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Amnesty International D D O O C C U U M M E E N N T T P P U U B B L L I I C C ISRAËL ET TERRITOIRES OCCUPÉS À l'abri des regards : les violations des droits humains commises par les Forces de défense d'Israël (FDI) à Jénine et à Naplouse Index AI : MDE 15/143/02 ÉFAI

ISRAËL ET TERRITOIRES OCCUPÉS : À l'abri des regards : les ... · d'Ariel Sharon, Premier ministre israélien, 8 avril 2002. « Je suis allé dans des zones urbaines où des combats

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Amnesty International

DDOOCCUUMMEENNTT PPUUBBLLIICC

ISRAËL ET TERRITOIRES OCCUPÉS À l'abri des regards :

les violations des droits humains

commises par les Forces de défense d'Israël (FDI)

à Jénine et à Naplouse

Index AI : MDE 15/143/02

ÉFAI

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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : MDE 15/143/02 DOCUMENT PUBLIC Londres, novembre 2002

ISRAËL ET TERRITOIRES OCCUPÉS À l'abri des regards :

les violations des droits humains

commises par les Forces de défense d'Israël (FDI)

à Jénine et à Naplouse

Résumé *

Le 29 mars 2002, les FDI (Forces de défense d'Israël) ont lancé une nouvelle vague d'incursions dans des zones d'habitation palestiniennes au cours de l'opération Mur de protection. Selon les FDI, l'objectif de cette opération, à l'instar des incursions précédentes dans les camps de réfugiés au cours du mois de mars et de l'occupation de la Cisjordanie qui a suivi en juin, était de détruire les infrastructures « terroristes » notamment à la suite de l'homicide de 80 civils israéliens perpétré par des groupes armés palestiniens entre le 1er mars et le 1er avril.

L'offensive a démarré par une attaque contre le quartier général du président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, à Ramallah. Les FDI sont ensuite entrées, à partir du 1er avril, dans Bethléem, Tulkarem et Qalqiliya, puis elles ont pénétré à Jénine et à Naplouse dans les nuits du 3 et du 4 avril. Ces localités ont été déclarées zones militaires fermées et coupées du monde extérieur. À Jénine et à Naplouse, les zones où les FDI menaient des opérations – le camp de réfugiés de Jénine et la vieille ville de Naplouse – ont été complètement encerclées par des chars, des véhicules blindés de transport de troupes et des soldats qui en interdisaient l'accès. Les maisons ont été la cible de tirs intenses de missiles depuis des hélicoptères Apache.

Pendant toute la période du 4 au 15 avril, les FDI ont empêché tout accès au camp de réfugiés de Jénine : personne n’était autorisé à pénétrer dans le camp, où ne pouvaient donc entrer ni le personnel médical et paramédical, ni les ambulances, ni les employés des organisations d'aide humanitaire ou de défense des droits humains, ni les journalistes. La vieille ville de Naplouse a été coupée du monde extérieur du 3 au 22 avril par un cordon de chars des FDI.

* La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Israel and the Occupied Territories. Shielded from scrutiny: IDF violations in Jenin and Nablus. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - décembre 2002. Vous trouverez les documents en français sur LotusNotes, rubrique ÉFAI – IS documents. Vous pouvez également consulter le site Internet des ÉFAI : www.efai.org

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Les tentatives de la communauté internationale pour enquêter sur ce qui se passait dans les zones que les FDI avaient essayé de couper du monde extérieur ont été systématiquement entravées par le gouvernement israélien. Une mission des Nations unies, dont l'envoi avait été décidé le 5 avril 2002 par la Commission des droits de l'homme des Nations unies, n'a pas été autorisée à entrer en Israël et a été dissoute. Une mission de haut niveau d'établissement des faits, dont la mise en place avait été décidée d'un commun accord par Shimon Peres, ministre des Affaires étrangères israélien, et par Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, et qui avait été saluée par un vote unanime du Conseil de sécurité, n'a pas été autorisée à entrer en Israël et a dû être dissoute après plusieurs semaines de négociations.

Près de 500 Palestiniens ont été tués par les FDI pendant la période de quatre mois, du 27 février à la fin de juin 2002, au cours de laquelle celles-ci ont mené deux offensives de grande ampleur et réoccupé la Cisjordanie. Bien que de nombreux Palestiniens aient trouvé la mort au cours d'affrontements armés, un grand nombre des homicides imputables aux FDI semblent avoir été illégaux ; au moins 16 p. cent des victimes, soit plus de 70, étaient des enfants. Plus de 8 000 Palestiniens arrêtés lors de rafles massives menées pendant cette période ont été systématiquement maltraités et plus de 3 000 habitations palestiniennes ont été démolies.

Le nombre d'Israéliens tués par des groupes armés palestiniens ou par des individus a également augmenté, au point de doubler en mars pendant les premières incursions israéliennes. Plus de 250 Israéliens, dont 164 civils, ont été tués pendant les quatre mois précédant la fin de juin 2002 ; 32 enfants figuraient au nombre des victimes.

Le présent rapport est consacré aux opérations menées par les FDI à Jénine et à Naplouse entre avril et juin 2002. Il examine les allégations d'homicides illégaux, l'utilisation de boucliers humains, les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la personne de détenus, les obstacles opposés à l'assistance médicale ainsi que le manque de nourriture et d'eau, la destruction de biens et notamment la démolition totale ou partielle des infrastructures civiles, des immeubles commerciaux, des bâtiments historiques ou religieux et des habitations. Il expose également les moyens employés par l'État d'Israël pour mettre ses pratiques en matière de droits humains à l’abri de tout examen tant local qu'extérieur.

Les délégués d'Amnesty International se sont rendus dans les endroits où se sont produits les cas exposés dans le présent rapport et ils ont examiné les lieux où avaient été commises les violations signalées. Ils ont notamment étudié des dossiers de la Haute Cour de justice israélienne et examiné des documents – listes dressées par les hôpitaux, dossiers médicaux, registres des ambulances – ainsi que des déclarations publiques et des enregistrements sur vidéocassette. Les délégués se sont entretenus avec des représentants des municipalités, des membres du personnel médical local et international, des observateurs appartenant aux médias ainsi que de nombreux Israéliens, Palestiniens et ressortissants d'autres pays qui travaillent pour des organisations locales et internationales humanitaires et de défense des droits humains. Ils ont par ailleurs recueilli de très nombreux témoignages d'habitants de Jénine et de Naplouse ainsi que de victimes et de leurs proches. Les témoignages et les autres éléments de preuve ont été recoupés afin d'en vérifier l'exactitude. C'est ainsi que les chercheurs d'Amnesty International ont pu reconstituer la chronologie des événements qui se sont déroulés à Jénine et à Naplouse.

Un résumé du présent rapport est également disponible sur demande (index AI : MDE 15/149/02).

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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : MDE 15/143/02 DOCUMENT PUBLIC Londres, novembre 2002

ISRAËL ET TERRITOIRES OCCUPÉS À l'abri des regards :

les violations des droits humains

commises par les Forces de défense d'Israël (FDI)

à Jénine et à Naplouse

SOMMAIRE

Introduction ........................................................................................................................... 2

Le contexte du rapport ............................................................................................... 5

Résumé des événements ......................................................................................... 7

Jénine ........................................................................................................................................ 11

Naplouse ................................................................................................................................. 42

Le contexte juridique ................................................................................................. 56

Conclusions ........................................................................................................................ 65

Recommandations ........................................................................................................ 73

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Introduction

« Les soldats et les officiers des FDI [Forces de défense d'Israël] ont reçu des ordres clairs : pénétrer dans les villes et les villages qui sont devenus des sanctuaires pour les terroristes ; appréhender et arrêter les terroristes et, surtout, ceux qui les envoient ainsi que ceux qui les financent et les soutiennent ; confisquer les armes qu'ils ont l'intention d'utiliser contre des citoyens israéliens ; découvrir les installations terroristes et les explosifs ainsi que les laboratoires, les ateliers de fabrication d'armes et les installations secrètes et les détruire. Les ordres sont clairs : prendre pour cible et paralyser quiconque prend les armes et tente de s'opposer à nos troupes, leur résiste ou les met en danger, et éviter de faire du mal à la population civile. »

Déclaration devant la Knesset (Parlement israélien) d'Ariel Sharon, Premier ministre israélien, 8 avril 2002.

« Je suis allé dans des zones urbaines où des combats maison par maison s'étaient déroulés : le Rwanda, le Nicaragua, le Salvador, la Colombie, ainsi que dans une ville – Mexico – frappée par un tremblement de terre massif. Les destructions que j'ai vues dans le camp de Jénine rassemblent les pires aspects des deux situations. Les maisons ont non seulement été écrasées par des bulldozers ou détruites au moyen d'explosifs, mais elles ont été pratiquement réduites en poussière par les allées et venues répétées et délibérées de bulldozers et de chars. Des maisons ont été percées de part en part par des tirs d'obus de char ou d'hélicoptères de combat, d'autres semblent avoir été coupées par des ciseaux géants. À l'intérieur, on a une vision sinistre de salons ou de chambres presque intacts ; absolument rien n'indique que cette chambre ou ce salon, ni d’ailleurs la maison, ont été utilisés par des combattants. Des destructions gratuites, injustifiées et sans nécessité. Partout des poussettes d'enfant, des jouets, des lits. Où étaient ces enfants ? Je l'ignore, mais je sais où seront plus tard les survivants. »

Javier Zuniga, directeur de la stratégie régionale d'Amnesty International, qui est entré dans le camp de réfugiés de Jénine le 17 avril 2002.

Le 29 mars 2002, les FDI ont lancé une nouvelle vague d'incursions dans des zones d'habitation palestiniennes au cours de l'opération Mur de protection. Selon les FDI, l'objectif de cette opération, à l'instar des incursions précédentes dans les camps de réfugiés au cours du mois de mars et de l'occupation de la Cisjordanie qui a suivi en juin, était de détruire les infrastructures « terroristes », notamment à la suite de l'homicide de 80 civils israéliens perpétré par des groupes armés palestiniens entre le 1er mars et le 1er avril1.

L'offensive a démarré par une attaque contre le quartier général de Yasser Arafat, président de l'Autorité palestinienne, à Ramallah. Les FDI sont ensuite entrées, à partir du 1er avril, dans Bethléem, Tulkarem et Qalqiliya, puis elles ont pénétré à Jénine et à Naplouse dans les nuits du 3 et du 4 avril. Ces localités ont été déclarées zones militaires fermées et coupées du monde extérieur. Les FDI ont coupé l'eau et l'électricité dans la plupart de ces localités et elles ont imposé aux habitants un couvre-feu strict.

1. Le document publié par Amnesty International en avril 2002 et intitulé Israël et Territoires occupés. Le lourd tribut des incursions israéliennes (index AI : MDE 15/042/02) contient des détails sur les incursions menées par les FDI en mars.

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À Jénine et à Naplouse, les zones où les FDI menaient des opérations – le camp

de réfugiés de Jénine et la vieille ville de Naplouse – ont été complètement

encerclées par des chars, des véhicules blindés de transport de troupes et des

soldats qui en interdisaient l'accès. Les maisons ont été la cible de tirs intenses de

missiles depuis des hélicoptères Apache.

Dès le deuxième jour, à Jénine et à Naplouse, les morts n'ont pas pu être inhumés

décemment ni les blessés recevoir des soins médicaux. Les corps sont restés dans

la rue car les habitants qui se risquaient à sortir pour transporter les morts ou les

blessés étaient la cible de tirs. Des chars ont emprunté des ruelles étroites et

arraché les murs extérieurs des maisons ; dans de nombreux cas, les destructions

de biens étaient injustifiées et inutiles. Lors d'une opération effrayante et de

grande ampleur, les FDI ont démoli, détruit au moyen d'explosifs ou rasé avec des

bulldozers un vaste quartier d'habitation du camp de Jénine, en grande partie,

semble-t-il, après la fin des combats.

Près de 500 Palestiniens ont été tués par les FDI pendant la période de quatre mois,

du 27 février à la fin de juin 2002, au cours de laquelle celles-ci ont mené deux

offensives de grande ampleur et réoccupé la Cisjordanie. Bien que de nombreux

Palestiniens aient trouvé la mort au cours d'affrontements armés, un grand nombre des

homicides imputables aux FDI semblent avoir été illégaux ; au moins 16 pour cent des

victimes, soit plus de 70, étaient des enfants. Plus de 8 000 Palestiniens arrêtés lors de

rafles massives menées pendant cette période ont été systématiquement maltraités2

et plus de 3 000 habitations palestiniennes ont été démolies.

Le nombre d'Israéliens tués par des groupes armés palestiniens ou par des

individus a également augmenté au point de doubler en mars pendant les

premières incursions israéliennes. Plus de 250 Israéliens, dont 164 civils, ont été

tués pendant les quatre mois précédant la fin de juin ; 32 enfants figuraient

au nombre des victimes3.

Israël a le droit et le devoir de prendre des mesures pour empêcher les violences

illégitimes. Le gouvernement israélien est également tenu de veiller à ce que les

mesures prises pour protéger les Israéliens respectent les droits humains et les

principes du droit international humanitaire. En tant que puissance occupante de

la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza, Israël est tenu de

respecter et de protéger les droits humains de tous les habitants de ces régions.

Échapper à la surveillance

Pendant toute la période du 4 au 15 avril, les FDI ont empêché tout accès au camp de réfugiés de Jénine : personne n’était autorisé à pénétrer dans le camp, où ne pouvaient donc entrer ni le personnel médical et paramédical, ni les ambulances, ni les employés des organisations d'aide humanitaire ou de défense des droits humains, ni les journalistes. Les délégués d'Amnesty International et d'autres organisations ont tenté d'obtenir des informations par le seul moyen paraissant possible, à savoir en

2. Les détentions systématiques ont été exposées dans le document publié par Amnesty International en mai 2002 et intitulé Israël et territoires occupés. Détention massive dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes (index AI : MDE 15/074/02). 3. Voir les documents publiés par Amnesty International respectivement en octobre 2002 et en juillet 2002 et intitulés Israël, Territoires occupés et Autorité palestinienne. L'avenir assassiné : Les enfants en ligne de mire (index AI : MDE 02/005/02) et Israël, Territoires occupés et Autorité palestinienne. Atteintes au principe de distinction : les attaques contre des civils perpétrées par des groupes armés palestiniens (index AI : MDE 02/003/02).

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téléphonant constamment à des habitants soumis au couvre-feu. Le 12 avril, ceux-ci ont annoncé que le couvre-feu permanent avait entraîné une pénurie grave d'eau et de nourriture. Des enfants sont tombés malades après avoir bu de l'eau souillée. Une personne qui habitait en bordure du camp a déclaré : « Le camp sent la mort à cause des corps épars, certains ensevelis sous les décombres, d'autres écrasés par des chars et d'autres encore abandonnés dans les rues. »

La situation était similaire dans la vieille ville de Naplouse qui a été coupée du monde du 3 au 22 avril par un cordon de chars israéliens. Les représentants d'Amnesty International ainsi que d'autres défenseurs des droits humains se servaient du téléphone pour savoir ce qui se passait. Les habitants, qui étaient isolés et ne pouvaient parler que de leur environnement immédiat, décrivaient le manque de nourriture et d'eau ainsi que l'impossibilité de sortir de leur maison. Les habitants d'une maison ont signalé la présence dans la rue d’un corps qui était vraisemblablement celui d'un combattant palestinien ; des soldats, ont-ils raconté, avaient tiré sur des personnes qui avaient essayé de s'en approcher. Ils avaient assisté depuis leur maison à l'agonie de ce Palestinien inconnu puis avaient vu les chiens dévorer son cadavre en décomposition.

Jour après jour, les habitants réclamaient de l'aide au téléphone en décrivant le spectacle et l'odeur aux membres des organisations médicales et aux défenseurs des droits humains, qui étaient dans l'incapacité de les rejoindre et de leur apporter une aide.

Les barrières érigées par les FDI à Jénine et à Naplouse en avril 2002 pour éviter tout regard extérieur sont typiques de celles mises en place par les autorités israéliennes pendant les deux dernières années d'Intifada. Les villes et les villages palestiniens sont bouclés au moyen de tas de terre, de blocs de béton ou de barrages tenus par des soldats. Les citoyens israéliens ne sont pas autorisés à se rendre dans les Territoires occupés sans une autorisation spéciale difficile à obtenir. Les Palestiniens des Territoires occupés ne peuvent pas emprunter les routes principales et ils sont contrôlés, et souvent refoulés, aux barrages israéliens dressés à l'entrée de chaque ville. Depuis mai 2002, les Palestiniens ne peuvent se rendre d'une ville à l'autre dans les Territoires occupés sans un laissez-passer spécial. La plupart des Palestiniens en sont dépourvus et ils ne peuvent donc se déplacer. La bande de Gaza est coupée de la Cisjordanie et tous les Palestiniens des Territoires occupés ont besoin d'une autorisation spéciale pour se rendre à Jérusalem.

Les autorités israéliennes affirment que ces mesures sont justifiées. Si aucun Israélien ne peut pénétrer dans une zone palestinienne, c’est parce que de nombreux civils israéliens ont été pris pour cible et tués par des groupes armés palestiniens. Si aucun Palestinien ne peut se rendre à Jérusalem ni circuler sur certaines routes, c’est en raison des nombreuses attaques lancées par des Palestiniens armés contre des Israéliens. Hormis les chars des FDI, les véhicules blindés de transport de troupes et les jeeps, personne ne circule plus librement sur les routes des Territoires occupés. En avril 2002, les ambulances du Croissant-rouge palestinien n'étaient pas les seules interdites d'accès à Jénine et à Naplouse ; la même mesure s'appliquait à celles du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Certes, les Israéliens et les Palestiniens ne pouvaient rien voir de ce qui se passait à Jénine et à Naplouse, mais ni les diplomates, ni les journalistes, ni les membres des organisations internationales de défense des droits humains ou des organisations humanitaires n’étaient admis dans les zones militaires fermées.

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Une mission des Nations unies, dont l'envoi avait été décidé le 5 avril 2002 par la

Commission des droits de l'homme des Nations unies et qui était présidée par

Mary Robinson, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, n'a

pas été autorisée à entrer en Israël et a été dissoute. Une mission de haut niveau

d'établissement des faits dont la mise en place avait été décidée d'un commun

accord par le ministre des Affaires étrangères israélien, Shimon Peres, et par le

secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et qui avait été saluée par un

vote unanime du Conseil de sécurité, n'a pas été autorisée à entrer en Israël et a dû

être dissoute après plusieurs semaines de négociations.

L'État israélien est tenu par le droit international d'enquêter sur les violations des

droits humains, de poursuivre les responsables et de leur infliger une sanction

effective. Il doit également mettre en place des mécanismes permettant aux

victimes de bénéficier sans délai d'une réparation idoine et il doit veiller à ce que

les violations ne se renouvellent pas. Toutefois, le gouvernement israélien, qui

avait mis sur pied la Commission Or pour enquêter sur l'homicide de

13 Palestiniens tués en Israël par les forces de sécurité au début de l'Intifada en

septembre-octobre 2000, n’a rien fait pour ordonner une enquête approfondie et

indépendante, menée dans les plus brefs délais, sur l'un quelconque des 1 700 cas

d'homicide de Palestiniens dans les Territoires occupés.

Le contexte du rapport

Si vous souhaitez vous rendre dans un lieu particulier de Cisjordanie qu'Israël a

désigné comme zone militaire fermée, il n'y a pas beaucoup de possibilités [...]

Nous avons vu, le 15 avril, des convois humanitaires des Nations unies qui étaient

empêchés de pénétrer dans Jénine. Nous avons vu des voitures aux plaques

d'immatriculation diplomatiques et des délégués du CICR contraints d’attendre

plusieurs heures avant d'être autorisés à avancer jusqu'au prochain poste de

contrôle. L'autorisation d'entrer, qui semble être arbitraire, est donnée par les

commandants sur le terrain. Les Palestiniens d'Israël n'étaient pas autorisés à

passer, même lorsque nous disions qu'ils nous servaient de traducteurs et

pouvaient donc être considérés comme faisant partie de la délégation.

Entre les postes de contrôle, on croisait des colonnes de chars qui ne savaient pas

toujours que nous avions été autorisés à passer. Nous avons été interceptés par

l'une d'elles et [les soldats] ont dû demander confirmation par radio de notre

autorisation à pénétrer dans cette zone. Ils circulent à vive allure, portières et

trappes fermées. Il y a toujours un risque d'être abattu, s'ils considèrent qu’on a

enfreint le couvre-feu, en vigueur vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Javier Zuniga, Amnesty International

Depuis le déclenchement de la deuxième Intifada, Amnesty International a

envoyé 15 missions de recherche dans la région ; plus de la moitié d'entre elles se

sont déroulées pendant la deuxième année de l'Intifada. L'organisation a publié

huit rapports pendant cette période.

Après le début de l'opération Mur de protection, Kathleen Kavanaugh, experte en

droit international et déléguée d'Amnesty International, est restée plus de deux

mois dans les Territoires occupés pour surveiller la situation des droits humains.

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Parmi les délégués de l'organisation qui se sont rendus sur les lieux en avril et en

mai 2002 figurent la secrétaire générale d'Amnesty International, Irene Khan,

Derrick Pounder, professeur de médecine légale, qui est allé à Jénine où il a

pratiqué des autopsies, ainsi que le commandant David Holley, ancien officier de

l'armée britannique et conseiller militaire, qui a passé plusieurs semaines dans la

région en vue d'analyser la stratégie des FDI et d'évaluer les nécessités militaires.

Le présent rapport est consacré aux opérations menées par les FDI à Jénine et à

Naplouse entre avril et juin 2002. Il examine les allégations d'homicides illégaux,

l'utilisation de boucliers humains, les actes de torture et autres traitements cruels,

inhumains ou dégradants sur la personne de détenus, les entraves à l'assistance

médicale ainsi que le manque de nourriture et d'eau, la destruction de biens et

notamment la démolition ou les dommages infligés aux infrastructures civiles,

aux immeubles commerciaux, aux bâtiments historiques et religieux et aux

habitations. Il expose également les moyens employés par l'État d'Israël pour

dissimuler aux regards des observateurs, qu’ils soient locaux ou extérieurs, ses

pratiques en matière de droits humains.

Les délégués d'Amnesty International se sont rendus dans les endroits où se sont

produites les affaires exposées dans le présent rapport et ils ont examiné les lieux

où avaient été commises les violations signalées. Ils ont notamment étudié des

dossiers de la Haute Cour et examiné des documents – listes dressées par les

hôpitaux, dossiers médicaux, registres des ambulances – ainsi que des

déclarations publiques et des enregistrements vidéo. Les délégués se sont

entretenus avec des représentants des municipalités, des membres du personnel

médical local et international, des observateurs appartenant aux médias ainsi que

de nombreux Israéliens, Palestiniens et ressortissants d'autres pays qui travaillent

pour des organisations locales et internationales, dans le secteur humanitaire et

dans le domaine de la défense des droits humains. Ils ont par ailleurs recueilli de

très nombreux témoignages d'habitants de Jénine et de Naplouse, ainsi que de

victimes et de leurs proches. Les témoignages et les autres éléments de preuve ont

été recoupés afin d'en vérifier l'exactitude.

C'est ainsi que les chercheurs d'Amnesty International ont pu reconstituer

la chronologie des événements qui se sont déroulés à Jénine et à Naplouse.

Les préoccupations relatives aux opérations militaires qui sont exposées dans le

présent rapport ont été évoquées, en mai, avec le général de division Giora Eiland,

responsable de la Direction de la planification et de la politique des FDI, ainsi

qu'avec le colonel Daniel Reisner, responsable du Département du droit

international des FDI. Leurs commentaires et explications sont cités dans le

présent rapport. Amnesty International a soumis, en juin et en juillet, tous les cas

évoqués dans ce rapport aux FDI en vue d'obtenir des éclaircissements ; aucune

réponse n'était parvenue à la fin de septembre 2002.

Les opérations des FDI à Jénine et à Naplouse se sont accompagnées de

violations des normes internationales en matière de droits humains et du droit

humanitaire. Certains des actes commis constituent des infractions graves

à la Quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection

des personnes civiles en temps de guerre (Quatrième Convention de Genève)

et sont donc des crimes de guerre.

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Résumé des événements

À Jénine, les FDI ont pénétré dans le camp par toutes les directions, mais l'incursion la plus importante semble celle menée le 3 avril dans le quartier d'al Damaj. Les soldats ont ensuite traversé le quartier de Jurrat al Dahab avant de pénétrer dans celui de Hawashin. Cette progression correspond aux destructions constatées dans le camp. Les FDI ont souvent utilisé des bulldozers pour élargir les ruelles, arrachant la façade des habitations pour permettre le passage des chars et des autres véhicules militaires dans les rues étroites du camp. Les combats les plus intenses se sont déroulés du 3 au 9 avril. Les FDI ont appelé la population à évacuer le camp, mais de nombreux habitants disent qu'ils n'ont rien entendu ou qu'ils n'ont pas compris l'appel ; d'autres affirment qu'ils ont été pris dans des échanges de tirs quand ils ont tenté de partir et qu'ils se sont réfugiés dans leur maison ou dans une autre habitation. Les FDI ont fait à diverses reprises des annonces par haut-parleur appelant tous les hommes de quinze à quarante-cinq ans à se rassembler dans un endroit précis. Beaucoup affirment qu'ils n'ont pas osé quitter leur maison. Dans la plupart des cas, les hommes arrêtés ont été obligés de se déshabiller pour ne garder que leurs sous-vêtements ; on les a ensuite emmenés, à pied ou à bord de véhicules, dans le centre de détention de Bir Salem où ils ont été gardés plusieurs jours. La plupart d'entre eux ont été relâchés dans des villages isolés où on leur a donné l'ordre de rester. Les FDI ont demandé aux femmes qui avaient été rassemblées de quitter le camp.

Lors des premières incursions dans les camps de réfugiés au mois de mars, les FDI avaient pénétré dans le camp de Jénine sans rencontrer beaucoup de résistance de la part des membres des groupes armés palestiniens. Cette fois, selon le témoignage d'un membre du Fatah aux chercheurs d'Amnesty International, ils avaient décidé de résister :

« La décision de résister a été prise par la communauté à la suite de ce qui s'était passé au mois de mars. De toute façon, où pouvions-nous aller ? Les Israéliens avaient encerclé la ville, nous n'avions pas le choix, nous n'avions pas d'autre endroit où combattre. »

Les combattants étaient 120 à 150, armés pour la plupart ; parmi eux figuraient une trentaine de membres des forces de sécurité palestiniennes, appartenant essentiellement à Al Amn al Wiqai (services de sécurité préventive) et qui étaient membres du Tanzim (Organisation), le bras armé du Fatah. Des membres de groupes armés ont déclaré à Amnesty International que des femmes leur apportaient de la nourriture et que des enfants transmettaient les messages.

Les FDI ont progressé de maison en maison dans le camp à la recherche d'armes ou de membres des groupes armés. Des membres des FDI ont affirmé à Amnesty International que les soldats avaient traité chacune des 1 800 habitations du camp individuellement en demandant aux habitants de partir ; si personne ne sortait d'une maison, ils ordonnaient par haut-parleur à quiconque se trouvait à l'intérieur de sortir. De nombreux témoignages indiquent que les FDI ont souvent contraint des Palestiniens à participer à des opérations : elles obligeaient un habitant du camp à pénétrer le premier dans une maison et à la fouiller. Les soldats israéliens ont également utilisé des Palestiniens comme boucliers humains, en s’abritant derrière eux. Des patrouilles des FDI ont fait sauter les portes de maisons, bien souvent sans attendre que ceux qui se trouvaient à l'intérieur viennent ouvrir. Les soldats ont parfois démoli des maisons sans s'être assurés au préalable que les habitants étaient partis.

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Les membres des groupes armés palestiniens ont utilisé des maisons vides comme

bases de combat et ils les ont souvent piégées avant de se replier dans un autre

bâtiment. Les combats les plus intenses ont eu lieu entre le 3 et le 9 avril, et plus

particulièrement les 5 et 6 avril. La tactique employée par les groupes armés a

entraîné de lourdes pertes chez les FDI : le bilan s'élevait déjà à 10 morts à Jénine

le 9 avril, date à laquelle 13 autres soldats ont trouvé la mort dans une seule

embuscade. La destruction des habitations palestiniennes par d'énormes

bulldozers D-9, qui n'a pas été limitée à cette période, s'est accélérée à partir de

cette date. Selon le général de division Giora Eiland, responsable de la Direction

de la planification et de la politique des FDI :

« Au bout de sept ou huit jours, alors qu'on comptait 23 morts [dans nos rangs],

nous avons décidé de changer de tactique et d'utiliser des bulldozers.

On approche le bulldozer de la maison et on demande aux gens de sortir, puis on

la détruit [...] Nous n'avons eu aucune perte dans les cinq ou six derniers jours.

En chemin, les bulldozers devaient écraser d'autres maisons parce qu'il leur

fallait bien passer. C'était la façon la plus humanitaire de gérer la situation. »

La reddition négociée, le 11 avril 2002, de quelque 34 Palestiniens armés

encerclés dans un immeuble semble avoir marqué la fin de la résistance armée

dans le camp. Des membres de groupes armés palestiniens ont déclaré aux

délégués d'Amnesty International qu'à partir du 10 avril, ils avaient essayé de se

cacher ou de partir ; certains s'étaient fait arrêter avec d’autres hommes qui

n'avaient pas participé aux combats. Selon le témoignage d’habitants du camp,

confirmé par des employés d'organisations humanitaires locales et étrangères et

des journalistes qui se trouvaient en bordure du camp, on a entendu très peu de

coups de feu, voire aucun, après cette date. Toutefois, ainsi que le montrent les

photographies aériennes du camp de réfugiés qui figurent dans ce document,

la plus grande partie des destructions (démolition de maisons au moyen de

bulldozers) dans le quartier de Hawashin, sur une superficie de 400 mètres

par 500, ont eu lieu entre le 11 et le 14 avril.

Les ambulances du Croissant-rouge palestinien et du CICR ont été autorisées à

pénétrer pour la première fois dans le camp le 15 avril ; le blocus des FDI n'a été

levé que le 17 avril. La plupart des habitants qui en avaient eu la possibilité

avaient tenté de partir pendant l'incursion ; ils sont revenus en très grand nombre

après la levée du blocus. Les délégués de l'organisation ont vu des Palestiniens

hagards qui regardaient sans y croire les décombres des maisons et qui fouillaient

fébrilement, à mains nues, pour essayer de sauver des personnes ensevelies qui

auraient été encore en vie.

Les chercheurs d'Amnesty International sont entrés dans le camp de Jénine

le 17 avril, quelques minutes après la levée du blocus israélien. Le 14 avril,

le professeur de médecine légale Derrick Pounder, qui faisait partie de la

délégation, avait attendu devant le siège de la Haute Cour de justice israélienne

pour savoir si les organisations médicales seraient autorisées à pénétrer dans le

camp. Les employés du CICR et du Croissant-rouge palestinien ont pu pénétrer

dans le camp pour la première fois le 15 avril. Les délégués d'Amnesty

International ont attendu pendant trois heures au poste de contrôle de Salem ;

quand ils ont été autorisés à passer, sans aucun véhicule, ils ont dû marcher

12 kilomètres dans la campagne silencieuse en portant du matériel médical lourd

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avant d'arriver à la tombée de la nuit dans une ville sous couvre-feu. La plupart

des habitations de Jénine n'avaient pas d'électricité et ne disposaient que de l'eau

qui avait été stockée. Pour recharger leurs téléphones mobiles, les délégués de

l'organisation ont pris le risque de se rendre, la nuit après le couvre-feu, dans un

quartier qui avait de l'électricité. Le 16 avril, ils ont attendu toute la journée

devant l'hôpital public de Jénine, en bordure du camp, dont les FDI leur

interdisaient l'accès. Ils ont vu une femme sur le point d'accoucher qui a parcouru

à pied, avec difficulté, les 100 derniers mètres après que les FDI eurent intercepté

l'ambulance qui l'amenait à l'hôpital. Le directeur de l'hôpital leur a dit que des

corps de victimes palestiniennes avaient été recouverts de monceaux de terre dans

les jardins de l'hôpital, mais le professeur Pounder n'a pas été autorisé à entrer

pour pratiquer des autopsies.

Les membres des FDI qui bloquaient l'entrée de l'hôpital l'ont finalement autorisé

à entrer dans la matinée du 17 avril. Les délégués de l'organisation ont pénétré

dans le camp de Jénine quand la nouvelle de la levée du blocus israélien s'est

répandue. Ils ont vu le quartier de Hawashin, dans lequel vivaient auparavant plus

de 800 familles, et dont il ne restait que des ruines. À l'ouest de la zone,

un vieillard, debout devant les décombres d'une maison, criait que sa fille était

ensevelie sous les gravats.

Le blocus et le couvre-feu qui avaient été levés le 17 avril ont été rétablis à plusieurs

reprises. Kathleen Cavanaugh, experte en droit international et déléguée d'Amnesty

International, qui tentait de mener des recherches pendant les quelques heures où le

couvre-feu était levé et notamment d'enquêter sur les homicides récents d'enfants à

Jénine pendant le couvre-feu, est allée de maison en maison pour se mettre à l'abri

afin d'interroger les habitants. Pendant qu'elle s'entretenait avec des témoins

oculaires, les FDI ont tué un autre enfant qui avait enfreint le couvre-feu.

Bien que l'offensive menée par les FDI à Naplouse en avril 2002 ait reçu moins

d'attention que celle de Jénine, le nombre de victimes palestiniennes – 80 – a été

plus élevé et seuls quatre soldats israéliens ont trouvé la mort. Dans la vieille

ville, les blessés, privés d'assistance médicale, sont restés agonisants dans les rues

et dans des maisons endommagées ou démolies par des tirs de missiles ou par des

bulldozers pendant les quelque vingt jours qu'ont duré le blocus et le couvre-feu.

Bien que l'ampleur des démolitions de maisons n'ait pas égalé les ravages subis

par le quartier de Hawashin, de nombreuses habitations et des bâtiments

historiques ont été démolis ou endommagés.

Les membres des FDI ont encerclé Naplouse le 3 avril ; ils ont d'abord installé des

tireurs embusqués dans des immeubles élevés, essentiellement autour de la vieille

ville. Comme à Jénine, ils ont débuté leur assaut par des tirs de missiles contre

certains immeubles, mais les tirs semblent avoir été moins nourris qu'à Jénine.

L'infanterie a suivi et, le 6 avril, les membres des groupes armés palestiniens

avaient apparemment été repoussés et rassemblés dans deux quartiers principaux

de la vieille ville, al Yasmina et la Qasbah, dont la population était d'environ

3 000 personnes. Contrairement à ce qui s’était passé à Jénine, les FDI ne

semblent pas avoir engagé un grand nombre de fantassins dans des combats

maison par maison, probablement parce que les habitations de la vieille ville sont

plus solides et qu'il est plus difficile de les détruire qu'à Jénine. Un certain nombre

de maisons ont toutefois été endommagées par des tirs de missiles et les FDI ont

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démoli plusieurs habitations au moyen de bulldozers D-9 ; dans deux cas au

moins, les habitants des maisons détruites ont été ensevelis vivants sans qu’aucun

effort soit fait pour vérifier la présence de personnes à l'intérieur ni pour les

sauver. Les FDI ont également pris pour cible des bâtiments importants pour

l'économie de la ville, à savoir l'usine de savon et l'immeuble Hindiyeh. Naplouse

n'a pas été le théâtre de combats maison par maison comme Jénine ; le 11 avril,

les affrontements avaient pratiquement cessé et les FDI contrôlaient la ville.

Les groupes armés palestiniens avaient prévu l'incursion des FDI à Naplouse,

mais leur tactique a été tenue en échec par la précision des tireurs d'élite

israéliens. Deux membres du Fatah à Naplouse ont décrit dans les termes suivants

la situation pendant les combats :

« Il est difficile d'évaluer le nombre de combattants car ils étaient répartis en

deux groupes : l'un qui posait les bombes et l'autre qui combattait avec des

fusils. Ils étaient peut-être 400 en tout, dont une soixantaine venaient des

camps de réfugiés. La coopération était bonne entre les groupes de résistance,

et nous avons décidé de n'utiliser les bombes qu'au début de l'attaque contre

les chars israéliens. Une fois les chars entrés dans la ville et parvenus aux

abords de la vieille ville, ce qui a pris trois jours aux FDI, nous avons décidé

de résister avec des armes légères.

« Une fois la vieille ville encerclée par les FDI, les combats, qui ont duré cinq

jours, se sont concentrés dans deux quartiers de la vieille ville : al Yasmina et la

Qasbah. Les soldats israéliens avaient des plans et des photographies aériennes

de bonne qualité ; ils semblaient savoir où aller et quelles maisons fouiller.

Il nous était très difficile de combattre parce que nous n'avions pas de bons

moyens de communication et que les tireurs d'élite israéliens étaient très précis. Il

était pratiquement impossible de se déplacer dans les rues et les ruelles à cause

des tireurs isolés et des tirs de missiles depuis des hélicoptères.

« Nous n'avons pas reçu un ordre de résister venant de Ramallah, nous avons

pris la décision nous-mêmes après avoir vu des photos des combats de Ramallah.

Les groupes étaient rassemblés dans leur propre quartier, chacun autour de son

chef, mais les communications entre les groupes étaient artisanales et difficiles.

Pendant les trois premiers jours d'affrontements, nos combattants n'ont pas tiré,

ils se sont simplement servi de bombes contre les chars israéliens. Certains ont

essayé d'apporter de la nourriture et de l'eau à ceux qui en manquaient, mais ils

représentaient des cibles faciles pour les tireurs d'élite ; j'ai été consterné par

leur précision. Je pensais aussi qu'ils n'entreraient jamais dans la vieille ville,

mais ils l'ont fait. Je ne crois pas que nous étions préparés à cela. »

Comme à Jénine, les FDI ont coupé l'eau et l'électricité dans la plupart des

maisons. Aucun ordre d'évacuation générale ne semble avoir été donné avant le

10 avril, date à laquelle les hommes ont reçu l’ordre de se présenter pour être

arrêtés. Des habitants avaient peur de partir. Le couvre-feu imposé dans toute la

ville de Naplouse, y compris les camps de réfugiés, depuis le premier jour de

l'incursion a été maintenu jusqu'au 22 avril. Il a donc duré plus longtemps qu'à

Jénine ; les familles ont beaucoup souffert, car les stocks de nourriture et d'eau

diminuaient et personne n'osait s'aventurer à l'extérieur par crainte des tireurs

isolés qui abattaient toute personne circulant dans la rue. Selon de nombreuses

sources, les tireurs d'élite ont continué leurs tirs après la levée du couvre-feu.

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Il a été totalement impossible, du 3 au 8 avril, d'accéder aux hôpitaux ou d’aller

chercher les morts et les blessés dans la vieille ville. Dans les autres quartiers,

comme les ambulances ne pouvaient pas circuler, des hôpitaux de campagne ont

été installés dans des mosquées ou dans tout autre bâtiment adapté. Le couvre-feu

a été levé pour une heure le 10 avril, puis à peu près toutes les quarante-huit

heures jusqu'au 22 avril.

Les FDI ont levé le blocus à l'intérieur de la ville et le couvre-feu le 22 avril, mais

Naplouse est restée soumise à un blocus général et à une présence militaire

visible, notamment à proximité des camps de réfugiés de Balata et d'Askar, ce

dernier étant situé à la limite des zones A et C. Les opérations militaires se sont

poursuivies dans les camps et aux alentours. Lors du séjour d'un chercheur

d'Amnesty International à Naplouse, des chars étaient positionnés sur les collines

juste au-dessus du camp de Balata et à l'est du camp d'Askar ; des chars et des

véhicules blindés de transport de troupes circulaient régulièrement sur la route

principale d'Askar. Les chercheurs de l'organisation, pour qui il était difficile de

mener leur travail, n'étaient jamais sûrs de pouvoir entrer dans la ville. Il leur est

arrivé de parcourir six kilomètres à pied en franchissant les hauteurs de Burin

pour parvenir en bordure de la vieille ville ; les carrefours étaient bouchés par des

chars et des patrouilles des FDI, et toute la ville était sous couvre-feu. Dans

l'incapacité de rejoindre les maisons des défenseurs des droits humains avec

lesquels ils avaient pris contact, ils ont parcouru huit kilomètres à pied pour

quitter la ville en empruntant des rues éloignées du centre.

Jénine

Avant le déclenchement de la deuxième Intifada, Jénine était l'une des villes

palestiniennes les plus liées à Israël. Cette proximité est en partie géographique, la

ville étant située à douze kilomètres seulement de la « Ligne verte » qui sépare la

Cisjordanie d'Israël. De nombreux réfugiés vivant à Jénine sont originaires des

villages situés en Israël, à quelques kilomètres de la ville, et beaucoup de familles

de Jénine ont des proches en Israël. Un grand nombre de Palestiniens du

gouvernorat de Jénine travaillaient en Israël et beaucoup d'Israéliens se rendaient

à Jénine pour acheter des marchandises bon marché.

Le général de division Giora Eiland a déclaré aux délégués d'Amnesty

International que les FDI considéraient le camp de réfugiés de Jénine comme un

centre produisant des auteurs d'attentats-suicides, où l'Autorité palestinienne

finançait une vaste industrie de moyens « terroristes ». Il a précisé que 90 des

Israéliens qui ont trouvé la mort pendant les dix-huit mois précédant mai 2002

avaient été tués par des individus venus de Jénine. Selon le gouvernement

israélien, 28 attentats-suicides ont été organisés et menés depuis le camp de

Jénine entre octobre 2000 et avril 2002.

En janvier 2002, lors d'un entretien avec les délégués d'Amnesty International,

le gouverneur de l'Autorité palestinienne à Jénine a insisté sur les bonnes relations

entre les habitants de la ville et les Israéliens. Il a ajouté que, selon lui, le nombre

d'attaques menées depuis Jénine contre des Israéliens était lié au nombre de

personnes originaires du gouvernorat de Jénine qui avaient été tuées pendant

l'Intifada, chaque homicide d'un Palestinien pouvant pousser ses proches et ses

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amis à le venger. La première attaque-suicide menée par un habitant de Jénine au

cours de la deuxième Intifada a eu lieu en mai 2001, soit huit mois après le

déclenchement de l'Intifada4.

En 2001, les FDI ont pilonné les bâtiments de l’administration et de la police,

dont la prison, et elles avaient fait un certain nombre d'incursions dans la ville dès

avant avril 2002. En décembre 2001, toutes les routes permettant de quitter la

ville ont été barrées pendant vingt-sept jours et Jénine a été coupée de la région

environnante. À partir de cette date, la présence des forces de sécurité israéliennes

et les bouclages ont pesé lourdement sur la vie des habitants.

Le 28 février 2002, les FDI ont fait une incursion dans le camp de réfugiés, d'où

elles se sont retirées trois jours plus tard, le 2 mars. Pendant l'incursion, qui se

rattachait à l'opération Mur de protection, Jénine et de nombreux villages

environnants ont été déclarés zones militaires fermées et coupés du monde

extérieur. Les opérations dans la ville de Jénine et dans le camp ont duré du 3 au

18 avril. Toutefois, les FDI ont effectué de nombreuses incursions dans la ville et

dans le camp de réfugiés en avril, en juin et en juillet jusqu'à la réoccupation de la

ville et d'autres localités de Cisjordanie dans le cadre de l'opération Voie ferme.

Les homicides illégaux

Selon les listes dressées par les hôpitaux et consultées par les délégués de

l'organisation, 54 Palestiniens sont morts entre le 3 et le 17 avril 2002 dans le

camp de réfugiés et dans la ville de Jénine à la suite de l'incursion et des combats

qui ont suivi. Parmi les morts figuraient sept femmes, quatre enfants et

six hommes de plus de cinquante-cinq ans ; six de ces victimes avaient été

ensevelies sous les décombres de leur maison. Le corps d'une personne écrasée

dans l’effondrement de sa maison n'a pas été retrouvé5.

Les registres répertoriant les Palestiniens tués au cours de l'incursion et reçus à

l'hôpital de la ville de Jénine démontrent les conséquences du blocus de

l'établissement par les FDI entre le 5 et le 15 avril. Cinq corps ont été amenés à

l'hôpital, situé en bordure du camp, le 3 avril, premier jour de l'incursion.

Un autre corps a été amené le 4 avril. L'hôpital et le camp ont ensuite été

assiégés ; bien que l'hôpital se trouve à l'entrée du camp, pas un seul cadavre n'y a

été amené du 5 au 15 avril, date à laquelle l'État a accepté d'autoriser le personnel

du CICR à pénétrer dans le camp à la suite d'une requête introduite devant la

Haute Cour de justice israélienne par Adalah (Justice) et la Société palestinienne

pour la défense des droits humains (LAW), deux organisations de défense des

droits humains. La plupart des corps des personnes tuées entre le 5 et le 15 avril,

qu’il s’agisse de combattants ou de victimes qui n'avaient pas participé aux

4. Cinq Israéliens, dont trois femmes, ont été tués, le 18 mai 2001, à la suite d'un attentat-suicide perpétré dans un centre commercial très fréquenté de Hasharon Netanya. Cette attaque a été revendiquée par le Hamas (Mouvement de la résistance islamique). 5. Selon les FDI, 52 Palestiniens ont été tués, dont 14 seulement n'étaient pas des combattants (ce qui signifie que tout homme palestinien de quinze à cinquante-cinq ans est considéré comme un combattant). Amnesty International ne s'est pas penchée sur chaque cas ; selon les statistiques palestiniennes et Human Rights Watch, environ 22 des victimes étaient des combattants. Une enquête menée par l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) dans le camp de réfugiés de Jénine après le départ des FDI en avril a révélé qu'une seule personne était alors portée disparue. Voir le rapport de Human Rights Watch intitulé Israel, the Occupied West Bank and Gaza Strip, and Palestinian Authority Territories : Jenin IDF Military Operations [Israël, les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza et les territoires de l'Autorité palestinienne : les opérations militaires des FDI à Jénine].

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combats, sont restés sur place ; quelques-uns ont été transportés à l'intérieur de

maisons, d'autres ont été inhumés par leurs proches dans des cours ou des jardins

et quatre ont été emmenés à l'hôpital al Razi. Lorsque les délégués d'Amnesty

International sont entrés dans le camp le 17 avril, après le départ des FDI,

une odeur de mort se dégageait des ruines et l'on voyait des membres humains

dépasser des décombres des maisons.

La liste des blessés amenés à l'hôpital de la ville de Jénine révèle

que 24 Palestiniens ont été admis les 3 et 4 avril. Pendant la période de dix jours

du 5 au 15 avril, seuls 10 blessés palestiniens qui avaient réussi à franchir le

blocus israélien ont pu rejoindre l'hôpital. Une conclusion analogue se dégage du

registre des admissions à l'hôpital al Shifa où un seul patient, un enfant, semble

avoir été admis entre le 4 et le 10 avril. Neuf blessés ont été admis les 9 et

10 avril ; on ne relève ensuite aucune admission de Palestinien blessé jusqu'au

début du retrait des FDI, les 16 et 17 avril.

Pendant les combats, les habitants palestiniens, les journalistes palestiniens et

étrangers et d'autres observateurs à l'extérieur du camp ont observé des centaines de

tirs de missiles sur les habitations depuis des hélicoptères Apache qui multipliaient

les sorties. La puissance de feu déversée sur le camp de réfugiés a amené les

témoins de ces raids aériens, notamment des experts militaires et des journalistes, à

penser que de très nombreux Palestiniens avaient été tués. Le bouclage du camp de

réfugiés et de l'hôpital principal du 4 au 17 avril empêchait le monde extérieur de

savoir ce qui se passait à l'intérieur du camp. Quelques journalistes qui avaient

réussi à y pénétrer au péril de leur vie après le 13 avril n'ont vu qu'une petite partie

du camp et quelques cadavres avant de repartir. Les personnes vivant dans le camp

avec lesquelles il était possible de communiquer par téléphone étaient enfermées

chez elles et ne pouvaient pas expliquer ce qui se passait. C'est dans ces

circonstances que les rumeurs de « massacres » se sont répandues.

Les responsables des FDI avaient eux-mêmes du mal à déterminer le nombre de

victimes palestiniennes : le général Ron Kitrey a affirmé, le 12 avril, que plusieurs

centaines de personnes étaient mortes à Jénine avant de se reprendre et de déclarer

quelques heures plus tard qu'il y avait plusieurs centaines de morts et de blessés.

Quand les délégués d'Amnesty International se sont rendus, le 17 avril, à l'hôpital

de Jénine, ils n'ont trouvé que des « blessés qui pouvaient marcher », c'est-à-dire

ceux qui avaient réussi à passer le barrage des FDI. Les médecins, les diplomates

et les experts militaires qui se sont rendus sur place et qui savent que, dans les

combats, le taux de blessés graves est généralement de trois ou quatre pour un

mort se sont demandé où étaient les personnes grièvement blessées. Des rumeurs

faisant état de cadavres enterrés dans des endroits secrets ou emportés dans des

camionnettes frigorifiques se sont répandues. Après le retrait temporaire des FDI,

qui ont quitté le camp de réfugiés le 17 avril, l'UNRWA a envoyé des équipes

chargées de s'assurer, à partir des listes du recensement, de la présence des

quelque 14 000 Palestiniens qui vivaient vraisemblablement dans le camp le

3 avril 2002. Cinq semaines plus tard, un seul habitant était porté disparu.

Les cas d'homicides illégaux exposés plus loin sont au nombre de ceux sur

lesquels les délégués d'Amnesty International ont recueilli des informations

pendant leur mission à Jénine. L'organisation a soumis tous ces cas aux FDI,

en juin et en juillet 2002, en sollicitant des éclaircissements et des observations ;

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aucune réponse ne lui est parvenue. Dans aucun de ces cas, les autorités

israéliennes ne semblent avoir ordonné d'enquête sérieuse. Amnesty International

craint que l'absence d'enquête sur les cas d'homicides illégaux ne joue le rôle,

pour les membres des FDI, d’autorisation à poursuivre ce type d’agissements.

Mundher Muhammad Amin al Hajj

Le 3 avril, premier jour de l'incursion, Mundher al Hajj, vingt et un ans, a été

blessé par balle ; il aurait appartenu à un groupe armé palestinien. Des membres

du personnel de l'hôpital al Razi ont affirmé à Amnesty International qu'ils

avaient tenté à trois reprises de venir à son aide en brandissant des drapeaux

blancs, mais que, chaque fois, les FDI les avaient pris pour cible. Lorsque les

agents hospitaliers ont réussi à s'approcher de lui, deux heures environ après avoir

appris qu’un blessé avait besoin de soins, il était déjà mort.

L'une des premières personnes qui ont tenté de lui porter secours, Samar Qasrawi,

infirmière, a fait le récit suivant :

« Le matin du 3 avril [...] entre onze heures trente et midi, nous avons entendu des

tirs d'hélicoptères et de chars autour de l'hôpital. C'est à ce moment-là que

quelqu'un a emprunté l'escalier reliant la mosquée à l'hôpital en hurlant qu'il y avait

un blessé. Je me suis dirigée avec d'autres infirmières vers l'entrée de la mosquée en

descendant l'escalier. Une fois arrivées dehors, nous nous sommes dirigées vers le

blessé en portant des drapeaux blancs. J'ai vu trois chars qui ont commencé à tirer

dans notre direction. [Les soldats] nous ont dit en arabe : "Si vous revenez, on vous

tire dessus." Je ne voyais pas le blessé, mais je l'entendais qui disait : "Que Dieu

nous aide". Nous sommes reparties vers l'hôpital pour nous mettre à l'abri au

deuxième étage. Quand les tirs ont cessé, nous avons tenté une deuxième fois de

nous approcher du blessé. Nous avons changé de direction et avons décidé de

descendre vers la salle d'ablutions de la mosquée. Il y a un mur, puis des fenêtres ;

le blessé était allongé sur l'escalier de l'autre côté, je ne le voyais pas.

« J'ai commencé à lui parler et j'ai alors compris qu'il était vraiment tout près de

moi. Il m'a dit : "S'il te plaît, ma sœur, je vais mourir, sauve-moi parce que je vais

mourir." J'ai essayé de le calmer, mais quand je lui parlais il hurlait […]. Puis j'ai

vu un soldat qui se dirigeait vers moi et qui a pris position comme un tireur d'élite.

Je suis repartie vers le deuxième étage de l'hôpital. Environ dix minutes plus tard,

je suis redescendue. La troisième fois, j'ai demandé à l'homme s'il pouvait

s'approcher de l'entrée de la mosquée. Il m'a répondu qu'il ne pouvait pas bouger

car il avait été touché aux bras et aux jambes. Je lui ai dit de parler doucement et

lentement parce que, si les soldats l'entendaient, ils le tueraient. Je lui ai dit que

j'allais lancer une corde vers lui et je lui ai demandé s'il pourrait se traîner dans

ma direction. Il a répondu : "Non, je suis blessé aux bras et aux jambes." Les

soldats ont alors commencé à tirer en direction de la mosquée et de l'hôpital, une

salve de coups de feu a été dirigée sur le blessé ; je pense qu'il a été atteint au dos.

« Je suis retournée une nouvelle fois à l'hôpital. Les médecins avaient essayé de

coordonner l'évacuation du blessé par l'intermédiaire du CICR et du Croissant-

Rouge palestinien. Ils continuaient d'essayer d'obtenir l'autorisation de

s'approcher de lui. Je suis retournée à la mosquée et j'ai essayé de lui parler. Je

lui ai dit : "Mon frère, mon frère". Il m'a répondu d'une voix très faible : "Je ne

t'entends pas bien." Sa voix n'était pas forte comme avant. Je suis repartie à

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l'hôpital ; j'en ai parlé au directeur de l'hôpital, qui m'a informé que le CICR

avait négocié pour que deux infirmières puissent récupérer le blessé, et il m'a

demandé si je voulais y aller. J'ai accepté et je suis partie avec une autre

infirmière et une femme médecin, mais quand nous avons pu l'approcher, il était

mort. Il avait les yeux ouverts. Nous avons essayé en vain de transporter le corps.

Je suis allée chercher de l'aide, deux personnes y sont allées et l'ont ramené à

l'hôpital avec les deux femmes qui étaient restées auprès de lui. Il est arrivé à peu

près deux heures après notre première tentative pour le secourir. »

Le certificat médical dressé par l'hôpital et énumérant les blessures de Mundher al

Hajj révèle qu'outre des blessures aux bras et aux jambes, il avait reçu plusieurs

balles dans le dos. Les témoignages de Samar Qasrawi et du docteur Mahmud Abu

Alaih, qui l'a examiné après sa mort, donnent à penser qu'il a probablement été

blessé au dos par un tireur isolé quand il était allongé dans l'escalier. Il n'avait pas

parlé de blessure au dos quand il avait décrit ses lésions à l'infirmière. Les délégués

d'Amnesty International qui ont visité les lieux ont constaté que des soldats des FDI

occupaient un immeuble en surplomb et à gauche de l'endroit où Mundher al Hajj

était tombé et qu'ils pouvaient le voir clairement. Le droit international humanitaire

est clair sur ce point : un blessé qui ne participe plus aux hostilités ne peut être privé

de soins médicaux. Blessé, désarmé, ne présentant pas de danger pour les soldats,

Mundher al Hajj devait être considéré comme hors de combat.

Afaf Ali Hassan al Desuqi

Pendant les opérations militaires dans le camp de Jénine, comme dans d'autres

endroits, les FDI ont souvent fait sauter au moyen d’explosifs les portes des

habitations, parfois sans laisser aux habitants le temps d'ouvrir, ce qui a provoqué

la mort d'un certain nombre d'hommes et de femmes et en a blessé d'autres.

C'est ainsi que, le 5 avril, Afaf al Desuqi, cinquante-neuf ans, a été tuée par

l’explosion de la porte de son domicile. Sa voisine, Ismahan Abu Murad, utilisée

comme bouclier humain par les FDI pour les conduire jusqu'à cette maison, lui

avait demandé d'ouvrir la porte. Cette femme a confirmé le témoignage d'Aisha

Ali Hassan al Desuqi, la sœur d'Afaf, recueilli par Amnesty International :

« Ma famille était à la maison le vendredi 5 avril. Il était environ trois heures,

trois heures un quart de l'après-midi. Quelqu'un a frappé à la porte en nous

demandant d'ouvrir. Ma sœur Afaf a répondu : "Un moment". Elle l'a dit tout de

suite. Nous étions dans le salon qui donne sur la rue. Afaf s’est dirigée vers la

porte et nous l'avons suivie. Elle venait juste d’arriver et de tendre la main vers la

poignée quand la porte a explosé en lui arrachant la partie droite du visage. Elle

a aussi été blessée à la main gauche et à la partie gauche de la poitrine. Je pense

qu'elle a été tuée sur le coup. Nous nous sommes mis à hurler. Les soldats étaient

juste derrière la porte, ils ont commencé à tirer sur les murs comme s'ils

voulaient nous faire peur. Nous leur avons crié d'appeler une ambulance, mais ils

ne nous ont pas répondu. Mon frère est allé chercher le corps d'Afaf. Nous

n'avions plus de téléphone, il avait été coupé à dix heures du matin. Les voisins

ont appelé l'hôpital, on leur a dit que l'ambulance devait attendre l'autorisation

de circuler. Nous avons attendu en vain : aucune ambulance n'est venue.

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« Le vendredi et le samedi, je l'ai régulièrement parfumée. Le dimanche, nous

avons changé ses vêtements qui étaient couverts de sang et nous avons bandé ses

blessures. Je suis infirmière et je savais combien ce serait éprouvant de garder le

corps dans la maison pendant tout ce temps, nous avons donc passé les nuits chez

mon frère et nous revenions à la maison pour être auprès d'elle pendant la

journée. Le jeudi [11 avril], le couvre-feu a été levé pendant quelques heures et le

corps d'Afaf a été emmené à l'hôpital al Razi dans la voiture d'un voisin. Nous

n'avons pas pu nous rendre à l'hôpital de la ville de Jénine car il était en zone

militaire contrôlée. Nous avons inhumé Afaf dans un cimetière à l'est de la ville.

« Après sa mort, les FDI ont essayé de dire qu'Afaf avait commis un attentat-

suicide et qu'elle s'était fait exploser, mais ce n'est pas vrai. Regardez la porte,

elle a été soufflée de l'extérieur. Ma sœur ne faisait pas de politique, elle n'avait

rien à voir avec cela. »

Les délégués d'Amnesty International qui se sont rendus sur les lieux ont examiné

la porte ainsi que l'engin explosif, que la famille avait conservé. L'état de la porte

indique clairement qu'elle a été soufflée par une explosion qui s'est produite à

l'extérieur : cet élément correspond au témoignage cité plus haut.

Jamal al Sabbagh

Le 6 avril, Jamal al Sabbagh, trente-trois ans, a été abattu par les FDI après son

arrestation. Selon un témoin, il n'était pas armé quand il a été abattu et il ne

présentait pas de danger pour les soldats qui l'avaient interpellé.

La veille de sa mort, un tir de missile avait détruit sa maison. Le 6 avril, vers dix-huit

heures, les FDI avaient ordonné par haut-parleur à Jamal al Sabbagh, comme à tous les

hommes de seize à quarante-cinq ans demeurant dans le camp, de sortir dans la rue.

Muzaffar Jamal Zubaidi, seize ans, était chez lui, dans le quartier du camp appelé

Hawashin. Il a entendu l'appel lancé par haut-parleur demandant aux hommes de

sortir, mais il était seul et il avait peur. Des soldats se déplaçaient à pied et dans

des chars. L'adolescent a déclaré aux délégués d'Amnesty International qu'il avait

attendu devant sa maison pour voir s'il reconnaissait quelqu'un parmi les hommes

qui sortaient. Quand il a vu son voisin, Jamal al Sabbagh, il s'est mis à marcher à

ses côtés. Le jour tombait. Muzaffar Zubaidi a raconté que les soldats avaient

demandé à chaque homme de se déshabiller et de fournir des renseignements

personnels, notamment son nom et son numéro de carte d'identité. Jamal al

Sabbagh portait un sac : il a expliqué que les soldats l'avaient autorisé à emporter

ses médicaments, car il était diabétique, et à garder ses vêtements. Les hommes

ont reçu l'ordre de se diriger vers une place proche du dispensaire. Muzaffar

Zubaidi et Jamal al Sabbagh marchaient côte à côte :

« Ils nous ont ordonné de nous allonger par terre. J'ai obéi. Jamal était un peu

plus loin, à quelques mètres de moi, il s'est allongé par terre en gardant son sac.

Le soldat nous a demandé de nous lever et il a dit à Jamal de poser son sac à

quelque distance. Il l'a mis à côté de lui. Les soldats nous ont ensuite fait enlever

notre pantalon, j'avais commencé à me déshabiller quand j'ai entendu des coups

de feu. Une balle m'a frôlé, je suis tombé. Jamal a été touché sur le côté de la

tête. Je l'ai entendu prier, puis il s’est tu ; je suis resté couché par terre en

silence. Je pense que le coup de feu venait d'un tireur isolé posté à une fenêtre du

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troisième étage. Peu après, je ne saurais dire combien de temps, un autre groupe

d'hommes est arrivé sur la place. Les soldats leur ont ordonné d’enlever tous

leurs habits, sauf leurs sous-vêtements. Je suis entré dans une pièce avec ces

hommes et les soldats nous ont attaché les mains dans le dos. Il y avait trois

hommes qui n'avaient pas les mains liées, ils ont transporté le corps jusqu'à la

porte d'entrée et les soldats leur ont dit de le fouiller. Ils n'ont rien trouvé.

Les FDI ont ensuite mis le corps dans une chambre froide, c'était dans une

crémerie que les soldats avaient occupée. »

Muzaffar Zubaidi est retourné à Jénine après avoir été détenu pendant deux jours

et avoir passé onze jours dans le village de Rumaneh. Il a pris contact avec les

proches de Jamal al Sabbagh, mais il n'a pas réussi à retrouver le corps.

Le docteur Mohammad Abu Ghali, directeur de l'hôpital de Jénine, a déclaré :

« Le 15 avril, vers dix-sept heures, nous avons trouvé les restes d'un cadavre,

mutilé par un char, à côté de la crémerie – un doigt, des morceaux de chair, un

pantalon à côté des traces d'un corps humain. J'ai appelé les FDI et je leur ai

demandé : "Où est le corps ?" Ils n'ont rien répondu. »

Les restes du corps, qui avait été écrasé à plusieurs reprises par un char,

seraient ceux de Jamal al Sabbagh.

Abd al Karim Yusuf Saadi et Wadah Fathi Shalabi

Le 6 avril 2002, Abd al Karim Saadi, vingt-sept ans, et Wadah Shalabi, trente-

sept ans, ont été abattus par les FDI dans une ruelle proche de la maison de la

famille Saadi. Les deux hommes, qui habitaient près de l'entrée du camp de

réfugiés de Jénine, étaient voisins. Fathi Shalabi, le père de Wadah, qui était avec

eux quand ils ont été abattus et qui n'a pas été blessé, a fait le récit suivant :

« Mon fils Wadah a six enfants – quatre garçons et deux filles – dont l'aîné a dix

ans et le plus jeune quatre mois. C'était le 6 avril vers 18 h 30. Les soldats des

FDI s'étaient rendus chez Yusuf Abd al Karim Saadi dont la maison est à une

quinzaine de mètres de la mienne. Abd al Karim, le fils de Yusuf, était chez moi.

Les FDI sont ensuite passés de cette maison à celle de mon voisin. Mon fils

Wadah, qui normalement n'habite pas avec nous, était venu chez moi avec sa

famille à cause de la situation. Tout le monde était là avec moi : ma femme, mon

fils et sa famille, ma fille et sa famille. Les FDI [...] ont vu mes enfants qui

jouaient dans la cour et ils leur ont dit d'aller au sous-sol de ma maison. Nous

étions 17 ; nous sommes tous descendus au sous-sol où nous sommes restés

environ cinq minutes. Ils nous ont ensuite ordonné de nous rendre dans la maison

voisine, mais au lieu de nous faire passer par l'entrée principale, ils nous ont fait

marcher dans la rue pour rejoindre la maison de mon voisin par une ruelle.

Quand nous sommes arrivés au bout de la ruelle, ils ont séparé les hommes des

femmes. Mon fils et Abd al Karim portaient des enfants qu'ils ont donnés aux

femmes, et ils sont restés dans la ruelle. Les femmes et les enfants ont rejoint le

jardin situé derrière la maison d'Abd al Karim en empruntant une porte

métallique donnant sur la ruelle. Une fois qu'ils ont tous été à l'intérieur, les

soldats ont refermé la porte ; certains d'entre eux sont allés auprès des femmes et

trois sont restés avec nous, ils étaient à deux mètres de distance dans la ruelle

étroite. Il y en avait deux qui s'appelaient Gaby et David [...] Ils nous ont

demandé de soulever notre chemise.

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« Nous n'avions rien dans les mains. Quand ils nous ont demandé de soulever

notre chemise, nous l'avons fait. J'ai entendu Gaby dire en hébreu : "Tue-les, tue-

les" ; l'autre soldat a pris son arme et nous a arrosés de balles. Il a tiré de la

gauche vers la droite, Abd al Karim a d'abord été touché, puis Wadah. Je ne sais

pas comment j'ai échappé aux tirs, mais dès que j'ai entendu les coups de feu, je

me suis jeté par terre. Le corps de mon fils reposait sur le mien, j'ai senti quelque

chose d'humide et j'ai vu que c'était du sang. J'ai compris que mon fils avait été

touché, je suis resté immobile et j'ai fait le mort. »

Selon Fathi Shalabi, les soldats sont restés sur place pendant plus d'une heure.

Ils vérifiaient les corps de temps à autre et l'un d'entre eux a braqué une lampe sur

ses yeux. L’homme s’est efforcé de rester immobile. Dès qu’il a été sûr que les

soldats étaient partis, il est allé se cacher chez lui. Il savait que son fils et Abd al

Karim étaient morts. Il est resté chez lui une partie de la matinée avant de se

rendre dans la maison de la famille Saadi, où sa famille s'était réfugiée. Les corps

des deux hommes sont restés pendant neuf jours dans la ruelle ; selon le registre

de l'hôpital, ils y ont été amenés le 15 avril.

Les délégués d'Amnesty International se sont rendus sur le lieu de ces homicides.

Les soldats se trouvaient à moins de deux mètres des victimes ; les coups de feu

semblent avoir été tirés en début de soirée, avant la tombée de la nuit. Selon

certaines sources, Abd al Karim Saadi portait une ceinture orthopédique que les

soldats ont pu prendre pour une ceinture d'explosifs ; son frère et son père ont

toutefois affirmé qu'il ne portait pas de ceinture de ce genre. Le professeur Derrick

Pounder, qui a pratiqué l'autopsie de Wadah Shalabi, a conclu que sa mort avait été

provoquée par une balle qui était entrée dans la partie gauche du dos pour ressortir

par la droite à l'avant du corps. Il avait également été touché au pied. Selon la

version des faits donnée par le général de division Giora Eiland, responsable de la

Direction de la planification et de la politique des FDI, les FDI auraient découvert

trois hommes qui se cachaient et dont l'un portait une ceinture d'explosifs. Voici la

façon dont les choses se seraient passées, d’après le général Eiland :

« Le commandant d'une compagnie a demandé à des gens de sortir d’une maison.

Des femmes sont sorties et les soldats leur ont demandé s'il y avait d'autres

personnes dans la maison. Elles ont répondu : "Des invités". Les soldats ont

répliqué : "Dites-leur de sortir." Trois hommes, dont l'un avait un bébé dans les

bras, sont sortis. L'officier des FDI lui a dit de donner le bébé aux femmes ;

il a d'abord refusé puis, comme l'officier insistait, il a obtempéré. Les soldats ont

ensuite demandé aux hommes de s'approcher et d'enlever leur chemise.

Deux d'entre eux ont obéi et le troisième a refusé. Il a fini par soulever sa

chemise. Il avait une ceinture et il a été abattu. »

Il est difficile de concilier cette explication avec l'emplacement des corps, qui

gisaient dans une ruelle très étroite, où il est peu probable qu'un soldat ait ordonné

de s'approcher à des personnes qui étaient sous sa garde et qui ne se trouvaient qu’à

1,7 m de lui. On a beaucoup parlé de cette affaire et l'on connaît le prénom de deux

soldats impliqués dans la fusillade. On ignore les raisons pour lesquelles une

enquête approfondie, dont les conclusions auraient été rendues publiques, n’a pas

été menée afin de déterminer les circonstances de la mort de ces deux hommes.

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Ali Nael Salim Muqasqas

Le 17 avril 2002, le professeur Derrick Pounder a pratiqué, à l'hôpital de Jénine, l'autopsie du corps d'un homme de cinquante-deux ans qui a été identifié par la suite comme Ali Nael Salim Muqasqas. L'examen a révélé que cet homme avait reçu dans la partie droite de la poitrine une seule balle qui avait atteint le cœur et provoqué rapidement la mort.

Voici le récit d’Hassan, le fils d'Ali Muqasqas :

« C'était le samedi 6 avril. Nous étions neuf personnes rassemblées dans une pièce : quatre enfants, une jeune femme et quatre hommes, dont mon père et moi. Nous avons entendu des coups de feu provenant des Israéliens ; je savais que c'était les FDI parce que le bruit est différent de celui des tirs de la résistance. Comme un tireur d'élite avait endommagé notre réservoir le premier jour de l'incursion, nous avions fait des réserves d'eau sous l'escalier, à l'extérieur. Mon père est sorti vers midi et demi pour aller chercher de l'eau pour la famille ; il savait où il pouvait passer, car nous avions vu le tireur, qui nous avait déjà pris pour cible. Comme nous connaissions la portée de ses tirs, mon père savait qu'il pouvait s'attarder dans certains endroits et qu'il devait se dépêcher pour en traverser d'autres, sous peine d'être abattu. Ce jour-là, mon père a couru dans la première zone de danger, j'ai entendu deux coups de feu puis la voix de mon père qui disait qu'il avait été touché. Je suis sorti et j'ai essayé de m'approcher de lui, mais j'ai été pris pour cible et je n'ai pas réussi à le rejoindre. J'ai essayé de lui parler, mais il n'a pas répondu. L'escalier était à une vingtaine de mètres de la pièce dans laquelle nous étions réunis. J'ai essayé d'appeler un voisin pour savoir s'il pouvait s'approcher de mon père d'une autre façon, par exemple en passant par-dessus le mur. Mon voisin Abu Khaled m'a dit qu'il était trop vieux pour escalader le mur, puis il est venu frapper chez nous : il frappait tellement fort que j'ai couru lui ouvrir. À ce moment-là, un hélicoptère nous survolait et le tireur isolé continuait à tirer. Abu Khaled a été atteint à la poitrine ; ce n'était pas une blessure profonde, on aurait dit une égratignure. J'avais désormais deux problèmes à résoudre.

« J'ai transporté mon voisin dans la pièce de derrière et nous avons essayé de lui donner les premiers soins. Quand Abu Khaled a été touché, j'ai compris que le tireur d'élite n'était pas à sa place habituelle. J'ai regardé par la fenêtre de la pièce dans laquelle nous étions et j'ai vu des allées et venues dans la maison d'en face. J’ai su alors que des soldats des FDI avaient occupé cette maison, car la plupart de nos voisins avaient quitté le quartier. Je suis l'aîné et il me revenait de prendre une décision : j'ai décidé que ma famille devait quitter la maison car c'était trop dangereux. Quand nous sommes partis, nous espérions que mon père était encore en vie ; nous ne cessions de l'appeler : "Papa, papa", mais il ne répondait pas. Nous avons brisé les vitres d'une fenêtre de la pièce de derrière pour sortir. Nous avons débouché dans une ruelle qui menait à la maison de mon oncle, toute proche. Nous sommes restés chez lui jusqu'à la fin de l'incursion. Depuis cette fenêtre, nous appelions mon père ; il était trop dangereux de retourner dans notre maison, mais nous essayions de lui parler et de voir s'il donnait signe de vie. Nous n'avons pas réussi à nous approcher de lui jusqu'à ce que des employés du CICR et des médecins viennent récupérer son corps, le 15 avril ; il était mort. »

Les conclusions de l'autopsie correspondent à la façon dont ses proches décrivent les circonstances de la mort de cet homme.

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Jamal Fayed

De toute évidence, les habitants n'ont pas toujours disposé d'un délai suffisant

pour évacuer les maisons avant que les FDI ne commencent à les démolir au

moyen de bulldozers. C'est ainsi que Jamal Fayed, trente-huit ans, est mort écrasé

sous un mur de sa maison.

Fathiya Muhammad Sulayman Shalabi, mère de Jamal Fayed, a raconté aux

délégués d'Amnesty International que son fils était handicapé de naissance. Il était

incapable de se déplacer seul et ne parlait pas. Sa famille habitait le quartier de

Jurrat al Dahab, proche de celui de Hawashin, dans le camp de réfugiés. Selon

Fathiya Shalabi, des affrontements violents avaient eu lieu dans son quartier le

10 avril, une semaine après le début de la première incursion. Elle a déclaré que,

le lendemain, un tir de missile avait atteint sa maison et qu'un incendie s'était

déclaré dans les étages supérieurs. Sa tante Fawziya Muhammad avait été blessée

quand la famille tentait de quitter la maison. Ils étaient ensuite sortis par une

fenêtre latérale, sans pouvoir emmener Jamal. En quittant la maison, ils avaient

informé les soldats des FDI, qui avaient pris position dans une habitation voisine,

que Jamal était resté à l'intérieur et ils leur avaient demandé de ne pas tirer.

Un infirmier des FDI avait soigné la blessure de Fawziya Muhammad. La famille

s'était ensuite réfugiée chez un oncle où elle avait passé la nuit.

Le lendemain, la mère de Jamal et sa sœur sont retournées à leur domicile pour

s'occuper de lui. Il était vivant et n'avait pas été blessé. La mère a fait le récit suivant :

« Nous avons quitté la maison et sommes allées dire aux soldats que Jamal était à

l'intérieur et qu'il était paralysé. J'ai emporté sa carte d'identité comme preuve.

Nous leur avons demandé de nous laisser chercher de l'aide pour le transporter.

Tous les hommes jeunes avaient été arrêtés, mais il restait des hommes âgés

et nous avons demandé aux soldats s'ils pouvaient nous aider. Ils ont refusé.

Nous avons continué à demander, puis nous avons trouvé des soldats dans une

autre maison auxquels nous avons posé la même question. Ils ont fini par nous

laisser entrer dans notre maison, mais seulement les femmes. Nous étions cinq :

ma fille, ma sœur, deux voisines et moi. Peu de temps après, j'ai entendu un

bulldozer qui s'approchait de la maison. Il a commencé à la détruire, nous

sommes sorties et avons hurlé pour demander [au conducteur] d'arrêter.

On criait : "Il y a des femmes à l'intérieur", et nous avons aussi dit que Jamal

était là et qu'il ne pouvait pas bouger. Même les soldats lui criaient d'arrêter,

mais il n'écoutait pas. Nous avons vu le mur est de la maison qui s'effondrait

et nous nous sommes précipitées dehors ; qu'aurions-nous pu faire ? »

Quand les délégués d'Amnesty International se sont rendus pour la première fois

sur les lieux trois semaines plus tard, la mère de Jamal Fayed était assise,

désespérée, au milieu des ruines de sa maison.

Ahmad et Jamil Yusuf Ghazawi

Le 21 juin 2002, deux mois après l'opération Mur de protection, pendant les

premiers jours de l'opération Voie ferme et de la réoccupation de la Cisjordanie

par les FDI, des soldats ont tiré depuis un char sur le docteur Samer al Ahmad,

tuant Ahmad Yusuf Ghazawi, six ans, et son frère Jamil, douze ans, et blessant

leur frère Tareq ainsi que le docteur al Ahmad.

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Après l'annonce par les FDI de la levée du couvre-feu, Ahmad, six ans, avait

demandé à son père un shekel pour acheter des bonbons. Il était sorti avec ses frères

Jamil, douze ans, et Tareq, onze ans. La famille Ghazawi demeure dans un quartier

d’habitation en bordure de la ville de Jénine, en zone C (entièrement sous contrôle

israélien). Une partie de la scène a été filmée par un voisin depuis un toit. Le film

montre la voiture du docteur Samer al Ahmad et sept enfants, âgés de six à douze

ans, dont quatre sont à bicyclette. On n'entend aucun coup de feu, mais on voit

soudain un éclair rouge et une explosion. Ahmad est mort, les deux jambes

arrachées, dont l'une complètement ; Jamil, ensanglanté, est couvert de coupures

et Tareq est allongé à côté d'un poteau électrique, un trou sur le flanc et à l'estomac.

Le docteur Samer al Ahmad, un vétérinaire de quarante ans, directeur des comités

de secours agricole palestiniens pour le district de Jénine, a fait le récit suivant :

après l'annonce par les FDI de la levée du couvre-feu entre dix heures et quatorze

heures, il s'était rendu en voiture à son bureau pour récupérer des télécopies.

Il était ensuite allé dans un magasin où on lui avait dit qu'il y avait des soldats dans

le quartier et qu'il devait rentrer chez lui. Le magasin était à deux cents mètres de sa

maison. Quand il a pris la rue principale, il a vu un char qui descendait la rue et a

tiré dans sa direction ; il a été atteint par des éclats qui ont traversé la vitre arrière de

sa voiture. Il a rapidement tourné dans la première ruelle latérale où il a vu un

groupe d'enfants qui jouaient et dont certains étaient à vélo. Le char a tiré une

nouvelle fois et l'obus s'est apparemment désintégré en frappant le mur.

Rami, douze ans, a raconté ce qui s'était passé :

« Quand j'ai appris que le couvre-feu était levé, je suis sorti rejoindre mes amis

Jamil, Tareq, Ahmad, Muhammad, Wael et Wissam. Nous nous sommes tous

dirigés vers la rue principale. Jamil, Tareq, Ahmad et Wael étaient à vélo, les

autres et moi, on était à pied. Quand nous sommes arrivés au carrefour, nous

avons vu des jeeps des FDI à l'angle de la rue et nous avons eu peur.

Nous sommes retournés vers nos maisons et, entendant un char passer, nous nous

sommes arrêtés à côté d'un bâtiment de notre rue. Puis, nous avons vu un autre

char à environ 300 mètres de nous, alors nous avons quitté le bâtiment et nous

nous sommes dépêchés de rentrer chez nous. Jamil disait à Ahmad et à Tareq de

ne pas traîner parce qu'il y avait des chars. Le char se trouvait alors au bout de

la rue, et j'ai vu la voiture du docteur Samer venir vers nous. Il klaxonnait pour

nous avertir de nous écarter. La seule chose dont je me souviens ensuite,

c'est d'une lumière rouge et d'une explosion.

« Quand j'ai entendu la bombe, je me suis jeté sur le côté. Puis je suis revenu dans

la rue et j'ai d'abord vu Ahmad. Il n'avait plus de jambe gauche et son estomac était

sur la route. Puis j'ai vu Jamil, il était blessé dans le dos et agitait ses mains.

Il a ouvert les yeux pendant une minute, puis il les a refermés. Tareq se trouvait

près d'un poteau électrique, c'est lui que nous avons trouvé en dernier. Il avait un

trou dans une jambe et des éclats de bombe dans l'estomac, l'oreille et le dos.

« Le docteur Samer a garé sa voiture devant notre maison et il s'est dirigé vers

notre garage. Quand il est descendu de la voiture, les voisins lui ont dit d'entrer,

il s'est effondré. Notre voisin Yazid l'a transporté. Le docteur Samer n'avait pas

de chaussures, il portait un tee shirt et un pantalon. »

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Ahmad est mort dans la rue et Jamil à l'hôpital. Le char a poursuivi sa route sans

attendre pour constater les dégâts. Les habitants du quartier assurent qu'on leur

avait annoncé que le couvre-feu était levé ; les FDI contestent cette affirmation et

soutiennent, pour leur part, qu'il était toujours en vigueur au moment des tirs.

Les délégués d'Amnesty International ont interrogé des témoins et ont regardé la

vidéocassette qui retrace les faits. Il est évident que les FDI ont manqué à deux

obligations fondamentales, à savoir protéger la population civile et utiliser une

force proportionnelle à la menace perçue. Les FDI ont annoncé qu'une enquête

serait ouverte, mais les résultats n'ont pas été rendus publics. Ni le docteur Samer

al Ahmad, qui est resté neuf jours dans un hôpital israélien, ni aucun autre témoin

n'a été convoqué pour être entendu.

Le jour de la mort de Jamal et d'Ahmad, une fillette, Sujud Fahmawi, a été tuée ;

vraisemblablement, elle était elle aussi sortie de chez elle en croyant que le couvre-

feu avait été levé. Le 26 juin, date à laquelle les délégués d'Amnesty International

se sont entretenus avec la famille Ghazawi à Jénine, des soldats ont abattu un enfant

de sept ans à Jénine, dans des circonstances probablement similaires.

Fares Hassan al Saadi

Dans la soirée du 21 juin 2002, les FDI ont fait exploser une maison inhabitée

dans la vieille ville de Jénine. L'explosion a aussi détruit la maison contiguë, où

huit membres d'une famille sont restés coincés sous les décombres.

Deux personnes ont été grièvement blessées et un enfant de douze ans, Fares, a

été tué. Selon la famille et les voisins, aucun avertissement n'avait été donné avant

l'explosion, malgré les protestations d'un voisin qui avait été contraint par les FDI

de contrôler la maison visée. Amnesty International a interrogé des voisins et des

membres de la famille. Tous les témoignages sont concordants. Les FDI ont

affirmé que le bâtiment visé était utilisé pour stocker des munitions. Que cette

affirmation soit fondée ou non, les FDI ont gravement manqué à leur devoir de

protéger la population civile dans les environs immédiats de la maison.

Un voisin de la famille al Saadi a raconté que les FDI l'avaient contraint

de vérifier s’il ne se trouvait pas d’explosifs dans une maison inoccupée :

« ...Les soldats m'ont dit qu'ils allaient détruire la maison. J'ai vu la bombe. Je leur ai

expliqué qu'il y avait en fait deux maisons séparées seulement par un mur mitoyen. Je

leur ai dit que s'ils faisaient exploser cette maison-ci, l'autre s'écroulerait aussi.

J'ai signalé qu'il y avait des enfants à côté. J'ai demandé aux soldats l'autorisation

d'aller frapper à la porte pour les avertir, mais ils ont refusé. »

Le père de Fares, Hassan Fares al Saadi, a déclaré à Amnesty International :

« Soudain, il y a eu une explosion et le toit s'est effondré. J'étais sous les

décombres. Quand je suis sorti, j'ai appelé mes enfants. J'ai d'abord entendu

Mahmud (onze ans) qui était blessé à la cheville gauche. Puis j'ai entendu ma fille

Asil (huit ans), qui avait la jambe cassée et une blessure à la tête. Ma femme était

blessée sur tout le côté gauche du corps, elle était coupée et saignait. À ce jour, elle

entend toujours mal de l'oreille gauche. J'ai ensuite trouvé ma fille Hadil, qui était

inconsciente, puis ma nièce Muna, blessée dans le dos et à la jambe. Et puis nous

avons trouvé Fares. À ce moment-là, je ne savais pas s'il était mort ou vivant. »

Fares al Saadi est mort dans l'ambulance pendant son transfert à l'hôpital.

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Les normes internationales, notamment les Principes relatifs à la prévention

efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens

d'enquêter efficacement sur ces exécutions, imposent l'ouverture sans délai

d'enquêtes approfondies et impartiales sur ces homicides. La responsabilité de ces

investigations incombe en premier lieu à l'État. Amnesty International prie le

gouvernement d'ordonner sans délai, en ce qui concerne les cas évoqués plus haut,

l'ouverture d'une enquête approfondie et transparente dont les conclusions devront

être rendues publiques. La communauté internationale est tenue de veiller à ce que

ces enquêtes soient ordonnées et menées conformément aux principes des Nations

unies et à ce que les responsables d'homicides illégaux soient traduits en justice.

Les Palestiniens contraints de participer à des opérations militaires et de servir de boucliers humains

Les FDI ont systématiquement contraint des Palestiniens à participer à des

opérations militaires. Plusieurs Palestiniens interrogés par Amnesty International

sur d'autres faits ont affirmé qu'ils avaient été contraints de participer à des

opérations militaires et de servir de boucliers humains. Ces pratiques constituent

une violation du droit international humanitaire. Bien que les FDI aient annoncé

en mai 2002, par l'intermédiaire du procureur général, qu'elles n'utiliseraient plus

de civils pour mener des opérations militaires, l'organisation a continué de

recevoir des informations relatives à l’utilisation de Palestiniens par des membres

des FDI au cours d'opérations militaires, notamment comme boucliers humains

(voir plus haut, par exemple, les circonstances de la mort de Fares al Saadi).

Un mode opératoire constant se dégage des très nombreux cas de Palestiniens utilisés

comme boucliers humains lors des opérations militaires des FDI. Les FDI obligeaient

généralement un homme6 à fouiller des locaux dans chaque zone du camp. Dans la

plupart des cas, les soldats détenaient un Palestinien pendant une certaine période,

dans certains cas plusieurs jours durant. La vie de ces personnes était en grand danger

et elles étaient parfois blessées, ainsi que le montre le cas exposé ci-après.

Faisal Abu Sariya

Faisal Abu Sariya, un enseignant de quarante-deux ans, a déclaré aux délégués

d'Amnesty International qu'il avait été contraint d'accompagner les FDI pendant deux

jours pour des opérations militaires et qu'il avait été utilisé comme bouclier humain.

Il affirme avoir été battu et maltraité pendant sa détention par les FDI. Il a été blessé

par balle au genou alors qu'il servait de bouclier humain, mais il n'a pas reçu les soins

médicaux nécessités par son état et n'a pu se faire soigner que trois jours plus tard.

Le 4 avril 2002, deuxième jour de l'incursion, Faisal Abu Sariya était avec sa famille

à son domicile dans le camp de réfugiés de Jénine. Quelqu'un a frappé à la porte vers

quatre heures du matin. Les FDI avaient ordonné à un voisin, un garçon de quinze

ans, d'entrer dans la maison et de dire à la famille de se rassembler dans une pièce.

Les soldats ont ensuite fouillé la maison qu'ils ont occupée toute la journée et la

soirée. Pendant ce temps-là, raconte Faisal Abu Sariya, ils l'ont emmené dans une

autre pièce et l'ont battu. Il a déclaré aux délégués d'Amnesty International :

6. Des femmes et des enfants ont également été utilisés, par exemple l'adolescent de quinze ans dont le cas est exposé ci-après ou, dans l’affaire au cours de laquelle Afaf al Desuqi a été tuée, Ismahan Abu Murad (voir plus haut).

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« Un officier, dont j'ai appris que le prénom était Eitan, m'a dit d'appeler un

autre soldat [une expression péjorative]. J'ai refusé et il m'a dit : "C'est un ordre",

mais j'ai persisté dans mon refus. Ils se sont mis à me donner des coups de pied

et de poing sur les épaules et les jambes. Puis ils ont pris le poste de télévision

et l'ont jeté par terre. »

Le matin du 5 avril, Faisal Abu Sariya a été emmené par des soldats :

« L'officier, Eitan, m'a dit : "Viens avec nous." Je lui ai demandé : "Pourquoi

devrais-je aller avec vous ? Je ne suis pas recherché." Il m'a dit de l'accompagner

dix minutes seulement, chez un voisin. J'ai répondu que mes enfants allaient

pleurer si je partais. Il m'a répété que c'était juste pour dix minutes et a ajouté :

"Je préfèrerais ne pas avoir à utiliser la force." Alors je l'ai suivi. En quittant la

maison, l'officier a regardé à droite et à gauche puis il m'a pris par le col et m'a

mis devant lui pour sortir et aller vers la maison du voisin. Personne ne tirait,

mais Eitan s'est accroupi juste derrière moi et il s'est mis à tirer vers la gauche

pendant que les autres soldats avançaient vers la maison du voisin.

« Nous sommes entrés chez le voisin. Il n'y avait personne. Une quinzaine de

soldats nous accompagnaient. Ils m'ont dit de rester dans une pièce, puis ils m'ont

fait sortir en me disant d'aller seul jusqu'à une autre maison et de frapper à la

porte. J'ai obéi, mais personne n'a répondu ; ils m'ont dit de revenir. Je les ai vus

transporter une sorte de boîte métallique jusqu'à la porte, puis j'ai entendu une

explosion. On m'a ordonné de retourner à la maison, d'y entrer et, s'il y avait des

personnes à l'intérieur, de leur dire de se rassembler dans une pièce. Cette fois-

là, j'ai trouvé une autre porte à laquelle j'ai frappé, mais personne n'a répondu.

Les soldats ont fait exploser cette porte, ils ont envoyé un chien dans la maison et

m'ont ordonné d'entrer et, si je trouvais des portes fermées, de les ouvrir.

Les soldats sont entrés après moi.

« Il était environ 15 h 30. J'ai dit aux soldats que je voulais rentrer chez moi et l'un

d'eux a répondu que je pourrais partir quand ils auraient trouvé quelqu'un pour me

remplacer. Ils ont fouillé la maison, puis nous sommes descendus au rez-de-

chaussée où ils ont creusé un trou dans le mur mitoyen d'une autre maison.

Les soldats m'ont dit de passer le premier par ce trou, puis six ou sept d'entre eux

m'ont suivi. On m'a ensuite emmené dans une autre maison que les soldats ont

également fouillée ; il n'y avait personne. En sortant de cette maison, Eitan m'a

agrippé par le cou et il a posé son fusil sur ma hanche droite. J'ai fait une vingtaine

de mètres dans cette position. Ils m'ont ensuite emmené chez un autre voisin, Ibrahim

Fraihat, que je connais. Quand nous sommes entrés, il y avait déjà des soldats.

Ils nous ont mis, Ibrahim et moi, dans une pièce où nous avons passé la nuit... »

Pendant toute la journée ainsi que le lendemain, Faisal Abu Sariya n'a cessé de demander aux soldats de le libérer ; ceux-ci lui répondaient toujours qu'ils le feraient quand ils auraient trouvé quelqu'un pour le remplacer. Il a précisé qu'au cours des fouilles maison par maison, lui-même ou un autre détenu étaient placés devant les soldats. Toujours selon son récit, un soldat a placé son fusil à côté de lui ou l'a posé sur son corps à trois reprises ; une fois, il a dû rester devant un soldat quand celui-ci a ouvert le feu. Le 6 avril, vers dix-sept heures, les soldats lui ont ordonné de traverser une petite rue et de frapper à la porte d'un bâtiment car ils avaient vu des fils électriques qui en sortaient. Une unité des FDI positionnée sur un toit voisin a ouvert le feu quand Faisal Abu Sariya traversait la rue, le blessant grièvement à la jambe. Il a rejoint l'unité avec laquelle il se

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trouvait et a reçu les premiers soins, mais les soldats ne se sont pas occupés de son transfert à l'hôpital. Ils l'ont fait transporter par quatre jeunes Palestiniens qui n'ont pas réussi à arriver jusqu'à l'hôpital et l'ont laissé dans une maison du quartier d'al Damaj. Ce n'est que le 9 avril qu'il a pu recevoir des soins médicaux, quand les FDI ont demandé aux habitants de ce quartier d'évacuer leurs maisons.

Les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la personne de détenus

Pendant les opérations dans le camp de Jénine entre mars et juin 2002, les FDI ont maltraité et, dans certains cas, torturé des centaines de détenus du sexe masculin, âgés, pour la plupart, de seize à cinquante-cinq ans7. Le 11 avril, les FDI ont annoncé que 685 Palestiniens avaient été arrêtés à Jénine ; le sexe, la nationalité et l'âge constituaient selon toute apparence les seuls critères d’interpellation8. Les hommes ont été séparés des femmes, des enfants et des hommes de plus de cinquante-cinq ans. Ils ont été obligés de se déshabiller pour ne garder que leurs sous-vêtements, on leur a bandé les yeux et leurs mains ont été liées au moyen de menottes en plastique. Beaucoup se sont plaints d'avoir été maltraités et certains ont affirmé qu'on les avait battus ; un détenu est mort des suites de coups.

On les a ensuite emmenés à Bir Saadeh où ils ont été détenus pendant des périodes comprises entre deux et cinq jours. Ils ont été maltraités ; des anciens détenus se sont plaints d'avoir été contraints de rester accroupis, la tête baissée entre les genoux, pendant de longues périodes. Ils avaient toujours les yeux bandés et les mains attachées dans le dos par des menottes en plastique. Ils n'auraient reçu aucune nourriture pendant les premières vingt-quatre heures et la distribution d'eau n'était pas systématique – certains ont dit qu'on leur avait donné un peu d'eau, d'autres qu'ils en avaient été privés. La plupart ont affirmé qu'on ne leur avait pas donné de couvertures alors que les nuits étaient froides et qu'il n'y avait pas de toilettes, ou que l'accès en était limité, ou possible uniquement dans des conditions difficiles ou dégradantes. Les détenus ont ensuite été transférés au centre de détention de Salem ; la plupart d'entre eux ont été relâchés après avoir été maintenus en captivité pendant des périodes comprises entre trois et onze jours.

À la fin de leur détention, ils ont subi un interrogatoire qui durait entre un quart d'heure et une heure. Certains ont indiqué qu'on leur avait posé des questions élémentaires, tandis que d'autres ont été interrogés sur les activités politiques ou armées dans le camp ou sur leurs propres opinions politiques. Des détenus ont été transférés dans d'autres centres de détention, dont certains étaient secrets ; d'autres ont été libérés par la suite, d'autres encore ont fait l'objet d'ordres de placement en détention administrative ou ont été incarcérés en attente de leur procès devant un tribunal militaire. Tous les détenus qui ont été relâchés ont été photographiés à la fin de leur interrogatoire, généralement deux fois ; l'une des photographies, sur laquelle était reporté le numéro de la carte d'identité du détenu, lui était remise et l'autre était conservée par les FDI. Certains de ces hommes n'ont plus que cette photographie pour prouver leur identité9.

7. Voir le document publié par Amnesty International en mai 2002 et intitulé Israël et Territoires occupés. Détention massive dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes (index AI : MDE 15/074/02). 8. Des enfants de moins de seize ans, des hommes de plus de cinquante-cinq ans et quelques femmes ont également été arrêtés. 9. De nombreux détenus ont affirmé que les FDI ne leur avaient pas restitué leur carte d'identité, d'autres ont dit qu'ils avaient été arrêtés la nuit et ne l'avaient pas emportée.

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Les détenus étaient libérés à quelques kilomètres de l'un des trois villages proches

de Salem, habituellement celui de Rumaneh. Ils étaient obligés de marcher jusqu'à

cette localité ; beaucoup n'avaient pas de vêtements et la plupart n'avaient pas de

chaussures. On leur disait de rester dans le village. Les délégués d'Amnesty

International se sont entretenus avec plusieurs hommes après leur libération.

Ils étaient hébergés à titre temporaire dans des bâtiments publics – à Rumaneh,

une école avait été transformée en refuge temporaire ; d'autres avaient été

accueillis par des familles. Le blocus n'ayant pas été levé, la plupart de ces

hommes ignoraient le sort de leurs proches restés dans le camp ainsi que ce qu'il

était advenu de leurs biens. Ils ne sont rentrés à Jénine qu'après le 17 avril 2002

à la suite du retrait temporaire des FDI du camp de réfugiés.

Amer Muhammad Abd al Karim

Amer Muhammad Abd al Karim, vingt-quatre ans, arrêté le 9 avril dans le camp de Jénine, a raconté que toutes les personnes qui s'étaient réfugiées avec lui dans une maison étaient sorties quand elles ont vu qu'un bulldozer détruisait les habitations voisines :

« Il y avait à peu près 60 personnes dans l'immeuble, dont trois femmes, un nouveau-né, environ sept enfants et cinq vieillards [...] Les bombardements ont recommencé et la maison voisine a été détruite par un bulldozer. Les gens ont décidé de sortir plutôt que d'affronter le bulldozer. Ils ont indiqué par gestes qu'ils se rendaient. Les FDI les ont fait asseoir par terre et ils leur ont attaché les mains dans le dos avec des lanières en plastique. Les hommes ont été séparés des femmes et emmenés par groupes de 10. On nous a ordonné de nous déshabiller pour ne garder que nos sous-vêtements et nous avons dû défiler en cercle. Ils ne nous ont pas bandé les yeux et ils nous ont fait avancer une vingtaine de mètres avant de nous séparer les uns des autres. J'ai vu une femme blessée qui n'avait qu'une jambe. Nous avons demandé aux soldats de l'aider et d'appeler une ambulance, ils ont refusé et nous ont dit de ne pas avoir peur. J'ai alors entendu des coups de feu qui venaient de la gauche et qui ont duré une dizaine de minutes. Pendant toute cette période, les soldats israéliens se sont servis des gens comme boucliers humains. Ils nous faisaient marcher devant eux et posaient parfois leurs fusils sur nos épaules. Au bout de dix minutes, ils nous ont bandé les yeux et nous ont emmenés sur un vaste terrain découvert. J'ai essayé d'enlever mon bandeau pour voir si des amis étaient avec moi. J'ai demandé des nouvelles de la femme blessée, on m'a dit qu'ils l'avaient laissée sur place. On nous a ensuite attachés les uns aux autres par les mains, par groupes de cinq. Nous avons marché pendant une demi-heure environ [...] ils nous ont fait asseoir par terre pendant cinq minutes. J'ai entendu un soldat qui ordonnait de nous faire avancer par groupes de 20 en quatre rangées. Un char nous précédait et un autre fermait la marche, j'ai reconnu le bruit. Il était tard. Ils nous ont rassemblés et nous ont fait asseoir en rangs. J'ai essayé d'ôter mon bandeau avec ma jambe ; j'avais peur d'être écrasé par un char [...] ils nous ont frappés sur le corps et la poitrine à coups de crosse de fusil [...] ils nous ont ensuite fait asseoir, la tête entre les genoux et les mains dans le dos. Ils nous ont rassemblés sur un vaste terrain à côté de la forêt de Bir al Saadeh, tout près de l'avant-poste de Jénine. Nous étions en sous-vêtements et il faisait froid. Quand nous avons réclamé des couvertures, ils nous ont battus et ils ne nous ont pas donné d'eau. Nous sommes restés là de minuit à 10 heures du matin environ.

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« Puis ils nous ont emmenés à Salem dans un autocar ou une sorte de camion

avec des sièges. Quand nous sommes arrivés à destination, ils nous ont fait

descendre un par un et nous ont demandé notre nom et notre carte d'identité.

Ils ont recueilli des informations : noms et renseignements personnels. Un soldat

a demandé qui parlait l'hébreu, j'ai levé la main. Ils ont enlevé mon bandeau et

m'ont donné un bidon contenant environ quatre litres d'eau chaude que je devais

distribuer à ceux qui avaient soif. Nous étions une trentaine d'hommes. Comme je

parlais l'hébreu, on m'a demandé de dire aux soldats qu'il y avait des blessés ;

ils m'ont répondu qu'ils s'en occuperaient plus tard. Il n'y avait pas assez d'eau

pour tout le monde. Un soldat m'a demandé de dire aux autres : "Vous, les

combattants, vous ne méritez pas de vivre, vous devriez mourir." J'ai répondu :

"Nous sommes venus nous rendre, nous sommes des gens ordinaires." Il faisait

chaud et certains d'entre nous ont essayé de s'allonger, mais les soldats nous ont

obligés à mettre notre tête entre nos genoux. Il y avait un homme de soixante-huit

ans qui ne pouvait pas se mettre dans cette position, les soldats l'ont frappé à

coups de pied et de crosse de fusil. Nous sommes restés ainsi de 10 heures du

matin jusqu'à la nuit, sans interruption. Je n'ai été autorisé à changer de position

qu'au moment où j'ai distribué l'eau. Nous sommes restés à Salem du mardi soir

au mercredi soir. Il y avait dans notre groupe un diabétique qui n'a reçu aucune

assistance médicale pendant toute cette période. J'ai été relâché dans une station-

service ; j'avais toujours les yeux bandés mais ils m'avaient attaché les mains

par-devant. Quand je suis descendu de l'autocar, ils m'ont dit de ne pas retourner

à Jénine ni dans le camp. »

Muhammad et Husni Ahmad Amer

Les frères Muhammad et Husni Ahmad Amer ont été arrêtés par les FDI le

dimanche 7 avril. Selon Muhammad Amer, Husni, qui avait été contraint de

participer à une opération des FDI, a été roué de coups puis, le même jour,

emmené du centre de détention de Salem dans une ambulance. Lorsqu'il s'est

entretenu avec les délégués d'Amnesty International, il cherchait des informations

sur le sort de son frère ; il a appris deux mois plus tard que celui-ci était mort.

Muhammad Amer a fait le récit suivant :

« Le matin du 7 avril, j'étais chez ma mère dans le quartier du camp appelé

Jurrat al Dahab. C'était un dimanche et il était environ huit heures. J'étais avec

mon fils, un autre de mes frères et ma mère. J'ai entendu frapper à la porte.

Quand nous avons ouvert, nous avons vu mon frère Husni avec les FDI, qui nous

ont ordonné de sortir. Nous sommes allés sur le balcon. Vingt à 25 soldats sont

entrés dans la maison ; ils y sont restés environ cinq minutes. Ils ont arrêté mon

fils Amir et ont laissé ma mère et mon autre frère Maher qui est handicapé.

Ils m'ont emmené avec mon frère Husni jusqu'à sa maison qui est tout près.

« Nous sommes entrés dans la maison de Husni puis nous sommes descendus au

sous-sol. Les soldats ont vu de nombreux dessins sur les murs du sous-sol et un

officier nous a dit : "Ce sont des plans pour guider les combattants." Nous avons

tous deux répondu que ce n'étaient que des dessins d'enfants. Quand mon frère a

dit qu'il s'agissait de dessins de ses enfants, ils lui ont attaché les mains dans le

dos avec des lanières en plastique et l'ont fait asseoir. Ils ne m'ont pas touché,

j'étais debout à côté de mon frère.

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« Ils se sont mis à le frapper à l'épaule et aux fesses avec une sorte de matraque.

Les coups ont continué pendant une demi-heure environ. Le soldat ne cessait de

répéter : "Avoue que ce sont les plans des militants". Mon frère a hurlé pendant un

moment puis son visage est devenu presque blanc. Il leur répétait que c'étaient les

dessins de ses enfants et il a dit : "Je peux faire venir mes enfants et ils vous le diront."

« Mon frère a commencé à dire qu’il avait mal au ventre et il a demandé de l'eau

aux soldats. Ils ont refusé de lui en donner. Ils l'ont battu quatre ou cinq fois et,

entre les coups, ils lui posaient des questions sur les dessins.

« Quand ils ont eu fini de battre mon frère, ils m'ont dit : "D'accord, maintenant

c'est ton tour." Je leur ai dit en hébreu que j'étais malade et que j'avais des

troubles cardiaques. Ils m'ont laissé pendant cinq minutes puis ils sont revenus et

ils m'ont dit : "C'est bon, tu peux aller dans l'autre pièce." C'était juste à côté de la

pièce dans laquelle j'étais avec mon frère. Dans l'autre pièce, ils m'ont fait

asseoir par terre. La porte était restée ouverte et je voyais mon frère. Je suis resté

environ une demi-heure dans cette pièce, puis ils nous ont emmenés à l'extérieur.

Mon frère prenait appui sur moi. Les FDI nous ont emmenés jusqu'à l'entrée du

camp ; nous avons marché 200 à 250 mètres. Dans le camp, ils nous ont bandé

les yeux et nous ont attaché les mains avec des lanières en plastique. Ils nous ont

fait asseoir. Nous sommes restés là une heure ou deux, je ne sais pas au juste.

« Mon frère se plaignait sans arrêt d'avoir mal. Ils nous ont d'abord emmenés

à Bir Saadeh. Mon frère hurlait de douleur, il répétait qu'il était blessé.

Quand nous sommes arrivés à Bir Saadeh, ils nous ont séparés. Quand j'ai

demandé à aller aux toilettes, un soldat m'a emmené et il m'a laissé ôter mon

bandeau. Quand je suis revenu, j'ai changé de place et je me suis assis sous un

arbre. On m'a autorisé à ne pas remettre le bandeau. J'entendais mon frère qui

réclamait de l'eau et se plaignait d'avoir mal au ventre. Peu de temps après,

le soldat m'a dit de remettre le bandeau. Quand je l'avais enlevé, j'avais vu mon

frère au pied de la colline. Il ne lui ont pas donné d'eau ni de soins médicaux.

Nous sommes restés là pendant environ six heures.

« Puis ils nous ont fait monter dans un véhicule blindé de transport de troupes

pour nous emmener au centre de détention de Salem. Nous avons compris que

nous étions à Salem en entendant l'appel à la prière. On nous a ordonné de nous

asseoir sur le sol caillouteux. Ils m'ont emmené pour m'interroger et m'ont posé

quelques questions. Ils m'ont demandé si je voulais travailler pour eux et ils ont

dit que si j'acceptais je serais autorisé à travailler en Israël. J'ai refusé. Ils m'ont

interrogé pendant dix à quinze minutes puis ils m'ont photographié et ils ont

gardé la photographie. Je les ai entendus se dire l'un à l'autre en hébreu :

"Tu peux le relâcher." Ils m'ont remis les menottes et le bandeau.

« Après l'interrogatoire, je suis retourné m'asseoir sur les cailloux. Ils m'ont mis

à côté de mon frère et le soldat m'a donné sa carte d'identité. Il gémissait

bruyamment et semblait avoir du mal à respirer. Les autres détenus se sont mis à

crier qu'il était en train de mourir. J'ai entendu les soldats qui essayaient de lui

donner des soins médicaux, puis l'un d'entre eux a demandé une ambulance.

Je voyais un peu à travers le bas de mon bandeau et je les ai vus emmener mon

frère. Il était à peu près 19 h 30. Je suis resté là toute la nuit et j'ai été libéré le

lendemain matin. Je n'ai pas revu mon frère. »

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La famille de Husni Amer et des organisations locales de défense des droits

humains, dont l'organisation israélienne HaMoked (Centre pour la défense de

l'individu)., se sont régulièrement enquises de son sort. Les FDI ont répondu

qu'elles n'avaient aucune trace de sa détention ni de son hospitalisation.

Le 1er juin, soit près de deux mois après l'arrestation de cet homme, le Bureau de

coordination de district (centre de coordination entre Israël et l'Autorité

palestinienne) a informé la famille de Husni Amer que son corps se trouvait au

centre de médecine légale d'Abu Kabir. Le 6 juin, la Haute Cour de justice

israélienne, statuant sur une requête introduite par la famille de cet homme, a

empêché tout nouvel examen du corps. Le 13 juin, Muhammad Amir a été

convoqué à Abu Kabir pour identifier le corps de son frère. La famille avait

réclamé un examen médico-légal indépendant pour établir les causes de la mort.

L'accès aux services de base

Les habitants de la ville de Jénine et du camp de réfugiés ont exprimé aux

délégués d'Amnesty International l’inquiétude croissante qu’ils éprouvaient en

voyant diminuer les stocks de nourriture et d'eau. Les représentants de

l'organisation présents dans la ville du 15 au 17 avril ont été témoins de la

détresse des familles qui venaient de passer quinze jours enfermées dans les

maisons, la plupart du temps sans eau ni électricité.

L'électricité, coupée dans la ville le 3 avril 2002, a été rétablie presque partout

dans les quatre à dix jours qui ont suivi. Toutefois, selon l'UNRWA, l'électricité

n'a été partiellement rétablie que le 25 avril dans la partie basse du camp. Dans un

entretien avec les délégués d'Amnesty International, le responsable du service de

l'électricité pour la municipalité de Jénine a fourni un registre détaillé des

coupures ainsi qu'un rapport sur l'évaluation des dommages rédigé par des

ingénieurs. Selon lui, plusieurs transformateurs principaux avaient été pris pour

cible et les équipes de réparateurs avaient essuyé des tirs des FDI quand elles

avaient tenté de réparer les câbles endommagés.

La fourniture d'eau a également été suspendue par les FDI et, de surcroît, un

grand nombre de réservoirs situés sur le toit des maisons ont été endommagés par

les tirs des FDI ; la fourniture d'eau n'a été rétablie dans certains endroits qu'au

bout de vingt jours. Le directeur du service des eaux de la ville de Jénine a

déclaré aux délégués d'Amnesty International que les pompes étaient hors d'état

de fonctionner dans une station de pompage desservant la ville de Jénine et les

villages situés à l'Ouest. Les dégâts occasionnés au réseau étaient importants et

« les canalisations principales à la sortie des réservoirs ou des stations de

pompage [avaient] été sectionnées volontairement par des bulldozers ou

indirectement par le passage fréquent des chars. Sept des 11 pompes à propulsion

[qui permettent à l'eau d'arriver dans la partie haute de la ville] [avaient] été

touchées ou détruites par des tirs de mitrailleuse ou d'obus de char. Les dégâts

occasionnés au réseau à l'intérieur du camp [étaient] irréparables. » Le 5 avril,

les FDI ont occupé une station de pompage et renvoyé le technicien pendant

quatre jours. Les habitants du camp et ceux de la partie haute de la ville ont été

privés d'eau, dans certains cas, pendant trois semaines. Selon les rapports de

l'UNRWA, la fourniture d'eau au camp n'a été rétablie que le 28 avril.

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Le responsable de la Direction de la planification et de la politique des FDI a

soutenu aux délégués d'Amnesty International qu’il n’existait pas de politique de

coupure de l'eau et de l'électricité, en ajoutant que les Palestiniens utilisaient les

canalisations pour fabriquer des bombes. Toutefois, entre mars et mai 2002,

les représentants de l'organisation, qui ont examiné des conduites d'eau et des

transformateurs endommagés dans nombre de villes palestiniennes et de camps de

réfugiés, ont conclu que les dégâts occasionnés aux câbles électriques et aux

canalisations d'eau étaient délibérés et systématiques.

Le couvre-feu prolongé empêchait les habitants de Jénine ou du camp de réfugiés

de se procurer de l'eau par d'autres moyens, hormis pendant les périodes de levée

du couvre-feu. Les associations d'aide humanitaire ont été dans l'impossibilité de

fournir de l'eau, de la nourriture ou des médicaments jusqu'au 17 avril. La plupart

des familles qui avaient déjà connu des incursions et des périodes de couvre-feu

avaient constitué des réserves de nourriture, stockant dans les maisons du riz, des

lentilles et des haricots ainsi que de l'eau dans des bouteilles ou des seaux.

Il n'était pas possible de se procurer du lait, de l'eau ni de la nourriture fraîche.

Les hôpitaux ont signalé, dans le camp, six cas d'enfants tombés malades après

avoir bu de l'eau souillée. Les hôpitaux avaient leurs propres générateurs, mais le

fonctionnement des services était affecté par la pénurie d'eau et de nourriture ;

les malades et le personnel de l'hôpital de Jénine se sont nourris essentiellement

de biscuits pendant plusieurs jours.

Les entraves apportées à l’aide médicale et humanitaire

Les services d'assistance médicale n’ont pas eu la possibilité de pénétrer dans le

camp de réfugiés de Jénine pendant près de onze jours, du 4 avril à midi au

15 avril 2002. Par ailleurs, les FDI prenaient les ambulances pour cible10 ou

tiraient des coups de semonce autour d'elles. Les ambulanciers étaient harcelés ou

arrêtés. Pendant ce temps, des cadavres restaient des jours durant dans les rues du

camp ou dans des maisons. Les blessés attendaient des heures avant de recevoir

des soins ou étaient soignés chez eux. Plusieurs personnes seraient mortes dans

des circonstances donnant à penser que leur décès résulte, directement ou

indirectement, de l'absence de soins médicaux. De nombreux témoignages

évoquent des familles demandant désespérément et vainement des secours au

téléphone, et contraintes de rester seules avec un proche à l'agonie ou mort.

Il ressort de nombreux cas de Palestiniens tués par les FDI qu’il était difficile,

voire impossible, d'obtenir une assistance médicale ou une ambulance pour

évacuer les morts ; trois de ces cas, ceux d'Atiya Abu Irmaila, de Nayef Qasem

Abd al Jaber et d'Amid Azmi Abu Hassan Fayed, sont exposés plus loin.

Dans deux cas sur lesquels s'est penchée Amnesty International, le retard dans

l'accès aux soins médicaux aura des conséquences à long terme pour les blessés.

Selon le personnel médical, les ambulances ont pu circuler pendant les trente

premières heures de l'incursion, soit de l'aube du 3 avril au 4 avril à midi. Pendant

cette période, elles ont transporté cinq cadavres et environ 45 blessés à l'hôpital de

Jénine. Parmi les premières victimes palestiniennes figurait Fadwa Fathi Abdallah

Jamal, une infirmière de vingt-sept ans qui été abattue par des soldats dans la rue,

10. Au moins trois ambulances – deux appartenant au Croissant-rouge palestinien et une à la Patients Friends Society [Association des amis des patients] – ont été gravement endommagées en avril et en mai par les tirs des FDI.

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le 3 avril au petit matin ; elle se rendait dans un centre de santé du camp de

réfugiés, vêtue de son uniforme et accompagnée de sa sœur, également infirmière.

Les FDI ont imposé un blocus médical à partir du 4 avril 2002 à midi et ont

empêché les ambulances de pénétrer dans le camp. L'hôpital de Jénine était

encerclé par des chars et le bâtiment qui lui faisait face servait de base aux FDI.

Toutes les personnes, visiteurs, personnel et malades, qui se trouvaient dans

l'hôpital le 4 avril à midi ont été contraintes d’y rester : on comptait environ

300 personnes, dont 100 membres du personnel médical et 105 patients, qui ont

dû se contenter pendant plusieurs jours de biscuits, de chocolat et d'eau.

Le 4 avril, le CICR a été empêché de livrer de l'oxygène à l'hôpital, dont les

stocks s'épuisaient ; la livraison a été autorisée le lendemain. Le CICR a

également fourni des médicaments, du sang et de la nourriture. Le 5 avril,

l'hôpital avait reçu six cadavres, nombre porté à sept quand un blessé est mort le

lendemain, alors que sa morgue ne peut en accueillir qu'un seul. La direction a

demandé aux FDI l'autorisation d'enterrer les corps dans le petit jardin derrière

l'hôpital, ce qui lui a été accordé le 6 avril.

« Le poste du Croissant-rouge palestinien a accueilli près de 200 réfugiés

[qui avaient fui le camp de Jénine], des femmes et des enfants pour la plupart.

Nous n'avions pas de nourriture, pas d'eau, pas de matelas pour qu’ils puissent

dormir. Vu cette situation difficile, vers le 9 ou 10 avril, certaines des personnes

hébergées chez nous ont décidé de tenter de se rendre à Jénine. Ils devaient

franchir le poste de contrôle en quittant nos locaux ; j'ai donc envoyé une

ambulance avec eux. Quand ils sont arrivés au poste de contrôle, une deuxième

ambulance est venue les rejoindre de l'autre côté. Le 10 avril, les FDI ont arrêté

quatre ambulanciers, deux dans chaque véhicule. Ils ont été détenus deux jours

dans le centre de détention de Salem puis relâchés dans un village voisin ; on leur

a dit de ne pas retourner à Jénine pendant trois jours. »

Ibrahim Dababneh, responsable du Croissant-rouge palestinien à Jénine.

Le 6 avril, les ambulances ne pouvaient toujours pas pénétrer dans le camp.

Le 7 avril, des jeeps Landcruiser du CICR, qui devaient ravitailler l'hôpital de

Jénine, ont été bloquées ; le matériel a toutefois été transféré dans des ambulances

locales pour être livré à l'hôpital. Le 8 avril, les négociations continues entre le

CICR, le Bureau de coordination du district et l'armée ont semblé avoir débouché

sur un accord. Le Croissant-rouge a tenté d'envoyer trois équipes avec le CICR

dans le camp de réfugiés pour récupérer les blessés. Les ambulances ont été

longuement fouillées et les chauffeurs ont été contraints de s'allonger par terre.

Vers dix-sept heures, les FDI ont accepté de laisser passer trois personnes ; le

personnel de l'hôpital devait les examiner sans poser de questions. Les blessés ont

été amenés à l'hôpital les yeux bandés. Après les avoir examinés, le docteur Abu

Ghali, directeur de l'hôpital, a dit qu'ils avaient besoin de recevoir des soins en

toute urgence. Les FDI n'ont toutefois autorisé l'admission que d'un seul patient.

« Toute cette opération et les négociations avec les FDI et le CICR se sont prolongées

de huit heures du matin à vingt-trois heures ; au bout du compte, à la fin de la

journée, un seul blessé a été admis à l'hôpital » a souligné le docteur Abu Ghali.

« À ce moment-là, nous avons essayé de trouver d'autres moyens d'entrer dans le

camp, mais malheureusement toutes les routes étaient barrées ou rendues

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impraticables. Nous en avons conclu que les FDI avaient totalement bouclé le camp.

Les FDI avaient érigé un poste de contrôle militaire au carrefour de la route qui

mène à l'hôpital de Jénine, ce qui nous gênait aussi pour entrer dans la ville et pour

en sortir. Chaque fois que nous passions, les FDI nous faisaient ôter notre chemise

et fouillaient les véhicules. Cela prenait souvent beaucoup de temps et, dans un

certain nombre de cas, quand nous avons fini par arriver à l'endroit où nous avions

été appelés, le blessé avait été évacué ou était mort après avoir trop attendu. »

Ibrahim Dababneh, responsable du Croissant-rouge palestinien à Jénine

Du 9 au 14 avril, la situation est restée au point mort : à l'extérieur du camp de

Jénine, au fil des jours, on a compté jusqu'à cinq ambulances du CICR, plusieurs

médecins, six ambulances du Croissant-rouge qui attendaient en vain d'être

autorisés par les FDI à pénétrer dans le camp pour évacuer les morts et les blessés.

Dans la soirée du 11 avril, un délégué du CICR et le docteur Abu Ghali, directeur

de l'hôpital, étaient dans le bureau de ce dernier à l'étage supérieur de l'hôpital

quand deux balles ont traversé la fenêtre pour terminer leur course dans le

plafond. Ils ont téléphoné au commandant des FDI qui aurait présenté des excuses

en expliquant qu’un tireur d’élite avait commis une erreur.

Le 14 avril, trois jours après la fin des combats, le camp de réfugiés de Jénine restait

coupé du monde extérieur. Neuf jours s'étaient écoulés depuis l'évacuation du dernier

cadavre du camp. Parmi les blessés, seuls ceux qui étaient arrivés péniblement à sortir

et à se déplacer par leurs propres moyens avaient été hospitalisés.

Un certain nombre de requêtes avaient été introduites devant la Haute Cour de

justice israélienne. Le 8 avril, la Cour a statué sur une requête qui dénonçait le

comportement de l’armée israélienne, affirmant qu’elle avait « empêché les

malades et les blessés de Jénine et de Naplouse de recevoir des soins médicaux,

imposé des restrictions qui interdisaient au personnel médical et aux moyens de

transport d'accéder à la zone et rendu impossible l'inhumation des morts dans des

conditions honorables ». Cette haute juridiction a conclu :

« Bien qu'il ne soit pas possible d’examiner les événements spécifiques évoqués

dans la requête, qui paraissent a priori cruels, nous devons insister sur le fait que

nos forces combattantes sont tenues d'appliquer les règles humanitaires relatives

au traitement des blessés dans les hôpitaux et aux morts. L'utilisation

répréhensible d'équipes médicales ainsi que d'hôpitaux et d'ambulances oblige les

FDI à réagir de manière à empêcher ces activités ; cela n'autorise toutefois pas

une violation de grande ampleur des règles humanitaires. Telle est également la

position déclarée de l'État. Cette attitude est non seulement exigée par le droit

international sur lequel se fondent les requérants, mais aussi par les valeurs de

l'État d'Israël en tant qu'État juif et démocratique11. »

La Haute Cour de justice a examiné, le 14 avril, trois requêtes dont l'une sollicitait l'autorisation pour le CICR et le Croissant-rouge d'entrer dans le camp pour évacuer les morts. Ces requêtes avaient été introduites par Muhammad Barakeh et Ahmad Tibi, députés à la Knesset, ainsi que par les organisations de défense des droits humains Adalah (Centre juridique de défense des droits des minorités

11. H. C. 2 941/02. Badia Raik Suabta et LAW c. Commandant de l'armée israélienne en Cisjordanie (enregistrée le 7 avril 2002 ; jointe pour arrêt à H. C. 2 936/02, Médecins pour les droits de l'homme-Israël c. Commandant de l'armée israélienne en Cisjordanie. Arrêt rendu le 8 avril 2002).

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arabes israéliennes) et LAW. Le représentant du procureur général a déclaré, dans un premier temps, que l'armée israélienne ne pouvait autoriser les organisations humanitaires à pénétrer dans la zone car certains des cadavres étaient peut-être piégés ; il a accepté par la suite de faire droit à la requête. La cour a rejeté les requêtes tout en autorisant le CICR à accompagner l'armée israélienne afin de l'aider à localiser les corps et en permettant également aux représentants du Croissant-rouge de se joindre à eux.

Les ambulances du CICR et du Croissant-rouge ont ensuite été autorisées à pénétrer dans le camp pour la première fois depuis onze jours. Elles se sont mises en route le 15 avril à six heures et demie du matin mais elles ont été retardées en raison des fouilles systématiques opérées par les FDI. Une équipe a reçu l'ordre de rester avec son escorte des FDI, qui semble avoir restreint ses déplacements ; elle n'a trouvé aucun corps. Le docteur Abu Ghali, qui a accompagné l'autre ambulance, a fait le récit suivant :

« Je suis parti avec ma petite caméra vidéo et j'ai vu un premier corps, puis un autre. Le troisième corps était celui d'une femme de cinquante-neuf ans, allongé à deux mètres d'une porte ; elle avait été touchée à la poitrine et à la tête et son cadavre était en décomposition. Les soldats ont dit : "C'est tout ce qu'il y a. Il n'y a pas de survivants au centre du camp." J'ai continué. J'ai trouvé dans une maison un homme de quatre-vingt-cinq ans, seul, sans eau, déshydraté. J'ai dit : "Je dois aller voir plus loin." Le soldat a dit : "C'est la seule zone du camp qui a été nettoyée par l'armée israélienne, si vous allez plus loin, nous ne pouvons rien garantir." J'ai fait 35 mètres dans la zone qui n'avait pas été nettoyée et j'ai trouvé 10 corps. Cinq d'entre eux étaient dans une maison ; nous ne pouvions pas les évacuer et le CICR a dit aux FDI de les transporter. J'ai vu beaucoup de gens apeurés qui regardaient par les fenêtres ou depuis le seuil de leur maison. Je leur ai dit : "Je vais vous apporter de la nourriture, vous avez quelque chose à manger ?" Ils ont répondu : "Nous n'avons rien." J'ai demandé l'autorisation d'apporter de la nourriture et des médicaments pour les survivants et le soldat a dit : "Vous disposez de deux heures dans le camp." »

Pendant les deux heures durant lesquelles les FDI les ont autorisés à pénétrer dans le camp, les équipes médicales et humanitaires palestiniennes et internationales ont pu distribuer de la nourriture, de l'eau et du lait. Le 16 avril, les FDI ont autorisé le personnel du CICR et de l'UNRWA à entrer dans le camp. Le CICR a écrit dans son résumé quotidien : « Une partie du camp semble avoir subi un tremblement de terre [...] Les civils sont en état de choc et ils disent avoir un besoin urgent de médicaments, de nourriture et d'eau. »

Le 16 avril, on comptait 15 corps dans l'hôpital de Jénine ; un autre a été apporté dans la journée. L'arrêt de la Haute Cour de justice avait ordonné au CICR et à l'armée israélienne d'identifier les corps conformément aux normes du droit international humanitaire. L'entrée de l'hôpital restait toutefois barrée par un poste de contrôle des FDI et des chars. Le docteur Abu Ghali a demandé aux FDI d'autoriser le professeur Derrick Pounder, délégué d'Amnesty International, à entrer dans l'hôpital pour pratiquer des autopsies. Un médecin des FDI qui se trouvait au poste de contrôle a dit au professeur Pounder : « Si vous étiez un médecin qui soigne les gens, nous vous laisserions entrer, mais un médecin légiste ne nous intéresse pas. »

Le 16 avril, le professeur Pounder a téléphoné au siège d'Amnesty International à Londres et s’est exprimé en ces termes :

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« Il n'y a pas d'expert légiste à Jénine et personne à l'hôpital n'a été formé dans ce domaine. Le droit international humanitaire prévoit que les corps décomposés doivent être examinés en vue de recueillir des éléments sur les causes du décès. Cette règle vise à élucider les circonstances de la mort et à identifier les corps. L'identification est nécessaire pour que la famille soit informée, pour qu’elle puisse inhumer le corps et pour recueillir des informations. Plus un corps se décompose, plus les éléments de preuve se détériorent et moins on dispose de données incontestables permettant de parvenir à une conclusion. »

Ce n'est que le lendemain que le professeur Pounder a pu entrer dans l'hôpital, après que le procureur général Elyakim Rubinstein lui en eut donné l'autorisation. Il a pratiqué deux autopsies et a examiné trois des cinq corps trouvés dans une même maison et transférés le jour même par les FDI ; tous étaient apparemment des combattants. Selon le professeur Pounder, les constatations effectuées lors des autopsies « inspiraient des soupçons ». Les deux corps ont été identifiés par la suite comme étant ceux d'Ali Nael Salim Muqasqas et de Wadah Fathi Shalabi (voir plus haut).

Les délégués d'Amnesty International ont évoqué à maintes reprises avec des membres des FDI leur refus de permettre aux habitants de Jénine et de Naplouse, entre autres, de bénéficier d'une assistance médicale. Le général de division Giora Eiland, responsable de la Direction de la planification et de la politique, a nié que les ambulances aient été empêchées d'entrer à Jénine pendant plus de deux jours en précisant que cela était dû au refus du Croissant-rouge de laisser contrôler ses ambulances. Il a fait état d'un certain nombre de cas dans lesquels des ambulances avaient été utilisées abusivement pour transporter des hommes en bonne santé, des cadavres (pour augmenter le nombre de victimes présumées dans le camp), voire une ceinture d'explosifs12. Il a reconnu rencontrer des difficultés pour coordonner l'assistance médicale avec le CICR et l'UNRWA : « Certains problèmes résultent d'erreurs qui nous sont imputables, certaines difficultés auraient pu être évitées. Mais nous avons donné de la nourriture, de l'eau et des médicaments, et même de l'électricité aux Palestiniens de Jénine. Nous avons essayé d'évacuer des Palestiniens blessés. »

12. Amnesty International a connaissance d'un cas qui a fait grand bruit et dans lequel, le 27 mars 2002, une ceinture d'explosifs a été trouvée dans une ambulance du Croissant-rouge à Naplouse. Les circonstances entourant cette affaire sont suspectes. L'ambulance, en route pour Jérusalem, a passé quatre points de contrôle sans être fouillée – ce qui est anormal – puis a été retardée pendant plus d'une heure avant d'être examinée afin de permettre aux caméras de télévision d'arriver sur les lieux, ce qui donne à penser que les FDI savaient, à tout le moins, que quelque chose était dissimulé à l'intérieur. Le médecin et les passagers de l'ambulance ont été immédiatement libérés. Amnesty International a demandé des éclaircissements aux FDI sur la situation juridique du chauffeur, mais n'a pas reçu de réponse.

Nonobstant les remarques du général Giora Eiland, les éléments démontrant les entraves apportées pendant plus de dix jours à l'assistance médicale et humanitaire au camp de réfugiés de Jénine sont accablants12.

12. ICRC activities in Jenin from 03.04.02 until 21.04.02 (Public Information) [Les activités du CICR à Jénine du 3 avril 2002 au 21 avril 2002 (informations publiques)]. CICR.

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Atiya Hassan Abu Irmaila

Atiya Abu Irmaila, quarante-quatre ans, a été tué le 5 avril par une seule balle tirée par un soldat des FDI, qui l'a atteint à la tête. Au moment de sa mort, il était chez lui avec sa femme et ses trois enfants. Selon ses proches, il ne participait pas aux combats13. Le cas de cet homme démontre que les FDI ne font pas de distinction entre les combattants et ceux qui ne participent pas aux combats. Il illustre également les conséquences de l’attitude des FDI, qui empêchent les ambulances du CICR et du Croissant-rouge de récupérer les morts et d'évacuer les blessés.

Hala, l'épouse d'Atiya Abu Irmaila, a fait le récit suivant :

« De nombreux obus étaient tombés sur notre maison la nuit qui a précédé la mort d'Ati et nous avions dormi dans la cuisine. Le lendemain, vers 13 heures, un char a tiré un missile qui est tombé entre notre maison et celle des voisins. Nous avons commencé dans l'après-midi à évaluer les dégâts. Mon mari s'est déplacé dans la maison en rampant. Le balcon qui donne sur la rue n'avait plus de vitre et on voyait bien la rue. C'est moi qui me suis déplacée la première dans la maison et je suis revenue dire à mon mari que les vitres avaient été soufflées. Il a d'abord dit qu'il allait voir les dégâts, mais je l'ai convaincu de ne pas bouger. Nous sommes allés dans le séjour ; au bout d'un moment les tirs se sont un peu calmés et mon mari a décidé d'aller vérifier le reste de la maison. Il a rampé jusqu'à la pièce voisine, qui est le salon. Il y avait du verre brisé par terre et il est revenu dans le séjour pour prendre ses chaussures. Il était environ 17 h 25 ; vous vous demandez peut-être pourquoi je me souviens si précisément de l'heure, c'est parce que nous étions assis à ne rien faire et que je regardais sans cesse ma montre.

« Je voyais les chars et les soldats juste en face de ma maison et j'entendais les hélicoptères. Ati est retourné dans le salon et, deux minutes plus tard, je l'ai entendu dire : "Hala, Hala, viens, viens." Juste avant qu'il ne m'appelle, j'avais entendu un coup de feu. J'ai pris mes enfants et je l'ai rejoint ; quand je suis entrée dans la pièce il était debout et je lui ai demandé : "Qu'est-ce qui se passe ?" Il voulait dire quelque chose mais il n'a pas pu. J'ai vu qu'il saignait de la bouche et du nez, je me suis précipitée vers lui, il a bougé lentement puis il s'est effondré. Quand il est tombé par terre, je lui ai demandé où il était blessé ; je pensais qu'il avait été atteint à la poitrine parce qu'il y avait du sang sur sa chemise. Les enfants hurlaient. Ati ne parlait pas, il m'a regardée encore une fois puis il a eu une convulsion. Je crois que c’est à cet instant-là qu’il est mort.

« Je suis retournée dans le séjour avec mes enfants, je ne me rappelle pas comment. Mes trois enfants s'accrochaient à moi en pleurant. J'ai essayé d'appeler une ambulance sur mon téléphone mobile. Je me suis rappelée le numéro de mon frère, que j'ai appelé ; je lui ai dit qu'Ati était blessé et lui ai demandé d'appeler une ambulance. Je ne lui ai pas dit que je pensais qu'Ati était mort. Il m'a répondu qu'il allait téléphoner et que je devais être patiente. Pendant que j'attendais que mon frère me rappelle, le beau-frère d'Ati a appelé ; je lui ai dit ce qui s'était passé en lui demandant de téléphoner aux ambulances. Il a rappelé peu après en disant que les ambulances ne pouvaient pas arriver jusqu'à nous et il m'a conseillé d'essayer de soigner Ati. Je lui ai dit que je pensais qu'il était mort et il a répondu que je m’affolais et qu'il était probablement inconscient. Je lui ai dit : " Non, il est mort."

13. Hani Atiya Abu Irmaila, vingt ans, fils d'Atiya Abu Irmaila, avait été tué par balle deux jours plus tôt. Selon sa famille, il participait aux combats.

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« J'étais sûre qu'aucune ambulance n'arriverait jusqu'à nous et j'ai appelé les

voisins à l'aide. La nuit tombait ; j'ai brisé une vitre dans une pièce qui donnait

sur une maison voisine et j'ai crié pour réclamer de l'aide. L'un de nos voisins a

répondu et je lui ai demandé une échelle. Elle n'était pas assez longue pour que je

puisse l'atteindre et j'ai essayé de sauter du premier étage, mais les voisins ont

crié que c'était trop haut. Je suis rentrée dans la maison et mes enfants m'ont dit

qu'ils avaient peur. J'ai réussi à les endormir et j'ai essayé de téléphoner pour

demander de l'aide. Il faisait nuit, il n'y avait pas d'électricité et j'étais toute

seule. Mes frères et sœurs ont appelé mais la batterie de mon téléphone s'est

déchargée. J'avais essayé de me servir de mon téléphone mobile pour m'éclairer

quand la nuit était tombée. Je me suis alors rappelée qu'Ati n'avait pas de

couverture, j'en ai apporté plusieurs avec lesquelles je l'ai recouvert. Je suis

repartie auprès de mes enfants, je n'ai pas dormi.

« Le lendemain matin, j'ai décidé d'essayer de joindre la famille d'Ati. Je voulais

sauter du balcon, mais c'était trop haut. Je suis retournée dans le séjour et j'ai

demandé à mon fils Muhammad, qui a sept ans, s'il voulait bien sauter. J'ai noué

des foulards que j'ai attachés autour de sa taille et je l'ai fait descendre. Je lui ai

dit d'aller chez son grand-père pour lui annoncer la mort d'Ati. Il y est allé et il a

prévenu son grand-père et sa tante qui sont venus chez moi avec la mère d'Ati.

« Je n'oublierai jamais cette semaine. Imaginez quelqu’un avec qui vous vivez, à

qui vous parlez, et qui n'est plus qu'un cadavre. Mes enfants lui parlaient comme

s'il était encore vivant. Mon fils de quatre ans allait lui demander des choses,

il lui disait qu'il voulait du lait et des gâteaux. Quand les enfants se disputaient,

ils allaient auprès de lui.

« Nous avons gardé le corps d'Ati pendant sept jours. Quand j'ai su qu'aucune

ambulance ne viendrait, j'ai nettoyé son visage qui était couvert de sang. La mère

d'Ati est restée avec nous ; elle passait la nuit auprès de lui. Le septième jour,

quand le couvre-feu a été levé pendant deux heures, une ambulance est venue le

chercher. Il a été inhumé dans le cimetière Est de Jénine. »

Nayef Qasem Abd al Jaber et Amid Azmi Abu Hassan Fayed

Le 10 avril, Nayef Abd al Jaber, dix-neuf ans, et Amid Fayed, vingt ans, ont été

tués par des tirs de mitrailleuse depuis un hélicoptère, dans le quartier d'al Marah,

à Jénine, juste à côté du camp de réfugiés. Ils venaient de rendre visite à leur ami

Muhammad Shalabi, vingt ans, en compagnie de Raed Ahmad Azzam, vingt ans.

Des témoins ont dit aux délégués d'Amnesty International qu'aucun des quatre

jeunes gens n'appartenait à un groupe armé et que les combattants palestiniens ne

tiraient pas à ce moment-là. Il ressort du récit de la mort de ces jeunes gens que

les FDI ne protègent pas la population ; cette affaire montre aussi qu’il était

pratiquement impossible pour les blessés de recevoir des soins médicaux quand

les FDI entravaient la circulation des ambulances du CICR et du Croissant-rouge.

Muhammad Shalabi a fait le récit suivant :

« Le 10 avril, vers 14 h 30, j'étais chez moi avec mes amis Nayef, Amid et Raed. Nous avons décidé de partir car Nayef et Amid voulaient rentrer chez eux. Nous avions fait environ cinq mètres dans la rue, juste devant ma maison, quand nous avons commencé à entendre des coups de feu provenant d'un hélicoptère. Les tirs ont duré cinq ou six minutes. Quand j'ai pensé que c'était fini, j'ai regardé autour de moi.

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J'ai vu mon voisin ouvrir sa porte, l'air désemparé et apeuré. Il regardait l'endroit où nous étions tous avant le début de la fusillade... J'ai vu Amid allongé sur le ventre ; du sang coulait de sa bouche et de ses oreilles. Mon voisin est sorti pour m'aider à le transporter dans une maison proche. Amid a simplement dit : "Où sont-ils ?" Nous avons crié aux gens d'appeler une ambulance. Le père d'Amid est arrivé... »

On venait de dire à Azmi Abu Hassan Fayed, le père d'Amid, que Rina Hassan, une jeune fille, avait été blessée, quand il a entendu des cris et reconnu le nom de son fils ; il s'est précipité et l'a vu allongé dans une mare de sang. Il a déclaré :

« Quand j'ai vu Amid, du sang coulait de sa bouche et de ses oreilles et il était également blessé aux jambes. Mon frère Ghassan a appelé un médecin et une de ses connaissances à la municipalité pour leur demander d'envoyer une ambulance ou un véhicule de la défense civile ou de la municipalité. Tout le monde lui a répondu que c'était impossible ; les ambulances et les autres véhicules ne pouvaient pas circuler en sécurité. Le cœur d'Amid battait faiblement, nous avons attendu dix à quinze minutes. J'ai essayé de faire quelque chose pour mon fils mais je voyais bien qu'il était en train de mourir. Quand nous avons compris qu'aucune ambulance ni voiture ne viendrait, nous avons décidé de transporter Amid et Rina à l'hôpital à pied ; nous étions six ou huit. Nous les avons allongés sur deux portes et mon frère et les autres les ont transportés à l'hôpital al Razi. On m'a appelé peu après pour me dire qu'Amid était mort avant d'arriver à l'hôpital.

« Mon fils était un civil, il a été abattu dans un quartier civil. Il n'y a pas de militants armés dans ce quartier et, même dans le camp, les combats étaient pratiquement terminés. Les Israéliens disent qu'ils ne tuent pas de civils, mais mon fils était un civil. »

Ghassan Abu Hassan a raconté comment il avait cherché une ambulance en utilisant son téléphone mobile. Puis, au bout de dix minutes :

« On savait que les ambulances ne pouvaient pas circuler librement, donc j'ai décidé avec les voisins de transporter Amid et Rina à l'hôpital. Nous avons trouvé deux portes en métal, nous y avons posé des planches, nous y avons allongé les blessés, et nous les avons transportés à l'hôpital al Razi.

« En route, nous nous sommes trouvés face à un char dans une rue, puis face à un deuxième char ; l'un d'eux a dirigé son canon sur nous. Quand nous sommes passés devant les chars, nous avons soulevé les corps au-dessus de nos têtes pour qu'ils voient que nous transportions des blessés. Quand j'étais arrivé à la maison où il se trouvait, Amid respirait encore mais, quand nous sommes arrivés à l'hôpital, j'ai mis la main sur son cou et j'ai eu la quasi certitude qu'il était mort.

« À notre arrivée à l'hôpital, on nous a demandé d'être très prudents car il y avait un tireur embusqué juste en face. On nous a dit aussi que l'hôpital avait besoin d'oxygène mais que le personnel était pris pour cible dès qu'il tentait de s'approcher des bonbonnes. Les médecins m'ont annoncé qu'Amid était mort, mais qu'ils allaient essayer d'avoir de l'oxygène pour Rina. »

Pendant ce temps, Qasem Abd al Jaber, le père de Nayef, continuait de chercher son fils en téléphonant aux voisins ; il n'osait pas sortir car des chars étaient stationnés devant sa maison. Vers 16 ou 17 heures, des voisins sont sortis et ont trouvé Nayef agonisant sous une voiture. Le père du jeune homme avait toujours peur de sortir, mais sa femme a insisté. Il a déclaré aux délégués d'Amnesty International :

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« Nous sommes arrivés à l'endroit où ils avaient trouvé mon fils. Ils l'avaient

allongé sur une échelle. J'ai approché mon visage de sa tête, il respirait encore, il

était vivant. J'ai appelé un parent qui est médecin à l'hôpital al Razi et je lui ai

demandé d'envoyer une ambulance ou des secours. Il m'a dit que ce n'était pas

possible et que des ambulanciers avaient été arrêtés.

« Nous avons transporté Nayef dans la maison de la famille Shalabi. Quelqu'un a

essayé d'appeler une autre ambulance et d'autres hôpitaux, mais la batterie de

son téléphone mobile s'est déchargée. Personne n'est venu. J'ai vu que mon fils

avait été touché au pied gauche, au genou droit, à la partie droite de la poitrine

et à la gauche du cou ; il avait aussi une entaille à la tempe droite. Nous avons

découvert plus tard qu'il avait également été blessé à la nuque.

« Nous l'avons transporté au sous-sol. Il n'y avait que mon fils, ma femme et moi.

Nous avons attendu huit ou neuf heures, nous avions trop peur de sortir, donc

nous sommes restés là. La défense civile est finalement arrivée le lendemain vers

deux heures du matin pour l'emmener à l'hôpital. Il est resté dans le service de

soins intensifs jusqu'à sa mort le 11 avril à vingt heures. »

L'hôpital al Razi avait été prévenu par téléphone vers dix-sept heures que Nayef

était grièvement blessé et avait besoin d'une ambulance. Le directeur de l'hôpital

avait appelé le Croissant-rouge et le directeur de l'hôpital de Jénine, le docteur

Abu Ghali, pour joindre le CICR. La défense civile avait également essayé de

sauver Nayef, mais la première voiture était tombée en panne avant d'arriver.

Ce n'est que des heures plus tard qu'une autre voiture de la défense civile a réussi

à évacuer le jeune homme.

Non seulement les personnes affectées par les combats dans le camp ont été

privées d'assistance médicale ou n'ont pu en bénéficier qu'avec retard, mais les

habitants de la ville de Jénine ont souvent été dans l'impossibilité d’obtenir une

ambulance ou d'avoir accès à des soins médicaux courants ou d'urgence.

La destruction des biens et des infrastructures civiles

« C'est la dévastation totale, il ne reste aucune maison debout, comme si

quelqu'un avait écrasé au bulldozer toute une localité. Si par hasard il y avait des

gens à l'intérieur d'une maison, ils n’ont pas pu survivre [...] Il ne reste que des

décombres au milieu desquels les gens marchent hébétés. On sent l'odeur de la

mort sous les gravats. »

Un délégué d'Amnesty International, le 17 avril 2002.

C'est ce spectacle qu'ont découvert les délégués d'Amnesty International quand ils

sont entrés dans le camp de réfugiés de Jénine, après la levée du blocus par les

FDI, le 17 avril 2002.

Les FDI ont démoli des maisons palestiniennes dans le camp de réfugiés de Jénine

dès le début de l'offensive bien que, comme le démontrent des témoignages et des

photographies aériennes, le quartier de Hawashin ait été rasé, pour l’essentiel, après

le 11 avril. Les démolitions de maisons dans le camp par les FDI ont fait l'objet

d'une requête introduite devant la Haute Cour de justice israélienne le 8 avril 2002.

Les requérants soutenaient qu'en n'adressant pas aux habitants des sommations

suffisamment claires et en ne leur laissant pas un délai suffisant pour qu'ils puissent

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partir avant la démolition, l'État manquait tant à ses obligations nationales

découlant de la Loi fondamentale israélienne relative à la liberté et à la dignité

humaine qu'à celles du droit international humanitaire énoncées par la Quatrième

Convention de Genève. L'État a argué (position qui a été acceptée par la Cour) que

les habitants étaient suffisamment informés et qu'aux termes de l'article 23 du

Règlement de La Haye, la destruction de biens est autorisée pour atteindre des

objectifs militaires. Toutefois, le représentant du procureur général a reconnu que,

dans certains cas, des maisons avaient été démolies par des bulldozers de l'armée

avant que les Palestiniens ne les aient évacuées :

« Les habitants palestiniens ont eu un délai d'une heure à une heure et demie

entre l'appel [à évacuer, lancé par l'armée] et la mise en mouvement des

bulldozers. Pendant l'opération des FDI au centre du camp, certaines maisons

ont été évacuées après l'appel par haut-parleur mais les habitants d'autres

maisons ne sont pas sortis après cet appel. Ils ne l'ont fait qu'après que le

bulldozer eut heurté l'un des murs et avant la démolition de la maison14. »

Un dixième de la superficie du camp de réfugiés de Jénine a été détruit entre

le 11 avril, date à laquelle le dernier groupe de combattants palestiniens s'est

rendu, et le 15 avril, jour où, après l'audience de la Haute Cour de justice, les FDI

ont autorisé les ambulances à entrer dans le camp sous une stricte supervision.

Selon des combattants palestiniens et les FDI, certains des combats les plus

acharnés s'étaient déroulés dans cette partie du camp ; c'est à Hawashin que

13 soldats israéliens avaient trouvé la mort dans une embuscade. Les éléments

disponibles indiquent toutefois que les combats avaient cessé quand la plupart des

démolitions de maisons ont eu lieu.

Pour une superficie d'un kilomètre carré, le camp de réfugiés comptait environ

14 000 habitants avant les événements du 3 avril 2002 ; étant donné cette densité

de population, la destruction complète du quartier de Hawashin et la destruction

partielle de deux autres quartiers ont laissé plus de 800 familles, regroupant

quelque 4 000 personnes, sans abri et vivant sous des tentes ou chez des proches.

Cent soixante-neuf immeubles d'habitation comptant 374 appartements ont été

complètement détruits tandis que d'autres l'étaient en partie15. En outre, les actes

de vandalisme commis de façon généralisée par les FDI et les dégâts qu’elles ont

occasionnés à l'intérieur des maisons étaient visibles dans plusieurs zones du

camp, notamment dans le quartier d'al Damaj.

Aux termes de la Quatrième Convention de Genève, la destruction de biens ne

peut être justifiée qu'en cas de nécessité militaire absolue. Les délégués

d'Amnesty International qui sont entrés dans le camp de Jénine le 17 avril, date du

retrait des FDI, ont constaté que celles-ci n'avaient pas seulement utilisé les

bulldozers pour détruire les maisons mais aussi pour passer et repasser sur les

décombres afin de les écraser ; les habitants devaient donc, avec beaucoup de

difficulté, creuser les gravats à la recherche de leurs biens et objets de valeur ou

de leurs proches portés disparus.

14. Voir H. C. 2 977/02, Adalah et LAW c. Commandant de l'armée israélienne en Cisjordanie (enregistrée le 8 avril 2002 ; arrêt rendu le 9 avril 2002). 15. Informations fournies le 13 juin 2002 à Amnesty International par l'UNRWA.

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Les FDI ont affirmé aux délégués d'Amnesty International que les combats

s'étaient poursuivis après le 11 avril 2002 et que des tireurs isolés palestiniens

étaient restés dans des immeubles. Les représentants de l’armée israélienne ont

ajouté que la destruction de biens était nécessaire, à la suite des affrontements, en

raison de la prolifération d'engins piégés et de munitions non explosées16.

Toutefois, les travaux pour neutraliser les bombes israéliennes non explosées et

les engins piégés palestiniens restés sous les décombres continuent à ce jour et

des experts militaires ont fait observer à Amnesty International qu'il était

beaucoup plus difficile de neutraliser des munitions enterrées sous des décombres

broyés que dans une maison non démolie.

Les témoins oculaires palestiniens et étrangers, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du

camp, affirment que les combats ont cessé après le 10 avril. Les photographies

aériennes des destructions datées du 11 et du 13 avril et fournies par le ministère

israélien des Affaires étrangères indiquent que l'essentiel des destructions a eu lieu

à ces dates. Selon le commandant David Holley, délégué d'Amnesty International :

« Certains événements qui se sont produits après le 11 avril n'étaient pas justifiables

d'un point de vue militaire et ne répondaient à aucune nécessité militaire. Les FDI

ont complètement nivelé le dernier champ de bataille après la cessation des

hostilités. Il a ajouté : On peut donc émettre l'hypothèse que la destruction totale des

ruines laissées par la bataille est une punition pour les habitants. »

La ville de Jénine a également subi des dommages importants pendant l'opération

Mur de protection. Selon les chiffres officiels, plus de 1 200 immeubles

d'habitation ont été endommagés. Quarante maisons ont été complètement

démolies, d'autres ont été en partie détruites ou incendiées, ont subi des dégâts à

l'intérieur ou sur les murs extérieurs ou les réservoirs d'eau. Neuf écoles de la ville

de Jénine ont été endommagées, de même que le Département de l'éducation17.

Un certain nombre de maisons et d'immeubles commerciaux ont été démolis ou

endommagés dans la vieille ville et dans le quartier commerçant d'al Sibat,

notamment la bibliothèque publique de la municipalité de Jénine.

Témoignages d'habitants

Le quartier de Hawashin/Saha, dans le camp de réfugiés, a subi les destructions les

plus importantes. La plupart des maisons ont été complètement démolies. Les

délégués de l'organisation se sont entretenus avec deux familles de ce quartier dont

les maisons avaient subi ce sort. Dans les deux cas, les Palestiniens s'étaient réfugiés

à l'arrière de la maison pendant que la façade était détruite au moyen d'un bulldozer.

Zana Hassan Abu Sari est restée pendant plusieurs jours dans sa maison après le

début de l'incursion. De nombreux habitants du camp ont déclaré aux

représentants d'Amnesty International que s'ils n'étaient pas partis, c’était

essentiellement pour deux raisons : ils n'avaient nulle part où aller et, une fois que

les combats ont commencé, ils ont eu peur de sortir car il n'y avait pas de passage

sûr. Zana Hassan Abu Sari a fait le récit suivant :

16. Entretien des représentants de l'organisation avec le général de division Giora Eiland, 14 mai 2002. 17. Il s'agit du lycée de Jénine, de l'école primaire de Jénine, du lycée de filles al Zahra, de l'école primaire mixte al Karama, de l'école primaire Hitin, de l'école primaire de filles de Jénine, du lycée de filles de Jénine, de l'école primaire de filles Taht al Nitaqain et de l'école de filles Fatima Khatoun.

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« Pendant les quatre premiers jours de l'incursion [3 au 6 avril], les tirs

pleuvaient de toute part. Je ne pouvais même pas regarder par la fenêtre car

c'était trop dangereux. J'avais tellement peur. Les tirs venaient du ciel, des chars

et de la résistance dans le quartier. Pendant cette période, je n'ai pas entendu

d'annonce des FDI ordonnant l'évacuation. J'ai décidé de ne pas quitter ma

maison car j'avais trop peur. Pendant ces quatre jours, je suis restée avec ma

famille. Nous étions neuf en tout, trois adultes et six enfants de deux à dix ans.

Nous sommes restés dans un couloir à côté de la salle de bains. L'électricité a été

coupée au bout de deux jours et il n'y avait pas d'eau, car le réservoir avait été

détruit. Au bout de quatre jours, deux familles dont les maisons avaient été

détruites par des tirs de missiles sont venues nous rejoindre. Nous étions environ

22. Ces personnes sont restées avec nous pendant trois jours à peu près.

« Le septième jour de l'incursion [approximativement le 10 avril], un tir de

missile a atteint le second étage de ma maison et traversé le plafond, mais il n'est

pas arrivé jusqu'à nous. Nous sommes partis dans une maison située juste de

l'autre côté de la rue, où il y avait déjà neuf personnes quand nous sommes

arrivés. Dans l'après-midi du deuxième jour, un bulldozer a commencé à démolir

la maison, mais sans s'attaquer à la partie dans laquelle nous nous cachions.

Nous sommes restés dans une pièce à l'arrière ; nous avions trop peur de bouger,

alors nous sommes restés. Une partie de la maison a été démolie mais pas

l'arrière où nous étions ; nous y avons passé cinq jours. Nous n'avions pas de

cuisine, nous n'avions rien.

« Nous avons finalement décidé de partir car tout était calme, on n'entendait plus

de tirs. Nous sommes donc partis. Quand nous sommes sortis, les FDI nous ont

dit d’emprunter un itinéraire qui nous emmenait par la montagne jusqu'à Hadif.

J'ai suivi ce trajet un moment puis j'ai décidé d'essayer d'entrer dans la ville de

Jénine, où j'ai de la famille. J'ai réussi. Quand je suis partie, j'ai vu une quantité

de maisons détruites, démolies par des bulldozers ou touchées par des tirs de

missiles. J'ai aussi senti l'odeur des corps en décomposition. Je n'ai rien pu

emporter, nous nous sommes enfuis avec, en tout et pour tout, les vêtements que

nous portions, mais nous sommes en vie. »

La maison d'une femme de quarante ans, dans le quartier de Saha, a été détruite

entre le 10 et le 13 avril. Voici son récit :

« Je suis restée chez moi une dizaine de jours après l'incursion, je ne me rappelle

pas exactement combien de temps. Je n'ai pas quitté ma maison parce que j'avais

peur ; il y avait des roquettes et énormément de tirs. Juste avant que je parte, il y

a eu des combats intenses. À partir du troisième jour, je n'avais plus ni électricité,

ni eau, ni nourriture. Nous sommes restés à l'arrière de la maison, dans une pièce

qui avait été une chambre mais que nous utilisions comme débarras. Nous

sommes normalement sept à la maison, mais à cause de la situation ma fille et ses

deux enfants étaient venus s'installer chez nous. Nous étions donc 10 en tout : six

adultes (deux femmes et quatre hommes) et quatre enfants de deux ans et demi à

onze ans. La veille de mon départ, un magasin voisin a été touché par deux tirs de

missile. Le lendemain, vers 17 heures, un bulldozer est venu démolir le mur

principal de ma maison qui donne sur la rue. Ils ont détruit environ la moitié de

la maison. Quand le bulldozer est arrivé, nous étions à l'arrière. Quand je l'ai

entendu, nous avons fait sortir les enfants par une fenêtre et puis je suis partie.

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Mon mari a été le dernier à partir. Nous sommes partis sans chaussures, je

n'avais rien, même pas un foulard. Nous sommes simplement partis en courant

vers une maison proche dans le quartier d'al Damaj. Il y avait déjà une foule de

gens quand nous sommes arrivés, peut-être une centaine. Nous n'y sommes restés

qu'une dizaine de minutes parce que c'était encore trop dangereux, puis nous

avons quitté le camp pour la ville de Jénine.

« Quand je suis rentrée chez moi, il ne restait plus rien. Ma maison était

totalement démolie ; tout mon quartier a été entièrement détruit. Il y avait environ

60 maisons, il ne reste plus rien. Je ne saurais pas vous dire ce que j'ai ressenti

quand je suis partie, quand j'ai entendu le bulldozer ; je voulais simplement partir

en courant. J'ai tout perdu. Pourquoi notre famille [a-t-elle subi cela] ? »

Naplouse

Naplouse, 120 000 habitants, est la deuxième ville de Cisjordanie ; c’était l'un des

principaux centres commerciaux et industriels. Elle est également connue comme

l'un des bastions de la résistance à l'occupation israélienne. Naplouse compte trois

camps où vivent des Palestiniens qui ont quitté leurs foyers en 1948, notamment

ceux d'Askar et de Balata ; ce dernier a été le théâtre de combats lors de

l'incursion du mois de mars. Les quartiers de la Qasba et d'al Yasmina (vieille

ville) représentent un petit quart de la ville moderne ; situés en contrebas du mont

Gerizim, ils sont dominés par de nouveaux immeubles construits sur les hauteurs.

Les quartiers de la Qasba et d'al Yasmina sont quadrillés par un labyrinthe de

passages, dont beaucoup sont souterrains, ainsi que par une série de petites ruelles

étroites reliant les quartiers. Les bâtiments en pierre, dont certains datent du

15e siècle, sont extrêmement solides.

Les FDI ont lancé une incursion de grande ampleur dans le camp de réfugiés de Balata,

à Naplouse, du 27 février au 3 mars, en tirant dans un premier temps des missiles

depuis des hélicoptères Apache puis en pénétrant dans le camp, le plus souvent par des

orifices permettant de passer d'une maison à l'autre. Les FDI ont démoli une maison où

vivaient des proches de Nasser Abu Aways, un Palestinien recherché, endommageant

six maisons voisines. Pendant l'opération Mur de protection, l'incursion à Naplouse a

été dirigée sur la vieille ville, située au centre, mais la totalité de la ville et les camps de

réfugiés ont été soumis au couvre-feu du 4 au 22 avril.

Les FDI ont lancé une deuxième incursion à Naplouse du 31 mai au 6 juin 2002.

Le couvre-feu a été proclamé dans la ville pendant cette période. Quelque

4 000 Palestiniens ont été rassemblés et 65 ont été arrêtés. Les FDI ont mené des

perquisitions domiciliaires dans les camps d'Askar et de Balata pour arrêter les

hommes adultes. Deux maisons – l'une dans le camp de Balata et l'autre dans la

ville de Naplouse – ont été démolies à titre de punition.

Naplouse a été réoccupée par les FDI le 21 juin 2002, pendant l'opération Voie

ferme. La ville est restée sous occupation israélienne jusqu'à la fin du mois de

septembre ; au cours de cette période de trois mois, le couvre-feu a été imposé

vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant plus de soixante-dix jours.

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Les homicides illégaux

Au moins 80 Palestiniens ont été tués par les FDI à Naplouse entre le 29 mars et

le 22 avril 2002 ; parmi les victimes figurent sept femmes et neuf enfants de

moins de quinze ans. Selon les registres des hôpitaux que les délégués d'Amnesty

International ont pu examiner, 255 blessés ont reçu des soins à l'hôpital Rafidiyeh

pendant les incursions et 65 autres ont été soignés dans des hôpitaux moins

importants. Beaucoup d'autres ont été accueillis dans des hôpitaux de campagne

mis en place par la Société de secours médical ou dans des dispensaires. Un

certain nombre d'homicides semblent illégaux, les victimes n'ayant pas participé

aux affrontements avec les FDI.

Rasha Fayez Fraitekh et Zaha Fayez Fraitekh

Rasha et Zaha Fraitekh, deux sœurs, ont été tuées parce que les FDI ont bombardé

des quartiers d'habitation sans établir de distinction entre les combattants et les

habitants qui ne participaient pas aux combats. Le 3 avril 2002, vers 21 h 30,

Bashar Fraitekh était chez lui avec sa famille quand sa maison de trois étages a

été touchée par un tir de missile.

Cet homme a raconté à Amnesty International ce qui s'était passé :

« Dans la soirée du 3 avril, j'étais dans la cour de la maison avec plusieurs

membres de ma famille. Nous étions tous ensemble, sauf mes tantes Rasha et

Zaha et ma sœur Raeda, qui étaient au deuxième étage. Nous avons entendu un

missile ; on reconnaît le bruit, nous nous sommes donc dispersés. Le missile a

atteint les piliers porteurs et les trois étages se sont effondrés.

« Avant ce tir de missile, nous avions entendu des coups de feu, mais en dehors de

la ville. Notre maison a été la première touchée par un missile dans la vieille ville

et il n'y a eu aucun avertissement. Après l'effondrement de la maison, j'ai été

emmené en ambulance avec mes frères et ma sœur dans un hôpital situé à

proximité de l'université al Najah. J'étais blessé à la jambe. J'ai quitté l'hôpital

quelques heures plus tard mais, entre temps, les FDI étaient entrés dans la vieille

ville ; je suis donc allé chez un ami où je suis resté cinq jours. Le quartier où

habitait mon ami était également bombardé, alors j'ai rejoint une autre partie de

la ville où je suis resté encore deux jours. Vers le 10 avril, tous les hommes ont

reçu par haut-parleur l'ordre de sortir de leurs maisons. J'ai été emmené et

détenu d'abord dans une école voisine puis dans le centre de détention de

Huwara. J'ignorais ce qui était arrivé à mes tantes. J'ai été détenu pendant deux

jours avant d'être relâché. »

Les corps de Rasha Fraitekh, quarante-neuf ans, et de Zaha Fraitekh, trente-sept

ans, ont été respectivement retrouvés le 17 et le 19 avril dans les ruines de leur

maison. Raeda Fraitekh, vingt-neuf ans, reste paralysée à la suite des blessures

qu'elle a subies du fait du bombardement et de l'effondrement de la maison.

Mahmud Rawhi al Ukkeh

Le matin du 4 avril, Mahmud Rawhi al Ukkeh, quarante-deux ans, a été tué d'une

seule balle dans la tête par un tireur isolé des FDI. Son fils de dix-sept ans,

Haytham, qui se trouvait à ses côtés au moment de sa mort, a fait le récit suivant à

Amnesty International :

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« Un ami m'avait appelé tôt le matin pour me dire qu'il y avait des chars dans

notre quartier. Je me suis approché de la fenêtre en compagnie de mon père, qui

me les a montrés, mais comme je n'avais pas mes lunettes je n'ai rien vu. J'ai mis

mes lunettes et j'ai aperçu quelque chose de flou. Il était à peu près sept heures

quand nous avons entendu des Israéliens, qui parlaient arabe avec un très fort

accent, demander à Abu Salah d'ouvrir la porte. Cet homme habite un immeuble

en surplomb qui domine la partie nord de la ville et que les FDI avaient occupé

pendant la première intifada. Quand nous avons entendu les soldats, nous avons

quitté la pièce donnant sur la rue pour nous rendre dans le salon. Ma grand-mère

a alors demandé à ma tante Jihad de lui apporter ses médicaments. Mais la

chambre de ma grand-mère, où se trouvaient ses médicaments, donne sur la

façade de la maison. Comme il y avait beaucoup de chars, mon père a dit qu'il se

chargeait d’aller lui chercher ses médicaments et je l'ai suivi.

« Mon père était devant moi, il s'est mis à une fenêtre ouvrant sur le nord et il m'a

désigné un autre char mais je ne l'ai pas vu. Il riait et battait des mains en disant

que j'étais vraiment aveugle. Le rideau était tiré, nous l'avons entrouvert pour

regarder à l'extérieur pendant une dizaine de secondes puis nous sommes allés

chercher les médicaments dans une armoire, sur le mur est. Nous avons entendu

des coups sourds sans pouvoir en déterminer la provenance. J'étais à moitié

allongé sur le lit, les genoux par terre. Mon père est allé de l’armoire à la fenêtre

et il venait à peine de tirer légèrement le rideau quand j'ai entendu un bruit.

Il n'est pas resté plus d'une seconde devant la fenêtre, je suis certain qu'il n'a

même pas pu regarder à l'extérieur.

« Quand mon père a été touché, j'ai senti sur mon visage quelque chose qui

ressemblait à du sang. J'ai pensé pendant quelques minutes que j'avais été moi-

même blessé. Il s'était effondré sur le lit et sa main me touchait. Quand je l'ai

regardé, il était à moitié allongé sur le lit ; je lui ai crié de se relever mais il n'a

pas répondu. Je me demandais si c'était lui qui avait été blessé ou moi. J'ai pris

sa tête entre mes mains et j'ai vu qu'il avait été touché à la partie gauche de la

tête. Je me suis mis à crier et tout le monde est arrivé. Je me souviens que ma

tante Jihad a dit quelque chose, peut-être "Que Dieu ait pitié de nous". Je hurlais

sans pouvoir m'arrêter.

« Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans la chambre de mes parents.

Quand je me suis calmé, j'ai compris que mon père était mort ; je suis retourné

dans le salon et j'ai vu mon oncle Ahmad qui pleurait. Je me suis approché de lui

et j'ai regardé mon père qui était allongé par terre. Je ne voyais que la partie

droite de sa tête, qui n'avait pas été touchée. J'ai rampé vers lui, je voulais le

voir. Quand je suis arrivé tout près, j'ai regardé sa tête et j'ai vu les os mis à nu

du côté gauche et une mare de sang sous sa tête. À ce moment-là, c’est devenu

pour moi une réalité. »

La famille a téléphoné au Croissant-rouge et à la Société de secours médical pour

demander une ambulance. Les ambulanciers n'ont pas pu arriver jusqu'à la maison

et le corps n'a été évacué que vingt-sept heures plus tard.

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La famille al Shubi

Le 6 avril, des bulldozers des FDI ont démoli une maison de la Qasbah de

Naplouse à l'intérieur de laquelle se trouvaient 10 membres de la famille al Shubi.

Huit d'entre eux, dont trois enfants, leur mère enceinte et le grand-père âgé de

quatre-vingt-cinq ans, ont été tués. Les soldats ne s'étaient manifestement pas

assurés que la maison était vide avant de la démolir.

Ahmad Fuad al Najjar, voisin de la famille al Shubi, a fait le récit suivant :

« Lors des incursions précédentes dans la vieille ville, les Israéliens sont entrés

par la partie de la ville dans laquelle nous habitons. Les gens le savaient et ils

n'ignoraient pas le danger potentiel. Nous étions donc en contact régulier les uns

avec les autres pendant cette incursion ; nous sommes restés vigilants car nous

nous attendions à être en danger. J'avais averti mes voisins que notre quartier

serait utilisé comme voie d'accès à la vieille ville et nous avions convenu de nous

prévenir mutuellement si nous soupçonnions quelque chose. Le jeudi 4 avril, j'ai

parlé à Samir al Shubi pour l'avertir du danger. Le vendredi, vers dix heures du

matin, Nabila, la femme de Samir, m'a crié par une fenêtre qu'il y avait beaucoup

de chars derrière sa maison, ainsi que des bulldozers sur la route, et qu'elle les

voyait depuis sa fenêtre. Il y a, derrière la maison des al Shubi, un terrain vague

sur lequel les chars avaient coutume d'aller et venir ; la situation ne semblait pas

dangereuse. Le dimanche 6 avril, nous avons remarqué une intense activité des

chars et des bulldozers. J'ai discuté avec Nabila qui m'a dit que de nombreux

bulldozers étaient en activité mais qu'elle ne savait pas ce qu'ils faisaient.

La démolition des maisons a commencé vers dix-neuf heures.

« J'ai assisté depuis mon domicile à la destruction de la maison des Ghanem.

J'ai vu Sulayman Ghanem et sa femme dans la rue, je les ai appelés depuis la

fenêtre pour leur demander si les autres voisins étaient partis. Il m'a dit que toute

sa famille était partie ; je lui ai demandé où étaient les al Shubi et il a répondu

qu'il pensait qu'ils étaient partis eux aussi. J'ai alors vu un des énormes

bulldozers arriver de l'ouest et démolir la maison de la famille al Shubi. J'ai vu la

maison qui s'effondrait et, sans réfléchir, j'ai crié au soldat qui conduisait

l'engin : "Laissez les habitants sortir." Il est descendu du bulldozer, a pris son

arme et s'est mis à tirer dans ma direction. Je me suis écarté et les balles ont

atteint le mur de ma maison, on voit encore les impacts. J'ai dit à mes enfants de

sortir et j'ai aussi demandé à deux autres familles voisines de partir. Nous nous

sommes dirigés vers la mosquée. »

Selon Ahmad al Najjar, les FDI n'ont donné aucun avertissement avant de

commencer à démolir les maisons. Il a précisé que les habitants étaient en état

d'alerte et qu'ils auraient quitté le quartier s'ils avaient été avertis.

Ahmad al Najjar est retourné chez lui lorsque le couvre-feu a été levé pour une

courte période le mercredi 10 avril. Quand les voisins ont commencé à revenir

dans le quartier, ils se sont renseignés sur le sort de la famille al Shubi.

Mahmud Umar al Shubi a déclaré aux délégués d'Amnesty International que, le

couvre-feu ayant été levé pour deux heures dans l'après-midi du 12 avril, il était

allé à la recherche de son père et de sa sœur. En arrivant chez lui, il a constaté que

la maison familiale avait été démolie. Il raconte qu’il a essayé de déblayer les

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décombres avec l'aide de ses voisins, en espérant trouver des survivants.

Il a commencé à pleuvoir et la boue a rendu l'opération difficile. Ils ont toutefois

continué à creuser après la nouvelle instauration du couvre-feu, et les FDI ont tiré

à plusieurs reprises des tirs de semonce dans leur direction. Dans la nuit, les

sauveteurs ont trouvé une petite ouverture à l'emplacement du rez-de-chaussée de

la maison ; par miracle, Abdullah al Shubi, soixante-huit ans, et sa femme

Shamsa, soixante-sept ans, étaient vivants dans une poche d’air. Les sauveteurs

ont continué à creuser toute la nuit et ils ont fini par trouver les autres membres de

la famille, entassés les uns contre les autres dans une petite pièce : Umar, quatre-

vingt-cinq ans, le père de Mahmud al Shubi, ses sœurs Fatima, cinquante-sept

ans, et Abir, trente-huit ans, son frère Samir, quarante-huit ans, ainsi que l'épouse

de celui-ci, Nabila, quarante ans, enceinte de sept mois, et leurs trois enfants

Abdallah, neuf ans, Azzam, sept ans et Anas, quatre ans. Ils étaient tous morts.

Amid Muhammad Abu Sair

Les opérations militaires à Naplouse et dans les environs se sont poursuivies après

l'opération Mur de protection. Chaque semaine, des Palestiniens sont tombés sous

les balles des FDI, souvent à la suite d'une utilisation aveugle et disproportionnée

de la force meurtrière. C'est ainsi que le 17 mai 2002, Amid Abu Sair, sept ans,

qui se rendait à la mosquée avec son père pour la prière du vendredi, a été tué par

des tirs provenant d'un char. Ils ont reçu des balles alors qu'ils s'abritaient derrière

une porte dans un passage menant à leur maison. Des témoins ont raconté à

Amnesty International que deux chars des FDI avaient tiré en riposte à des jets de

pierres provenant d'un groupe de jeunes garçons, âgés de huit à treize ans, dans

l’artère principale, la rue Askar. Aucun coup de feu n'a été signalé.

Les autorités israéliennes n'ont mené aucune enquête indépendante, impartiale et

approfondie sur la mort d'Amid Abu Sair, ni sur les blessures infligées dans les

mêmes circonstances à Yaqub Yusuf al Bishawi, huit ans, en partie paralysé après

avoir été atteint d'une balle provenant d'un char des FDI alors qu'il jouait aux

billes tout près de là, à côté de la maison de son grand-père.

Les Palestiniens contraints de participer aux opérations militaires et de servir de boucliers humains

Tant à Naplouse qu'à Jénine, les FDI ont souvent contraint des Palestiniens à

participer à des opérations militaires, notamment comme boucliers humains. Les

soldats ont obligé des Palestiniens à les précéder en éclaireurs dans certaines

zones, pour garantir leur sécurité, à pénétrer dans des maisons palestiniennes au

cours d'opérations militaires, ou à passer devant eux par des trous que les FDI

avaient creusés dans les murs pour pouvoir se déplacer de maison en maison.

Maher Muhammad Hassan Salim

Maher Salim, quarante-cinq ans, était à son domicile avec sa famille dans la nuit

du 6 avril quand, vers une heure et demie du matin, il a entendu des coups sourds

en provenance de la maison de ses voisins. Il savait que ceux-ci n'étaient pas chez

eux. Quand il a entendu des bruits venant de l'étage, il a supposé que les FDI

tentaient de pénétrer dans sa maison. Une demi-heure plus tard, des soldats sont

entrés chez lui par la cuisine puis, fracassant une porte dans la chambre d'amis, ils

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sont entrés dans la chambre où il dormait avec sa femme et ses sept enfants âgés

de six à dix-neuf ans. Les soldats les ont mis en joue et leur ont donné l'ordre de

lever les mains en l'air et de les suivre dans la pièce voisine où ils les ont fait

asseoir. Il entendait les soldats qui se déplaçaient dans la maison et le bruit de

vitres brisées. Deux heures plus tard, les soldats sont revenus pour lui dire qu'ils

partaient et que la famille devait rester dans la pièce où elle se trouvait.

Le lendemain matin, 20 à 25 soldats, accompagnés de deux chiens, sont venus

chez Maher Salim. Ils ont pénétré dans la maison par un trou percé dans le mur et

ont ordonné à Maher Salim de les accompagner :

« Les soldats m'ont demandé de leur montrer une porte qui donnait dans une

ruelle et ils m'ont dit d'en ouvrir les deux battants. Ils m'ont donné l'ordre de

regarder vers le haut et vers le bas de la ruelle et de leur dire s'il y avait des

combattants. Ils ont menacé d'abattre ma famille si je mentais. Puis ils m'ont

interrogé sur une autre porte juste en face, de l'autre côté de la rue ; je leur ai dit

que c'était le magasin de mon voisin. Ils m'ont demandé de l'ouvrir. J'ai essayé,

mais elle était fermée à clé. Le soldat m'a dit de revenir et, quelques secondes

plus tard, il a tiré deux rafales sur la serrure. Il m'a dit de retourner ouvrir la

porte et de regarder à l'intérieur, il m'a demandé ce qu'il y avait et j'ai répondu :

"Du bois". Il m'a rappelé et m'a empoigné par le col de ma chemise en pointant

son arme dans mon dos. Nous avons avancé vers le magasin, il marchait derrière

moi. Quand nous sommes entrés, il a appelé les autres soldats.

« Il a alors vu une voiture garée devant ma maison et m'a demandé depuis combien

de temps elle était là. J'ai répondu : "Une dizaine de jours". Il m'a demandé si

c'était ma voiture et j'ai dit que non ; il a menacé de tuer ma famille si je mentais.

On voyait des fils électriques qui sortaient de la voiture. Les soldats m'ont dit de

rentrer chez moi et, une minute plus tard, j'ai entendu une explosion. Quand je suis

rentré chez moi, il y avait des soldats dans l'escalier, ils m'ont dit de rester avec

eux. Peu après l'explosion, un autre soldat est venu me chercher, il m'a de nouveau

empoigné par le col et a pointé son arme dans mon dos. Il m'a dit d'aller chez mon

voisin, à cinq mètres de là environ. C'était le dimanche et il était à peu près neuf

heures du matin. Six ou sept soldats me suivaient. Mon voisin m'a vu et il m'a

appelé par mon nom ; le soldat a menacé de me tuer si je disais quoi que ce soit.

« Nous sommes entrés chez mon voisin. Les soldats ont commencé à creuser un

trou dans le mur mitoyen d'une autre maison. Je suis passé par le trou, une arme

pointée sur la tête, avec trois soldats et le chien. Nous sommes arrivés dans

l'immeuble voisin qui était vide ; ce n'était pas une habitation, juste un bâtiment

vide. Les soldats ont percé un trou dans un autre mur, ils ont recommencé six ou

sept fois. Chaque fois que nous passions d'un mur à l'autre et d'immeuble en

immeuble, ils me mettaient toujours devant eux.

« Dans le dernier bâtiment, nous nous sommes trouvés face à une porte

métallique que l'un des soldats a ouverte. Il m'a dit de sortir, j'ai ouvert la porte

et quand je suis sorti, j'ai entendu des coups de feu. Les soldats m'ont fait rentrer

et ils ont riposté. J'étais à environ un mètre derrière eux et je me suis accroupi

par terre pendant qu'ils tiraient. Au bout d'une demi-heure, j'ai dit à un soldat

que je voulais voir un officier, il m'a demandé pourquoi et je lui ai répondu que

j'étais malade et que j'avais besoin d'un médicament. Il m'a donné de l'Acamol et

m'a dit qu'il reviendrait me chercher une demi-heure plus tard. J'avais besoin

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d'un médicament pour la toux et pour une infection des bronches. Après avoir

pris l'Acamol, j'ai eu des vertiges et je me suis évanoui, je ne sais pas combien de

temps j'ai perdu connaissance. Quand j'ai repris mes esprits, les soldats m'ont

dit : "C'est bon, maintenant tu peux partir", mais ils ont ajouté que je ne devais

pas quitter ma maison sinon ils me tueraient. Ils m'ont aussi donné l'ordre de

laisser la porte d'entrée ouverte. »

Ghazi Kamal Abu Kishik

Ghazi Kamal Abu Kishik a été contraint d'accompagner des soldats et de

participer à des opérations militaires qui ont mis sa vie en danger. En outre,

sa maison a été partiellement détruite au moyen d'explosifs.

Le 7 avril 2002, en fin de matinée, les FDI ont occupé l’habitation de cet homme

qui est journaliste pour la presse locale. Ils lui ont dit qu'on avait vu des

combattants sortir de sa maison, ce qu'il a nié, tout en affirmant qu'il avait vu des

combattants dans les ruelles environnantes.

Ghazi Abu Kishik a déclaré à Amnesty International :

« Nous habitons dans une très vieille maison qui a été construite à l'époque

ottomane. Quand les FDI se sont présentés à la porte, nous nous sommes

précipités pour ouvrir, pour qu'ils ne la fassent pas sauter, car je savais qu'ils

avaient procédé de la sorte pour d'autres maisons. J'étais chez moi avec ma

famille, mon frère et sa famille ; en tout, il y avait mon frère et moi, quatre

femmes et une douzaine d'enfants de trois à dix-huit ans. Quand [les soldats] sont

entrés, ils m'ont demandé où étaient les combattants et je leur ai dit qu'il n'y en

avait pas, que j'avais vu des combattants dans les passages des alentours mais

qu'ils n'étaient jamais entrés chez moi. Ils ont répondu que je devais leur dire où

étaient les combattants sinon ils démoliraient la maison. Je me suis tu. Quelques

secondes plus tard, ils ont apporté un énorme marteau qu’ils ont utilisé pour faire

un grand trou dans le mur du salon, puis ils ont posé de la dynamite dans ce trou.

Ils nous ont emmenés dans la cour et ont fait sauter une partie de la maison au

moyen d’un détonateur actionné à distance. Il était environ midi.

« J'ai cru qu'ils allaient partir, mais ils ont monté une opération dans la maison

voisine. À la suite de l'explosion, ma maison n'était plus séparée de celle du

voisin et, depuis le balcon de la maison voisine, les FDI avaient la vue dégagée à

l'Est. Ils nous ont dit de nous rassembler dans une pièce et de ne pas bouger.

Nous n'avions pas d'eau ni d'électricité, ni aucun moyen de communiquer avec

l'extérieur. Nous leur avons demandé du café et de l'eau par la fenêtre de la salle

de bains mais ils nous ont dit de fermer la fenêtre. Ils sont restés plusieurs jours

dans la maison et ont continué de tirer. Je comprends l'hébreu et j'ai entendu un

soldat se vanter d'avoir abattu trois Palestiniens.

« Le 7 avril, premier jour où ils ont occupé la maison, les soldats m'ont demandé

d'ouvrir la porte d'entrée métallique, qui était bloquée par les décombres. Ils m'ont

donné un marteau. Je leur ai dit que si j'essayais d'ouvrir la porte, le plafond

risquait de s'effondrer. Un soldat m'a répondu que ce n'était pas son problème.

J'entendais des coups de feu de l'autre côté de la porte et le soldat ripostait derrière

moi. J'ai finalement réussi à ouvrir la porte. J'ai vraiment eu très peur.

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« Au bout de quatre jours, personne n'est venu nous dire que nous pouvions

sortir. Comme je n'entendais plus rien, j'ai lancé des pierres sur la porte.

Personne n'est venu et je me suis décidé à sortir. »

La maison de Ghazi Abu Kishik a subi des dommages importants : deux pièces sont complètement détruites et le salon est fortement endommagé. La plus grande partie du mobilier a été détruite. Cet homme a déclaré qu'un ingénieur de la municipalité lui avait dit qu'il était dangereux de rester dans la maison. « C'est terrible pour ma famille, a-t-il souligné. Ils étaient déjà réfugiés de Jaffa et ils se retrouvent une nouvelle fois dans la même situation. »

Les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la personne de détenus

À Naplouse, les FDI ont maltraité et, dans certains cas, torturé les personnes arrêtées lors de rafles massives d'hommes âgés de quinze à quarante-cinq ans. C’est probablement le 10 avril que les soldats des FDI ont appelé par haut-parleur les hommes à se rassembler ; ils ont en outre interpellé des Palestiniens lors de perquisitions domiciliaires après avoir pris le contrôle de la vieille ville. Les personnes qui se sont entretenues avec les délégués d'Amnesty International après leur libération se sont régulièrement plaintes d'avoir été maltraités par les FDI immédiatement après leur arrestation. Parmi les personnes torturées ou maltraitées figurait un paralysé, qui se déplace en fauteuil roulant.

Les hommes arrêtés à Naplouse affirment qu'ils ont été transportés, immédiatement après leur arrestation, au centre de détention temporaire de Shomron, situé dans un village voisin que les Palestiniens appellent Huwara. Les Palestiniens qui avaient subi des violences lors de leur arrestation affirment qu'on a continué à les battre dans le centre de détention. Ils ont ajouté que ce centre était surpeuplé, que la nourriture et l'eau étaient insuffisantes et qu'on les avait parfois empêchés d'utiliser les toilettes.

Les Palestiniens arrêtés lors de l'opération des FDI à Naplouse entre le 3 et le 21 avril 2002 et libérés au poste de contrôle de Huwara risquaient d'être victimes des tirs des FDI car, jusqu'au 21 avril, la ville a été soumise à un couvre-feu strict qui n'était levé que pendant de courtes périodes. Ces hommes racontent qu'au moment de leur libération, on leur a remis un document qui ne leur laissait qu'un délai très court – un jour, en général – pour rentrer chez eux. Certains ajoutent que les soldats tiraient dans leur direction pendant qu’ils regagnaient la ville à pied. Les personnes qui ont été relâchées au poste de contrôle disent s’être senties en danger de mort, car les FDI continuaient leurs tirs nourris et ceux qui essayaient de rentrer dans la vieille ville étaient parfois pris dans des échanges de tirs.

Muhammad Daraghmeh

Muhammad Daraghmeh, journaliste qui travaille pour le quotidien Al Ayyam (Les Jours) et pour l’agence Associated Press, vit à Naplouse. Il a déclaré aux délégués d'Amnesty International que, le 16 avril 2002 vers trois heures du matin, les FDI sont venues dans son quartier et ont contraint l'un de ses voisins à aller de maison en maison pour demander à tous les hommes de plus de seize ans de sortir. Muhammad Daraghmeh est sorti et on lui a demandé sa carte d'identité. Les FDI ont ensuite renvoyé une partie des hommes chez eux et ont arrêté les autres. Muhammad Daraghmeh était au nombre des 20 hommes qui ont été détenus. Il a décrit dans les termes suivants ce qui s'était passé ensuite :

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« Les soldats nous ont attaché les mains avec des menottes en plastique. Ils nous

ont emmenés dans des véhicules blindés de transport de troupes et nous ont

obligés à garder les yeux baissés. Il y avait environ huit hommes avec moi.

Ils nous ont emmenés dans un immeuble d'habitation à Rafidiyeh. Une fois

arrivés, ils nous ont bandé les yeux et nous ont fait asseoir dans l'escalier.

J'ai aperçu sous mon bandeau des soldats qui montaient et descendaient

l'escalier. J'ai également entendu des voix d'enfants provenant des étages

supérieurs et j'en ai déduit que les habitants de l'immeuble n'étaient pas partis.

« Nous sommes restés là pendant environ trois heures. Les soldats nous ont dit de

garder la tête baissée et de ne pas bouger... Vers midi, on nous a donné l'ordre de

former une chaîne humaine en nous tenant par la main pour monter dans un

camion. Nous devions être environ 50. On nous a emmenés à la base militaire de

Huwara, à onze kilomètres de la ville. Une fois arrivés à destination, on nous a

fait asseoir sur un terrain dégagé. Nous avions toujours les yeux bandés et les

mains attachées [...] on nous avait pris nos effets personnels. Les soldats nous ont

ensuite emmenés dans une tente et nous ont dit de ne pas communiquer entre nous

et de ne pas ôter nos bandeaux. Un jeune homme qui devait avoir environ dix-huit

ans a soulevé un peu son bandeau et j'ai vu sous mon bandeau un soldat

s'approcher et lui donner un coup de bâton sur la tête. Puis un soldat est venu

demander qui parlait l'hébreu. Un homme a levé la main, et le soldat lui a dit de

traduire et nous a demandé de répéter ce qu'il disait, à savoir "Apporte-moi du

hommous", "Apporte-moi des fèves" et "J'aime les FDI".

« J'avais besoin d'aller aux toilettes, je l'ai dit à un soldat qui m'a accompagné.

Quand nous y sommes arrivés, je lui ai demandé comment je pouvais utiliser les

toilettes avec les mains attachées. Il m'a répondu que ce n'était pas son problème

et que je n'avais qu'à me soulager dans mon pantalon. On m'a ramené et je suis

resté au même endroit et dans la même position jusqu'à vingt-trois heures.

Un soldat est alors venu m'appeler. »

Muhammad Daraghmeh a été emmené pour être interrogé puis ramené à l'entrée de

la base. On lui a dit qu'il pouvait rentrer chez lui et on lui a donné un document sur

lequel figuraient son nom et son numéro de carte d'identité, ainsi que la date de son

arrestation et celle de sa remise en liberté. On entendait des tirs nourris dans la

zone. Muhammad Daraghmeh a marché environ deux kilomètres jusqu'au poste de

contrôle de Huwara et, après avoir été intercepté et interrogé par les soldats, il a été

autorisé à passer. Il se trouvait alors à 11 kilomètres environ de son domicile, situé

de l'autre côté de Naplouse. Après avoir parcouru quelque 200 mètres, il a décidé

de rebrousser chemin car on tirait de toutes parts autour de lui :

« Quand je suis revenu au poste de contrôle, l'un des soldats m'a demandé ce que

je faisais. Je lui ai dit que je ne pouvais pas aller plus loin à cause de l'intensité

des tirs. Il m'a répondu : "Et alors ? C'est ta ville." Je lui ai demandé si je pouvais

rester au poste de contrôle, il a refusé en disant que ce n'était pas autorisé. Je lui

ai alors demandé si je pouvais retourner au centre de détention, il a répondu que

ce n'était pas un hôtel. Je lui ai dit que les soldats de Huwara m'avait dit de

revenir si j'avais un problème ; ce n'était pas vrai mais je l'ai dit quand même.

Vers deux heures et demie du matin, une jeep de l'armée est arrivée du camp.

Les soldats ont demandé où j'étais et l'autre soldat m'a désigné. Ils m'ont dit de

m'approcher et m'ont demandé ce que je faisais là. Je leur ai dit que les tirs

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étaient trop nourris pour que je puisse rentrer chez moi en sécurité. L'un des

soldats m'a dit que je ne pouvais pas rester là car c'était une zone sous contrôle

de l'armée. J'ai répondu que les tirs étaient trop intenses sur la route. Le soldat a

insisté en disant que je devais avancer sinon ce serait lui qui me tirerait dessus.

Je lui ai demandé ce que je devais faire si je rencontrais un char. Il m'a dit

d'entrer dans la ville, les mains en l'air, ma carte d'identité et le document de

remise en liberté dans la main, et de dire en hébreu : "Je viens d'être libéré."

« J'ai marché environ 300 mètres et je me suis trouvé face à deux chars. J'ai mis

les mains en l'air et j'ai répété la phrase quatre fois. J'ai avancé une vingtaine de

mètres et je me suis trouvé face à un autre char. J'étais dans une situation si

dangereuse que j'ai décidé de ne pas aller plus loin. J'ai regardé tout autour de

moi pour chercher une maison éclairée afin de quitter la route et d'attendre un

peu que les choses se calment. »

Muhammad Daraghmeh a trouvé une maison où il a passé la nuit. Il s'est remis en

marche le lendemain pour rentrer chez lui. Quand il est arrivé à un deuxième

barrage à côté du camp de réfugiés de Balata, il a été intercepté par des soldats qui

lui ont demandé pourquoi il avait mis si longtemps pour arriver jusque là ; en

effet, la date et l'heure de sa remise en liberté figuraient sur le document qui lui

avait été remis. Ils l'ont fait taire quand il a essayé de leur expliquer. Puis les

soldats l'ont fait asseoir par terre, la tête baissée, et ils l'ont interrogé. Quand il

leur a dit qu'il était journaliste, ils lui ont demandé sur quels sujets il écrivait et

quelles étaient ses opinions politiques.

Muhammad Daraghmeh a été retenu plus d'une demi-heure au poste de contrôle

avant d'être relâché. Il s'est remis en marche vers la ville et, s'arrêtant dans la

première maison qu'il a vue, il a téléphoné à des journalistes travaillant pour des

médias étrangers car il savait que ceux-ci avaient toutes les chances de pouvoir

circuler librement dans la ville et qu'ils pourraient probablement arriver jusqu'à

lui. Deux journalistes sont venus le chercher pour le ramener chez lui.

Maher Musa Hussain al Naqib

Maher al Naqib, vingt-cinq ans, paraplégique à la suite de deux blessures par

balle reçues en 1994, ne se déplace qu'en fauteuil roulant. Il vit dans le camp de

réfugiés d'Askar, à Naplouse. Dans l'après-midi du 16 avril 2002, les FDI sont

entrés dans son quartier et ont demandé à un voisin de les accompagner dans la

maison où Maher al Naqib vivait avec ses parents, ses quatre sœurs ainsi que sa

belle-sœur et sa nièce de huit mois. Lorsqu'il s'est entretenu avec les délégués

d'Amnesty International, il présentait encore des traces de coupures et des

contusions légères sur la jambe et les genoux.

Il a fait le récit suivant :

« Quand les soldats sont entrés dans la maison, ils nous ont demandé, à mon père

et à moi, de présenter nos cartes d'identité. J'ai donné la mienne ainsi qu'une

autre carte qui indique que je suis en partie paralysé. Il y avait 20 à 25 soldats

dans la maison ; l'un d'entre eux, qui parlait sans arrêt dans un talkie-walkie,

s'appelait Amir... Après avoir vérifié les cartes d'identité, ils ont commencé à

fouiller la maison. Certains d'entre eux sont restés avec nous dans le séjour, nous

faisant déplacer d'un endroit à l'autre pendant qu'ils fouillaient. Ils ont forcé les

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armoires et défoncé le canapé à coups de chaussure et avec des outils qu'ils

avaient apportés. Ils ont fouillé le séjour pendant quatre heures environ. Au bout

de deux heures, ils nous ont demandé de nous mettre debout. Je leur ai dit en

hébreu que je ne pouvais pas me lever car j'étais paralysé. Le soldat m'a

répondu : "Tu n'es pas paralysé."

« Comme je ne me levais pas, trois soldats m'ont emmené dans la chambre de mes

parents et ils ont fermé la porte. Une fois dans la chambre, ils ont essayé de me

soulever par les aisselles. En même temps, ils me donnaient des coups de poing et

de pied sur le bas des jambes, les mains, la poitrine et la nuque ; ils me

frappaient aussi avec leur fusil. Nous sommes restés plus d'une demi-heure dans

cette pièce. Ils ne cessaient de me dire de me mettre debout et, comme je n'y

parvenais pas, ils me frappaient. Ils ont fini par me jeter par terre et se sont mis à

me donner des coups de pied à la tête et sur tout le corps. J'avais des coupures

aux genoux et à la cuisse droite. Quand ils m'ont remis dans le fauteuil, l'un des

soldats s'est mis debout sur le lit, le fusil pointé sur ma tempe. Il m'a dit de me

lever ; je ne faisais que répéter que je ne pouvais pas.

« Ils m'ont attaché les mains avec un lien en plastique avant de me ramener dans

le séjour. Amir a appelé un autre soldat qui m'a emmené dans l'entrée de la

maison. Il y a des marches qui mènent à une cour puis à la rue. Le soldat m'a

poussé dans l'escalier et j'ai perdu connaissance. »

Quand Maher al Naqib a repris connaissance, il était dans son fauteuil roulant

dans l'école de garçons du camp. Il avait été mis dans un coin, à l'écart des autres

Palestiniens arrêtés. Emmené dans un camion au centre de détention de Huwara,

il affirme que les soldats l'ont fait sortir du camion en le poussant, qu'il est tombé

sur le dos et que sa tête a heurté le sol. Pendant sa détention, raconte-t-il, des

soldats se sont mis à cinq reprises à le pousser en courant, l'ont fait tomber de son

fauteuil et ont demandé à d’autres détenus de le relever. Un jour, on l'a laissé à

l'extérieur après lui avoir enlevé sa chemise ; il est resté dehors pendant deux

jours sans boire, sans manger et sans couverture. Il a finalement été emmené dans

une tente. Il affirme n'avoir reçu de la nourriture qu'une seule fois pendant les

quatre jours où il est resté en détention. Interrogé le 19 avril, il a ensuite été

emmené dans une grande jeep, puis relâché au poste de contrôle de Huwara avec

d'autres détenus. Le trajet de retour a été difficile car les roues de son fauteuil

avaient été endommagées ; il lui a fallu trois heures pour arriver chez lui.

Les entraves apportées à l'aide médicale et humanitaire

Pendant l'opération Mur de protection à Naplouse, les autorités israéliennes n'ont

pas respecté les principes de neutralité médicale, violant ainsi le droit à la vie.

Pendant le couvre-feu, les équipes médicales et les ambulances étaient

régulièrement empêchées d'atteindre les malades et les blessés. Aucun service

médical n'a été autorisé à fonctionner à Naplouse du 3 au 8 avril. Dans la soirée

du 8 avril, les FDI ont commencé à laisser les ambulances et les équipes

médicales se déplacer de manière limitée, une coordination entre le CICR et le

Bureau de coordination de district étant requise pour que les ambulances puissent

circuler. Cette procédure longue retardait dans tous les cas la réponse aux

demandes d'assistance médicale. Il est arrivé que les FDI empêchent les

ambulances de répondre aux appels ; lorsque l'autorisation était obtenue,

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les ambulances étaient souvent bloquées pendant plusieurs heures aux postes de

contrôle, même lorsque les patients qu'elles transportaient étaient gravement

malades. Le responsable du Croissant-rouge palestinien de Naplouse a montré

aux délégués d'Amnesty International un registre des appels qui fait état de retards

importants dans la réponse des équipes médicales aux urgences. Des membres du

personnel médical palestinien ont déclaré aux délégués de l'organisation que

certains malades n'étaient arrivés à l'hôpital que quarante-huit à soixante-douze

heures après avoir appelé une ambulance.

Selon le Croissant-rouge et l'Union des comités palestiniens d'assistance

médicale, entre le 3 et le 21 avril, des soldats des FDI ont tiré à maintes reprises

sur des ambulances qui répondaient à des appels. Par ailleurs, à quatre reprises au

moins, les FDI ont intercepté des ambulances et obligé les ambulanciers à se

déshabiller. Le personnel des comités palestiniens d'assistance médicale a affirmé

qu'après avoir retenu les ambulances pendant deux à trois heures, les FDI disaient

généralement aux ambulanciers de retourner à leur point de départ.

Les tirs dirigés contre des ambulances

Muhammad Ramadan Mahmud Saqa, chauffeur d'ambulance pour le Croissant-

rouge, a raconté que, le 8 avril, il avait tenté avec un de ses collègues de répondre

à un appel à proximité de la fabrique de savon Kanaan. Le déplacement qui avait

été coordonné avec le CICR avait été retardé pendant une heure et demie dans

l'attente de l'autorisation. Quand l'ambulance s'est approchée de l'entrée ouest de

la ville, elle s'est trouvée face à des tas de pierres et de gravats qui l'empêchaient

de passer. Les ambulanciers ont dégagé le premier barrage et ont progressé

lentement en déblayant la route au fur et à mesure. Quand ils sont arrivés à

proximité de l'usine, ils ont été la cible de tirs nourris. Ils ont crié en arabe et en

hébreu qu'ils étaient ambulanciers. Ils sont remontés dans l'ambulance ; les tirs

ont cessé, mais pour reprendre quand ils ont de nouveau tenté de déblayer les

barrages pour s'approcher de l'usine. Ils ont alors été obligés de battre en retraite.

L'ambulance a continué d'être la cible de tirs et ils sont rentrés à leur base.

Khaled Khalil, infirmier du Croissant-rouge, a affirmé que son ambulance avait été

prise pour cible le 25 avril 2002, alors qu'il répondait à un appel provenant du village

de Salem, à quatre kilomètres de Naplouse. Il avait dû renoncer à aller plus loin.

Avant les incursions des FDI à Naplouse, neuf hôpitaux de campagne avaient été

installés dans la région. Le plus grand se trouvait dans une mosquée située dans la

vieille ville. Le docteur Muhammad Abd al Muti Quraini, un des professionnels

ayant installé un hôpital de campagne dans le camp de réfugiés d'Askar, a déclaré

qu'il lui avait été impossible de se déplacer en sécurité pour s'occuper de patients

qui avaient besoin de soins médicaux. Le 7 avril, alors qu'il essayait de se rendre

auprès d'un blessé grave dans le camp, des soldats des FDI l'avaient pris pour

cible. Entre le 3 et le 19 avril, a-t-il précisé, il a soigné 175 patients qui ne

pouvaient pas rejoindre les hôpitaux situés en dehors du camp de réfugiés

d'Askar ; toujours selon lui, les ambulances n'ont été autorisées à circuler

librement dans le camp et à l'extérieur qu'à partir du 21 avril.

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Hafez Sabreh et Suna Hafez Sabreh

Le 7 avril 2002, Hafez Sabreh, soixante-cinq ans, ouvrier métallurgiste, a été tué

d'une balle dans le dos alors qu'il était dans la cour de sa maison, dans le camp

d'Askar. Sa fille, Suna Sabreh, trente-cinq ans, a été grièvement blessée par balle.

Les ambulances n'ayant pas réussi à arriver jusqu'à leur maison, l'assistance

médicale a été retardée. Selon des témoins, aucun coup de feu n'avait été tiré dans

ce quartier avant cet incident.

Voici le récit de Manal Hafez Sabreh, trente-quatre ans, qui était auprès de son père :

« Ce dimanche-là, vers cinq heures de l'après-midi, des chars sont entrés dans le

camp d'Askar... Ma sœur Suna était près de la porte métallique qui donne sur la

rue. Mon père était dans la cour. J'ai entendu des coups de feu et j'ai dit à mon

père de faire rentrer les enfants. Il y avait environ sept enfants autour de lui. Il les

a rassemblés et ils sont rentrés. Je ne l'ai pas vu ressortir.

« Mon voisin Ahmad a crié que Suna avait été touchée. Elle était en train de

fermer la porte quand elle a dit que quelque chose lui avait heurté la tête. Nous

n'avions pas compris que mon père avait également été blessé. Nous sommes

allés dans sa chambre une dizaine de minutes plus tard et nous avons vu qu'il

avait l'air très mal, mais nous avons pensé qu'il avait eu une crise cardiaque.

« Nous avons appelé un ami qui travaillait tout près d'un centre de secours

installé dans une maison vide et nous lui avons demandé de joindre un médecin

car nous savions qu'aucune ambulance ne pourrait arriver jusqu'à nous. Environ

une heure plus tard, un médecin et des infirmiers sont arrivés. Le médecin a

donné les premiers soins à Suna et il a téléphoné au Croissant-rouge pour

demander une ambulance. L'ambulance a essayé à trois reprises d'arriver chez

nous. Quand mon frère a appelé une dernière fois, quelqu'un lui a répondu que

l'ambulance avait été prise pour cible lors de sa troisième tentative et qu'elle

avait rebroussé chemin. Le médecin a examiné mon père. Il était mort. »

Le 9 avril, l'état de santé de Suna s'étant dégradé, le médecin a décidé qu'une

intervention était nécessaire pour réduire la pression sur ses poumons.

L'ambulance n'est arrivée qu'à treize heures. Suna Sabreh a subi cinq opérations

chirurgicales depuis cette date.

La destruction des biens et des infrastructures civiles

Un inventaire réalisé par la municipalité de Naplouse en collaboration avec

l'Association des ingénieurs et l'université de Naplouse a révélé qu'au cours de

l'opération Mur de protection, 64 immeubles de la vieille ville dont 22 immeubles

d'habitation et 17 immeubles comprenant des commerces et des habitations

avaient été gravement endommagés ou complètement détruits ; 221 autres

immeubles ont été en partie détruits. En outre, des quartiers situés en dehors de la

vieille ville ont subi des dégâts moins importants.

Un certain nombre d'édifices religieux et historiques ont été en partie détruits ou

gravement endommagés à la suite d’opérations de destruction qui étaient

fréquemment, selon toute apparence, injustifiées et sans nécessité militaire. Citons

entre autres le mausolée de Shaikh Musallam, la grande mosquée, le sérail

ottoman, l'école al Fatimiyeh, la mosquée al Khadra, le Khan al Tujjar

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(caravansérail des marchands), l'église grecque orthodoxe et al Hammam al

Jadideh (le nouveau hammam) construit au 18e siècle. Trois savonneries – les

fabriques Kanaan, al Nabulsi et Abu Shamat – ont également été détruites.

Aucune nécessité militaire absolue ne semble avoir justifié la prise de ces

bâtiments pour cibles. La Jamia al Khadra, la plus ancienne mosquée de la ville,

construite en 1187, a subi des dégâts importants ; la grande salle de prière a été

complètement détruite et la partie ouest du toit s'est effondrée. Rien n'indique que

des membres de groupes armés palestiniens se soient trouvés à l'intérieur de la

mosquée, ou à proximité, et il convient de s'interroger sur la nécessité militaire de

détruire cet édifice religieux et historique. Il faut également se poser cette

question à propos de la destruction des fabriques de savon Kanaan et al Nabulsi.

Le père Georges Awad, curé de l'église grecque orthodoxe de Naplouse, dont

l'église et la résidence sont en face des savonneries, a déclaré à Amnesty

International que deux jours avant la destruction des bâtiments, survenue le

10 avril, le quartier était calme. Il a précisé que ces bâtiments étaient simplement

utilisés comme entrepôts et abritaient aussi des bureaux ; il avait vu des soldats

des FDI dans les locaux avant la démolition. Les maisons palestiniennes voisines

ont également été détruites ou endommagées du fait de cette utilisation

disproportionnée de la force.

Six écoles de Naplouse ont subi des dégâts à la suite des opérations des FDI,

allant de dommages extérieurs mineurs à une destruction partielle.

Des entreprises, dont 35 magasins, ont été détruites dans la vieille ville et dans

l'agglomération ; sept bâtiments ont été complètement réduits en cendres.

L'immeuble Hindiyeh, sur la route reliant Balata à Naplouse, a été incendié puis

démoli par les FDI au moyen d'explosifs le 4 avril. Il comprenait, outre

24 commerces au rez-de-chaussée, quatre bureaux et 11 appartements. Les FDI

avaient déjà occupé cet immeuble pendant quinze jours à partir du 28 février, lors

d'une incursion précédente ; les sept étages sont complètement détruits, un certain

nombre de familles sont sans abri et tous les magasins sont totalement dévastés.

L'emplacement de ce bâtiment et le fait que, selon les habitants et des témoins,

aucun coup de feu n'avait été tiré depuis l'immeuble ou aux alentours lorsqu’il a

été démoli soulève des questions préoccupantes quant à l’éventuelle nécessité

militaire de cette destruction. Des habitants ont déclaré à Amnesty International

que les FDI avaient envoyé l'un d'entre eux frapper à toutes les portes pour dire à

ses voisins de partir. On ne leur avait laissé que dix minutes pour sortir et ils

n'avaient pas eu le temps de rassembler leurs effets personnels.

Amnesty International a recueilli plusieurs témoignages qui décrivent la

destruction systématique des meubles et le pillage par les membres des FDI des

appartements qu'ils occupaient. Abd al Rezaq Wasif Riyafa, qui habite

l'immeuble Qamhawi à Naplouse, a dit aux délégués de l'organisation que les FDI

avaient occupé son appartement pendant six jours. À son retour, il a constaté que

« tout le mobilier avait été endommagé et les rideaux déchirés. Les soldats sont

allés dans toutes les pièces, ils ont endommagé une partie des meubles et ont

éventré les canapés et les matelas. Ils ont déchiré les vêtements de ma femme et

ceux du bébé qu'elle va mettre au monde. Ils ont brûlé les tapis et les couvertures

ainsi qu'une partie des matelas. »

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Cet homme a ajouté que les bijoux, d'une valeur approximative de 1 700 dinars jordaniens (environ 2 430 euros), qu'il avait offerts à sa femme à l'occasion de leur mariage avaient disparu. Selon le père George Awad, des objets avaient été dérobés dans l'église ainsi qu'à son domicile voisin, notamment 2 000 dinars jordaniens (environ 2 850 euros), une chaîne stéréo et des petits accessoires.

Le contexte juridique

Les principes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains applicables en Cisjordanie et dans la bande de Gaza

Le comportement d'Israël dans les Territoires occupés est régi par deux ensembles de règles juridiques complémentaires : les droits humains internationalement reconnus et le droit international humanitaire.

Le droit international relatif aux droits humains

Le droit international relatif aux droits humains vise à protéger les individus en toutes circonstances en limitant le pouvoir de l'État sur eux et en exigeant des États qu'ils garantissent, protègent et respectent les droits humains des individus. Les normes internationales relatives aux droits humains sont les suivantes : celles qui sont énoncées dans des traités conclus entre les États ; les principes codifiés, et notamment ceux qui sont énoncés dans des déclarations, des principes, des codes de conduite, des règles et directives acceptés par les États, parfois désignés sous le nom de normes ne relevant pas des traités ; enfin, les principes universellement acceptés par les États, qui sont considérés comme faisant partie du droit international coutumier et sont, par conséquent, contraignants pour tous les États.

Israël est partie à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

En qualité d'État partie au PIDCP, Israël a accepté et est tenu de respecter, de protéger et de garantir les droits énoncés dans les traités à l’égard de toutes les personnes vivant sur son territoire ou relevant de sa juridiction.

Israël a argué que ses obligations découlant des traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels il est partie ne s'appliquaient pas aux habitants des Territoires occupés. Toutefois, le Comité des droits de l'homme, organisme formé d'experts chargé de surveiller l'application du PIDCP par les États et de formuler des interprétations du traité faisant autorité, ainsi que d'autres organes chargés de surveiller l'application des traités, ont conclu que ces obligations s'appliquaient et qu'Israël était tenu de respecter, de protéger et de garantir les droits humains de toutes les personnes vivant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza18.

18. Observations finales du Comité des droits de l'homme : Israël. Document ONU CCPR/C/79/Add. 93 (18 août 1998), paragr. 10 ; Observations finales du Comité sur l'élimination de la discrimination raciale : Israël. Document ONU CERD/C/304/Add. 45 (30 mars 1998), paragr. 12 ; Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Israël. Document ONU E/C.12/Add. 69 (31 août 2001).

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Les dispositions de certains traités relatifs aux droits humains, notamment

l'article 4 du PIDCP, prévoient que certains droits peuvent être suspendus dans

des circonstances bien définies – par exemple en cas de danger public menaçant

l'existence de la nation – et dans les limites strictement exigées par la situation.

Parmi les droits humains qui ne peuvent en aucun cas être suspendus, même

en cas de danger public, figurent, entre autres :

le droit à la vie

l'interdiction du recours à la torture et aux traitements cruels, inhumains

ou dégradants.

Alors qu'Israël a suspendu ses obligations énoncées à l'article 9 du PIDCP,

qui protège le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le Comité des droits

de l'homme a indiqué clairement qu'outre les droits expressément énumérés à

l'article 4 du PIDCP et auxquels il ne peut en aucun cas être dérogé, d'autres

droits ne peuvent être suspendus19. Il s'agit de :

l'interdiction de la détention arbitraire ;

le devoir de traiter toutes les personnes privées de liberté avec humanité

et respect pour la dignité inhérente à la personne humaine ;

le droit d'intenter une action en justice afin qu'un tribunal statue sans délai sur

le bien-fondé de la détention ;

les principes fondamentaux du droit à un procès équitable, et notamment

le présomption d'innocence et le droit d'être jugé par un tribunal indépendant

et impartial ;

l'interdiction des sanctions collectives.

Les normes relatives aux droits humains qui ne sont pas énoncées par des traités et

sont particulièrement pertinentes s'agissant du traitement des Palestiniens par le

gouvernement israélien sont le Code de conduite des Nations unies pour les

responsables de l'application des lois (Code de conduite), les Principes de base des

Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les

responsables de l'application des lois (Principes de base), l'Ensemble de principes

pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de

détention ou d'emprisonnement (Ensemble de principes) et les Principes des

Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires,

arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions.

Le non-respect par les membres des FDI des normes énoncées dans le Code de

conduite et dans l'Ensemble de principes s’est traduit par l'utilisation abusive et

disproportionnée de la force et l'homicide illégal de Palestiniens.

L'article 2 du Code de conduite dispose : « Dans l'accomplissement de leur devoir,

les responsables de l'application des lois doivent respecter et protéger la dignité

humaine et défendre et protéger les droits fondamentaux de toute personne. »

19. Comité des droits de l'homme. Observation générale n° 29. États d'urgence. Document ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.11 (31 août 2001).

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L'article 3 du Code de conduite dispose : « Les responsables de l'application des lois

peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est strictement nécessaire et dans

la mesure exigée par l'accomplissement de leurs fonctions. » Le commentaire de cet

article indique clairement que l'utilisation d'armes à feu est considérée comme une

mesure extrême ; il prévoit expressément que « tout devrait être entrepris pour

exclure l'emploi d'armes à feu, spécialement contre des enfants. »

Le principe 9 de l'Ensemble de principes dispose : « Les responsables de

l'application des lois ne doivent pas faire usage d'armes à feu contre des

personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une

menace imminente de mort ou de blessure grave, [...] et seulement lorsque des

mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoiqu'il

en soit, ils ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que

si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. »

Le droit international humanitaire

Le droit international humanitaire, également appelé droit des conflits armés, s'applique aux situations de conflit armé et d'occupation par un belligérant. Il vise à limiter les effets des conflits armés et à réduire les souffrances humaines en réglementant la manière dont les opérations militaires sont menées, notamment dans les territoires occupés, et en protégeant les individus qui ne participent pas activement, ou ne participent plus, aux hostilités. Le droit international humanitaire comprend des règles coutumières et des principes généraux.

Israël est partie aux quatre Conventions de Genève de 1949, qui sont au nombre des traités codifiant le droit international humanitaire.

Les règles régissant le comportement d'une puissance occupante dans des territoires occupés en vue de protéger la population sont énoncées dans la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre adoptée le 12 août 1949 (Quatrième Convention de Genève).

Les personnes protégées par la Quatrième Convention de Genève sont celles « qui, à un moment quelconque et de quelque manière que ce soit, se trouvent, en cas de conflit ou d'occupation, au pouvoir d'une Partie au conflit ou d'une Puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes. » (art. 4)

Les obligations d'une Puissance occupante envers les personnes protégées par la Quatrième Convention de Genève comprennent le devoir de :

les traiter, en tout temps, avec humanité et de les protéger contre tout acte de violence ou d'intimidation (art. 27) ;

respecter leur personne, leur honneur, leurs droits familiaux, leurs convictions et pratiques religieuses et leurs coutumes (art. 27).

La Puissance occupante doit également :

assurer l'approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux (art. 55) ;

accepter, garantir et faciliter les actions de secours lorsque la population d'un territoire occupé ou une partie de celle-ci est insuffisamment approvisionnée ; autoriser le libre passage d'envois de vivres, de produits médicaux et de vêtements (art. 59) ;

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assurer et maintenir les établissements et les services médicaux et hospitaliers

ainsi que la santé et l'hygiène publiques dans le territoire occupé (art. 56) ;

veiller à ce que le personnel médical soit autorisé à remplir sa tâche et soit

protégé et respecté (art. 56, 20 et 21) ;

ne pas détruire les biens mobiliers ou immobiliers appartenant à des individus,

à des organisations ou à des collectivités publiques hormis dans le cas où ces

destructions « seraient rendues absolument nécessaires par les opérations

militaires » (art. 53). Le pillage est également prohibé (art. 33) ;

ne pas procéder à des « transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi

[qu'à des] déportations de personnes protégées ». La Puissance occupante ne

doit pas « procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre

population civile dans le territoire occupé par elle ». (art. 49)

Les personnes protégées ne doivent pas être :

volontairement [illégalement] tuées, torturées, maltraitées, soumises

à des châtiments corporels ou subir des traitements humiliants et dégradants

(art. 27 et 32) ;

punies pour une infraction qu'elles n'ont pas commise personnellement

ou soumises à des peines collectives ou à des représailles à l'égard de leur

personne ou de leurs biens (art. 33) ;

contraintes par la Puissance occupante de participer à des opérations militaires

(art. 51) ; et elles ne peuvent être utilisées comme boucliers humains (art. 28).

Selon le droit international humanitaire, les personnes qui participent directement

aux hostilités peuvent perdre temporairement leur statut de personne protégée, mais

uniquement pour la période pendant laquelle elles participent directement aux

hostilités. Elles doivent toutefois être traitées avec humanité en toutes circonstances

et, si elles sont jugées, leur droit à un procès équitable doit être respecté. En outre,

tous leurs autres droits fondamentaux applicables doivent être respectés.

Bien qu'Israël soit partie à la Quatrième Convention de Genève, il prétend que

celle-ci ne s'applique pas formellement à la Cisjordanie et à la bande de Gaza20.

Dans la pratique, Israël a décidé d'appliquer aux Territoires occupés ce qu'il

appelle les « dispositions humanitaires » de la Convention de Genève ; la

définition de ces dispositions humanitaires est toutefois peu claire. Le CICR,

qui s'efforce de garantir l'application du droit international humanitaire et

notamment des Conventions de Genève de 1949 et de leurs deux protocoles

additionnels, ainsi que les autres États parties à ce traité (ou Hautes Parties

Contractantes) rejettent l'interprétation du gouvernement israélien. La Conférence

des Hautes Parties Contractantes à la Quatrième Convention de Genève qui s'est

tenue en décembre 2001 a publié une déclaration réaffirmant « l'applicabilité de

la [Quatrième] Convention [de Genève] au Territoire Palestinien Occupé,

y compris Jérusalem-Est » et soulignant derechef la nécessité du respect de toutes

20. Israël a argué que cette convention ne s'appliquait qu'au territoire souverain d'une Haute Partie Contractante et que, du fait que l'Égypte et la Jordanie n'ont jamais exercé leur souveraineté légale sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, ces territoires ne peuvent être considérés comme des territoires occupés au regard du droit international. http://www.israelemb.org/public_affairs/FAQ/currentFAQ.html#8

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ses dispositions21. La position du CICR et des Hautes Parties Contractantes aux

Conventions de Genève sur l'applicabilité à la Cisjordanie et à la bande de Gaza

des obligations d'Israël découlant de la Quatrième Convention de Genève est

étayée par de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies22.

Amnesty International considère que tous les Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza sont des « personnes protégées » aux termes de la Quatrième Convention de Genève. Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, les Palestiniens des Territoires occupés qui participent directement aux hostilités perdent temporairement leur statut de personne protégée pendant la période où ils participent directement aux hostilités, mais ils doivent être traités avec humanité en toutes circonstances. S'ils sont jugés, leur droit à un procès équitable doit être garanti, respecté et protégé à l'instar de tous leurs autres droits fondamentaux applicables.

Amnesty International considère que l'ensemble du droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire s'applique aux hostilités ou événements qui se sont déroulés à Jénine et à Naplouse en avril 2002.

Les règles de droit international applicables aux combats de Jénine et de Naplouse

Un vaste débat s'est ouvert sur la question de savoir si les violences perpétrées en Israël et dans les Territoires occupés ont atteint un niveau et une intensité tels que les règles du droit international humanitaire sur la conduite des hostilités dans le cadre des conflits armés internationaux sont applicables et, si oui, dans quelle mesure. On peut notamment soutenir que les opérations militaires menées en avril à Jénine et à Naplouse ont atteint le seuil requis. Dans de telles situations, le droit international humanitaire énonce des normes de comportement humain qui s'appliquent tant aux troupes gouvernementales qu'aux groupes armés. Ces règles sont codifiées dans le Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux (Protocole I). Celui-ci s'applique aux conflits armés internationaux y compris « les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l'occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » (art. 1-4 du Protocole I).

Les dispositions du Protocole I relatives à la protection de la population civile sont considérées comme des normes du droit international coutumier.

Le Protocole I réaffirme la règle coutumière selon laquelle « la population civile et les personnes civiles jouissent d'une protection générale contre les dangers résultant d'opérations militaires » (art. 51-1) et il énonce les règles qui doivent être respectées pour garantir cette protection. La population civile et les personnes civiles ne doivent pas être la cible d'attaques.

Le principe de distinction, inscrit dans le droit international humanitaire, garantit le respect et la protection des civils. L'article 48 du Protocole I énonce cette règle fondamentale du droit international coutumier qui est contraignante pour toutes les parties à des conflits armés :

21. Déclaration de la Conférence des Hautes Parties Contractantes à la Quatrième Convention de Genève. Genève, 5 décembre 2001, paragr. 3. 22. Voir, par exemple, la résolution 465 (1980) adoptée le 1er mars 1980 par le Conseil de sécurité, la résolution 681 (1990) adoptée le 20 décembre 1990 par le Conseil de sécurité et la résolution 799 (1992) adoptée le 18 décembre 1992 par le Conseil de sécurité.

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« En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile et des biens

de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction

entre la population civile et les combattants ainsi qu'entre les biens de caractère

civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que

contre les objectifs militaires. »

Outre les attaques visant directement des civils, le droit international humanitaire

prohibe les attaques sans discrimination et disproportionnées. Les attaques sans

discrimination comprennent celles qui n'établissent pas de distinction entre les

civils et les individus qui participent aux hostilités ou ne différencient pas les

biens de caractère civil des objectifs militaires. Elles comprennent aussi les

attaques qui, bien que dirigées contre un objectif militaire, sont menées sans souci

des conséquences éventuelles pour les civils. De telles attaques peuvent

comporter l'utilisation de méthodes ou d'armes qui ne peuvent atteindre avec

précision un objectif militaire, soit par leur nature soit du fait des circonstances

dans lesquelles elles sont utilisées.

Le principe de proportionnalité est également une règle fondamentale du droit

international coutumier. Le Protocole I prohibe les attaques disproportionnées « dont

on peut attendre qu'elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la

population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de

caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs

par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu ». (art 51-5-b)

Afin d'épargner les civils et de respecter entièrement les principes de distinction et

de proportionnalité, les parties à un conflit doivent prendre les précautions

nécessaires dans la préparation et la réalisation des attaques. L'article 57-2 précise

les précautions qui doivent être prises :

« En ce qui concerne les attaques, les précautions suivantes doivent être prises :

« a) ceux qui préparent ou décident une attaque doivent :

« i) faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les objectifs

à attaquer ne sont ni des personnes civiles, ni des biens de caractère civil,

et ne bénéficient pas d'une protection spéciale, mais qu'ils sont des objectifs

militaires au sens du paragraphe 2 de l'article 52, et que les dispositions du

présent Protocole n'en interdisent pas l'attaque ;

« ii) prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix

des moyens et méthodes d'attaque en vue d'éviter et, en tout cas, de réduire

au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les

blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère

civil qui pourraient être causés incidemment ;

« iii) s'abstenir de lancer une attaque dont on peut attendre qu'elle cause

incidemment des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes

civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de

ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l'avantage

militaire concret et direct attendu ;

« b) une attaque doit être annulée ou interrompue lorsqu'il apparaît que son

objectif n'est pas militaire ou qu'il bénéficie d'une protection spéciale ou que

l'on peut attendre qu'elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans

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la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux

biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui

seraient excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu ;

« c) dans le cas d'attaques pouvant affecter la population civile, un

avertissement doit être donné en temps utile et par des moyens efficaces, à

moins que les circonstances ne le permettent pas. »

La protection des civils selon le droit international humanitaire exige également

que toutes les parties éloignent les civils du voisinage d'objectifs militaires et

évitent de placer des objectifs militaires à l'intérieur ou à proximité de zones

fortement peuplées (art. 58 du Protocole I).

La présence au sein de la population civile de personnes qui ne sont pas des civils

ne prive pas cette population de sa qualité ni de sa protection contre les attaques

la visant directement (art. 50-2 et 3 du Protocole I). Toutefois, la présence d'une

personne protégée sur un objectif militaire ne protège pas, en soi, cet objectif

contre toute attaque. L'utilisation de civils comme boucliers humains pour tenter

de mettre des objectifs militaires à l'abri des attaques ou de couvrir des opérations

militaires est strictement interdite (art. 28 de la Quatrième Convention de Genève

et art. 51-7 du Protocole I).

Ainsi que le prévoit l'article 51-8 du Protocole I, le fait pour l'une des parties de se

mettre à l'abri derrière des civils ne dispense aucunement les parties au conflit de

leurs obligations de respecter et de protéger la population civile, et notamment de

prendre des mesures de précaution.

Des responsables israéliens ont affirmé, notamment au cours d'entretiens avec les

délégués d'Amnesty International, que les FDI avaient strictement respecté les

principes de distinction et de proportionnalité au cours de leurs opérations à

Jénine et à Naplouse. L'examen par l'organisation de cas individuels à Jénine et à

Naplouse donne toutefois à penser que les FDI n'ont pas respecté ces principes.

L'obligation de rendre des comptes pour les violations du droit international

« Nous avons systématiquement observé lors de nos multiples discussions avec les

soldats qui tenaient les postes de contrôle qu'on ne nous disait jamais qui prenait

la décision de nous laisser passer ; nous n'avons jamais pu nous entretenir avec

un supérieur ni même savoir qui était le supérieur. Quant aux soldats,

ils refusaient systématiquement de nous donner leur identité ou de prendre la

responsabilité de leur actes d'obstruction. De toute évidence, ce comportement a

pour but de rendre difficile aux victimes de violations imputables aux FDI

l'identification des coupables et de la chaîne de commandement. »

Javier Zuniga, Amnesty International

Les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels il est partie, ainsi que la Quatrième Convention de Genève, exigent de l'État d'Israël qu'il rende des comptes pour les violations des droits humains et du droit humanitaire. L'obligation de rendre des comptes comprend le devoir d'ordonner sans délai des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies sur les allégations de violations et de traduire les responsables en justice dans le cadre de procédures

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respectant les normes internationales d'équité. Aux termes du droit relatif aux droits humains, les victimes de violations ont droit à réparation, et notamment à une indemnisation financière, à un traitement visant à la réadaptation et à des garanties que les faits ne se répéteront pas. À cette fin, Israël est tenu de mettre à leur disposition des voies de recours efficaces.

C'est ainsi qu'Israël est tenu de garantir des voies de recours efficaces et une réparation pour les violations des droits énoncés par le PIDCP. Ce devoir comporte l'obligation d'ordonner sans délai des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies sur les allégations de violations des droits énoncés dans ce traité, et notamment le droit à la vie et l'interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le droit relatif aux droits humains et le droit international humanitaire exigent des États tiers qu'ils mènent des enquêtes et engagent des poursuites ou extradent aux fins de jugement vers un autre État les personnes soupçonnées de certains crimes relevant du droit international et d'infractions graves à la Quatrième Convention de Genève, quel que soit l’endroit où ces actes ont été commis.

La liste des infractions graves à la Quatrième Convention de Genève figure à l'article 147. Elles comprennent les actes suivants commis contre des personnes ou des biens protégés par la convention :

l'homicide intentionnel ;

la torture ou les traitements inhumains ;

le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé ;

la déportation ou le transfert illégaux ;

la détention illégale d'une personne protégée ;

le fait de contraindre une personne protégée à servir dans les forces armées de la Puissance ennemie ;

le fait de priver délibérément une personne protégée de son droit d'être jugée régulièrement et impartialement ;

la prise d'otages ;

les destructions et les appropriations massives de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées de façon illicite et arbitraire.

Les infractions graves énoncées à l'article 147 de la Quatrième Convention de Genève constituent des crimes de guerre23. Certains des actes commis par les FDI et exposés dans le présent rapport constituent des infractions graves à la Quatrième Convention de Genève. Citons notamment certains cas d'homicides illégaux décrits dans le présent rapport, les actes de torture et autres mauvais traitements sur la personne de détenus, la destruction injustifiée de biens après la fin des opérations militaires, les entraves apportées à la circulation des ambulances et le refus de dispenser une assistance humanitaire ainsi que l'utilisation de civils palestiniens dans le cadre d'opérations militaires.

23. Voir l'article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui définit également comme crimes de guerre les infractions graves et d'autres violations graves du Protocole I.

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L'article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale définit les crimes

contre l'humanité comme différents actes énumérés lorsqu'ils sont commis « dans le

cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population

civile et en connaissance de cette attaque [...] en application ou dans la poursuite

de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque ».

Les crimes contre l'humanité ne sont pas nécessairement commis dans le cadre d'un

conflit armé, ils peuvent être commis aussi bien en temps de paix qu'en temps de

guerre. Citons parmi les actes énumérés le meurtre, l'extermination, la réduction en

esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, l'emprisonnement ou

toute autre forme de privation grave de liberté physique en violation des

dispositions fondamentales du droit international, la torture, le viol et les autres

formes de violence sexuelle, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité

identifiable, la disparition forcée, l'apartheid, ainsi que d'autres actes inhumains de

caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des

atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

Amnesty International recense de longue date les cas d'homicides illégaux et de

recours à la torture et aux mauvais traitements, ainsi que la détention arbitraire,

les procès inéquitables, les sanctions collectives comme le bouclage de certaines

zones à titre punitif et la démolition de maisons, les destructions injustifiées et

massives de biens, les ordres de bannissement et le traitement discriminatoire

auquel sont soumis les Palestiniens par rapport aux colons israéliens. Beaucoup

de ces violations sont généralisées et systématiques, et elles sont commises dans

le cadre d'une politique gouvernementale ; certaines, par exemple les homicides

ciblés ou les ordres de bannissement, ont été perpétrées conformément à une

politique ouvertement déclarée. Ces violations répondent à la définition des

crimes contre l'humanité selon le droit international.

Certaines des violations signalées pendant les incursions de Jénine et de Naplouse

s'inscrivent dans l'ensemble de ces crimes.

Amnesty International condamne les attaques menées par des Palestiniens contre

des civils israéliens, qu'elle considère comme des crimes contre l'humanité24. Les

homicides délibérés de civils, commis par des individus ou par des membres de

groupes armés palestiniens comme le Hamas (Mouvement de la résistance

islamique), le Djihad islamique ou les Brigades des martyrs d'Al Aqsa, sont

nombreux et systématiques ; ils sont perpétrés dans le cadre d'une politique

ouvertement déclarée consistant à prendre des civils pour cible. Ils répondent

donc à la définition des crimes contre l'humanité selon le droit international.

Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, qui sont au nombre des

crimes les plus graves selon le droit international, constituent des atteintes à

l'humanité dans son ensemble. Il incombe donc à la communauté internationale de

traduire en justice les auteurs de tels agissements. Cette position est illustrée dans

le préambule du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté en

juillet 1998, qui affirme que les crimes les plus graves, qui touchent l'ensemble de

24. Voir le document publié par Amnesty International en juillet 2002 et intitulé Israël, Territoires occupés et Autorité palestinienne. Atteintes au principe de distinction : les attaques contre des civils perpétrées par des groupes armés palestiniens (index AI : MDE 02/003/02).

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la communauté internationale, ne sauraient rester impunis et que leur répression

doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par

le renforcement de la coopération internationale25.

Il incombe en priorité aux autorités israéliennes de traduire en justice les auteurs

de violations graves, y compris de crimes de guerre et de crimes contre

l'humanité. Mais toutes les Hautes Parties Contractantes aux Conventions de

Genève sont particulièrement tenues, aux termes de l'article 146 de la Quatrième

Convention de Genève, de rechercher les personnes soupçonnées d'avoir commis,

ou d'avoir donné l'ordre de commettre, des infractions graves, et, quelle que soit

leur nationalité, quel que soit le lieu où le crime a été commis, de les traduire en

justice devant leurs propres tribunaux ou de les remettre à un autre État partie à la

convention afin qu'elles soient jugées. Toutes les procédures engagées contre ces

personnes doivent être menées conformément aux normes internationales

d'équité. Amnesty International demande instamment que la peine de mort ne soit

pas prononcée à l'encontre des individus reconnus coupables de tels crimes.

Conclusion

Ce chapitre résume les conclusions d'Amnesty International relatives aux

répercussions des opérations menées par les FDI, et plus particulièrement de

l'opération Mur de protection, sur les droits fondamentaux de la population

palestinienne ; il rappelle, pour chaque cas, les obligations d'Israël découlant du

droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire.

L'État d'Israël a non seulement le droit mais le devoir de protéger la vie de ses

citoyens et des personnes placées sous sa protection, mais les mesures prises à cet

effet doivent être conformes aux normes internationales relatives aux droits

humains et au droit humanitaire. Les exactions commises par des groupes armés

ne peuvent en aucun cas justifier les violations des droits fondamentaux par les

gouvernements. Les informations contenues dans le présent rapport laissent à

penser que les membres des FDI ont commis des violations du droit international

dans le cadre des opérations militaires menées à Jénine et à Naplouse, et

notamment des crimes de guerre, pour lesquels ils doivent rendre des comptes.

Les homicides illégaux

Amnesty International a recensé, tant à Jénine qu'à Naplouse, des cas dans

lesquels des personnes ont été tuées ou blessées dans des circonstances donnant à

penser qu'elles ont été prises pour cible illégalement et délibérément ou qu'elles

ont perdu la vie à la suite d'une utilisation abusive de la force ou d'une négligence

grave dans la protection des personnes ne participant pas – ou plus – aux combats.

25. Il convient de rappeler qu'Israël n'est pas encore partie au Statut de Rome. En l'absence d'un renvoi par le Conseil de sécurité des Nations unies, la Cour pénale internationale ne pourra pas poursuivre les ressortissants des pays qui n'ont pas ratifié le Statut de Rome ni engager de poursuites dans le cas où le crime a été commis dans un pays qui n'a pas ratifié le Statut de Rome, à moins que l'un ou l'autre de ces pays fasse une déclaration par laquelle il accepte la compétence de la Cour.

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Dans plusieurs cas, les FDI ont causé la mort de Palestiniens en démolissant des

maisons alors que les habitants étaient à l'intérieur. Souvent, les soldats n’ont pas

donné d’avertissements suffisants avant de démolir les maisons ; ils ont empêché

les voisins et les proches des habitants de les prévenir ; ils n'ont fourni aucune aide ;

ils n'ont pas appelé les unités de secours ni les ambulances et ils ont parfois tiré sur

des personnes qui tentaient d'aider les victimes. L'absence d'enquête idoine sur les

homicides commis dans des circonstances non élucidées et sur ceux qui sont

manifestement illégaux a créé un climat dans lequel les membres des FDI pensent

qu'ils peuvent commettre des violations du droit à la vie en toute impunité.

Les homicides illégaux constituent une violation du « droit à la vie » énoncé à

l'article 6 du PIDCP. Amnesty International considère que certaines des atteintes

au droit à la vie constituent des « homicides intentionnels » et « le fait de causer

intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à

l'intégrité physique ou à la santé » au sens de l'article 147 de la Quatrième

Convention de Genève traitant des infractions graves à la Convention. Les

« infractions graves » à la Convention de Genève sont des crimes de guerre.

Les entraves apportées à l'aide médicale et humanitaire

Tant à Jénine qu'à Naplouse, les FDI ont empêché le personnel des organisations

médicales et humanitaires de pénétrer dans les zones affectées, notamment dans le

camp de réfugiés de Jénine et dans la vieille ville de Naplouse, même après que

l'on eut signalé la fin des combats. Le personnel médical s'est vu refuser l'accès au

camp de réfugiés de Jénine pendant près de onze jours, du 4 au 15 avril 2002.

Entre le 9 et le 14 avril, on a compté jusqu'à cinq ambulances et médecins du

CICR ainsi que six ambulances du Croissant rouge palestinien qui attendaient

l'autorisation de pénétrer dans le camp. À Naplouse, aucune ambulance n'a été

autorisée à circuler entre le 3 et le 8 avril et les activités des services médicaux

ont été strictement limitées jusqu'au 19 avril. Des Palestiniens sont morts faute de

soins médicaux ; les corps en décomposition des victimes sont restés plusieurs

jours à l'endroit où ils elles avaient été tuées.

Le 12 avril 2002, l'organisation israélienne HaMoked (Centre pour la défense de

l'individu) a adressé une requête à la Haute Cour de justice en vue de savoir

pourquoi le ministre de la Défense n'avait pas envoyé l'unité spéciale de secours

« pour rechercher et localiser toutes les personnes ensevelies vivantes sous les

ruines dans le camp de réfugiés de Jénine et leur venir en aide ». Dans son arrêt,

la Cour a conclu que « la loi et la moralité justifiaient toutes deux l'entrée de

l'unité de secours ». La requête a toutefois été rejetée par la cour après que le

conseiller du ministère de la Défense eut déclaré que « l'unité allait tenter de

localiser des personnes ». Amnesty International n'a reçu aucune information

selon laquelle l'unité de secours des FDI aurait pénétré dans le camp de réfugiés

de Jénine après l'arrêt rendu le 14 avril.

Aux termes de la Quatrième Convention de Genève, les États sont tenus de

respecter et de protéger les blessés (art. 16), de permettre l'évacuation des blessés

et des malades des zones assiégées ainsi que le passage du personnel médical à

destination de ces zones (art. 17) et d'assurer l'approvisionnement des zones

assiégées en vivres et en produits médicaux (art. 55). L'obstruction apportée aux

mouvements du personnel médical et sa prise pour cible sont contraires à

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l'interdiction de « causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter

des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé » énoncée à l'article 147

de la convention. Elles constituent donc des infractions graves à la Convention et,

par conséquent, des crimes de guerre.

La destruction des habitations et des biens

Selon l'UNRWA, 2 629 habitations palestiniennes abritant 13 145 réfugiés ont

subi des dommages importants entre le 29 mars et le 23 avril 2002. Ces chiffres

ne comprennent pas les très nombreuses maisons démolies ou endommagées

pendant cette période et appartenant à des Palestiniens non enregistrés comme

réfugiés auprès de l'UNRWA, ni les maisons démolies par la suite. Les délégués

d'Amnesty International, parmi lesquels figurait un conseiller militaire, ont été

témoins des effets de la démolition d'habitations palestiniennes, notamment à

Jénine, dans la grande majorité des cas sans nécessité militaire manifeste.

Les soldats des FDI ont pénétré dans Jénine et dans Naplouse en empruntant des

ruelles étroites avec des chars et des bulldozers qui ont arraché la façade des

maisons ; cela s'est même produit le long de rues plus larges. Cent soixante-neuf

immeubles regroupant 374 appartements ont été détruits au moyen de bulldozers

à Hawashin et dans les quartiers environnants du camp de Jénine ; la plupart des

démolitions ont eu lieu après la fin des combats. Les délégués d'Amnesty

International qui ont visité le site dévasté le 17 avril, lorsque les FDI ont enfin

levé le blocus de la ville, sont parvenus à la conclusion que ces destructions

n'étaient aucunement justifiées par des nécessités militaires absolues.

Tant à Jénine qu'à Naplouse, les FDI ont parfois détruit des maisons au moyen de

bulldozers alors que les habitants se trouvaient à l'intérieur. Les soldats n'ont pas

donné d'avertissements suffisants, voire n'ont pas prévenu les habitants, avant de

démolir les maisons, ils n'ont pris aucune mesure pour sauver les personnes

ensevelies sous les décombres et ont même empêché d'autres habitants de les

rechercher. Amnesty International a recueilli des informations sur trois cas de

démolition ayant entraîné la mort de 10 personnes âgées de quatre à quatre-vingt-

cinq ans. Selon les listes dressées par les hôpitaux à Jénine, six autres personnes

sont mortes après avoir été écrasées sous des gravats.

Au cours des opérations militaires, des entreprises ainsi que des édifices religieux,

culturels et des bâtiments administratifs ont été détruits sans nécessité militaire

absolue. Naplouse a particulièrement souffert de ce type de destructions qui ont

touché non seulement des immeubles à usage commercial mais également des

édifices religieux et culturels construits il y a plusieurs siècles.

Amnesty International a également recensé des cas de destructions volontaires,

voire de pillages, de biens privés à l'intérieur d'appartements ou de maisons

occupés par les FDI. En septembre, le gouvernement israélien a annoncé que des

poursuites avaient été engagées à l'encontre de 18 soldats coupables d'actes de

pillage. Le nombre de cas de vandalisme et de pillage imputables à des unités des

FDI dans plusieurs villes donne à penser que certains de ces actes, qui constituent

une violation du droit international humanitaire, ont pu être autorisés ou tolérés

par les autorités israéliennes ou par les commandants des FDI.

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L'article 33 de la Quatrième Convention de Genève prohibe les châtiments

collectifs, comme la démolition de maisons : « Aucune personne protégée ne peut

être punie pour une infraction qu'elle n'a pas commise personnellement.

Les peines collectives, de même que toute mesure d'intimidation ou de terrorisme,

sont interdites. » Cet article prohibe également le pillage et les mesures de

représailles à l'égard des personnes protégées et de leurs biens. L'article 53 de la

Quatrième Convention de Genève dispose : « Il est interdit à la Puissance

occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant

individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l'État ou à des

collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans

les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les

opérations militaires. » En novembre 2001, dans ses observations formulées à

l'issue de l'examen du rapport présenté par Israël, le Comité contre la torture a

déclaré que la politique israélienne de bouclage et les démolitions de maisons

palestiniennes « pouvaient, dans certains cas, constituer une peine ou un

traitement cruel, inhumain ou dégradant » et une violation de l'article 16 de la

Convention des Nations unies contre la torture.

L'article 147 de la Quatrième Convention de Genève énumère parmi les infractions

graves à la convention « la destruction et l'appropriation de biens non justifiées par

des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et

arbitraire ». Ces actes constituent, par conséquent, un crime de guerre.

Les coupures d'eau et d'électricité

L'électricité a été coupée dans la ville de Jénine le 3 avril et elle n'a été rétablie

partiellement que le 25 avril dans la partie basse du camp. La municipalité de

Jénine a affirmé que les transformateurs principaux avaient été pris pour cible et

que les équipes de réparateurs avaient essuyé des tirs. La fourniture d'eau a

également été suspendue et, en outre, bon nombre des réservoirs situés sur le toit

des maisons ont été endommagés par les tirs des FDI. La période pendant laquelle

les habitants du camp et ceux de la partie haute de la ville ont été privés d'eau a pu

durer jusqu’à trois semaines. Selon les rapports de l'UNRWA, la fourniture d'eau

au camp n'a été rétablie que le 28 avril. Naplouse a également été privée d'eau et

d'électricité à partir du 3 avril.

Les coupures d'eau et d'électricité constituent une sanction collective prohibée

par l'article 33 de la Quatrième Convention de Genève.

Les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la personne de détenus

Dans les villes et les camps de réfugiés occupés par l'armée israélienne, les FDI ont

maltraité, et dans certains cas torturé, les Palestiniens arrêtés lors de rafles massives

d'hommes de quinze à cinquante-cinq ans. Les délégués d'Amnesty International se

sont entretenus avec de nombreux Palestiniens originaires de Jénine qui avaient été

relâchés et qui, dans l'incapacité de rentrer chez eux, se trouvaient encore à

Rumaneh, un village proche de Jénine. Ils ont également rencontré des anciens

détenus palestiniens arrêtés à Jénine et à Naplouse au cours de l'opération Mur de

protection et qui ont décrit les peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants auxquels ils avaient été régulièrement soumis. La plupart des

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prisonniers avaient été humiliés et beaucoup avaient été insultés. Un grand nombre

d'entre eux ont décrit un traitement s'apparentant à des actes de torture, dans la

plupart des cas sous la forme de coups de crosse de fusil assenés au hasard.

L'article 7 du PIDCP, auquel il ne peut en aucun cas être dérogé, prohibe le

recours à la torture et aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Israël a également ratifié la Convention contre la torture qui dispose : « Aucune

circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre

ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état

d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture » (art. 2-b).

Cette convention prévoit également l'ouverture d'enquêtes sur toutes les

allégations de torture et de mauvais traitements (art. 12).

L'article 147 de la Quatrième Convention de Genève dispose que « la torture ou

les traitements inhumains [...] la détention illégale d'une personne protégée [et le

fait] de la priver de son droit d'être jugée régulièrement et impartialement selon

les prescriptions de la présente Convention » constituent des infractions graves à

la convention et, par conséquent, des crimes de guerre.

L'utilisation de Palestiniens pour des opérations militaires

ou comme boucliers humains

Tant à Jénine qu'à Naplouse, de nombreux témoignages indiquent que les FDI ont

systématiquement contraint des Palestiniens à participer aux opérations militaires

ou à servir de boucliers humains. Des hommes aussi bien que des femmes ont été

utilisés à cette fin.

L'utilisation de Palestiniens comme boucliers humains ou pour mener des

opérations militaires a fait l'objet d'une requête introduite devant la Haute Cour de

justice israélienne en mai 2002. Celle-ci émanait de sept organisations de défense

des droits humains qui voulaient empêcher les FDI d'utiliser des civils palestiniens

comme boucliers humains. Les autorités ont répondu que l'armée avait interdit à

l'ensemble de ses membres d'utiliser des boucliers humains – elles n'ont toutefois

pas reconnu ni démenti l'existence de cette pratique désignée par les FDI sous le

nom de « méthode du voisin » – et qu'une enquête interne allait être effectuée sur

les questions abordées dans la requête. Au vu de cette réponse, la Haute Cour a

décidé de ne pas émettre d'injonction. Elle a toutefois demandé aux autorités de lui

soumettre le texte des ordres donnés26, ce qu'elles n'avaient toujours pas fait au

moment de la rédaction du présent rapport. L'utilisation de Palestiniens comme

boucliers humains pendant les opérations militaires n'a pas cessé. En août 2002, un

Palestinien utilisé comme bouclier humain par les FDI ayant été tué dans un

échange de tirs, la Haute Cour de justice a émis une injonction en référé interdisant

le recours à cette méthode, qui n'a toutefois pas cessé27.

26. Voir H.C.3799/02, Adalah et autres. c. Yitzhak Eitan, commandant de l'armée israélienne en Cisjordanie et autres. Requête enregistrée le 5 mai 2002, procédure en instance. Les FDI désignent sous le nom de « méthode du voisin » le fait de contraindre des civils à fouiller des maisons. 27. Voir Contrary to Injunction of the High Court of Justice - IDF Continues Use of "Neighbour Procedure" [Les FDI continuent d'avoir recours à la « méthode du voisin » malgré l'injonction de la Haute Cour de justice], B'Tselem, 28 août 2002.

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L'article 51 de la Quatrième Convention de Genève interdit à la Puissance

occupante d'obliger des personnes protégées à prendre part à des opérations

militaires. L'article 28 prohibe l'utilisation de personnes protégées comme

boucliers humains. L'article 147 classe parmi les « infractions graves [...] le fait

de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes

graves à l'intégrité physique ou à la santé ». Cette pratique constitue donc

également un crime de guerre.

Le monde tenu à l'écart : les efforts de la communauté internationale mis en échec

L'État d'Israël est tenu de respecter les dispositions de la Quatrième Convention

de Genève. En outre, aux termes de l'article 1 de cette convention, tous les États

qui sont des Hautes Parties Contractantes aux Conventions de Genève sont tenus

de « respecter et de faire respecter » la convention.

La communauté internationale, les gouvernements, les organisations et les

particuliers s'intéressent de près à la situation dans les territoires palestiniens

occupés. Le lien entre la poursuite du conflit et la détérioration de la situation des

droits humains a progressivement fait prendre conscience que la paix et la sécurité

ne pourront être instaurées dans la région que si les droits humains sont respectés.

Si les changements souhaités ne sont pas survenus, ce n’est pas en raison d'un

manque de sensibilisation ni d'une absence de volonté de la plupart des membres de

la communauté internationale. Des déclarations ont été faites et des résolutions ont

été adoptées par les Nations unies, par l'Union européenne et la Ligue des États

arabes, entre autres organisations intergouvernementales. Des délégations ont été

envoyées dans la région et des plans de paix présentés. Toutes les tentatives en vue

de mettre un terme aux violations des droits humains et d'installer un système de

protection internationale en Israël et dans les Territoires occupés, notamment au

moyen d'observateurs dotés d'un mandat clair dans le domaine des droits humains,

ont été réduites à néant par le refus du gouvernement israélien. Ce refus a souvent

bénéficié du soutien des États-Unis qui, en qualité de membre permanent du

Conseil de sécurité des Nations unies, sont en mesure de démontrer leur soutien à

Israël en opposant leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité.

En avril 2002, alors que l'opération Mur de protection se poursuivait, la

communauté internationale s'est rapidement préoccupée de ce qui se passait dans

les zones que les FDI avaient coupées du monde extérieur, comme Jénine et

Naplouse. La communauté internationale a exercé des pressions sans précédent

sur le gouvernement israélien ; des débats débouchant sur des résolutions et sur

des mesures se sont déroulés dans les parlements nationaux du monde entier, au

Parlement européen et à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ainsi

que dans les organismes des Nations unies, notamment le Conseil de sécurité,

l'Assemblée générale et la Commission des droits de l'homme. De très

nombreuses initiatives diplomatiques ont été prises ; des visites de délégations

gouvernementales et parlementaires en Israël ont également eu lieu.

Toutefois, la volonté de la communauté internationale d'agir, sous les auspices

des Nations unies, en vue de garantir la protection des droits humains, y compris

des droits des civils israéliens pris pour cible par les groupes armés palestiniens,

s'est constamment heurtée au refus du gouvernement israélien.

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« Nous voulons être clair : l'autodéfense n'est pas un chèque en blanc et il est

important de comprendre que le contre-terrorisme ne libère pas Israël de ses

obligations de droit international, et ne justifie pas la création d'une crise

humanitaire et de violations des droits de l'homme dans le territoire palestinien

occupé. Il est urgent de respecter toutes les clauses du droit international,

notamment celles qui interdisent l'usage indiscriminé et disproportionné de la

force et le traitement humiliant de populations civiles. »

Déclaration de Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le 4 avril 2002.

Deux jours seulement après l'entrée des FDI à Jénine et à Naplouse,

la Commission des droits de l'homme des Nations unies, qui s'est réunie le 5 avril

à Genève, a demandé à la haut-commissaire aux droits de l'homme de présider

une délégation qui devait se rendre immédiatement sur les lieux et soumettre sans

délai ses conclusions et recommandations à la session en cours de la commission.

La mission a été constituée le 8 avril, mais le ministère israélien des Affaires

étrangères lui a fait savoir, le 19 avril, que le gouvernement israélien ne

faciliterait pas sa visite. Sur la demande de la Commission des droits de l'homme,

la haut-commissaire aux droits de l'homme a publié, le 24 avril, un rapport dans

lequel elle réclamait un respect scrupuleux de la Quatrième Convention de

Genève et appelait les deux camps à mettre un terme à la violence. Elle demandait

également que toutes les parties au conflit soient tenues de rendre des comptes :

« Le fait de ne pas enquêter sur de multiples allégations de violations graves des

droits de l'homme et de ne pas chercher à établir les responsabilités risque de

porter atteinte à l'intégrité du système international des droits de l'homme28. »

Le haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de

sécurité commune, Javier Solana, s'est rendu en Israël le 4 avril en compagnie de

Josep Piqué, ministre des Affaires étrangères de l'Espagne, pays qui présidait

alors l'Union européenne. Ils n'ont pas été autorisés à rencontrer le président

Arafat. Le 10 avril, le Parlement européen a réclamé la suspension immédiate de

l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne. La situation des droits

humains dans les Territoires occupés a été abordée en priorité lors du sommet

ministériel euro-méditerranéen qui s'est tenu du 22 au 24 avril à Valence. Javier

Solana, qui s'est de nouveau rendu en Israël et dans les Territoires occupés le

25 avril, s'est entretenu avec le Premier ministre Ariel Sharon et, après quelques

difficultés, a été autorisé à rencontrer le président Yasser Arafat qui était alors

encerclé dans ses bureaux de Ramallah.

Dans les résolutions 1397 et 1402, adoptées en mars, et dans la résolution 1403,

adoptée en avril, le Conseil de sécurité des Nations unies a exprimé sa

préoccupation face à la détérioration de la situation et a réclamé un cessez-le-feu

véritable. Le 10 avril, le Quartet, regroupant des représentants des États-Unis, des

Nations unies, de l'Union européenne et de la Russie, a publié une déclaration

dans laquelle il exhortait Israël à mettre en œuvre les résolutions 1402 et 1403.

Le secrétaire d'État américain Colin Powell a passé six jours en Israël, du 11 au

17 avril, pour tenter une médiation entre les parties.

28. E/CN.4/2002/184, paragr. 63.

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Face à l'inquiétude croissante suscitée par la situation à Jénine et par le spectacle affligeant des habitations en ruines qui a saisi les premiers observateurs de la communauté internationale ayant pu pénétrer dans le camp de réfugiés après le 15 avril, les Nations unies ont répondu à la demande d'une enquête internationale émanant de nombreux groupes, et entre autres d'Amnesty International. Un accord a été conclu entre le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Peres, en vue d'envoyer une mission d'établissement des faits chargée de « réunir des informations exactes » sur les événements de Jénine. Cet accord a été entériné par l'adoption à l'unanimité, le 19 avril, de la résolution 1405 (2002) par le Conseil de sécurité. La résolution soulignait également que toutes les parties devaient assurer la sécurité des civils et respecter les normes universellement acceptées du droit international humanitaire. La mission d'établissement des faits, formée de trois éminents experts indépendants (Martti Ahtisaari, ancien Premier ministre finlandais, Sadako Ogata, ancienne haut-commissaire aux réfugiés des Nations unies, et Cornelio Sommaruga, ancien président du CICR), comprenait également des conseillers spécialistes des questions militaires, de police, juridiques et médicales, et particulièrement en médecine légale. Après avoir, dans un premier temps, accepté l'envoi de cette mission, le gouvernement israélien a soulevé un certain nombre d'objections quant à sa composition et à son mandat. Il a ensuite retiré sa collaboration et a empêché la mission d'entrer en Israël ; celle-ci a été dissoute le 3 mai par le secrétaire général des Nations unies.

Le 7 mai 2002, l'Assemblée générale des Nations unies a prié le secrétaire général « de présenter, à l'aide des ressources et des informations disponibles, un rapport sur les événements récents qui se sont produits à Djénine et dans d'autres villes palestiniennes29 ». Le rapport, rédigé en l’absence de visite à Jénine ou dans d'autres villes palestiniennes, se fondait uniquement sur des communications des États membres, des missions d'observation et des organisations non gouvernementales ainsi que sur des documents déjà rendus publics. Israël n'a pas répondu à une demande d'informations adressée par le sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires politiques. Le rapport, rendu public en juillet 2002, réaffirme les obligations d'Israël découlant des Conventions de Genève, ainsi que l'obligation de l'Autorité palestinienne aux termes du droit international coutumier, en ce qui concerne le respect des droits humains. Sur les faits, beaucoup de ses conclusions correspondent à celles d'Amnesty International et d'autres organisations de défense des droits humains. Le rapport évoque l'instauration par Israël du couvre-feu permanent, « les restrictions et, dans certains cas, l'interdiction absolue des déplacements du personnel international, notamment, à certaines périodes, du personnel des organisations humanitaires et médicales ». Il souligne les « conditions de vie extrêmement pénibles » de la population civile (paragr. 24). Le rapport mentionne de nombreux témoignages faisant état de l'utilisation par les FDI de Palestiniens pour fouiller des maisons, de la détention de Palestiniens et des mauvais traitements qui leur ont été infligés ainsi que du vandalisme des FDI et des « destructions massives de biens palestiniens et privés ». Il cite également des accusations selon lesquelles les groupes armés palestiniens ont enfreint le droit international humanitaire en s'installant dans une zone très peuplée et en utilisant des enfants pour transporter, et peut-être disposer, des engins piégés.

29. Résolution ES-10/10.

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Le rapport du secrétaire général sur les événements qui se sont déroulés à Jénine

et dans d'autres villes palestiniennes ne peut remplacer une enquête exhaustive,

indépendante et impartiale. Amnesty International est consciente qu'une telle

enquête doit impérativement être menée sur les événements liés à l'opération Mur

de protection. Une commission d'enquête internationale pouvant recueillir les

témoignages d'individus et avoir accès aux documents des deux parties pourrait

mener une enquête exhaustive sur chaque cas d'homicide en ayant recours à des

moyens d'expertise médico-légale, juridique et militaire afin d'établir si les

homicides ont été légaux ou illégaux. Elle pourrait enquêter sur les circonstances

des démolitions et des dommages subis par chaque habitation palestinienne et

chaque immeuble afin de déterminer « la nécessité militaire absolue » des

démolitions. La commission pourrait également enquêter sur le traitement infligé

aux détenus palestiniens après leur arrestation ainsi que sur l'ampleur de

l'utilisation de boucliers humains et sur les faits relatifs à la privation d'assistance

médicale et humanitaire. Elle pourrait enfin examiner de manière exhaustive les

atteintes présumées au droit international humanitaire imputables aux groupes

armés palestiniens ainsi qu'à l'Autorité palestinienne pendant l'opération Mur de

protection. Une commission d'enquête pourrait émettre des recommandations

claires en se basant sur les investigations qu'elle aurait menées.

Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont parmi les crimes les plus

graves relevant du droit international, ils constituent des crimes contre l'humanité

dans son ensemble et sont prohibés par le Statut de Rome de la Cour pénale

internationale. La communauté internationale ne peut donc se contenter d'être un

témoin impuissant des atteintes graves aux droits humains qui continuent d'être

perpétrées en Israël et dans les Territoires occupés.

Recommandations

Ces recommandations ne concernent que les atteintes aux droits humains

perpétrées à Jénine et à Naplouse. D'autres rapports d'Amnesty International

contiennent des recommandations d'ordre général.

Amnesty International appelle le gouvernement israélien à :

veiller à ce que les opérations des FDI soient menées dans le respect absolu du

droit international humanitaire et relatif aux droits humains ;

ordonner des enquêtes approfondies, transparentes et impartiales sur toutes les

allégations de violations du droit international humanitaire et relatif aux droits

humains, y compris celles exposées dans le présent rapport, et en rendre les

conclusions publiques ;

coopérer avec les enquêtes menées par les Nations unies ;

traduire en justice les responsables présumés de violations graves du droit

international humanitaire et relatif aux droits humains dans le cadre de procès

conformes aux normes internationales d'équité ;

accorder sans délai une réparation appropriée aux victimes de violations graves

des droits humains ou du droit humanitaire ;

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respecter et protéger les droits humains de toutes les personnes vivant dans les Territoires occupés, sans discrimination ;

inclure les pratiques des autorités israéliennes dans les Territoires occupés dans tous les rapports adressés aux organismes des Nations unies chargés de surveiller l'application des traités relatifs aux droits humains ;

prendre sans délai des mesures pour empêcher les FDI de contraindre les Palestiniens à participer à des opérations militaires ou à servir de boucliers humains et prendre des mesures contre tout soldat ou commandant militaire qui se livre à de telles pratiques ou les autorise ;

remplir ses obligations découlant du droit international en veillant à ce que le personnel médical et les ambulances soient en mesure de remplir leur tâche sans retard indu et en leur permettant de se déplacer en toute sécurité ;

garantir l’acheminement en toute sécurité des approvisionnements médicaux et humanitaires ;

mettre immédiatement un terme à l'utilisation de la force meurtrière pour faire respecter le couvre-feu ;

mettre un terme aux châtiments collectifs et notamment aux démolitions de maisons, aux bouclages et aux couvre-feux ainsi qu'aux coupures d'eau et d'électricité ;

mettre un terme aux actes de torture et aux mauvais traitements sur la personne des détenus ;

mettre un terme à la détention administrative et libérer tous les détenus administratifs, à moins qu'ils ne soient déférés à la justice pour une infraction pénale prévue par la loi et jugés conformément aux normes internationales d'équité énoncées par les Nations unies ;

accepter la présence dans les Territoires occupés d'une mission d'observateurs internationaux dotée d’une forte composante en matière de droits humains.

Amnesty International appelle l'Autorité palestinienne à :

prendre toutes les mesures possibles pour empêcher tout individu relevant de sa juridiction d'attaquer des civils ou de porter atteinte à leur sécurité.

Amnesty International appelle les groupes armés palestiniens à :

respecter les principes fondamentaux du droit international qui prohibent l'homicide de civils ;

mettre un terme à toute utilisation d'enfants pour des opérations armées.

Recommandations à la communauté internationale

La communauté internationale est tenue par l'article 1 de la Quatrième Convention de Genève de « respecter et de faire respecter » la convention. Malgré les informations qui ont été fournies à Amnesty International et à d'autres organisations internationales humanitaires et de défense des droits humains et recensent, de toute évidence, des violations de la convention, notamment des infractions graves au sens de l'article 147, ces agissements continuent en toute impunité. Amnesty International appelle la communauté internationale, et en particulier le gouvernement des États-Unis, à :

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mettre immédiatement un terme à la vente ou au transfert au profit des forces

armées israéliennes de matériel militaire utilisé pour commettre des violations

des droits humains, tant que la garantie n'aura pas été obtenue que cet

équipement ne servira pas à commettre des violations des droits humains ou du

droit international humanitaire ;

veiller à ce qu'Israël respecte ses obligations relatives aux droits humains et au

droit international humanitaire, et plus particulièrement les obligations qui lui

incombent en tant que Puissance occupante, en vertu de la Quatrième

Convention de Genève ;

veiller à ce que les droits humains soient au centre de toute négociation et de

tout accord intérimaire ainsi que d'un éventuel accord final ;

traduire en justice tout individu se trouvant sur leur territoire et soupçonné de

crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou d'actes de torture ;

prendre des mesures pour mettre en place dans les Territoires occupés une

mission d'observateurs internationaux dotée d'une forte composante en matière

de droits humains.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Israel and the Occupied Territories. Shielded from scrutiny: IDF violations in Jenin and Nablus.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - décembre 2002.

Vous trouverez les documents en français sur LotusNotes, rubrique ÉFAI – IS documents.

Vous pouvez également consulter le site Internet des ÉFAI : www.efai.org

Pour toute information complémentaire, veuillez vous adresser à :