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Jean-Marcel LÉARD avec la collaboration de Sébastien MARENGO Grammaire sémantique modulaire Catégories lexicales, référence, prédication Module I: les catégories lexicales Chapitre 4: l’adverbe Août 2014 http://www.usherbrooke.ca/catifq/recherche/projets/en-cours/grammaire-semantique-modulaire/ © Centre d’analyse et de traitement informatique du français québécois (CATIFQ), 2014. Tous droits réservés. Dépôt légal et ISBN: en attente.

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Jean-Marcel LÉARD avec la collaboration de Sébastien MARENGO

Grammaire sémantique modulaire Catégories lexicales, référence, prédication

Module I : les catégories lexicales Chapitre 4 : l’adverbe

Août 2014

http://www.usherbrooke.ca/catifq/recherche/projets/en-cours/grammaire-semantique-modulaire/

© Centre d’analyse et de traitement informatique du français québécois (CATIFQ), 2014. Tous droits réservés.

Dépôt légal et ISBN : en attente.

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Table des matières

Chapitre 4. L’adverbe ............................................................................................................................................... 5 1. Le domaine .................................................................................................................................................... 5

1.1 Une partie du discours ou un fourre-tout ? ............................................................................................ 5 1.2 Les propriétés de base de la partie du discours ADV ............................................................................. 6 1.3 Les exclus ............................................................................................................................................. 8

1.3.1 L’exclusion des circonstants ...................................................................................................... 8 1.3.2 L’exclusion des spécifieurs de quantité ..................................................................................... 9 1.3.3 L’exclusion des marqueurs d’ajustement référentiel ............................................................... 10 1.3.4 L’exclusion des « adverbes » de phrase ................................................................................... 11 1.3.5 Bilan ........................................................................................................................................ 13

1.4 Organisation interne de la partie du discours ...................................................................................... 13 1.4.1 Des adverbes non lexicaux ? .................................................................................................... 13 1.4.2 Le plan du chapitre : adverbes et adverbiaux ........................................................................... 14 1.4.3 Bilan ........................................................................................................................................ 16

2. Les adverbes ................................................................................................................................................ 16 2.1 Les adverbes intégrés .......................................................................................................................... 16

2.1.1 La forme générale prototypique associée au V ........................................................................ 16 2.1.2 Quelques ADV compatibles avec l’ADJ ..................................................................................... 27 2.1.3 Proformes, formes indéfinies et comparaison.......................................................................... 29

2.2 Les adverbes détachés ......................................................................................................................... 32 2.2.1 Les ADV détachés dont l’ARG1 est agissant absent .................................................................. 33 2.2.2 Les ADV détachés comparatifs dont l’ARG1 est agissant absent .............................................. 39 2.2.3 Les ADV détachés dont l’ARG1 est parler sous-jacent.............................................................. 42

3. Les adverbiaux ou formes adverbialisées .................................................................................................... 45 3.1 Les adverbiaux avec le verbe .............................................................................................................. 45

3.1.1 L’adverbial de manière-instrument .......................................................................................... 45 3.1.2 L’adverbial prédicat1 portant sur le sujet : une montée catégorielle en syntaxe ...................... 47 3.1.3 Un adverbial prédicat1 portant sur le CD ? ............................................................................... 50

3.2 Les adverbiaux avec le verbe et l’adjectif ........................................................................................... 51 3.2.1 Les adverbiaux de contrôle ...................................................................................................... 51 3.2.2 Les adverbiaux de cause .......................................................................................................... 54

3.3 Des adverbiaux prédicats1 avec l’adjectif ? ........................................................................................ 57 4. Bilan ............................................................................................................................................................ 57

4.1 Une catégorie précise et incontournable ............................................................................................. 57 4.2 Les conséquences................................................................................................................................ 58

Références ........................................................................................................................................................ 59

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Chapitre 4

L’adverbe

1. LE DOMAINE

1.1 Une partie du discours ou un fourre-tout ? Dans la tradition, l’adverbe est un “mot invariable qui modifie un verbe, un adjectif ou un autre adverbe”. Cette définition morphologique et syntaxique soulève trois problèmes : ‒ le critère morphologique (mot invariable) est peu discriminant car il vaut pour plusieurs autres

catégories (PRÉP, coordonnants, marqueurs discursifs…) ; ‒ l’adverbe accepte plusieurs niveaux et porte sur les trois autres parties du discours (catégories

lexicales) associées de façon prototypique à un niveau (V et ADJ dépendent du N) et secondai-rement à elles-mêmes (un V-référentiel dépend d’un V, un N-référentiel dépend d’un N) ;

‒ l’inclusion de l’ADV dans sa propre définition (“l’adverbe modifie un autre adverbe”) présente un risque important tant qu’il n’est pas défini avec précision.

Un critère syntaxique a été proposé pour rendre la partie du discours homogène : l’ADV porte sur une relation. En apparence, cela unifie la catégorie mais l’ADV est alors sans noyau, son champ s’ouvre et devient sans limite et son statut reste différent de celui des trois autres catégories lexicales, définies par leur interdépendance réciproque. En outre, certaines classes d’« adverbes » ne répondent pas à ce critère syntaxique de dépendance utilisé pour définir l’ADV : l’« adverbe » de liaison détaché (de plus, enfin…) ne porte pas sur une relation mais l’établit ; l’« adverbe » d’opinion (oui, non, si) est l’équivalent d’une P. D’autres « adverbes » ont des emplois où ils portent sur un N ou un PRÉDÉT (Léa aussi, dix environ).

Aucun trait sémantique n’est retenu pour créer la partie du discours adverbe et la sémantique n’intervient que pour créer des classes (temps, lieu, manière ; affirmation, négation, quantité, relation logique, liaison, opinion ; « adverbe » interrogatif, exclamatif, modal…). Le nombre et l’ordre des classes varient et elles se recoupent : l’« adverbe » interrogatif est un « adverbe » de temps, de lieu, de manière ou de quantité ; l’« adverbe » de temps est un « adverbe » de quantité (fréquence, durée) ; l’« adverbe » modal est un « adverbe » de quantité… Il faut réduire ces classes et les regrouper autrement, ce que la sémantique permet de deux façons : ‒ en rapatriant certains éléments dans un ensemble déjà établi. Ainsi les « adverbes » de temps et

de lieu maintenant, ailleurs, ici sont, comme les GP à midi, sur le mur, des circonstants. Tous jouent le même rôle sémantique (ils portent des repères spatio-temporels) et ont la même syntaxe. Simplement, certains se présentent sous forme de mot parce qu’un mécanisme particulier de repérage est en cause : ils sont comparatifs, anaphoriques ou embrayeurs mais il ne va pas de soi que cela transforme un circonstant en « adverbe » ;

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‒ en créant d’autres ensembles. Dans la perspective traditionnelle, il est cohérent de considérer que assez, trop et environ, exactement ou même sont des « adverbes » de quantité quand ils portent sur le V, l’ADJ et l’ADV. Mais il portent aussi sur des N (peu d’amis, même Léa) et sur des PRÉDÉT (dix environ) et il faut faire un choix : élargir encore la catégorie « adverbe » ou faire des regroupements sur une base plus sémantique.

Un rassemblement nébuleux de mots invariables est acceptable et commode dans une tradition grammaticale centrée sur la morphologie (en fait, l’orthographe). Mais tout observateur lucide doit se demander ce que doucement, hier, très et environ, très différents en syntaxe et en sémantique, ont en commun en dehors de l’invariabilité. Malgré le flou et les incohérences, divers cadres théoriques récents, du guillaumisme à la grammaire générative, n’ont guère cherché à préciser l’étiquette adverbe et à en limiter l’usage. Apparemment (mais justement) désemparés devant la difficulté de la tâche, les auteurs des deux principales études sur l’ADV en français (Guimier 1996 ; Molinier et Levrier 2000) ont fait le choix peu stimulant de capituler et de délimiter un domaine de travail en retenant un critère morphologique manifestement insatisfai-sant : la dérivation en -ment.

Nous proposons de remodeler la catégorie « adverbe » et de la scinder (adverbes, circonstants, SPÉC-de-quantité…) pour construire une catégorie qui ne soit pas un fourre-tout et dont les éléments partagent au moins quelques comportements syntaxiques et un trait sémantique. L’ADV a un statut précis au sein des parties du discours (N, V, ADJ) et cela exige que beaucoup d’éléments dits « adverbes » soient écartés de la catégorie. Il faut donc reprendre le débat à la base et, comme les exclus sont étudiés ailleurs de façon approfondie, il suffit ici d’un regard rapide mais méthodique qui exploite chacun des critères dans l’ordre habituel (morphologie et SPÉC ; distribution et compatibilités ; complémentation ; sémantique).

1.2 Les propriétés de base de la partie du discours ADV L’ADV est invariable, c’est-à-dire sans flexif, mais d’autres catégories le sont aussi. D’autre part, même si presque tous les ADV sont dérivés d’un ADJ au moyen du suffixe -ment, il existe des ADV non dérivés (bien, mal et vite) ; à l’inverse, plusieurs mots en -ment dérivés d’ADJ (certainement, complètement, heureusement) ne sont sans doute pas des ADV car ils sont particuliers sur plusieurs points (distribution, complémentation, sémantique). Par ailleurs, la plupart des ADV sont compatibles avec des SPÉC-de-quantité qui les précèdent (1).

(1) Léa répondu très lentement et trop faiblement.

L’ADV est souvent intégré à la P et y accepte plusieurs positions : dans le SV (2a), après le (S)V devant le CD ou le CI (2b) et après le CD ou le CI (2c). Il peut en général être détaché en tête de P ou après le sujet (3a) mais la P doit être assertive (3b) et elle est généralement positive (3c). Il peut aussi être clivé (4a, b).

(2)a Léa est vite venue, a attentivement vérifié le contenu et a spontanément offert son aide. (2)b Léa est venue vite, a vérifié attentivement le contenu et a offert spontanément son aide. (2)c Léa a vérifié le contenu attentivement et offert son aide spontanément.

(3)a {Bizarrement / Courageusement}, Léa a accepté. / Léa, courageusement, a relevé le défi. (3)b *Courageusement, Léa a-t-elle accepté ? / *Courageusement, avance. (3)c {Bizarrement / ?Courageusement}, Léa n’a pas relevé le défi.

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(4)a C’est spontanément que Léa a offert son aide. (4)b C’est {attentivement / rapidement / ?vite} que Léa a vérifié le contenu.

La tradition caractérise l’ADV par son niveau syntaxique (niveau 3 ou 4) : l’ADV porte sur un V, un ADJ ou un autre ADV. Mais il est probable que, selon la catégorie et donc le niveau, la nature de la dépendance change, si bien qu’une position restrictive s’impose pour construire une catégorie homogène. L’ADV dépend d’un prédicat1 de procès presque toujours verbal et qui est son ARG1. Il mérite ainsi l’étiquette d’ad-verbe et il est seulement de niveau 3 (5a). Les emplois détachés posent alors problème car l’interprétation exclut souvent que le V de la P qui suit l’ADV soit l’ARG1 de la forme en -ment. Une solution simple est de proposer un prédicat1 sous-jacent de valeur générale (agir, parler) et facile à récupérer (5b, c). L’ADV détaché devient ainsi un ADV ordinaire qui sera cependant étudié à part. Quelques ADV comparatifs, indéfinis en sémantique, ont en plus un ARG2 sous la forme d’un GP (5d) ou d’une P (que-P) qui peut être incomplète (5e).

(5)a Léa a vérifié le contenu rapidement mais attentivement. (5)b (Agissant) prudemment, Luc a préféré reculer. / (Agissant) intelligemment, il a esquivé la question. (5)c (Pour parler) franchement, je n’en sais rien. (5)d Il agit {conformément au plan / différemment des autres / indépendamment des autres}. (5)e Il agit autrement que {prévu / je ne l’avais prévu / les autres}.

Dans la perspective commune, aucun trait notionnel prototypique ne caractérise l’ADV. Il existe pourtant un type sémantique souvent en tête de liste des classes d’adverbes, celui qui possède le trait /MANIÈRE/ et répond à la question en Comment P ? (6). Ce trait est réservé à certaines notions prédicats qui ont dans leur représentation un ARG1 dénotant un procès et il permet de constituer une catégorie notionnelle à part, celle des prédicats de deuxième niveau (ou prédicats2).

(6) A –Comment fait-il cela ? B –Il le fait {prudemment / avec prudence / de façon prudente}.

Ce statut de prédicat2 permet à l’ADV de descendre de deux niveaux dans la hiérarchie morphosyntaxique. Un prédicat1 de catégorie V ou ADJ peut devenir un N mais reste dépendant de ses ARG qui sont internes sous forme de GP compléments puisque la hiérarchie notionnelle est incontournable et qu’un N n’a pas d’ARG externe (7a, b). Le mécanisme vaut pour l’ADV, qui devient d’abord ADJ puis N et garde lui aussi sa dépendance à son ARG1, qui se réalise autrement : ‒ si le prédicat2 est ADJ, son ARG1 accepte plusieurs réalisations. Il peut être ARG externe

(support) sous forme de N (8a) ou ARG interne sous forme de V-inf ou de SN dans un GP (8b) ; ‒ si le prédicat2 se manifeste sous forme nominale, son ARG1 est nécessairement interne sous

forme de V-inf ou de SN dans un GP (9a). Dans le cas où le prédicat2 est exprimé de façon abstraite et indéfinie par façon / manière, son ARG1 est nécessairement interne au GN sous forme de V-inf (9b) ;

‒ un prédicat2 nominalisé ou adjectivé peut retrouver un statut adverbial dans un GP qui a en gros le sens et la syntaxe d’un ADV en -ment (10a, b). Nominal, il entre dans un GP souvent de forme avec N (10a) ; adjectival, il entre dans un GP qui a la forme de façon ADJ (10b). (7)a Léa {arrive / part}. ⇒ {L’arrivée / Le départ} de Léa (7)b Léa est {forte / grande}. ⇒ La {force / grandeur} de Léa

(8)a Luc réagit {rapidement / sagement}. ⇒ La réaction {rapide / sage} de Luc (8)b Luc réagit rapidement. ⇒ Luc est rapide à réagir. / Luc est rapide dans ses réactions.

(9)a Luc réagit rapidement. ⇒ La rapidité de Luc à réagir / La rapidité de la réaction de Luc (9)b Luc réagit bizarrement. ⇒ Luc a une façon bizarre de réagir. / Sa façon de réagir est bizarre.

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(10)a Léa marche {prudemment / rapidement}. ⇒ Léa marche {avec prudence / avec une grande rapidité}. (10)b Léa marche {prudemment / rapidement}. ⇒ Léa marche de façon {prudente / rapide}.

1.3 Les exclus Sur ces bases syntaxiques et sémantiques, il est déjà possible d’écarter deux catégories : ‒ les PRÉP, qui intègrent un (S)N dans un groupe ou dans la P (1a). Ce SN peut être absent avec

quelques PRÉP autonomes (devant…) mais qui se distinguent encore bien des ADV (1b) ; ‒ les marqueurs discursifs (MD) de la zone pragmatique qui règlent les échanges entre locuteurs.

Ainsi, les « adverbes » de liaison sont des MD de structuration qui organisent globalement le discours ou localement sur le plan argumentatif (2a-b) ; les « adverbes » d’opinion, souvent indépendants, sont des MD qui accomplissent un acte illocutoire (3a, b). (1)a Léa parle avec Luc. / Au bureau, Léa parle peu. / La modération est préférable à l’excès. (1)b Léa état devant (le groupe) à ce moment-là. / Luc est parti après (le discours).

(2)a Tout d’abord, je dirai que la situation s’améliore. / À propos, je reste ce soir. / Finalement, tu peux partir. (2)b Il pleuvait. {Aussi / Pourtant} il est sorti.

(3)a A –Tu pars ? B –Évidemment. / Bien sûr. / Sans doute. (3)b A –Tu restes ? B –Oui. / Non.

Il reste à distinguer les ADV de quatre types de constituants : circonstants, SPÉC-de-quantité, marqueurs d’ajustement référentiel et « adverbes » de phrase.

1.3.1 L’exclusion des circonstants Au contraire des ADV, les circonstants sont rarement des dérivés (1a) mais il existe quelques formes en -ment (1b). Ils ne peuvent être intensifiés par un SPÉC-de-quantité (2).

(1)a Léa présente son projet {aujourd’hui / demain / ici}. / Léa a présenté son projet hier. (1)b Léa présente son projet actuellement. / Léa est actuellement en voyage.

(2) *Léa est très {actuellement / ici / maintenant} contente.

La distribution distingue le circonstant de l’ADV. Il est rare que le circonstant précède le CD (3a, b) ou entre dans le SV (3c) malgré quelques exceptions : tout circonstant peut précéder un CD d’une certaine longueur (3d, e) ; un circonstant qui fixe un repère temporel étroit peut précéder le CD (3f) et entrer dans le SV (3g). Comme l’ADV, le circonstant accepte le détachement en tête de P mais il est compatible avec une P-inter, fait rare avec l’ADV (4a), et il ne peut être détaché après le sujet (4b). Les circonstants acceptent le clivage, sauf ceux qui annoncent une situation nouvelle, ce qui exclut un présupposé et donc le clivage (4c).

(3)a *Luc a repris hier le travail. / ?Luc reprend demain le travail. / Luc a repris le travail hier. (3)b *Luc a repris ici son travail. / ?Luc reprend ici son travail. / Luc a repris son travail ici. (3)c *Luc a {ici / hier} repris le travail. / *Luc est {ici / hier} venu me voir. (3)d Luc a repris hier {son travail fastidieux / le travail qu’il avait laissé en suspens}. (3)e Luc a posé ici le colis qu’il a livré. (3)f Luc mange actuellement son dessert. (3)g Luc a désormais atteint ses objectifs. / Ce produit est actuellement fabriqué par nous.

(4)a Hier, Luc est venu me voir. / Hier, est-ce que Luc est venu te voir ? (4)b ?*Luc, hier, est venu me voir. / *Luc, ici, travaille beaucoup. (4)c C’est hier que Luc est venu. / *C’est désormais que Luc a atteint ses objectifs.

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Sur le plan de la complémentation, le circonstant est aussi différent de l’ADV : il porte aussi bien sur un V que sur un ADJ ou sur un N (5a-c) car il n’est pas lié à une catégorie lexicale précise par une relation prédicat-argument comme l’ADV.

(5)a Luc est arrivé hier. (5)b Heureux hier, triste aujourd’hui, Luc est bien instable. (5)c Le naufrage {hier / d’hier} a fait deux victimes.

En sémantique, un circonstant (hier, ici) donne des repères spatio-temporels et cela l’écarte de la zone adverbiale, ce qui vaut pour les indéfinis où, quand, qui ne sont pas des « adverbes ».

Comme les ADV, les circonstants (hier, ici) sont en concurrence systématique avec des GP circonstanciels qui donnent eux aussi des repères (à cinq heures, sur le mur). Mais les PRÉP sont différentes et les GP circonstanciels partagent la distribution des circonstants et non celle des ADV. Au contraire de l’ADV, les circonstants (hier / ici) ne descendent pas dans la hiérarchie catégorielle et ne peuvent prendre une forme adjectivale ou nominale.

1.3.2 L’exclusion des spécifieurs de quantité Les SPÉC-de-quantité basiques n’ont pas la forme en -ment (1) et ceux qui ont la forme en -ment sont souvent des dérivés d’ADJ issus de V au moyen de -able / -ible / -uble qui exigent la présence du préfixe négatif (parasynthèse) (2a, b), ce qui les distingue bien des ADV. Certains SPÉC-de-quantité peuvent en intensifier d’autres (3a, b) mais beaucoup de SPÉC-de-quantité de forme -ment refusent la gradation (3c), ce qui les distingue des ADV, généralement gradables.

(1) Luc est très heureux. / Il a été très surpris. / Léa a mangé beaucoup. / Léa mange {assez / plus / trop}.

(2)a *Contest-able-ment / *Croy-able-ment / *Évit-able-ment / *Lass-able-ment / *Résist-ible-ment (2)b In-contest-able-ment / In-croy-able-ment / In-évit-able-ment / In-lass-able-ment / Ir-résist-ible-ment

(3)a Luc est très souvent malade car il mange beaucoup trop peu. (3)b Luc est très {profondément triste / largement responsable / grandement coupable}. (3)c *Luc est très {drôlement / énormément / vachement} sympa. / *L’eau montait très incroyablement vite.

Comme les ADV, les SPÉC-de-quantité suivent le V devant le CD et entrent dans le SV (4a). Mais leur distribution est par ailleurs bien différente : les SPÉC-de-quantité précédent le N dans des groupes en de (S)N (4b), l’ADJ ou l’ADV (4c) et les PRÉP qui mesurent la distance entre un repère et un procès ou un lieu (4d) ; ils se combinent entre eux dans un ordre précis (4e). Ils sont peu compatibles avec le détachement (5a) et le clivage (5b).

(4)a Léa prend parfois un café le soir. / Léa a {parfois / peu / trop / souvent} hésité. (4)b Il y a {trop / énormément / vachement} de monde. (4)c Léa est {très / vachement} riche. / Léa a répondu très rapidement. (4)d Léa est partie peu {après / avant} midi. / Léa est très près du mur. (4)e Luc mange beaucoup trop peu.

(5)a *{Peu / Plus / Trop}, Luc est gentil. / Souvent, il restait là à observer le ciel. (5)b *C’est {parfois / partout / peu / plus / trop} que Luc est gentil.

Les SPÉC-de-quantité portent sur un V mais aussi sur un ADJ, sur un ADV (6a), sur un autre SPÉC-de-quantité (6b), sur un N (6c) et parfois sur une PRÉP ou un GP (6d). Au contraire de l’ADV, ils ne sont donc pas liés à une partie du discours par une relation de type prédicat-argument.

(6)a Luc dort peu. / Luc est très petit. / Luc travaille trop lentement. (6)b Luc réfléchit trop peu. (6)c Peu d’amis sont présents.

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(6)d Léa partira peu avant (toi).

Les SPÉC-de-quantité courants (plus, si, trop…) et les SPÉC-de-quantité en -ment (absolument, complètement, énormément…) sont éloignés de la notion de manière mais ils sont variés : beaucoup de ceux qui ont la forme en -ment dénotent au départ une quantité spatiale ou expriment le degré à travers l’effet (7a-c) ; ceux qui ont la forme in-V-able-ment sont liés à un procès et donc au temps mais un préfixe négatif leur donne une valeur quantitative (8a, b) ; certains sont figés et sans lien avec les ADV (9) ; d’autres quantifient le domaine du temps ou de l’espace (parfois, souvent, partout) et ne sont en rien des « ADV » de temps et de lieu.

(7)a Luc est {carrément idiot / largement responsable / grandement coupable}. (7)b Luc est profondément triste. / Il me manque énormément. (7)c Luc est {drôlement / incontestablement / incroyablement} prétentieux. [‘au point que c’est incroyable’]

(8)a Luc essaie inlassablement. [‘sans cesse’]. / Il échouait immanquablement. [‘toujours / chaque fois’] (8)b L’eau monte imperceptiblement. [‘avec une intensité si faible qu’elle n’est pas perceptible’]

(9) Je l’ai vertement réprimé. / Il est vachement sympa.

1.3.3 L’exclusion des marqueurs d’ajustement référentiel Les marqueurs d’ajustement référentiel (MAR) ont des formes variées : mots (environ, presque), dérivés en -ment (approximativement) ou GP figés (à peine). Seule une série est compatible avec un SPÉC-de-quantité (1a, b).

(1)a *Ils sont très environ dix. (1)b Ils sont très {exactement / précisément} dix.

Les MAR entrent dans le SV (2a), accompagnent diverses catégories (N, V, ADJ, ADV ou SPÉC, ce qui inclut les PRÉDÉT) et sont nettement plus mobiles que les SPÉC-de-quantité car ils suivent facilement l’élément dont ils dépendent (2b). Ils refusent le détachement et le clivage (3a, b).

(2)a Il a presque répété les mêmes mots. / Il a à peine souri. (2)b Ils sont {à peine / exactement} dix. / Ils sont dix {à peine / exactement}.

(3)a *Exactement, il est parti à midi. (3)b *C’est exactement qu’il est parti à midi. / *C’est à peine qu’il en reste.

Au contraire de l’ADV, les MAR ne sont pas liés à une partie du discours précise par une relation de type prédicat-argument. Ils portent sur les quatre parties du discours majeures (4a, b) mais aussi sur des PRÉDÉT (5a) ou sur des marques exprimant le repérage (5b).

(4)a Luc aussi est venu et même Léa l’a vu. / Il a parlé mais a aussi écouté. (4)b C’est à peine un humain. / Il avance à peine.

(5)a Ils sont {à peine / au plus / environ / exactement / juste} dix. / Ils sont dix {à peine / au plus}. (5)b Il était à peine parti. / Il est juste devant toi.

Les MAR ont un double rôle référentiel : ils précisent le rapport entre les mots et les choses (les référents) en mesurant la validité des traits portés par une catégorie lexicale ou une marque référentielle (exactement, environ) (6a) ; ils ajustent la réalité aux attentes (même, seulement) ou aux connaissances antérieures (aussi) (6b), ce qui leur donne souvent un rôle argumentatif.

(6)a C’est à peine un humain. / Ils sont {à peine / au plus} dix. / Léa était à peine partie. (6)b Luc aussi est venu et même Léa l’a vu. / Luc a seulement écouté.

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 11

1.3.4 L’exclusion des « adverbes » de phrase Les « adverbes » de P sont généralement dérivés d’ADJ au moyen de -ment (1a-c). Ils sont peu compatibles avec les SPÉC-de-quantité (2a, b), sauf un type qui doit alors être intégré à la P (2c).

(1)a Certainement que Léa était là. / Peut-être que Léa est partie. (1)b Heureusement, Léa était là. / Heureusement que Léa était là. (1)c Techniquement, le travail est parfait. / Techniquement, c’est faisable.

(2)a *Léa était très heureusement là. / *Très heureusement, Léa était là. (2)b *Le travail est très techniquement parfait. / *Très techniquement, le travail est parfait. (2)c *Très certainement, Léa est absente. / Léa est très certainement absente.

Les « adverbes » de P ne répondent pas à une question en Comment P ? et se distinguent des ADV sur le plan de la distribution et des compatibilités. Les contraintes varient selon le type : ‒ le premier type est suivi de que-P et difficile à détacher (3a). Il accepte l’intégration dans une

P-ass, est alors gradable et précède pas au lieu de le suivre (3b) ; il est exclu d’une P-inter (3c) ; il répond seul à une P-ass et à une P-inter (3d) ; il refuse le clivage (3e) ;

‒ d’autres sont suivis aussi de que-P (4a) ou détachés en tête d’une P-ass (positive ou négative) mais non d’une P-inter (4b). Ils se placent aussi facilement dans la P entre deux pauses ou en fin de P après une pause mais refusent l’intégration dans la P (4c). Ils peuvent réagir seuls à une P-ass (4d) mais non à une P-inter (4e) et refusent le clivage (4f) ;

‒ le dernier type, dérivé d’un ADJ à base nominale, ne précède pas que-P (5a), est détaché en tête d’une P-ass (positive ou négative) et même d’une P-inter (5b). Il s’insère dans la P entre deux pauses ou est détaché en fin de P (5c) ; il ne répond pas seul à une P-inter (5d). Ce type accepte l’intégration dans la P, ce qui permet parfois le clivage (5e, f). (3)a Certainement que Léa a appris la nouvelle. / ?Certainement, Léa a appris la nouvelle. (3)b Léa a (très) certainement appris la nouvelle. / Léa n’a certainement pas appris la nouvelle. (3)c A –*Est-ce que Léa a certainement appris la nouvelle ? (3)d A –Est-ce que Léa a appris la nouvelle ? B –Certainement. (3)e *C’est certainement que Léa a agi. [interprétation non causale de que]

(4)a Heureusement que Luc a appris la nouvelle. (4)b Heureusement, Luc {a appris / n’a pas appris} la nouvelle. / *Heureusement, Luc a-t-il appris la nouvelle ? (4)c Luc, heureusement, était là. / Luc était là, heureusement. / *Luc était là heureusement. (4)d A –Luc est parti hier. B –Heureusement. (4)e A –Est-ce que Luc est là ? B –*Heureusement. / Heureusement, oui. / Malheureusement pas. (4)f *C’est heureusement que Luc a agi.

(5)a *Techniquement que c’est faisable. / *Physiquement qu’il en est capable. (5)b {Techniquement / Physiquement}, c’est faisable. / Physiquement, est-ce qu’il en est capable ? (5)c Il est capable, physiquement, de résister à l’assaut. / Il en est capable, physiquement. (5)d A –Est-ce que c’est faisable ? B –Physiquement, oui. / *Physiquement. (5)e C’est techniquement faisable. / Il est en physiquement capable. (5)f *C’est techniquement que c’est faisable. / C’est (seulement) physiquement qu’il {*en est capable / est

affaibli}.

Note. L'intégration peut changer la lexie : ainsi légalement1 est un ADV ordinaire qui accepte le clivage (6a, b). Le détachement en fait un complément de P (complément de domaine) noté légalement2 : il peut précéder une P-int (6c, d), ce que refusent les ADV détachés dont le prédicat1 est agir sous-jacent (2.2.1). Détaché, il se rapproche de juridiquement, politiquement, qui ne sont jamais ADV (6e).

(6)a Léa a vendu ses parts légalement1 cette fois-ci. [‘de manière légale, en respectant la loi’] (6)b C’est légalement1 que Léa a vendu ses parts cette fois-ci. [‘En agissant de manière légale, selon la loi’] (6)c Légalement2, Léa peut vendre ses parts. [‘Du point de vue légal / Sur le plan légal’] (6)d Légalement2, est-ce que Léa peut vendre ses parts ? (6)e *Léa a agi {juridiquement / politiquement}.

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 12

Les « adverbes » de P en -ment ne sont pas dépendants d’un constituant, ce qui les distingue des ADV. Ceux qui peuvent précéder que-P sont des prédicats1 et la P est leur ARG unique (7a, b). Les formes à base nominale détachées en tête de P sont des compléments de la P entière ou des ARG2 de parler (8a, b). Le type heureusement accepte un site /ANIMÉ/ introduit par pour (8c).

(7)a Probablement que Luc viendra. (7)b Heureusement que Léa est venue. / Heureusement, Léa est venue.

(8)a Logiquement ça tient, mais en pratique… [‘Au plan de la logique…’] (8)b Techniquement, c’est une vraie découverte. [‘Si l’on parle de l’aspect technique…’] (8)c Heureusement pour moi (, que) Léa est venue.

En sémantique, les « adverbes » de P en -ment n’expriment pas la manière. Ils sont surtout à étudier dans le module prédication et ont un triple statut (III-2-5) : ‒ suivis de que-P, qui est leur seul ARG, ceux du premier et du second type sont des prédicats1

qui expriment le degré de certitude du locuteur ou son état d’âme (9a, b) ; ‒ quand ils sont détachés ou seuls, ceux du premier et du second type sont des marqueurs

discursifs qui accomplissent un acte illocutoire (10a, b) ; ‒ détachés, ceux du troisième type limitent le domaine de la prédication (11a, b).

(9)a Certainement qu’il a vu. (9)b Heureusement [qu’il n’a rien vu]pp.

(10)a Heureusement, il n’a rien vu. (10)b A –Il peut le faire ? B –Certainement. / Heureusement.

(11)a {Logiquement / Légalement}, ça devrait faire, mais en pratique ça ne va pas. [‘Sur le plan de la logique’] (11)b {Légalement / Techniquement}, ça devrait faire. [‘Si on se limite au plan technique’]

Les paraphrases des « adverbes » de P sont particulières : les prédicats1 en -ment suivis de que-P sont concurrencés par un ADJ (12a, b) ; les compléments de P en -ment à base nominale entrent en concurrence avec quelques GP (13a) et sont parfois associés à parler (13b). La forme nominale ou adjectivale de ces « adverbes » n’entre pas dans un GP de forme avec N / de façon ADJ (14a-c).

(12)a Probablement que Luc viendra. / ≅Il est probable que Luc viendra. (12)b Heureusement que Léa est venue. / ≅Il est heureux que Léa soit venue.

(13)a {Légalement / Sur le plan légal / Sur le plan de la loi}, il a droit à cette indemnité. (13)b {Techniquement parlant / Si l’on parle seulement de l’aspect technique}, c’est une vraie découverte.

(14)a *Tu peux le faire avec légalité. / ≠Tu peux le faire de façon légale ou illégale. (14)b *De façon légale, tu peux le faire, mais pas de façon morale. (14)c *De façon heureuse, il est venu. / *Il a agi de façon heureuse. / ≠Il vit depuis de façon heureuse.

Note. Les formes en -ment issues d’ADJ prédicats1 déontiques et voisines de certainement aléthique ne sont pas non plus des ADV. Elles précèdent rarement que-P (15a) et sont des SPÉC-de-quantité qui renforcent la prédication (15b) ou des MD argumentatifs détachés (15c). Les formes en -ment issues des ADJ prédicats1 évident, naturel peuvent être suivies de que-P mais se rapprochent des MD illocutoires dans une réponse : elles accomplissent un acte illocutoire de reproche (16a, b).

(15)a A –Tu y vas ? B –{Forcément / *Nécessairement} que j’y vais. (15)b L’étude est {inévitablement / fatalement / forcément / nécessairement} incomplète. / Léa est forcément là. (15)c Forcément, Luc a cédé. / Fatalement, le plus pauvre a perdu.

(16)a A –Tu y vas ? B –{Évidemment / ?Naturellement4} que j’y vais. (16)b {Évidemment2 / Naturellement4}, toi t’as rien vu. [‘bien entendu / il va de soi’]

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 13

1.3.5 Bilan L’ADV est de niveau 3 en syntaxe, il a pour ARG1 un prédicat1 de procès presque toujours verbal et représente un prédicat2 ; sur le plan notionnel, il porte le trait /MANIÈRE/ ; adjectivé ou nominalisé, il reste dépendant de cet ARG1 qui change cependant de catégorie et se présente comme support sous forme de N (Le retour lent) ou dans un GP (La lenteur du retour / Luc est lent à réagir / Luc est lent dans ses réactions). Il accepte des paraphrases particulières (avec N, de façon ADJ). Tout cela invite à situer l’ADV au sein des catégories lexicales ou parties du discours aux côtés du N, du V et de l’ADJ.

Toute autre position mène à une impasse. Par élargissements successifs, la partie du discours adverbe n’a plus de statut ni de caractéristique syntaxique ou sémantique : est ADV ce qui porte sur un élément de niveau 2 ou 3, sur rien de précis, y compris sur la P, ou même sur rien. Plusieurs ont tenté de regrouper les circonstants et les ADV dans une vaste classe mais certains insèrent les ADV dans les circonstants et d’autres font l’inverse, ce qui illustre leur désarroi.

Enfin, l’ajout d’étiquettes sémantiques pour créer des types ne règle en rien le problème. Généralement absente lors de la délimitation de la partie du discours adverbe, la sémantique n’arrive que tardivement dans le débat pour éviter la confusion totale, tant l’étiquette d’ADV est abusive. Au final, cet ajout d’étiquettes crée plutôt un problème en associant des termes incompatibles (ADV coordonnant, de P, d’opinion…).

Il faut alors accepter que, même si les ADV sont surtout des dérivés en -ment, la morphologie ne propose aucune base pour créer la partie du discours adverbe : plusieurs formes en -ment ne sont pas des ADV et elles ont été classées (circonstants, SPÉC-de-quantité, MAR, prédicats1, compléments de P). Par ailleurs, même si la dérivation suggère que les ADV seraient des ADJ prédicats1 en emploi adverbial montés d’un niveau en syntaxe (sage ⇒ sagement), ce point de vue est trompeur : la syntaxe (distribution, complémentation) et la sémantique suggèrent que ces ADJ sont des prédicats2 adjectivés.

Au terme de l’analyse, nous proposons de constituer une partie du discours adverbiale restreinte et d’écarter les autres éléments, qui trouvent naturellement une place ailleurs dans la grammaire.

Mots invariables dits adverbes Adverbe (prédicat2) Hors zone

Module 1 Le trait /MANIÈRE/ et les

emplois apparentés

Module 2 (II-4) La référence : quantité et repères

Module 3 (III-2) La prédication : pseudo-adverbes

‒ SPÉC-de-quantité ‒ circonstant repère de lieu / temps ‒ marqueur d’ajustement référentiel

‒ prédicat1 : certainement que-P, heureusement que-P

‒ ARG2 de parler

1.4 Organisation interne de la partie du discours

1.4.1 Des adverbes non lexicaux ? Chacune des trois autres parties du discours (N, V, ADJ) partage un ensemble de propriétés caractéristiques. Ainsi tous les V possèdent des traits morphologiques (flexifs, qui marquent le temps, aspect, rang) et ont en commun des propriétés syntaxiques qui imposent de les regrouper

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au sein de la même partie du discours. Il en va de même pour les N et les ADJ. Pourtant, tout en gardant un certain statut nominal, verbal ou adjectival, chacune de ces parties du discours a été scindée en raison de particularités syntaxiques et sémantiques (les traits /QUANTITÉ, REPÈRE/) : les N lexicaux ont été distingués des N-référentiels et des N-spécifieurs ; les V lexicaux ont été distingués des V-référentiels et des V-spécifieurs ; les ADJ lexicaux ont été distingués des ADJ-référentiels.

Par analogie, il est tentant de créer à côté des ADV lexicaux une classe d’ADV non lexicaux (ADV-référentiels, ADV-spécifieurs) qui porteraient les traits /QUANTITÉ, REPÈRE/ et correspondraient intuitivement aux circonstants, aux SPÉC-de-quantité et aux MAR. Pour que cette organisation soit défendable, il suffirait que des ADV lexicaux partagent au moins quelques propriétés avec des ADV non lexicaux. Mais on voit mal ce qui justifierait un tel rapprochement : l’absence de marques flexionnelles ou de SPÉC propres (comme les PRÉDÉT pour le N ou les AUX pour le V) n’est pas suffisante pour insérer les circonstants, les SPÉC-de-quantité ou les MAR dans la même partie du discours que l’ADV ; circonstants, SPÉC-de-quantité ou MAR n’ont ni la distribution ni les dépendances de l’ADV et chacun couvre un domaine précis. Rien donc ne justifie que circons-tants, SPÉC-de-quantité ou MAR entrent dans la partie du discours adverbe, qui serait ensuite scindée en ADV lexicaux et en ADV non lexicaux.

La partie du discours ADV ne contient donc que des éléments lexicaux et cela n’a pas de conséquence fâcheuse pour l’organisation de la grammaire : trois classes d’exclus (circonstants, SPÉC-de-quantité, MAR) ont une place naturelle dans le module référentiel et chacune participe à sa façon à la construction de la référence (II-4) ; un groupe entre dans le module prédication (III-2).

1.4.2 Le plan du chapitre : adverbes et adverbiaux Le domaine de l’ADV a été considérablement réduit mais, même après les nombreuses exclusions, la zone restante n’est pas encore homogène et certains éléments n’ont pas vraiment le statut d’ADV. Les critères de base qui ont permis des exclusions hors de la zone adverbiale permettent aussi de proposer un noyau prototypique pour lequel nous parlons d’ADV et un ensemble à part pour lequel nous utilisons le nom adverbial, plus restreint que l’adjectif adverbial.

Les ADV sont en général créés au moyen du suffixe -ment sur une base adjectivale et les rares mots non dérivés (vite, bien / mal) sont trop voisins des formes en -ment pour constituer une classe à part. La morphologie permet pourtant d’isoler quelques adverbiaux en -ment, les adverbiaux de manière-instrument, construits à partir d’ADJ dérivés de N (1a). Ces derniers refusent aussi la gradation (1b), ce qui confirme leur statut particulier.

(1)a Léa classe les données alphabétiquement. / Léa fait le tri manuellement. (1)b *Léa a décidé de classer les données très alphabétiquement.

Note. Les « adverbes » en -ment dérivés des ADJ issus de V au moyen de -able / -ible / -uble (in-V-able-ment) sont assez nombreux pour constituer une classe sur une base morphologique mais ce sont des SPÉC-de-quantité.

Quelques formes en -ment sont soumises à des restrictions sur le plan de la distribution et des compatibilités. Les adverbiaux de manière-instrument sont proches des ADV car ils acceptent le clivage et répondent à la question en Comment ? (2a, b) mais refusent le détachement (2c). D’autres adverbiaux sont plus caractérisés : ils sont difficilement clivés ou détachés et répondent mal à la question en Comment P ? (3a-c).

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(2)a C’est mécaniquement que le grain est détaché de son enveloppe. (2)b A –Comment le grain est-il détaché de son enveloppe ? B –Mécaniquement. (2)c ?*Mécaniquement, le grain est détaché de son enveloppe.

(3)a ?C’est joyeusement que Luc a réparé l’auto. (3)b ?*Joyeusement, Luc a réparé l’auto. / ?Luc a réparé l’auto, et ce, joyeusement. (3)c A –Comment a-t-il réparé l’auto? B –??Joyeusement. / ??Volontairement.

En syntaxe, un ADV dépend d’un V qui est son ARG1. Il en résulte que les formes en -ment qui dépendent de l’ADJ ne sont pas des ADV mais surtout des SPÉC-de-quantité ou encore des adverbiaux ; il semble toutefois exister une exception avec des ADJ correspondant à des N dénotant des agents et dérivés de V (4). À l’inverse, la dépendance à un V ne garantit pas qu’une forme en -ment est un ADV et plusieurs types d’adverbiaux se présentent avec le V. Ils ne portent pas le trait /MANIÈRE/, ce qui relève de la sémantique.

(4) Luc raille doucement ces comportements. / Luc est doucement railleur.

En sémantique, malgré leur niveau (niveau 3), les adverbiaux ne dénotent pas le trait /MANIÈRE/ mais ils ne sont pas homogènes. Ils se présentent avec le V ou l’ADJ et la classification se fait sur cette base : ‒ ceux qui sont réservés au V ont trois valeurs. Les uns dénotent l’instrument, lié à la manière

comme le montre comment P ?, qui vaut pour l’instrument et la manière (5a, b) ; d’autres sont des prédicats1 adverbialisés qui expriment la concomitance entre un état du SN sujet et un procès (6a, b) ou qui donnent un repère relatif (d’où la présence d’un ARG2) quand un V en usage métaphorique remplace le V-copule (6c) ; (5)a Il classe les fiches alphabétiquement. / On sépare mécaniquement le minerai des impuretés. (5)b A –Comment fait-il cela ? B –Il le fait avec {ardeur / une machine}.

(6)a Léa marche joyeusement. [‘Léa est joyeuse et marche’] (6)b Son double menton pend flasquement. [‘Son menton pend et est flasque’] (6)c Le support {se présente / est fixé} perpendiculairement au mur. / Le support est perpendiculaire au mur.

‒ ceux qui sont compatibles avec un V ou un ADJ ont deux valeurs. Ce sont des prédicats1 modaux exprimant le contrôle, indiquant si l’action ou l’état est causé volontairement (7a), ou des compléments de cause dans des emplois relativement figés (7b) ; (7)a Léa a reculé volontairement. / Luc est volontairement {célibataire / discret / silencieux}. (7)b Luc a échappé miraculeusement au séisme. / Luc est miraculeusement indemne.

‒ quelques formes en -ment prédicats1 de concomitance sont utilisées avec l’ADJ de façon ludique (8). (8) Luc est {élégamment évanescent / sombrement concentré}.

Les transformations et les paraphrases invitent aussi à isoler les adverbiaux et permettent de les classer. Aucun adverbial n’entre sous forme nominale dans un GP de forme avec N (9a, b) même si les adverbiaux de manière-instrument entrent dans des GP parfois voisins (9c) ; la forme adjectivale d’un adverbial entre rarement dans un GP du type de façon ADJ (10a-d) ; l’adverbial prédicat1 se manifeste plutôt sous forme d’ADJ (11a-c) ; l’adverbial de contrôle est en concur-rence avec des formes verbales (12a, b).

(9)a Luc est resté volontairement muet. ⇒ *Luc est resté muet avec volonté. (9)b Léa classe les données {alphabétiquement / *avec alphabet / *avec l’alphabet / manuellement / *avec

main}.

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 16

(9)c Léa classe les données {sur une base alphabétique / grâce à l’alphabet / à la main / avec ses mains}.

(10)a Léa classe les données {manuellement / de façon manuelle}. (10)b *Léa classe les données {alphabétiquement / de façon alphabétique}. (10)c Le support est fixé de manière perpendiculaire au mur. / Luc a échappé de façon miraculeuse au séisme.

(10)d ?Luc est resté muet {volontairement / de façon volontaire}.

(11)a Il marche joyeusement. ⇒ Il est joyeux durant sa marche. / Il marche et est joyeux. / ≠Il marche avec joie. (11)b Son double menton pend flasquement. ⇒ Son double menton est flasque et pend. (11)c Le quai s’avance perpendiculairement à la falaise. ⇒ Le quai est perpendiculaire à la falaise.

(12)a Luc est resté volontairement muet. ⇒ Luc est resté muet et il l’a voulu. (12)b Luc est resté involontairement enfermé. ⇒ Luc est resté enfermé {*sans volonté / sans le vouloir / sans

qu’il le veuille}.

1.4.3 Bilan À la suite de ce tour d’horizon, on peut proposer deux grands types de formes en -ment dans la partie du discours adverbe : ‒ les ADV dénotent clairement la notion de manière (2.). Ils sont en général intégrés (2.1) et

associés alors à un V, plus rarement à un ADJ dénotant un comportement, mais acceptent aussi les emplois détachés (2.2). Dans les deux cas, il faut étudier les formes indéfinies et compara-tives à part car elles sont différentes ;

‒ les adverbiaux ne portent pas le trait /MANIÈRE/ mais ont parfois un certain rapport avec ce trait (3.). Pour l’étude, nous choisissons de les séparer en trois classes selon qu’ils accompa-gnent un V seulement (3.1), un V ou un ADJ (3.2) ou un ADJ seulement (3.3). Ceux qui accom-pagnent un V ou un ADJ font l’objet d’un classement, ce qu’indique le tableau ci-dessous.

Adverbes et adverbiaux

Vrais ADV (prédicats2) (2.)

Adverbiaux : catégories adverbialisées (3.)

Intégrés (2.1) : – généraux :

avec un V (2.1.1)

– avec un ADJ (2.1.2)

– indéfinis (2.1.3)

Détachés (2.2) : – type agissant

général (2.2.1) – type agissant

comparatif (2.2.2)

– type parler (2.2.3)

Avec un V (3.1) : – manière-instrument :

base N (3.1.1) – prédicat1 portant sur

le sujet : base ADJ (3.1.2)

– prédicat1 portant sur le CD ? (3.1.3)

Avec un V ou un ADJ (3.2) : – adverbial de contrôle

(3.2.1) – adverbial de cause

(3.2.2)

Avec un ADJ : adverbial prédicat1 (3.3)

2. LES ADVERBES

2.1 Les adverbes intégrés

2.1.1 La forme générale prototypique associée au V

Morphologie et spécifieurs L’ADV intégré est souvent un mot invariable (sans flexion) dérivé d’un ADJ féminin au moyen de -ment (1a-c). Les formes -emment / -amment ont été formées à partir d’ADJ autrefois non marqués

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au féminin et paraissent dérivées du masculin actuel après dénasalisation de la voyelle finale (2). Trois autres formes sont des adverbes (bien, mal, vite) mais le statut de bien et mal et même celui de vite est incertain et ils se comportent un peu comme des SPÉC-de-quantité (3).

(1)a Léa répond {lentement / rapidement / savamment}. / Léa se défend {courageusement / énergiquement}. (1)b Léa agit {courageusement / discrètement / doucement}.

(2) Savamment [⇐ savant] / Méchamment [⇐ méchant]

(3) Léa marche {bien / mal}.

Beaucoup d’ADV sont compatibles avec des SPÉC-de-quantité (4a, b). (4)a Léa répondu très lentement et très faiblement. / Il travaille si rapidement que ça lui rapporte beaucoup. (4)b Léa a répondu vraiment beaucoup trop lentement. / Il travaille très peu consciencieusement.

Distribution et compatibilités Dans la P, l’ADV peut se placer dans le SV (1a, b), après le (S)V devant le CD ou le CI (1c) et après le CD ou le CI (1d). Il peut suivre la négation (1e) et aussi être détaché mais ces emplois sont étudiés à part.

(1)a Luc a consciencieusement réglé le moteur. (1)b Léa est vite venue, a attentivement vérifié le contenu et a spontanément offert son aide. (1)c Luc a réglé consciencieusement le moteur. (1)d Léa a vérifié le contenu attentivement. / Léa a offert son aide à Luc spontanément (1)e Il ne répond pas brillamment en général. / *Il ne répond brillamment pas en général.

L’adverbe est compatible avec : ‒ le clivage par c’est…que mais des contraintes existent si la P est négative (2a) et la distribution

de bien / mal est particulière (2b) ; ‒ la coordination avec et (cela) / mais après une pause, à la fin de la P (3a, b) ; ‒ la coordination avec un autre ADV mais la juxtaposition est refusée (4) ; ‒ l’interrogation, y compris avec le clivage et l’impératif (5) ; ‒ le passif (6).

(2)a C’est consciencieusement qu’il a réparé la machine. / *C’est rapidement qu’il n’a pas réparé la machine. (2)b *C’est {bien / mal} qu’il a travaillé.

(3)a Luc a réparé le moteur, et {cela consciencieusement / et consciencieusement en plus}. (3)b Luc est intervenu, mais {brièvement / pas brillamment}.

(4) Luc déplacé le paquet {rapidement et silencieusement / *rapidement silencieusement}.

(5) A-t-il répondu méchamment ? / Est-ce que c’est méchamment qu’il a répondu ? / Et réponds brillamment cette fois.

(6) Luc a été brillamment contredit par un inconnu.

L’ADV répond facilement à une question en Comment P ? (7a) mais non à une question en Est-ce que P ?. Dans ce dernier cas, il doit être précédé de oui et détaché (7b).

(7)a A –Comment a-t-il répondu ? B –?Brillamment. (7)b A –Est-ce qu’il a répondu ? B –?Brillamment. / Oui, (et) brillamment.

Complémentation L’ADV est un élément de troisième niveau mais seulement de ce niveau et son support est presque toujours un V, qui est son ARG1. Il mérite ainsi l’étiquette ad-verbe (1) et, puisque son ARG1 est un

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prédicat1, l’ADV est un prédicat de deuxième niveau (ou prédicat2). Nous rejetons donc la définition traditionnelle selon laquelle l’ADV porte sur le V, l’ADJ ou un autre ADV et est caractérisé par son niveau 3 ou son niveau 4. Nous écartons aussi la définition plus abstraite qui fait de l’ADV un élément dépendant d’une catégorie dépendante ou incident à un élément incident ou une incidence (le V, l’ADJ ou l’ADV). Même si elle est unifiante, cette définition ouvre à l’infini le domaine de l’ADV.

(1) Léa réagit lentement. / Léa a répondu intelligemment. / Léa a agi rapidement.

L’ADV a généralement un seul ARG mais les ADV à valeur indéfinie ont un ARG2 : ‒ conformément à SN et contrairement1 à SN (plus rare) sélectionnent un ARG2 déontique

localisant la source d’une contrainte (‘comme l’exige SN’ / ‘au contraire de ce qu’exige SN’) (2a, b). Contrairement2 à SN, toujours détaché, a un autre statut et contient un SN différent (2.2.2 > Intersections) ;

‒ {différemment / indépendamment} de SN ont un ARG2 facultatif (3a, b) ; ‒ les autres ADV indéfinis sont plus comparatifs et leur ARG2 appartient à diverses catégories

(4a-c). Ils sont étudiés à part (2.1.3 > c)). (2)a Léa a agi conformément {au règlement / au plan / à ce que dit le règlement} : très discrètement. (2)b Léa a agi {conformément / ?contrairement1} à la loi. / ≠Contrairement2 à Luc, Léa respecte la loi.

(3)a Léa agit {différemment de la dernière fois / différemment des autres fois / indépendamment des autres}. (3)b Léa travaille {indépendamment / différemment}.

(4)a Léa agit autrement que {j’avais prévu / les autres}. (4)b Les choses se sont passées comme {prévu / les spécialistes le prévoyaient}. (4)c Les choses se sont passées ainsi que {prévu / les spécialistes le prévoyaient}.

Note. La présence d’un ARG2 rend parfois le clivage difficile mais l’indéfinition pourrait être aussi en cause (5a, b).

(5)a C’est {conformément / ?contrairement1} au règlement que Luc a agi. (5)b C’est {*différemment des autres / ?indépendamment des autres} que Léa agit.

Sémantique Puisque de nombreux éléments acceptent le troisième niveau en syntaxe, ce niveau ne permet pas de créer une partie du discours homogène. La caractérisation doit se faire sur une base sémantique : l’ADV dénote le trait /MANIÈRE/, qualifie un procès et c’est pour cette raison qu’il sélectionne un PRÉD1 généralement de catégorie verbale pour ARG1. En sémantique, l’ADV représente donc une notion de troisième ordre qui se distingue du V (prédicat1, notion de deuxième ordre), de l’ADJ prototypique (prédicat1, notion de deuxième ordre) et du N prototy-pique (entité ou matière, notion de premier ordre).

Le trait /MANIÈRE/ peut être considéré comme un primitif et il explique que l’ADV puisse répondre à Comment P ? mais non à Est-ce que P ? sauf s’il accompagne oui. Ce trait est d’ailleurs souvent intégré dans des prédicats1 de procès (saisir = ‘prendre de façon rapide, agressive et violente’ ; dilapider = ‘dépenser excessivement de manière irréfléchie’ ; bafouiller = ‘parler de façon confuse’) et cela confirme le lien profond entre les procès et la manière. Cependant, le trait /MANIÈRE/ n’est pas d’une homogénéité parfaite et, par exemple, la question en Comment P ? vaut pour des rôles sémantiques voisins que la syntaxe a permis d’isoler (adverbiaux de manière- instrument en particulier).

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 19

Liste. Abruptement, admirablement, adroitement, anxieusement, assidûment, attentivement, bêtement, bizarrement, brièvement, brillamment, bruyamment, calmement, ?(con)sciemment, consciencieusement, courageusement, cordialement, courtoisement, cruellement, curieusement, dangereusement, dédaigneu-sement, délicatement, discrètement, doucement, drôlement, efficacement, élégamment, étonnamment, étrangement, facilement, fièrement, généreusement, gentiment, gloutonnement, grossièrement, habile-ment, héroïquement, honnêtement, innocemment, instinctivement, intelligemment, ironiquement, lâche-ment, lamentablement, lascivement, lentement, maladroitement, méchamment, méthodiquement, miraculeusement, naïvement, naturellement1, négligemment, normalement1, orgueilleusement, ostensi-blement, paresseusement, patiemment, péniblement, peureusement, plaisamment, paresseusement, po-sément, promptement, prudemment, puérilement, rapidement, régulièrement, rudement, sagement, sèchement, sereinement, silencieusement, soigneusement, sournoisement, stupidement…

Le statut de prédicat2 explique que l’ADV soit fortement intégré à la P. Il est vrai qu’il est parfois détaché en fin de P pour apporter une précision ou une restriction mais cela exige un coordonnant, sans compter qu’un pronom anaphorique rappelle souvent la P (1a-c). Le lien direct de l’ADV avec le V explique aussi l’insertion dans le SV et la compatibilité avec le passif (2a, b). Enfin, le statut de prédicat explique que l’ADV puisse être clivé : au contraire des SPÉC, les constituants lexicaux (ARG ou prédicats) acceptent généralement le clivage (3).

(1)a Il a répondu brillamment. / ?*Il a répondu, brillamment. (1)b Il a répondu, et {cela brillamment / brillamment en plus}. (1)c Il a tout bu mais lentement.

(2)a Luc a rapidement réparé la machine. (2)b La machine a été réparée rapidement.

(3) C’est {rapidement / *souvent} que Luc a réparé la machine.

Note. Les ADV détachés en tête de P ont un autre prédicat1 verbal, ce qui exige une analyse à part (2.2).

Deux autres conséquences découlent du fait que l’ADV est un prédicat2 : il sélectionne son ARG prédicat1 (traits sémantiques généraux) et doit respecter ses contraintes aspectuelles. Nous examinons successivement ces deux points.

La sélection de l’ARG1 par le prédicat2. Un prédicat sélectionne plus ou moins fortement son ARG1, l’un contraignant l’interprétation de l’autre, et la règle s’applique aux prédicats2 : ‒ certains ADV sont compatibles avec de nombreux types d’ARG1 (prédicats1) mais leur valeur

entre parfois en contradiction avec celle du V (1a, b) ; ‒ certains ADV sont étrangers avec certains procès, en particuliers ceux qui expriment une

appréciation de l’énonciateur (2a) ou l’idée de contrôle (2b) ; ‒ d’autres enfin sont très sélectifs et ne valent que pour des procès précis (3a, b).

(1)a Luc court {*lentement / rapidement}. (1)b Luc crie {*discrètement / bizarrement}.

(2)a Léa marche {étonnamment / *gentiment / *honnêtement}. (2)b *Léa {dort / s’endort} adroitement.

(3)a Luc a dévoré son assiette gloutonnement et à pleines dents. (3)b Luc a lamentablement échoué.

Les contraintes aspectuelles. Puisque l’ARG1 de l’ADV est un V, les classes aspectuelles liées au type de procès devraient être en cause, en particulier si la durée est liée à la manière : ‒ les V-statifs, étrangers à la notion de changement, sont peu compatibles avec l’ADV et donc avec

la question en Comment P ? (1a). Ils ne sont pourtant pas totalement incompatibles avec lui : il

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 20

existe un oxymore établi (1b) et quelques ADV qui concernent la manifestation d’un état sont acceptables (1c). Cependant, les formes en -ment qui accompagnent ces V sont généralement des SPÉC-de-quantité (1d) difficiles à cliver et à détacher (1e, f) ;

‒ les V-d’événement (procès sans durée) sont compatibles avec les ADV, sauf avec ceux qui sont liés à la durée (2a). La contrainte est levée si la préparation de l’événement est incluse dans la représentation du procès (2b-c) ;

‒ les V-d’activité (procès sans terme) sont compatibles avec l’ADV (3a) parfois même si ce dernier mesure la durée. Il suffit que le procès puisse être scindé en intervalles réguliers pour que l’ADV caractérise la durée d’un intervalle et non la durée entre la borne finale et la borne initiale (3b) ;

‒ les V-d’achèvement (procès avec terme) sont compatibles avec les ADV (4a), même avec ceux qui associent manière et durée (4a) sauf si les marques verbales (flexifs ou SPÉC) réfèrent à un procès sans borne finale (4b, c). (1)a ?Luc aime Léa sagement. / ?Comment Luc aime-t-il Léa ? (1)b Luc déteste cordialement Léa. (1)c Luc aime discrètement Léa. (1)d Luc aime {passionnément / profondément / tendrement} Léa. (1)e ?C’est tendrement que Luc aime Léa. / ≠C’est tendrement que Luc a serré Léa dans ses bras. (1)f *Tendrement, Luc aime Léa. / ≠Tendrement, Luc a serré Léa dans ses bras.

(2)a La bombe a éclaté {bruyamment / *lentement}. (2)b La bombe a {rapidement explosé / ?vite explosé}. [‘L’explosion a suivi de peu le moment T’] (2)c Léa est sortie {lentement / rapidement}. [‘Léa a mis {beaucoup / peu} de temps avant de sortir’]

(3)a Luc parle clairement. / Léa danse lascivement. (3)b Luc {marche / parle} rapidement. [‘chaque {mot / pas} suit rapidement l’autre’]

(4)a Luc traverse toujours {lentement / rapidement} la rue. / Luc a {lentement / rapidement} traversé la rue. (4)b ?Luc traverse {lentement / rapidement} la rue en ce moment. (4)c *Luc est en train de traverser {lentement / rapidement} la rue.

Cependant, l’ADV amène aussi des contraintes sur les marques aspectuelles : ‒ un V-d’activité est en principe compatible avec une marque qui fait référence à un intervalle

ouvert, sans borne de fermeture (en train de, présent et imparfait singulatifs) (5a). Mais un ADV peut le rendre incompatible avec en train de (5b, c), qui focalise sur la phase d’un procès concomitante au repère et écarte la référence aux phases antérieures. Pour leur part, le présent et l’imparfait singulatifs sont acceptables : ils incluent les phases antérieures au repère ; (5)a Luc {marche / est en train de marcher}. / Luc {taille / est en train de tailler} la haie. (5)b Luc {marche / *est en train de marcher} bizarrement. / *Luc est en train de marcher rapidement. (5)c Luc {taille / ?est en train de tailler} la haie bizarrement. / *Luc est en train de tailler la haie rapidement.

‒ un V-d’activité peut trouver un terme dans son ARG2 quand le procès apporte une modification à ce dernier (6a), ce qui n’est pas toujours le cas car un procès peut aussi créer l’ARG2, le supprimer ou être sans effet sur lui (6b, c). Avec un ADV qui porte une appréciation sur le résultat, un V qui indique une modification de l’ARG2 et un V pronominal intransitif qui dénote un agencement d’objets (se coiffer, se meubler) peuvent devenir incompatibles non seulement avec en train de mais aussi avec le présent et l’imparfait singulatifs (7a-d). Ce type d’ADV exige un procès mené à terme ou l’interprétation habituelle (8a-e). (6)a Luc a peint le mur. [modification de l’ARG2] (6)b Luc a {rédigé / effacé} l’adresse. [création ou suppression de l’ARG2] (6)c Léa a caressé le chat. [sans effet sur l’ARG2]

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 21

(7)a En ce moment, Luc est en train de {peindre le mur / graver la chevalière / se coiffer}. (7)b ??En ce moment, Luc est en train de {peindre magnifiquement le mur / graver grossièrement la chevalière /

se coiffer élégamment}. (7)c À midi, Luc était en train de {peindre le mur / graver la chevalière / se coiffer}. (7)d ??À midi, Luc était en train de {peindre magnifiquement le mur / graver grossièrement la chevalière / se

coiffer élégamment}.

(8)a Luc a magnifiquement {décoré sa maison / peint le mur / gravé la chevalière}. (8)b Léa s’est {habillée coquettement / coiffée élégamment}. / Léa est magnifiquement coiffée. (8)c Luc {décore magnifiquement les maisons / peint magnifiquement les murs}. [habituel] (8)d Sur demande, ce joaillier {gravait autrefois / grave} grossièrement les chevalières. [habituel] (8)e Depuis peu de temps, Léa se coiffe élégamment. / Autrefois, Léa se coiffait joliment. [habituel]

Notes. ‒ Une interprétation non résultative est parfois acceptable, y compris au passé (9a) mais pas toujours (9b). ‒ Ces ADV peuvent refuser la paraphrase en et cela ADV (10).

(9)a Luc a discrètement orné le sapin. [‘Luc a agi avec discrétion, sans bruit quand il a orné le sapin’] (9)b Le joaillier a grossièrement gravé la bague. [≠‘Il a agi grossièrement quand il a gravé la bague’]

(10) *Léa s’habille et cela coquettement. / ?*Léa s’est meublée et cela {magnifiquement / richement}.

La classification des ADV selon leur portée. Il a été posé que, sauf exception avec quelques ADJ (provocateur…), l’ADV a pour ARG1 un V, qu’il est le prédicat2 de ce V. Il doit donc avoir une portée sémantique sur lui et non sur ses ARG, ce qui met en cause l’existence de la classe des « ADV orientés vers le sujet » ou du moins exige qu’elle soit réduite. La principale raison pour créer cette classe est que la forme adjectivée de ces ADV accepte pour support l’ARG1 du prédicat verbal et lui attribue une propriété inhérente (1a-c) ou momentanée (2a-c).

(1)a Léa réagit {brillamment / rapidement / sagement}. ⇔ Léa est {brillante / rapide / sage}. (1)b Luc répond {promptement / prudemment}. ⇔ Luc est {prompt / prudent}. (1)c Luc réagit bizarrement. ⇔ Luc est bizarre.

(2)a Léa a réagi {brillamment / rapidement / sagement}. ⇔ Léa a été {brillante / rapide / sage}. (2)b Luc a répondu {promptement / prudemment}. ⇔ Luc a été {prompt / prudent}. (2)c Luc a réagi bizarrement. ⇔ Luc a été bizarre.

Même si l’ADV a une portée sémantique sur le prédicat1 verbal qui est son ARG1 et qui lui sert de support, il peut étendre sa portée à l’ARG1 du V ou à la relation entre cet ARG1 et le prédicat1. Pourtant l’existence d’une classe d’ADV « orientés vers le sujet » ne va pas de soi : bien que la plupart des prédicats2 adjectivés acceptent pour support l’ARG1 /AGENT/ d’un prédicat1 de procès, ces ADJ n’en demeurent pas moins des prédicats2. La classe est donc trop ouverte pour être vraiment intéressante mais on peut proposer une hiérarchie (I-3-3.3) : ‒ l’ADJ prédicat2 admet sans difficulté que son ARG1, le prédicat1 de procès, ne soit pas exprimé

explicitement. La valeur est générique et concerne tous les procès que l’agent accomplit (3a) ou un procès spécifique donné par le contexte (3b). Malgré tout, l’ARG1 de procès peut être explicité sous la forme d’un GP complément : à V-inf (3c) ou dans GN (3d). Dans un type hybride, l’ARG1 de procès (le V agir) n’est pas exprimé mais un complément de V-inf, présup-posé, précise de quel procès il s’agit (3e) ;

‒ l’ADJ prédicat2 apparaît de préférence avec un GP complément dénotant son ARG1 de procès (4a-c). En effet, l’absence d’un tel complément est caractéristique d’une autre lexie du vocable, laquelle est un prédicat1 (4d-f) ;

‒ quelques cas sans GP manifestant l’ARG1 peuvent rester ambigus (5a, b).

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(3)a Luc est {calme / consciencieux / gentil / grossier / lent / prompt}. ⇔ Luc agit {calmement / consciencieu-sement / gentiment / grossièrement / lentement / promptement}.

(3)b Luc a été {calme / lent / prompt}. ⇔ Luc a agi {calmement / lentement / promptement}. (3)c Luc a été {*calme / lent / prompt} à réagir. ⇔ Luc a {calmement / lentement / promptement} réagi. (3)d Luc a été {*calme / lent / prompt} dans sa réaction. ⇔ Luc a {calmement / lentement / promptement}

réagi. (3)e Luc a été gentil [de m’aider]pp. ⇔ Luc a agi gentiment en m’aidant.

(4)a Luc est secI.B.1.α dans ses réponses. ⇔ Luc répond sèchement. (4)b Luc est bizarre1.b dans ses raisonnements. ⇔ Luc raisonne bizarrement. (4)c Luc est curieuxII.c dans ses choix. [‘choisit de façon étonnante’] (4)d Luc est secI.A.1. [‘pas mouillé’] (4)e Luc est bizarre1. [‘son aspect physique surprend’] (4)f Luc est curieuxI.2. [‘aime savoir’]

(5)a Luc est curieuxI.2. [‘aime savoir’] (5)b Luc est curieuxII.c. [‘se comporte de façon étonnante’]

Note. La numérotation des lexies est celle du Robert quand il distingue les prédicats1 et les prédicats2. Dans les autres cas, nous la créons (bizarre1.b, curieuxII.c). Elle renvoie aux analyses faites dans le chapitre sur l’adjectif.

D’autres points sont à considérer : la paraphrase où le prédicat1 verbal nominalisé sert de support au prédicat2 adjectivé est souvent plus naturelle que celle où l’ARG1 du V sert de support (6a, b) ; le premier GP complément du prédicat2 nominalisé est prioritairement son ARG1 (le prédicat1) (7) ; la passivation, qui change le sujet, reste acceptable, ce qui suggère que le lien avec l’ARG1 est inexistant (8). Finalement, les ADV forment un ensemble homogène et la classe des ADV « orientés vers le sujet » est d’un intérêt secondaire : la manière est une propriété du procès et concerne le V mais elle caractérise parfois indirectement l’ARG1 à travers son comportement.

(6)a Léa a protesté bruyamment. ⇔ La protestation de Léa été bruyante. / ??Léa a été bruyante dans sa protestation.

(6)b La plante a poussé vigoureusement. ⇔ ?La plante a été vigoureuse dans sa poussée. / La poussée de la plante a été vigoureuse.

(7) La {rapidité / sagesse} de la réaction de Léa / ?La {rapidité / sagesse} de Léa dans sa réaction

(8) Léa a rapidement démenti cette rumeur. ⇔ La rumeur a été rapidement démentie par Léa.

Notes. ‒ Il faut prévoir quelques exceptions : certaines formes en -ment sont des adverbiaux, des prédicats1 orientés

vers le sujet montés accidentellement d’un niveau en syntaxe. Elles refusent la glose où l’ADV porte sur le v, qui n’est pas son ARG1 (9a, b) (3.1.2) ; d’autres pourraient porter un jugement qualifiant sur les objets dénotés par le CD (ou des objets inclus dans le procès) et pourraient être des prédicats1 liés à un N sous-jacent (9c) (3.1.3).

‒ La forme nominalisée d’un V intransitif inaccusatif (tomber, entrer) est exclue d’un GP quand son premier ARG est le support d’un ADJ prédicat2 (10a-c) : ces V dénotent un procès dans lequel le sujet ne tient pas le rôle d'agent, n'initie pas activement l'action, en est le patient et ne peut donc être qualifié à travers son comporte-ment. L’agent d’un V intransitif inergatif (travailler) l’est à l’occasion (10d).

(9)a Luc a réparé calmement la voiture. / ?La réparation a été calme. (9)b Luc a été calme pendant la réparation. / La réparation s’est faite dans le calme. (9)c Léa habille chaudement les enfants.

(10)a Léa est tombée rapidement. ⇔ *Léa a été rapide dans sa chute. / La chute de Léa été rapide. (10)b Léa est entrée bruyamment. ⇔ *Léa a été bruyante dans son entrée. / L’entrée de Léa a été bruyante. (10)c Léa est entrée discrètement. ⇔ ?Léa a été discrète dans son entrée. / L’entrée de Léa a été discrète. (10)d Luc a travaillé {efficacement / rapidement}. ⇔ Luc a été {efficace / rapide} dans son travail.

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Obligatoire / facultatif L’ADV est rarement obligatoire. Cependant, certains prédicats1 verbaux exigent un ARG2 qui peut être un prédicat2 adverbial (1a). Cela rappelle les V qui exigent comme ARG un SPÉC-de-quantité, lesquels sont cependant bien différents (1b).

(1)a Luc {est / va / se comporte} bien. / Luc va toujours lentement. / Le cheval allait rapidement. (1)b Léa a {été / passé} beaucoup de temps à lire. / Cela a pris {longtemps / une heure}.

Tests transformationnels et paraphrases Les ADV acceptent deux types de transformations ou de paraphrases pertinentes pour confirmer leur statut de prédicat2 : ‒ des descentes catégorielles ; ‒ une concurrence régulière avec deux types de GP de statut adverbial (PRÉP N et de façon ADJ).

Les descentes catégorielles des ADV. Comme tout prédicat1 adjectival ou verbal, l’ADV peut changer de catégorie et descendre dans la hiérarchie morphosyntaxique mais il reste dépendant de son ARG1 (un prédicat1 de procès), lequel se réalise autrement. Cependant, puisqu’un prédicat2 est plus haut dans la hiérarchie qu’un prédicat1, il peut descendre de deux niveaux et devenir ADJ puis N : ‒ si un prédicat2 se manifeste sous forme d’ADJ, son ARG1 de procès accepte deux réalisations. Il

peut être ARG externe (support) s’il a une forme nominale (1a) ; il peut être interne dans un GP et se présenter alors sous forme de SN ou parfois de V-inf (1b).

‒ si un prédicat2 se manifeste sous forme nominale, son ARG1 est facultatif mais il est nécessairement interne sous la forme de V-inf ou de SN dans un GP s’il est présent (2) ;

‒ dans un cas plus complexe, le prédicat2 est évoqué au moyen des N façon / manière, qui dénotent le trait /MANIÈRE/ sous forme indéfinie. L’ARG1 de procès est attendu, est de forme de V-inf (3a, b) et il est l’ARG de façon / manière. En effet, même si un ADJ vient en général préciser la manière, il est facultatif : la manière peut rester indéterminée ou un PRÉDÉT adéquat peut suffire (3c, d). (1)a Luc réagit {rapidement / sagement}. ⇒ La réaction {rapide / sage} de Luc (1)b Luc réagit rapidement. ⇒ Luc est rapide dans ses réactions. / Luc est rapide à réagir.

(2) Luc réagit rapidement ⇒ La rapidité de Luc à réagir / La rapidité de la réaction de Luc

(3)a Luc réagit bizarrement. ⇒ Luc a une façon bizarre de réagir. (3)b Sa façon habile de répondre / Luc a une façon lente de réagir. / La façon lente qu’a Luc de réagir surprend. (3)c Chacun a sa façon de faire. / J’ai trouvé la façon de faire. / Luc a {une façon à lui / sa façon} de réagir. (3)d Cette façon de conduire a des risques.

Note. La paraphrase du type {le caractère / la nature} ADJ de SN (ou une variante du type ce N a un caractère ADJ) est souvent acceptable mais peu éclairante : ces N dénotent indistinctement une propriété d’entité ou de procès et valent globalement pour les prédicats1 et les prédicats2 (4a, b).

(4)a Le caractère grossier de son geste [grossier est un prédicat2] (4)b Le caractère {héréditaire / nouveau} de cette maladie. [héréditaire est un prédicat1]

Les GP de statut adverbial. La descente vers les catégories N et ADJ est caractéristique de l’ADV mais la PRÉP permet un mouvement inverse de remontée et redonne à un N prédicat2 un statut adverbial dans un GP qui a le sens et la syntaxe d’un ADV en -ment. Deux mécanismes généraux sont en cause :

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 24

‒ le prédicat2 nominal est adverbialisé au moyen des PRÉP avec et sans et les GP ont des formes variées : avec N / avec SN ADJ (1a-c) ; sans N / sans (S)N ADJ (2a). Sans est aussi compatible avec des V-inf et exclut alors une certaine manière d’agir (2b) ; (1)a Léa marche {rapidement / vite / avec rapidité / avec une grande rapidité}. (1)b Léa se défend {courageusement / avec courage / avec un grand courage}. (1)c Léa se défend {vigoureusement / avec vigueur}.

(2)a Léa se défend {sans énergie / sans grande énergie}. (2)b Léa a gagné sans forcer. [‘facilement’] / Luc est parti sans crier gare. [‘sans prévenir / subitement’]

‒ les N façon / manière, qui dénotent le trait /MANIÈRE/, entrent dans des GP variés. La forme la plus répandue est de {manière / façon} ADJ (3a-c) et l’ADJ est un prédicat2 qui précise la manière. Il existe quelques variantes : à peut remplacer de et la manière reste indéfinie ou elle n’est pas précisée par un ADJ mais par un GP (4a) ; la manière peut être caractérisée par la conséquence (4b). Ces GP présentent moins de trous que ceux de formés au moyen de avec / sans (S)N, dans lesquels le N est un prédicat2 nominalisé (4c). (3)a Luc a répondu {prudemment / de façon prudente}. / Luc conduit {bizarrement / de façon bizarre}. (3)b Léa marche {rapidement / de façon rapide}. (3)c Léa se défend {énergiquement / de façon énergique}.

(4)a Chacun a fait ça à sa façon. / Il a fait ça à la façon d’un pro. (4)b Il conduit de façon à {ce que rien n’arrive / éviter les risques}. (4)c Luc a réagi {de façon étrange / *avec étrangeté}.

D’autres PRÉP associées à un domaine sémantique restreint donnent un statut adverbial à un GP : ‒ en toute N exprime surtout un état d’âme (5a, b) ; ‒ à (S)N, à V-ons ou en N dénotent un mouvement du corps (6a, b) ; ‒ d’un SN ADJ contient des SN appropriés spécifiquement liés au V (7a, b).

(5)a Il a agi en toute {sérénité / simplicité}. / Il a réagi en toute hâte. (5)b Il agit en toute {amitié / impunité / naïveté / sérénité / simplicité}.

(6)a Le cheval est parti {au galop / au trot / à toute vitesse}. / Ils avançaient {à grands pas / au pas cadencé}. (6)b Luc avançait à {tâtons / reculons}. (6)c Luc est parti en {vitesse / silence / zigzag}. / Ils marchaient en file.

(7)a Léa marchait {résolument / d’un pas résolu}. / Léa a parlé {fermement / d’une voix ferme}. (7)b Il a tâté le coussin {lentement / d’un geste lent}.

La concurrence systématique entre l’ADV et ces deux types de GP montre que le critère du mot ou de la forme simple est trop restreint. Si vite / discrètement sont des ADV, on voit mal pourquoi les GP en vitesse / avec discrétion / de façon discrète / en {secret / cachette} qui partagent le sens et la syntaxe de l’ADV correspondant ne seraient pas assimilés aux ADV : ces GP contiennent un prédicat2 nominalisé ou adjectivé et ont un statut adverbial. Il existe cependant quelques légères différences distributionnelles : les GP sont difficilement insérés dans le SV, même entre deux pauses (8a), ou sont parfois plus étonnants en position détachée (8b).

(8)a Léa a {*avec lenteur / lentement} avancé vers la porte. (8)b {?Avec lenteur / Lentement}, Léa a avancé vers la porte.

Malgré son caractère général, la relation entre l’ADV et le GP adverbial n’est pas systématique mais il est difficile d’interpréter les trous :

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 25

‒ certains GP de statut clairement adverbial contenant un N qui est pourtant bien un prédicat2 n’ont pas de correspondant en -ment (9a) alors que l’ADJ correspondant au N existe (9b) et accepte que son ARG1 soit précisé dans un GP complément de forme dans SN (9c) ;

‒ à l’inverse, des ADV en -ment n’ont pas correspondant en avec N (10a, b). mais un GP de forme avec SN ADJ est souvent plus acceptable, sans doute parce qu’il permet de quantifier la manière (10c). Le refus de certaines paraphrases est pourtant éclairant sur le statut sémantique d’une forme en -ment : étroitement, qui refuse la paraphrase avec N, est un SPÉC-de-quantité qui exprime peu la manière ;

‒ la forme en -ment est parfois différente du GP correspondant et seule l’une des formes est un prédicat2. Plaisamment est un ADV qui dénote la manière de transmettre l’information ; avec plaisir qualifie l’état d’âme de l’agent et est plutôt un prédicat1 (11a). Constamment a une valeur quantitative et est un SPÉC-de-quantité, alors que avec constance est un GP adverbial qui exprime la manière dont l’agent s’implique (11b). (9)a Luc a travaillé {avec ténacité / *tenacement}. / Luc a traité ce cas {avec indulgence / *indulgemment}. (9)b Luc est {tenace / indulgent}. (9)c Luc {est tenace dans son travail / a été indulgent dans le traitement de ce cas}.

(10)a Luc a répondu {adroitement / bêtement / bizarrement / étrangement}. (10)b *Luc a répondu {avec adresse / bêtise / bizarrerie / étrangeté}. (10)c Luc a réagi {intelligemment / ?avec intelligence / avec une grande intelligence}. (10)d Léa surveille Luc {étroitement / *avec étroitesse}.

(11)a Luc a raconté {plaisamment / ≠avec plaisir} ses aventures. (11)b Léa surveille {constamment Luc / ≠Luc avec constance}.

Note. D’autres GP de forme voisine qui ne répondent pas à la question Comment P ? sont des adverbiaux. Certains contiennent un N prédicat1 dont un ARG porte le trait /HUMAIN/ : ils évaluent la participation de l’agent à un procès et sont proches des adverbiaux à valeur modale (12a) (3.2.1) ; d’autres dénotent une cause et sont de vrais adverbiaux à valeur causale (12b) (3.2.2).

(12)a Léa a aidé Luc {de bon cœur / avec joie / avec empressement}. (12)b Dans mon empressement, j’ai bafouillé.

Les ADV en -ment : des adjectifs transformés en adverbes ? Au plan de la morphologie, les ADV sont généralement dérivés d’ADJ au moyen de -ment (lent ⇒ lentement) et cela suggère que les ADV sont seconds par rapport aux ADJ. Mais la directionnalité des marques est parfois trompeuse : ‒ il existe de nombreux cas de conversion (ou dérivation impropre) dans laquelle un V, qui paraît

premier, produit un N par simple absence du flexif (donner / don…) ; ‒ il existe quelques cas de dérivation dans lesquels un V qui est pourtant second par rapport au N

représente une forme tronquée du N. En effet, nourriture paraît premier par rapport à nourrir (nourrir = ‘donner de la nourriture’).

La dérivation inverse existe donc et elle est même la règle pour les ADV. L’ADV est un prédicat2 dénotant la manière et a un statut notionnel propre. Même si la forme adjectivale est plus simple et paraît première, elle est seconde si l’on se place au plan notionnel et cette position explique directement pourquoi certains ADJ sont incompatibles avec le dérivatif -ment et n’ont pas d’ADV correspondant : la catégorie notionnelle /MANIÈRE/ exige un ARG1 particulier (un prédicat1 de procès), est réservée à des notions qui sont des prédicats2 et certains ADJ ne peuvent être que des prédicats1 qui sélectionnent des entités ou la matière. Cela concerne en particulier ceux qui dénotent des propriétés de l’espace comme la couleur ou la forme (1a) ou encore le temps (participes passés, formes en -able) (1b). Si un dérivé en -ment est acceptable, la lexie est

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sémantiquement éloignée de la base et peut être un ADV (1c), un SPÉC-de-quantité ou un prédicat1 (1d).

(1)a *Rectanglement / *Rougement / *Carrément1 [Sens spatial] / *Largement1 [Sens spatial] / *Grossement (1)b *Discutablement / *Perceptiblement (1)c Posément (1)d Carrément2 / Largement2 / Indiscutablement

La directionnalité particulière des marques s’explique par l’histoire mais aussi par l’économie : la catégorie ADJ étant située entre le N et l’ADV, elle produit le N et l’ADV au moyen d’un seul dérivé (lent produit directement aussi bien lent-eur que lente-ment). Quant à la descente des ADV vers les ADJ, elle s’explique par les raisons qui valent pour de la descente des catégories V et ADJ vers la catégorie N : la généricité ou la présupposition.

Intersections Quelques théories posent que les deux parties du discours ADJ et ADV n’en font qu’une à un niveau profond, pour deux raisons éloignées : elles acceptent les mêmes marques de gradation ; les ADV ont souvent un correspondant adjectival et seraient des formes occasionnelles de l’ADJ. Une telle position est indéfendable et la catégorie notionnelle prédicat2 s’impose : le trait /MANIÈRE/ est une propriété des procès. Cela explique simplement que de nombreux ADJ refusent l’adverbialisation par -ment mais aussi et surtout que les ADJ qui l’acceptent aient une complé-mentation particulière (ADJ {dans SN, à V-inf, de V-inf}). Les trois schémas où un prédicat2 adjectivé prend pour support l’ARG1 ou l’ARG2 de son ARG1 verbal devenu complément de l’ADJ ont été traités dans le chapitre sur l’ADJ (I-3-3.3).

Plusieurs ADJ neutres, parfois dits adverbes courts, sont utilisés avec des V intransitifs. Beaucoup sont clairement des épithètes d’un SN inclus dans le dénoté du V (1a, b) ou correspondant au résultat nominal du V (1c, d) ; d’autres ont un statut moins clair mais plusieurs intensifient ou qualifient simplement dans leur domaine respectif (1e, f).

(1)a Pour votre santé, évitez de manger gras ou salé et mangez léger. [‘de la nourriture grasse ou salée’] (1)b Elle s’habille jeune. [‘Elle porte des habits jeunes’] / Cette machine lave blanc. [‘Elle rend le linge blanc’] (1)c Il a parlé haut et fort. [‘Ses paroles étaient fortes’] / Il a parlé franc. / Il chante parfois faux. / Il a vu clair. (1)d Le gâteau sent bon. [‘Il produit de bonnes odeurs’] (1)e Cela pèse lourd dans la balance. / Cette voiture coûte cher. / Il a payé cher. / C’est cher payé. (1)f Ses calculs tombent juste. / Il vise juste.

Une définition restrictive de l’ADV permet de limiter les intersections. Si l’on exclut les formes en -ment prédicats1 du débat (certainement…), il reste trois zones possibles d’intersection : ‒ l’ADV croise peu les SPÉC-de-quantité en -ment. Avec l’ADJ, ils apportent des traits quantitatifs ou

intensifs de nature spatiale (2a) ou temporelle (2b) ou limitent le domaine du propos (2c). Avec le V, plusieurs formes en -ment sont polysémiques mais les lexies sont très éloignées (/MANIÈRE, QUANTITÉ/) et elles sont même homonymiques, si bien qu’on ne peut parler d’intersection (2d) ;

‒ l’ADV croise peu le circonstant. Soudain, soudainement, tout à coup, qui entrent dans le SV, sont des ADV et non des circonstants et il en va de même pour à l’improviste. Ils refusent le clivage par c’est mais ce refus est justifié : ces ADV annoncent un procès inattendu alors que le clivage extrait un élément nouveau qui précède une P présupposée (3) ;

‒ l’ADV est à la source de plusieurs MD illocutoires en -ment mais ils ont souvent perdu leur lien avec lui. Ainsi, exactement et parfaitement sont devenus des MD illocutoires d’accord (4a, b).

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(2)a Luc dort profondément. / Il est profondément vicieux. / Il est carrément mécontent. (2)b Léa a longuement réfléchi. / Léa a {immédiatement / momentanément} quitté les lieux. (2)c Cela marque le patient physiquement. / Il est physiquement fort. (2)d Léa travaille drôlement. [‘beaucoup / de façon bizarre’]

(3) *C’est soudain que le vent s’est levé.

(4)a A –Tu vas sans doute contester. B –Exactement. / Parfaitement. (4)b A –Est-ce que tu lui as parlé ? B –(Oui), parfaitement.

Cas particuliers Trois adverbes simples non dérivés d’ADJ (vite, bien, mal) sont souvent utilisés comme exemples de la catégorie mais ils sont soumis à des restrictions étonnantes : ‒ bien, mal n’ont pas de GP correspondant. Ils ont aussi des contraintes distributionnelles

inattendues : ils ne peuvent être détachés en tête de P (1a), placés après le CD ou le CI sauf s’il sont associés à un SPÉC-de-quantitié (1b) ; ils refusent le clivage (1c) mais précèdent le V-inf comme pas, vraiment (1d). Le caractère quantitatif semble en cause : mal conduire ≈ ‘ne pas vraiment conduire’ ; mal faire ≈ ‘faire en partie / ne pas faire vraiment’. On peut poser la même hypothèse pour quelques formes en -ment apparemment plus adverbiales qui refusent le clivage (2a, b) ;

‒ le GP correspondant à vite n’est pas *avec vitesse mais avec rapidité. Cet ADV est aussi difficile à cliver et la contrainte reste mystérieuse (3a, b). (1)a {*Bien / *Mal}, Léa planifie ses activités. (1)b *Léa planifie ses activités {bien / mal}. / Léa planifie {bien / mal} ses activités. / Léa planifie ses activités

aussi bien que Luc. (1)c *C’est {bien / mal} que Luc conduit. (1)d Pour bien manger, prenez des fruits. / Plutôt que de mal faire, il ne fait rien.

(2)a *C’est {dangereusement / négligemment / paresseusement} que Luc conduit. [‘Il ne conduit pas vraiment’] (2)b C’est {*dangereusement / ?négligemment / ?paresseusement} que Luc avance. [‘Il avance mais à peine’]

(3)a Léa conduit {vite / *avec vitesse / en vitesse / à toute vitesse}. / Il a répondu {vite / avec rapidité}. (3)b ?C’est vite que Léa {conduit / a répondu}.

Une série de formes en in-V-ablement fait difficulté : elles sont apparemment liées à la manière mais dénotent aussi la quantité (imperceptiblement) surtout sous l’angle de la successivité (imperturbablement, implacablement, inlassablement), laquelle est parfois associée à la modalité déontique (inéluctablement) (4a, b). Elles refusent le clivage, peut-être parce que le V est rhématique (4c).

(4)a L’eau s’écoulait imperceptiblement. (4)b Luc répondait {imperturbablement / implacablement / inlassablement / inéluctablement} la même chose. (4)c *C’est imperceptiblement que l’eau s’écoulait.

2.1.2 Quelques ADV compatibles avec l’ADJ

Morphologie et spécifieurs Quelques ADV peuvent être associés à des ADJ particuliers souvent dérivés de V (1a). Ils sont peu compatibles un SPÉC-de-quantité (1b).

(1)a Luc est doucement {provocateur / railleur}. (1)b ??Luc est très doucement {provocateur / railleur}.

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Distribution et compatibilités Les ADV associés à l’ADJ refusent le détachement (1a), le clivage (1b) et le placement en fin de P dans un GP coordonné en et cela ADV (1c). Puisque l’ADJ est incompatible avec une question en Comment est ADJ ?, ils ne peuvent évidemment répondre à ce type de question (1d).

(1)a *Doucement, Luc est {provocateur / railleur}. (1)b *C’est doucement que Luc est {provocateur / railleur}. (1)c *Luc est {provocateur / railleur} et cela doucement. (1)d A –*Comment est-il railleur? B –Négligemment.

Complémentation Ces adverbes ont pour support un ADJ, ce qui est inattendu mais l’ADJ est lié à la notion de procès et généralement en relation directe avec un V.

Sémantique Un ADV doit en principe avoir pour support un prédicat1 verbal qui est son ARG1 : c’est un prédicat2 qui dénote la façon dont se déroule un procès. Dans ces conditions, un ADV ne prendre pour support un ADJ que dans des conditions strictes : ‒ l’ADJ dénote une propriété qui caractérise le comportement momentané ou habituel de l’agent

d’un procès. Il a souvent un correspondant nominal (1a) et est souvent dérivé d’un V (1b). En outre, l’ADJ et le V source de l’ADJ possèdent dans leur dénoté non seulement une notion de procès mais aussi le trait /MANIÈRE/ (1c, d). Cela explique pourquoi la combinaison de l’ADJ et de l’ADV associe souvent des traits contradictoires concernant la manière et a parfois un aspect ludique (1e) ;

‒ le N support de l’ADJ dénote l’agent d’un procès portant le trait /HUMAIN/ (2a) ou est un N-de-procès et donc un prédicat1 (2b, c). (1)a Luc est un {provocateur / macho}. (1)b Luc {provoque souvent / est un provocateur}. (1)c Railler = ‘parler de quelqu’un d’une façon ironique’  (1)d Provoquer = ‘parler à quelqu’un de façon outrancière en vue de le faire réagir’ (1)e Provoquer doucement = ‘parler de façon outrancière avec pondération’

(2)a Luc est doucement {provocateur / railleur}. [‘Luc a la propriété de railler doucement’] (2)b Luc tient des propos négligemment {provocateurs / railleurs}. / Luc a un sourire doucement provocateur. (2)c Le sourire doucement provocateur de Luc exaspère Léa.

Quelques ADJ non dérivés de V peuvent aussi être associés à un ADV s’ils dénotent des traits de comportement : être idiot = ‘agir, parler de façon stupide’ ; être macho = ‘parler, se comporter de façon dédaigneuse face aux femmes’ (3a). À la limite, l’ADV peut caractériser la façon dont un état psychique est extériorisé (3b), ce qui rappelle les V-statifs (aimer discrètement).

(3)a Luc est innocemment {idiot / macho}. (3)b Léa est négligemment heureuse. [‘Léa montre son bonheur de façon négligente’]

Tests transformationnels et paraphrases L’ADJ devient aussi souvent un N qui dénote un agent et la notion de procès est donc toujours sous-jacente (1a). La forme verbale est souvent disponible ainsi que les GP correspondants (1b).

(1)a Luc est un provocateur. (1)b Luc {provoque / raille} de manière négligente.

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2.1.3 Proformes, formes indéfinies et comparaison Cette section aborde trois points associés à l’indéfinition : la proforme adverbiale, qui entre dans des expressions indéfinies ; l’expression positive indéfinie de la manière ; les formes indéfinies saturées par le contexte (comparatives).

a) La proforme adverbiale et les expressions indéfinies

Morphologie La proforme indéfinie correspondant à l’adverbe est COMMENT, interrogatif et autonome (1).

(1) COMMENT s’est-il comporté ? / Je sais COMMENT faire ça.

Distribution et compatibilités COMMENT, en tant qu’interrogatif, a une distribution particulière : dans l’interrogation directe, il se place souvent en tête de P (1a) ; dans l’« interrogation »  indirecte, il se place entre deux V en tête de la phrase subordonnée (1b). COMMENT interrogatif direct est compatible avec le clivage (1c).

(1)a COMMENT as-tu fait ? / Tu as fait COMMENT ? (1)b Je sais COMMENT tu as fait. (1)c C’est COMMENT que tu as fait ?

COMMENT entre dans les expressions indéfinies n’importe comment (2a) et peu importe comment (2b). La forme attendue comment que est sortie de l’usage.

(2)a Luc fait ça n’importe comment. (2)b Peu importe comment je fais, ça ne marche pas. / *Comment que je fais, ça ne marche pas.

Complémentation COMMENT est un prédicat2 qui a pour ARG1 un prédicat1 verbal. Dans l’« interrogation » indirecte, il permet l’intégration d’une P comme ARG2 dans une autre.

Sémantique COMMENT représente un prédicat2 indéfini qui attend d’être saturé (1a). N’importe comment dénote une manière indifférente ; peu importe comment fait un parcours de toutes les manières et indique qu’elles sont sans effet sur la vérité du prédicat de la P (1b).

(1)a COMMENT as-tu fait ? / Tu as fait COMMENT ? (1)b Peu importe comment je fais, ça ne marche pas. [‘J’ai beau faire de toutes les façons, rien n’y fait’]

Tests transformationnels et paraphrases COMMENT est en concurrence avec façon / manière associés à un PRÉDÉT indéfini interrogatif (1a). Peu importe comment est en concurrence avec Quelle que soit la façon dont (1b).

(1)a De quelle façon a-t-il répondu ? / J’ignore de quelle façon il a fait ça. (1)b {Peu importe comment / Quelle que soit la façon dont} je travaille, ça ne marche pas.

Dans l’interrogation indirecte, la P est souvent absente, mais elle est récupérable (2). (2) Léa a réussi et je ne sais vraiment pas comment (elle a fait pour réussir).

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Intersections COMMENT associé à un autre élément devient un marqueur discursif (MD) : ‒ comment ça ? interrogatif ou exclamatif devient un MD illocutoire. La question sur la façon

dont l’action est réalisée indique en effet qu’il est difficile de croire à sa réalisation (1a) ; ‒ et comment ! exclamatif est un MD illocutoire qui exprime un haut degré d’accord (1b).

(1)a A –Luc est arrivé. B –Comment ça ! / A –Je pars. B –Comment ça ? (1)b A –Il est vraiment grand. B –Et comment !

b) L’expression positive indéfinie de la manière L’existence positive d’une manière indéfinie qui correspond à quelque chose / quelqu’un dans le domaine nominal est exprimée non par des ADV mais par des GP contenant façon et manière : d’une {façon / manière} quelconque, d’un certaine {façon / manière}, d’une {façon / manière} ou d’une autre (1a, b). Mais ces GP sont généralement détachés et ils sont devenus des MD argumentatifs (2.2.2 > Intersections).

(1)a *Luc a agi d’une certaine façon. (1)b Je suis convaincu qu’il y a participé d’une façon {quelconque / ou d’une autre}.

c) Les formes indéfinies saturées par le contexte (comparaison)

Morphologie Plusieurs formes comparatives ont le statut d’ADV : ainsi1 que (1a) ; autrement1 que, différemment de (1b) ; comme, non autonome, qui correspond à COMMENT interrogatif (1c).

(1)a Luc a répondu ainsi qu’il l’avait annoncé. (1)b Luc a répondu {autrement qu’il l’avait annoncé / différemment de Léa}. (1)c Luc a répondu comme il l’avait annoncé.

Distribution et compatibilités L’ADV comparatif est suivi d’un ARG2 et se place généralement après les arguments internes du V (1a, b) mais il peut précéder un autre complément (circonstant en particulier) (1c). Il n’entre pas dans le SV et ne précède pas le CD (1d, e). Le clivage est accepté avec comme (2a) mais refusé avec ainsi1 que / autrement1 que (2b). La coordination avec un autre ADV est acceptable (3).

(1)a Léa a réglé la machine {comme les / différemment des} autres fois. (1)b ?Léa a réglé comme les autres fois la machine. (1)c Léa a réglé la machine {comme les / différemment des} autres fois aujourd’hui. (1)d *Luc a {ainsi que prévu / autrement que prévu / comme ça} répondu. (1)e *Luc a pris {ainsi1 que prévu / autrement que prévu / comme ça} le paquet.

(2)a C’est comme {il avait dit / Léa} qu’il a fait. (2)b *C’est {ainsi / autrement} qu’il avait dit qu’il a fait.

(3) Il a procédé comme prévu et efficacement.

La nature des constituants qui suivent l’ADV comparatif varie selon les formes : ‒ ainsi1 est suivi de que-P (4a) ; ‒ comme ne précède jamais que mais peut précéder : un SN, certains SPÉC-de-quantité, un

circonstant (4b) ; une P, parfois introduite par si ou par quand (4c) ; ‒ autrement1 que est lui aussi suivi de plusieurs catégories (P, SN, GP) (4d).

(4)a Luc a répondu ainsi {*que toi / *que hier / qu’il l’avait annoncé}. (4)b Il a fait comme {TOI / toujours / hier / d’habitude / pour un ami / un enfant gâté}.

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(4)c Il a agi comme {il avait dit / s’il était seul / quand il était soldat}. (4)d Luc a répondu autrement {que toi / que hier / qu’il l’avait annoncé}.

Complémentation Par définition, l’ADV a en principe un prédicat1 verbal comme ARG1 mais l’ADV comparatif a aussi un complément de nature phrastique qui est son ARG2 et qui contient un second prédicat1 verbal. Il est le prédicat2 de ces deux V, dénote un trait commun ou contraire aux deux V, ce qui lui permet d’enchâsser la P contenant le second V dans la première. L’ADV est donc un subordonnant et la P qu’il enchâsse peut contenir un autre subordonnant (temporel, si).

(1)a Il a été écartelé comme Ravaillac l’a été. (1)b Il m’a parlé comme {il m’a reçu / si j’étais son employé / quand il était mon chef}.

Note. C’est bien ce partage d’un élément indéfini qui permet la subordination, comme le montrent d’autres schémas où un ARG, un circonstant ou un SPÉC-de-quantité indéfini est partagé (2a-c).

(2)a Léa répète ce que Luc a dit. (2)b Léa écoute quand Luc parle. / Léa se repose là où elle devrait travailler. (2)c Je dépense ce que je gagne. / Je gagne en dollars ce que tu gagnes en euros.

Sémantique L’ADV comparatif dénote le trait /MANIÈRE/, qui reste indéfini. Il n’exprime que l’identité (ainsi que, comme) ou la différence (autrement que, différemment de) (1a-c). Connu pour le prédicat1 verbal enchâssé, le trait est attribué par intersection à un autre V ou à un autre état du même V. Un autre ADV est donc exclu avec le V de la P enchâssée et, si le trait n’est pas connu pour ce v, il est exprimé mais après une pause (2a, b). Comme prévu, l’ADV comparatif porte difficilement sur un V-statif, peu compatible avec le trait /MANIÈRE/ (3).

(1)a Luc a répondu {ainsi qu’ / comme} il l’avait annoncé. / Il parle comme {un professeur / il parlait à cinq ans}. (1)b A –COMMENT travaille-t-il ? B –Comme toi. / Comme d’habitude. / Comme il travaille d’habitude. (1)c Luc a répondu autrement qu’il l’avait annoncé.

(2)a *Il m’a parlé comme il m’a reçu gentiment. (2)b Luc a mené son enquête comme il l’avait dit : rapidement et avec efficacité.

(3) ?Pierre va comme Marie. / ?Je sais comme toi.

Test transformationnels et paraphrases La P enchâssée à l’aide d’un ADV comparatif est souvent réduite si son V est identique à celui de la principale. Elle contient cependant un constituant différent (1a-c) et ce constituant est obligatoire avec comme, ce qui explique sans doute pourquoi ce dernier accepte facilement la répétition du même V (1d). Un ADV comparatif peut aussi être simplement saturé par le contexte sur la base de l’anaphore (2a), d’un pointage (2b) ou d’un geste mimant (2c), ce qui permet l’absence de l’ARG2, sauf avec comme, qui exige ça. Au contraire des formes complètes, les formes réduites de ainsi et autrement sont clivables (2d).

(1)a Léa a réagi comme (elle a réagi) hier. / Léa a réagi comme Luc (a réagi). (1)b ?Il m’a parlé comme il t’a parlé. ⇒ Il m’a parlé comme à toi. (1)c Il m’a parlé autrement (que {hier / son frère}). (1)d Il a agi comme {tu as agi / toi}. / Il a été puni comme {Ravaillac l’a été / Ravaillac}. [d’une façon atroce]pp

(2)a Luc aborde les faits {ainsi1 / comme ça / autrement / différemment}. [anaphore] (2)b Il dort ainsi d’habitude. [pointage] (2)c Il a agi {de cette façon / ainsi / comme ça}. [geste mimant la manière] (2)d C’est {ainsi1 / autrement / comme ça} qu’il a fait.

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Ces formes indéfinies de l’ADV sont en concurrence avec des GP contenant un N prédicat2 (façon / manière) associé à un ADJ anaphorique, comparatif ou déictique (3a-c).

(3)a Luc parle d’une autre {façon / manière} que toi. / Luc parle d’une autre {façon / manière} qu’il parlait. (3)b Il parle {de la même façon que toi / avec la même clarté que son frère}. (3)c Il a parlé de cette manière-là.

Intersections Les marqueurs indéfinis exprimant la manière deviennent des marqueurs discursifs (MD) : ainsi3 / ˹comme ça˺1 sont des MD structurants à valeur argumentative (1a) ; ainsi donc / ˹comme ça˺2 sont des MD structurants non argumentatifs qui ouvrent le discours en évoquant un propos établi (1b).

(1)a Léa a gagné le concours et, {ainsi3 / ˹comme ça˺1}, elle a pu réaliser son rêve. (1)b A –{Ainsi donc / ˹comme ça˺2}, tu quittes le comité. B –Eh oui.

Cas particuliers L’identité partielle des deux prédicats fonctionnels est masquée quand une subordonnée introduite par comme, ainsi que contient un V qui évoque des propos : l’ARG2 de ce V est la P principale, souvent rappelée par le anaphorique mais parfois absente (1a, b).

(1)a Luc a {agi / parlé} comme il l’avait promis. [‘comme il avait promis qu’il ferait’] (1)b Luc a {agi / parlé} comme il avait dit. [‘comme il avait dit qu’il ferait’]

Tout comme / comme si dénotent un comportement inattendu en fonction de la P négative qui précède (2a, b). Le V de la P enchâssée est aussi celui de l’enchâssante et il est souvent absent.

(2)a Il n’a rien compris mais il a fait comme si (il avait compris). (2)b Il n’a rien dit mais c’est {tout comme / comme s’il avait dit quelque chose}.

Comme un N est concurrencé par en N avec quelques V centrés sur la manière d’agir où le GP complément s’apparente à un ARG2 du V (3a, b).

(3)a Il a {agi / servi / s’est comporté} comme un (vrai) pilote. / Il a conduit comme un pro. (3)b Il a {agi / servi / s’est comporté} en (vrai) pilote. / ?Il a conduit en pro.

2.2 Les adverbes détachés Par définition, tout élément dit ADV doit avoir un prédicat1 (généralement verbal) comme ARG1. Pour les ADV détachés qui n’ont pas de prédicat1 exprimé, il existe deux possibilités : leur ARG1 est le V présent dans la P ou est sous-jacent. Pour des raisons sémantiques, seule la deuxième hypothèse est défendable et la même vaut pour tous les ADV détachés : ils ont pour ARG1 un prédicat1 de procès général facile à récupérer (agir, parler). L’asymétrie entre le plan sémantique de la représentation et le plan syntaxique de l’expression doit alors être contrôlée par des paraphrases précises, naturelles et valides partout. Même si nous proposons deux prédicats1 sous-jacents, l’étude se fait en trois temps pour clarifier le débat : ‒ le prédicat1 est agir ou un concurrent proche (2.2.1) ; ‒ le prédicat1 est agir mais le prédicat2 est indéfini et comparatif (2.2.2). Ce type de prédicat2

est fréquent (comme, ainsi que) et mérite une étude à part ; ‒ le prédicat1 est parler (2.2.3).

Note. Guimier (1996) fait une bonne description du comportement des ADV détachés, séparés en extra-prédicatifs et en exo-phrastiques (chapitres III-IV). Nous profitons de ses données mais le défaut d’une définition syntaxique ou sémantique de l’ADV se fait sentir : il ne peut proposer une hypothèse explicite ni limiter les formes à étudier.

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 33

2.2.1 Les ADV détachés dont l’ARG1 est agissant absent

Morphologie et spécifieurs Les ADV détachés dont l’ARG1 est agissant absent ont souvent la forme en -ment. Ils sont peu compatibles avec la gradation dans cet emploi (1a, b) et pas ne peut les précéder (2).

(1)a Bizarrement, Léa est rentrée seule. / *Très bizarrement, Léa est rentrée seule. (1)b Gentiment, Luc a offert de rester. / ?Très gentiment, Luc a offert de rester.

(2) *Pas lentement, Léa a reculé.

L’ADV détaché impose parfois des contraintes aux formes du V fléchi qui ne peut référer à une phase restreinte du procès (2a-c ; 3a-c). Le conditionnel est refusé ou du moins surprenant (4).

(2)a Léa a pris délicatement le fruit à ce moment-là. / À ce moment-là, Léa a pris délicatement le fruit. (2)b Léa déballait délicatement le cadeau à ton arrivée. / À ton arrivée, Léa déballait délicatement le cadeau. (2)c Léa est en train de placer délicatement les décorations.

(3)a ?Délicatement, Léa a pris le fruit à ce moment-là. / ??À ce moment-là, délicatement, Léa a pris le fruit. (3)b *Délicatement, Léa déballait le cadeau à ton arrivée. / *À ton arrivée, délicatement, Léa déballait le cadeau. (3)c Délicatement, Léa est en train de placer ses décorations.

(4) *?Délicatement, Léa déballerait son cadeau.

Note. Le prédicat verbal de la P est dit V fléchi mais la flexion est souvent portée par un AUX suivi d’un participe passé, par un V-spéc (Luc va partir) ou par un V-référentiel (Luc commence à parler). Pour être précis, il faudrait parler de V constructeur car il établit la structure argumentale de la P.

Distribution et compatibilités Ces ADV détachés se placent en tête de P, après le sujet ou dans le SV entre deux pauses dans une P-assertive (1a, b). Ils sont refusés dans une P-inter ou un énoncé impératif (1c, d) et ne peuvent être clivés car un ADV clivé a le statut de prédicat2 du V fléchi (2a, b).

(1)a Bizarrement, Léa a reculé. (1)b Luc, intelligemment, a répondu par un sourire. / Luc a, intelligemment, répondu par un sourire. (1)c *Lentement, Léa a-t-elle ouvert la porte ? / *Bizarrement, Léa a-t-elle reculé ? (1)d *Lentement, avance. / *Bizarrement, recule.

(2)a *C’est bizarrement que {Léa a dit un seul mot / la porte est ouverte}. (2)b C’est bizarrement que Léa a répondu. [forme clivée de Léa a répondu bizarrement]

Beaucoup d’entre eux sont soumis à de fortes contraintes : ils sont incompatibles avec la négation dans la P (3a) et sont difficilement séparés de l’ARG1 du v fléchi par la passivation (3b). D’un autre côté, ils excluent le clivage dans la P qui suit (3c).

(3)a *{Lentement / Naïvement}, Léa n’a pas posé de question. (3)b *Lentement, la porte a été ouverte par Léa. / Lentement, Léa a ouvert la porte. (3)c *{Lentement / Naïvement}, c’est Léa qui a répondu.

Il existe pourtant un type qui n’est pas soumis à ces contraintes et est compatible avec la négation (4a), la passivation (4b) et le clivage dans la P qui suit (4c).

(4)a Bizarrement, Léa n’a pas posé de question. (4)b Bizarrement, le repas a été préparé par Luc ce jour-là. (4)c Bizarrement, c’est Léa qui a répondu.

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 34

Complémentation La sémantique exclut souvent que le prédicat1 verbal présent dans la P soit l’ARG1 de l’ADV détaché : celui-ci ne peut parfois être intégré dans la P (1a, b) ou l’intégration modifie fortement le sens (2a, b). Pour que ces formes en -ment détachées soient dites ADV, elles doivent avoir pour ARG1 un prédicat1 verbal. Nous postulons que cet ARG1 sous-jacent est un V général qui dénote un procès (agissant). L’ADV et son ARG1 sous-jacent constituent une prédication seconde.

(1)a Curieusement, Luc s’est tu. / *Luc s’est tu curieusement. (1)b Ironiquement, la mission consiste à améliorer leur vie. / ?La mission consiste ironiquement à améliorer leur

vie. / *La mission consiste à améliorer ironiquement leur vie.

(2)a Bizarrement, Léa a répondu. / ≠Léa a répondu bizarrement. (2)b Ironiquement, Léa a accepté leur point de vue. / ≠Léa a accepté ironiquement leur point de vue’

Les ADV conformément / contrairement1, qui sont souvent détachés, ont aussi un ARG2 de forme à SN qui dénote un principe déontique (3a, b) ou un comportement qui sert de norme. Leur ARG1 est aussi agissant et non le V fléchi car le détachement modifie fortement leur sens (4a, b).

(3)a {Conformément / Contrairement1} au règlement, Léa a quitté les lieux aussitôt. (3)b Léa a quitté les lieux, {conformément / contrairement1} au règlement. (3)c Contrairement1 à ses habitudes, Léa a parlé. / ?Léa a parlé contrairement1 à ses habitudes.

(4)a Conformément à la loi, Luc a répondu. / ≠Luc a répondu conformément à la loi. (4)b Contrairement1 au règlement, Léa a réagi. / ?Léa a réagi contrairement1 au règlement.

Note. Contrairement1 est généralement détaché et contrairement2 l’est toujours (5). Ce dernier est réservé à la non-identité dans les faits et étudié avec les ADV indéfinis (2.2.2).

(5) Contrairement2 à Léa, Luc est resté. / *Luc est resté contrairement2 à Léa.

Sémantique L’hypothèse. Deux prédicats1 verbaux qui dénotent de façon générale un procès (agir, se dérouler) sont des candidats naturels au statut d’ARG1 des ADV détachés : ils sont facilement récupérables et respectent l’interprétation dans deux paraphrases (X agissant / les événements se déroulant) (1a-d). Ces ADV ne portent pas sur le V fléchi exprimé, n’évaluent pas directement le procès qu’il dénote car il n’est pas leur ARG1 mais font un commentaire sur lui.

(1)a {Agissant / Se comportant} intelligemment, Luc a donné son accord. (1)b (Les événements se déroulant) bizarrement, Léa a répondu. (1)c (Agissant) conformément au règlement, Léa a quitté les lieux. (1)d (Agissant) contrairement1 au règlement, Léa a quitté les lieux.

Comme tout prédicat, l’ADV détaché sélectionne son ARG1 verbal et ne peut être détaché que s’il est compatible avec agir / se dérouler, qu’il dénote la manière dont l’agent se comporte globalement lors de la réalisation d’un procès ou le déroulement global des choses. De façon générale, ces ADV sont en effet compatibles avec agir / se dérouler et répondent aussi spontané-ment à Comment {X s’est-il comporté / X a-t-il agi / cela s’est-il passé} ? (2a-c) mais ironique-ment, qui annonce un fait inattendu, appelle une P qui explicite le jugement (2d). Si l’ADV dénote la façon précise dont une action est réalisée (3a-c) ou encore ne qualifie que son terme (3d), il doit être intégré et exige pour ARG1 le V fléchi. À l’inverse, certains ADV sont détachables devant un V fléchi qu’ils ne peuvent sélectionner (4a-c).

(2)a Luc {s’est comporté bizarrement / a agi bizarrement}. / Les choses se sont déroulées curieusement. (2)b A –Comment cela s’est-il passé ? B –Bizarrement.

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(2)c A –Comment {Luc s’est-il comporté / a-t-il agi} ? B –Brillamment. / Prudemment. / Intelligemment. / *Ironiquement. (2)d Ironiquement, il a accepté le compromis.

(3)a ?Attentivement, Luc a déballé son cadeau. / *{Rapidement / Résolument}, Léa marchait. (3)b ?*Assidûment, Léa a participé aux réunions. / ?Gloutonnement, Luc a mangé son dessert. (3)c *Dangereusement, Léa conduisait. / *Lamentablement, Luc a échoué. (3)d *Magnifiquement, Luc a orné le sapin. / *Admirablement, Léa a répondu aux critiques.

(4)a *Luc a avancé stupidement. / Stupidement, Luc a avancé. (4)b *Luc s’est tu curieusement. / Curieusement, Luc s’est tu. (4)c *Léa a réagi contrairement à son habitude. / Contrairement à son habitude, Luc a réagi.

Cette hypothèse éclaire une caractéristique déjà notée de ce type d’ADV détaché mais aussi deux autres compatibilités : ‒ le refus du détachement de l’ADV devant un énoncé interrogatif ou impératif car l’ADV ne peut

faire un commentaire que sur la réalisation d’un procès effectif ; ‒ la facilité à faire cohabiter un ADV détaché et un autre intégré car ils ne partagent pas le même

ARG1 (5a). Insérés dans la P, ces ADV sont difficilement juxtaposés (5b, c) et sont plutôt coordonnés (5d) ;

‒ leur capacité à porter sur un ensemble de procès coordonnés qui se succèdent (6a, b). (5)a Discrètement, Luc a vite changé d’avis. / Vite, Luc a discrètement changé d’avis. (5)b ??Luc a discrètement vite changé d’avis. / ??Luc a vite changé discrètement d’avis. / ??Luc a discrètement

changé vite d’avis. (5)c ??Luc a intelligemment répondu évasivement à la question. (5)d Luc a vite et discrètement changé d’avis.

(6)a Lentement, Léa s’est redressée et s’est mise à marcher. (6)b Curieusement, Léa s’est redressée mais est restée sur place.

Les types. La différence de sens entre l’ADV détaché et l’ADV intégré peut varier. Parfois peu évidente (1a), elle est très marquée pour certains types (1b).

(1)a Lentement, Léa a quitté les lieux. / ≈Léa a quitté lentement les lieux. (1)b Bizarrement, Luc a quitté. / ≠Luc a quitté bizarrement.

Il faut donc prévoir des classes, qui seront confirmées par ailleurs (Paraphrases et schémas concurrents) : ‒ l’ADV fait un commentaire sur le comportement physique du sujet du v fléchi, sur la façon

externe dont il conduit le procès (Liste 1). Ce sujet est un agent qui a le trait /ANIMÉ/, la paraphrase est X agissant et il y a coréférence entre X et le sujet. Comme l’ADV fait un commentaire sur un procès effectif, donc spécifique, la P ne peut avoir la valeur générique (2a, b). L’ADV a peu d’affinité avec un tiroir verbal qui réfère à une phase du procès (imparfait, présent) car agissant ADV englobe le procès dénoté par le V fléchi ou y intègre des phases antérieures (3a, b) ; il refuse la négation du V fléchi car un commentaire sur le déroulement d’un procès exige un procès effectif (4a) ; il précède rarement une P passivée car l’ARG1 de agissant et le sujet du V fléchi sont coréférentiels (4b) ; il exclut agir dans la P car l’ADV doit alors prendre directement agir comme ARG1 et s’insérer dans la P (4c) ; il exclut le clivage par c’est et par il y a dans la P fléchie (4d) ; (2)a *Délicatement, Léa a l’habitude de placer ses décorations. (2)b Délicatement, Léa a déballé tous ses cadeaux de Noël.

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 36

(3)a *Lentement, Luc {a déballé / ?déballait} son cadeau à mon arrivée. (3)b À mon arrivée, Luc {a déballé / ?déballait} lentement.

(4)a *Négligemment, Luc n’a pas répondu à mon salut. (4)b *Lentement, la porte a été ouverte par Luc. (4)c *Lentement, Léa a agi. (4)d *Lentement, {c’est / il y a} Léa qui a quitté les lieux.

Liste 1. Anxieusement, attentivement, calmement, délicatement, discrètement, doucement, fièrement, lentement, naturellement1, négligemment, orgueilleusement, ostensiblement, patiemment, peureusement, pieuse-ment, promptement, rapidement, ?silencieusement [mais en silence], soigneusement, sournoisement…

‒ l’ADV porte un jugement de l’énonciateur sur le comportement du sujet du v fléchi, qui est un agent et a le trait /ANIMÉ/ (Liste 2). Le jugement concerne la façon globale dont il a agi ou encore le fait qu’il ait agi. La paraphrase est X agissant et il y a coréférence entre X et le sujet du V fléchi. Ce type d’ADV connaît moins de contraintes que ceux de la liste 1 et, même si cela est rare, il précède parfois une P générique (5a), une P contenant une forme verbale comme l’imparfait ou le présent (5b), une P passivée (5c), une P négative (5d). Il exclut lui aussi le clivage dans la P fléchie (5e) ; (5)a Généreusement, Luc aide les réfugiés et intervient auprès des autorités. (5)b Stupidement, il aidait son voisin à ce moment. (5)c Habilement, le décor avait été peint sur du carton. (5)d Adroitement, Luc n’a pas répondu au salut. (5)e *Gentiment, {c’est / il y a} Léa qui m’a aidé.

Liste 2. Adroitement, bêtement, courageusement, généreusement, gentiment, habilement, héroïquement, innocemment, intelligemment, lâchement, maladroitement, méchamment, naïvement, prudemment, pué-rilement, sagement, stupidement…

‒ l’ADV fait un commentaire de l’énonciateur sur le fait que le procès se soit déroulé ou n’ait pas eu lieu (Liste 3). Il ne caractérise pas le déroulement du procès ; le sujet du V fléchi n’est pas nécessairement un agent qui le trait /ANIMÉ/ ; l’ARG1 du V sous-jacent détaché et le sujet du V fléchi n’étant pas nécessairement coréférents, la meilleure paraphrase est les événements se déroulant et un V-impersonnel sans sujet lexical est acceptable (6a). La P contenant le V fléchi peut être niée (6b) ou avoir la valeur générique (6c) ; le V fléchi est facilement à l’imparfait ou au présent (6d) ; un V-statif ou encore agir sont acceptables (6e). Ce type d’ADV permet le clivage par c’est dans la P fléchie (6f). (6)a Bizarrement, il a tonné à ce moment-là. (6)b Bizarrement, le gros chien n’a pas aboyé à mon arrivée. (6)c Bizarrement, les petits chiens aboient plus que les gros. (6)d Curieusement, Léa dormait encore à mon arrivée. (6)e Curieusement, Léa sait déjà tout cela. / Bizarrement, Léa a agi cette fois-là. (6)f {Bizarrement / Ironiquement / Miraculeusement}, c’est l’employé le moins payé qui a trouvé l’erreur.

Liste 3. Bizarrement, curieusement, étonnamment, étrangement, ironiquement, miraculeusement

L’étiquette et la valeur générale. L’ADV détaché est souvent dit « adverbe orienté vers le sujet » et, en apparence, cela a quelques justifications : ‒ l’ADV est placé près du sujet du V fléchi, ce qui suggère l’existence d’un fort lien entre eux ; ‒ l’ARG1 de agissant sous-jacent et le sujet de la P fléchie sont souvent coréférents (1a, b) ; ‒ de sa part évoque souvent le rôle agentif du sujet avec la forme adjectivale de l’ADV (2a, b).

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 37

(1)a (Xi se comportant) gentiment, Luci nous a aidés. (1)b (Xi agissant) patiemment, Luci a replacé les cartes dans l’ordre.

(2)a Gentiment, Léa m’a aidé. ⇔ Léa m’a aidé, ce qui est gentil (de sa part). (2)b Bizarrement, Léa est restée. ⇔ Léa est restée, ce qui est bizarre (de sa part).

Mais le détachement, même s’il rapproche l’ADV du sujet, ne semble pas amplifier les liens entre eux : certains ADV détachés sont totalement indépendants du sujet de la P car ils dénotent une évaluation du locuteur sur le fait que les procès aient lieu ou n’aient pas lieu. Dans ces cas, l’ARG1 de l’ADV est se dérouler / se passer, dont l’ARG1 (‘les événements se déroulant’) n’est pas coréférentiel avec le sujet du V fléchi (3a) et un V-impersonnel sans sujet lexical est acceptable (3b). En conséquence, il est peu pertinent d’évoquer quelque rapport privilégié de l’ADV détaché avec le sujet : quand le lien existe, il ne résulte pas du détachement. L’étiquette qui respecte le mieux les données syntaxiques et sémantiques (recours à un prédicat1 de procès général) serait donc “ADV commentant le déroulement global du procès”. Elle prédit aussi un fait non négligeable : le V fléchi est rhématique, tout comme l’ADV.

(3)a {Bizarrement / Ironiquement}, Léa est restée. [‘Les choses se déroulant de façon {bizarre / ironique}…’] (3)b Miraculeusement, il a plu. [‘La nature opérant de façon miraculeuse…’]

Paraphrases et schémas concurrents Ces ADV détachés étant des prédicats2, ils acceptent en général d’être paraphrasés par un ou plusieurs GP (avec N, avec SN ADJ, sans N, de façon ADJ). Ces GP sont parfois plus faciles à détacher que les formes en -ment, surtout s’ils sont quantifiés (1a-c), et il existe des GP réservés à l’expression du haut degré (2a-c). Certaines formes se sont spécialisées et refusent le détache-ment ou ne l’acceptent qu’avec un changement de lexie (3a-c).

(1)a {??Attentivement / ?Avec attention / Avec la plus grande attention}, Luc a déballé son cadeau. (1)b {?Anxieusement / D’un air anxieux / Avec une certaine anxiété}, Luc observait la scène. (1)c {?Impunément / En toute impunité}, Luc a pu mener à terme de tels projets.

(2)a {*Difficilement / De peine et de misère}, Luc a mené ses projets à terme. (2)b {À l’insu de tous / Aux yeux de tous / À la face du monde}, Luc a choisi son camp. (2)c {En toute connaissance de cause / En toute innocence / En toute bonne foi}, Luc a répondu que non.

(3)a {Avec ironie / ≠Ironiquement}, Léa a accepté. (3)b {?Avec plaisir / Plaisamment}, Luc a suggéré de choisir Léa. (3)c {?Constamment / Avec constance}, Luc tente de croiser des variétés.

L’adjectivation des ADV obéit à des règles générales (présupposition, généricité) mais se réalise dans des schémas différents selon le type, ce qui valide le classement ternaire des ADV détachés : ‒ les formes adjectivales des ADV de la Liste 1 acceptent pour support l’ARG1 du prédicat1 de

procès (4a). Ce prédicat1 ne peut être le support de l’ADJ ni sous forme infinitivale (4b) ni sous forme phrastique explicite (que-P est ADJ) ou anaphorique ({et cela / ce qui} est ADJ) (4c, d), ce qui élimine de sa part. Avec quelques ADJ, il peut être présent sous la forme à V-inf (4e, f) ; (4)a {Calmement / Lentement}, Léa a quitté les lieux. ⇔ Léa été {calme / lente}. (4)b *Quitter les lieux a été {calme / lent} (de la part de Léa). (4)c *Qu’elle ait quitté les lieux a été {calme / lent} (de sa part). (4)d *Léa a quitté les lieux, {et cela / ce qui} était {calme / lent} (de sa part). (4)e Léa été lente {à / *de} quitter les lieux. (4)f *Léa été calme {à / de} quitter les lieux.

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 38

‒ les formes adjectivales des ADV de la Liste 2 acceptent pour support l’ARG1 du prédicat1 de procès (5a). Ce dernier peut être le support de l’ADJ sous forme infinitivale (5b) ou sous forme phrastique explicite (5c) et de sa part est acceptable pour évoquer le sujet agent. Il peut aussi se présenter sous forme phrastique anaphorique ({et cela / ce qui} est ADJ) (5d) ou sous la forme de V-inf (5e) ; (5)a Gentiment, Léa m’a aidé. ⇔ Léa a été gentille. (5)b M’aider a été gentil (de sa part). (5)c ?Qu’elle m’ait aidé a été gentil (de sa part). (5)d Léa m’a aidé, {et cela / ce qui} est gentil (de sa part). (5)e Léa a été gentille de m’aider.

‒ dans la Liste 3, où l’ADV dénote un jugement du locuteur sur le fait que le procès se soit déroulé, la forme adjectivale ne peut avoir pour support l’ARG1 du prédicat1 de procès (6a). Ce prédicat1 ne peut être le support de la forme adjectivale sous forme infinitivale (6b) mais peut l’être sous forme phrastique explicite (que-P est ADJ) (6c) ou anaphorique ({et cela / ce qui} est ADJ) (6d). Il ne peut se manifester sous la forme {à / de} V-inf (6e). De sa part est toujours refusé. (6)a Miraculeusement, Luc s’en est tiré sauf. ⇔ *Luc a été miraculeux. (6)b *S’en tirer sauf a été miraculeux (de la part de Luc). (6)c Que Luc s’en soit tiré sauf est miraculeux (*de sa part) (6)d Luc s’en est tiré sauf, {et cela / ce qui} est miraculeux (*de sa part). (6)e *Luc a été miraculeux {à / de} s’en tirer sauf.

Les paraphrases {et cela / ce qui} est ADJ, qui caractérisent deux types d’ADV, ont un double intérêt dans le débat : comme les ADV détachés, elles constituent des prédications secondes ; l’anaphore reprend l’idée de procès (acte, événement) et, comme l’ADV détaché, l’ADJ porte sur le comportement général (7a) ou sur le fait que l’événement ait eu lieu (7b).

(7)a Gentiment, Léa m’a aidé. ⇔ Léa m’a aidé, ce qui est un {acte / comportement} gentil de sa part. (7)b Miraculeusement, Luc s’en est tiré sauf. ⇔ Luc s’en est tiré sauf, {ce qui est / événement} miraculeux.

Intersections Le statut d’ADV est incertain pour des formes en -ment qui dénotent la quantité ou la modalité déontique : elles acceptent la paraphrase se déroulant (1a, b) mais refusent par exemple le clivage quand elles sont intégrées (1c).

(1)a {Imperturbablement / Implacablement / Inéluctablement / Inlassablement}, il répète sa rengaine. (1)b (Les faits se déroulant) imperceptiblement, l’eau sapait les fondations. (1)c *C’est {imperceptiblement / inéluctablement} que l’eau s’écoulait.

Notes. D’autres formes en -ment ou GP détachés n’ont pas le statut d’ADV : ‒ incontestablement, indéniablement, manifestement, qui acceptent la paraphrase Que-P est ADJ, sont des

SPÉC-de-quantité qui quantifient le relation prédicative (2) ; ‒ évidemment2, naturellement4 sont des MD illocutoires de reproche prédicats1 (1.3.4) (3) ; ‒ heureusement, malheureusement sont des prédicats1 (1.3.4) ; ‒ généralement, normalement limitent la validité de la prédication et peuvent précéder une P-inter (4a) ;

idéalement situe la prédication dans un univers de discours et peut précéder une P-inter au conditionnel (4b, c). ‒ plusieurs GP sont des adverbiaux à valeur causale (3.2.2). Ils acceptent la paraphrase X agissant / les choses se

déroulant mais ne répondent pas à Comment a-t-il agi ? quand ils sont intégrés (5a, b) et sont compatibles avec la négation, fait rare avec l’ADV détaché (5c).

(2) {Incontestablement / Indéniablement / Manifestement}, Luc a eu tort de rester.

(3) Toi, naturellement4, t’as encore rien vu

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(4)a {Généralement / En général / D’habitude}, répondez-vous à vos critiques ? (4)b Idéalement, on espère que va marcher du premier coup. [‘Si l’on se place dans un monde idéal…’] (4)c Idéalement, ne devrait-on pas d’abord éliminer les inégalités ?

(5)a A –Comment Luc a-t-il répondu ? B –*Dans son affolement. (5)b A –Ça s’est passé comment ? B –*Dans son affolement. (5)c Dans mon affolement, j’ai n’ai pas noté le numéro.

2.2.2 Les ADV détachés comparatifs dont l’ARG1 est agissant absent

Morphologie Les ADV comparatifs détachables sont comme et parfois ainsi que (1a, b).

(1)a Comme {Léa / prévu / d’habitude}, Luc est parti sans un mot. (1)b Ainsi1 que son frère, Léa adore le jazz.

Distribution et compatibilités Les ADV comparatifs détachés se placent en tête de P ou en fin de P (1a) et introduisent divers éléments non phrastiques (1b, c). Quand ils sont suivis d’un SN, ils ont parfois un statut particulier et deviennent additifs, ce qui permet d’autres distributions (Intersections). Ils acceptent la négation du V fléchi (2a), sont incompatibles avec une P-inter (2b) mais compatibles avec un énoncé impératif (2c).

(1)a Comme Léa, Luc a répondu. / Luc a répondu, (tout) comme Léa. (1)b Comme {Léa / prévu / d’habitude / hier}, Luc est parti en retard. / Luc est parti en retard, comme {Léa /

prévu / d’habitude}. (1)c Ainsi que son concurrent, Luc est épuisé. / Luc est épuisé, ainsi que son concurrent.

(2)a Comme Léa, Luc {est / n’est pas} parti. (2)b *Comme Léa, Luc est-il parti ? (2)c Comme hier, reste jusqu’à la fin.

Complémentation Les ADV comparatifs détachés ont un ARG2 et forment donc un G-ADV ; leur ARG1 n’est pas le V fléchi de la P mais un prédicat1 verbal sous-jacent général du type agissant / se comportant. Quand le sujet du V fléchi est un SN agent portant le trait /ANIMÉ/, il y a coréférence entre ce sujet et l’ARG1 de agissant (1a, b) ; quand l’ARG1 du V fléchi de la P n’est pas un agent, ce qui est nécessairement le cas avec un V-impersonnel comme pleuvoir, qui n’a pas d’ARG, le prédicat1 sous-jacent est se passant / se déroulant et il n’y plus coréférence (2).

(1)a (Agissant) comme d’habitude, Luc est parti en retard. (1)b (Se comportant) comme les amateurs de vin, les Grecs mesurent la valeur des olives selon les années.

(2) (Les choses se passant) comme d’habitude, il {a fallu sortir / pleuvait}.

Sémantique Un ADV comparatif est par essence indéfini, évoque la manière sans la préciser. Quand il est intégré, il possède un ARG2 phrastique subordonné (souvent incomplet) qui contient un ARG1 de procès dont le prédicat2, déjà connu mais non explicité, est mis en intersection entre deux ARG1 verbaux et attribué aussi au V de la principale (2.1.3 > c)). Un ADV comparatif non intégré a un statut différent : il a pour ARG1 un V sous-jacent général (agissant, se comportant), il n’est pas le prédicat2 du V fléchi de la P, ne dénote pas la manière dont ce V se réalise. Au contraire du G-ADV comparatif intégré, celui qui est détaché ne peut contenir un V (1a, b) et son usage est différent : il met des éléments variés en dehors de la prédication présente dans la P qui contient le V fléchi. Ces

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 40

éléments sont différents de ceux présents dans la P qui contient le V fléchi mais le reste est identique et peut concerner le prédicat1 seul (2a-c) ou le prédicat1 et le prédicat2 (2d). Le G-ADV comparatif détaché se distingue bien du G-ADV comparatif intégré : un autre ADV est acceptable avec le V fléchi (3a), lequel peut en outre être statif (3b) ; le contenu du G-ADV comparatif détaché n’est pas toujours connu, ce qui rend d’ailleurs acceptable quand le G-ADV détaché est postposé (3c).

(1)a *Comme il parle à ses enfants, Luc parle à son chien. (1)b Luc parle à son chien comme il parle à ses enfants.

(2)a Comme Luc, Léa {a réagi / est sortie}. [‘Se comportant comme Luc…’] (2)b Comme {toujours / d’habitude}, Léa est sortie hier. [‘Se comportant comme…’] (2)c Comme Luc hier, Léa a reçu un traitement aujourd’hui. [‘Les choses se déroulant comme pour Luc hier…’] (2)d Comme Luc, Léa a réagi violemment. [‘Se comportant comme Luc…’]

(3)a Comme {d’habitude / Luc}, Léa a réagi violemment. / *Léa a réagi violemment comme {d’habitude / Luc}. [sans pause]

(3)b Comme Luc, Léa mesure un mètre. / *Léa mesure un mètre comme Luc. [sans pause] (3)c Léa a marché aujourd’hui, comme Luc d’ailleurs. / Léa a marché aujourd’hui, comme hier d’ailleurs.

Note. Les ADV comparatifs différemment de / autrement que, qui marquent la non-identité, ne peuvent être détachés (4a, b). Ils semblent en distribution complémentaire avec les GP toujours détachés {au contraire / à la différence / à l’inverse} de mais ces derniers entrent dans un autre ensemble et sont des synonymes de contrairement2 (Intersections).

(4)a Luc gère ses affaires {différemment de / autrement que} Léa. (4)b *{Différemment de / Autrement que} Léa, Luc gère ses affaires.

Cas particuliers L’identité est masquée quand le V d’une subordonnée introduite par comme / ainsi que a pour ARG2 une P qui contient le clitique le, en emploi anaphorique ou cataphorique. Mais elle existe et est forte : le reprend la P principale dont le contenu est déclaré conforme aux faits (1a-d) sauf dans quelques emplois facétieux (1e). L’inversion du sujet lexical de la subordonnée est possible.

(1)a Comme il l’avait promis, Luc a {agi / parlé}. / Je pars, comme tu le {sais / vois}. (1)b {Comme / Ainsi1 que} le dit Léa, il est inutile de s’agiter. / Je pars, ainsi1 qu’on te l’a dit. (1)c Comme le montre l’étude, la réalité est complexe. / Comme son nom l’indique, M. Pain est boulanger. (1)d {Comme / Ainsi1 que} la loi l’exige, Luc a répondu. [‘Agissant comme…’] / ≠Luc a répondu {comme / ainsi

que1} la loi l’exige. [sans pause] (1)e Comme son nom ne l’indique pas, Monsieur Lebrun est roux.

Autrement, ADV comparatif exprimant la non-identité, a en plus une valeur hypothétique : ‘si les choses se passent autrement / si X agit autrement / sinon’ (2a-d).

(2)a Quand il fait beau, on sort. Autrement, on joue à l’intérieur. [‘Si les choses se passent autrement’] (2)b A –Tu es sûr de le voir ? B –Bien sûr. Autrement, je ne serais pas là. [‘Si les choses étaient autrement’] (2)c Mets-le par terre. {Autrement / Sinon}, il va tomber. [‘Si tu agis autrement, il va tomber’] (2)d J’irai le voir. Autrement, il dira encore que je le néglige. [‘Si j’agis autrement’]

Paraphrases et schémas concurrents Les ADV comparatifs détachés exprimant l’identité sont en concurrence locale avec tel qui précède un SN indéterminé ou une P parfois réduite à un participe passé (1a) et avec le GP à la manière de SN (1b)

(1)a Tel {un lion / que promis}, il a bondi. (1)b À la manière des amateurs de vin, les Grecs mesurent la valeur des olives selon les années.

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Intersections Quand comme et ainsi que détachés introduisent un SN qui partage le même prédicat qu’un autre SN, ils prennent une valeur additive sur la base de l’analogie. Dans un groupe détaché en tête de P et devant le V, le SN est le sujet (1a), mais il peut être sujet, CD ou CI dans un groupe détaché qui suit le V (1b), ce qui peut créer une ambiguïté (identité du sujet ou du CD). Dans cet emploi, tout comme est fréquent et (tout) comme / ainsi que entrent en concurrence avec des GP détachés qui expriment aussi l’identité (à l’{image / exemple / instar} de, de même que) (1c-e). Le détache-ment en tête de P au lieu de la coordination permet de poser un élément connu en tête de l’ensemble (1f).

(1)a Comme Luc, Léa a réagi. (1)b Léa a réagi, comme Luc (d’ailleurs). / Léa a croisé Max, ainsi que Luc d’ailleurs. [ambigu] / Léa a parlé à

Max, ainsi qu’à Luc d’ailleurs. (1)c Léa, {comme / tout comme / ainsi que / de même que / à l’image de / à l’exemple de / à l’instar de} Luc, a

vite réagi. (1)d {Comme / Tout comme / *Ainsi que / ?De même que / À l’image de / À l’exemple de / À l’instar de} Luc, Léa

a vite réagi. (1)e Léa a vite réagi, {comme / tout comme / ainsi que / de même que / à l’image de / à l’exemple de / à l’instar

de} Luc (d’ailleurs). (1)f [Tout comme Léa]pp, Luc a vite réagi. / ≠Léa et Luc ont vite réagi.

Ces GP ont des antonymes qui excluent la création d’un ensemble (au contraire de, à la différence de, à l’inverse de, contrairement2 à) et qui sont souvent détachés (2a-c) ou doivent l’être (2d, e). Qu’ils ajoutent ou excluent un SN, les GP sont peu adverbiaux : l’existence d’un prédicat1 sous-jacent est douteuse car la paraphrase agissant / se passant étonne (3a, b).

(2)a {Au contraire de / À la différence de / À l’inverse de / Contrairement2 à} Luc, Léa reste. (2)b Léa, {au contraire de / à la différence de / à l’inverse de / contrairement2 à} Luc, a vite réagi. (2)c Léa reste, {au contraire de / à la différence de / à l’inverse de} Luc. (2)d *Il est devenu écrivain à {l’exemple / l’instar} de son frère. (2)e *Léa reste {au contraire de / à la différence de / à l’inverse de} Luc.

(3)a (?Agissant) à {l’exemple / l’instar} de son frère, il est devenu écrivain. (3)b (*Agissant) {au contraire de / à la différence de / à l’inverse de} Luc, Léa fait du sport.

Note. Les GP anaphoriques et comparatifs de la même {façon / manière}, de même et {parallèlement à / indépendamment de} cela sont aussi additifs (4a-c). Cependant, ce sont plutôt des MD structurants qui addition-nent des procès. L’ARG2 de parallèlement est parfois absent (4d).

(4)a Luc refuse mon offre. De la même {façon / manière}, il refuse celle de Léa. (4)b Luc refuse mon offre. De même, il refuse celle de Léa. [‘en plus de cela’] (4)c … {Parallèlement à / Indépendamment de} cela, Léa fait du cinéma. [‘en plus de cela’] (4)d Luc est désormais prof. Parallèlement, il mène une carrière sportive.

Des ADV et GP adverbiaux comparatifs détachés sont devenus des marqueurs discursifs (MD) : ‒ ainsi1 est un ADV anaphorique mais ainsi2 a une valeur causale qui en fait un MD de

structuration à valeur argumentative (5a). Ainsi3 (donc) est un MD de structuration qui ouvre un échange et vise à faire confirmer une rumeur (5b). Dans tous ses emplois, ainsi est concurren-cé par comme ça ;

‒ autrement1 est au départ ADV anaphorique qui peut avoir une valeur hypothétique (supra, Cas particuliers) : ‘si {les choses se passent / X agit} autrement / sinon’. Autrement2 indique un changement de propos et est un MD de structuration (‘à part ça, en plus de cela’) (6a, b) ;

‒ d’une {façon / manière} ou d’une autre est un MD argumentatif qui impose la conclusion (7) ; ‒ d’une certaine {façon / manière} module l’assertion et est proche de quelque part (8a, b).

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 42

(5)a Il a crié fort. Ainsi2, un passant a pu le localiser. [‘en agissant ainsi’] (5)b Ainsi3 (donc), tu nous quittes. / Donc, comme ça, tu restes.

(6)a Voilà de quoi te nourrir et te loger. Autrement2, vois-tu quelque chose qui manque ? (6)b … Autrement2, je ne vois rien de passionnant à raconter.

(7) D’une façon ou d’une autre, il est coupable. [‘nécessairement’]

(8)a D’une certaine {façon / manière}, je me sens un peu coupable. (8)b Quelque part, je me sens un peu coupable.

2.2.3 Les ADV détachés dont l’ARG1 est parler sous-jacent

Morphologie et spécifieurs Quelques ADV détachés dérivés en -ment portent sur parler sous-jacent. Ils sont compatibles avec un SPÉC-de-quantité exprimant le haut degré (surtout très) mais ne peuvent être niés (1a, b).

(1)a {?Bien / *Peu / Très} franchement1, je l’ignore. (1)b *Pas sincèrement, je l’ignore.

Liste. Franchement1, honnêtement, sérieusement, sincèrement

Distribution et compatibilités L’ADV détaché portant sur parler sous-jacent précède une P assertive (1a), qui peut être positive ou négative. Il peut aussi précéder un énoncé interrogatif (1b) mais non impératif (1c) ni une P-inter qui accomplit un acte de demande indirect (1d). Ce type d’ADV ne peut être inséré dans la P, sans pause ou avec pause, ni être détaché en fin de P (2a). Il ne peut répondre seul à une interrogation (2b) sauf à Comment a-t-il parlé ? mais c’est alors un ADV ordinaire car le prédicat1 parler est sous-jacent dans la réponse (2c).

(1)a Franchement, ça ne m’intéresse pas. / Sincèrement, tu le méritais bien. (1)b {Honnêtement / Sincèrement}, cela vaut-il la peine ? (1)c *?{Franchement / Honnêtement / Sincèrement}, vas-y. (1)d *?Sincèrement, est-ce que tu pourrais m’aider un peu ?

(2)a *Tu devrais, franchement, y aller. / *Tu devrais y aller, franchement. (2)b A –Est-ce que tu lui as parlé ? B –*Franchement. (2)c A –Comment a-t-il {parlé / abordé le sujet} ? B –(Il a parlé) très franchement.

Note. Franchement2 est un MD illocutoire (Intersections) qui précède un énoncé impératif (3a) ou une P interroga-tive accomplissant un acte illocutoire indirect (3b).

(3)a Franchement2, arrête un peu. (3)b Franchement2, tu peux pas faire attention non ?

Complémentation Un prédicat2 a nécessairement un prédicat1 de procès verbal comme ARG1. Dans le cas à l’étude, ce dernier est sous-jacent et doit être reconstitué : c’est le prédicat1 parler.

Sémantique L’ADV portant sur parler sous-jacent précise la manière dont se réalise son ARG1, le prédicat1 d’énonciation parler, verbe impliqué dans toute activité de parole. Il en résulte que l’ADV, qui est totalement indépendant du V fléchi, est nécessairement détaché et ne peut être intégré à la P (1a), sauf si le V fléchi est du type parler (1b). L’ADV peut être dit ADV d’énonciation car il qualifie l’état d’esprit du sujet parlant et insiste sur le contenu de la P, qui doit apporter une certaine

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information, ne pas être évidente ou vraie par définition (2a, b). Comme l’ADV indique souvent une position contraire à l’attente, la P est souvent négative (3a, b).

(1)a *Il pleut franchement1. / *J’irai le voir franchement. (1)b Je lui ai parlé franchement1.

(2)a {* Franchement1 / *Honnêtement / ?Sérieusement / *Sincèrement}, il pleut. (2)b {* Franchement1, / *Honnêtement / ?Sérieusement / *Sincèrement}, un canard a du duvet.

(3)a { Franchement1, / Honnêtement}, je ne sais pas. / Franchement1, ça ne m’intéresse pas. (3)b { Franchement1/ Honnêtement}, je l’ignore.

Cependant, détaché devant une P-inter, l’ADV peut avoir un autre statut : il porte non sur l’état d’esprit du locuteur mais sur celui que le locuteur demande au destinataire d’avoir lors de sa réponse (4a, b) et le V parler (ou répondre dans ce cas) a une valeur impérative. Si l’acte est indirect, ce qui est souvent le cas parce que le locuteur veut imposer une position contraire à celle du destinataire, l’ADV peut encore dénoter l’état d’esprit du locuteur (4c).

(4)a Franchement1, iras-tu le voir ? [‘Dis-moi franchement si tu iras le voir’] (4)b {Franchement1 / Sincèrement}, est-ce que ça vaut le coup ? [‘{Parle-moi / Réponds-moi} sincèrement’] (4)c Franchement1, pouvais-tu espérer mieux ? [‘Je te parle franchement1, tu ne pouvais espérer mieux’]

Tests transformationnels et paraphrases Les formes en -ment sont en concurrence avec deux types de GP : ‒ les paraphrases habituelles avec N, de façon ADJ sont acceptables mais exigent la présence de

parler (1a, b). Cela confirme le statut d’ADV prédicat2 de ces formes en -ment ; ‒ les paraphrases en toute N contiennent une idée d’intensité (2a). Ce type contient de nombreux

GP qui n’ont pas de correspondant en -ment (2b). (1)a {Franchement1 / *Avec franchise / *De façon franche}, je n’en sais rien. (1)b Pour te parler {franchement1 / avec franchise / de façon franche}, je n’en sais rien.

(2)a En toute {franchise / honnêteté / sincérité}, je ne sais pas. (2)b En toute {amitié / bonne foi / modestie}, je te dis que non.

Les prédicats2 qualifiant parler (ADV, GP adverbiaux) peuvent entrer dans un GP introduit par pour parler à valeur finale devant une P assertive et sont alors des prédicats2 ordinaires puisque leur ARG1 verbal est présent (3a). Cependant, les paraphrases en toute N sont difficiles (3b).

(3)a Pour te parler {franchement1 / avec franchise / de façon franche}, je n’en sais rien. (3)b ??Pour te parler en toute {amitié / franchise / honnêteté / sincérité}, je n’en sais rien.

Cas particuliers Quelques GP détachés sont aussi des prédicats2 d’un V sous-jacent mais sont spécialisés : ‒ plusieurs contiennent un N approprié qui dénote la façon physique de communiquer. Ils

concernent la parole et leur ARG1 sous-jacent est parler (1a) mais aussi des codes sémiotiques non verbaux dont l’ARG1 sous-jacent est s’exprimer / communiquer (1b) ;

‒ deux GP toujours détachés ont des emplois très précis. Sans indiscrétion, réservé à la P-inter, ne peut avoir pour ARG1 sous-jacent que le V interroger (2a) ; entre nous, qui précède un énoncé assertif, interrogatif ou impératif, limite les propos aux destinataires présents dans la sphère d’énonciation (2b). Ce dernier GP est concurrencé par en toute confidence, qui est d’un emploi plus restreint (2c) et en distribution complémentaire avec confidentiellement, nécessairement associé à un verbe du type parler et difficile à détacher (2d).

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(1)a {Sur un ton maussade / D’une voix éteinte / D’une voix douce}, Léa a finalement donné son accord. (1)b {D’un haussement d’épaules / D’un geste lent / D’un sifflement discret}, Léa a signifié son désaccord.

(2)a Sans indiscrétion, ça t’a coûté combien ? (2)b Entre nous, {c’est de sa faute. / évite-le. / as-tu fait le bon choix ?} (2)c ?En toute confidence, évite-le. (2)d *Confidentiellement, c’est de sa faute. / Il me l’a dit confidentiellement.

Quelques GP toujours détachés qualifient dire plutôt que parler : ‒ en bref, en clair, en deux mots, en gros (et grosso modo) dénotent la concision ou

l’imprécision dans les propos (3a). Intégrés, leur ARG1 est seulement un V du type dire (3b) ; ‒ un mot de plus, parfois coordonné, porte sur dire récupérable mais le groupe a une valeur

hypothétique (4a), ce qui se produit ailleurs (4b). (3)a En deux mots, c’est raté. / Grosso modo, ça dure une heure. (3)b Dis-moi ça en deux mots. / Explique moi ça en gros.

(4)a Un mot de plus {et / ,} je sors. [‘Si tu dis un mot de plus, je sors’] (4)b Une pince et je te répare ça en deux minutes. [‘Si tu me donnes une pince…’]

Note. {Pour tout te / À vrai} dire contiennent déjà dire et ne peuvent précéder une P-inter ni une P-imp (5a, b).

(5)a Pour tout te dire, je ne m’en soucie guère. / À vrai dire, je ne sais plus. (5)b *À vrai dire, avance. / *Pour tout te dire, es-tu prêt ?

Intersections Franchement2 est un MD illocutoire qui accomplit un acte expressif de désapprobation. Il peut précéder un énoncé impératif (1a) ou une P interrogative accomplissant un acte illocutoire indirect (1b). Il permet aussi de réagir à divers types de P devant une décision inopportune (2a), une intervention inutile qui exige une réaction (2b, c) ou simplement un comportement (2d). La raison de la désapprobation est souvent explicitée et le pont sémantique avec l’ADV franchement1 dont l’ARG1 est le V parler est assez clair : cet ADV dénote un haut degré de sincérité et par là il annonce souvent une intervention inamicale (2d).

(1)a Franchement2, arrête un peu. (1)b Franchement2, tu peux pas faire attention ?

(2)a A –Finalement, je reste. B –Franchement2 ! (2)b A –Avance donc. B –Franchement2 ! Tu vois bien que c’est fermé. (2)c A –Viendras-tu l’an prochain ? B –Franchement2, là tu me poses une question ! (2)d Franchement2 ! Quelle tenue !

Les autres formes en -ment ou GP détachés apparentés sont des marqueurs discursifs : ‒ autrement dit et bref détachés ne dénotent pas la position de l’énonciateur mais sont des MD de

structuration du discours qui précèdent une reformulation (3a, b). Plus exactement, plus précisément, qui peuvent être associés à parler dans le cadre de la P ou d’un GP détaché (3c), sont aussi devenus des MD de reformulation (3d) ;

‒ de grâce, par pitié, pour l’amour de Dieu, GP toujours détachés, sont des MD et non des GP de statut adverbial : ils portent sur demander sous-jacent et précèdent toujours une P-imp (4). Ils contraignent l’interprétation de l’acte illocutoire de demande (supplication et non ordre) ;

‒ assurément, de toute évidence, vraiment détachés renforcent l’assertion et ne précèdent donc pas une P-inter ou une P-imp (5a, b). Leur statut est incertain (SPÉC-de-quantité ou MD illocutoires) mais ce sont pas des ADV.

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(3)a On ne connaît pas encore l’auteur. Autrement dit, ça reste un texte anonyme. (3)b Il n’a rien dit de précis. Bref, on n’est pas plus avancé. (3)c Il m’a parlé plus exactement de ce fait hier. / (Pour parler) plus précisément, c’est un monstre. (3)d Il est connu pour ses gestes violents. Plus précisément, c’est un monstre.

(4) {De grâce / Par pitié}, tais-toi.

(5)a De toute évidence, il a tort. (5)b {Assurément / Vraiment}, tu ne comprends rien.

3. LES ADVERBIAUX OU FORMES ADVERBIALISÉES Quelques mots en -ment sont de troisième niveau en syntaxe mais ne se comportent pas comme des prédicats2. Ils constituent la classe des adverbiaux et se joignent à un V ou à un ADJ : ‒ certains portent sur des V (3.1). Ce sont des adverbiaux de manière-instrument, dont la source

adjectivale provient d’un N (3.1.1), des adverbiaux prédicats1 attendus sous forme adjectivale mais adverbialisés et portant sur le sujet (3.1.2) ou à l’occasion sur le CD mais cela est douteux (3.1.3) ;

‒ quelques adverbiaux prédicats1 dépendent d’un ADJ ou d’un V (3.2). Ils sont de deux types : adverbiaux de contrôle, proches des V modaux (3.2.1), et adverbiaux à valeur causale (3.2.2).

Il pourrait aussi exister quelques cas marginaux où des prédicats1 sont montés en syntaxe et rendus incidents à l’ADJ au lieu de lui être coordonnés (3.3).

3.1 Les adverbiaux avec le verbe

3.1.1 L’adverbial de manière-instrument

Morphologie et spécifieurs L’adverbial de manière-instrument a la forme en -ment et est dérivé d’un ADJ qui a une source nominale (1a) ou un statut quasi nominal (1b). Il n’est pas gradable au moyen de SPÉC mais est compatible avec une marque de la fréquence, qui est liée au V (2a, b).

(1)a Il faut classer les données manuellement. [main ⇒ manuel ⇒ manuellement] (1)b Il a été modifié génétiquement.

(2)a *Il a fait cela très manuellement. (2)b Cela se fait {souvent / surtout} manuellement.

Distribution et compatibilités L’adverbial de manière-instrument est difficile à insérer dans le SV (1a) et à cliver (1b). Il refuse le détachement en tête de P et la coordination en fin de P après et cela (1c, d). Il répond généralement à la question Comment P ? (2a) et est fréquent avec le passif (2b).

(1)a Il a classé les données manuellement. / ??Il a manuellement classé les données. (1)b ?C’est manuellement qu’il classe les données. (1)c *Manuellement, Léa a classé les données. (1)d ?Léa a classé les données et cela manuellement.

(2)a A –Comment Luc a-t-il classé les données ? B –Alphabétiquement. / Manuellement. (2)b Les données ont été classées manuellement. / Cela est historiquement prouvé.

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Sémantique L’adverbial de manière-instrument exprime la manière sous l’angle du moyen (instrument ou technique) utilisé pour accomplir une activité (1a-d). Cela s’explique par la proximité des notions de manière et d’instrument : les deux notions répondent à l’interrogation en Comment P ? (2a) et les SP introduits par avec expriment aussi bien la manière que l’instrument (2b). La base nominale explique l’absence de gradation.

(1)a La viande est séparée mécaniquement. [‘on utilise une machine pour séparer la viande’] (1)b Ces organismes sont génétiquement modifiés. (1)c Il a fallu le traiter psychiatriquement. [‘en utilisant la psychiatrie’] (1)d Cet enfant a été allaité maternellement.

(2)a A –Comment a-t-il classé les données ? B –Avec attention. / Manuellement. (2)b Il découpe le tissu avec des ciseaux. / Il travaille avec (une grande) sagesse.

Liste. Alphabétiquement, génétiquement, hiérarchiquement, informatiquement, manuellement, mécaniquement, mentalement, métaphoriquement, miraculeusement, naturellement2 [‘par des moyens naturels’ ; naturel-lement1 = ‘avec naturel’ ; naturellement3 ‘par nature’ ; naturellement4 = ‘bien entendu’], psychiatrique-ment…

Obligatoire / facultatif L’adverbial de manière-instrument est facultatif mais, comme les instruments associés à certains procès, il peut malgré tout être considéré comme un ARG avec certains V et être attendu (1).

(1) La distance a été comptée {manuellement / en kilomètres}.

Paraphrases et schémas concurrents L’adverbial de manière-instrument refuse la transformation en avec N / de façon ADJ (1a) mais accepte d’autres paraphrases caractéristiques comme {avec / au moyen de / grâce à} SN (1b) et parfois sur une base ADJ (1c). Les N prédicats2 adverbialisés par avec se présentent sans PRÉDÉT (avec courage), sauf si un ADJ est présent (avec un grand courage), alors que les instruments exigent un PRÉDÉT.

(1)a Il a fait ça manuellement. ⇒ *Il a fait ça {avec main / de façon manuelle}. (1)b Il a fait ça manuellement. ⇒ Il a fait ça {avec / au moyen de / à l’aide de} ses mains. (1)c Il classe les données alphabétiquement. ⇒ Il classe les données sur une base alphabétique.

Certains adverbiaux ont un concurrent de forme à LE N (2a, b), qui entre dans une longue série de GP exprimant l’instrument (2c).

(2)a Il a fait ça {à la main / à la machine / à l’ordinateur}. (2)b Il a fait ça {manuellement / mécaniquement / informatiquement}. (2)c {II a / C’est} écrit à l’encre. / Ça a été tranché au couteau.

Intersections Quelques adverbiaux de manière-instrument ont un pseudo-adverbe correspondant (III-2) qui limite le domaine et accepte le détachement (1).

(1) Mentalement, il a des problèmes. / Génétiquement, les modifications sont difficiles à prévoir.

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3.1.2 L’adverbial prédicat1 portant sur le sujet : une montée catégorielle en syntaxe Deux types d’adverbiaux en -ment résultent de la montée de prédicats1 qui portent sur le SN sujet.

a) L’adverbial prédicat1 de concomitance

Morphologie et spécifieurs Les prédicats1 adverbialisés ont la forme en -ment (1a) et acceptent mal les SPÉC-de-quantité (1b).

(1)a Luc a préparé le repas joyeusement. / Son double menton pend flasquement. (1)b ?Luc a préparé le repas très joyeusement. / ??Son double menton pend très flasquement.

Distribution et compatibilités Ces prédicats1 adverbialisés refusent le détachement en tête de P (1a), le clivage (1b), s’insèrent mal dans le SV (1c) et sont difficiles à détacher en fin de P dans un groupe coordonné (1d). Ils répondent mal à la question Comment P ? (2).

(1)a *Joyeusement, Luc a préparé le repas. / *Flasquement, son double menton pend. (1)b *?C’est joyeusement que Luc a préparé le repas. (1)c ?Luc a joyeusement préparé le repas. / ?Luc a sombrement conduit. (1)d ?Luc a préparé le repas et cela joyeusement.

(2) A –Comment Luc a-t-il réparé sa voiture ? B –??Joyeusement.

Complémentation Au plan syntaxique de la prédication, ces adverbiaux sont incidents au V et donc de niveau 3. Ce schéma résulte de la montée dans la hiérarchie morphosyntaxique d’un prédicat1 : au lieu d’être coordonnés, deux prédicats1, l’un verbal et l’autre adjectival, sont hiérarchisés (1a-c).

(1)a Il marche joyeusement. [‘Il marche et il est joyeux’]. (1)b Il conduisait sombrement. [‘Il conduisait et était sombre’] (1)c Son double menton pend flasquement. [‘Son double menton pend et est flasque’]

Sémantique Bien qu’ils se présentent sous la forme -ment et soient incidents à un V, ces adverbiaux ne sont pas des prédicats2 dont le prédicat1 verbal serait l’ARG1. Au plan sémantique de la représenta-tion, ce sont des prédicats1 dont l’ARG1 est le SN sujet et qui dénotent un état concomitant à celui du procès. Cela concerne : ‒ l’état psychologique du sujet agent (1a, b) ; ‒ un état physique concomitant à un autre état (2).

(1)a Il marche joyeusement. [‘Il marche et est joyeux dans cette activité’] (1)b Il conduisait sombrement. [‘Il conduisait et était sombre pendant ce temps’]

(2) Son double menton pend flasquement.

Liste. Gaiement, joyeusement, sombrement, tristement1 Mollement, flasquement

Tests transformationnels et paraphrases Transformations et paraphrases permettent de bien distinguer ADV et adverbiaux prédicats1 : ‒ l’adverbial prédicat1 de concomitance a un correspondant adjectival au comportement

particulier. L’ADJ prend pour support le sujet du V, sujet qui est aussi son ARG1, et entre dans une P coordonnée (1a, b) ; il répond à la question {Comment / Dans quel état d’esprit} était SN

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quand P ? (1c) ; il peut précéder un GP contenant la forme nominalisée du prédicat1 verbal qui sert de support à la forme en -ment (1d). Ce V dénote un procès et la PRÉP dénote la concomi-tance (1d) mais dans SN, qui suit souvent un ADJ prédicat2, est refusé (1e) ;

‒ cet ADJ correspondant prend difficilement pour support la forme nominalisée du V (2a, b) ou le N façon (2c) et n’entre donc pas dans un GP de forme de façon ADJ (2d). Cela confirme que joyeux, triste sont des prédicats1 qui qualifient peu la manière dont se déroule un procès ;

‒ l’adverbial refuse la paraphrase avec N ou du moins elle est peu naturelle (3a) et est remplacée par un GP à une valeur locative caractéristique d’un état psychologique (dans une grande tristesse) et qui décrit l’ambiance, l’atmosphère (3b) ; la descente catégorielle sous forme nominale, attendue pour les prédicats2, est aussi refusée (3c). (1)a Il marche joyeusement. ⇒ Il marche et il est joyeux. (1)b Son double menton pend flasquement. ⇒ Son double menton pend et est flasque. (1)c A –{Comment / Dans quel état d’esprit} était Luc quand il a il réparé sa voiture ? B –(Il était) joyeux. (1)d Luc est joyeux {au / durant le} travail. (1)e ??Luc est joyeux dans son travail. / ≠Luc est lent dans ses décisions.

(2)a ?Le vote a été {joyeux / triste}. / ?La décision a été {joyeuse / triste}. (2)b ?Le travail joyeux de Luc a été récompensé. / ?Le travail est joyeux. (2)c *Sa façon joyeuse de marcher a été appréciée. (2)d Ils marchent {joyeusement / *de façon joyeuse}.

(3)a Ils marchaient {joyeusement / tristement / *avec joie / *avec tristesse}. (3)b La décision a été prise dans la {joie / tristesse}. (3)c *La joie du travail de Luc / *La joie de Luc dans son travail

Cas particuliers L’existence du GP avec joie suggère que joyeusement est un prédicat2 et en conséquence que joyeux l’est aussi. Mais ce GP, comme volontiers, est proche des modaux qui marquent le contrôle (1) (3.2). En comparaison, calmement / sereinement sont des prédicats2 qui acceptent la paraphrase avec N et qualifient le procès (parfois indirectement l’agent) (2a). Cependant, il existe des lexies calme et serein qui sont des prédicats1 : elles dénotent l’état psychologique du sujet agent (2b) ou l’ambiance dans un GP locatif où elles croisent les prédicats1 joyeux, triste… (2c).

(1) Luc a {accepté / participé} avec joie. / *?Luc a {accepté / participé} joyeusement.

(2)a Luc a préparé le repas {calmement / avec calme}. [‘La préparation du repas a été calme’] (2)b Luc est calme. (2)c Luc a préparé le repas dans le calme. [‘L’ambiance était calme’]

Le vocable tristement contient aussi une lexie qui est un prédicat1, dénote l’état psychologique de l’énonciateur et accepte la paraphrase ce qui est triste (3a, b). Certains énoncés sont peu clairs (3c) et cette paraphrase est aussi acceptée par quelques ADV (bizarrement, curieusement, étonnamment, étrangement) qui appartiennent à la Liste 3 de 2.2.1 et qui pourraient être des prédicats1 dans certains usages (4a, b).

(3)a Ils ont tristement4 transformé ces marchés calmes en foires bruyantes. (3)b Ils ont transformé ces marchés calmes en foires bruyantes, ce qui est tristeII.B.1.β. (3)c La pluie tombait tristement.

(4)a Ils ont étonnamment transformé ces marchés calmes en foires bruyantes. [Ambigu : ‘de manière étonnante / ce qui est étonnant à mes yeux’]

(4)b Étonnamment, ils ont transformé ces marchés calmes en foires bruyantes. [Peu ambigu mais accepte deux paraphrases : ‘Les choses se déroulant de façon étonnante / Chose étonnante’]

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b) L’adverbial prédicat1 avec les substituts de être

Morphologie et spécifieurs Ces adverbiaux ont la forme -ment et sont dérivés d’ADJ (1a). Ils refusent la gradation (1b).

(1)a La falaise se dresse verticalement par rapport au sol. (1)b *La falaise se dresse très verticalement par rapport au sol.

Distribution et compatibilités Ces adverbiaux refusent le détachement en tête de P (1a), le clivage (1b), l’insertion dans le SV (1c) et le détachement en fin de P dans un groupe coordonné (1d). Ils répondent mal à la question en Comment P ? mais deviennent acceptables si la question a la forme Comment est SN ? (2a, b).

(1)a *Perpendiculairement au sol, la falaise se dresse. (1)b *?C’est perpendiculairement au sol que la falaise se dresse. (1)c *Luc a perpendiculairement tracé une ligne. (1)d *La falaise se dresse et {cela / elle le fait} perpendiculairement au sol.

(2)a A –Comment se dresse la falaise ? B –*Perpendiculairement au sol. (2)b A –Comment est la falaise ? B –Elle se dresse perpendiculairement au sol.

Complémentation Ces adverbiaux sont dépendants d’un V et ont un ARG2 exprimé ou récupéré (1) mais leur ARG1 est le sujet du V.

(1) La falaise se dresse verticalement (par rapport au sol).

Sémantique Ces adverbiaux donnent un repère relatif, ce qui explique la présence d’un ARG2. Ce sont des prédicats1 attendus sous forme d’ADJ mais montés d’un niveau en syntaxe en raison du remplacement du V-copule par un autre V. Ils sont de deux types : ‒ les premiers ont une valeur spatiale et sont associés à un V en usage métaphorique (se

présenter, se trouver, s’avancer2). Le V étant un V-statif, classe aspectuelle peu compatible avec un ADV, il est difficile de considérer que la forme en -ment est un ADV (1a-c) ;

‒ les autres sont temporels et associés à un V général (2a, b) ou à un V-support (2c) dénotant un procès. L’ARG1 et l’ARG2 dénotent des procès, l’adverbial dénote une propriété respective des procès qui n’est pas liée à la manière. (1)a La rue du Port s’étend parallèlement à l’avenue Foch. (1)b Le support se présente perpendiculairement au mur. (1)c La falaise se dresse perpendiculairement au sol.

(2)a Ce phénomène {a eu lieu / s’est déroulé / s’est produit} postérieurement. (2)b Cela s'est passé postérieurement. / Ce geste malheureux a été posé postérieurement. (2)c Cet ordre a été {donné / exécuté} antérieurement aux autres.

Tests transformationnels et paraphrases Ces adverbiaux correspondent surtout à des ADJ épithètes (1a) ou attributs (1b) et leur support est le sujet du V. Ils refusent les transformations et les paraphrases attendues des ADV : ‒ l’ADJ ne peut prendre pour support la forme nominalisée du V (2a), entrer dans un GP de forme

de façon ADJ (2b) ni précéder un GP complément qui contient le V nominalisé (2c) ; ‒ même si l’ADJ a une forme nominalisée, elle ne peut pas toujours être suivie d’un GP qui

contient le V nominalisé (3a) ou l’ARG1 de l’ADJ (3b) ni entrer dans la paraphrase avec N (3c) ;

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 50

(1)a Une rue parallèle à l’avenue Foch / Un support perpendiculaire au mur / Un ordre antérieur aux autres (1)b La rue du Port est parallèle à l’avenue Foch. / Le support est perpendiculaire au mur. / Cet ordre est

antérieur aux autres. / Ce phénomène est postérieur aux autres.

(2)a *L’étendue parallèle de la rue du Port / *La présentation perpendiculaire du support (2)b ?La rue du Port s’étend de façon parallèle à l’avenue Foch. / ?Le support se présente de façon perpendicu-

laire au mur. (2)c *La rue est parallèle dans son étendue. / *Le support est perpendiculaire dans sa présentation.

(3)a *Le parallélisme de l’étendue de la rue / *L’antériorité {du don / de l’exécution} de l’ordre (3)b ??Le parallélisme de la rue / ?L’antériorité de l’ordre (3)c *La rue s’étend avec parallélisme. / *L’ordre a été donné avec antériorité.

Intersections Lorsque le V indique un mouvement spatial, le statut d’ADV est défendable car la forme nominalisée du verbe peut servir de support à la forme adjectivée de l’ADV (1a, b).

(1)a La feuille est tombée verticalement. / La chute verticale de la feuille (1)b Le chariot {se déplace / avance} perpendiculairement au rail. / Un déplacement perpendiculaire au rail

Les adverbiaux temporels antérieurement / postérieurement sont en concurrence locale avec les PRÉP avant / après (2a, b). Ils ont cependant un usage plus restreint : ils exigent que la relation concerne deux N de procès (3a, b), au contraire de avant / après, qui acceptent des N variés (3c, d).

(2)a Ce phénomène s’est déroulé {antérieurement aux / avant les} autres (phénomènes). (2)c Cet ordre a été donné {antérieurement aux / avant les} autres (ordres).

(3)a Luc a ordonné cela antérieurement {aux autres ordres / à l’attaque / *aux autres chefs / *à midi}. (3)b Luc a donné cet ordre antérieurement {aux autres ordres / à l’attaque / *aux autres chefs / *à midi}. (3)c Luc a ordonné cela avant {les autres ordres / l’attaque / les autres chefs / midi}. (3)d Luc a donné cet ordre avant {les autres ordres / l’attaque / les autres chefs / midi}.

3.1.3 Un adverbial prédicat1 portant sur le CD ? L’ADV porte parfois un jugement de l’énonciateur sur un procès qui apporte une modification à l’ARG2 et doit être mené à terme. Cela explique les contraintes aspectuelles que font peser certains ADV (magnifiquement) sur des V transitifs ou pronominaux (difficulté du présent et de l’imparfait singulatifs, de être en train de) (2.1.1 > Sémantique > Les contraintes aspectuelles). Un tel lien entre la qualification et l’ARG2 modifié ouvre la possibilité que la forme en -ment qui qualifie l’état final de l’ARG2 soit un prédicat1 monté d’un niveau dans la hiérarchie morphosyn-taxique. L’hypothèse est souvent indéfendable car la forme en -ment adjectivée peut rarement porter sur l’ARG2 ou l’adjectivation modifie le sens (1a, b). Il arrive pourtant que la forme en -ment adjectivée puisse porter sur l’ARG2 : bizarrement est avant tout un prédicat2 mais pourrait aussi être un prédicat1 monté en syntaxe qui qualifie le résultat et les deux interprétations sont acceptables (2a, b). En fait, le cas est marginal et résulte d’un flou sémantique lié à la notion verbale qui associe dans sa représentation agent, instrument et résultat : X tailler = ‘X couper des végétaux avec un instrument pour modifier leur forme’ (3a-c). Ces formes en -ment répondent à une question en Comment P ?, acceptent la paraphrase de façon ADJ, entrent dans des groupes coordonnés en fin de P (3d) et sont donc sans doute des ADV.

(1)a Luc a orné le sapin discrètement. / Le joaillier a grossièrement gravé la chevalière. (1)b *Le sapin est discret. / ≠La chevalière est grossière.

(2)a Luc a taillé la haie bizarrement. (2)b La taille est bizarre. / La haie est bizarre.

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(3)a Luc a taillé la haie bizarrement. [‘L’instrument de la taille est bizarre : un sécateur…’] (3)b Luc a taillé la haie bizarrement. [‘La taille a produit une haie bizarre : en arrondi’] (3)c Luc a taillé la haie bizarrement. [‘Luc a taillé la haie à genoux’] (3)d Luc a taillé la haie {de façon bizarre / et cela bizarrement}.

La situation paraît différente avec chaudement, qui pourrait être un prédicat1 qualifiant un N sous-jacent dans le V (4a). La paraphrase de façon ADJ est refusée (4b) ainsi que le détachement car cette forme en -ment ne peut porter sur un procès ni donc sur agir (4c). Pourtant elle répond à une question en Comment P ? et entre dans un groupe coordonné en fin de P (5a, b). La notion de manière est présente : elle réapparaît dans le GP de manière ADJ qui introduit une consécutive et le SN récupéré entre dans un GP dénotant l’instrument (5c). Finalement, ce cas est lui aussi lié à la sémantique verbale et l’hypothèse de prédicats1 en -ment portant sur l’ARG2 ne s’impose pas.

(4)a Léa a habillé chaudement les enfants. [‘Léa a mis des vêtements chauds aux enfants’] (4)b *Léa a habillé les enfants de façon chaude. (4)c *Chaudement, Léa a habillé les enfants.

(5)a A –Comment Léa a-t-elle habillé les enfants? B –Chaudement. (5)b Léa a habillé les enfants, et cela chaudement. (5)c Léa a habillé les enfants {de manière à ce qu’ils aient chaud / au moyen de vêtements chauds}.

3.2 Les adverbiaux avec le verbe et l’adjectif L’ADV portant le trait /MANIÈRE/, son ARG1 ne peut en principe être un ADJ, catégorie qui dénote rarement le procès même s’il existe des exceptions (2.1.2). Les formes en -ment qui précèdent l’ADJ sont donc souvent des SPÉC-de-quantité (1a), des prédicats1 qui quantifient l’assertion (1b) ou l’intensité à travers l’effet (1c).

(1)a Luc est vachement fier. / Une écriture grossièrement enfantine [‘semblable en gros à celle d’un enfant’] (1)b Léa est {clairement / visiblement} insatisfaite. [‘Il est {clair / visible} qu’elle est insatisfaite’] (1)c Un véhicule dangereusement rapide [‘si rapide qu’il est dangereux’]

Pourtant, quelques formes en -ment associées à l’ADJ sont des adverbiaux. Elles accompagnent aussi le V et expriment le contrôle ou la causalité.

3.2.1 Les adverbiaux de contrôle

Morphologie et spécifieurs Les adverbiaux de contrôle ont la forme en -ment (1a). Ils sont rarement gradables (1b).

(1)a Luc est {inconsciemment / naturellement3 / volontairement} idiot. (1)b *Luc est très {inconsciemment / naturellement3 / volontairement} idiot.

Liste. Accidentellement, consciemment, délibérément, inconsciemment, instinctivement, intentionnellement, involontairement, machinalement, naturellement3 [naturellement1 = ‘avec naturel’ ; naturellement2 = par des moyens naturels ; naturellement3 ‘par nature’ ; naturellement4 = ‘bien entendu’], sciemment, volontai-rement

Distribution et compatibilités L’adverbial de contrôle est compatible avec le V (1a) et avec l’ADJ, qu’il suit ou précède (1b, c). Il exige des conditions précises pour être détaché en tête de P : il doit être préfixé au moyen de in-, qui le rend négatif et exclut donc le contrôle (2a, b) ; il doit être associé à un V (2c). Il ne peut répondre à une question en Comment P ? avec le V ni bien sûr avec l’ADJ, qui est incompatible avec ce type de question (3a, b) ; il peut être juxtaposé à un véritable ADV avec une tonalité

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adéquate mais il est difficilement coordonné (4a, b) ; il est incompatible avec l’impératif (5). Globalement, il se comporte différemment de l’ADV mais, comme lui, il accepte le placement en fin de P dans un GP coordonné en et cela ADJ-ment (6a) ainsi que le clivage (6b).

(1)a Luc a quitté volontairement les lieux. / Luc a {consciemment / volontairement} créé un imbroglio. (1)b Luc est {inconsciemment / naturellement3 / volontairement} méchant. (1)c Luc est méchant {inconsciemment / naturellement3 / volontairement}.

(2)a {?Consciemment / ?Volontairement}, Luc a créé un imbroglio. (2)b {Inconsciemment / Involontairement}, Luc a créé un imbroglio. (2)c *{Inconsciemment / Naturellement3}, Luc est {macho / menteur}.

(3)a A –Comment Luc a-t-il créé un imbroglio ? B –*Inconsciemment. (3)b A –*Comment Luc est-il {idiot / macho} ? B –Volontairement.

(4)a Luc a quitté volontairement bruyamment. / Luc a quitté bruyamment volontairement. (4)b *Luc a quitté volontairement et bruyamment. / *Luc a quitté bruyamment et volontairement.

(5) *Avance {sciemment /volontairement}. / ?Provoque Luc {naturellement3 / délibérément}.

(6)a C’est involontairement que Luc a quitté. / C’est {naturellement3 / volontairement} que Luc est macho. (6)b Luc a quitté et cela {inconsciemment / involontairement}. / Luc est macho, et cela naturellement3.

Complémentation En syntaxe, les adverbiaux de contrôle sont de niveau 3 et dépendent d’un V (1a) ou d’un ADJ dont le statut sémantique peut varier (1b-d).

(1)a Luc ment naturellement3. / Luc provoque {inconsciemment / volontairement} les gens. (1)b Luc a été volontairement provocateur. / Luc est naturellement3 {menteur / rieur}. (1)c Mes paroles sont volontairement anodines. / Luc est volontairement {célibataire / ignare / lent / seul}. (1)d Luc est inconsciemment {cruel / idiot / macho}.

Sémantique Comme les adverbiaux de contrôle ne peuvent répondre à une question en Comment P ?, il est douteux qu’ils portent le trait /MANIÈRE/ et soient des ADV. Ils dénotent la volonté, le contrôle (1a, b) ou au contraire un comportement naturel, une absence de volonté, de contrôle (1c, d). Il en résulte que l’adverbial porte en principe sur un V dont l’ARG1 a le trait /ANIMÉ/ (1a, c) mais il porte aussi sur un ADJ et les faits sont alors plus complexes même si le trait /ANIMÉ/ et l’idée de contrôle sont toujours en cause : ‒ l’ADJ a pour ARG1 un N d’être animé, dénote simplement un comportement et est alors un

prédicat2 (2a). Il peut être dérivé d’un V qui dénote un comportement, contient dans sa représentation un prédicat2 (2b). Il peut aussi dénoter qu’un état résulte d’un choix (2c) ;

‒ l’ADJ peut avoir pour support un N prédicat1 dont l’ARG1 est un N portant le trait /ANIMÉ/ (3a) ou un N-d’entité dont l’état résulte de la volonté d’un individu (propriétaire, créateur) (3b). (1)a Luc provoque volontairement les gens. / Luc ironise consciemment sur des sujets sérieux. (1)b Luc est {volontairement cruel / délibérément provocateur / consciemment railleur}. (1)c Luc provoque involontairement les gens. / Luc ironise inconsciemment sur des sujets sérieux. (1)d Luc est naturellement3 {cruel / idiot / lent / macho / provocateur}. [‘à cause de la nature, sans le vouloir’]

(2)a Luc est volontairement {discret / lent}. [‘Luc agit lentement et il le fait volontairement’] (2)b Luc est volontairement railleur. [railler = ‘parler ironiquement de quelque chose’] (2)c Luc est volontairement célibataire.

(3)a Les paroles de Luc ont été volontairement anodines. / Ses propos sont volontairement anodins. (3)b {La maison de Léa / Son style} est volontairement sobre. / Ce tableau est volontairement sombre.

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MODULE I : LES CATÉGORIES LEXICALES. CHAPITRE 4 : L’ADVERBE 53

Le statut des adverbiaux de contrôle s’explique par celui des V modaux correspondants : le V désidératif vouloir (I-2-3.4.2) et le V épistémique savoir (I-2-3.4.3) sont des prédicats1 dont l’ARG1 porte le trait /ANIMÉ/ et dont l’ARG2 est un V (4a) ou une P contenant une relation prédicative (4b). Les adverbiaux apparentés sont aussi des prédicats1 mais qui ne se manifestent pas sous forme de V dans la fonction de prédicat fonctionnel : l’ARG2 du V modal étant verbal, il peut aussi jouer ce rôle et le V modal monte d’un niveau dans la hiérarchie syntaxique sous la forme -ment (4c). Le choix est conditionné par le statut informatif respectif des deux prédicats1 : un prédicat modal qui représente la seule partie rhématique de la P devient adverbial. Quand le V modal porte les marques référentielles (repérage, quantité), le sens est bien différent (4d).

(4)a Luc a voulu {quitter / rester célibataire}. (4)b Léa sait que Luc part. / Léa veut que Luc parte. (4)c Luc a quitté [volontairement]rhématique. / =[Quand Luc a quitté]pp, [il voulait le faire]rhématique. (4)d ≠Luc [a voulu quitter]rhématique.

Le détachement de l’adverbial de contrôle, quand il est acceptable, modifie peu le sens de la P : détaché ou pas, l’adverbial concerne le déroulement global du procès (5a, b).

(5)a ?Accidentellement, la voiture a quitté la route. / ≈La voiture a accidentellement quitté la route. (5)b Involontairement, Luc a déclenché le débat. / ≈Luc a déclenché le débat involontairement.

Tests transformationnels et paraphrases Au premier coup d’œil, l’adverbial modal accepte des paraphrases qui le rapprochent de l’ADV : quand il est adjectivé, il prend pour support la forme nominalisée du V qui est son support (1a-c) ; il se présente dans un groupe coordonné de forme et cela ADJ-ment (Distribution et compatibili-tés).

(1)a Léa a reculé volontairement. ⇒ Le recul de Léa a été volontaire. / Le recul volontaire de Léa (1)b Léa a reculé inconsciemment. ⇒ Le recul inconscient de Léa (1)c Luc est volontairement macho. ⇒ Le machisme volontaire de Luc ⇒ Luc est un macho volontaire.

Pourtant des changements catégoriels propres à l’adverbial montrent que ce n’est pas un ADV : ‒ si un correspondant verbal existe, il peut devenir prédicat1 fonctionnel fléchi dans diverses P

coordonnées (2a, b). Les adverbiaux qui dénotent une absence de volonté ou de contrôle (inconsciemment, instinctivement, involontairement, machinalement, naturellement3) ont un GP équivalent de forme infinitivale et non pas nominale (sans V-inf) (2c, d) ;

‒ la forme adjectivale de l’adverbial peut se manifester dans une P contenant une anaphore ({ce qui est / et cela est / geste} ADJ et son ARG1, qui porte le trait /HUMAIN/, est attendu sous la forme de sa part (3a, b). Les ADJ épistémiques conscient / inconscient n’entrent pas dans un schéma ce qui est ADJ (3a) mais conscient entre dans deux schémas particuliers où il concur-rence savoir (3c, d) ;

‒ la forme nominale de l’adverbial volontairement est suivie d’un V-inf qui correspond au support de l’adverbial et à l’ARG2 du verbe modal (4). (2)a Luc est parti volontairement. ⇒ Luc est parti et il le voulait. (2)b Luc est volontairement {célibataire / cruel / macho / pauvre}. ⇒ Luc est célibataire et il le veut. (2)c Luc est inconsciemment macho. ⇒ Luc est macho (et) sans le savoir. (2)d Luc est naturellement3 macho. ⇒ Luc est macho (et) sans le vouloir.

(3)a Léa a quitté la voie, ce qui était {*conscient / délibéré / ??inconscient / instinctif / intentionnel / involontaire / volontaire} de sa part.

(3)b Léa a quitté la voie, geste {conscient / délibéré / inconscient / instinctif / intentionnel / involontaire / volontaire} de sa part.

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GRAMMAIRE SÉMANTIQUE MODULAIRE 54

(3)c Léa {était consciente / savait} qu’elle quittait la voie. (3)d Léa a quitté la voie et elle {en était consciente / le savait}.

(4) Luc {provoque volontairement / veut provoquer}. ⇒ Sa volonté de provoquer

En outre, l’adverbial refuse des paraphrases attendues : un GP contenant le prédicat1 de procès ou d’état ne peut suivre la forme adjectivale (5a) ; la forme nominale avec N est refusée (5b). La paraphrase PRÉDÉT façon ADJ est refusée dans les fonctions nominales (5c) mais acceptable dans un GP de statut adverbial (5d).

(5)a Léa a reculé volontairement. ⇔ *Léa a été volontaire dans son recul. (5)b Luc est {inconsciemment / volontairement} macho. ⇔ *Luc est macho avec {inconscience / volonté}. (5)c *Sa façon {inconsciente / volontaire} de reculer a déplu. (5)d Luc a reculé de façon {inconsciente / volontaire}.

Cas particuliers Quelques formes en -ment ou GP apparentés (innocemment, spontanément, volontiers ; avec empressement, avec joie, de bon cœur ; en toute connaissance de cause) appartiennent sans doute à ce type d’adverbial : ils contiennent parfois un N prédicat1 dont l’ARG1 porte le trait /HUMAIN/, évaluent la participation mentale de l’agent à un procès ou excluent l’idée de refus et dénotent par là un certain contrôle (1a). Comme les adverbiaux de contrôle, ils ne peuvent répondre à une question en Comment P ?, sont difficiles à détacher (1c) et peuvent être clivés (1d).

(1)a Léa a aidé Luc {avec joie / avec empressement / de bon cœur}. (1)b A –Comment Luc a-t-il aidé Léa? B –?De bon cœur. / ?Avec empressement. / ?En toute connaissance de

cause. (1)c ?En toute connaissance de cause, Luc a refusé de m’aider. (1)d C’est {avec empressement / en toute connaissance de cause} que Léa a aidé Luc.

3.2.2 Les adverbiaux de cause

Morphologie et spécifieurs Les adverbiaux à valeur causale ont la forme en -ment. Faussement1 et injustement sont réservés au V (1a) mais les autres sont aussi associés à des ADJ (1b). Ils ne sont guère gradables (2a, b).

(1)a On {accuse / a condamné / a emprisonné / a puni / soupçonne} injustement Léa. (1)b Son mari est légitimement jaloux. / Luc est {fâcheusement lié à ça / mystérieusement absent}.

(2)a Luc est très {*faussement1 / ??injustement} accusé. (2)b ?Son mari est très légitimement jaloux. / *Luc est très {fâcheusement lié à ça / mystérieusement absent}.

Liste. Avantageusement, fâcheusement, faussement1 [‘à tort, pour des motifs injustes’ ; faussement2 = ‘apparent mais non réel’ (faussement naturel) ; faussement3 = ‘ de manière incorrecte’ (raisonner fausse-ment)], injustement, légitimement, miraculeusement, mystérieusement, tristement

Note. Fâcheusement a un autre emploi où il est un prédicat1 et porte un jugement du locuteur (3a). Il n’est pas clair qu’il s’agisse d’une autre lexie et il peut y avoir ambiguïté (3b).

(3)a Luc a fâcheusement raté son train. [‘Luc a raté son train et cela est fâcheux’] (3)b Cela rappelle fâcheusement la crise des années 30. [‘pour des raisons fâcheuses / et cela est fâcheux’]

Distribution et compatibilités L’adverbial de cause refuse le détachement qui lui donnerait pour ARG1 le V général agir (1a, b). Seuls faussement1 et injustement, qui accompagnent un V, peuvent être clivés (2a, b), placés en fin de P dans un GP coordonné de forme et cela ADJ-ment (3a, b), entrer dans une P-inter (4a-c) ou

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un énoncé impératif (5a, b). Aucun adverbial de cause ne répond à une question en Comment P ? (6a, b).

(1)a ?Injustement, Luc a condamné Léa. (1)b *Fâcheusement, Luc est lié à ça.

(2)a C’est injustement que Léa a été punie. (2)b *C’est fâcheusement qu’il est lié à ça.

(3)a *Il est lié à ça et cela fâcheusement. (3)b ??Son mari est jaloux et cela légitimement

(4)a Luc a-t-il été {accusé faussement / puni injustement} ? (4)b ?Luc est-il fâcheusement lié à ça ? / ?Son mari est-il légitimement jaloux ? (4)c ?Luc serait-il fâcheusement lié à ça par hasard ? / ?Son mari serait-il légitimement jaloux par hasard ?

(5)a Accuse-le faussement. / Ne les punis pas injustement. (5)b *Ne sois pas fâcheusement lié à ça. / *Sois mystérieusement absent ce jour-là.

(6)a A –Comment a-t-elle été punie ? B –*Injustement. (6)b A –*Comment est-il lié à ça ? B –*Fâcheusement.

Complémentation En syntaxe, ces adverbiaux sont de niveau 3. Faussement1 et injustement ont un lien particulier avec les V du type accuser / condamner qui contiennent dans leur représentation un ARG3 causal (accuser quelqu’un de quelque chose / condamner quelqu’un pour quelque chose) mais ce lien n’existe pas avec les adverbiaux dépendants d’un ADJ. Au plan de la représentation, ce ne sont pourtant pas des prédicats2 dénotant la manière et les faits sont évidents avec l’ADJ.

Sémantique Avec une série particulière de V, l’adverbial de cause exprime un jugement du locuteur sur une accusation ou une punition dont la cause n’est pas justifiée (1a, b). Avec les ADJ, le jugement porte sur un état et les relations causales sont plus larges : la cause peut être justifiée (2a), injustifiée (2b), étonnante (2c, d), évaluée positivement ou négativement dans des emplois figés (2e).

(1)a On {accuse / a condamné / a emprisonné / a puni / soupçonne} injustement Léa. [‘pour une raison injuste’] (1)b On {accuse / a condamné / a puni / soupçonne} faussement Léa. [‘pour de fausses raisons’]

(2)a Son mari est légitimement jaloux. [‘pour des raisons légitimes’] (2)b Sa maison est inutilement grande. [‘grande sans raison’] (2)c Son mari est mystérieusement absent. [‘pour des raisons mystérieuses’] (2)d Luc est miraculeusement sauf. [‘à cause d’un miracle / pour une raison miraculeuse’] (2)e Luc est {avantageusement connu / tristement célèbre}. [‘pour une raison qui est {à son avantage / triste}’]

Tests transformationnels et paraphrases Tous les adverbiaux de cause acceptent la forme adjectivale dans un GP de type pour des {raisons / motifs} et cela vaut pour les groupes figés (1a-e).

(1)a On a condamné Léa {injustement / pour une raison injuste}. (1)b Sa maison est {inutilement grande / grande pour des raisons inutiles}. (1)c Luc est {miraculeusement sauf / sauf pour des raisons miraculeuses}. (1)d Son mari est {mystérieusement absent / absent pour des raisons mystérieuses}. (1)e Ce personnage est {tristement célèbre / célèbre pour des motifs tristes}.

Avec le V, seul injustement accepte pour équivalent de façon ADJ, d’autant plus que faussement1 ne possède pas d’ADJ correspondant (2a). Caractère est préférable dans les autres fonctions (2b),

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ce qui suggère bien que injustement ne dénote pas la manière, n’est pas un véritable ADV. D’autres emplois adjectivaux sont acceptables où le support de l’ADJ est la forme nominalisée du V, que-P ou une anaphore mais la valeur causale est affaiblie ou disparaît (2c, d). Le prédicat de procès ne peut se manifester dans un GP complément de l’ADJ (2e) et il n’existe pas de forme nominale correspondante (2f).

(2)a Léa a été punie de façon {*fausse / injuste}. (2)b {?La façon injuste dont elle a été punie / Le caractère injuste de sa punition} rend Léa amère. (2)c Cette condamnation est {*fausse / injuste}. / Ces soupçons étaient {*faux / injustes}. (2)d Il est injuste que Léa ait été punie. / Léa a été punie et cela est injuste. (2)e Le surveillant a été injuste {*dans sa punition / *à punir / ??dans son accusation}. (2)f *L’injustice de sa punition est révoltante. / *Léa a été punie avec injustice.

L’adverbial accompagnant un ADJ refuse les paraphrases habituellement acceptées par l’ADV (avec N, de façon ADJ) (3a, b). Il peut prendre la forme adjectivale dans un groupe coordonné de type et cela est ADJ mais la valeur causale est affaiblie (4a-d) ou même éliminée pour les groupes figés (4e, f).

(3)a Sa maison est inutilement grande. ⇒ Sa maison est grande {*avec inutilité / ??de façon inutile}. (3)b Luc est miraculeusement sauf. ⇒ Luc est sauf {*avec miracle / ?de façon miraculeuse}.

(4)a Sa maison est inutilement grande. ⇒ ?Sa maison est grande et cela est inutile. (4)b Luc est miraculeusement sauf. ⇒ Luc est sauf et cela est miraculeux. (4)c Son mari est légitimement jaloux. ⇒ Son mari est jaloux et cela est légitime. (4)d Son mari est mystérieusement absent. ⇒ Son mari est absent et cela est mystérieux. (4)e Luc est avantageusement connu. ⇒ *Luc est connu et cela est avantageux. (4)f Ce personnage est tristement célèbre. ⇒ ≠Ce personnage est célèbre et cela est triste.

Intersections et schémas apparentés Des GP qui contiennent un N prédicat1 dont un ARG porte le trait /HUMAIN/ concurrencent les adverbiaux de cause. Ils ne répondent pas à la question Comment P ? (1a) mais sont détachables en tête de P, même négative (1b) ; ils sont peu compatibles avec une P-inter et une P-imp (5c, d). Un classement est possible à partir des PRÉP : ‒ les GP qui contiennent dans (Liste 1) sont toujours détachés en tête de P (2a, b) et refusent le

clivage car le GP est présupposé (2c). La paraphrase est ‘agissant en raison de SN’ car il y a coréférence entre le sujet de la P et l’ARG1 de agissant contenu dans un PRÉDÉT possessif ;

‒ les GP contenant par (Liste 2) sont intégrés à la P ou détachés (3a-c) et acceptent le clivage (3d). La paraphrase est ‘agissant par N’ car il y a coréférence entre le sujet de la P et l’ARG1 de agissant. (1)a A –Comment Luc a-t-il répondu? B –*Dans son affolement. / *Par dépit. (1)b Dans mon affolement, je n’ai pas noté le numéro. (1)c {*Dans son affolement / ?Par dépit}, Léa a-t-elle refusé ? (1)d *{Dans ton affolement / Par dépit}, avance.

(2)a Dans mon affolement, j’ai pris la mauvaise décision. [‘Agissant dans mon affolement’] (2)b *J’ai pris la mauvaise décision dans mon affolement. (2)c *C’est dans mon affolement que j’ai pris la mauvaise décision.

(3)a Léa a refusé {par / *de} dépit. (3)b {Par dégoût du sucre / Par dépit}, Léa a refusé de manger. [‘Agissant par dépit’] (3)c Léa a refusé, par dépit. / De dépit, il a cessé de participer. (3)d C’est par dépit que Léa a refusé.

Liste 1. Dans {mon affolement / ma colère / mon empressement / ma grande sagesse / sa sagesse} Liste 2. {De / par} dépit, {de / par} dégoût, par (pur) plaisir, par {amitié / amour / pure vengeance}

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Ces GP à valeur causale sont souvent dits circonstants mais ils ne repèrent pas et leur syntaxe n’est pas non plus celle des circonstants : ils ne peuvent précéder une P-inter, sont peu compatibles avec l’impératif et refusent parfois le clivage… Ils sont plutôt à rapprocher d’une série de GP à valeur consécutive qui dénotent un effet sur des individus (Liste infra). Quelques-uns de ces GP acceptent l’intégration (4a, b) mais ils sont le plus souvent détachés en tête de P ou en fin de P (4c, d) et la P peut être négative. C’est la paraphrase ‘les choses se passant’ qui convient le mieux car la coréférence n’est pas requise (4e). Ils ne répondent pas à la question Comment P ? (5a), sont peu compatibles avec une P-inter et un énoncé impératif (5b, c) mais acceptent le clivage (5d).

(4)a Luc a répondu à la satisfaction {générale / de Léa}. / Léa a répondu dans l’indifférence générale. (4)b *Il est parti à ma grande satisfaction. (4)c Au plus grand plaisir de tous, Léa est restée. / Léa est restée, au plus grand plaisir de tous. (4)d {À la satisfaction générale / À la surprise générale / Au désespoir de Léa}, Luc n’a pas répondu. (4)e À mon grand {désarroi / étonnement}, Luc est resté. [‘Les choses se déroulant de façon étonnante’]

(5)a A –Comment Luc a-t-il répondu? B –?À la satisfaction générale. / *À la surprise de Léa. (5)b *À la surprise générale, Léa a-t-elle refusé ? (5)c *À la surprise générale, avance. (5)d C’est à la {satisfaction / surprise} générale que Léa a accepté.

Liste. À la {satisfaction / surprise} générale, à mon grand {désarroi / étonnement}, à ma grande {joie / satisfaction / surprise}, au plus grand plaisir de SN

Dans l’indifférence générale, contre toute attente [≈ ‘à la surprise générale’]

3.3 Des adverbiaux prédicats1 avec l’adjectif ? Les ADV se combinent parfois avec des ADJ dénotant un comportement (2.1.2) mais quelques adverbiaux en -ment sont aussi associés à l’ADJ de façon inattendue (1a). Ils sont peu compatibles avec un SPÉC-de-quantité (1b), refusent le détachement (1c), le clivage (1d) et le placement en fin de P dans un GP coordonné en et cela ADV (1e). De plus, ils ne peuvent répondre à une question en Comment SN est ADJ ? puisque ce type de question n’est pas compatible avec l’ADJ (1f).

(1)a Luc est {élégamment évanescent / sombrement concentré}. (1)b *Luc est très {élégamment évanescent / sombrement concentré}. (1)c *Élégamment, Luc est évanescent. / *Sombrement, Luc est concentré. (1)d *C’est élégamment que Luc est évanescent. / *C’est sombrement que Luc est concentré. (1)e *Luc est évanescent et cela élégamment. / *Luc est concentré et cela sombrement. (1)f A –*Comment est-il concentré? B –Sombrement.

Ces adverbiaux sont des prédicats1 montés d’un niveau en syntaxe et qui prennent pour support l’ADJ dont l’ARG1 porte le trait /HUMAIN/ et est aussi celui de l’adverbial. L’adverbial et l’ADJ dénotent une propriété concomitante, ce qui a déjà été noté avec le V (3.1.2). Pour cette raison, la combinaison de l’adverbial et de l’ADJ a un aspect recherché ou même ludique et l’adverbial se manifeste plus naturellement sous forme d’ADJ coordonné avec l’ADJ qui lui sert de support (2).

(2) Luc est élégant et évanescent. / Luc est concentré et sombre.

4. BILAN

4.1 Une catégorie précise et incontournable L’adverbe représente une partie du discours à part et a un statut précis en sémantique comme en syntaxe : il est de niveau 3, c’est un prédicat2, dont l’ARG1 est un V ; c’est une notion de troisième

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ordre qui porte le trait /MANIÈRE/ et dénote la façon dont un procès se déroule, ce qui est souvent associé au comportement d’un agent.

Cette position permet de donner à la sémantique toute sa place mais résout aussi de nombreux problèmes de syntaxe car l’ADV a des comportements qui l’opposent aux autres éléments invariables dits « adverbes » par abus. En effet, un prédicat2 étant de troisième ordre au plan notionnel et l’ADV étant de troisième niveau en syntaxe, une double descente dans une catégorie morpho-syntaxique de niveau inférieur (ADJ puis N) est à prévoir au plan de la prédication. Si la descente d’un prédicat2 change la manifestation de son ARG1 — canoniquement un prédicat1 verbal —, elle ne change pas la nécessité de cet ARG1. Quand il est adjectivé, un prédicat2 a une complémentation complexe et différente de celle d’un ADJ prédicat1 ; quand il est nominalisé, il a aussi une complémentation particulière. Seuls les ADV ont sur ce plan un tel comportement.

Le terme d’ad-verbe est donc adéquat en sémantique et en syntaxe, il doit être conservé sans hésitation mais aussi réservé aux prédicats2. Finalement, l’étiquette d’ADJ du V convient bien à l’ADV : les deux sont des prédicats notionnels et constituent une catégorie lexicale (= majeure). Simplement, l’ADJ est au départ un prédicat1 qui attribue une propriété au N alors que l’ADV est un prédicat2 qui attribue une propriété au V. Les autres catégories invariables dites « adverbes » sont totalement à l’écart de telles relations.

4.2 Les conséquences La décision de faire de l’ADV un prédicat2 qui dénote le trait /MANIÈRE/ et dont l’ARG1 est un prédicat1 verbal donne à la catégorie un statut précis mais présente le risque de la réduire à une peau de chagrin. En réalité, les ADV sont nombreux et, même indéfinis, ont deux sortes d’emplois : ceux où l’ARG1 est présent et ceux où il est absent mais facile à récupérer (ADV détachés dont l’ARG1 est agir, se passer, parler). Ces derniers emplois sont parfois dits extra-prédicatifs, ce qui est acceptable dans le sens où leur ARG1 n’est pas le V de la P fléchie, qu’ils sont hors de la prédication principale. Mais ils ont bien encore un prédicat1 pour ARG et sont des prédicats2 internes dans un GV incomplet. En conséquence, même si le détachement dans le cadre d’une prédication seconde les rapproche du sujet, il ne leur donne pas une portée sur lui, ils ne sont pas orientés vers le sujet. Comme ces ADV détachés constituent une partie importante de la classe dite « ADV orientés vers le sujet », c’est toute la classe qui est menacée.

La limitation de la catégorie ADV a un effet indirect qui pourrait être négatif pour l’approche modulaire : il faut trouver une place aux exclus, nombreux. Mais il n’y a pas de difficulté sur ce point, car la plupart d’entre eux entrent naturellement dans le module référentiel (Module II) : ‒ beaucoup quantifient et l’enjeu concerne alors l’organisation du domaine des SPÉC-de-quantité.

Les premiers sont généraux, parfois absolus (très), d’autres fois relatifs (aussi), ce qui met en cause la subordination ; les seconds concernent plus spécifiquement le temps (souvent) ;

‒ un second groupe repère et c’est l’organisation de la zone des circonstants qui est alors en cause. L’opposition sémantique temps / espace n’est pas fondamentale sauf sur un point précis : dans la zone temporelle, la subordination est fréquente et les subordonnants qui repèrent et sont de vrais circonstanciels doivent être étudiés avec les autres circonstants.

Il reste quelques formes en -ment étudiées dans le troisième module et qui concernent la prédication. Ces formes sans véritables propriétés adverbiales sont fort différentes entre elles et

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n’ont en commun que la dérivation en -ment. Ce sont des prédicats1 qui ont que-P comme ARG unique (certainement / heureusement), des ARG détachés de parler absent qui limitent le propos et le domaine de validité de la P (moralement parlant), des formes qui limitent la validité de la prédication (personnellement, selon moi ; généralement, d’habitude).

Finalement, une définition étroite de l’ADV a un autre effet plus important : elle exige la construction d’ensembles nouveaux, qui se révèlent cohérents et complémentaires. Comme pour les ADV, ce n’est pas la morphologie qui est le meilleur guide mais plutôt la syntaxe et la sémantique : par exemple, certaines subordonnées doivent être étudiées avec les SPÉC-de-quantité, d’autres avec les circonstants (les vraies circonstancielles qui repèrent), d’autres dans le cadre de relations logiques (les causatives au sens large).

Références GUIMIER, Claude (1996), Les adverbes en français. Le cas des adverbes en -ment, Paris, Ophrys.

MOLINE, Estelle et Nelly FLAUX (dir.) (2009), Langages, no 175 (« De la manière »).

MOLINIER, Christian et Françoise LEVRIER (2000), Grammaire des adverbes. Description des formes en -ment, Paris, Droz.

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