalt, de Satz an sich, dObjektiv et deSachverhalt, qui sont tousdes corrls objectifs du jugement , ou encore des Korrelativ dans laphnomnologie de Husserl. Le terme dimmanence ne concide donc paschez Brentano avec celui de mental ou de psychique. Nous voudrionsdailleurs attirer lattention sur ce que nous estimons tre la significationfocale de la philosophie de la pense de Brentano : limmanence nest pasquelque chose dintrieur celui qui pense ou se rfre au monde. Ce queBrentano appelle die immanente Gegenstndlichkeit ou, plus simplement, objet immanent est lobjet extrieur saisi par la perception interne. Dunecertaine faon, lobjet immanent nest ni lintrieur, ni lextrieur de nous.Souvent, Brentano utilise, pour claircir ce point, la notion aristotlicienne

    daisthsis

    , comprise au sens dune assimilation de la forme dpourvue dematire. Tous les tres, observe Aristote dans les Seconds Analytiques, ontune capacit inne faire des discriminations, capacit quil appelle per-ception . Cette capacit, chez Brentano, est dsigne par le terme remar-quer (bemerken) et place la base de sa mthode dans le cours depsychologie descriptive. Dans ses recherches sur les paradoxes optiques deMller-Lyer dans la Sinnespsychologie, Brentano remet en question lideque lillusion est un fait li au sens ou la connaissance de lobjet. Lorsquenous revoyons les lignes aprs les avoir mesures, en sachant donc quellessont identiques, notre vision ne sen trouve pas corrige, nous continuonsencore les voir comme diffrentes. Cest pourquoi il y a une intelligence dela perception qui ne rside pas dans les concepts et nest pas non plus une

    simple donne de la sensation non plus. Lobjet, en effet, ne change pas. Cequi change, cest le contenu de lexprience. Pour Brentano, la perception estune acceptation (Anerkennung) et les verbes utiliss dans ses cours sont faire lexprience de (erleben), remarquer (bemerken), fixer (fixiren). Ce sont toutes des notions cognitives. Le contenu de lexprienceest indpendant de lobjet de la perception. Nous pouvons donner un autreexemple qui dmontre bien la position internaliste de Brentano :

    Si on prtend que nous pouvons connatre comme immdiatement videntelexistence de nimporte quel objet loign avec lequel nous naurions aucunrapport, par exemple un caillou dans une rue de Pkin, et quil y auraitcontradiction admettre que ce caillou nexiste pas, que se passera-t-il alors si

    le caillou est enlev de cette rue ? Celui qui enlverait le caillou ne serait pasen mesure dagir sur moi et ainsi mon comportement psychique ne serait

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    aucunement modifi. Je continuerais donc affirmer comme nagure quil y aun caillou dans la rue de Pkin. Mon jugement ne serait aucunement modifiet continuerait se prsenter comme vident. Si lon refuse cette cons-

    quence, il faudra reconnatre alors que la prsence effective du caillou dans larue de Pkin a conditionn le jugement vident que je porte sur cette pr-sence, ou bien que cest linverse mon jugement qui a conditionn laprsence du caillou1.

    Si on soutient que le contenu dpend dune relation de type mental lobjetexterne, alors en modifiant lobjet, on modifie aussi le contenu. Mais quelpouvoir causal un caillou dans une rue de Pkin peut-il avoir sur mon juge-ment ? Une correspondance relle entre le contenu et lobjet est rcuse et ilny a aucune dpendance ncessaire entre le contenu dune reprsentation etson objet. Un contenu se rfreau monde (relation smantique), mais il nendpendpas (relation mtaphysique).

    6. Lesprit et le monde

    La clbre formule dAristote Pavnte" a[nqrwpoi tou'eijdevnai ojrevgontaifuvsei au dbut du premier livre de la Mtaphysique (980 a 21) revientsouvent dans les crits de Brentano et accompagne toute sa rflexion. Dans laConfrence sur lthique, en 1889, elle occupe une place particulire.Brentano traduit lincipit aristotlicien par Alle Menschen begehren von

    Natur nach dem Wissen: Tous les hommes aspirent, par nature, au savoir. Au centre, il place la notion d aspiration , de dsir (Begehr). Et il ajoute : Il sagit dun plaisir (Gefallen) de cette forme suprieure qui est lanalogon

    de lvidence dans le domaine du jugement , cest--dire aussi celui de lalogique. Le commentaire le plus clair de ce postulat se trouve au dbut de sonAristoteles und seine Weltanschauung (1911), un ouvrage consacr laphilosophie dAristote quil avait publi de son vivant. Il sagit donc non pasdune note ou dun fragment de texte mais bel et bien dun ouvrage accompli(quon peut considrer aussi comme une introduction la philosophie deBrentano2, ou, au moins, ses principes). Aprs avoir prsent la vie etluvre du Stagirite, le premier concept de sa philosophie qui y est analysest celui de Weisheit, la sophia(sofiva). Brentano introduit la question de laconnaissance (Erkenntnis) par la notion de sagesse. La Weisheit est la

    1PS, p. 7/389.2 Cf. R. M. Chisholm, Einleitung dans F. Brentano, Aristoteles und seineWeltanschauung, Hamburg, Meiner, 1977, p. VII.

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    sapientia des Latins1. Or, la sofivaest une notion plus vaste que celle de laconnaissance. En effet, elle se manifeste dans un acte de connaissanceimmdiate. La sagesse, crit Brentano, consiste dans la connaissance dune

    ncessit immdiate et de la connaissance indirecte par la directe. Danslthique Nicomaque, Aristote exprime cette pense par les mots : la sofivaestnou'" kai;ejpisthvmh2. Il va de soi que linterprtation de Brentano est,dans les grandes lignes, identique celle de Thomas dAquin, qui considreque cette conception de la sapientianest rien dautre que ce quon appellera philosophie premire ou mtaphysique et, par la suite, sera identifi lathologie. En effet, Brentano considre lui aussi le livre de la Mta-

    physique comme la partie la plus importante des crits dAristote sur lesprincipes de la connaissance, partie qu son avis le philosophe grec a laisseinacheve. Quoi quil en soit, alors que Brentano explique son lecteur cequil entend par sofiva, il introduit la praktische Klugheit, savoir lafrovnhsi"

    . Le concept central de la connaissance chez Brentano sige dans lasofiva, selon la dfinition quen donne Aristote dans le livre VIde lthique Nicomaque. Les produits de la frovnhsi" ne sont pas des objets ou desthories, mais plutt des actions. On dira des actes. Et la matire de ces actesest soit intuitive, soit conceptuelle. Le point essentiel est ce rapprochement :nou'" kai; ejpisthvmh. La sagesse est intuition et concept, ou en dautres

    mots : lintuition est la forme de la connaissance directe, alors que les con-cepts sont la forme de lindirect.

    La connaissance et laction sont, chez Brentano, au centre de la rela-tion entre lesprit et le monde. Le monde colle avec lesprit dans laction,

    1Pour la notion de sofiva, cf. Aristote,Mtaphysique, A 2, et thique Nicomaque,VI, 7, 1141, a, 18. Brentano observe : La connaissance du pourquoi va plus loinque la simple connaissance du que. Parmi ceux qui recherchent le pourquoi, celui quidpasse les causes prochaines pour atteindre jusqu des causes plus lointainesslve un plus haut rang. Au plus haut rang de tous est celui qui arrive connatrela Cause premire, ncessaire par elle-mme. On la appel un sage et le nom desagesse dsigne la plus haute de toutes les vertus intellectuelles. Mais est-il vraimentpossible aux hommes datteindre cette sagesse ? On doute souvent, non seulementde la possibilit dexpliquer les faits par rfrence leur cause premire, mais mmepar leurs causes prochaines, voire de les connatre eux-mmes de faon sre. Il fautdonc commencer toute thorie de la sagesse par lexamen du scepticisme. Dans PS,1/385, n. 1, dicte M 12, 16/11/1915.2F. Brentano,Aristoteles und seine Weltanschauung, op. cit., p. 22 : Die Weisheitbesteht in der Erkenntnis des unmittelbar Notwendigen und der Erklrung desmittelbar Notwendigen aus him, was Aristoteles in der Nikomachischen Ethik mitden Worten ausdruckt, die sofivaseinou'" kai;ejpisthvmh.

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    lesprit colle avec le monde dans la connaissance. Mais lorsque le monde etlesprit tombent dans un rapport de discorde, nous avons alors un rsidu dedsir. Par contre, lorsque la discorde disparat, ce qui reste nest quun rsidu

    de croyance1. La croyance et le dsir surgissent lorsque le monde et lespritratent leur rencontre et ils nous conduisent la connaissance et laction. Il ya connaissance aussi bien dans le domaine de la logique, que de lthique. Lanature de la connaissance du vrai et du faux et celle du bien et du mal sont,pour Brentano, strictement lies. Cette vision du bien et du vrai estdfinie, elle aussi, par lunit de ces concepts dans un mode opratoire nonaristotlicien. En conclusion de notre analyse, nous soulignerons ce rapportafin de comprendre le discours gnral de Brentano, car isoler une partie dutableau ou en effacer une autre obscurcit la vision et la comprhension dutout. Ainsi, la question de la nature du bien est symtrique celle, pist-mique, de la connaissance du monde, mme si la connaissance morale nest

    pas une connaissance du vrai ou du faux, mais plutt une dlibration cor-recte. Cependant, elles proviennent toutes deux de lobjet mme de notredsir (cf., 7, 1072 a 29). Leur point commun est la notion deRichtigheit.

    Brentano avait dj comment les mots dAristote dans sa dissertationsur les acceptions multiples de ltre, dans un passage consacr la vrit :

    De mme que le bien est ce quoi tend la volont, le vrai est ce sur quoilentendement se rgle comme sur son but. Seulement, il y a entre les deuxcette diffrence que si la volont ne gagne ce quoi elle aspire et ne trouve sasatisfaction que si lobjet de son aspiration subsiste en ralit en dehors delle,lentendement natteint son but, au contraire, que si lobjet de son activit agalement acquis une existence en lui2.

    La pense nest quune action intellectuelle, pareille laction morale, quicontient en son centre la notion dharmonie. Mais la notion dber-einstimmung nest pas simplement une description suggestive de lamcanique de lme humaine. Il sagit dune question classique en philo-sophie, celle du ralisme. Le but poursuivi par lune est aussi son objet,tandis que le but poursuivi par lautre est la connaissance de son objet et setrouve par consquent dans lesprit lui-mme3. Cest pourquoi, daprsBrentano, le vrai et le faux chez Aristote ne sont pas dans les choses, le bientant le vrai et le mal le faux, mais dans lentendement (E 4, 1027 b 20). Lachose dsire, lobjet aim, sont en dehors de lesprit. La vrit, en revanche,

    1Cf. T. Williamson, Knowledge and its Limits, OUP, 2000, p. 1.2MBS, p. 43.3Ibid.

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    se trouve dans lesprit qui connat. Lesprit connat la vrit dans le jugement.Cest dans la structure du jugement que se manifeste la vrit. Mais unjugement vrai lest par rapport quelque chose qui le rend vrai. En conclu-

    sion, chez Aristote, selon Brentano, le concept fondamental de la vritdemeure toujours celui de ladquation de lesprit qui connat et de la chosemme. Cest la chose qui rend le jugement vrai, jamais le contraire. Ce nestpas parce que nous croyons vraiment que quelquun est blanc, quil lest1,lisons-nous en 10, passage que Brentano commente ainsi : Lharmonieou la disharmonie entre notre pense et les choses ne change strictement rien ce quil en est de celles-ci, elles sont indpendantes de notre pense, qui leslaisse intactes2. Cest le modle de ladaequatio. Il formulera sa thorie delvidence par opposition ce modle. partir de l, on retrouve toute laproblmatique brentanienne du rapport entre lesprit et le monde dcrit par lanature de la relation. La phnomnologie, en dernire analyse, est une thorie

    de la connaissance fonde sur la notion de conscience. Elle a cherch, sesdbuts, faire une analyse correcte du phnomne de lintentionnalit aumoyen de notions plus simples comme celles dacte, dobjet et de contenu.Brentano lui-mme, dans ses cours de Vienne, estimait que la consciencentait pas un phnomne simple mais complexe et riche de relations 3. Lanotion dintentionnalit se prsente donc comme dcomposable. Nous pen-sons que cette ide sappuie sur lidentification errone entre rfrence inten-tionnelle et relation relle dont nous avons parl ici. Si nous examinons lesderniers crits de Brentano, lorsquil fait basculer sa thorie avec lide quela rfrence psychique nest pas une relation relle, pouvons-nous encoreaffirmer le caractre structur de lintentionnalit ? Les notions dacte, de

    1Le passage aristotlicien sur la nature du Premier Moteur nous parat dcisif pourcomprendre le ralisme qui constitue larrire-plan de toute la philosophie deBrentano. En effet, il illustre bien le couple transcatgoriel bonum/verum etlidentification de ces deux concepts en tant quobjets situs en dehors de la pense :Cest bien ainsi que meuvent le dsirable et lintelligible : ils meuvent sans tre mus. Le suprme Dsirable est identique au suprme Intelligible. [] Nous dsirons unechose parce quelle nous semble bonne, et pas le contraire. Le principe, cest lapense. Or lintellect est m par lintelligible, et la srie positive, la substance desopposs, est intelligible en soi. (Trad. J. Tricot, , 7, 1072a 26-34).2MBS, p. 42.3Cf. F. Brentano,Deskriptive Psychologie, hrsg. und eingeleitet von R. M. Chisholmu. W. Baumgartner, Hamburg, Meiner, 1982, p. 10 : Wir sagten, die Psychognosiesuche die Elemente des menschlichen Bewusstsein und ihre Verbindungsweisen zubestimmen, darin liegt eingeschlossen, dass das Bewusstsein etwas sei, was aus einerVielheit von Teilen bestehe.

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    contenu et dobjet, telle que la phnomnologie orthodoxe les conoit, sont-elles vritablement antrieures lintentionnalit ? Avec cette recherche,nous avons cherch remettre en question ce prsuppos qui nous parat

    injustifi.