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Introduction à la métaphysique de Maurice Blondel Jérémy-Marie Pichon www.claude-tresmontant.com « Là où me conduira la raison, j’irai » (Maurice Blondel) « J’ai, comme tout homme, un rôle, une mission à remplir, une vocation. Et je me sens de plus en plus porté au dessein de montrer, par la pensée comme dans la vie, la nécessité naturelle du surnaturel et la réalité surnaturelle du naturel même. J’admire avec effroi d’amour et envie ces âmes qui vivent de foi, de sacrifice, d’immolation, comme une folie divine et un scandale; sans doute il faut être comme cela, on n’est pas chrétien sans cette mort; là pourtant n’est point, il me semble, mon don le plus apparent ni mon œuvre particulière. J’ai à tracer les voies actuelles de la raison vers Dieu incarné et crucifié; j’ai à ménager les prétentions de la pensée moderne; j’ai à acheminer la science et la philosophie, par les méthodes mêmes qui leur sont chères et qu’elles ont raison d’aimer ; j’ai à rester naturel aussi et plus longtemps que quiconque, afin de manifester plus uniment, plus péremptoirement, plus pacifiquement, plus largement, plus impérieusement, le besoin inévitable du surnatu- rel. Combien peu sont disponibles à suivre ces routes laborieuses, à ouvrir, parmi tant d’obstacles, ce chemin scientifique, à comprendre également les exigences légitimes de l’esprit moderne et les intran- sigeances redoutables de la vérité chrétienne, à parcourir tout l’entre-deux, et à jeter dans cet abîme, pour servir à le combler, sa vie, son cœur, sa pensée, sa raison, sa foi, son avenir dans le temps et dans l’éternité, tout soi-même? Il faut donc m’y consacrer. Il le faut. » Maurice Blondel, Carnets intimes, 7 août 1894 Après avoir présenté la correspondance entre le père Laberthonnière et son ami Maurice Blon- del, Tresmontant nous invite à découvrir en 336 pages la « cathédrale », laquelle n’a rien d’un édifice spéculatif, de celui qu’il sera convenu de reconnaître comme le métaphysicien le plus décisif de toute l’histoire de la philosophie : Maurice Blondel. Tresmontant corrige les malentendus qui ont pu être entretenus au sujet de la pensée de Blondel, exigeante mais stimulante et, selon nous, assomptive et apocalyptique, pour qui la philosophie est « normalement orante » (p.21) 1

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Introduction à la métaphysique de Maurice Blondel

Jérémy-Marie Pichonwww.claude-tresmontant.com

« Là où me conduira la raison, j’irai »(Maurice Blondel)

« J’ai, comme tout homme, un rôle, une mission à remplir, unevocation. Et je me sens de plus en plus porté au dessein de montrer,par la pensée comme dans la vie, la nécessité naturelle du surnaturelet la réalité surnaturelle du naturel même.J’admire avec effroi d’amour et envie ces âmes qui vivent de foi, desacrifice, d’immolation, comme une folie divine et un scandale ; sansdoute il faut être comme cela, on n’est pas chrétien sans cette mort ;là pourtant n’est point, il me semble, mon don le plus apparent nimon œuvre particulière. J’ai à tracer les voies actuelles de la raisonvers Dieu incarné et crucifié ; j’ai à ménager les prétentions de lapensée moderne ; j’ai à acheminer la science et la philosophie, par lesméthodes mêmes qui leur sont chères et qu’elles ont raison d’aimer ;j’ai à rester naturel aussi et plus longtemps que quiconque, afin demanifester plus uniment, plus péremptoirement, plus pacifiquement,plus largement, plus impérieusement, le besoin inévitable du surnatu-rel. Combien peu sont disponibles à suivre ces routes laborieuses, à ouvrir, parmi tant d’obstacles, cechemin scientifique, à comprendre également les exigences légitimes de l’esprit moderne et les intran-sigeances redoutables de la vérité chrétienne, à parcourir tout l’entre-deux, et à jeter dans cet abîme,pour servir à le combler, sa vie, son cœur, sa pensée, sa raison, sa foi, son avenir dans le temps etdans l’éternité, tout soi-même ? Il faut donc m’y consacrer. Il le faut. »

Maurice Blondel, Carnets intimes, 7 août 1894

Après avoir présenté la correspondance entre le père Laberthonnière et son ami Maurice Blon-del, Tresmontant nous invite à découvrir en 336 pages la « cathédrale », laquelle n’a rien d’unédifice spéculatif, de celui qu’il sera convenu de reconnaître comme le métaphysicien le plus décisif detoute l’histoire de la philosophie : Maurice Blondel.Tresmontant corrige les malentendus qui ont pu être entretenus au sujet de la pensée de Blondel,exigeante mais stimulante et, selon nous, assomptive et apocalyptique, pour qui la philosophie est« normalement orante » (p.21)

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Cogito à rebours

Porte cochère de la maison où est né Maurice Blondel, le 2 novembre 1861

Blondel reconnaît que la pensée est présente dès les niveaux les plus élémentaires de la matière.Elle est « inviscérée dans la nature » (p.50) au point de développer « la pensée cosmique » qui de-meure une symphonie inachevée.

Ainsi, « la pensée cosmique, la pensée immanente, présente dès le début dans le cosmos, n’est pasune substance divine mêlée à la matière. La pensée cosmique est une pensée créée. Rien n’est crééen dehors de la pensée. » (p.50) et cette dernière n’est pas spécifiquement humaine.

À l’envers de Descartes qui jamais ne met de différence entre l’action et l’idée d’action, convaincuque c’est l’âme qui pense selon un schéma hypothético-déductif, le réel est ici lui-même une pensée,ce qui conduit Blondel à être très sévère à l’égard de la tradition cartésienne, « catastrophique pourl’intelligence de la foi », puisque « la séparation cartésienne l’était aussi pour la philosophie qui setrouvait réduite à l’ordre mondain et utilitaire. » (p.115)

De même, contre Kant, « il existe bien, en dehors de l’intelligibilité projetée dans l’expériencepar le sujet transcendantal, une pensée qui opère dans la nature » (p.53) et c’est pourquoi, contraire-ment à ce qui a pu être écrit à son sujet, Blondel se pose en adversaire de Kant et de l’idéalismetranscendantal, « illusion intellectualiste » (L’illusion idéaliste, p.107) qui « maintient le dualisme del’être et du connaître ; et tout dualisme est un accouplement hybride de réalisme et d’idéalisme, [. . .]d’un côté le prestige métaphysique de l’idée-objet ; de l’autre, la fascination du subjectivisme le plussubtil. » (L’illusion idéaliste, p.104,107)

En répondant aux failles des systèmes habituels, Blondel souligne combien « La philosophiecontemporaine a trop de mal à accepter le principe d’une philosophie de la nature avantl’homme. » (p.56)

Sans être un simple commentateur du philosophe d’Aix, Tresmontant conclut que « Blondelnous offre l’ontologie dont la phénoménologie teilhardienne a besoin. » (p.58)

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Très vite, deux schémas de pensée s’articulent : nous avons d’un côté une philosophie de lasuffisance qui confère à l’être la plénitude de la pensée « en professant que l’homme est la fin del’homme, le dieu de l’homme. C’est un millénarisme qui confère au monde, à la nature et à l’homme,les prédicats de la suffisance, de l’aséité, de la divinité. C’est une philosophie idolâtrique, c’est-à-direune philosophie qui invertit le mouvement normal de la création, de l’être et de la pensée, en lesfermant sur eux-mêmes. » (p.67) et, de l’autre, une philosophie de l’insuffisance, propre au projetblondélien et fidèle à ce que nous observe le réel. En effet, l’inachèvement est un fait d’expé-rience : « Une analyse objective de la réalité, dans tous les domaines, dans tous les secteurs, nousoblige au contraire à reconnaître l’inachèvement universel. Cet inachèvement permet de comprendrece que signifie le temps. Un monde achevé serait sans durée, puisque rien de nouveau ne s’y créerait.Tout y serait donné de toute éternité. » (p.71)

Tresmontant reprend à son compte un des grands thèmes de sa philosophie génétique : «Nousne sommes pas en cosmos, mais en cosmogenèse. Avec la physique, l’astrophysique, la biologiemoderne, nous sommes passés d’une vision de cosmos à une vision de cosmogenèse. La notion intégraled’évolution a transformé notre vision du monde, et récuse la pseudo-consistance et stabilité fictive ducosmos aristotélicien. En substituant à la notion de cosmos celle de cosmogenèse, Teilhard manifes-tait que l’Univers est une histoire. Toute science est historique, car le réel est devenir, non pas devenird’écoulement comme celui d’Héraclite, – mais genèse créatrice et progressive. » (p.99)

Il ne s’agit pas ici d’unir deux intelligences pour le simple jeu des correspondances, d’après unefantaisie de chercheur ; le professeur souligne bien plutôt la concordance logique entre Blondel etTeilhard, lequel d’ailleurs souligne son accord avec ce dernier, précisément sur l’histoire du mondeet son développement, attestant un dessein créateur qui tend à porter la multiplicité des êtres vers unachèvement et une unification ultimes. (p.100)

Une ontologie intégrale : la normativeSi l’ontologie de Blondel a pour point de départ la création, selon lui, la raison humaine est digne

d’aller « jusqu’à discerner au sein de l’Être la Charité qui est la seule clef de la création tout entière. »(p.118)

Blondel ne se contente pas d’une description statique et abstraite où l’être serait vécu et analysétel un objet de laboratoire ; son ontologie constructive voit l’être d’après une croissance, ce quisuppose d’en apprécier la plasticité et le dynamisme : il s’agit d’une action, laquelle s’opère selon une« marche cycloïdale » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tome I, p.29).

Ici, pas d’histoire de la philosophie ni de phénoménologie du discours (encore moins la mort de lamétaphysique. . . ), mais une génétique de la pensée avec son évolution organique, ce qui invite Tres-montant à remarquer qu’en géométrie « les définitions les plus éclairantes sont celles qui donnent lagénération des figures en même temps que leur structure. En ontologie, il en va de même à partir dumoment où l’on a vu que les êtres ne sont pas des choses « posées là », un Dasein impensable, absurde,- mais les étapes d’une genèse continuée dont il importe de dégager le sens ; la normative nous fournirala clef de la création qui reste à faire. » (p.148)

Principe de propulsion et de consistance, la normative est cette information créatrice, digne de« l’idée directrice » relevée par le physiologiste Claude Bernard, « judicature à la fois immanente ettranscendante d’où dépend si l’on peut dire la parturition et la consolidation des êtres. » (L’Être etles êtres, p.241) ; Blondel saisit « la logique de la création, non plus logique du discours, maislogique interne de la création qui se déploie selon une vérité infaillible. » (p.149)

Loin de rester « extrinsèque et comme plaquée du dehors, [la normative] est, malgré sa trans-cendance, toujours infuse, telle une loi morphologique, une forme substantielle dirigeant du dedans

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la croissance et réglant les relations intestines ou extérieures des êtres. » (Blondel, L’Être et les êtres)

Après avoir présenté les insuffisances de la philosophie dans sa tentative de résoudre les problèmesqu’elle posait, parfois réfugiée dans l’esthétisme ou l’absurde, Blondel va scruter la charité effec-tive de ce don de l’être et saisir le mystère de la kénôse où « nul ne peut mourir sans voir Dieu »,témoignant de la symbiose vivante de notre être appelé à une union assomptive qu’il reste à déterminer.

La clef de voûte : « Les secrets vouloirs du cœur »« J’ai vu les Vivants : il y avait une roue à terre, à côté de chaque Vivant, pour leurs quatrevisages.16 Ces roues et leurs éléments scintillaient comme de la chrysolithe. Toutes les quatreavaient même forme. L’aspect de leurs éléments était tel que les roues paraissaient imbri-quées l’une dans l’autre.17 Quand elles avançaient, elles allaient dans les quatre directions ; elles avançaient sanss’écarter.18 Leur pourtour était grand et effrayant, rempli de scintillements autour de chacune desquatre roues.19 Quand les Vivants avançaient, les roues avançaient à côté d’eux ; quand les Vivantss’élevaient de terre, les roues s’élevaient.20 Là où l’esprit voulait aller, ils allaient, et les roues s’élevaient avec eux : l’esprit duVivant était dans les roues !21 Quand ils avançaient, elles avançaient ; quand ils s’arrêtaient, elles s’arrêtaient ; et quandils s’élevaient de terre, les roues s’élevaient avec eux : l’esprit du Vivant était dans lesroues ! »

Ezéchiel

En premier lieu, ce qui frappe Blondel est « l’appétit d’infinitude d’où peut procéder le risqueparadoxal des passions insatiables et cette déraison de vouloir infiniment le fini. » (L’Action, tome II,p.192)Reprenant l’accent paulinien selon lequel « Je ne fais pas le bien que je veux mais je fais le mal queje ne veux pas » (Rom 7, 15-20), Blondel réussit à expliquer pourquoi « non seulement nous nefaisons pas tout ce que nous voulons ; mais souvent même nous faisons ce que nous ne voulons pas. »(L’Action, tome II, p.201).

À l’encontre des impasses vécues dans le subjectivisme, l’idéalisme, l’immanentisme, l’esthétisme(nietzschéen, notamment), le dilettantisme, le nihilisme et tout ce qui résume, finalement, le post-modernisme actuel, Blondel révèle les insuffisances de tous les systèmes de pensée en prenant soinde respecter leurs propres schémas, en allant au bout de leur logique interne, sans jamais y introduirela moindre préférence personnelle, pour conclure que « Jamais la pensée ne se termine en soi,pas plus qu’elle ne naît de soi. » (La pensée, tome II, p.407), tant « il n’est pas utile, il n’est paspossible que notre conduite soit un pur calcul ». (L’Action, tome II, p.296)

À titre d’exemple, Blondel s’élève contre « une phénoménologie qui prétendrait suffire à la sciencede l’être et substituer l’intégration des phénomènes à la réalité profonde des êtres » incapable de sai-sir l’imprévisible et incessante nouveauté des êtres, « en sorte qu’il semble aussi décevant deconstituer une phénoménologie réaliste que de prendre à la course notre propre ombre projetée devantnous par le phare d’une automobile en marche elle-même. » (L’Être et les êtres, p.375)

Avec de sérieuses réserves, le métaphysicien maintient une rigoureuse critique : « La phénoménolo-gie a beau multiplier ou assouplir ses chaînes d’abstractions ; elle ne captera jamais le secret, nous nedisons pas seulement des êtres, mais des phénomènes eux-mêmes, fussent-ils considérés sous leur aspect

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le plus positif et dans leurs connexions étroites. » (L’Être et les êtres, p.376) Grâce à une ontologieconcrète et génétique, Blondel soumet une autre méthode d’investigation et scrute l’intime présencequi témoigne de la préadaptation de la réalité tout entière à une fin surnaturelle, nous découvrant, demanière décisive, combien « pas un seul instant nous ne sommes tout seul et tout nôtre ; et notre êtreest toujours emprunté, quoiqu’il ait pour raison de transformer cet emprunt en don, ce prêt en gain. »(L’Être et les êtres, p.283-284)

Sous l’autorité de la dialectique vivante de Léon Ollé-Laprune, son maître, ami et ancien pro-fesseur à l’Ecole Normale, à qui il a consacré un essai en 1923, Léon Ollé-Laprune — l’achèvement etl’Avenir de son œuvre, Blondel manifeste la fissure ouverte entre une pensée noétique, analytique,proche de l’esprit de géométrie de Pascal, « réellement présente en toute conception du monde et del’esprit cherchant à se compénétrer et à s’unifier » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tome I, p.279),soit la volonté voulue, et une pensée pneumatique, synthétique, proche de l’esprit de finesse de Pascalou de l’intuition bergsonienne, « qui aspire à conférer à des centres de perspective, ou même à toutce qui compose l’univers des corps et des esprits, une véritable unité, toute intérieure à elle-mêmeen même temps que compréhensive de l’ordre universel » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tomeI, p.279), soit la volonté voulante, ce qu’on veut profondément. Fort de cette observation, Blondeldiscerne « une ontogénie cycloïdale, c’est-à-dire à la fois circulante et progressive, [qui]s’insère dans une phylogénie, subordonnée elle aussi à l’histoire mouvante et irréversiblede l’univers. » (L’Être et les êtres, p.376)

Cycloïde : trajectoire (en rouge) d’un point d’une roue en mouvement

Nous n’échappons pas à cette loi de croissance déjà étudiée par Saint Thomas d’Aquin pour qui,rappelons-le, « Rien ne peut entrer en l’homme qui ne corresponde en quelque façon à un besoin d’ex-pansion », Quaest. Disp., XIV, De veritate, II), présence dynamique et structure de l’être où « agirn’est pas, en nous, simplement une opération transitive et discursive ; sa forme supérieure (commenous aurons à le voir) est contemplation, c’est-à-dire intelligence et adhésion. » (L’Action, tome I,p.74)

Tresmontant a su le mieux saisir l’apport capital du métaphysicien : « Ce vouloir, cette actionqui opère en chaque homme, n’est autre que le vouloir créateur, plus intime en chacun de nous que ceque nous avons de plus intime. Non seulement l’homme peut, mais il doit finalement ratifier ce vouloirqui opère en nous, cette volonté voulante que nul ne peut désavouer sincèrement. Mais l’hommepeut, par un mensonge, introduire une dualité entre cette volonté voulante et notre volonté propre, lavolonté voulue par nous. La sincérité, c’est l’adéquation entre la volonté voulante qui opère en moi,et ma volonté propre, la volonté voulue. Le mensonge, c’est l’opposition entre la volonté voulue etla volonté voulante. L’originalité de la méthode blondélienne, c’est de partir de ce donné irréfutable,qu’est le vouloir le plus profond, le vouloir constitutif de l’homme, et de montrer à tous, croyants ouincroyants, ce qui est en fait voulu en eux, qu’ils y consentent ou qu’ils le nient, par une duplicitéinterne ; quelle est l’intention originelle et dernière de l’opération créatrice qui opère en leur vouloirle plus profond. La vérité de notre existence, c’est de faire finalement coïncider notre volonté propreavec cette volonté voulante originelle et primitive en nous, voluntas ut natura, et de ratifier le desseincréateur en nous. Rarement on avait été si loin dans l’analyse de ce que la Bible appelle « les secretsvouloirs des cœurs », dans l’analyse de la duplicité (ce que la Bible nomme « un cœur double »). »(p.143/144)

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– Âmes en prison, du professeur Ar-nould, retrace les expériences surles aveugles, sourds, muets de nais-sance, dont Marie Heurtin

L’exemple de Marie Heurtin, sourde, muette et aveugle denaissance, demeure la figure la plus vertigineuse rencontrée dans Lapensée (dès le tome I). Il a fallu stimuler la sensation du mouvementchez la patiente pour créer un signe et ainsi développer toute uneconnexion, ouvrant un champ de possibilités inépuisables dans lacommunication ; et Blondel de conclure :

« Dès l’instant où l’invention du signe expressif a illu-miné les ténèbres de l’intelligence endormie, le miraclepsychologique était produit : grâce à ce petit détail quiparaît si infime, toute la féconde initiative de la penséepouvait faire irruption, discerner au sein du chaos lapossibilité de figurer distinctement un objet, puis unautre, un désir, puis un autre. [. . .] Contrairement àla thèse empiriste d’après laquelle un être ap-pauvri dans ses sens ne pourrait être que dimi-nué dans sa vie intellectuelle, la pensée de MarieHeurtin, quoique dépourvue de la plus grandepartie du mobilier de la connaissance humaine,n’a été privée d’aucune des vérités essentielles,d’aucun des aspects de l’ordre moral et social,d’aucune même des joies esthétiques. » (La pen-sée, tome I, p.92)

De fait, il pré-existe bien « un germe surnaturel [. . .] infusé ànotre nature tout ensemble physique et spirituelle » (p.74), sou-lignant, grâce à l’expérience sur Marie Heurtin, à quel point ilserait impossible de penser « les objets explicitement s’il n’y avait pas une ébauche de connaissanceimplicite du sujet par lui-même. » (La pensée, tome I, p.141)

En définitive, l’action est toujours une inter-action dont la grâce est la force motrice et « si notreaction est transitive, c’est parce qu’en effet elle a un but qui, lui, ne passe plus. » (L’Action, tome II,p.475) et le mouvement cycloïdal en exercice, vinculum vitale, n’est « ni intrinsécisme qui méconnaî-trait la gratuité du don transcendant, ni extrinsécisme qui laisserait la fleur de la charité surnaturellesans racines dans le sol humain, comme si les eaux du ciel suffisaient à la sève du tronc et des branchesqui le portent. L’action est au confluent des puissances d’en bas et d’en haut. » (L’Action, tome I,p.411) ; sa chirurgie métaphysique de l’entre-deux l’amène à conclure que « la théorie et la pratiqueni ne collent absolument, ni ne restent étrangères l’une à l’autre, ni ne cessent de s’éclairer et de secompléter mutuellement. » (L’Action, tome I, p.411) et c’est pourquoi, pour accomplir cette efficience,Blondel en appelle à « une imitation réelle » (L’Action, tome I, p.408) qu’il nomme « intussuscep-tion » (L’Action, tome I, p.408), soit « assimiler, [. . .] absorber sans détruire, transformer sansconfondre les substances dont l’une est élevée et employée en entrant dans l’organisme et en participanteffectivement à une vie supérieure. » (Maurice Blondel, L’Action. vol. I : Le problème des causessecondes et le pur agir, Paris, Alcan, 1936, p.39)

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Photographie extraite d’Âmes en prison

Imitation créatrice : la méthode d’immanenceAvec sa méthode d’implication, science de la pratique qu’il doit à la « méthode de la Providence »

du cardinal Dechamps, « doctrine même en croissance et en acte » (L’Action, tome I, p.463), Blon-del développe une authentique philosophie de l’en-deça où « impliquer, c’est non pas inventer, déduire ;c’est découvrir ce qui est déjà présent mais non remarqué, non encore explicitement connu et formulé. »(Exigences philosophiques du christianisme, p.288)

En exploitant la doctrine de l’analogie, Blondel refuse de la limiter à une stricte ressemblance ouà une émanation. Ce qui est ici à l’œuvre est une communication réelle (p.317) Dans sa recherchedu « secret génétique de la pensée. » (La pensée, tome 2, p.423), le métaphysicien rappelle d’abord quel’analogie permet « à travers mille déficiences, que l’intelligence créée vise, sans l’atteindre, l’unité del’être et de la vérité, comme un soleil qu’on ne peut regarder en face ; l’intelligence est comme atteinte,en face de l’infini, d’un scotome 1 central, et, selon l’expression de Bossuet, l’esprit ne peut qu’ap-procher de cette lumière inaccessible, dans son "vol étonné" et "s’agitant à l’entour" » (p.102) d’où ledrame vécu par un mouvement cycloïdal indéclinable. Cependant, il ne s’agit plus « d’une imitationanalogique de Dieu par l’homme. Car il s’agit plutôt d’une incorporation de la vie divine enl’homme, et d’une présence en lui de l’action surnaturalisante ; il s’agit, au surplus, d’une coopérationoù Dieu et l’homme apportent chacun leur contribution et d’une véritable symbiose que les textessacrés comparent à un hymen. » (Exigences philosophiques du christianisme, p.219/220) Avec sa doc-trine qui pénètre les secrets du cœur, Blondel préfigure la « médiation intime » élaborée par RenéGirard pour définir ce Deus interior intimo meo qui exige de n’« entrer en relation avec le divin quedans la distance ; il nous faut pour cela un Médiateur, et ce Médiateur est Jésus-Christ. » (AcheverClausewitz, p.214) dans la mesure où Il nous invite à vivre la métamorphose de l’homme nouveau en

1. Un scotome est une tache aveugle dans le champ visuel.

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contenant, par son imitation, les rivalités humaines, semblable au regard de la Vierge qui jamais nefixe Satan, précisément parce qu’Elle l’écrase, grâce à une « indifférenciation positive », selon la justeformule de Benoît Chantre (Achever Clausewitz, p.235), laquelle renonce à l’indifférence calculée dudilettante, cette « divinité trompeuse de l’orgueil, [se délivrant] de l’esclavage [et possédant] enfin lavérité de son malheur. Ce renoncement ne se distingue pas du renoncement créateur. C’est une vic-toire sur le désir métaphysique. » (Girard, René, Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris,Grasset, 1961, Réédition Hachette Pluriel, 2009, p.343.)

En ce sens, Blondel met en lumière le Vinculum, ce « point indivisible qui [est] le véritable lieu »(Pascal, Pensées, Lafuma 21), l’entre-deux pascalien réclamé par Girard, en explorant une initiativespirituelle, soit le cœur de la charité, sans limiter son analyse à une lecture psychologique, insuffisante.Si Freud se situe sur le plan psychologique et affectif, Blondel se situe sur un plan ontologique etgénétique en induisant une « présence médiatrice » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tome I, p.79),au point que Tresmontant rapproche ses travaux de ceux du docteur Henri Baruk : « La doc-trine de l’inconscient, chez Blondel, diffère de celle de Freud, principalement par la dimension nonseulement morale, mais normative dont le philosophe d’Aix manifeste la présence et l’exercice dansl’inconscient. La norme présente en nous demeure efficace et juste même si nous nous la dissimulonsà nous-mêmes. » (p.162)

Toutefois, l’ontogénie de Blondel offre la clef de voûte, l’invariant spirituel qui manque à « la rai-son apocalyptique » (Achever Clausewitz, p.214) de René Girard, surtout quand ce dernier, conscientque « l’échec réel du désir nous mène à la sagesse et, en fin de compte, à la religion. » (La conversionde l’art, p.190) finit par évoquer une éventuelle échappée à la contagion mimétique, laquelle se propaged’après un modèle-rival originaire, mobile de nos désirs les plus directs : « Échapper au mimétisme,étant donné ce qu’est devenue son emprise croissante, est le propre des génies et des saints. » (AcheverClausewitz, p.235)

Sur ce point, Blondel se rapproche de Girard quand il reconnaît que « la plupart de nos actesne sont en effet que des contrecoups d’impulsions subies. » (Exigences philosophiques du christia-nisme, p.103) et que « l’action a toujours un caractère intrinsèquement religieux. » (L’Action, tome II,p.365) puisque ce don ne dérive en rien de nos facultés naturelles. Cependant, Blondel va plus loindans l’analyse et examine en profondeur les arrhes de ce « prêt divin ». (L’Action, tome I, p.199/200)

À la différence de Girard, Maurice Blondel n’hésite pas à tirer les conclusions des maîtres spi-rituels qui, tels des exemples vivants, « les plus réalistes des hommes » (Blondel à Teilhard, citépar Tresmontant dans La crise moderniste, p.330) ont ratifié le don premier de l’existence, par leurcoopération : « L’imitation de Dieu, qui nous est demandée, n’est pas passivité, stérilité, soumissionservile, obéissance plate. Bien au contraire, elle est action, création, coopération, et si l’obéissance estsacrifice, c’est pour mieux laisser entrer en nous la fécondité et l’agir divin, substituer à nos passivitésla puissance de l’énergie de Dieu que nous faisons nôtre, que nous ratifions. » (p.216).

Avec un réalisme spirituel et non un idéalisme moral, Blondel s’arrête sur les conditions de pos-sibilité de cette assomption qui suppose une approche de la vie contemplative pleinement vécue etqu’offre la mystique chrétienne, laquelle se saisit du mystère kénotique : pour nous faire être, Dieus’était comme retiré, Se ipsum exinanivit (Philipp II, 7), non pas selon un vide essentiellement physiquemais par con-descendance. La dialectique mystique de Blondel se résume ainsi : « À la kénôsedivine doit répondre une kénôse humaine. Si Dieu a consenti à se dépouiller pour élever l’hommejusqu’à lui, l’homme doit consentir aussi à se dépouiller pour naître de nouveau et à la vie de Dieu. »(p.294)

Une telle dialectique est capitale si l’on veut saisir l’originalité de la voie assomptive et sanctifica-trice proposée par le drame chrétien, seul à « affronter la vérité du péché originel parce qu’il estle seul à affirmer avec autant de force que tout a commencé par le meurtre fondateur,

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que c’est le sacrifice qui a fait l’homme. » (Achever Clausewitz, p.215), ce qui invite Blondel àrefuser le mythe de la pureté de l’homme, pureté présente ni avant, ni après le péché originel. Le trans-naturel est notre condition anthropologique actuelle, qui n’est pas un état de nature raisonnablecomme l’articule l’anthropologie trop optimiste des Lumières – laquelle ne voit pas l’enracinementsacrificiel et violent de notre état –, mais un appel libre vécu comme un don de vie, en vue d’unedivinisation réelle. La raison apocalyptique de Girard rencontre ici une légitimité décisive grâceà l’état de transnature blondélien, pour qui nous demeurons « incapables de remplir par nous-mêmesnotre destinée obligatoire, nous sommes dans l’alternative impérieuse, et pourtant juste et bonne,ou de coopérer à l’élévation surhumanisante à laquelle Dieu nous destine, ou de nous endetterpositivement. Par conséquent, l’inquiétude naturelle sert de véhicule à une stimulation d’uncaractère transcendant, qui nous fournit une grâce et nous impose une responsabilité » (Blondel,Lettre à P. Archambault, 23 juillet 1927 in Archambault, L’œuvre philosophique de Maurice Blondel,Paris, 1928, p.96/99)

– Photographie extraite d’Âmes en prison – « Voilà latransformation dont vous avez été témoin et que vousne pouvez taire. Vous obéissez à un devoir : il n’est paspermis aux témoins de taire les grandes découvertes, et,dans l’ordre de la science : philosophie, psychologie ou pé-dagogie, c’est bien d’une découverte qu’il s’agit. » Lettrede M.Georges Picot, secrétaire perpétuel de l’Académiedes sciences morales et politiques, au professeur LouisArnould, Paris, 19 février 1903.

C’est pourquoi une telle assimilation in-siste en premier lieu sur la fécondité del’ascèse et de la mortification, qui doiventdéterminer nos actions, lesquelles, « pourêtre vraiment de l’agir, ont à se sus-pendre et à se conformer à l’Actepur, et à traverser, à dépasser les mi-métismes humains qui doivent leur valeurà ce qu’ils reçoivent, acceptent, emploientdu divin vouloir. » (Études blondéliennes, I,p.9)

Il reste à saisir l’exception de la mystiquechrétienne pour savoir si elle est digne de pro-curer aux êtres la Pierre d’Angle comme elle leprétend ; par précaution, « ce que le christia-nisme nous enseigne ne sera utilisé qu’à titred’hypothèse, comme un mathématicien utilisetelle hypothèse pour voir si ainsi le problèmese résout. « L’hypothèse » chrétienne résout leproblème de la création, et lui apporte, paren haut, un achèvement qui satisfait pleine-ment la raison. Car la philosophie, par elle-même, ne peut pas s’achever, se boucler. »(p.226)

Tresmontant s’est beaucoup inspiré deson maître pour écrire ce qui reste un deses ouvrages les plus passionnants, La mys-tique chrétienne et l’avenir de l’homme. DansQu’est-ce que la mystique ?, Blondel por-tait son attention sur la réalité du mysti-cisme chrétien qu’il associait à un exercicede l’intelligence : « Le mystique certesn’est pas rien que raisonnable, maisil l’est pleinement et éminemment. »(Maurice Blondel, Qu’est-ce que la mys-tique ?, Librairie Bloud and Gay, Paris, 1925,p.59.)

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Le saint est cet « homme qui, par la lutte contre lui-même, est parvenu à soumettre ses désirs à lavolonté divine au point de se porter généreusement au devant d’elle. » (Qu’est-ce que la mystique ?,Librairie Bloud and Gay, Paris, 1925, p.66) alors que « le brahmane du Thibet et l’idolâtre du Congoreconnaissent la sainteté à la facilité de l’extase, bien plus qu’à la vertu militante. » (Qu’est-ce que lamystique ?, Librairie Bloud and Gay, Paris, 1925, p.67)

Blondel repère trois mysticismes : le premier est celui qui « aboutit à l’évanouissement catalep-tique de la pensée ; c’est l’extase rituelle du paganisme » ; le second « obtient une "mono-idéation"voisine de l’inconscience : c’est l’extase intellectuelle des alexandrins » ; le troisième, « celui qui, parun élan spontané d’activité affective, dépasse et obnubile pour un temps l’activité sensorielle et dis-cursive de l’esprit, pour produire une "super-pensée" enrichissante : c’est l’extase judéo-chrétienne. »(Qu’est-ce que la mystique ?, Librairie Bloud and Gay, Paris, 1925, p.68)

En s’arrêtant sur le Cantique des cantiques, Blondel conclut que « cette nouvelle ivresse n’estplus la défaillance devant l’Infini, mais le ravissement dans l’amour ; et voilà résumée d’un mot lamystique judéo-chrétienne. » (Qu’est-ce que la mystique ?, Librairie Bloud and Gay, Paris, 1925, p.91)

On voit à quel point l’association des deux lectures de Blondel et de Girard sont ici pleine-ment fécondes. Avec Girard, grâce à une étude anthropologique, nous savons que seule l’imitationdu Christ permet d’échapper à l’imitation conflictuelle des hommes et, de son côté, Blondel nousinvite à vivre l’assimilation, laquelle ne saurait être interprétée selon « une similitude extrinsèqueet seulement mimétique, telle celle d’un portrait inerte et passif en face d’un vivant original. Ils’agit d’une ressemblance, d’une participation vitale et, pour parler métaphoriquement de la vieinvisible, d’une sorte d’incorporation et de coopération à celui qui s’est défini : Lux et Vita et Caritas. »(L’Action, tome I, p.206)

Le danger contenu dans le projet girardien serait de réduire le christianisme à une simple épisté-mologie, comme le revendique Jean-Pierre Dupuy (« Quant au christianisme, ce n’est pas une moralemais une épistémologie : il dit la vérité du sacré et, par là-même, le prive de puissance créatrice, pour lemeilleur ou pour le pire. Seuls les hommes en décideront. » (Jean-Pierre Dupuy, La marque du sacré,p.161), alors qu’un tel risque est impossible chez Blondel, précisément parce qu’il examine les insuf-fisances de la philosophie à répondre aux questions fondamentales qu’elle se pose, mais surtout parcequ’il accomplit l’anthropologie en légitimant, sans aucune visée apologétique, la plénitude du surna-turel chrétien et en pénétrant le « problème capital de la métaphysique chrétienne », le mystère Agapê.

En conséquence, « il ne s’agit donc ni seulement d’une connaissance spéculative à se procurerspéculativement ou par docilité mimétique, ni d’un être à capter par un dogmatisme amoral quis’achèverait ultérieurement en une intuition glaciale ; il s’agit d’un hymen supérieur à toute relationmétaphysique, de l’hymen du Créateur et de sa créature adoptée, épousée, unie à l’incommunicablebanquet de la Divinité. » (Bernard de Sailly (= pseudonyme de Blondel, Terrain de rencontre etpoints d’accord, « Annales de Philosophie chrétienne », mai-juin 1913, p.168-169)

Ce sera le point de discorde avec son ami Laberthonnière : alors que ce dernier visait l’unitéselon un mode dogmatique, Blondel vise l’union selon un lien nutritif.D’autre part, il faut comprendre qu’avec une telle ontologie de la métamorphose qui observe l’hommecomme animal néoténique, un risque d’échec est impliqué avec la possibilité de l’enfer, « l’œuvre dupremier Amour. » (p.156) Comme Girard, Blondel remarque bien la spécificité du tentateur, « leseul, dans l’Écriture sainte, à formuler ce thème bien connu de la religion grecque, le thème de laNémésis. Il est remarquable que ce thème soit absent de la théologie biblique, alors qu’ilhante la mythologie grecque. Selon la théologie biblique et chrétienne, Dieu n’est pas jaloux de lagrandeur de l’homme. Le Dieu d’Abraham n’est pas un dieu castrateur. » (p.213)

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Il retrouve Saint Irénée de Lyon pour qui retirer l’Enfer reviendrait à faire de nous des poupées :« Ce n’est pas que Dieu ne puisse se manifester pleinement d’un seul coup et dès le commencement.C’est que l’homme n’est pas capable de recevoir et de porter la manifestation plénière de Dieu, sansêtre écrasé, sans être brûlé comme par un feu dévorant. Nul ne voit Dieu sans mourir. » (p.217)

Pour autant, « la vie n’est pas ce jeu de colin-maillard où l’enfant, avec les yeux bandés, chercheà tâtons et nomme au hasard celui qui doit le délivrer de son rôle aveugle. Mais la vie n’est pas nonplus cette banque des fêtes foraines où, sur la roue de fortune, se lit l’artificieuse promesse : à toutcoup l’on gagne. Il faut que le gain puisse être justifié, comme justifiée la perte. [. . . ] Il n’est doncpas défendu, il est bienfaisant dans une étude de l’être, d’étendre cette logique du réalisme intégraljusqu’aux suprêmes conditions de la possession ou de la privation que les êtres peuvent recevoir deleur fin. » (L’Être et les êtres, p.308-309)

La querelle contre les thomistes« Les thomistes entendent par "métaphysique" ce qu’Aristote appelait "philosophie pre-mière", à savoir une science qui porte sur l’être en tant que tel. Blondel accepte biencette signification et ce point de départ. Il est aristotélicien au départ. Mais il poursuitl’analyse en reconnaissant que la genèse de l’être créé est inachevé, et il construit ainsiune ontologie génétique, comportant une normative, ce qui n’entre pas bien dans les caté-gories des thomistes du début du XXe siècle. [. . . ] Blondel prend comme donné, pour ententer l’analyse métaphysique, la révélation elle-même. C’est ce que les thomistes semblentavoir du mal à accepter. » (La crise moderniste, p.318)

Pendant la crise moderniste, les thomistes reprochaient àBlondel de faire un travail de théologien sans l’assumer ;c’est également le reproche de Maritain pour qui « l’in-telligence à elle seule, sans le concours obligé de la vo-lonté, atteint l’être. » (Tresmontant, La crise moderniste,p.133) Or, selon Blondel, Dieu ne saurait être un ob-jet de connaissance mais le terme d’un amour et d’uneunion réelle, en prenant soin de faire observer combien « cequi est irrationnel, c’est de faire de notre seule raison lamesure de Dieu et celle de l’homme même. » (L’Être etles êtres, p.206) et, face à la parturition ontologique, « iln’y a intelligibilité que là où s’unissent intelligence et cha-rité substantiellement personnelles. » (L’Action, tome I,p.252).

Blondel s’est toujours défendu de ne jamais confondre « l’ordresurnaturel de grâce avec l’ordre rationnel de vérité. » (L’Action, tome I, p.399) ; son projet écarte designorances, « procède par élimination de fausses solutions pour nous conduire aux seules conclusionscertaines et inévitables » (L’Action, tome II, p.12), quitte à ramener « la vérité philosophique au seuilde la théologie ». (p.325)

En revanche, les thomistes de l’époque, comme ceux d’aujourd’hui, ont omis de critiquer leurextrinsécisme qui se limite à une addition postiche de la grâce, selon une pure passivité, telle une in-cantation magique. C’est la confusion dans le problème de la grâce et de sa pleine réception ; en effet,l’assistance de la grâce n’est pas l’inspiration. Plus précisément, ce malentendu repose sur le« rôle de l’illumination dans l’origine de l’idée de Dieu et l’explication par les preuves rationnellesde l’obscure conviction qui l’accompagne dès le point de départ. » (p.329) Ainsi, on lui reprochait deconfondre la nature et la surnature, ce qui serait un grave contresens devant tout le projet blondélienpour qui « l’étude de la véritable immanence ne conduit pas à affirmer une plénitude intérieure,

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à justifier nos conquêtes morales, à définir des dogmes et des acquisitions ; elle consiste au contraireà mettre en évidence notre incurable indigence et misère spirituelle. Loin de prétendre comblerun vide par le déploiement de notre nature, elle sonde, elle creuse le vide que seule la sur-nature pourra combler, mais que de nous-mêmes nous ne pouvons même pas discerner et mesurer. »(Exigences philosophiques du christianisme, p.61)

Aujourd’hui encore, la lecture thomiste de Blondel, bien qu’assouplie, continue de faire l’objetde critiques internes, plus constructives. C’est le cas du père Marie Dominique Philippe qui dansDe l’être à Dieu, écrit de la méthode d’immanence qu’elle « cherche alors à dévoiler le nécessairedans le contingent, comme une réalité immanente déjà présente. On passe ainsi de la nécessité re-lative du contingent à la nécessité absolue du nécessaire ; car "ce qui existe nécessairement pendantqu’il est, quoique, par nature, il n’ait rien de nécessaire". – Il est curieux de retrouver ici la visiond’Avicenne ! » ; ajoutant qu’il « y a en effet une sorte de coopération constante et une sorte de rivalitéentre la pensée et la pratique. [. . .] Autrement dit, pour Blondel, la disproportion qui existe en nousentre la causalité efficiente et la causalité finale exige la médiation actuelle d’une pensée et d’une actionparfaites. » (De l’être à Dieu, p.259)

À cela, il faut répondre avec précision. Tout d’abord, comme analysé précédemment, cette « mé-diation » exige bien une « participation ou une circumincession par laquelle l’être s’accomplit dansune intégration où se retrouve toujours ce trait, cette intention commune à tout ce qui est : Omniaintendunt assimilari Deo. » (L’Action, tome I, p.21)

Ce que omet d’ajouter le père Marie-Dominique Philippe est que, contrairement à Avicenne, laproduction du monde par Dieu n’est pas éternelle etnécessaire, au regard du don étudié par Blondelsur le mystère Agapê, lequel n’exige pas l’individuation par la matière proposée par Avicenne. Enplus de relever l’absence d’une ontologie de l’inachèvement chez Avicenne, Tresmontant a saisiun net contraste dans Les problèmes de l’athéisme : « À l’idée hébraïque de création libre, effet dela volonté du Créateur, Avicenne a donc substitué l’idée plotinienne d’une procession nécessaire,éternelle, en vertu de la nature même de l’Un. » (Les problèmes de l’athéisme, p.85)

Définitivement, il faut récapituler le schéma métaphysique d’Avicenne – « le plus opposé à lavérité catholique, car, dans sa Métaphysique, il affirme que du Premier Principe ne peuvent prove-nir plusieurs êtres. » (La métaphysique du christianisme et la crise du treizième siècle, p.131) –, afinde présenter l’évidente opposition entre Blondel et Avicenne ; ce dernier pose que Dieu donnel’existence, par une nécessité inhérente à son essence, à toutes les créatures du monde, du moins auxcréatures autres que les générables et les corruptibles. Blondel se situe à l’exact opposé : « Il n’ya aucune nécessité qui rende Dieu débiteur de sa créature, et le don surnaturel, qui constitue notrepensée en intime union avec le verbe, demeure donc pure libéralité, sublime invention, charitable ini-tiative. » (Exigences philosophiques du christianisme, p.103).

En ajoutant que « loin d’être une nécessité, la vocation surnaturelle de l’homme reste toute gratuitecomme un pur don de la charité » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tome II, p.280), Blondel neprofesse pas du tout la doctrine de l’éternité du créé, d’autant que « le monde est, sinon un vivant, dumoins une histoire où tout est animé et conspirant vers une fin ultime » (L’Action, tome I, p.225)et, comme nous venons de le voir, le créé chez lui ne procède pas de Dieu nécessairement. De plus, lapossibilité de l’Enfer et le risque de perdition analysés par Blondel anéantissent définitivement unrapprochement aussi impromptu. C’est précisément pour cette raison-là que Blondel a critiqué unde ses maîtres et son modèle mathématique, Leibniz : « Parce qu’il [=Leibniz] a conçu son systèmecomme un déterminisme métaphysique et un calcul d’architecte, il a supprimé en somme l’initiativevraiment originale de tous les êtres apparemment agissants. » (L’Action, tome I, p.329)

Plus qu’un philosophe de la causalité, Blondel est un philosophe de la finalité pour qui « laconscience et la volonté n’existent qu’en fonction d’une finalité transcendante » (L’Action, tome I,

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p.238), soit cette finalité de toute la création, l’union entre le Christ Pantôkratôr et sa création,l’unum sint divin.

En outre, Blondel s’est toujours défendu de tout projet apologétique dont on le soupçonnaitjusque dans la sphère universitaire. Dans Le problème de la philosophie catholique, il explique sansaucune ambiguïté que sa Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétiqueet sur la méthode philosophique dans l’étude du problème religieux, à l’image de ses travaux, ne conte-nait aucune vocation apologétique et cherchait bien plutôt à éviter de « tomber dans l’immanentisme[en rappelant] l’impossibilité radicale de trouver, de discerner par le dedans ce qui ne peut être querévélé comme don gratuit et surnaturel, [en conservant] le caractère d’une recherche intégrale allantjusqu’aux bornes de la philosophie la plus développée. » (Le problème de la philosophie catholique,p.14)

Tout l’effort de Blondel, au contraire, a été d’éviter les confusions entre les ordres de connais-sance, en s’affranchissant « d’un faux concordisme philosophico-scientifique », assuré du « besoin quenous avons d’une doctrine ouvrant à la pensée métaphysique et religieuse des routes libérées dessujétions ou des timidités du passé. » (L’Être et les êtres, p.509) Blondel affirme qu’il « s’agit doncpour nous ici, non d’apologétique, ou de théologie, mais de concordance logique et d’implicationsréelles » (L’Être et les êtres, p.465), contre « L’erreur de l’individualisme égotiste, du scientisme utili-taire et démoralisateur, d’un rationalisme discursif et présomptueusement suffisant, d’une civilisationmécanisée et destructrice des sublimes dispositions spirituelle », défendant « le bien de cette civilisa-tion occidentale qu’il ne faut pas pour cela opposer à la sagesse de l’Orient. Mais plus on approchedes sommets, plus les égarements et les chutes sont redoutables. » (L’Action, tome I, p.381)

Préoccupé par la situation politique, Blondel écrit Lutte pour la civilisation et philosophie de lapaix en 1939. S’il nous a toujours avertis contre le danger d’un « humanisme athée » (La philosophieet l’Esprit chrétien, tome II, p.356), sans avoir grand-peine pour dévoiler les carences de « la moralelaïque » et de son « catéchisme moral » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tome II, p.215), il invitaitavec urgence les chrétiens à « briser les prétendues cloisons étanches qui sépareraient faussement lechrétien, de l’homme et du citoyen, et l’homme de Dieu, des progrès du monde. » (La Lettre sur lesexigences, p.76)

Conscient que « l’histoire réelle est faite de vies humaines ; et la vie humaine, c’est de la métaphy-sique en acte. » (Histoire et dogme – les lacunes philosophiques de l’exégèse moderne, p.168) et quecette histoire portait sur une « lutte non d’ordre politique et économique seulement, mais de caractèremétaphysique et religieux. » (Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix, p.152), Blondelse qualifie non d’intégriste mais d’intégraliste : « Loin d’aller à gauche, comme on l’a tant de foisprétendu, je me situais moi-même à l’opposé des minimistes, vers une extrême-droite qui, réagissantcontre le renanisme, contre le symbolisme évanescent, contre le néo-christianisme moderniste, tendaità glorifier la terre, la pratique littérale, sauvegardait toutes les exigences les plus concrètes et les pluspositives de ce catholicisme qui est essentiellement une vérité incarnée, tout à l’opposé d’une idéologieou d’un idéalisme dédaigneux de l’action. » (Blondel, Lettre à Alcan, 1927, Études blondéliennes, I,p.18.)

Sa lecture politique qui présente le libéralisme comme un nouveau totalitarisme, sans oublier dedéconstruire « la fausse mystique de la force » (Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix,p.175) et le monisme hitlérien d’inspiration romantique, rejoint les avancées d’Erik Peterson et duthéologien américain William Cavanaugh dont les travaux actuels illustrent l’enracinement politiquede la liturgie eucharistique, offrant une micropolitique chrétienne face au règne de l’hédonisme mon-dialisé. Il s’agit de développer une nouvelle économie de service grâce à un réseau de coopératives deproducteurs-consommateurs, implantées dans un tissu local, et un micro-crédit solidaire qui se détachedu joug de la spéculation, sans pour autant imiter les errances de la sociale-démocratie d’inspirationhégélienne, complice du juridisme libéral et de son « indifférente tolérance » (Lutte pour la civilisationet philosophie de la paix, p.11), elle-même incapable de saisir la présence et l’efficacité des sacrements

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d’après une logique de vraie sollicitude comme l’appelle Blondel avec, ennemi d’un catholicisme dufolkore, une « foi spirituellement assimilée et intégralement pratiquée » (La philosophie et l’Esprit chré-tien, tome II, p.111). Une telle alternative s’inscrit dans la lignée de Giorgio Agamben qui présenteles chrétiens comme « les premiers hommes intégralement économiques » (Le règne et la gloire (HomoSacer II, 2), p.51) G.K.Chesterton (Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste) ou de Jean-ClaudeMichéa pour qui « l’universel, c’est le local moins les murs » (Miguel Torga)

Plus fondamentalement, en parlant, non de l’ordre empirique, mais de la gradation des causes,Aristote déclarait qu’il « est nécessaire de s’arrêter » ; Blondel, lui, ajoute qu’il est nécessaire dene pas s’arrêter. La première phrase de sa thèse de 1893, L’Action, condensant un travail de dix ans,s’élevait ainsi, presque provocante : « Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et l’homme a-t-ilune destinée ? »

Après Blondel, il est impossible de répondre non ; telle une symbiose théandrique pour qui « iln’y a pas d’autre destinée normale que cette adhésion catholique » (La philosophie et l’Esprit chrétien,tome II, p.104), son oui figure comme le « couronnement de l’édifice universel et la seule solution duproblème entier de la destinée. » (La philosophie et l’Esprit chrétien, tome I, p.287)

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Plan de l’ouvrageIntroductionI/ Le dessein fondamentalII/ Critique du CogitoIII/ La pensée cosmiqueIV/ Philosophie de l’insuffisance et de l’inachevéV/ À la recherche de l’être. Pars purificansVI/ Des êtres à l’ÊtreVII/ Le mystère trinitaire de l’Être et la doctrine de la créationVIII/ Les problèmes métaphysiques de la créationIX/ La kénôseX/ Ontogénèse et normativeXI/ Le risque de perditionXII/Les problèmes métaphysiques de l’ActionXIII/ De l’Action de 1893 à l’Action de 1936XIV/ La création par la Cause première d’êtres capables de devenir à leur tour causeset créateursXV/ La clef de voûteXVI/ Le problème capital de la métaphysique chrétienneConclusionAppendice : Blondel et le thomisme

Bibliographie :– Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique et sur la méthodephilosophique dans l’étude du problème religieux, Annales de Philosophie Chrétienne, janv.-juillet1896.

– Histoire et dogme, les lacunes philosophiques de l’exégèse moderne, Impr. Librairie de Montli-geon, 1904.

– Le problème de la philosophie catholique, Paris, Bloud & Gay, 1932– La Pensée Tome 1 - La genèse de la pensée et les paliers de son ascension spontanée, Félix Alcan,PUF, 1934

– La Pensée Tome 2 - les responsabilités de la pensée et la possibilité de son achèvement, FélisAlcan, PUF, 1934

– L’Être et les êtres - Essai d’ontologie concrète et intégrale, 1935, P.U.F, 1963– L’Action. vol. I : Le problème des causes secondes et le pur agir, Paris, Alcan, 1936. Nouvelle

édition P.U.F., Paris, 1949– L’Action. vol. II : L’Action humaine et les conditions de son aboutissement, Paris, Alcan, 1937.Nouvelle édition Paris : P.U.F., 1963. Ce volume est une version revue et corrigée de l’Action de1893

– Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix, Paris, Flammarion, 1939.– La philosophie et l’Esprit chrétien, 2 vol, Paris, P.U.F., 1944/46.– Exigences philosophiques du christianisme, Paris, P.U.F., 1950– Carnets intimes, Tome 1 (1893-1894), Cerf Paris, 1961 et Tome 2 (1894-1949), même édition,Paris, 1966.

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