24
JEAN-FRANÇOIS BENOIT le dernier jour d Adolf ROMAN

JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

  • Upload
    others

  • View
    16

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

© A

lex

Paill

on

Né à Montréal en 1973, Jean-François Benoit

est animateur de radio depuis plus de 20 ans.

Quand il n’a pas le nez plongé dans un bouquin,

il compose des chansons douces-amères et fait

la cuisine pour ses quatre enfants. Le dernier

jour d’Adolf est son premier roman.

Berlin, 1942. Le jeune Kurt Goldstein fuit l’Allemagne

en compagnie de sa sœur. Leur famille a été massacrée

par les nazis et ils doivent quitter le pays pour survivre.

Soixante-dix ans plus tard, Goldstein vit en Amérique et

dirige le Conseil, une organisation secrète d’une grande

puissance. Autrefois utopiques, les voyages dans le

temps sont devenus possibles. L’ancien soldat d’élite

Julian Patrick se voit confier par le Conseil une mission

unique : assassiner Adolf Hitler, chancelier d’Allemagne

et plus grand criminel de l’histoire de l’humanité.

Modifier le cours des événements se révélera pour

Patrick une tâche complexe, aux conséquences

insoupçonnées. Peut-on vraiment refaire l’Histoire ?

Couv

ertu

re :

Loui

se D

uroc

her

Phot

o : J

ulia

Mar

ois

JEAN-FRANÇOIS

BENOIT

JEA

N-F

RA

OIS

BE

NO

ITl

e d

er

nie

r j

ou

r d

’Ado

lf

le dernier jour

d ’AdolfR O M A N

COUV_DernierJourAdolf_FINAL.indd 1 2/26/2014 10:59 AM

Page 2: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

l i jle dernier jour

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 3MEP_DernierJourAdolf 1.indd 3 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 3: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

03-14

© 2014, Recto-Verso, éditeurCharron Éditeur inc.,une société de Québecor Média

Charron Éditeur inc.1055, boul. René-Lévesque Est, bureau 205Montréal, Québec, H2L 4S5Téléphone : 514-523-1182

Tous droits réservés

Dépôt légal : 2014Bibliothèque et Archives nationales du Québec

ISBN 978-2-924259-60-3

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC – www.sodec.gouv.qc.ca

L’Éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec pour son programme d’édition.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouver-nement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Éditrice-conseil : Pascale MorinInfographiste : Louise DurocherRévision : Élyse-Andrée HérouxCorrection : Sylvie Gourde

DISTRIBUTEURS EXCLUSIFS :

Pour le Canada et les États-Unis :MESSAGERIES ADP*2315, rue de la ProvinceLongueuil, Québec J4G 1G4Téléphone : 450-640-1237Télécopieur : 450-674-6237Internet : www.messageries-adp.com* filiale du Groupe Sogides inc., filiale de Québecor Média inc.

Pour la France et les autres pays :INTERFORUM editisImmeuble Paryseine, 3, Allée de la Seine94854 Ivry CEDEXTéléphone : 33 (0) 1 49 59 11 56/91Télécopieur : 33 (0) 1 49 59 11 33Service commandes France MétropolitaineTéléphone : 33 (0) 2 38 32 71 00Télécopieur : 33 (0) 2 38 32 71 28Internet : www.interforum.frService commandes Export – DOM-TOMTélécopieur : 33 (0) 2 38 32 78 86Internet : www.interforum.frCourriel : [email protected]

Pour la Suisse :INTERFORUM editis SUISSECase postale 69 – CH 1701 Fribourg – SuisseTéléphone : 41 (0) 26 460 80 60Télécopieur : 41 (0) 26 460 80 68Internet : www.interforumsuisse.chCourriel : [email protected] : OLF S.A.ZI. 3, CorminboeufCase postale 1061 – CH 1701 Fribourg – SuisseCommandes :Téléphone : 41 (0) 26 467 53 33Télécopieur : 41 (0) 26 467 54 66Internet : www.olf.chCourriel : [email protected]

Pour la Belgique et le Luxembourg :INTERFORUM BENELUX S.A.Fond Jean-Pâques, 6B-1348 Louvain-La-NeuveTéléphone : 32 (0) 10 42 03 20Télécopieur : 32 (0) 10 41 20 24Internet : www.interforum.beCourriel : [email protected]

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 4MEP_DernierJourAdolf 1.indd 4 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 4: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

JEAN-FRANÇOIS

BENOÎT

l j

R O M A N

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 5MEP_DernierJourAdolf 1.indd 5 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 5: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

« Et moi, je vous prédis solennellement que cet homme exécrable entraînera notre nation vers des abîmes de déshonneur [...]. Les générations futures vous maudiront dans votre tombe pour ce que vous avez fait. »

Erich Ludendorff, général en chef des armées allemandes pendant la Première Guerre mondiale, de 1916 à 1918, s’adressant au maréchal -président Von Hinderburg, en réaction à l’arrivée d’Adolf Hitler à la chancellerie allemande en 1933.

(Ian Kershaw. Hitler, tome I, Flammarion, 2000.)

« The only truly dead are those who have been forgotten. »

Proverbe juif

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 6MEP_DernierJourAdolf 1.indd 6 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 6: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

À Karine, mon amour, ma lumière

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 7MEP_DernierJourAdolf 1.indd 7 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 7: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

9

Prologue

Je rêve de chairs blanches.

De ces chairs molles et fl asques, désertées par la vie, emmêlées les unes aux autres dans le désordre lugubre de cette boucherie. Un bras par-ci, une jambe par-là, une nuque teintée de gris plus loin.

Les rêves de monsieur Goldstein.

Peut-on rêver les rêves des autres ? Les rêves sont-ils transférables d’un individu à un autre ? Peut-on, à force de parler avec quelqu’un, à force de le fréquenter et de l’écouter replonger dans ses souvenirs, avoir accès à sa mémoire, à son passé, à ses angoisses ? Peut-on rêver à sa place ? Ou alors, avec lui ? Cette folle aventure qui s’annonce, fi nancée par monsieur Goldstein et ses associés, fait naître en moi des pensées et des rêves qui ne sont pas les miens. Ce sont ceux d’un homme, d’une famille, d’un peuple.

Je rêve aussi d’odeurs.

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 9MEP_DernierJourAdolf 1.indd 9 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 8: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

10

Ce qui se dégage de ces cauchemars est indescrip-tible. Cette montagne de bras, de jambes, de torses sans tonus. Ces cheveux entremêlés, brun, blond, gris, noir, et les côtes de ces cadavres, mon Dieu, ces côtes qui veulent se détacher des corps, s’élever vers le ciel, fuir le plus loin possible, c’est atroce. Tous ces morceaux d’hu-mains sans ancrages libèrent des effl uves qui envahissent mes pensées nocturnes et s’accrochent à moi au réveil.

Il faudra bien m’y faire. Je plongerai bientôt dans cette célèbre horreur du passé. Concrètement. Devant moi se dresseront sous peu les artisans de cette diabo-lique débâcle. Me reviennent en mémoire les paroles d’André Malraux sur les camps de concentration : « Pour la première fois, l’homme a donné des leçons à l’enfer. »

L’Holocauste. Les nazis. Les camps.

Il est de ces projets qui nous semblent pure fabu-lation à l’origine. On ne les considère même pas telle-ment ils sont farfelus, incongrus, improbables. En premier lieu, c’est ce que je pensais du projet Schädel-bohrer (littéralement, perceur de crâne) quand on me l’a dévoilé. Vous ne me ferez pas avaler cel a, leur ai-je dit. Pas question.

Mais c’était avant. Avant de voir les photos, les images. Avant qu’on ne me présente les preuves démon-trant hors de tout doute que ce qu’on avançait était possible. Tout ce que j’avais appris, toutes mes certi-tudes, ma foi dans la science et le concret, la logique, tout ça et tant d’autres choses encore venaient de se désintégrer dans mon esprit. Je rêve de chairs blanches. Le Troisième Reich m’attend. Demain, Hitler sera mort.

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 10MEP_DernierJourAdolf 1.indd 10 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 9: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

11

Chapitre premier

Boston, MassachusettsSix mois avant le jour 1 de l’opération Schädelbohrer

L’Interstate 93 était étrangement tranquille ce jour-là, je m’en souviens maintenant. Habituellement, la circulation s’intensifi ait à Somerville, mais à quelques kilomètres de Boston, sur cette autoroute à huit voies, bien peu de voitures roulaient sur le bitume. Parti de Montréal tôt en matinée, je m’étais arrêté en Estrie avant de traverser la frontière, à Fitch Bay, pour visiter mon vieil oncle Jacob, le frère cadet de mon père. Ses conseils étaient les bienvenus à chacune des étapes de ma vie, faciles ou pas, heureuses ou non. Cette mission n’allait pas faire exception à la règle, malgré l’avertisse-ment clair des agents en poste à Montréal qui m’avaient bien spécifi é de ne rien dire à personne, absolument per-sonne. Comme j’en savais de toute manière très peu, je me convainquis que ma brève visite était inoffensive. Depuis mes débuts dans les services de renseignement,

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 11MEP_DernierJourAdolf 1.indd 11 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 10: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

12

et maintenant à titre d’enquêteur privé, il me fallait tou-jours l’aval, la caution morale de mon oncle avant de me lancer dans quoi que ce soit.

— Goldstein, tu dis ? Un juif de Boston ? me demanda Jacob.

À son air perplexe, je voyais bien qu’il ne croyait pas un mot de ce qu’on m’avait raconté. Le prétexte de ma convocation dans la capitale du Massachusetts m’apparaissait aussi nébuleux, mais ce n’était pas la première fois que je recevais une commande fl oue. Dans ce cas-ci, on parlait d’assurer la sécurité lors du trans-port d’une œuvre d’art de grande valeur entre l’aéroport Logan et Hyannis Port, Cape Cod. J’avais rendez-vous dans une vaste demeure de Beacon Hill, près de Louis-burg Square. Rien de moins. Ce quartier en est un de petits bourgeois, avec des cottages et des maisons de briques qui vous font penser à l’Angleterre. Le square est la zone la plus chic du secteur, paraît même que l’an-cien candidat à la présidence John Kerry y possède une résidence. On y croise une foule BCBG adepte de pro-duits bios, d’huile d’olive importée (extra-vierge pressée à froid) et de vins fi ns français. Des gens ordinaires, quoi.

— Jamais entendu parler de ce type-là… Il tra-vaille dans quoi déjà ?

Lui-même agent du MI6 pendant une trentaine d’années et proche collaborateur du FBI et de la CIA, mon oncle Jacob passait les longues heures de sa retraite à boire du vin rouge, regarder pousser son ail et parler au téléphone avec d’anciens collègues auprès desquels il œuvrait à titre de consultant. Un gars bien renseigné. Je

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 12MEP_DernierJourAdolf 1.indd 12 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 11: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

13

tenais son fl air et son jugement en haute estime. Jacob avait occupé une place importante dans ma vie depuis la disparition de mon père. En mission en 1985 à Cuba, Andrew Patrick, mon paternel, s’était volatilisé une nuit, laissant en plan les contacts avec qui il devait tran-siger. On avait retrouvé ses papiers d’identité ensan-glantés près du célèbre restaurant El Aljibe dans le quartier Miramar. Vol suivi d’un meurtre, avaient résumé les loquaces autorités cubaines.

— Marchand d’art ? Pfff… Ça ressemble à une grosse couleuvre, ça, mon gars !

Alors que mon père avait tenté sa chance en Amérique, mon oncle ne s’était jamais vraiment fi xé nulle part. Originaire de Londres, Jacob demeurait un fi er serviteur de la Reine, mais estimait que la tranquil-lité du Canada était plus appropriée à sa condition de retraité. Il avait trouvé refuge dans les Cantons de l’Est, près de la frontière américaine. Toute sa vie durant il avait énormément voyagé, tant pour ses fonctions au MI6 que par intérêt personnel. La Californie dans les années 1960. L’Asie ensuite (Viêt-nam, Laos, Hong Kong, Surinam). L’Afrique du Sud, le Gabon, la Suède, même le minuscule Liechtenstein (un pays étonnant, assez peinard, disait-il avec son habituel demi-sourire qui nous faisait toujours nous demander : me prend-il pour un con ?).

— Tu me tiendras au courant. D’ici là, je vais tenter de me renseigner auprès de vieux amis. Je me souviens par contre de ce juif, un vieux marchand retors de la Suisse il me semble… Une bête sauvage, un vrai malade, ce type, réputé pour négocier ses contrats

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 13MEP_DernierJourAdolf 1.indd 13 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 12: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

14

armé à la fois d’un stylo et d’un tournevis. Une copine à moi, antiquaire de son état, avait eu le malheur de le croiser un jour au TEFAF, la gigantesque foire d’objets d’art de Maastricht. Elle était rentrée de son voyage traumatisée par le personnage. Il les avait menacés, son partenaire d’affaires et elle, de leur couper un doigt à chaque millier de dollars qu’ils tentaient de négocier sur le prix de leur transaction avec lui. Et ce n’était pas du bluff. Ils l’avaient vu engueuler un autre acheteur qui se montrait un peu trop diffi cile. Quand les choses s’étaient corsées, il avait planté son tournevis dans la main de l’autre en hurlant : « Ça suffi t ! Vous me prenez pour un Rothschild ou quoi ? » C’était une putain de brute. Vrai-ment pas commode comme interlocuteur. Il trafi cotait dans le monde des arts. Il s’appelait Rubenstein, cepen-dant. Enfi n, je n’en suis pas tout à fait sûr, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était…

Il se servit un autre verre de rouge. Château Rauzan -Ségla Margaux 1995. Oncle Jacob avait tou-jours eu des goûts simples.

— Goûte, mon garçon, ça ressemble au paradis.

— Non merci, je vais bientôt reprendre la route.

— Bien. Sois prudent, tu te rappelles que ton père m’a chargé de ta sécurité…

— … physique, mentale et fi nancière !

— Voilà ! Ce n’est pas parce que tu fais six pieds et que tu as trente-cinq ans que je vais renier ma pro-messe ! Surtout que tu travailles maintenant dans le privé. Le boulot est plus risqué, on a moins de protec-tion. Mais c’est pas mal plus payant, pas vrai ?

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 14MEP_DernierJourAdolf 1.indd 14 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 13: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

15

Jacob me souriait, mais je voyais bien que quelque chose le tracassait dans mon histoire. Il prit une olive Kalamata et me regarda droit dans les yeux en jetant le noyau sur l’herbe verte.

— Son nom déjà, à ton juif de Boston ?

— Goldstein. Kurt Goldstein. Un marchand d’art spécialisé dans les tableaux hollandais, je crois, ou quelque chose comme ça.

Son visage se rembrunit. Il caressa délicatement sa coupe de rouge, comme s’il craignait de fendre le verre. Sa voix, d’ordinaire si vive, se fi t toute douce, comme s’il redoutait quelque menace.

— Je vais te demander une chose : observe bien ce Goldstein, et s’il a besoin d’une canne pour se déplacer, si sa jambe droite te semble raide, fi gée, et que ce type a un regard froid comme le téton d’une sorcière, fuis, mon garçon ! Fuis, et ne regarde jamais derrière toi !

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 15MEP_DernierJourAdolf 1.indd 15 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 14: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 16MEP_DernierJourAdolf 1.indd 16 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 15: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

17

Chapitre 2

Le rendez-vous de Boston

J’avais toujours les paroles de Jacob en tête alors que je tentais de trouver une place de stationnement sur Pickney Street près de Louisburg Square. Pas facile… Quand j’avais demandé des explications à mon oncle concernant ses réticences, il s’était fermé comme une huître, se bornant à marmonner quelque chose sur l’Eu-rope des années 1970 et sur une organisation ou un clan très secret qui travaillait dans l’ombre. Tout cela man-quait de clarté, mais je n’avais pas le temps de m’en formaliser. Le contrat m’intéressait, ne serait-ce que du point de vue fi nancier. On m’avait versé cinq mille dol-lars comptant pour assister au rendez-vous préliminaire. Et que j’exécute le contrat ou non, cet argent était à moi. Il s’agissait, avais-je précisé lors du premier contact, de mon tarif de base pour une consultation. Je bluffais un peu, bien entendu, mais ils n’avaient pas discuté mes conditions. Pas mal, fi nalement, pour une balade sur la

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 17MEP_DernierJourAdolf 1.indd 17 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 16: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

18

côte Est. Si ça ne se passait pas comme je le désirais, mon plan était déjà décidé : une chambre à Cambridge et une virée au Red Hat, taverne centenaire que je fré-quentais autrefois.

Après vingt minutes, j’avais enfin trouvé un espace libre près de l’adresse que l’on m’avait transmise. À peine avais-je effl euré la sonnette du 143, Pickney Street qu’un aimable domestique nommé Daniel m’ou-vrait la porte de la vaste demeure et me faisait passer au salon. Cette pièce avait trois fois la taille de mon appar-tement de Montréal et possédait deux immenses foyers.

— Mettez-vous à votre aise, me dit-il dans un français fort acceptable, les invités seront là d’une minute à l’autre.

Les invités ? Moi qui croyais avoir rendez-vous seulement avec Goldstein… Je parcourus la biblio-thèque de l’endroit pour passer le temps. Le comte de Monte-Cristo, Lettres à un jeune poète, Le nom de la rose, L’attrape-cœurs, et à peu près tout ce qui s’est publié sur la Deuxième Guerre mondiale, les livres de Ian Kershaw, Karl Dönitz, John Toland, Antony Beevor, Albert Speer et j’en passe. Même Mein Kampf s’y trou-vait, bien en évidence. Je saisis un exemplaire fatigué de Cent ans de solitude et m’installai dans un des invitants fauteuils de cuir. Un calme quasi mortuaire régnait en ces lieux, comme si le temps s’était fi gé pour laisser place à un silence à la fois apaisant et troublant.

— Garcia Márquez ? Voilà un choix judicieux !

Je ne l’avais pas entendu arriver. Un homme de grande taille, jeune, épaules carrées et regard intense. Le

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 18MEP_DernierJourAdolf 1.indd 18 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 17: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

19

modèle que l’on imagine en garde du corps de chef d’État. Ou en champion de ski de fond norvégien. Blond, le visage lisse comme un œuf et une gueule aussi carrée qu’un coffre à outils. Allure tranquille, décon-tractée, mais l’œil vif, en alerte, sensible aux détails. Hans Grönemeyer, assistant de monsieur Kurt Goldstein. Je le détestai tout de suite.

— Je suis son secrétaire, son recherchiste, son chauffeur ; je repasse même ses chemises à l’occasion.

— Julian Patrick, détective privé. Je repasse mes chemises moi-même.

Grönemeyer me souriait aimablement de sa den-tition parfaite, façon Tom Cruise. Je savais, par habi-tude, qu’il m’examinait et allait bientôt passer aux tests d’usage. Cet entretien préliminaire, c’était la première ligne, le point où on séparait la lie de la crème. Si mes réponses ne satisfaisaient pas son patron (qui nous regardait probablement à l’instant même par l’entremise d’un système interne de caméra), je repartirais pour Montréal dans les prochaines minutes. Le domestique viendrait nous annoncer, d’un air contrit, que monsieur Goldstein était malheureusement retenu avec le gouver-neur, le maire ou Paul Revere, tant qu’à y être, et qu’il faudrait reporter notre rencontre à une date ultérieure.

— Vous savez que Castro compte parmi ses amis ? me dit-il en montrant du doigt le bouquin de Márquez, toujours entre mes mains.

Littérature pour débuter donc, question de s’échauffer l’esprit. Allons-y, Grönemeyer. On va s’amuser.

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 19MEP_DernierJourAdolf 1.indd 19 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 18: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

20

— Un ami ? Plus que ça, il me semble ; un admi-rateur serait plus juste, lui dis-je en rangeant le classique à sa place. Mon vieux professeur d’espagnol Santiago Arbina m’a un jour expliqué que Garcia Márquez voyait en Castro une réincarnation du libertador Simon Bolivar, le héros mythique d’Amérique latine. La sym-pathie du señor Marquez pour les mouvements révolu-tionnaires ne s’est jamais démentie avec le temps. Il a aussi financé certains groupes politiques nés de ces insurrections. Alors quand l’argent parle, vous savez ce que cela signifi e…

Sourire en coin. Touché. Il prit place dans le fau-teuil en face du mien en ouvrant son iPhone. Ses souliers cirés étincelaient tellement que j’avais envie de remettre mes Ray-Ban.

— Je vois ici que vous habitez Montréal depuis six ans. Vous avez la citoyenneté française par votre père et canadienne par votre mère. Carrière dans la GRC et le SCRS avant de vous lancer à votre compte comme privé il y a un an. Je me demande, pourquoi vivez-vous au Canada ?

— C’est un pays paisible, vous savez, d’une tran-quillité presque cadavérique. Si on confère à la Suisse le qualifi catif de neutre, j’opterais pour celui d’anonyme en ce qui concerne le Canada. On dirait une nation qui se fond dans le paysage. Mais cela m’importe peu, j’aime bien la discrétion. Dans mon métier, ça vaut de l’or. Montréal est une métropole fantastique, différente, d’une vitalité vraiment inspirante. Mais quand même très calme. Ça me change de Paris, cette ville de fous où j’ai résidé quelques années.

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 20MEP_DernierJourAdolf 1.indd 20 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 19: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

21

— Québec, la province rebelle ! Est-ce que la séparation est pour bientôt ? Monsieur Goldstein s’inté-resse beaucoup à la politique. Et en bon francophile, il garde un œil sur la situation au Canada.

— Je doute que cela se fasse de mon vivant.

— Pourquoi donc ?

Grönemeyer avait l’air vraiment intéressé. Pour ma part, même si cette question m’ennuyait au plus haut point, j’avais fi ni par me forger une opinion sur mes concitoyens et leur soi-disant projet national.

— Il y a tant de raisons pour ne pas faire les choses… Le peuple du Québec est un peuple d’adapta-tion, pourrait-on dire. C’est autant un compliment qu’une critique. Au xviie siècle, on a envoyé des Français dans cette forêt sans fi n pour affronter les Amérindiens, les animaux sauvages et l’hiver terrible… Un cauchemar, je vous dis. Et un choc dès le départ. La domination des Anglais a suivi, puis celle du clergé, des décennies durant. Beaucoup d’adversaires coriaces et d’obstacles pour cette nation naissante, qui n’en est pas encore devenue une. Un peuple admirable dans sa durabilité et sa résilience, mais un peuple d’adaptation.

— Ce qui signifi e ?

— Écoutez, c’est assez simple ; ce peuple porte en lui les défauts de ses qualités, point à la ligne. Il a su s’adapter à tout, comme je vous le disais : au climat, aux pires humiliations, à la pauvreté, à l’ignorance, et j’en passe. Il saura encore le faire à l’avenir, mais ne com-battra jamais pour rien. C’est l’analyse que j’en fais. Le Québec est comme ça. L’adaptation, oui, mais en aucun

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 21MEP_DernierJourAdolf 1.indd 21 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 20: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

22

temps l’initiative. On parle essentiellement ici de la dif-férence entre être en mouvement et regarder le train passer, en se disant qu’il va de toute façon revenir et que notre inertie est sans conséquence. Ce qui n’est pas le cas, bien entendu.

Je le vis sourire et chercher dans sa mémoire, les yeux levés vers le plafond, une réplique pertinente à ma fi ne analyse de trois minutes.

— « Un peuple sans âme n’est qu’une vaste foule… »

À mon tour de sourire. Il connaissait ses clas-siques français, ce con. Moi aussi.

— Lamartine avait bien raison, dis-je en hochant la tête en guise de respect, heureux que mon père se fût obstiné à me faire lire les grands auteurs de l’Hexagone. Le peuple du Québec n’est qu’une vaste foule, en effet. Mais on vit bien là-bas. La France ne me manque pas.

Daniel arriva sur le fait avec un plateau de rafraî-chissements. Eau gazeuse, soda, Samuel Adams, bou-teille de sauvignon blanc.

— Vous avez soif ?

Hans me regardait avec l’air confi ant et assuré de l’homme qui se sent sur la bonne voie. Plus tard, je com-prendrais que chaque mot, chaque geste que faisait Grönemeyer étaient calculés, pensés, réfl échis et que ses paroles n’étaient jamais innocentes. Même quelques mois après cette rencontre, quand mes mains se serre-raient autour de sa gorge tandis que je l’étranglerais, même à ce moment, il prononcerait des mots longue-ment mûris.

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 22MEP_DernierJourAdolf 1.indd 22 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 21: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

23

Après réfl exion, j’optai pour la bière. Pendant que Daniel versait la Sam Adams dans un verre, Gröne-meyer poursuivit la discussion.

— Monsieur Goldstein est un homme particulier, très raffi né, d’une culture hors du commun, me dit-il en remerciant le domestique. Il a beaucoup lu, a énormé-ment voyagé, partout sur la planète. Vous savez, il avait à peine trente ans et sa fortune était déjà considérable. Le temps jouait en sa faveur à l’époque. Ainsi, il a pu plonger dans tout ce qui l’intéressait, absolument tout ! Une chance inouïe, si vous voulez mon avis. Donc, après avoir tant vécu, ses intérêts se sont épurés pour ne laisser place qu’à trois ou quatre passions qui l’occupent – ou l’obsèdent ! – depuis vingt-cinq ans.

Hans fi t une pause et but une petite gorgée de Perrier. Ses yeux ne me quittaient pas. La bonne humeur polie du départ s’était évanouie, laissant place à une mine plus grave, plus sérieuse. Le jeu passait à un autre niveau.

— Les tableaux des maîtres hollandais font partie de ces passions. Monsieur Goldstein se réveille parfois le matin et saute dans le premier avion à des-tination d’Amsterdam simplement pour aller s’asseoir devant La ronde de nuit au Rijksmuseum. Et il revient à Boston le jour même. Mon patron voue une admiration sans bornes à Rembrandt. C’est son peintre fétiche. Il a également appris, dans un autre registre, à aimer le hockey sur glace à son arrivée en Amérique il y a trente ans. C’est un spectateur assidu des matchs des Bruins. Il apprécie beaucoup ce sport, bien qu’il n’y ait jamais joué. Un intérêt que je comprends mal, mais bon…

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 23MEP_DernierJourAdolf 1.indd 23 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 22: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

24

Enfi n, une autre grande passion de monsieur Goldstein est l’histoire, la Seconde Guerre mondiale en particulier.

— J’ai cru remarquer plusieurs bouquins sur le sujet, dis-je en savourant la bière.

— En effet, peu de publications à ce propos ont échappé à son attention. Et vous comprendrez qu’en tant que juif qui a perdu beaucoup d’êtres chers durant le confl it, son intérêt est intellectuel, mais aussi émotif.

Grönemeyer fi t encore une pause. J’entendais maintenant des voix dans une salle attenante ; plusieurs personnes y discutaient, haussant parfois le ton. L’assis-tant de Goldstein reprit la parole.

— Les gens qui discutent de l’autre côté parlent de vous. Ils se demandent s’ils peuvent vous faire confi ance, si vous êtes la personne indiquée pour le tra-vail difficile et délicat que nous avons à accomplir. Détrompez-vous tout de suite, il n’y a pas de transport d’œuvre d’art au menu. Ce n’était qu’un prétexte pour vous convoquer. Le boulot dont il est question ici est hors norme et concerne l’intérêt particulier de monsieur Goldstein pour la guerre de 1939-1945.

Je l’observai en silence, sans bouger. Il me jau-geait, peut-être pas encore tout à fait convaincu de ma compétence pour leur mandat. Pourtant, ma réputation d’agent était irréprochable et mes états de service par-laient d’eux-mêmes. J’avais mené une carrière fruc-tueuse dans les services de renseignement. Ma forte personnalité en avait évidemment bousculé quelques-uns (on avait l’habitude de dire que j’étais le genre de type qui bouillait à basse température), et je reconnaissais

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 24MEP_DernierJourAdolf 1.indd 24 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 23: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

25

volontiers m’être fait quelques ennemis sur les sentiers de mes succès. Cela en effrayait plusieurs. On me qua-lifi ait à l’occasion d’élément ingérable, souvent impré-visible. Était-ce cela qui le faisait hésiter ? Ou bien y avait-il autre chose qui accrochait dans ce mystérieux projet ? Ça commençait à m’intéresser drôlement… J’optai pour la tactique « je m’en balance si vous ne voulez pas de moi », hyper effi cace en fi n de négocia-tion. La pinte de Samuel Adams à la main je me levai, pris une dernière gorgée et, en la déposant sur une petite table basse, murmurai à l’endroit du secrétaire-garde du corps-repasseur de chemises de monsieur Goldstein :

— Vous connaissez mon profi l et mes capacités. À vous de décider si cela vous convient. Mais faites-le rapidement ; je ne suis pas le genre d’homme à attendre le retour de la comète de Halley.

Grönemeyer me fixa avec intensité. Le doute l’habitait toujours, mais devant mon apparente impa-tience, il se devait de prendre une décision. La sonnerie de son iPhone annonça l’entrée d’un SMS qu’il regarda aussitôt. Après un moment, il reprit la parole en sou-riant. C’était gagné.

— Avant d’aller rencontrer votre futur employeur, laissez-moi vous raconter comment un groupe spécial appelé Le Conseil a décidé de passer à l’action il y a huit mois, avec ce qu’on appelle aujourd’hui la mission Schädelbohrer…

MEP_DernierJourAdolf 1.indd 25MEP_DernierJourAdolf 1.indd 25 2/26/2014 10:37 AM2/26/2014 10:37 AM

Page 24: JEAN-FRANÇOIS JEAN-FRANÇOIS BENOIT

© A

lex

Paill

on

Né à Montréal en 1973, Jean-François Benoit

est animateur de radio depuis plus de 20 ans.

Quand il n’a pas le nez plongé dans un bouquin,

il compose des chansons douces-amères et fait

la cuisine pour ses quatre enfants. Le dernier

jour d’Adolf est son premier roman.

Berlin, 1942. Le jeune Kurt Goldstein fuit l’Allemagne

en compagnie de sa sœur. Leur famille a été massacrée

par les nazis et ils doivent quitter le pays pour survivre.

Soixante-dix ans plus tard, Goldstein vit en Amérique et

dirige le Conseil, une organisation secrète d’une grande

puissance. Autrefois utopiques, les voyages dans le

temps sont devenus possibles. L’ancien soldat d’élite

Julian Patrick se voit confier par le Conseil une mission

unique : assassiner Adolf Hitler, chancelier d’Allemagne

et plus grand criminel de l’histoire de l’humanité.

Modifier le cours des événements se révélera pour

Patrick une tâche complexe, aux conséquences

insoupçonnées. Peut-on vraiment refaire l’Histoire ?Co

uver

ture

: Lo

uise

Dur

oche

r

Phot

o : J

ulia

Mar

ois

JEAN-FRANÇOIS

BENOIT

JEA

N-F

RA

OIS

BE

NO

ITl

e d

er

nie

r j

ou

r d

’Ado

lf

le dernier jour

d ’AdolfR O M A N

COUV_DernierJourAdolf_FINAL.indd 1 2/26/2014 10:59 AM