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Jacques Bénigne Bossuet Portrait par Hyacinthe Rigaud - Louvre EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS SUR LES PRIÈRES DE LA MESSE.

Jacques Bénigne Bossuet¨que/Oeuvres... · 2019. 7. 2. · JACQUES BÉNIGNE BOSSUET ŒUVRES COMPLÈTES Publiées d'après les imprimés et les manuscrits originaux purgées des interpolations

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  • Jacques Bénigne Bossuet

    Portrait par Hyacinthe Rigaud - Louvre

    EXPLICATION DE QUELQUESDIFFICULTÉS SUR LES PRIÈRES

    DE LA MESSE.

  • JACQUES BÉNIGNEBOSSUET

    ŒUVRES COMPLÈTES

    Publiées d'après les imprimés et les manuscrits originaux purgées desinterpolations et rendues à leur intégrité.

    Édition renfermant tous les ouvrages édités et plusieurs inéditsFrançois Lachat

    Volume XVII

    EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉSSUR LES PRIÈRES DE LA MESSE, À UN

    NOUVEAU CATHOLIQUE.pp. 1-82

    Paris, Librairie de Louis Vivès Éditeurrue Delambre 5

    1864NB. Nous avons reproduit entre crochets carrés [ ] les

    numéros de haut de page de l’édition papier.

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  • EXPLICATION DE QUELQUESDIFFICULTÉS SUR LES PRIÈRES DE LA

    MESSE, À UN NOUVEAU CATHOLIQUE.Vous souhaitez, Monsieur, que je vous

    explique quelques difficultés sur la messe, que vosministres vous ont faites autrefois, et qui nelaissent pas de vous revenir souvent dans l'esprit,quelque soumis que vous soyez d'ailleurs àl'autorité de l'Église catholique.

    Ces difficultés, dites-vous, ne regardent pas lecommencement de la messe, qui ne contient autrechose que des psaumes, de pieux cantiques, desaintes lectures de l'Ancien et du NouveauTestament. Vos difficultés, dites-vous,commencent à l'endroit qui s'appelle proprementle sacrifice, la liturgie et la messe, c'est-à-dire àl'endroit de l'Oblation ou de l'Offerte et à laprière qui s'appelle Secrète. Elles se continuentdans toute la suite, c'est-à-dire dans le Canon etdans tout, le reste qui regarde la célébration del'Eucharistie, jusqu'à la prière qu'on appellePostcommunion. En tout cela vous ne voulez pasque je vous parle de la demande du secours desSaints, sur quoi vous êtes pleinement satisfait,jusqu'à ne pouvoir comprendre sur quelfondement on a prétendu que ces demandesintéressassent la gloire de Dieu ou la médiation deJésus-Christ, au nom duquel, comme de celui parqui seul on peut avoir accès, on demande à Dieuqu'il les reçoive. Toutes vos difficultés regardent

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  • la célébration de l'Eucharistie ; et premièrementvous voulez que je vous décide si le mot de Messea une origine [2] hébraïque, comme plusieursdocteurs catholiques l'ont prétendu, ou s'il a uneorigine purement latine tirée du mot missio oumissa, c'est-à-dire, renvoi, à cause qu'aucommencement de l'oblation on renvoyait lescatéchumènes, les pénitents, les énergumènes oupossédés, et à la fin tout le peuple, dont on voitencore un reste en ces mots : Ite, missa est, parlesquels on finit le saint sacrifice. Que si c'est là,comme vous pensez, l'a vraie origine du mot deMesse, vous vous étonnez qu'un si grand mystèreait été nommé par une de ses parties des moinsprincipales. Mais sans vous arrêter beaucoup à ladifficulté du nom, qui doit être toujours lamoindre et ne mérite pas d'être comptée, lagrande difficulté que vos ministres vous ont faiteautrefois regarde le fond des prières : car la messen'étant autre chose que la célébration del'Eucharistie, la doctrine de l'Église catholiquedoit s'y trouver toute entière ; et c'est, disent cesMessieurs, ce qui n'est pas. Il est vrai, poursuivez-vous, qu'une partie de la doctrine catholique, quiregarde l'oblation ou le sacrifice, y est très visible ;et encore que les ministres tâchent d'éluder laforce du mot, en disant qu'il le faut entendred'une oblation ou d'un sacrifice improprementdit, vous ne vous accommodez pas de cetteréponse. Car on dit trop distinctement et trop

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  • souvent qu'on offre à Dieu en sacrifice les donsproposés, pour nous laisser croire que ces parolesne doivent pas être prises dans leur significationnaturelle : mais enfin c'est du pain et du vin qu'onoffre. Ce sacrifice est appelé par les anciens unSacrifice de pain et de vin ; et c'est pourquoi ilsl'appellent le sacrifice de Melchisédech, à causeque selon eux ce grand sacrificateur du Dieu trèshaut lui offrit le pain et le vin qu'il fit prendreensuite à Abraham et aux siens. Voilà unepremière difficulté. Les autres sont bien plusgrandes ; car les ministres prétendent que danstoutes les prières qui regardent la célébration del'Eucharistie, il n'y a rien qui démontre laprésence réelle, ni la transsubstantiation ouchangement de substance : ce qui néanmoinsétant selon nous le fond du mystère, est sansdoute ce qui doit y être le plus expressémentmarqué. Mais, poursuit-on, loin qu'il le soit entermes aussi formels qu'il serait à désirer, on yvoit plutôt le contraire, puisqu'on trouve dans unesecrète du jour de Noël : « Que [3] la substanceterrestre nous confère ou nous donne ce qui estdivin1. » Elle y demeure donc cette substance, eton ne nous doit pas dire qu'elle soit changée.Dans une autre prière on demande que « ce qu'oncélèbre en figure ou en apparence, specie, on lereçoive aussi dans la vérité même.2 » Et en effet,1 IIa Miss.2 Postcom. subb. quat. temp. septemb.

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  • disent les ministres, si on eût cru offrir Jésus-Christ même, c'est-à-dire son vrai corps et sonvrai sang, aurait-on demandé tant de fois à Dieude l'avoir pour agréable ? Mais on fait plus : onprie Dieu dans le Canon d'avoir agréablel'oblation qu'on lui fait, comme il a eu agréablesles présents d'Abel et le sacrifice d'Abraham oude Melchisedech : ce qui montre qu'il n'y a ici quedes créatures offertes, et tout au plus des figuresde Jésus-Christ, non plus que dans l'oblationd'Abel et des autres justes. Car quelle apparencede comparer le corps et le sang de Jésus-Christ,où réside la perfection, à des choses siimparfaites ? Mais voici bien plus : non contentde prier Dieu qu'il ait agréable l'oblation qu'on luifait, comme si on en doutait, on prie Dieu « de sela faire présenter par la main de son saint ange surson autel céleste. » Quoi ! pour faire valoir devantDieu l’oblation du corps de son Fils, il y faut leministère d'un ange ! Le Médiateur a besoin d'unmédiateur, et Jésus-Christ n'est pas reçu par lui-même ! Cette prière se fait après la consécration.Toutes les Secrètes sont pleines de prières qu'onfait à Dieu, d'avoir agréables nos oblations parl'intercession et le mérite de ses Saints. Je sais,dites-vous, comme il faut entendre le mot demérite, et vous me l'avez assez expliqué. Je ne mefâche pas non plus de l'intercession des Saints,que vous m'avez aussi très bien l'ait entendre :mais je vous prie de m'aider encore à comprendre

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  • comment on peut employer les Saints, afind'obtenir de Dieu qu'il ait agréables nos oblations,si ces oblations, lorsqu'elles sont consacrées, nesont autre chose que le corps et le sang de Jésus-Christ, et surtout quel est le sens de cette prièrequ'on fait en mémoire de saint Paul : « OSeigneur, sanctifiez ces dons par les prières devotre Apôtre, afin que ce qui vous est agréablepar votre institution, vous devienne plus agréablepar la protection d'un tel suppliant3. » [4] Se peut-il faire que l'institution de Jésus-Christ, ou plutôtque. Jésus-Christ même devienne plus agréablepar les prières d'un Saint ? Mais voici bien pis. Cesacrifice qu'on offre par les prières des Saints, onle leur offre en quelque sorte à eux-mêmes,puisqu'on l'offre à leur honneur. Si ce qu'on offrec'est Jésus-Christ même, peut-on l'offrir àl'honneur de ses serviteurs ? Tout cela est bienbizarre, pour ne rien dire de plus, disaient vosministres. Les habiles parmi eux sentent bien queces prières sont très anciennes ; mais ils tirentavantage de cette antiquité, puisqu'elle nous estcontraire. Ils trouvent aussi fort étrange qu'onbénisse avec des signes de croix le corps deNotre-Seigneur, même après la consécration : etcette ancienne cérémonie leur paraît encore unepreuve contre la présence réelle, puisqu'onn'aurait jamais béni ce qu'on aurait cru être lasource, de toute bénédiction.3 Die Fest. Apost. Petr. et Paul., Cath. Petr., etc.

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  • Enfin ils demandent, dites-vous, qu'on leurmontre l'adoration de l'hostie dans les anciensSacramentaires. On n'y voit point, disent-ils, nimême dans l’Ordre romain, lorsqu'on y prescrit lerit de la communion, qu'on la reçoive à genoux,ni qu'on y lasse le moindre acte de respect enversla sainte Eucharistie : on n'y voit point cesgénuflexions qu'on trouve dans notre Missel.L'élévation que nous pratiquions à présent,aussitôt après la consécration, ne s'y trouve nonplus ; et celle qu'on y remarque en d'autresendroits, comme à l'endroit du Pater, a une touteautre fin que celle d'adorer Jésus-Christ, puisqueles anciens interprètes du Canon n'y trouventqu'une cérémonie de l'oblation ou lacommémoration de l'élévation de Jésus-Christ à lacroix, et quelque autre mystère semblable. Ilsprétendent aussi que les Grecs n'adorent non plusque nous ; et qu'en général leur liturgie, dont nousvantons la conformité avec la nôtre, en est tout àfait différente surtout en ce qui regarde laconsécration, puisqu'ils la font par la prière aprèsle récit des paroles de Notre-Seigneur4, loin de lafaire consister comme nous dans ces parolesmêmes. Ils ajoutent que l'oblation se fait parmieux tant pour les Saints, et même pour la sainteVierge, que pour le commun des morts ; et ilsconcluent [5] de cette coutume qu'il n'y a doncrien à tirer de l'oblation pour les morts en faveur4 Miss. Chrysost., etc.

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  • du purgatoire ou de cet état mitoyen que nousadmettons, mais que les Grecs, à ce qu'ils disent,ne connaissent pas. Voilà les difficultés que vousproposez. Il est vrai que les écrits des ministres, etsurtout l’Histoire de l'Eucharistie du ministre de laRoque, en sont pleins. Les voilà du moins danstoute leur force, et vous ne m'accuserez pas de lesavoir affaiblies. Vous en demandez la résolution,non par des raisonnements, mais par des faits.C'est, Monsieur, ce que je vais faire avec la grâcede Dieu. Le fait même résoudra tout ; et vousverrez les difficultés s'évanouir devant vous lesunes après les autres, à mesure que j'exposerai lessentiments de l'Église par les termes de sa liturgie.

    Et d'abord, pour ce qui regarde le nom de laMesse, je vous décide sans hésiter que l'origine enest latine, et telle que vous l'avez remarquée. Lemot de Missa est une autre inflexion du mot missio.On a dit missa, congé, renvoi, pour missio, commeon a dit remissa pour remissio, rémission, pardon ;oblata pour oblatio, oblation ; ascensa pour ascensio,ascension ; et peut-être même secreta pour secretio,séparation, parce que c'était la prière qu'on faisaitsur l'oblation, après qu'on avait séparé d'avec lereste ce qu'on en avait réservé pour le sacrifice,ou après la séparation des catéchumènes et aprèsaussi que le peuple qui s'était avancé vers lesanctuaire ou vers l'autel pour y porter sonablation, s'était retiré à sa place : ce qui fait quecette oraison appelée super oblata dans quelques

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  • vieux Sacramentaires, est appelée post secreta dans lesautres.

    Quoi qu'il en soit de celle origine de laSecrète, celle de missa, est certaine ; et il est vraique les Latins on donné ce nom au sacrifice, àcause que lorsqu'on venait à l'oblation, onrenvoyait les catéchumènes, les pénitents et lespossédés, et à la fin tout le peuple, par unesolennelle proclamation, comme vous l'avezremarqué.

    Ce renvoi des catéchumènes et des autres sefaisait aussi par une proclamation du diacre, quicriait à haute voix : « Que les catéchumènessortent. » Ils venaient ensuite recevoir labénédiction du pontife par l'imposition de sesmains et une prière [6] proportionnée à leur état.Ensuite ils se retiraient en grande humilité et engrand silence. Les pénitents en faisaient de même,après qu'on leur avait aussi dénoncé qu'ils eussentà se retirer. On éloignait aussi les possédés qu'onséparait du peuple fidèle, tant à cause que leurétat qui les soumettait au démon avait quelquechose de trop ravalé ou de trop suspect pourmériter la vue des mystères, qu'à cause aussi qu'oncraignait qu'ils n'en troublassent la cérémonie et lesilence par quelque cri ou par quelque actionindécente.

    Cette exclusion solennelle de ces trois sortesde personnes donnait au peuple une haute idéedes saints mystères, parce qu'elle lui laissait voir

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  • quelle pureté il fallait avoir seulement pour ycomparaître, et à plus forte raison pour yparticiper.

    Le renvoi qu'on faisait du peuple fidèle aprèsla solennité accomplie n'était pas moinsvénérable, parce qu'il faisait entendre ce qui aussiest ordonné dans plusieurs canons, qu'il n'étaitpas permis de sortir sans le congé de l'Église, quine renvoyait ses enfants qu'après les avoir remplisde vénération pour la majesté des mystères et desgrâces qui en accompagnaient la réception : desorte qu'ils s'en retournaient à leurs occupationsordinaires, se souvenant que l'Église qui les yavait renvoyés les avertissait par ce moyen de lesfaire avec la religion que méritait leur vocation etl'esprit dont ils étaient pleins.

    Vous voyez bien, Monsieur, que ce renvoiavait quelque chose rie plus auguste que vous nel'aviez d'abord pensé. Quoi qu'il en soit, il estcertain qu’il n'y avait rien dans le sacrifice quifrappât davantage les yeux du peuple. C'est lui quidonne les noms, et il les douta pas ce qui lefrappe davantage ; et parce qu'on dénonçait cettemission ou ce renvoi solennellement par trois ouquatre fois, on n'appelait point le sacrifice missaseulement au singulier, mais au pluriel missæ : ondisait Missas facere, missarum solemnia, et ainsi dureste, parce qu'il n'y avait pas pour un seul renvoiet qu'après avoir renvoyé, ainsi qu'il a été dit, les

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  • catéchumènes, les possédés et les pénitents, onfinissait l'action en renvoyant tout le peuple.

    Après avoir expliqué le nom, pourmaintenant venir au fond [7] du mystère,souvenez-vous, avant toutes choses, de l'antiquitédes prières, d'où l'on tire les difficultés qui vousembarrassent. Nous parlerons en son lieu d'uneantiquité si vénérable : il me suffit quant à présentque vous observiez que ce n'est pas sans raisonque les ministres tâchent d'y trouver leur doctrinesur la présence réelle plutôt que la nôtre : carcomme ils savent bien en leur conscience qu'ellessont d'une grande antiquité, s'ils avouaient qu'ellesnous sont favorables, ils seraient en même tempscontraints d'avouer que la date de notre croyanceest plus ancienne qu'ils ne veulent : c'est pourquoiils ont raison selon leurs principes de les tirer àleur sens, comme ils tâchent aussi d'y tirer lesanciens Pères.

    Mais pour leur ôter tout prétexte, venons aufond et disons que la célébration de l'Eucharistiecontenait deux actions principales dont vousconvenez : l'oblation dans laquelle la consécrationest enfermée, et la participation ou la réception.Pour nous arrêter d'abord au fait comme vous lesouhaitez et qu'il est juste, l'oblation consiste entrois choses : l'Église offre à Dieu le pain et levin ; elle lui offre le corps et le sang de Notre-Seigneur ; elle s'offre enfin elle-même, et offre àDieu toutes ses prières en union avec Jésus-Christ

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  • qu'elle croit présent. Voilà les faits qu'il nous fautconsidérer. Nous remonterons après, si vousvoulez, à l'Écriture, afin de vous tout montrerjusqu'à la source : mais il importe avant touteschoses de bien comprendre la pratique ; et c'estaussi ce que vous voulez.

    Pour entendre ce que l'ait l'Église en offrant àDieu le pain et le vin, il nous faut considérer lesprières qui précèdent la consécration, non-seulement dans le Canon de la messe, maisencore dans les oraisons qu'on nomme Secrètes,autrement super oblata, à cause qu'on les dit sur lesoblations, c'est-à-dire sur le pain et sur le vin,après qu'ils ont été mis sur l'autel.

    C'est là donc que nous apprenons que l'Égliseoffre, à la vérité, le pain et le vin, mais non pasabsolument et en eux-mêmes ; car dans lanouvelle alliance on n'offre plus à Dieu deschoses inanimées, ni autre chose que Jésus-Christ : c'est pourquoi on offre le pain et le vinpour en faire son corps et son sang. [8]

    Cette oblation se prépare dès le moment où,en élevant le pain et le calice qu'on doit consacrer,on prie Dieu d'en avoir l'offrande agréable, de labénir, de la sanctifier, et enfin de la consacrerpour en faire le corps et le sang de son Fils. Cetteprière se fait souvent et en termes exprès dansl'oraison qu'on appelle Secrète ; mais elle se faittous les jours, dans l'action même de laconsécration, où l'on prie Dieu « de bénir, de

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  • recevoir, de ratifier et de rendre agréable en toutet partout cette oblation, c'est-à-dire ce pain et cevin, afin d'en faire pour nous le corps et le sangde Jésus-Christ son Fils bien-aimé. »

    Nous disons que ce corps et ce sang sontfaits pour nous, au même sens qu'il est écrit dansIsaïe : « Un petit enfant nous est né, un fils nousest donné5 ; » non point pour faire entendre,comme le prétendent les ministres, que lessymboles sacrés ne sont faits le corps et le sangque dans le temps que nous les prenons, mais afinque nous concevions que c'est pour nous qu'ilssont faits dans ce mystère, de même que c'estpour nous qu'ils ont été conçus et formés dans lesein de la sainte Vierge.

    Il faut donc entendre ici une espèce deproduction du corps et du sang dans l'Eucharistie,aussi véritable et aussi réelle que celle qui fut faitedans le bienheureux sein de Marie au moment dela conception et de l'incarnation du Fils de Dieu ;production qui lui donne en quelque façon unnouvel être, par lequel il est sur la sainte tableaussi véritablement qu'il a été dans le sein de laVierge et qu'il est maintenant dans le ciel.

    C'est pourquoi on se sert ici du mol de faire,pour marquer une véritable et très réelle actionqui se termine à faire dans ce saint mystère unvrai corps et un vrai sang, et le même qui fut faitau sein de Marie. C'est aussi ce que les Grecs5 Isa., IX, 6.

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  • expriment dans leur liturgie, lorsqu'en priant Dieucomme nous de faire de ce pain et de ce vin lecorps et le sang de Jésus-Christ, ils demandentexpressément que « ce pain soit fait le proprecorps, et ce vin le propre sang de Jésus-Christ6. »Et ils ajoutent qu'ils le soient faits « par le Saint-Esprit, qui change ce pain et ce vin ; » par où ilsnous marquent premièrement une actionvéritable, [9] puisqu'ils demandent que le Saint-Esprit, qui est la vertu de Dieu, y soit appliqué ; etsecondement un changement très réel qui fassedu pain et du vin « le propre corps et le propresang de Jésus-Christ, » car ce sont les termes dontils se servent. Ce qui aussi a fait dire à saintIsidore, disciple de saint Chrysostome, et une deslumières du IVe siècle, que « le Saint-Esprit estvraiment Dieu, puisque dans le saint Baptême ilest également invoqué avec le Père et le Fils, etqu'à la table mystique c'est lui qui rend le paincommun le propre corps dans lequel le Fils deDieu s'est incarné7. » Ce qu'il dit ensuite du sang,lorsque pour inviter les fidèles à n'abuser pas duvin, il les fait ressouvenir que « le même Saint-Esprit » en consacre « les prémices, dont il fait àla sainte table le sang du Sauveur8 »

    Et remarquez que comme ce corps et ce sangont été formés la première fois par le Saint-Esprit

    6 Lit. Basil., tom. II.7 Isid. Pelus., lib.. I. ep. CIX.8 Ibid., ep. CCCXIII.

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  • agissant dans le sein de la sainte Vierge, selon cequi est porté dans le Symbole : « Conçu du Saint-Esprit ; » c'est encore le Saint-Esprit qu'oninvoque pour les faire ici de nouveau, afin quenous entendions non une action improprementdite, mais une action physique et aussi réelle quecelle par laquelle le corps du Sauveur a été forméla première fois. Au reste on ne peut pas douterque cette prière où l'on demande la descente duSaint-Esprit, pour faire du pain le corps et du vinle sang de Jésus-Christ, ne soit très ancienne dansla liturgie des Grecs, puisqu'on la trouve entenues formels dans saint Cyrille de Jérusalem,auteur du IVe siècle, qui après l'avoir rapportéecomme reçue par le commun usage des Églises,en continue la vérité, en disant « que ce que leSaint-Esprit touche, est changé et sanctifié9 ; » paroù il nous montre un changement aussi réel quele contact et l'action est puissante, et efficace.

    Et pour mieux marquer Le consentement del'Orient et de l'Occident dans cette doctrine, ceque les Grecs ont exprimé par la prière que nousvenons de voir, les Latins L'expriment aussi parces paroles : « Prions, mes Frères, Jésus-Christavec affection, que lui qui a changé l'eau en vin,change aujourd'hui en sang [10] le vin de nosablations10 ; » ce qu’on attribue ni un autre endroitau Saint-Esprit par ces paroles : « O Seigneur, que9 Cat. V. Mystag., p. 327.10 Miss. Goth., Missa XI, in die Epiph.

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  • le Saint-Esprit, votre coopérateur coéternel,descende sur ce sacrifice afin que le fruit de laterre que nous vous présentons soit changé envotre corps, et ce qui est dans le calice en votresang11. » Nous venir dire maintenant que tout ceciest figuré, outre les raisons générales quirenversent cette prétention, c'est introduire dansla prière, c’est-à-dire dans le plus simple de tousles discours, les figures les plus violentes et lesplus inusitées ; c'est appeler à son secours les plusgrands miracles, les opérations les plus efficaceset le Saint-Esprit lui-même avec sa toute-puissance, pour vérifier des figures et desmétaphores. Le faire une fois, ce serait trop ; maisle continuer et l'inculquer à chaque occasion, ceserait chose trop insupportable. C’est néanmoinsce que fait l'Église ; et afin de tenir toujours unmême langage, ce qu'elle dit en célébrant lesmystères, elle le dit encore en consacrant le prêtrequi les doit offrir : car dès cette antiquité on priaitDieu, comme on fait encore, qu'il sanctifiât ceministre nouvellement consacré, afin qu'iltransformât le corps et le sang de Jésus-Christ parune pure et irrépréhensible bénédiction12. »

    Enfin on priait tous les dimanches, « enoffrant selon le rit de Melchisédech, que par lavertu de Dieu opérante ou reçût le pain changé aucorps, et le breuvage changé au sang, en sorte11 Ibid., Miss. XII.12 Miss. Goth., in Ord. Presbyt.

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  • qu’on reçût dans le calice ce même sang qui étaitsorti du côte sur la croix13 ; » après quoi onfinissait en ces termes : « Seigneur Jésus-Christ,nous mangeons le corps qui a été crucifié pournous, nous buvons le sang qui a été répandu pournous, afin que ce corps nous soit à salut et cesang en rémission de nos péchés, maintenant et àtous les siècles des siècles. »

    Ce changement, opéré par le Saint-Esprit, dupain au corps, et du vin au sang, était cause que cesacrifice était regardé comme une espèced'holocauste, c'est-à-dire comme une victimeconsumée par le feu, parce qu'en effet, le pain etle vin étaient consumée par le Saint-Espritcomme par un feu divin et spirituel : et c'est [11]ce qu'on exprimait par cette prière, qui se trouvedans tous les anciens Sacramentaires durantl'octave de la Pentecôte, comme on les réciteencore aujourd'hui : « Nous vous prions, ôSeigneur, que les sacrifices offerts devant votreface soient consumés par ce feu divin, dont lescœurs des apôtres ont été embrasés14. »

    C'est en ce sens que le sacrifice du NouveauTestament est appelé quelquefois un holocauste,avec cette différence, que le feu qui consumait lesvictimes anciennes était un l'eu qui ne pouvait queconsumer et détruire, et qui en effet consumait etdévorait de telle sorte l'hostie immolée avec les13 Miss. Goth., in fin. in Miss. Dom., n. 80.14 Fer. II M Oct. Pentec.

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  • pains et les liqueurs qu'on jetait dessus, qu'il n'endemeurait aucun reste ni même aucuneapparence ; au lieu que le feu que nousemployons, c'est-à-dire le Saint-Esprit, neconsume que ce qu'il veut : de sorte que sans rienchanger au dehors, parce qu'il ne veut rien donneraux sens dans un sacrifice qui doit être spirituel, ilne consume que la substance, et encore ne laconsume-t-il pas simplement pour la détruirecomme fait le feu matériel ; mais, comme c'est unEsprit créateur, il ne consume les dons proposésque pour en faire quelque chose de meilleur : c'estpourquoi on le priait de descendre, ainsi qu'on avu, non simplement pour changer le pain et levin, mais pour en faire le corps et le sang deNotre-Seigneur.

    Il est maintenant aisé d'entendre que lamatière de cette oblation était véritablement lecorps et le sang de Notre-Seigneur, puisqu'onn'offrait le pain et le vin que pour y être changéspar une vertu toute-puissante, c'est-à-dire par lavertu du Saint-Esprit ; et c'est pourquoi cemystère s'appelait « la transformation du Saint-Esprit15. et la transformation du corps et du sangde Jésus-Christ par la vertu de celui qui les créait,qui les bénissait, qui les sanctifiait16 ; » c'est-à-direqui les formait sur l'autel pour nous y être, et parl'oblation et par la manducation, une source de15 Miss. Goth., Miss, LXVI.16 Ibid., Miss. VIII.

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  • bénédiction et de grâce. Car Jésus-Christ ayantprononce « qu'il se sanctifiait soi-même pournous, » c'est-à-dire qu'il s'offrait et se dévouait,« afin que nous fussions saints17, nous necraignons point de dire que cette sanctification etcette oblation de [12] Jésus-Christ continueencore sur nos autels, et c'est essentiellementdans la consécration de l'Eucharistie que nous lafaisons consister.

    Et il est aisé de l'entendre, puisque poserdevant Dieu le corps et le sang dans lesquelsétaient changés le pain et le vin, c'était en effet leslui offrir ; c'était imiter sur la terre ce que Jésus-Christ fait dans le ciel, lorsqu'il y paraît pour nousdevant son Père, comme dit saint Paul18. C'estaussi à quoi revient ce que dit saint Jean dans sonApocalypse, lorsqu'il y vit l'Agneau devant le trône,vivant à la vérité, puisqu'il est debout, mais enmême temps comme immolé et comme mort, àcause des cicatrices de ses plaies et des marquesqu'il conserve encore dans la gloire, de sonimmolation sanglante19. Il est à peu près dans cemême état sur la sainte table, lorsqu'en vertu de laconsécration il y est mis tout vivant, mais avecdes signes de mort, par la séparation mystique deson corps d'avec son sang. Alors donc il estimmolé spirituellement ; il est offert à Dieu son

    17 Joan., XVII, 19.18 Hebr., VII, 25 ; IX, 24, 26.19 Apoc., V, 6.

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  • Père en mémoire de sa mort et pour nous enappliquer continuellement la vertu.

    Or que ce soit ce corps et ce sang qu'on aitintention d'offrir à Dieu, l'Église s'en explique entermes formels dans la liturgie. C'est ce qu'onexprime dans la secrète qu'on dit encoreaujourd'hui le jour de l'Épiphanie, et qu'on trouvedans tous les vieux Sacramentaires : « O Seigneur,recevez avec des yeux favorables ces dons devotre, Église par lesquels on vous offre, non pasde l'or, de la myrrhe et de l'encens ; mais on offre,on immole et ou prend cela même qui étaitsignifié par ces présents, c'est-à-dire Jésus-ChristNotre-Seigneur20. »

    Il est donc certain qu'on offrait, non pas lafigure du corps et du sang de Jésus-Christ, mais lavérité même de ce corps et de ce sang : autrementon n'offrirait pas ce qui était figuré par lesprésents des mages, c'était à dire Jésus-Christmême, mais une, figure pour une autre et toujoursdes ombres, contre le génie de la nouvellealliance.

    Ce que nous venons de voir dans les plusanciens Sacramentaires, dans le romain et dans legothique, qui était celui dont on [13] usaitprincipalement dans les pays que les Gothsavaient occupés, nous l’allons voir dans un autrerit très conforme à celui-là, aussi ancien, aussivénérable, qu'on appelle Mozarabique ; c'est celui20 Sacr. Greg., Miss. Goth., in Miss. Epiph., Orat. post Myst.

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  • qu'avait mis en ordre saint Isidore, de Séville,dont on se servait anciennement dans une grandepartie de l'Espagne, et qu’on garde encore àprésent dans quelques églises de Tolède. Nous ylisons ces paroles qui ressentent l'esprit despremiers siècles21 : « Nous, vos indignes serviteurset vos humbles prêtres, offrons à votreredoutable majesté cette hostie sans tache que lesein d'une Mère a produite par sa virginitéinviolable, que la pudeur a enfantée, que lasanctification a conçue, que l'intégrité a fait naître.Nous vous offrons cette hostie qui vit étantimmolée, et qu'on immole vivante ; hostie quiseule peut plaire, parce que c'est le Seigneur lui-même. »

    Les églises se communiquaient les unes auxautres ce qu'elles avaient de meilleur. Pour moi, jecrois entendre dans cette prière ou un saintAmbroise ou quelqu'un d'une pareille antiquité,d'une pareille onction, d'une pareille piété. Cetteprière se disait après avoir récité les noms de ceuxdont les oblations étaient reçues et pour lesquelson allait offrir ; et on déclare en termes formelsque ce qu'on allait offrir pour eux n'était rien demoins que Jésus-Christ même.

    Pour nous répliquer maintenant qu'on offraitJésus-Christ connue étant au ciel, il faudrait avoiroublié ce qu'on a vu tant de fois, que ce qu'onoffrait, on le formait sur l'autel des dons qu'on y21 Miss. Mozarab., in Miss. Nat. Dom., apud Mabill., de Liturg. Gallic., p. 455.

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  • apportait, c'est-à-dire du pain et du vin ; ce qui estinculqué partout dans ce Missel comme dans lesautres.

    Et afin qu'on ne doute pas du consentementdes églises, écoutons encore une préface, del'ancien Sacramentaire de saint Grégoire, qu'onlisait autrefois dans tout l'Occident, et qu'ontrouve encore aujourd'hui dans le Misselambrosien, tant dans l'ancien que dans lemoderne ; il ne se peut rien de plus exprès : « Ilest juste, ô Seigneur, dit cette admirable préface,que nous vous offrions cette salutaire hostied'immolation, qui est le sacrement ineffable de lagrâce divine, qui est offerte par plusieurs, et qui[14] par l’infusion du Saint-Esprit est faite un seulcorps de Jésus-Christ. Chacun en particulierreçoit Jésus-Christ Notre-Seigneur, et il est toutentier dans chaque partie : il est reçu de chacunsans diminution ; mais il se donne dans chaquepartie en son entier22. » Ce que l'Occident disaitdans cette belle préface et ce qu'on dit encore àMilan selon le rit ambrosien, se dit par toutl'Orient dans la messe qui porte le nom de saintChrysostome : « L'Agneau de Dieu, dit-on, estdivisé et n'est pas mis en pièces : il se partage àses membres et il n'est pas déchiré ; on le mangeet il n'est pas consumé ; mais il sanctifie ceux qui

    22 Sacr. Greg., Dom. V post Theoph., edit. Men., p. 27 ; Miss. Ambrosian., apudPamel., in ead. Dom. et nov. in Dom. V.

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  • le reçoivent23. » La même chose se trouve dans laliturgie de saint Jacques, qui est celle de l'église deJérusalem, dont on sait que ce saint apôtre fut lepremier évêque ; et nous aurons peut-êtreoccasion de vous en rapporter les paroles enquelque autre endroit. Quel plaisir aurait-on eudans une prière, malgré la simplicité naïve etintelligible qui y doit régner ; quel plaisir, dis-je,d'étourdir le monde par des paradoxes ou plutôtpar des prodiges de propositions inouïes, endisant comme une merveille qu’on divise et qu'onne divise pas, qu'on mange et qu'on ne consumepas, que c'est dans toute l'Église et dans toutes lesoblations particulières un seul et même corps, etdans les moindres parcelles ce corps entier sansdiminution, si tout cela ne se doit entendre qued'une présence en figure et d'une manducation enesprit, c'est-à-dire de la présence la moinsdivisante et de la manducation la moinsconsumante qu'on puisse jamais imaginer ? Maisdans la doctrine de l'Église catholique, c'est unvrai miracle qu'un même corps humain soitdonné à tous tout entier sous la moindre parcelle :ce corps en même temps est partage et ne l'estpas : partagé, parce qu'en effet il est réellementdonné à chaque fidèle ; non partagé, parce qu'enlui-même il demeure entier et inaltérable.

    Je ne m'arrête pas ici à vous expliquercomment Jésus-Christ est rompu et non rompu23 Tom. II, Bibl. PP. G. L. p. 83.

    24

  • dans l'Eucharistie, divisé et non divisé : ce sontchoses qu'on explique ailleurs par les locutions lesplus [15] simples et les plus naturelles à l'esprithumain. Ainsi quoiqu'il lut certain qu'à la rigueurla troupe qui pressait Jésus-Christ ne le touchâtpas, et que la femme, qui crut être guérie par sonattouchement, n'eût en effet touché que la frangedu bout de sa robe, les apôtres ne laissent pas delui dire : « Maître, la presse vous accable et vousdemandez : Qui me touche24 ? » Et si l'autorité desapôtres n'est pas assez grande, Jésus-Christ ajoutelui-même : « Quelqu'un m'a touché25, » encorequ'il eût dit deux ou trois fois auparavant qu'onn'avait touché que ses habits, et que tous lesévangélistes parlent de même d'un communaccord. Pourquoi cela, si ce n'est qu'en effet ontouche un homme dans la manière de parlersimple et populaire, quand on touche les habitsdans lesquels il est, et qui font comme un mêmecorps avec lui ? De même on est déchiré, on estmouillé, on est sali, quand les habits qu'on portele sont, encore qu'à la rigueur on ne le soit pas ensoi-même. Je n'ai pas besoin d'en dire icidavantage, et chacun peut achever la comparaisondes espèces sacramentelles avec ; les habits et dela personne habillée avec Jésus-Christactuellement revêtu de ces espèces. Ce que j'aientrepris de faire voir, c'est que les locutions dont24 Marc., V, 30, 31.25 Luc., VIII, 44-46.

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  • on se sert dans la liturgie, et autant parmi lesGrecs que parmi les Latins, tendent toutes àétablir une présence réelle ; et que loin (pion aitcherché dans les derniers siècles à multiplier detels monuments, l'antiquité en avait dans sesSacramentaires que nous n'avons plus aujourd'huidans notre Missel. Car on n'a pas besoin dechercher des preuves pour des vérités qui sontvenues naturellement de nos pères jusqu'à nous ;ces preuves viennent toutes seules en milleendroits, et sortent comme de source. Ainsi il fautavouer, et il est vrai qu’on ne dit plus dans notrerit ordinaire la préface que j'ai récitée, non plusque celles qu'on trouve dans tous les anciensSacramentaires pour tous les dimanches et pourtoutes les fêtes de l'année. On les a ôtéesmaintenant, comme beaucoup d'autres chosesqu'on ne laisse pas d'approuver beaucoup, sansautre raison apparente que de décharger lesMissels et de faciliter aux églises pauvres le moyende les avoir. Quoi qu’il en soit, on n'en a réservéque sept ou huit pour les grands mystères et les[16] fêtes les plus illustres ; mais les autres sontconstamment de même antiquité, de même espritet de même goût, et se sont dites dès les premierssiècles dans presque toutes les églises d'Occident.

    Et il ne faut pas s'imaginer que celles qui nedisaient pas la préface dont nous venons de parlerfussent d'une autre doctrine que les autres,puisqu'elles avaient en plusieurs endroits des

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  • choses équivalentes ; témoin dans l'église grecquela prière qu'on vient de voir ; témoin dans cellesd'Espagne ces mots déjà rapportés : « Nous vousoffrons cette hostie qui vit étant immolée, etqu'on immole vivante26 ; » témoin cette autrepréface d'un très ancien Sacramentaire, où enparlant de ce qu'on offre sur l'autel, « C'est ici, dit-on, ô Père éternel, l'Agneau de Dieu votre Filsunique, qui ôte le péché du monde, qui ne cessede s'offrir pour nous et nous défendcontinuellement auprès de vous comme notreavocat, parce qu'encore qu'il soit immolé, il nemeurt jamais, et il vit quoiqu'il ait été mis à mort :car Jésus-Christ notre pâque a été immolé, afinque nous immolions, non avec l'ancien levain, nipar le sang des victimes charnelles, mais dans lesazymes de sincérité et de la vérité du corps27. »

    On découvre ici un mystère qu'on ne s'auraitassez remarquer, qui est que dans l'oblation quenous faisons du corps de Jésus-Christ, c'est lui-même qui s'offre, mais qui s'offrecontinuellement, qui exerce par celte oblationcontinuelle la l'onction de notre avocat, qui vittoujours pour être toujours immolé dans l'azyme desincérité, c'est-à-dire, comme on l'interprète aumême lieu, dans la vérité de son corps.

    26 Miss. Mozarab., sup.27 Contest., Miss. Pasch., Fer. IV, in Miss. Goth., Miss., XLI ; apud Thom., p.342 ; apud Mabill., de Liturg. Gallic, p. 256.

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  • On voit en d'autres endroits du même Missel,comment dans ce sacrifice Jésus-Christ est levéritable Sacrificateur, qui s'offre encore lui-même ; et on explique que c'est à cause qu'étantl'instituteur de cette oblation, c'est en son nom etpar son autorité qu'on la continue. « Il est juste devous louer, ô Dieu invisible, incompréhensible,immense, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ,qui en instituant la forme d'un sacrifice perpétuel,s'est premièrement offert à vous comme unehostie, et nous a appris le premier [18] qu'il devaitêtre offert28. » On reconnaît ici que Jésus-Christ ainstitué un sacrifice perpétuel, où il devait êtreoffert et où lui-même aussi nous avait appris àl'offrir. Et c'est pourquoi on disait dans une autreprière ; « O Dieu à qui nous offrons un sacrificeunique et singulier, après que vous avez l'aitcesser tous les divers sacrifices d'autrefois29. » Etun peu après : « En rejetant toutes les ombres desvictimes charnelles, nous vous offrons, Pèreéternel, une hostie spirituelle qui est toujoursimmolée et qu'on offre toujours la même, qui esttout ensemble et le présent des fidèles qui seconsacrent à vous, et la récompense que leurdonne leur céleste bienfaiteur : » prière qu'ontrouve encore et de mot à mol dans l'ancienMissel de Gélase30. Mais qui n'y remarque

    28 Miss. Mozarab., Miss, LXXVIII, contest., p. 297.29 Miss. Franc., Miss, XXVII, p. 325.30 Miss. Gelas., edit. Thom., Miss., LXXXIV, p. 117.

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  • clairement Jésus-Christ offert en personne dansun sacrifice très véritable qui se renouvelle et secontinue tous les jours, où il est en même tempsle présent que nous faisons à Dieu et larécompense éternelle que reçoivent ceux quil'offrent ?

    C'est un sacrifice véritable, puisqu'il estsubstitué à la place de tous les sacrifices anciens ;un sacrifice où l'on ne cesse d'offrir Jésus-Christmême en personne ; un sacrifice que l'onrenouvelle et que l'on continue tous les jours, etqui est néanmoins toujours unique, parce qu'on yoffre incessamment la même victime ; un sacrificed'une nature tout à fait particulière, où celui quenous offrons est en même temps celui qui nousdonne tout, et lui-même le don infini qui nousrend heureux.

    La même chose est expliquée en peu deparoles, mais vives et substantielles, dans le canonde la messe que nous disons tous les jours, oùaprès avoir fait la prière que nous avonsrapportée, où l'on demande que l'oblation saintesoit faite le corps et le sang de Jésus-Christ ; aprèsavoir récité ces saintes paroles par lesquelles sefait la consécration et la consommation de sonmystère : l'Église, en exécution ducommandement qu'il lui fait de le célébrer en sonnom, reprend la parole en cette manière : « C'estpour cela, ô Seigneur, que nous, qui sommes vosministres, et tout votre saint peuple, nous

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  • ressouvenant de la passion bienheureuse, de la[18] glorieuse résurrection et de l'ascensiontriomphante du même Jésus-Christ votre FilsNotre-Seigneur ; nous offrons à votre sainte etglorieuse Majesté ce présent fermé des choses quenous tenons de vous-même, une hostie sainte,une hostie pure, une hostie sans tache, le saintpain de vie éternelle et le calice de salutperpétuel. » Ceux qui ont appris de Jésus-Christqu'il est le pain vivant qui donne la vie éternelle 31n'auront pas de peine à entendre quel est ce painde vie éternelle qu'on offre à Dieu ; et c'estvisiblement Jésus-Christ même et sa sainte chairoù il nous a promis la vie32, qu'on montre commeprésente, en disant : Le saint pain de vie éternelle,aussi bien que son sang qui nous a sauvés, endisant : Et le calice de salut perpétuel, c'est-à-dire, sansdifficulté, le calice où est contenu ce salut avec lesang du Sauveur.

    C'est la même chose que disent les Grecsdans leur liturgie, lorsqu'après avoir prononcé lessaintes paroles du même Sauveur, ils continuenten ces termes : « Nous vous offrons des chosesqui sont à vous faites des choses qui étaient àvous, » c'est-à-dire, le corps et le sang de votreFils formés du pain et du vin qui étaient voscréatures.

    31 Joan., VI, 51, 52.32 Ibid.

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  • Ces paroles sont dites en ce lieu, pourexprimer la nature de cette oblation où l'on offraità Dieu une substance, c'est-à-dire le corps et lesang de Jésus-Christ formés d'une autresubstance, qui était celle du pain et du vin ; et toutensemble pour faire voir, contre les ancienshérétiques, qui dès l'origine du christianismeavaient distingué le Créateur de l'univers d'avec lePère de Jésus-Christ ; pour, dis-je, leur faire voirque c'était le même, et que celui qui avait créé lepain et le vin pour nourrir l'homme, était le mêmequi pour le sanctifier en faisait le corps et le sangde son Fils unique.

    C'est aussi ce qu'expriment les Latins par cesmots du canon qu'on vient de voir : « Nous vousoffrons cette sainte hostie faite des choses quenous tenons de vous-même : » DE TUIS DONIS ACDATIS : ce que les Grecs exprimaient d'une autremanière, en disant : Τὰ σὰ ἐκ τῶν σῶν (Ta sa ekton son) : Tua ex tuis ; ; où l'on voit de plus en plusque les deux églises parlent toujours dans lemême esprit, et [19] s'accordent à célébrer lechangement merveilleux qui s'est fait descréatures de Dieu en des créatures de Dieubeaucoup plus excellentes ; mais toujours avec unrapport et une analogie parfaite, puisque c'estl'aliment des corps qui est changé en la nourrituredont les âmes sont sustentées, et les corps mêmessanctifiés et purifiés.

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  • Tout cela est confirmé merveilleusementdans ces paroles de notre canon, où après avoirnommé Jésus-Christ comme on a fait partout,comme celui en qui nous avons accès auprès duPère, nous ajoutons : « Par lequel, ô Seigneur,vous ne cessez de créer tous ces biens, vous lessanctifiez, vous les vivifiez, vous les bénissez, etvous nous les donnez ; » par où l'on montre enDieu par Jésus-Christ une création continuelle,pour faire que les dons sacres du pain et du vinque Dieu avait créés par sa puissance, par lamême puissance soient faits une nouvellecréature, et de choses inanimées et profanesdeviennent une chose sainte et une chose animée,qui est le corps et le sang de l'Homme-DieuJésus-Christ : chose par ce moyen remplie pournous de bénédiction et de grâce, pour ensuitenous être donnée avec tous les dons dont elle estpleine : ce qui continue à montrer que celui quinous a créés, et qui a créé les choses qui noussoutiennent selon le corps, crée encore de cesmêmes choses celles qui nous soutiennent selonl'esprit ; et que c'est cela que nous lui offronsavant que de le prendre de sa main.

    À ceci nous pouvons encore rapporter cettesecrète33 : « O Dieu, qui avez choisi les créaturesque vous avez faites pour soutenir notre infirmité,afin d'en faire les présents qu'on vous devait

    33 Fer. 5, post Dom. Pass.

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  • dédier, » en les faisant le corps et le sang de Jésus-Christ, ainsi qu'il a été souvent expliqué.

    De douter qu'un tel sacrifice ne soitvéritablement propitiatoire, c'est douter que lecorps et le sang de Jésus-Christ ne soit un objetagréable à Dieu, qui nous le rende favorable ; c'estdouter que le même Jésus-Christ, qui intercèdepour nous dans sa gloire en se présentant devantDieu, par cette seule action ne l'apaise et ne nousle rende propice. Mais à Dieu ne plaise que [20]l'Église croie qu'où Jésus-Christ est présent pournous, il ne soit pas une oblation propitiatoire :c'est pourquoi l'Église ne cesse de prier en cettesorte dans ce sacrifice : « O Seigneur, soyezapaisé, soyez propice, soyez favorable à votrepeuple par ces dons que nous vous offrons. » Etencore : « Que cette hostie purge nos péchés ;qu'elle nous soit une intercession salutaire pouren obtenir le pardon. » Et encore : « Recevez cesacrifice par l'immolation duquel vous avez vouluêtre apaisé34. » Et encore dans le Missel de Gélase :« Que cette hostie salutaire soit l'expiation de nospéchés et notre propitiation devant votre Majestésainte35. » Tout est plein de semblables prières ; etc'est ce qu'enseigne saint Cyrille de Jérusalem,lorsqu'il dit dans son cinquième Catéchisme auxinitiés36, en leur expliquant la liturgie, qu'après

    34 Sabb. post Cin.35 Lib. III Sacr. R E. Miss., 10.36 Cyril., Cat., myst. V.

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  • avoir fait le corps et le sang de Jésus-Christ parl'opération du Saint-Esprit ; après avoir accomplile sacrifice spirituel et ce culte non sanglant, onfaisait sur cette hostie de propitiation les prières de toutle peuple, c'est-à-dire qu'on la chargeait de tousses vœux, comme étant la seule victime parlaquelle Dieu est apaisé, et nous regarde d'un œilfavorable. C'est par elle que nous attirons lesbienfaits de Dieu sur les vivants ; c'est par elle,continue le même Père, que nous « rendons Dieupropice aux morts ; » c'est par elle enfin que nousconsommons l'œuvre de notre salut. C'estpourquoi le prêtre dit dans le canon qu'il offre,« et que tous les fidèles offrent avec lui ce saintsacrifice de louange... pour la rédemption de leursâmes ; » non que ce soit là que Jésus-Christ l'aitopérée ou méritée, ou qu'il y paie le prix de notrerançon ; mais parce que le même qui l'a payé estencore ici présent pour consommer son ouvragepar l'application qu'il nous en fait.

    Ce n'est donc pas ici, comme vos ministresvous le faisaient croire, un supplément dusacrifice de la croix : ce n'en est pas uneréitération, comme s'il était imparfait : c'en est aucontraire, en le supposant très parfait, uneapplication perpétuelle, semblable à celle queJésus-Christ en l'ait tous les jours au ciel aux yeuxde son Père, ou plutôt c'en est une célébrationcontinuée : de sorte qu'il ne faut pas s'étonner sinous l'appelons en un [21] certain sens un

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  • sacrifice de rédemption, conformément à cetteprière que nous y faisons : « Accordez-nous, ôSeigneur, de célébrer saintement ces mystères,parce que toutes les fois qu'on fait lacommémoration de cette hostie, on exercel'œuvre de la rédemption37 ; » c'est-à-dire qu'enl'appliquant on la continue et on la consomme.

    Il ne faut donc point nous objecter que c'estici un sacrifice de commémoration, de louange,d'Eucharistie ou d'action de grâces, et non pointde propitiation. Car en avouant sans difficulté,comme nous faisons dans toutes les prières de laliturgie, que c'est un sacrifice d'action de grâces etde commémoration, c'est par là même que nousdisons qu'il est encore un sacrifice de propitiation,et pour ainsi parler d'apaisement, parce que le seulmoyen que nous avons d'apaiser Dieu et de nousle rendre propice, c'est de lui offrircontinuellement la même victime par laquelle il aété apaisé une fois, d'en célébrer la mémoire, delui offrir de justes louanges pour la grâce qu'ilnous a l'aile de nous la donner : c'est pourquoi encette occasion le sacrifice d'action de grâces etcelui de propitiation concourent ensemble ; d'oùvient aussi qu'il est appelé en cent endroits dansles secrètes, « une hostie d'expiation, d'apaisementet de louange : » HOSTIAS PLACATIONIS ETLAUDIS38 ; et que dans le lieu même du canon que37 IX post Pent.38 Fer. 4 post Dom. V Quadrag., etc.

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  • nous venons de rapporter, après l'avoir appelé unsacrifice de louange, on ajoute incontinent qu'onl'offre pour la rédemption de son âme.

    Vous pouvez juger maintenant s'il y a lieu dedouter de la présence réelle, ou du changement desubstance, dans les prières de la liturgie. Quand iln'y aurait autre chose que cette oblation quiapaise Dieu, que cette hostie propitiatoire, hostiaplacabilis, hostia propitiationis, c'en serait assez pourvous faire voir que ce ne peut être que Jésus-Christ même, n'y ayant plus pour nous une autrevictime que son corps et son sang. Mais laprésence en est marquée par tant d'autres choses,qu'il n'y a qu'à ouvrir les yeux pour l'apercevoir.

    Vous entendez aussi par même moyencomment on offre le pain et le vin. On les offre àla vérité, mais pour en faire le corps et le [22] sangde Jésus-Christ, comme on l'explique partout ;sans quoi ce pain et ce vin ne seraient pas unehostie d'expiation, ainsi qu'elle est appelée danstoute la liturgie.

    De cette sorte on ne voit pas la difficultéqu'on a pu trouver dans la secrète du jour deNoël, où l'on demande « que cette substanceterrestre nous donne ce qui est divin, » puisqu'eneffet c'était en substance du pain et du vin qu'onprésentait sur l'autel pour en faire ce qui est divin,c'est-à-dire le corps et le sang de Notre-Seigneur.En quoi le mystère de l'Eucharistie a quelquechose de semblable à celui de l'Incarnation,

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  • puisque dans l'un et dans l'autre ce qui est divinnous est communiqué par le moyen d'unesubstance terrestre, c'est-à-dire la divinité mêmede Jésus-Christ, par le moyen d'une chairhumaine, et cette chair où la divinité habite par lemoyen du pain qu'on emploie à la former, ainsiqu'il est expliqué dans cette prière. Et par lamême raison, il n'y a pas ombre de difficulté àdire que ce sacrifice est un sacrifice de pain et devin, parce qu'il se fait de l'un et de l'autre ; unsacrifice par conséquent selon l'ordre deMelchisédech, où l'on offre encore du pain et duvin, comme tous les Pères ont cru queMelchisédech avait fait, quoique Jésus-Christ y aitajouté son corps et son sang ; ce queMelchisédech n'a pas pu faire, étant juste que siJésus-Christ, qui est la vérité même, a quelquechose qui tienne de la figure, il ait aussi quelquechose où elle n'ait pu atteindre. C'est pourquoi aupain et au vin, qui sont la figure dans le sacrificede Melchisédech, il joint son corps et son sangqui sont la vérité même ; mais qu'il cache encoresous les apparences du pain et du vin dont il les afaits, afin que la vérité tienne toujours quelquechose de la figure qu'elle accomplit.

    Vous voyez donc que l'oblation du pain et duvin, qui se fait dans la secrète et dans toutes lesautres prières qui précèdent la consécration, n'estque le commencement du sacrifice ; ce qu’onexprime aussi par cette prière qu'on fait sur les

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  • dons aussitôt qu'on les a mis sur l'autel : « Venez,ô Dieu sanctificateur, tout-puissant et éternel, etbénissez ce sacrifice prépaie à votre saint nom ; »et on le marque encore par d'autres paroles dansles secrètes, en lui disant, comme on fait souvent :« Nous vous [23] offrons, ô Seigneur, ces hostiesqui vous doivent être dédiées, qui vous doiventêtre immolées, qui vous doivent être consacrées :DICANDAS, IMMOLANDAS, SACRANDAS39 ; » nonqu'elles ne soient déjà en un certain sens dédiées,immolées et consacrées dès qu'on les offre surl'autel ; mais parce qu'elles attendent uneconsécration plus parfaite, lorsqu'elles serontchangées au corps et au sang.

    Et vous voyez maintenant plus clair que lejour que cette immolation, cette consécration, cesacrifice est dans les paroles, par lesquelles le painest changé au corps et le vin au sang avec uneimage de séparation et une espèce de mort, ainsiqu'il a été dit. D'où il résulte que l'essence del'oblation est dans la présence même de Jésus-Christ en personne sous cette figure de mort,puisque cette présence emporte avec elle uneintercession aussi efficace que celle que t'ait Jésus-Christ dans le ciel, même en offrant à Dieu lescicatrices de ses plaies.

    Je ne prétends pas nier par là que l'oblationne soit aussi expliquée par d'autres actions du

    39 Secr. Fer. 3 post Dom. Pans. II. Secr. Fer. 5. It. Secr. SS. Primi et Feliciss.Martyrum.

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  • sacrifice : car par exemple, l'élévation de l'hostieest une marque de son oblation, sans préjudicedes autres raisons dont nous parlerons ailleurs :de la même manière que nous voyons dans leLévitique40 qu'on « levait devant le Seigneur » cequ'on avait dessein de lui offrir, et que même onle lui offrait par cette action : soit que ce fût lachair des victimes, ou que ce fût des pains et desgâteaux, ou les prémices des fruits de la terre.

    On réduisait autrefois la victime et lesgâteaux qu'on offrait à Dieu en petits morceaux41,et c'était une marque de l'oblation et du sacrificequ’on en faisait au Seigneur. C'est en ce sens quela fraction du pain sacré, soit qu'on la fasse pourla distribution, ou pour quelque autre raisonmystique, fait partie du sacrifice, en représentantJésus-Christ sous les coups, et son corps rompuet percé ; ce que les tirées désignent encore parune cérémonie plus particulière, en perçant lepain consacré avec une espèce de lancette, et enrécitant en même temps ces paroles del'Évangile : [24] « Un des soldats perça son côtéavec une lance42, » et le reste ;

    Je ne dispute pas de l'antiquité de cettecérémonie, non plus que de beaucoup d'autres : jeremarque seulement qu'elles servaient àl'immolation mystique de notre victime, en

    40 Levit., VIII, IX, XXIII, et Numer., V, etc.41 Levit., II, IX, etc.42 Joan., XIX, 44.

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  • représentant son immolation sanglante. Mais je nedois pas omettre une chose inséparable de cesacrifice, qui est la consomption de l'hostie. Nousavons dit que la consécration est une espèce decréation nouvelle du corps de Jésus-Christ par leSaint-Esprit : ce sacré corps y reçoit un nouvelêtre ; et c'est pour cela que saint Pacien, un saintévêque du quatrième siècle, célèbre par sadoctrine, appelait l'Eucharistie « lerenouvellement du corps : » Innovatio corporis43.Mais ce corps nouvellement produit ne l'est quepour être consumé, et pour perdre par ce moyence nouvel être qu'il a reçu ; ce qui est un acte devictime qui se consume elle-même en un certainsens, encore qu'en vérité elle demeure toujoursentière et toujours vivante.

    Surtout la consomption du sang de Notre-Seigneur présente à l'esprit une idée de sacrifice ;parce qu'on offrait les liqueurs en les répandant,et que l'effusion en était le sacrifice. Ainsi le sangde Jésus-Christ répandu en nous et sur nous en lebuvant, est une effusion sacrée et comme laconsommation du sacrifice de cette immortelleliqueur.

    C'est tout cela joint ensemble qui consommenotre sacrifice, très réel par la présence de lavictime actuellement revêtue des signes de mort,mais mystique et spirituel, comme je pense l'avoirdit ailleurs, où le glaive c'est la parole, où la mort43 Pacian., ep. I ad Symp.

    40

  • ne se remontre qu'en mystère, où le feu quiconsume c'est cet Esprit qui change, qui purifie,mais qui élève et qui perfectionne tout ce qu'iltouche et en fait quelque chose de meilleur.

    Après cela je ne pense pas qu'on ose vousdire que la présence réelle et le changement desubstance ne soit pas suffisamment expliqué dansles prières de la messe ; et afin de le mieuxentendre, comparez les autres prières de l'Égliseavec celles-ci. Elle bénit l'eau du baptême ; ellebénit le saint chrême et les saintes huiles dont elleoint les enfants de Dieu, pour leur imprimer en[25] diverses sortes le caractère de christs etd'oints de Dieu. Les prières dont elle se sert dansces bénédictions sont assurément de la premièreantiquité. Dans ces bénédictions on trouve bienque l'Église « consacre et sacrifie cessubstances44, » c'est-à-dire cette eau et ces huilesqu'elle bénit ; qu'elle les rend efficaces, et leurinspire une nouvelle vertu par la grâce du Saint-Esprit qu'elle invoque sur elles. On trouve mêmedans l'ambrosien, qu'elle « les élève et qu'elle lesanoblit ; » mais on ne trouve jamais qu'elle lesoffre à Dieu en sacrifice ; encore moins qu'elle leschange en quelque autre substance, ni qu'elleemploie pour les y changer la vertu toute-puissante du Saint-Esprit : ces expressions sontréservées pour l'Eucharistie. Ce qui montremanifestement que le changement qui s'y fait est44 Ordo Rom.

    41

  • bien d'une autre nature que celui qui se fait dansl'eau ou dans l'huile, qui n'est qu'un changementmystique et moral ; et que le mot de sacrifice y estemployé, non pas comme on le donnequelquefois à ce qui sert au culte divin, mais danscette étroite signification dont on se sert pourexprimer un vrai sacrifice.

    C'est ce qui devrait, il y a longtemps, avoirdécidé nos controverses. Car outre qu'il neconvient pas à l'Église chrétienne de n'avoir nonplus que les Juifs à offrir à Dieu que des ombreset des figures de Jésus-Christ, et que de là ils'ensuit qu'on doit y offrir, et par conséquent yavoir Jésus-Christ même : il faut encore ajouterque l'Église s'explique si clairement sur lechangement réel du pain et du vin au corps et ausang de Jésus-Christ, que ceux qui ont nié cechangement n'y ont trouvé d'autre remède que deretrancher tout d'un coup toutes ces prières.

    C'est ici que je vous prie d'observer unecontradiction manifeste de ces nouveauxdocteurs : car d'un côté ne pouvant nier que cesprières de nos liturgies ne soient très anciennes,de peur de nous laisser l'avantage d'y trouvernotre doctrine, ils vous ont dit, et ils tâchent depersuader à tout le monde qu'elles sont contrenous ; et de l'autre ils sentent si bien en leurconscience qu'en effet elles sont contre eux, qu'ilsn'ont osé les retenir, de peur qu'elles ne

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  • ramenassent tous les peuples à l'unité catholique.[26]

    Entendez ceci, Monsieur, et tâchez de le faireentendre à ceux qui s'endurcissent encore contrela foi de nos pères : le conte qu'ils débitent, c'estque la présence réelle a commencé à PaschaseRadbert, auteur du neuvième siècle. Or je dis qu'ilfaut avoir un front d airain, pour nier que cesprières ne soient plus anciennes. Car les auteursrenommés pour avoir travaillé aux Sacramentairesque nous avons produits, sont un saint Léon, unsaint Gélase, un saint Grégoire : c'est dans l'Églisegallicane, après un saint Hilaire, un Muséus, unSalvien, un Sidonius45 ; c'est dans l'Églised'Espagne, un Isidore de Séville, auteurs dont leplus moderne passe de plusieurs siècles PaschaseRadbert ; et le travail qu'ils ont fait n'a jamaistendu à rien innover dans la doctrine : on ne lesen a jamais seulement soupçonnés. Ils ontordonné l'office, réglé et fixé les leçons et lesantiphoniers : ils ont composé quelques Collectes,quelques Secrètes, quelques Postcommunions,quelques Bénédictions, quelques Préfaces, et celasans rien dire au fond qui fut nouveau : on ne lesattrait non plus écoutés que les autres novateurs,et le peuple aurait bouché ses oreilles. Tout cequ'ils composaient était fait sur le modèle de cequ'avaient fait leurs prédécesseurs ; le style mêmeressent l'antiquité, et les choses la ressentent45 Mabill., de Liturg. Gallic., lib. I, cap. IV, p. 27.

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  • encore plus : ainsi tout était reçu avec un égalapplaudissement, et les nouvelles prières faisaientcorps pour ainsi dire avec les anciennes, commeétant toutes de même esprit et de même goût. Etpour ce qui est du canon, on en a jugé toutes lesparoles d'un si grand poids, que la tradition aconservé les auteurs des moindres additionsqu'on y a faites ; et on sait par exemple, que c'aété saint Grégoire qui a ajouté ces paroles :Diesque nostros in tua pace disponas : « Afin que vousconduisiez nos jours dans votre paix. » On saitencore, pour ne pas omettre les autres parties dela messe, qui le premier a fait dire le Kyrie, qui lePater, qui l’Agnus Dei. Les ministres ont étésoigneux de marquer toutes ces dates, pensantconclure de là que la messe était un amas denouveautés et d'institutions humaines ; mais leurhaine les a aveuglée : car puisqu'on a remarquéavec tant de soin les changements les plusindifférents, combien plus [27] aurait-onremarqué les autres ? Or c'est ce qu'on ne voitpas : on ne nomme pas qui a ajouté ce qu'on ditpour l'oblation, ni pour la consécration, ni pour ychanger le pain au corps et le vin au sang : c'estdonc qu'on ne connaît point d'auteur de ceschoses ; c'est qu'elles sont plus anciennes quetous les changements qu'on sait, quoiqu'ils soientdéjà fort anciens, comme on a vu ; c'est qu'ellesne sont pas des additions, mais au contrairequ'elles sont le corps auquel le reste est ajouté ; et

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  • en un mot, qu'elles sont aussi anciennes quel'Église. C'est ce qui paraît encore par leconsentement de tous les rites, puisque ceschoses se trouvent également dans le rit grec,dans le romain, dans l'ambrosien, dans le gallican,dans le gothique ou l'espagnol, en un mot danstous les rites, comme on a vu ; et non-seulementdans les rites des églises catholiques, mais encoredans ceux des schismatiques ; et non-seulementdans ceux des Grecs séparés d'avec nous depuisquelques siècles, mais encore dans ceux deseutychiens et des nestoriens, séparés de nous etdes Grecs il y a douze cents ans : ce qui montreque tout cela ne peut venir que de la source.

    On pourrait encore alléguer le témoignagedes Pères, quand il n'y aurait que saint Cyrille etsaint Chrysostome, pour ne point parler desautres, où l'on trouve toutes les parties de lamesse, et mot à mot tout ce qu'on en a produit :mais il faut convaincre les hommes par quelquechose encore de plus palpable, et leur épargner lapeine de raisonner et d'examiner. Dites donc,Monsieur, à tous ceux qui vous alléguerontPaschase Radbert et la date de la présence réelleau neuvième siècle ; dites-leur que pour lesconfondre, non point par les Pères, ou par leshistoires, ou par aucune discussion, on leurmontrera, quand ils voudront, en beaucoup debibliothèques des volumes que tout habilehomme reconnaîtra pour être de neuf cents ans et

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  • mille ans d'antiquité, où on lit et le canon et lessecrètes que nous venons de produire : ajoutezque ces volumes sont copiés pour l'usage deséglises sur les volumes plus anciens : ajoutez queceux contre lesquels on s'est servi de ce canon etde ces prières, soit hérétiques ou autres, du tempsde Paschase ou de Bérenger46, en ont eux-mêmes[28] connu l'antiquité, et n'ont jamais seulementpense que ces prières fussent nouvelles ; etconcluez sans hésiter que ces pièces sont dumeilleur temps. C'est pourquoi vous avez vu queles ministres se sont crus obligés de les expliquer,et ensemble vous venez de voir qu'ils lesexpliquent si mal, qu'ils n'osent s'en servir : ilssont contraints d'en reconnaître l'autorité, tantelles sont anciennes, et néanmoins de les rejeter,tant elles leur sont contraires.

    Mais au fond toutes ces prières des liturgiesne sont autre chose qu'une explication de ce queles évangélistes et l'Apôtre ont dit en six lignes :Jésus prit « du pain en ses mains sacrées : il renditgrâces dessus, il le bénit ; » par ce moyen, disentles tirées dans leurs liturgies, « il le montrait à sonPère ; » car n'est-ce pas le lui montrer et le mettredevant ses yeux, que de rendre grâces dessus et dele bénir, connue il a fait ? Toutes les liturgiesexpliquent de quelle sorte il montrait au Père cepain qu'il tenait en ses mains : Celui, disent-ellestoutes d'un commun accord, « en levant les yeux46 Epist. Pasch. Radb. ad Frudeg., sub fin, Guitm. Et al., cont. Bereng.

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  • au ciel47. » Toutes les fois que Jésus bénissait, ourendait grâces, ou priait devant le peuple, nousvoyons la même action, et ses yeux ainsi levésvers son Père. Les églises ont entendu sur cefondement, et leur tradition l'a continue, qu'il fitla même chose en bénissant le pain : il en fitautant sur le calice, et montra ses dons à son Père,sachant ce qu'il en voulait faire, et lui rendantgrâces de la puissance qu'il lui donnait pourl'exécuter. Le Père qui le lui avait inspiré, et qui nevoulait pas qu'il épargnât rien pour témoigner sonamour aux hommes, regarda avec complaisanceces dons qui allaient devenir une si grande chose.En effet Jésus continue ; et soit en rompant cepain, soit après l'avoir rompu, il dit à ses apôtres :« Prenez, mangez ; ceci est mon corps. » Il leurprésenta la coupe, en leur disant : « Buvez-entous, ceci est mon sang. » Voilà ce qu'il voulaitfaire de ce pain et de ce vin. Il ne voulait pourtantpas qu'il y parût, puisque c'était un objet qu'ilpréparait à la foi. Il sait se montrer et se cachercomme il lui plaît ; et l'histoire des deux disciplesd'Emmaüs48, l'apparition à Marie49 et tant d'autresexemples de [29] son Évangile, nous font bienvoir qu'il sait paraître quand il veut sous unefigure étrangère, ou se montrer dans la siennepropre, ou disparaître tout à fait à nos yeux et

    47 Liturg. Jac, ibid. ; Marc, 37 ; Liturg. Rom., etc.48 Luc., XXIV.49 Joan., XX.

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  • passer même au milieu des troupes sans quepersonne le voie. Il n'avait pas besoin de semontrer en cette occasion ; car il savait que sesvrais disciples l'en croiraient sur sa parole ; et sonPère, à qui il présentait ce grand objet, savait bienpourquoi il y était, et pourquoi il y était caché ; etpour être caché aux hommes, il n'en était nimoins visible ni moins agréable à ses yeux.

    L'Église a présupposé que la parole de Jésus-Christ fut aussitôt suivie de son effet. Il se fit enun instant un grand changement : il paraissaitquelque chose, puisque Jésus-Christ disait :« Prenez, mangez, buvez. » Mais ce quelque chosen'était pas ce qui paraissait, puisqu'il disait : » C'estmon corps, c'est mon sang. » C'est une erreurinsensée de croire qu'ils le soient devenus eu leprenant, puisque Jésus-Christ disait : « Ceci est. »De sorte qu'il le fallait prendre, non point pour lefaire tel, mais au contraire parce qu'il l'était. Danscette présupposition, qui ne voit que ce corps etce sang étaient dès lors un objet, et leurconsécration une action par elle-même agréable àDieu ? Action où Jésus-Christ mettant son corpsd'un côté, et son sang de l'autre par la vertu de saparole, s'exposa lui-même aux yeux de Dieu sousune image de mort et de sépulture, l'honorantconnue le Dieu de la vie et de la mort, etreconnaissant hautement sa Majesté souveraine,puisqu'il lui remettait devant les yeux la plusparfaite obéissance qui lui eût jamais été rendue,

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  • c'est-à-dire celle de son Fils unique dévoué etobéissant jusqu'à la mort de la croix.

    Si cette action est une oblation et un sacrifice,il ne le faut plus demander, la chose parle ; etaussi nous avons vu que l'Église n'y a jamaishésité. Car cette idée d'oblation n'était pasdétruite par le commandement de manger et deboire, ni parce que les apôtres mangèrent etburent en effet aussitôt après la consécration. Caroù a-t-on pris que l'oblation et la manducationfussent choses incompatibles ? La loi avait desoblations et des sacrifices auxquels on participaiten les mangeant, n'y ayant rien en effet de plusconvenable que de consacrer, en l’offrant à Dieu,ce qui nous [30] devait sanctifier en le mangeant.Que nuisait à ce dessein que la consécration aitété si promptement suivie de la manducation,puisque très visiblement le temps n'y fait rien ?C'est assez que les deux actions soient siclairement distinguées, et que Jésus-Christ se soitexpliqué par Ceci est.

    Il n'en a pas usé de la même sorte de l'eau dubaptême. Encore qu'il en ait fait un sacrement, iln'a rien dit, ni rien fait qui nous montrât que l'eauqu'il y employait fut un sacrement hors del'usage ; encore moins a-t-il rien dit qui nous fitpenser qu'il en formât une autre substance ; en unmot, il n'a pas dit qu'elle lut son sang, bien qu'ellele représentât ; mais avant qu'on mangel'Eucharistie, il a déjà dit que c était son corps et

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  • son sang : l'image de sa mort y était déjàempreinte par sa parole, et c'est pourquoi il a dit :« Ceci est mon corps rompu, ceci est mon sangrépandu pour vous. »

    Ces mots nous donnent une vive idée desacrifice dans l'Eucharistie : car ils n'ont passeulement leur relation à la croix ; c'est encoredans l'Eucharistie que le corps de Jésus-Christ estdonné et rompu, et son sang répandu pour nous.Car il faut bien remarquer que ces mots : Donné etrompu, pour le corps, l'un dans saint Luc50, etl'autre dans saint Paul51 ; et ce mot : Répandu,pour le sang, leur conviennent également bien,tant à la croix que dans l'Eucharistie. Il convient,dis-je, à ce divin corps d'être donné pour nous àla croix, et même d'y être rompu, puisque c'estpour nous qu'il est percé et rompu de coups, etpour nous qu'il est livré à la mort ; mais cela luiconvient aussi dans l'Eucharistie : car il y estdonné à tous les fidèles, et par ce moyen il y estdistribué ; ce qui s'exprime dans la langue saintepar le mot de rompre, conformément à cetteparole : « Romps ton pain à celui qui a faim52 : »joint qu'on rompt ce corps sacré, comme on a vu,non-seulement pour le distribuer, mais encore enmémoire des coups dont sa sainte chair a étéfroissée. Pour le sang, il est bien visible que s'il a

    50 Luc., XXII, 19.51 I Cor., XI, 24.52 Isa., LVIII, 7.

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  • été versé en la croix, il coule encore dansl'Eucharistie sous la forme d'une liqueur. On voitdonc que notre Sauveur voulant donner la propresubstance de son corps [31] en deux états, l'un àla croix d'une manière sensible, l'autre dansl'Eucharistie d'une manière invisible et cachée ;pour exprimer la qualité, après en avoir nommé lasubstance, il a expressément choisi des termes quiconvinssent aux deux états : s'il avait dit, parexemple : « Ceci est mon corps mange. » cela neconviendrait pas au corps en la croix ; et s'il avaitdit : « Ceci est mon corps attaché à une croix, »cela ne conviendrait pas au corps en tant qu'il estdans l'Eucharistie. Il a donc choisi le mot dedonné, qui convient également à ce divin corps, etdans l'Eucharistie et à la croix, pour montrer quec'est partout le même : le même, dis-je, qui estaussi bien dans l'Eucharistie que dans la croix, etégalement donné dans l'une et dans l'autre en sapropre et véritable substance. J'en dis autant dumot de rompu, pour la raison qu'on vient de voir.Il en est de même du sang répandu, et ce qui couleencore dans notre calice est en substance la mêmeliqueur qui a coulé du sacré côté ; c'est a quoinous mène ce choix des paroles de Jésus-Christ ;et pour le mieux faire sentir, il n'a pas dit dans lefutur : « Ceci est mon corps ou mon sang, quiseront donnés ou répandus ; » mais selon le texteoriginal, dans le présent : « C'est mon corps quiest donné, qui est rompu, » ou « qui se donne et

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  • se rompt ; et c'est mon sang qui se répand ; »pour nous montrer qu'il était actuellement donné,rompu, répandu dans l'Eucharistie.

    Il est vrai que cette expression du tempsprésent a aussi sa relation à la mort qu'il vasouffrir ; car il était à la veille de son supplice, et ildisait dans la Cène même : « Le Fils de l'hommes'en va, comme il est écrit de lui53 ; » et deux joursauparavant : « Dans deux jours ce sera la Pâque,et le fils de l'homme es ! livre pour êtrecrucifié54, » comme porte l'original, à cause qu'ill'allait être ; et déjà il se regardait comme un mort,lorsqu'il disait du parfum qu'on avait répandu surlui, qu'on l'avait fait « pour l'ensevelir55. »l’combien plus forte raison dans l'institution del’Eucharistie devait-il dire de son corps et de sonsang, même par rapporta la croix, que c'était uncorps déjà immolé, et un sang déjà répandu,puisqu'il l'allait être, et que même il s'engageait de[32] nouveau et plus que jamais par cette action àl'immoler et à le. répandre ? Mais comme il avaitchoisi des mots qui pussent convenir à son saintcorps, tant à la croix qu'à l'Eucharistie, il en faitde même des temps ; et parlant en temps présent,il ne montre pas seulement sa mort prochaine,mais il montre dans son corps et dans son sang,en la manière dont ils étaient dans l'Eucharistie,

    53 Matth.. XXVI, 24.54 Ibid., 2.55 Ibid., 12.

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  • un caractère de victime dont ils étaientactuellement revêtus.

    Ce caractère est visible dans ces mots : pourvous ; car ce sont ceux dont se sert toutel'Écriture, pour montrer que la croix est unsacrifice où Jésus-Christ donne sa vie et verse sonsang pour nous. Ainsi l'action du sacrifice estmarquée dans l'Eucharistie, lorsque Jésus-Christdit lui-même, non-seulement que son corps nousy est donné, mais qu'il est donné pour nous ; et queson sang répandu pour nous à la croix, se répandencore pour nous dans cette action, et devantmême qu'on le boive, y paraissant sous la formed'une liqueur toujours prête à couler pour notresalut.

    Tout portait donc une idée de sacrifice dansla Cène de Notre-Seigneur ; et il n'y a point às'étonner si l'Église l'a si bien prise. Il ne fautpoint objecter que Jésus-Christ instituait unsacrement, et l'instituait pour manger et non pouroffrir ; ou qu'il instituait non un sacrifice, mais lacommémoration d'un sacrifice ; car la raison desacrement ne répugne point à celle de sacrifice,encore moins la manducation et lacommémoration : témoin, sans aller plus loin, lafête de Pâque, qui fut à la fois aux Hébreux unsacrement et un sacrifice ; une chose qu'on offraitet qu'on mangeait, comme tant d'autres hosties ;un sacrifice très véritable qu'on répétait tous lesans, et ensemble la commémoration d'un sacrifice

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  • par lequel le peuple de Dieu avait été délivré de lagrande plaie de l'Égypte.

    Rappelez ici en votre mémoire cette nuit sifuneste aux Égyptiens, où l'ange devait passerdans toutes leurs maisons pour en exterminer lespremiers-nés. Les Hébreux ne méritaient pasmoins d'être frappés que les autres ; « car tous ontpéché, et ont besoin de la bonté de Dieu56 ; » maisDieu les voulait épargner, et [33] les délivrer parun grand coup de la servitude de l'Égypte. Voussavez que pour cela il leur ordonna de sacrifier unagneau par chaque maison, de le manger, defrotter les portes de la maison de son sang : « Jepasserai, dit le Seigneur, et je frapperai tous lespremiers-nés des Égyptiens : mais quand je verraile sang à la porte de vos maisons, je passeraioutre, et je ne vous perdrai pas comme lesautres57 ; » au contraire, dès ce jour-là même voussortirez de la servitude, et l'Égypte sera tropheureuse de vous renvoyer en liberté. Voilà lesacrifice de la délivrance. Faut-il encore vousraconter comme Dieu ordonna qu'on lerenouvelât tous les ans ? En mémoire de cettenuit de la délivrance du peuple, on devait encoreimmoler un agneau, et encore en répandre lesang. Quoi ! est-ce que le Seigneur va passerencore une fois avec sa main vengeresse ? Pointdu tout, c'est une commémoration ; et cette56 Rom., III, 23.57 Exod., XII, 12 et seq.

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  • commémoration est comme l'autre un sacrifice,un agneau comme auparavant, et toujours dusang répandu en mémoire de la délivranceaccomplie, comme autrefois pour l'accomplir.

    Vous entendez bien, sans que je le dise, quele premier sacrifice, qui est la source et leprincipe, représente la mort de Jésus-Christ, etque les sacrifices qu'on répétait tous les ansreprésentent celui de l'Eucharistie, où parconséquent l'agneau et son sang doivent encorese trouver aussi véritablement que dans lepremier. Mais il ne sera pas dit que la vérité n'aitrien au-dessus de la figure. Il n'est pas permisdans le Nouveau Testament d'offrir mi autreagneau que Jésus-Christ. Ce sera donc ici unagneau, mais toujours le même. Cet agneau nepeut mourir qu'une fois : ainsi la seconde oblationne sera plus qu'une mort et une immolationmystique. L'agneau y sera néanmoins ; autrementla figure, qui doit être au-dessous de la vérité,serait au-dessus. Le sang y sera encore tout entier,et il sera répandu ; mais dune manière cachée etmystérieuse, pour appliquer à chacun ce qui a étéoffert pour tous une seule fois. Si avec l'agneau etson sang on trouve ici du pain et du vin qu'il fautconsacrer, et dont les espèces paraissent encore,c'est que Jésus-Christ a plus d'une figure à yaccomplir. Il faut qu'il accomplisse, disent tous lesPères, le [34] sacrifice de Melchisédech ; il fautqu'il accomplisse la figure, et des pains de

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  • proposition qu'on offrait à Dieu, et du vin donton lui faisait des effusions ; il faut même qu'ilaccomplisse les azymes qu'on devait manger avecl'agneau pascal comme avec les autres victimes ;et c'est une des raisons pourquoi l'Église latinesacrifie encore en azymes. C'est ici la pâque de lanouvelle alliance qui se célébrera, non pas tous lesans comme l'ancienne pâque, mais tous les jours ;et par la même raison que le baptême, qui estnotre circoncision, n'est comme la circoncisionqu'un sacrement, l'Eucharistie, qui est notrepâque, doit être et un sacrement et un sacrifice.

    C'était là, si nous l'entendons, cette pâqueque Jésus-Christ désirait tant de manger avec sesdisciples, ainsi qu'il le leur témoigne par cesparoles : « J'ai désiré d'un grand désir de mangercette pâque avec vous devant que de mourir58. »Cette pâque tant désirée par le Fils de Dieu n'étaitpas la pâque légale qui allait finir, que plusieurstiennent qu'il ne put manger cette année, ayant étélui-même immolé, en même temps qu'onimmolait la pâque ; qu'en tout cas il avait déjàmangée plusieurs fois avec ses disciples, et qui nepouvait pas être le dernier objet de ses vœux, aumoment surtout qu'elle allait être rejetée, commetous les autres sacrements de la loi, par la croix deJésus-Christ. L'objet véritable du Sauveur était lanouvelle pâque, qu'il allait donner à ses disciplesdans son corps et dans son sang, et qu'il devait58 Luc., XXII, 15.

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  • accomplir dans le royaume de son Père, lorsqu'ilserait par la claire vue la vie et la nourriture detous ses enfants. C'est donc ici une pâque et unsacrifice. L'Église l'a reconnu ; et c'est pourquoielle nous a dit dans une des prières de sa liturgie,que nous avons remarquée, que Jésus-Christinstitua au jour de la Cène un sacrifice perpétueloù il s'offrit lui-même le premier, et où il nousapprit à l'offrir.

    En effet, après qu'il s'y est offert à la manièrequ'on a vu, en disant : « Ceci est mon corps »encore une fois donné, et « mon sang » encoreune fois répandu pour vous, il continue et il dit :« Faites ceci. » L'Église a donc entendu qu'elledoit faire ce qu'il [35] a fait : elle prend du paincomme lui ; comme lui elle le bénit, et rend grâcesdessus : c'est ce que nous avons vu dans lesprières qu'elle fait sur l'Eucharistie ; comme luielle montre le pain au Père éternel, et le lui offrepour en faire bientôt après son propre corps. Elleentend bien que la bénédiction qu'elle fait dessusdoit passer à nous, et que c'est nous finalementqu'elle regarde ; mais elle entend aussi que le painlui-même est béni, comme le marqueexpressément l'Évangile59 ; que le calice est aussibéni, comme le marque saint Paul60 ; que labénédiction affecte, pour ainsi parler, le pain et levin ; qu'ils en sont sanctifiés ; qu'ils en sont59 Matth., XXVI, 26, etc.60 I Cor., X, 16.

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  • changés, puisqu'ils sont faits le corps et le sang :car c'est à l'extérieur la même chose, qui subsistepar conséquent dans ses dehors ; de sorte qu'ellen'est pas entièrement abolie, mais elle est changéeau dedans, et tout ceci c'est la source desexpressions que nous avons vues répétées danstoutes les liturgies. Tel est le sens de cette parole :« Faites ceci ; » mais elle mérite encore quelqueréflexion.

    Dans les premières paroles, Jésus-Christ a ditce que c'était que son oblation ; c'était du pain etdu vin devenus son corps et son sang ; dans lasuite : Faites ceci, il nous déclare que nouspouvons et devons faire ce qu'il a fait. Enfin dansces derniers mots : « En mémoire de moi, » ilexplique dans quelle intention il l'a fait et dansquelle disposition nous le devons faire. Ainsi parles premiers mots : « Ceci est mon corps, ceci estmon sang, » il dit ce que la chose est en elle-même et par la parole, indépendamment de nosbonnes ou mauvaises dispositions. Soyez bien oumal disposés, ce n'en est pas moins le corps et lesang ; car aussi saint Paul ne dit pas que lesindignes en sont privés, mais « qu'ils en sontcoupables61 : » il ne dit pas qu'ils ne le reçoiventpoint, mais « qu'ils ne le discernent point, » en lemangeant coin me une viande commune. Jésus-Christ ne dit pas aussi que sans la foi on ne reçoitpas sa sainte chair, mais « qu'elle ne sert de rien, »61 Ibid., XI, 27, 29.

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  • et que « ce qui vivifie » véritablement c'est« l'esprit62 » dont cette chair est toute remplie ;esprit auquel on ne participe qu'en ayant [36]aussi dans son esprit des dispositions semblablesaux siennes. Voulez-vous donc bien recevoirl'Eucharistie, joignez les deux choses, commeJésus-Christ les a jointes ; croyez que c'est lecorps et le sang, le corps donné à la croix, et lecorps encore donné dans l'Eucharistie, et demême du sang précieux ; et en le croyant ainsi,souvenez-vous de Jésus-Christ qui a livré soncorps pour vous, qui a versé son sang pour vous,c'est-à-dire qui est mort pour vous ; et célébrez lemystère de sa mort ; célébrez-le en l'offrant ;célébrez-le en le recevant : car vous devez suivreen tout son intention, et faire par conséquent enmémoire de sa mort la consécration aussi bienque la réception, puisque dès le moment de laconsécration l'Eucharistie porte en elle-même uneimage et une empreinte de cette mort.

    Ne nous arrêtons pas à cette chicane : S'il estprésent, ce n'est plus un mémorial ; d'autres quenous, et nous-mêmes nous y avons répondu centfois. Voilà la chair d'une victime qu'on a poséesur l'autel : O Juifs, souvenez-vous que c'est pourvous qu'elle a été immolée, et mangez-la commetelle et comme entièrement vôtre : c'est ce qu'onpouvait dire à l'ancien peuple ; et c'est en termesformels ce que Jésus-Christ a dit et dit encore62 Joan., VI, 64.

    59

  • tous les jours au peuple nouveau. Mais, dites-vous, je ne le vois pas, comme on voyait cettechair posée sur l'autel. Mais Jésus-Christ vous ditque c'est lui-même : n'est-ce pas assez pour unchrétien ? Si vous le voyiez, il n'aurait pas besoinde vous dire que c'est lui ; mais parce qu'on ne levoit pas, il craint qu'on ne soit assez ingrat pourl'oublier. Pourriez-vous croire que ce soit soncorps et son sang, et mettre dans votre esprit unsi grand prodige de l'amour et de la puissance duDieu incarné, si vous ne vous souveniez que celuiqui vous en assure est ce même Dieu tout-puissant qui a déjà l'ait pour vous tant demerveilles ? C'est ainsi qu'on se souvient de Jésus-Christ, et en même temps qu'on le croit présent.

    Quand on vous dit de le croire, on vous dittout le contraire de voir : ainsi croire présent lecorps du Sauveur pendant qu'on ne le voit pas,c'est se souvenir qu'il y est. Le Psalmiste qui ditque Dieu est partout, et le reconnaît présent aucouchant comme au [37] levant, et dans l'enfercomme dans le ciel63, ne laisse pas de dire encore :« Je me suis souvenu de Dieu64 ; » parce qu'il croitcette présence, et ne la voit pas : de sorte qu'ilsbesoin d'exciter son souvenir envers Dieu.Souvenez-vous de Jésus-Christ de la même sorte :croyez-le présent dès qu'il a parlé, quoique vousne le voyiez pas ; et commencez par l'offrir à63 Psal. CXXXVIII, 8.64 Psal. LXXVI, 4.

    60

  • Dieu dans l'Eucharistie, comme il