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16 1967-1969 Jean-Claude Woog Le paysage Oui, la charge était lourde. On n’imagine pas à quel point le paysage déontologique des années 1950 était austère. A cette époque, la discipline de l’avocat était ferme, très bonne pratique certes, mais les règles en étaient bien exiguës, comme en attestent quelques exemples. Nous ne pouvions pas recevoir l’adversaire. Nous ne pouvions pas nous rendre librement dans les administrations. Nous ne pouvions pas participer à toutes les phases de la vie des affaires. La liberté de se grouper était très restreinte. Les singulières techniques d’Eric Azoulay Eric Azoulay est un avocat de première ligne, compétent, talentueux et habile. Il a toujours su gagner les subconscients et je le soupçonne même d’émettre à ses heures perdues des ima- ges subliminales. Il nous a subtilement attirés en nous demandant de citer les moments forts de notre présidence et, aussitôt après, il a eu l’imprudence d’ajouter la référence à des anec- dotes marquantes. L’anecdote Ne conseillez donc jamais aux avocats de recourir aux anecdotes. Nous en avons fait le plein et c’est toujours l’hésitation qui saisit les enseignants face aux élèves des CRFPA ! Faut-il raconter nos histoires d’anciens combattants ou faut-il faire du droit ? Je m’efforcerai d’in- tercaler dans mes écrits quelques moments plus marquants sans être pathétique. Mes modèles J’eus pour prédécesseur immédiat Gérard de GUBERNATIS. Tout pouvait nous séparer. Le roturier rencontrait l’aristocrate. Ce dernier était un seigneur, fils de bâtonnier, issu d’une grande famille remontant au royaume de Savoie. Puis, sur le plan de l’idéologie, nous pou- vions aussi être marqués par quelques oppositions. Il affirmait volontiers qu’il avait trois maî- tres, Aristote, Saint-Thomas et Maurras. Comme j’ai le tempérament porté à la conciliation - pas à la médiation nenni ! - je lui consentis mon accord quant aux deux premiers seule- ment. Moyennant quoi j’ai trouvé en lui un maître de culture et d’esprit. Je lui dois beaucoup. Puisque j’ai pratiqué une incursion dans le domaine affectif, j’éprouve le besoin de célébrer quelques amis que j’ai eu le bonheur de connaître.

Jean-Claude Woog - Ancien Président de la FNUJA

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A l'occasion du Congrès 2004 de la FNUJA, son président Jean-Luc Médina avait pris soin de réunir le témoignage d'anciens présidents du syndicat. A l'époque, Jean-Claude Woog revenait sur son expérience.

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1967-1969Jean-Claude WoogLe paysage

Oui, la charge était lourde. On n’imagine pas à quel point le paysage déontologique desannées 1950 était austère.

A cette époque, la discipline de l’avocat était ferme, très bonne pratique certes, mais lesrègles en étaient bien exiguës, comme en attestent quelques exemples. Nous ne pouvions pasrecevoir l’adversaire. Nous ne pouvions pas nous rendre librement dans les administrations.Nous ne pouvions pas participer à toutes les phases de la vie des affaires. La liberté de segrouper était très restreinte.

Les singulières techniques d’Eric Azoulay

Eric Azoulay est un avocat de première ligne, compétent, talentueux et habile. Il a toujourssu gagner les subconscients et je le soupçonne même d’émettre à ses heures perdues des ima-ges subliminales. Il nous a subtilement attirés en nous demandant de citer les moments fortsde notre présidence et, aussitôt après, il a eu l’imprudence d’ajouter la référence à des anec-dotes marquantes.

L’anecdote

Ne conseillez donc jamais aux avocats de recourir aux anecdotes. Nous en avons fait le pleinet c’est toujours l’hésitation qui saisit les enseignants face aux élèves des CRFPA ! Faut-ilraconter nos histoires d’anciens combattants ou faut-il faire du droit ? Je m’efforcerai d’in-tercaler dans mes écrits quelques moments plus marquants sans être pathétique.

Mes modèles

J’eus pour prédécesseur immédiat Gérard de GUBERNATIS. Tout pouvait nous séparer. Leroturier rencontrait l’aristocrate. Ce dernier était un seigneur, fils de bâtonnier, issu d’unegrande famille remontant au royaume de Savoie. Puis, sur le plan de l’idéologie, nous pou-vions aussi être marqués par quelques oppositions. Il affirmait volontiers qu’il avait trois maî-tres, Aristote, Saint-Thomas et Maurras. Comme j’ai le tempérament porté à la conciliation- pas à la médiation nenni ! - je lui consentis mon accord quant aux deux premiers seule-ment. Moyennant quoi j’ai trouvé en lui un maître de culture et d’esprit. Je lui dois beaucoup.

Puisque j’ai pratiqué une incursion dans le domaine affectif, j’éprouve le besoin de célébrerquelques amis que j’ai eu le bonheur de connaître.

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Le chef de file, bien sûr, Henri DELMONT. Sans lui, rien ne serait. Il m’a enseigné le cou-rage et le sens de l’opportunité.

Puis ce fut celui qui m’a introduit à l’UJA et à la FNUJA, Albert ZURFLUH, sagacité et dis-crétion aux confins helvétiques, excellent juriste - mais oui, un avocat, déjà, pouvait êtrejuriste - il m’a entraîné, conseillé, montré la voie, à l’UJA, puis l’Ordre pour l’enseignement.J’entends encore ses métaphores qui faisaient florès. Ainsi, pour flétrir l’inaction : “C’estcomme les carabiniers d’Offenbach, qui dans les opérettes, disent toujours qu’ils vont tirer,mais qui ne tirent jamais”. Ou bien, pour se gausser de l’immobilisme il observait que “rienn’avait évolué d’Agamemnon à Louis-Philippe”.

Jean-Paul CLÉMENT, le plus présent des amis. A qui l’on pouvait se raccrocher les joursd’inquiétude, parce qu’il avait avis sur tout et parce qu’il est bienveillant. Une compétenceextrême en matière de franchisage. Une imagination rayonnante, une activité fertile et pas-sionnée, créatrice dans les domaines les plus variés.

Didier CAYOL qui, avant d’être aujourd’hui le maître des eaux, était spécialisé en procédure,en déontologie, en bons usages, aussi chaleureux que compétent et excellent stratège finan-cier à ses heures. Il l’est demeuré, dans toutes les instances professionnelles où il jouera unrôle si important.

Jean-Marie LELOUP, qui est le fondateur de l’université d’été, passionné d’enseignement, etqui, avocat largement internationaliste, savait faire oublier l’étendue de sa science par uneamitié toujours proche à l’affût de l’autre et aussi par une culture dont l’étendue ne cesse denous impressionner.

Pierre GATÉ, dont le mérite est d’avoir affronté plusieurs horizons, la médiation, les loisirs,la région, la nature. Il le prouve encore.

Claude CHAMBONNAUD avait dû se jurer de réussir ses entreprises, tout en se montrantodieux. C’est ce qu’il fit avec volupté, même avec ostentation et je le détestai aussitôt, autantque j’ai pu par la suite l’aimer et l’admirer. Un homme d’esprit, courageux, talentueux, créa-teur, qui serait même modeste à ses heures.

J’ai connu la rigueur juridique auprès de Pierre MOREAU, aujourd’hui personnage essentieldans le fonctionnement du Conseil national des barreaux.

Puis la rigueur des mœurs, incarnée par Bernard CAHEN, aux multiples facettes, moralisa-teur écouté, détenteur de la règle d’or et maître en gastronomie, orale et écrite, entre autrestalents.

La FNUJA a encore fourni d’autres bons produits.

J’entends d’abord faire référence à Paul-Albert IWEINS, notre bâtonnier bien aimé !

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II faut ensuite remarquer Edouard de LAMAZE, dont on fit un Délégué Interministérielaux Professions Libérales.

Parmi ceux qui ne sont plus, je citerai d’abord Alain CAILLE, lequel, sous des dehors bri-tanniques, nous regardait silencieusement, quelque peu ironiquement, étrange volcan quiparaissait éteint, pour à la fin projeter sa coulée de lave faite d’esprit et de compétence.

J’ai perçu la classe, chez Claude MONTIGNY.

La finesse de la stratégie, chez André BRUGUIÈRE.

Pierre-André RENAUD fut mon complice pendant de longues années. On nous comparaitvolontiers à De Gaulle et Pompidou. C’était l’époque. Et, comme Stuart Mill a constaté quel’homme croit ce qu’il craint ou ce qu’il espère, j’ai fini par ne pas rejeter trop brutalementcette comparaison. Sa souplesse faisait passer mon caractère trop souvent exécrable.Langage-portrait, une boutade toujours prête, il assassinait quelqu’un en toute sympathie, àtravers quelques secondes. Le retour au réalisme se faisait avec les mêmes méthodes. Nouspratiquions ensemble une stratégie qui ne fut pas innocente : nous feignions d’être crispésdans le désaccord le plus profond, le plus violent, pour faire admettre nos idées. Les autresvoulaient alors nous réconcilier. Notre montage fonctionnait très bien et, de guerre lasse, nosidées passaient.

Mon silence sur les autres ne doit pas être interprété comme une censure. Je les aime tous,pour autant qu’ils aient fait preuve de qualités humaines et professionnelles, d’amour, decourage et de dignité.

Un mot particulier, cependant, pour Xavier-Jean KEITA, qui m’a désigné comme parrain etcomme mascotte. Je suis très fier d’être mascotte. Jamais je n’aurais pensé que cela puissem’arriver.

L’odieux serpent de mer, Paris et province

Ma première réaction fut de tenter de lutter contre cet antagonisme que l’Histoire connaîtbien entre parisiens et provinciaux. Jean DESCAMPS m’avait dit un jour que j’étais le plusprovincial des parisiens. Propos bien lourd de signification, peut-être péjoratif après tout.

Quoi qu’il en soit, j’organisai d’abord une journée avec le si regretté Michel CRÉHANGE,aux confins de la Lorraine et de l’Alsace, Lorraine d’abord parce qu’il commençait toujourspar citer la Lorraine. Puis auprès de Pierre GATÉ à Angers. Puis de Michèle BESANÇON,à Besançon bien entendu.

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Un dîner pédagogique

L’une de mes épreuves les plus difficiles fut ma soirée à Nancy. Nancy a toujours été uneville très profonde, très sûre, mais aussi très froide. Michel SCHAMBER, Directeur duCRFPA, citait même l’anecdote de cet ancien bâtonnier qui rencontre dans un couloir l’unde ses confrères, lequel l’interpelle aimablement : “Justement je voulais vous voir. Eh bien,lui répondit-il, vous m’avez vu.”

Au cours de ce dîner j’évoquai les préoccupations qui m’étaient chères, notamment la spé-cialisation professionnelle. Je fus alors apostrophé par un de nos confrères nancéiens quiavait assurément bonne allure et qui me tint en quelque sorte ce langage : “Spécialité, ouais,rien d’intéressant. Nous savons tout. J’objectai timidement : Mais vous pouvez avoir à débat-tre devant un magistrat qui en connaît beaucoup plus que vous. Réponse : Les magistrats,ils ne savent rien. Enfin, dernière ressource, bien pauvre : et le client ? Le client, nous som-mes là pour le rassurer. Rentrez chez vous, ne vous faites pas de souci, faut-il lui dire.” Onne fait pas mieux en matière de repartie très spirituelle. A la réponse substantielle se substi-tue l’un de ces bons mots qui, puisant leur racine dans l’esprit dit esprit gaulois, font rire lesfoules et évincent la difficulté.

Lorsque j’écris ces lignes trente ans après, je me dis : Est-ce que je n’ai pas rêvé ? N’était-cepas là une méchante caricature de cet avocat de parade dont l’image nous faisait tant de mal ?Eh, bien, je l’ai supportée. Bien pis, personne, parmi les membres de l’UJA locale, ne s’étaitlevé pour me porter secours. Superbe blessure narcissique. 43 ans après, j’y pense encore.Mais quelle leçon aussi ! J’allais savoir tirer profit de l’expérience.

Les préliminaires des réformes

A l’époque, nos préoccupations essentielles étaient la spécialisation professionnelle, la parti-cipation à la formation professionnelle, l’organisation horaire de la justice, les groupementsd’avocats, dans lesquels, déjà, Philippe JACOB faisait recette à travers les polygones variésissus de ses figures complexes.

Mais, surtout, c’était l’époque du bouillonnement des réformes. De plus en plus, nos amisavoués avaient pu créer des monopoles, par exemple devant le juge des référés, pour intro-duire une procédure. Puis ils prenaient des libertés en écrivant dans les projets de jugement“Ouï maître x...”, avocat inconnu ou absent, pour montrer que l’avoué passait le dossier enl’absence d’avocat, lorsque la présence de ce dernier n’était pas absolument indispensable.En réalité, nous serions devenus à court terme des “barristers”, mais des “barristers” sansclients. La réforme des professions judiciaires était absolument nécessaire et urgente.

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Mai 1968

Puis il fallut traverser la tourmente de Mai 1968. Notre congrès était prévu pour mai. J’avaisà l’époque une collaboratrice de grande classe qui me dit par une après-midi ensoleillée“Permettez-moi d’emmener une de nos dactylos. Pourquoi faire ? Aux Champs Elysées,pour contester. Contester quoi ?” J’ai dû écarquiller les yeux. Enfin, j’ai compris que je n ycomprenais rien et que je n’étais pas dans le coup. C’était mai 1968. Je n’avais peut-être pasd’option politique bien précise, mais, ce beau jour de Mai, cela a commencé à se faire jour.Surtout, lorsque notre beau congrès, un an de travail, fut reporté. Je voulais, à tout prix, lemaintenir. L’UJA de Paris me résistait. Notre Bâtonnier aussi. Je dus m’incliner. Griefs quirelèvent sous doute d’un ordre subjectif !

C’était, il est vrai, l’époque où l’on entendait des choses merveilleuses, par exemple en ce jourinoubliable, où, devant 400 avocats en robe dans la bibliothèque, un de nos confrères eut lemalheur de dire “Les femmes”, pour s’attirer la riposte dont le souvenir demeure : “Moncher Confrère, il n’y a pas de sexe sous la robe”. Dont acte.

Je me montre néanmoins quelque peu ingrat envers cette agitation, parce que les événementsde mai devaient décider de notre sort, comme on va le voir.

Printemps 1968

Un nouveau ministre, dont je n’ai jamais oublié la chaleur, l’humanité, l’agilité spirituelle,René CAPITANT et son directeur de cabinet ROZIER. Je fus convoqué devant le Gardedes Sceaux, accompagné, bien entendu, de l’inévitable Pierre-André RENAUD. Moi toutseul, devant le des Sceaux ! Inimaginable à mes propres yeux. Je lui exposai les difficultés denos procédures et je lui fournis comme modèle l’assignation à jour fixe. Nous avons faillil’obtenir. Mais, pour mettre en place l’institution, il manquait, à l’époque, à Paris, un juge, ungreffier et une secrétaire. Cependant, la procédure fut nettement améliorée et les décrets de1971 le prouvèrent bien.

La psychopathologie des prérogatives

Nous avons continué nos travaux sur la réforme. Il existait à l’époque un groupementinnommé, comportant le Bâtonnier de Paris, la Conférence des bâtonniers, l’associationnationale des avocats, l’ANA, devenue CNA, et moi. Je m’efforçais de tenir ma place, maisj’avais souvent le sentiment de découvrir ce que j’ai appelé plus tard la psychopathologie desprérogatives “C’est moi qui ai vu le premier le Garde des Sceaux. Mais c’est moi qui, ai vule premier le Président de l’Assemblée nationale”. Cela me rappelait certaines scènes célè-bres du film Le dictateur, lorsque Benito Mussolini et Adolph Hitler, dans le salon de coif-fure, élèvent peu à peu leur fauteuil respectif pour être le plus élevé des deux.

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La réforme

Grande réforme, qui engloberait les conseils juridiques ? Petite réforme, limitée aux profes-sions judiciaires ?

Certes, si à l’époque nous avions eu la grande réforme, il ne serait pas né une organisationstructurée de conseils juridiques. En revanche, est-ce que la profession était mûre à cette fin ?

Nous eûmes déjà assez de difficultés à faire admettre dans les faits ce que l’on appelait lapetite réforme, c’est-à-dire la réforme de l’unification des professions judiciaires, avocats,avoués et agréés.

Puis on créa des commissions. J’étais assurément très impressionné. Et puis il me fallut par-ler. Cet homme qui parlait, était-ce bien moi ? N’y-avait-il pas là un étrange dédoublementde la personnalité ? Le Président de la FNUJA qui parlait, et moi qui l’écoutais ? Comme onle dit, trop commodément, la fonction crée l’organe.

La durée de la présidence

Ces deux années, passées sous le signe de Mai 1968, puis des réformes, avaient aspiré nosforces vives.

C’est là que la sagesse et la conscience du devoir de nos successeurs, le souci de leurs actions,la prise en compte de leur disponibilité, entraîna notre décision de faire réduire la durée dela présidence à une année.

Un défi qu’il fallait relever

C’est à cette occasion que je dus après cela relever un défi, au cours d’une des périodes lesplus exaltantes de mon cursus FNUJA et de ses suites. On entendait souvent à l’époque,mais ce mal a en partie disparu, “ah oui, l’UJA, des beaux parleurs, des poètes, des douxrêveurs mais incapables de réaliser ce qu’ils ont imaginé.” J’étais assurément concerné. Maisau-delà de moi, je pensais bien que j’avais la charge de soutenir nos couleurs et de chassercette réputation de jeunes bavards fantaisistes.

Je suis obligé de m’en référer sur ce point déjà, au centre de formation professionnelle.

Notre cher bâtonnier Bernard BAUDELOT me dit : “Woog, ... la procédure, vous connais-sez, n’est-ce pas, vous pouvez nous faire une assignation-type du modèle classique et uneassignation-type à jour fixe. Puis, comme vous entretenez des relations amicales avec PierreBellet, Président du tribunal, demandez-lui donc son avis”. C’est ce que je fis en quelquesjours, et un peu tremblant, j’allai voir Pierre BELLET, qui réunit sur-le-champ neuf magis-trats spécialisés et ce furent les neuf chapitres du Livre de Procédure de l’Ordre et du Centre,

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rapidement dénommé, en raison de sa couleur, Livre noir. Pendant six mois, grâce à uneéquipe extraordinaire qui marqua ici le vrai sens de l’effort commun qui animait des avocats,des avoués et des juges. Que de conscience, d’intelligence créatrice, et d’amour de son pro-chain !

Juin 1972

Le Livre noir était prêt. C’est a posteriori que j’ai encore mieux saisi la passion et l’affectionqui peuvent animer un groupe bien soutenu. Oh ! Assurément, je connaissais un peu déjà laprocédure. Néanmoins, je puis vous affirmer que, au sortir de l’expérience, il y avait au moinsun bénéficiaire, c’était moi. Mais la profession fut rassurée. Nous avions relevé le défi. Nousavions tenu le pari. L’honneur de l’UJA était sauf.

C’est ici que, dans le même mouvement, j’ai continué mon articulation sur la formation pro-fessionnelle. Je pris l’habitude d’initier nos confrères aux pratiques de la réforme, tâcheencore plus passionnante.

L’honneur de l’UJA était sauf. Mais, allons, il est temps pour moi de ranger cet ego récur-rent et honteusement tenace !

Une confession, confidentielle bien entendu

Le souci d’authenticité nous invite à ne pas nous en tenir aux faits qui nous honorent. Or,je dois une confession. Trente années après, c’est peut-être après tout prescrit.

C’était au congrès de Colmar, en 1972. A la soirée de clôture se trouvaient deux dames,inconnues de moi. Elles étaient peut-être belles. Mais je n’en ai aucun souvenir. Je me rap-pelle seulement qu’elles se trouvaient là en robe de soirée, très dignes, très élégantes.

Voilà que l’un de nos confrères se mit à les asperger d’eau, tenant à sa main une bouteillemenaçante d’eau de Vittel. Je lui demandai courtoisement de bien vouloir cesser ce jeu. Maisc’était peu après 1968 et tout était permis, n’est-il pas vrai ?

Comme notre confrère était insensible à mes demandes, que pouvais-je faire ? Un référé ?Mais il n’ y a pas de référé dans un restaurant des Vosges, pas plus qu’ailleurs. Ne pouvantsupporter un tel spectacle, j’attrapai le congressiste en question par la cravate. Derrière lui setrouvaient deux vantaux, qui se situaient dans une ouverture donnant apparemment accèsaux cuisines.

Je l’ai jeté contre les deux vantaux et il a atterri dans les cuisines. J’avoue que, sur le moment,j’ai craint de l’avoir blessé. Mais, une fois que je l’eus aidé à se relever, j’ai pensé que cela avaittout de même été le seul moyen concret d’assurer notre dignité.

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Aussi, je ne regrette rien. Que l’on oublie ce western, couvert par l’amnistie. Le contenu cesanecdotes saura-t-il satisfaire Eric AZOULAY ?

La vie spirituelle

Les anecdotes, toutefois, ne suffisent pas.

Nous avions aussi des activités annexes, telles que les colloques, les rencontres les publica-tions.

J’eus la joie de contribuer à la naissance de la Revue de l’UJA. Cette magnifique invention del’UJA de Paris se répandit dans plusieurs villes de province. Nous perdions là encore, peu àpeu, la trace de ce conflit Paris Province qui revient trop souvent comme une si perfideantienne.

Le rayonnement de la FNUJA

La FNUJA, c’est plus que l’instant présent. Elle engendre une idéologie commune, un désird’action et elle suscite des amitiés durables. Elle secrète notre foi et notre volonté d’essaimerdans les réseaux les plus divers qui garantissent la sauvegarde et l’essor de notre profession.

La FNUJA est un creuset pour les Conseils de l’Ordre, pour les Carpa, pour les activitésdiverses des avocats.

L’apport permanent de la présidence de la FNUJA

Plus particulièrement, dans les CRFPA, j’ai retrouvé nombre de nos amis, dont Jean-PaulCLÉMENT et Philippe COVILLARD. Ils n’ont pas ménagé leur peine pour construire cetteformation, si nécessaire, si difficile. D’autres exemples, ceux-ci contemporains, sont ceux deGeorges PÉRIDIER et de Xavier CIRADE qui, respectivement aux CRFPA de Montpellieret Versailles, maintiennent notre idéal avec ardeur et perspicacité.

La présidence de la FNUJA, c’est plus qu’un moment de ma vie. C’est une construction demon existence, qui a collé à ma peau comme j’ai adhéré au personnage. Des années après,on me dit : “Ah ! Mais n’est-ce pas vous qui étiez le président de la FNUJA ?” Ainsi, j’aipeut-être fabriqué d’autres choses dans mon existence, mais c’est la FNUJA dont on se sou-vient et j’en suis fier. Pourquoi ? Parce que la présidence de la FNUJA a été pour moi l’ou-verture, le socle, le moteur, la motivation.

Ce sont cette fonction et cette activité qui n’ont pas cessé de m’habiter. Je n’oublie pas lesamis que je m’y suis faits. Je n’oublie pas tout ce que je dois à ma profession, et, plus parti-culièrement, à cette présidence. Qu’ai-je fait pour les autres ? Ils le diront. Ils ont fait pourmoi. Ici, c’est moi qui proclame, parce que j’en suis seul juge.

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La rançon et l’amitié

Mais, la présidence de la FNUJA, c’est aussi quelquefois un poids qu’il faut supporter. J’airencontré, comme tout un chacun, de nombreuses difficultés parce que certains voulaients’affranchir de moi ou tout au moins atteindre mes pouvoirs et mes initiatives.

Bien entendu, lorsqu’on rencontre une difficulté, on a tendance à chercher un alibi. Nousdevons savoir admettre que nous pouvons avoir -et c’est heureux- des ennemis, des adver-saires, du moins des personnes qui ne partagent pas notre opinion.

Mais, parfois, l’opposition a pour origine des facteurs idéologiques et tel est bien le cas icidans la mesure où je me suis rendu compte qu’à travers moi, même des années après, on envoulait encore à l’UJA d’avoir conduit son action. Nous avons assumé.

C’est là que nous retrouvons toujours le sens de notre amitié. Je n’aime pas l’emploi de l’ad-jectif confraternel parce qu’il recouvre des devoirs hétérogènes et parfois imaginaires. Jen’apprécie pas davantage le terme solidarité, parce qu’il a été employé pour soutenir un zèlepolitique, connotation à laquelle je n’adhère pas toujours.

Mais, ici, j’ai apprécié la présence et l’action de tous nos amis qui m’ont aidé à faire front. Cesoutien, nous le devons aujourd’hui, avec bonheur, à Jean-Luc MEDINA, objet de notreinfinie confiance.