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Interview croisée : les élèves de l’ENA et les PME · PDF filePouvez-vous nous dire e qui vous amène à proposer aux élèves de l’ENA des stages en entreprise ... entepise

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Interview croisée : les élèves de l’ENA et les PME innovantes

Interview de Nathalie Loiseau, directrice de l’ENA Pouvez-vous nous dire ce qui vous amène à proposer aux élèves de l’ENA des stages en entreprise au sein de PME/ETI innovantes ? Cela fait maintenant plusieurs années que l’ENA demande à ses élèves de réaliser un stage en entreprise. Au fil des ans, l’ENA a évalué la qualité des stages offerts aux élèves et ce qu’ils en retenaient. On attend des stages que les élèves connaissent la réalité de l’entreprise et l’impact de l’action publique sur le secteur privé. Partant de ce constat et de cette attente, il nous a semblé intéressant d’aller vers des PME et ETI performantes et innovantes pour être au plus près des réalités de l’entreprise et non pas de limiter la réalisation de stage au sein de grands comptes. Nous avons initié cette action en 2014 et c’est une des raisons pour lesquelles des élèves de l’ENA réalisent leur stage dans des entreprises du Comité Richelieu.

Quel impact ces stages ont, selon vous, sur le sens de l’Etat que développent les élèves de l’ENA ? Les élèves de l’ENA sont dans une école de Service public et se destinent à être les serviteurs de l’Etat. Il est très important qu’ils prennent conscience dès leur formation que l’action publique et l’intérêt général ne sont pas des monopoles d’Etat. Pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer une politique publique, il faut dialoguer avec ceux auxquels elle s’adresse ; les entreprises et le secteur associatif notamment. Il est essentiel d’avoir à chaque instant le réflexe de connaitre les attentes et préoccupations de ceux à qui s’adresse l’action publique. Le renforcement du lien de l’Etat avec le monde des PME innovantes signifie-t-il que l’Etat et l’administration changent profondément ? Il convient d’aller dans deux directions. La première consiste à concevoir l’action publique, non pas du haut vers le bas ou de l’Etat vers les citoyens mais dans le dialogue et la co-construction avec les parties prenantes de tous les secteurs. La deuxième relève d’une attente des élèves, de l’administration et des entreprises : casser les cloisons en évitant les clivages dans lesquels la France appauvrirait sa réflexion et son action. Je rappelle que la période des Trente Glorieuses a été marquée par un dialogue important entre secteur public et secteur privé. Il y a une attente forte. Plutôt que de mal se connaitre, se critiquer ou bien encore se faire des reproches, il faut être capable de dialoguer et de travailler ensemble. Vers quels modèles nous dirigeons nous selon vous ? L’ENA a la chance formidable d’avoir un défi à relever : former des élèves pour des métiers en pleine transformation. Il ne s’agit pas d’une école qui se contente de transmettre du savoir existant. Il s’agit d’une école qui aide les élèves à travailler dans un monde qui se transforme vite et de les former à des métiers qui évoluent profondément. Notre mission n’est pas d’apporter des bonnes réponses aux questions qu’ils se posent mais de leur apprendre à se poser les bonnes questions, à innover et à

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concevoir les politiques publiques autrement que par le passé. Parler de modèles serait présomptueux et probablement inefficace. Il y a une forme de réinvention de l’action publique qui est en cours et à laquelle les fonctionnaires que nous formons ont la charge de participer.

Comment peut-on créer davantage de liens entre l’ENA et les PME/ETI ? Doit-on se limiter aux seuls stages pour les élèves ? Le stage est un passage intéressant mais par définition toujours trop court. On a veillé à le construire afin qu’il apporte une valeur ajoutée mesurable pour les stagiaires comme pour ceux qui les accueillent. Nous demandons par exemple aux élèves d’évaluer les conséquences d’une mesure normative adoptée au niveau législatif, réglementaire ou européen sur la vie de l’entreprise et le cas échéant de proposer une simplification. Il s’agit d’une démarche qui renforce la consistance du stage. J’ajoute que, pour connaitre l’entreprise, il est important de faire entrer les élèves dans l’entreprises mais également de faire entrer l’entreprise dans l’école. Nous invitons des représentants d’entreprises à intervenir au sein de l’école et aux côtés des collectivités et d’élus sur des problématiques liées à leur place sur le territoire. Nous les sollicitons également pour évoquer leurs stratégies de développement dans le cadre de la mondialisation ou encore face à la nouvelle économie. Dans cet esprit, nous organisions récemment une rencontre avec des start up afin que ces derniers parlent avec les élèves de leurs modèles économiques, de leurs attentes, de leurs besoins et de leurs projets. La réforme de la scolarité à l’ENA a-t-elle pris en compte ce sujet ? Nous avons veillé à coucher dans les textes ce que nous avions expérimenté dans les faits et nous constatons que la diversification des lieux de stages vers des PME et ETI performantes est une évolution qui fait consensus. L’idée générale est l’ouverture. L’ouverture vers les enjeux internationaux, vers les différents échelons de décisions et d’action publiques au-delà de l’Etat et l’ouverture vers le secteur associatif et les entreprises ; grands groupes, ETI et PME.

Comment jugez-vous la sensibilité à l’innovation des étudiants de l’ENA ? Une politique spécifique est-elle mise en place au sein de l’ENA ? Je ne parlerai pas d’une quelconque sensibilité propre aux élèves de l’ENA car je ne souhaite pas généraliser lorsque je parle des élèves de l’ENA qui sont tous différents. En revanche ce que je peux assurer c’est que l’innovation publique fait partie des axes de la nouvelle scolarité : apprendre à concevoir et mettre en œuvre différemment les politiques publiques et ne pas se contenter de mettre en œuvre ce qui a été fait depuis des décennies. Nous travaillons sur les designs des politiques publiques à travers des partenariats car nous avons la conviction que l’innovation vient de regards différents portés sur la manière d’envisager l’action publique.

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Interview de Jean-Pierre Gérault, président du Comité Richelieu Qu’attendez-vous de la rencontre des représentants de la haute administration de demain et des entreprises innovantes de France ? Premièrement, j’attends une véritable évolution des politiques publiques, de leur appréhension et de leur mise en œuvre qui soit favorable in fine à un renforcement de la compétitivité de notre pays appuyés sur la croissance des entreprises innovantes françaises (start up, PME et ETI). Cette évolution peut et doit être le résultat de tout ce qu’implique plus de dialogue qui engendre une meilleure compréhension des enjeux de chacun qui elle-même débouche sur de la confiance et le souhait d’avancer ensemble. L’initiative de stages d’élèves de l’ENA au sein de PME et d’ETI innovantes vise à atteindre ce résultat. Deuxièmement, je souhaite que ce moment concret d’échange au sein de l’entreprise soit utile à divers égards pour les parties prenantes, stagiaires et chefs d’entreprise. Sur le plan de la formation, le stagiaire est sensibilisé aux problématiques quotidiennes de la PME (accès au marché, trésorerie, financement, marges, management, business model) et aux enjeux de l’innovation pour les entreprises qui souhaitent renforcer leur compétitivité. Troisièmement, je souhaite que le chef d’entreprises retrouve de la confiance dans l’avenir des politiques publiques en côtoyant un stagiaire brillant, qui incarne la haute administration de demain et qui, par son choix de stage, manifeste une volonté claire de comprendre les enjeux du monde des PME et des ETI dans un contexte de crise et de bouleversement des modèles établis. Dans quelle démarche s’inscrit cette action ? Cette action s’inscrit dans le cadre du Pacte Innovation qui constitue autant un modèle de pensée, une stratégie que l’axe désormais central de l’action du Comité Richelieu au service des entreprises innovantes. Le Pacte Innovation par du constat qu’il existe aujourd’hui de l’incompréhension, de la méfiance parfois, des difficultés en tout état de cause dans les relations entre les acteurs de l’écosystème de l’innovation parmi lesquels nous comptons les grandes entreprises, les acteurs du financement, la recherche publique mais aussi la haute administration et les PME. Après le soutien actif apporté par le Comité Richelieu à la mise en place de la médiation de l’innovation en 2014 et le lancement des forums PME et innovation dans une optique d’accès au marché des produits innovants, l’initiative engagée par Nathalie Loiseau est très favorablement accueillie par le Comité. Cette démarche constitue finalement le point de départ intéressant d’une amélioration des relations entre les entreprises innovantes et la haute administration. Quel message souhaitez-vous transmettre aux stagiaires de l’ENA, à l’ENA et à l’Etat à travers cette action ? Notre message aux stagiaires de l’ENA et à l’école est simple. Ils représentent des atouts intellectuels indéniables pour notre pays et des potentiels précieux de compréhension des enjeux de notre pays, du monde et des fonctionnements complexes. Nous les invitons, par le biais de leur enseignement et au sein des entreprises du Comité Richelieu, à dispenser, pour les uns, et à percevoir, pour les autres, avec justesse et très concrètement l’impact de l’innovation au service du renforcement de la

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compétitivité de la France. A termes, nous attendons de la haute administration qu’elle intègre utilement les enseignements tirés de cette démarche dans la définition des politiques publiques de demain. A l’attention de l’Etat, notre message est tout aussi clair : il est temps de prendre pleinement en compte la dimension de l’innovation dans tous les secteurs de l’économie et non pas de la réduire excessivement à la seule notion de Start up ou au seul au numérique, qui est extrêmement important mais auquel l’innovation ne se résume pas. L’innovation est le moyen d’améliorer sa compétitivité, pour toutes les entreprises et le fait de l’avoir restreint, en terme ministériel, au seul numérique montre bien le décalage entre le champ politique et la réalité économique. Les entreprises innovantes accueillent les élèves de l’ENA. Nous souhaitons que l’Etat s’ouvre davantage aux entreprises innovantes et accélère le mouvement d’augmentation de ses achats publics innovants dans l’esprit de l’action engagée avec l’objectif de 2% d’achats publics innovants à horizon 2020. Faut-il aller plus loin dans cette action ? Par quels moyens selon vous ? J’apprécie la politique de formation de l’ENA et de sa directrice qui ouvrent les portes des entreprises innovantes à ses élèves et qui ouvrent les portes de l’ENA aux entreprises. Nous sommes intéressés par une intensification de ce mouvement. Pour aller plus loin, il nous semble pertinent d’étudier, dans le cadre de la formation continue, un programme à destination des hauts fonctionnaires de l’administration centrale et des collectivités afin de les sensibiliser aux enjeux du développement d’une entreprise d’innovation et de croissance à commencer par la problématique des achats innovants.

Interview d’Eric Boulay, PDG d’Arismore Pourquoi accueillir un stagiaire de l’ENA destiné à l’administration dans votre entreprise ? Pour rapprocher deux cultures qui gagnent à se connaitre et à s’enrichir mutuellement. C’est l’occasion pour le stagiaire de l’ENA de comprendre l’écosystème dans lequel une PME innovante évolue, d’évaluer ses relations avec les grands groupes et l’administration, ses forces et les entraves qui limitent le nombre d’ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) en France. En retour la PME bénéficie d’un regard extérieur de grande valeur, voire d’une analyse d’expert pour décrypter certains aspects de l’administration ou de la politique publique au niveau français ou européen. Dans le cas d’Arismore, PME innovante dans le domaine de la transformation numérique et de la sécurité, ce stage permet également de compléter la compréhension des enjeux du numérique au niveau sociétal (nouveaux usages, mobilité, réseaux sociaux…), économique (business modèles liés au numérique, enjeux capitalistiques et risques d’innovation) et politique (stratégie voire souveraineté nationale et européenne dans un secteur d’avenir stratégique). Par ailleurs, un stage en PME est une occasion unique de parcourir et de comprendre en 3 mois l’ensemble des fonctions vitales d’une entreprises (finances, vente, marketing, production, R&D et juridique) au service de son business model et sa stratégie.

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Quelle a été la plus-value de la présence de ce stagiaire au sein de votre entreprise ? / Quelles sont ou doivent être, selon vous, les principales qualités d’un stagiaire de l’ENA? Grâce à l’excellence de la formation et à la capacité de synthèse du stagiaire, Arismore a bénéficié de notes de synthèse éclairantes pour son fonctionnement et sa stratégie sur des sujets jugés a priori complexes. Ces notes ont systématiquement éclairé des décisions (accès et relation avec l’administration, accès aux marchés publics, travaux législatifs …) Ce stage repose sur une envie partagée. Il est donc essentiel que le stagiaire souhaite découvrir ou approfondir sa connaissance de l’écosystème des PME et de l’innovation en tant que moteur de l’emploi et de la croissance en France. Faut-il encourager davantage les élèves à venir dans les PME? Par quels moyens et pourquoi, selon vous? Définitivement oui. L’excellence de toute formation passe par des stages diversifiés dans l’ensemble des entreprises qui constitueront l’écosystème d’une carrière. C’est particulièrement vrai des hauts fonctionnaires appelés à côtoyer ou à avoir des positions décisionnelles sur un éventail très large d’entreprises incluant des PME. L’appartenance de la PME au Comité Richelieu est un atout supplémentaire pour comprendre les ressorts de l’innovation et l’importance des relations entre PME innovantes et l’administration et les grandes entreprises. La sensibilisation des étudiants aux PME innovantes et au numérique durant leur cursus de formation peut renforcer leur appétit à choisir un stage en PME.

Interview de Clément Lacoin, élève de l’ENA en stage dans l’entreprise Arismore Pourquoi effectuer son stage en entreprise au sein d’une PME/ETI innovante et pas dans un grand groupe ? Le stage en entreprise vise à familiariser les élèves de l’école avec des structures du secteur privé. Dans ce cadre, le choix d’une PME répond à une double volonté : se familiariser avec des entreprises qui constituent l’immense majorité du tissu économique de notre pays (près de 99% des entreprises françaises sont des PME), et découvrir les modes de management de petites structures, différents de ceux de l’administration et de grands groupes qui connaissent des effets de structure similaires. Quel rôle avez-vous joué en tant que stagiaire dans l’entreprise ? / Quels apports réciproques retenez-vous de ce stage en entreprise: pour l’entreprise? Pour vous? Il me semble que ce stage a permis des apports réciproques. Pour le stagiaire, il s’agit avant tout de la découverte d’un écosystème spécifique, celui du numérique, et du fonctionnement d’une PME de taille importante, chez Arismore. Du point de vue de l’entreprise, le stagiaire de l’ENA peut apporter une compétence technique – juridique en l’occurrence, ou un œil extérieur sur des sujets nouveaux et prospectifs.

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Comment qualifieriez-vous, en une phrase, les PME/ETI innovantes de France et quelles sont, selon vous, les difficultés auxquelles les PME innovantes françaises sont confrontées ? Il est difficile de décrire en une phrase un ensemble d’entreprises extrêmement hétérogène et large. Les PME innovantes sont par essence multiples. Toutefois, j’ai eu le sentiment, pendant ce stage et à l’occasion des visites d’entreprises et de start’up organisées par l’école, que les PME innovantes françaises sont des groupes humains solides, autonomes et très dynamiques. Mais elles ont besoin de stabilité normative, et regrettent parfois le manque de ciblage des dispositifs de soutien public à l’innovation. Quels enseignements tirez-vous de votre stage en PME? Utiliserez-vous, le cas échéant de quelle manière, ces enseignements dans le cadre de vos fonctions ultérieures au sein de l’administration? Les activités de l’entreprise dans laquelle j’ai effectué mon stage diffèrent radicalement des fonctions que je serai amené à exercer au sein de l’administration. Néanmoins, je retiens un enseignement essentiel, celui du management : une écoute des collaborateurs, un dialogue permanent et constructif, et une souplesse et une agilité certaine pour s’adapter et évoluer. Si les méthodes de management des PME ne sont bien évidemment pas toutes directement transposables dans l’administration, elles devraient à mon sens inspirer les futurs hauts fonctionnaires.