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La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman 1 L’activité scientifique est in extenso une oscillation du voir à un comprendre trans- cendant le voir et de ce comprendre à un voir de son ordre. (Guillaume 1973: 18) 1. Introduction 1.1 L’adjectif-adverbe Au sujet des liens fonctionnels entre adverbe et adjectif, Sechehaye 1926: 64 écrit: «Cette classe de mots [l’adverbe] joue à son égard [à l’égard du verbe] le même rôle que l’adjectif à l’égard du substantif, et la manière n’est pas autre chose que la qualité du procès [exprimé par le verbe].» Par cet énoncé, l’auteur souligne le parallélisme des fonctions adjectivale et adverbiale sur le plan du contenu; mais c’est sans doute dans ce parallélisme même que se situent l’origine et la condition d’une certaine instabilité de ces rapports sur le plan de l’expression. Dans la présente étude, nous montrons qu’en morphosyntaxe romane, la défi- nition courante des fonctions de l’adjectif et de l’adverbe, que nous appellerons la «définition standard», selon laquelle l’adjectif, variable (reconnaissable à la marque d’accord), complète un nom, et l’adverbe, invariable (reconnaissable à l’absence d’une marque d’accord), un verbe, un adjectif ou un autre adverbe, ne s’applique intégralement à aucun parler roman moderne et probablement à aucun des états en lesquels se décompose l’évolution de ce sous-système depuis le pro- toroman antique. Nous conservons cependant cette définition en tant que repère, par rapport auquel nous pourrons caractériser les autres définitions. Tous les parlers romans présentent des adverbes dont la forme est identique à celle de l’adjectif correspondant, mis à part l’accord de celui-ci avec un nom; ainsi en est-il du fr. fort dans (1): (1aa) Paul est fort (1ab) Paul chante fort (1ba) Pauline est forte (1bb) Pauline chante fort Nous avons affaire ici à une classe bifonctionnelle d’«adjectifs-adverbes», qui, en vertu des critères du comparatisme historique, représentent, mis à part les ad- 1 Nous tenons à remercier Mme Inés Fernández-Ordóñez (Université Autonome de Madrid), M. Jan Koster (Université de Groningen) et M. Peter Wunderli (Université de Düsseldorf) pour l’aide qu’ils nous ont apportée au cours de l’élaboration de cet essai. Vox Romanica 68 (2009): 1-22

Robert de Dardel La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman

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La morphosyntaxe de l’adjectif-adverbe en protoroman

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  • La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman1

    Lactivit scientifique est in extenso uneoscillation du voir un comprendre trans-cendant le voir et de ce comprendre unvoir de son ordre. (Guillaume 1973: 18)

    1. Introduction

    1.1 Ladjectif-adverbe

    Au sujet des liens fonctionnels entre adverbe et adjectif, Sechehaye 1926: 64 crit:Cette classe de mots [ladverbe] joue son gard [ lgard du verbe] le mmerle que ladjectif lgard du substantif, et la manire nest pas autre chose quela qualit du procs [exprim par le verbe]. Par cet nonc, lauteur souligne leparalllisme des fonctions adjectivale et adverbiale sur le plan du contenu; maiscest sans doute dans ce paralllisme mme que se situent lorigine et la conditiondune certaine instabilit de ces rapports sur le plan de lexpression.

    Dans la prsente tude, nous montrons quen morphosyntaxe romane, la dfi-nition courante des fonctions de ladjectif et de ladverbe, que nous appellerons ladfinition standard, selon laquelle ladjectif, variable (reconnaissable lamarque daccord), complte un nom, et ladverbe, invariable (reconnaissable labsence dune marque daccord), un verbe, un adjectif ou un autre adverbe, nesapplique intgralement aucun parler roman moderne et probablement aucundes tats en lesquels se dcompose lvolution de ce sous-systme depuis le pro-toroman antique. Nous conservons cependant cette dfinition en tant que repre,par rapport auquel nous pourrons caractriser les autres dfinitions.

    Tous les parlers romans prsentent des adverbes dont la forme est identique celle de ladjectif correspondant, mis part laccord de celui-ci avec un nom; ainsien est-il du fr. fort dans (1):

    (1aa) Paul est fort(1ab) Paul chante fort(1ba) Pauline est forte(1bb) Pauline chante fort

    Nous avons affaire ici une classe bifonctionnelle dadjectifs-adverbes, qui, envertu des critres du comparatisme historique, reprsentent, mis part les ad-

    1 Nous tenons remercier Mme Ins Fernndez-Ordez (Universit Autonome de Madrid),M. Jan Koster (Universit de Groningen) et M. Peter Wunderli (Universit de Dsseldorf) pourlaide quils nous ont apporte au cours de llaboration de cet essai.

    Vox Romanica 68 (2009): 1-22

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    verbes de lieu et de temps, la seule classe dadverbes qui soit productive en proto-roman ds son origine et dun emploi encore attest dans les parlers romans.

    Historiquement, cette classe dadverbes concide avec le nominatif-accusatifneutre singulier du latin (primum premier, facile facile) et finit, avec la dispari-tion du genre neutre, par se confondre avec laccusatif masculin singulier (primum,facilem), forme laquelle se rduit, en protoroman ancien, la dclinaison de lad-jectif masculin singulier et qui devient la forme non marque de ladjectif roman(it. primo, facile), par opposition ses formes marques pour les besoins de lac-cord (it. prima donna premire femme, lavori facili travaux faciles). Ladjectif-adverbe fonctionne donc en protoroman soit comme adjectif (montem altummont lev, montes altos monts levs), soit comme adverbe (cantant altumils chantent haut). Il inclut aussi bien des lexmes quantifiants (multum beau-coup) ou identifiants (metipsimum mme) que des lexmes qualifiants (grandemgrand).

    La possibilit dune origine indo-europenne de ladjectif-adverbe, quenvisa-geait Maurer 1959: 78 et que nous avons nagure prise en considration (Dardel1995), nous parat aujourdhui moins plausible; la rduction morphologique, qui ca-ractrise dune manire gnrale le passage du latin aux parlers romans et qui a trcemment mise en vidence plus en dtail (Dardel 2005), en rend mieux compte,sous la forme dune rduction casuelle de ladjectif, aboutissant laccusatif (altumet altam), et dune rduction des morphmes constitutifs de ladverbe (faciliter facilem, alte altum et bene bonum). La question de la gense morpholo-gique de ladjectif-adverbe et de sa prsence en protoroman tant ainsi, notreavis, rgle, reste celle de savoir comment sorganisent ses deux fonctions, adjecti-vale et adverbiale, au point de vue de la morphosyntaxe, en protoroman et, par lasuite, dans les parlers romans. Cest lexamen de ce problme quest consacr leprsent essai. La mthode retenue est lanalyse comparative historique.

    1.2 Lhtrognit des donnes

    En bonne mthode, les seules donnes sur lesquelles le comparatiste puisse fairefond pour reconstruire le protoroman sont celles des parlers romans. Or, en ce quiconcerne lemploi de ladjectif-adverbe, ces donnes sont, pour lobservateur mo-derne, on ne peut plus htrognes et scartent de diverses manires de la dfini-tion standard. Par exemple, ladjectif-adverbe en fonction adjectivale quantifiantenest pas toujours variable, puisquon rencontre des drivs romans du type mul-tum annos beaucoup dannes, et, en fonction dadverbe, il est parfois variable,puisquon trouve des drivs romans du type quillustre (2):

    (2) protoromanbonam parabolat filiamLa fille parle bien.

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    Sur ce problme sen greffe un autre: le syntagme nominal articul, par quoinous entendons un syntagme nominal pourvu dun article ou dun dterminant dela mme classe, qui apparat, en liaison avec un adjectif-adverbe quantifiant ouidentifiant, tantt variable, tantt invariable, dans des constructions romanes is-sues respectivement des types totam illam villam et totum illam villam, signi-fiant le village entier.

    La documentation romane est htrogne galement en ce qui concerne lachronologie. Il sy mle des lments de rgles protoromanes bien tablies destmoins de tendances probablement passagres. ce flou des structures morpho-syntaxiques sajoute un flou mthodologique chronique; la mthode comparativedont nous nous servons aboutit dans certains cas des conclusions inverses de celles auxquelles aboutissent dautres romanistes, sur la foi de la chronologie detextes romans anciens, ou des latinistes, sur la base de textes latins dats.

    Dans ces conditions, depuis lpoque des no-grammairiens, lexamen des fonc-tions de ladjectif-adverbe suscite la controverse, dont tmoigne une littraturesuivie, sur laquelle nous prendrons position la fin de cet essai.

    1.3 Le but de la prsente tude

    Ladjectif-adverbe en tant que terme bifonctionnel a donc en protoroman et en ro-man une histoire intressante, mais encore obscure, pour ne pas dire nigmatique.

    Une rflexion prolonge sur les matriaux dont nous disposons nous aconvaincu que lexistence de ladjectif-adverbe en protoroman et son volution enroman ne se laissent pas apprhender simplement partir de la dfinition stan-dard, que rsume, trop schmatiquement pour nos besoins, le principe ladjectifest au nom ce que ladverbe est au verbe, mais que leur morphosyntaxe est rgieds lorigine, cest--dire ds le latin global antique, par des facteurs qui nont pasencore t systmatiquement mis en vidence. Or, nous pensons avoir trouv unfacteur appropri chez Bally 1950, dans le critre smantique des rapports dinh-rence et de relation, lequel se reflte secondairement dans le critre morpholo-gique dune marque daccord grammatical exprimant linhrence et de labsencede cette marque exprimant la relation (pour le dtail de cette thorie, cf. 2.3.1).

    Nous commenons notre essai par une analyse globale (en 2), continuons parune analyse spcifique des adjectifs-adverbes quantifiants et identifiants (en 3) etterminons par une critique des approches antrieures en (4).

    Deux clefs donnent accs linterprtation des exemples: les formules qui ren-voient au classement morphosyntaxique des tableaux A et B et les traductions etgloses incorpores aux exemples (en 2.2).

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    2. Analyse globale

    2.1 Le tableau A des constructions

    Dans la colonne de gauche du tableau A (classement syntaxique), nous tablissonsun classement des constructions syntaxiques, sous la forme de sept niveaux dana-lyse, avec, pour certaines de ces constructions, la distinction entre adjectifs-adverbesqualifiants (ql) et quantifiants ou identifiants (qt). Dans la colonne I (rgles proto-romanes), nous formulons les rgles du protoroman, selon la thorie de Bally, o ap-paratra, dans les exemples, un cart par rapport la dfinition standard; dans la co-lonne II (rgles et tendances romanes spcifiques), nous indiquons certains dve-loppements romans, une flche dirige gauche signifiant le maintien de la rgle an-trieure. Les croix en gras reprsentent des rgles, les autres croix des rgles ou ten-dances spcifiques de chaque parler roman. Le terme de marque concerne lac-cord en genre, nombre et cas, y compris celui en nombre et en genre dun sujet im-plicitement exprim par le verbe; la marque peut connatre une ralisation zro.

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    Tableau A

    Classement syntaxique I. rgles protoromanes II. rgles et tendances romanes

    inhrence relation spcifiques

    [+marque] [marque] [introduction dune(= accord) (= rection) marque]

    1a Proposition: attribut ql x du sujet qt x

    1b Proposition: compl- ql x xment circonstanciel qt x x

    2 Syntagme verbal: ql x xattribut dobjet

    3 Syntagme participial ql x xqt x x

    4 Syntagme nominal ql x xavec nom [+verbal]

    5 Syntagme adverbial qt x x

    6 Syntagme adjectival qt x x

    7 Syntagme nominal ql x avec nom [verbal]Nom [articul] qta x xNom [+articul] qtb x x

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    2.2 Exemples

    Ici, les rgles du tableau A sont reprises, distingues par des formules; ainsi, la rgleI/1a/ql renvoie, dans lensemble des rgles de I, celle numrote 1a/ql [+marqu],illustre par lexemple (3). En premire approximation, ces rgles sont traites comme si elles remontaient toutes au protoroman, mme si, comme on le verra parla suite, toutes ny remontent pas forcment. Lordre des termes ny est pas perti-nent.

    Ladjectif-adverbe adverbial tant homophone de ladjectif-adverbe adjectivalnon marqu, dans (1aa) et (1ab), le trait [marqu] nest explicite que dans desexemples o le terme complt par ladjectif-adverbe est lui-mme marqu,comme dans les exemples (1ba), [+marqu], et (1bb), [marqu].

    2.2.1 Rgles I (protoroman)

    2.2.1.1 Exemples [+marqu]

    (3) I/1a/qlafr. (Roland, Bdier 1922: v. 814)Halt sunt li pui [cas sujet masculin pluriel; marque zro]Hauts sont les monts.

    (4) I/7/qlafr. (Roland, Bdier 1922: v. 3496)males nuveles li aportet [cas rgime fminin pluriel][Il] lui apporte de mauvaises nouvelles.

    2.2.1.2 Exemples [marqu]

    (5) I/1b/qlit. dialectal (calabrais, Rohlfs 1966-69/2: 887)cntanu biellu[Ils] chantent bien.

    (6) I/1b/qtsarde (Spano 1871: 114)Sa cosa furada pagu duratLa chose vole dure peu.

    (7) I/2/qlaoc. (Schultz-Gora 1973: 174)Totas las vuelh onrar e car tener[Je] veux toutes les honorer et chrir.

    (8) I/3/qlfr. une fille nouveau-ne

    (9) I/3/qtroum. (Maurer 1959: 164)foarte larg recompensaitrs largement rcompenss

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    (10) I/4/qlaoc. (Schultz-Gora 1973: 174)cartenensaaction de chrir quelquun

    (11) I/5/qtafr. (Roland, Bdier 1922: v. 143)Vus avez mult ben ditVous avez trs bien parl.

    (12) I/6/qtafr. (Roland, Bdier 1922: v. 2243)Par granz batailles et par mult bels sermons . . .Par de grandes batailles et par de trs beaux sermons . . .

    (13) I/7/qtait. dialectal (calabrais, Rohlfs 1937: 62)sugnu de puocu salute[Je] suis de peu de sant.

    (14) I/7/qtbafr. (Roland, Bdier 1922: v. 2642; 1968: 490, tut est qualifi dadjectif)Par Sebre amunt tut lur naviries turnent[Les paens] remontent lbre avec toutes leurs nefs.

    2.2.2 Rgles II et tendances romanes, [+marqu]

    (15) II/1a/qtaport. (Orto de esposo, Nunes 1970: 59)E tanta foy a uirtude . . .Et si grande fut la vertu . . .

    (16) II/1b/qlesp. (Hanssen 1910: 59.2, avec renvoi Cuervo 1893/2: 911, qui ne mentionne pas cetexemple, mais en cite de nombreux autres du mme type)ella se fue derecha casa[Elle] se rendit droit la maison.

    (17) II/1b/qtaoc. (G. de Bornelh, Jensen 1986: 48)totz men cudei laissar [accord de totz avec le sujet implicite, qui reprsente lauteur][Je] pensais men dsister entirement.

    (18) II/2/qlaoc. (G. de Bornelh, Jensen 1986: 46)e si tos dichs no te charset si elle nestime pas tes propos

    (19) II/3/qlfr. une vache frache vle

    (20) II/3/qtacat. (Flos de les Medicines, XVe s.; DCVB, s. molt)de la molta beneventurada vergede la vierge trs heureuse (bienheureuse)

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    (21) II/4/qlfr. (toponyme, Dauzat/Rostaing 1983: 95, bonne forteresse; [ bona warda bonumwarda (rgle I/4/ql) bonum wardn bien garder])Bonnegarde

    (22) II/5/qtacat. (Tirant, DCVB, s. molt). . . an fill de molta poca edad[Ils] ont un fils de trs peu dge.

    (23) II/6/qtafr. (Roland, Bdier 1922: v. 982)Piere ni ad que tute ne seit neire[Il] ny a pierre qui ne soit toute noire.

    (24) II/7/qtaaport. (Fabulas esopianas, Nunes 1970: 51)auia muytos ossos[Il] y avait beaucoup dossements.

    (25) II/7/qtbafr. (Roland, Bdier 1922: v. 212)Metez le sege a tute vostre vieMettez-y le sige, dt-il durer toute votre vie.

    2.3 Commentaires

    2.3.1 Les rgles protoromanes

    Nous commenons par quelques passages tirs de Bally 1950: 107-13, 164-74, o lauteur prcise sa thorie.

    Le rapport entre sujet et prdicat ou entre dtermin et dterminant est dinhrence ou de re-lation. Linhrence est une compntration intime des deux termes et indique soit quunechose (le sujet) appartient au genre dsign par lattribut (La terre est une plante), soit quilpossde la qualit dsigne par cet attribut, proprit qui peut tre une qualit constante (Laterre est ronde), ou un accident: tat ou action (La terre tourne). Lexpression grammati-cale de linhrence est laccord. . . . La relation est un rapport entre deux objets extrieurs lun lautre, p. ex. livre et table dans Le livre sur la table, cerise et noyau dans La cerise a unnoyau. . . . La relation est marque linguistiquement par la syntaxe de rection.

    Dans le systme protoroman que nous avons reconstruit (colonne I du tableau A),en synchronie, tout se passe comme si tait luvre la distinction de Bally entrele rapport dinhrence et le rapport de relation. Les deux structures syntaxiquesqui, selon notre tableau et nos exemples, comportent la marque daccord, savoirI/1a/ql (3) et I/7/ql (4), sont des cas de rapport dinhrence. Les structures res-tantes, toutes non marques, sont des cas de rapport de relation exprims par lasyntaxe de rection; chose remarquable, ceci vaut aussi, comme le montre le ta-bleau, pour les adjectifs quantifiants des structures I/7/qt (13) et (14), au sujet des-

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    quels Bally prcise (173) quils sont, avec le terme quantifi, en un rapport de re-lation. Pour la structure I/1a/qt, la construction non marque quimpliquerait cettedernire observation de Bally nest pas atteste dans nos matriaux (nous y re-viendrons en 2.3.2.2).

    Dans lAntiquit, lpoque du protoroman initial, cest--dire approximative-ment au moment du passage au premier millnaire de notre re, le systme du la-tin parl tel que le comparatisme le reconstruit prsente une certaine cohrencedans le sens de la thse de Bally. En revanche, dans le latin des textes de la mmepoque, ft-il qualifi de vulgaire, ce systme ne se manifeste que vaguement.Cette constatation justifie un choix mthodologique, dont nous nous expliquerons la fin de cet essai (en 5).

    2.3.2 Les rgles et tendances romanes

    2.3.2.1 Le dclin des rgles de Bally

    Avec les rgles et tendances romanes (colonne II du tableau A), on aborde lvo-lution diachronique qui fait suite aux rgles I; elle consiste, dune part, dans laconservation des rgles I [+marqu], constante du protoroman aux parlers romansmodernes, et, dautre part, dans lintroduction dune marque pour toutes les struc-tures des rgles I [marqu], selon une tendance, non pas systmatique ni gn-rale, mais isole, dans certains parlers romans seulement. Au cours de cette volu-tion, le systme prvu par la thorie de Bally est donc en partie aboli.

    2.3.2.2 Aspects de la chronologie

    Pour reconstruire une protolangue, le comparatisme historique se fonde entre autres sur lopposition de traits anomaux et de traits rguliers des langues filles;les traits anomaux sont des traits aberrants par rapport aux rgles et aux tendancesen cours et demandent une explication, quon a des chances de trouver dans la pro-tolangue ou dans un tat ancien des langues filles. En loccurrence, pour le com-paratiste, la tendance, sensible dans les exemples de 2.2.2, gnraliser la marque,sexplique par un besoin duniformiser dans ce sens le systme morphologique, desorte que ce sont les structures des rgles I [marqu] et ce qui en subsiste dans lesparlers romans qui font figure danomalies et reprsentent la situation ancienne.

    Ce phnomne la tendance passer de ladjectif-adverbe [marqu] lad-jectif-adverbe [+marqu] rsulte du besoin que, dans sa Grammaire des fautes,Frei (1929: chap. 1) appelle le besoin dassimilation, et plus particulirement leconformisme, qui est un procd gnral dassimilation discursive; lauteurlillustre prcisment, entre autres, avec laccord de ladverbe en franais, dans unefleur frache close, une fentre grande ouverte, les nouvelles-venues, la premire-neet elle est toute surprise (Frei 1929: 57), constructions conformes aux rgles II/3/ql(19) et II/3/qt (2). Cette tendance sobserve aussi ailleurs, peut-tre universelle-ment; le nerlandais actuel, par exemple, est en train de passer du type een heel

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    goede dag, une trs bonne journe, avec ladverbe heel [marqu], au type eenhele goede dag, o ladverbe heel est marqu, comme le serait un adjectif.

    Dans sa thorie, Bally (1950: 173, avec renvoi au 357s.) prvoit en partie aussicette volution; ce sujet, il prsente, dans une perspective diachronique, les consi-drations suivantes:

    laccord . . . est psychologiquement un rapport plus troit que la rection; grammaticalement,laccord est un procd plus synthtique, la rection, un procd plus analytique. Il sensuit quelaccord entrane plus aisment la concordance formelle que la rection. Cf. lat. Paulus vivittranquillus et Paulus vivit Romae. Mais ce caractre synthtique de laccord peut avoirpour effet, dans une langue porte la synthse, le passage dune syntaxe de rection une syntaxe daccord par voie de transposition. Le cas le plus connu est celui des adjectifs de re-lation . . ., chaleur solaire pour chaleur du soleil (lat. bellum punicum pour bellum contraPoenos, . . .); nous verrons . . . que des rapports rectionnels ont la forme de laccord dans lesdterminatifs (articles, dmonstratifs, possessifs, adjectifs de quantit, etc.), cest--dire dansdes formes traditionnelles qui rsistent la tendance analytique des idiomes modernes.

    De toutes les rgles et tendances de la colonne II, seules les rgles II/7/qta (24) etII/7/qtb (25) sont panromanes. Ceci, sauf volution parallle et tardive, est un in-dice de grande anciennet, laissant toutefois intact le principe de leur postrioritpar rapport aux rgles correspondantes de la colonne I, I/7/qta (13) et I/7/qtb (14).tant donn le caractre synthtique des deux constructions en question, II/7/qtaet II/7/qtb, cette constatation rejoint et confirme la dernire observation dans lepassage de Bally cit ci-dessus.

    Quant au contre-argument thoriquement possible dun dveloppement paral-lle et tardif de ces deux rgles, il est rendu caduc par le raisonnement que voici.Comme il y a dans notre corpus, pour la catgorie II, des lacunes relatives desparlers romans spcifiques, ce nest probablement pas un hasard si le sarde, parlerqui conserve en gnral un tat archaque du protoroman, ne prsente dattesta-tions sres des rgles et tendances de la colonne II que celles que nous supposonsles plus anciennes, donc II/7/qta et II/7/qtb; les lacunes de ce parler pour les autresrgles et tendances de II ne seraient donc pas fortuites. Labsence dun exemple dela rgle I/1a/qt dans nos matriaux, signale en 2.3.1, signifie probablement quajou, peut-tre trs tt, le passage de la rection laccord, prvu dans ce cas parBally et quillustre la construction II/1a/qt (15).

    La chronologie esquisse ici est confirme par des attestation romanes de cer-taines des rgles de I [marqu] dans des parlers anciens ou archasants: en sardeancien, o ladverbe non marqu est cependant le plus souvent muni dun s finalen fonction de marque prdicative, comme dans solus (Wagner 1951: 362s.; Dar-del 2004), en rhto-roman des Grisons (26):

    (26) I/1b/qtrhto-roman des Grisons (sursilvan, Spescha 1989: 377)Ella ei tut en larmasElle est tout en larmes.

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    avec de nombreuses autres attestations de la mme rgle, par exemple pak belapeu belle paucum (Augustin 1903: 42) et tut bluts [anges] compltement nus(Renzi 1994: 386), en dalmate, o lon emploie en fonction dadverbe ladjectif issude bonum (27):

    (27) I/1b/qldalm. vegliote (Bartoli 1906/1: col. 285, 155)i ma livo bonJe me lve bien (i. e. tt).

    et en roumain, parler qui prsente encore aujourdhui, ct de formations ad-verbiales qui lui sont propres, les grandes lignes de la structure, reste productive,de ladjectif-adverbe protoroman, quillustrent les drivs de formosum, avec unadjectif variable, frumos/frumoas, et un adverbe invariable, frumos (28):

    (28) I/1b/qlroum. frumos vorbeti[Tu] parles joliment.

    La chronologie que nous postulons sur la base du tableau A est confirme aussi,inversement, dans certaines des rgles et tendances de II, par une distribution ro-mane diffuse, qui pourrait sexpliquer dans chaque parler sparment et tardive-ment, indpendamment du protoroman. Ainsi en est-il de (29):

    (29) II/1b/qtesp. dAmrique et du sud de la pninsule ibrique (Ins Fernndez-Ordez, lettre du5. 12. 2005)Mi padre me trajo puros libros de su viajeMon pre ma seulement rapport des livres de son voyage.

    Il en est ainsi aussi de laoc. cit en (17), de lafr. bons tuez, rgle II/3/ql, qui signi-fie que laction de tuer est bonne (Tobler 1971/1: chap. 12, 86-88) et du haut-en-gad. ps omens et psas donas plus, II/7/qta (Augustin 1903: 49, adjektivi-sche Form).

    La situation qui prvaut en roman (colonne II), o domine lintroduction de lamarque daccord, na pourtant pas entirement supplant labsence daccord en vi-gueur en protoroman (colonne I, relation); il sensuit videmment quun peu par-tout les deux systmes coexistent et sont sans doute sentis par le sujet parlantcomme variantes lun de lautre. propos de lexemple espagnol (16), comportantladverbe [+marqu] derecha, Hanssen 1910: 59.2 signale que la mme phrase sedit aussi, dans (30), avec ladverbe [marqu]:

    (30) I/b/qlella se fu derecho casaElle se rendit directement la maison.

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  • La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman

    En rsum, le contraste en diachronie entre les traits I [marqu] et les traits II[+marqu] exprime une situation o la tendance gnrale consiste tendre lechamp de la marque de laccord la rection; on peut donc dire que la rection[marqu] est une forme romane anomale, tandis que la rection [+marqu] des r-gles et tendances de II sexplique par la tendance volutive dcrite par Bally et parles besoins systmatiss chez Frei.

    2.3.2.3 La redistribution des marques et laltration

    Par rfrence au principe de lisomorphisme entre expression et contenu, formulchez Martinet 1963: 42 en ces termes: chaque diffrence de sens correspondncessairement une diffrence de forme quelque part dans le message, et par r-frence limage saussurienne de la feuille de papier dont les deux faces figurentle signifiant et le signifi, lesquels restent congruents quelle que soit la manire dela dcouper (Saussure 1949: 157), on sattend ce que, dans le systme rgissantla rection et laccord, la morphologie et la syntaxe voluent paralllement. Dupoint de vue de la langue, envisage en synchronie, en tant que systme de valeurs,tel nest le cas que sous condition. Dans par exemple II/5/qt (22), acat. de moltapoca edad, de trs peu dge, si poca sexplique, selon la rgle II/7/qta (24), commeadjectif variable dans la thorie de Bally, molta, au contraire, conserve la fonctiondun adverbe dterminant poca, selon la rgle II/6/qt (23). Inversement, dansI/7/qtb (14), si lafr. tut dans tut lur naviries turnent est adjectif, comme le dit ldi-teur et comme le confirme sa traduction, labsence de marque, en infraction ladfinition standard, reste pourtant conforme aux rgles tablies par Bally. Demme, dans le syntagme nerlandais een hele goede dag une trs bonne journe,cit en 2.3.2.2, ladverbe hele, prsent avec la forme dun adjectif [+marqu], nena pas le sens, qui serait entier, mais celui de ladverbe heel [marqu], trs. Cequi, dans le sous-systme ltude, nous fait leffet dune entorse aux principessaussuriens cits plus haut, cest le fait que les exemples en question ressortissent la parole, envisage en diachronie, et reprsentent la notion saussuriennedaltration, i. e. de dplacement du rapport entre le signifi et le signifiant,processus volutif o ce qui domine . . ., cest la persistance de la matire an-cienne (Saussure 1949: 109, citant lancien allemand dritteil le tiers allemandmoderne Drittel; les recherches rcentes sur les textes de Saussure, notammentdans Saussure 2002, confirment que laltration est une pice matresse dans saconception de la mutabilit du signe). Laltration ainsi dfinie laisse donc intactsles principes de lisomorphisme et des valeurs du signe.

    Comme, dans chacun des parlers romans, pour les mmes structures syn-taxiques, on observe la prsence simultane de variantes avec et sans marque (cf.I/2/ql et II/2/ql, propos de laoc. car/cars, et I/7/qtb et II/7/qtb, propos de lafr.tut/tute), nous y supposons une certaine instabilit du systme des marques et in-clinons penser que leur redistribution est lie, au moins en partie, ce quil sagitde faits de parole plutt que de langue. la suite de Saussure, qui sparait m-

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  • Robert de Dardel

    thodiquement les points de vue synchronique de diachronique (Saussure 1949:119), Guillaume, trs proche de lui sur des points essentiels, a pourtant postulavec insistance et dcrit, entre les systmes de langue synchroniques successifs, lerle de la parole, quil nommait discours, dont il a maintes fois voqu les par-ticularits diachroniques et, long terme, les effets par fixation en langue. Dans undocument de sa main, intitul Systme et diachronie des systmes, Guillaume1973: 106-7 crit:

    Dans la pense de Saussure, les deux images dominantes sont celles du temps qui scoule etde linstant qui sarrte, et immobilise. [Ici: un schma du temps, symbolis par une ligne lon-gitudinale, coupe de lignes transversales, qui symbolisent les instants.] Cette vision profondereste, en la matire, un peu sommaire. Car la systmatisation, rapporte par Saussure chaqueinstant immobilis dans la marque longitudinale du temps, nest pas instantane: elle a de-mand, elle demande et, puisquelle est changeante, demandera du temps, tout de mme quele procs inverse de dsorganisation partir duquel elle opre.

    Suivant ce modle, la redistribution des marques quon devine derrire nos exem-ples, flottante comme elle est et stalant sur un ou deux millnaires, pourrait biense ramener des faits de parole, au nombre desquels des fautes au sens de Frei(cest--dire suscites par des besoins), retenues et l dans les documents ro-mans et attestant sur laxe du temps le stade de la dsorganisation entre le systmeprotoroman, que nous supposons organis, et les divers systmes romans en voiedorganisation ou dj organiss. Cest pourtant le lieu de prciser, comme le faitP. Wunderli (lettre du 17. 5. 2008), que les faits de parole, racines de toutes les in-novations, ne sont quun tat transitoire initial, et que, quand ces phnomnessont grammaticaliss, ils quittent le domaine de la parole et montent, en passantpar la norme (dans le sens de Coseriu), au niveau de la langue.

    2.3.2.4 Un aspect typologique: lchelle de laccord

    Fernndez-Ordez 2006-7 explore la diachronie linguistique romane sous langle de la chronologie et de la hirarchie selon lesquelles, en fonction de plu-sieurs critres (telles la classe des mots et leur position), certaines volutions seralisent. Elle observe, ce faisant, des chelles analogues entre parlers romans etaussi entre des parlers romans et des langues non romanes, ce qui la conduit yvoir un phnomne typologique, prsentant une certaine gnralit, mais sans ori-gine commune ncessaire.

    Cette collgue, qui a eu sous les yeux une version antrieure du prsent essai, yrelve (lettre du 5. 12. 2005), dans cette perspective, une chelle de laccord, quispcifie lordre chronologique du passage de ladjectif-adverbe dune construction[marqu] la construction [+marqu] correspondante; cette chelle se laisse for-maliser selon la classe de mots (nom adjectif), selon la position syntaxique (po-sition intrieure du syntagme nominal attribut prdicat) et selon le type dad-jectif-adverbe (qualifiant quantifiant et identifiant). Cette constatation de sa

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  • La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman

    part nous parat rejoindre, par une approche videmment un peu diffrente et plusconcrte, mais galement un niveau danalyse gnral et interlinguistique, les r-sultats obtenus ici partir de la thorie de Bally.

    En roman mme, seule une analyse beaucoup plus dtaille, que nous navonspas entreprise, permettrait de situer avec quelque prcision, dans la chronologie,chacun des changements de rgle.

    2.3.2.5 Aboutissements spcifiques

    Au niveau des rgles et tendances de II, nous trouvons dans les parlers romans,ralise localement, une situation o tout adjectif-adverbe tend tre marqu,sans gard sa fonction adjectivale ou adverbiale; on y assiste au triomphe de lac-cord, mme l o dans lanalyse selon la dfinition standard on verrait un adverbe,par exemple dans II/1b/qt (17). Ce phnomne a t mis en vidence par Rohlfs1966-69/2: 887; effectivement, en Italie mridionale, peut-tre sous linfluence dugrec, il semble bien que se soit perdue jusqu la notion dune opposition adjec-tif/adverbe, car laccord y est systmatique, mme entre un complment circons-tanciel et un sujet implicite, comme dans (31):

    (31) II/1b/qlItalie mridionale (Rohlfs 1966-69/2: 886)facciamo lteFaisons vite. (dit par des femmes dans la langue parle daujourdhui)

    Lexistence de ce phnomne est confirme, du point de vue de la linguistique g-nrale, par Karlsson (1981: 16): in very few languages is the form of the adverbtotally indistinguishable from that of the adjective. In such atypical languages,word order will provide clues.

    Au niveau des rgles et tendances II, dans la Romania continentale continue, doncsans le roumain, ladjectif-adverbe hrit du protoroman ne reste productif que danssa fonction adjectivale. Dans sa fonction adverbiale, il cesse dtre productif, proba-blement ds avant lapparition des parlers romans concerns, qui nen conserventplus gure quune distribution grammaticale limite et des tours figs. En espagnol,selon Rainer 1993: 688, 6.1.3, lemploi adverbial dadjectifs se produce con un nmero reducido de adjectivos en relacin con muy determinados verbos.

    Aprs la simplification morphologique selon les rgles et tendances de II, quisupprime en bonne partie la distinction formelle entre les deux fonctions de lad-jectif-adverbe, sinon toutes, la drivation adverbiale avec -mentem introduit uneexplicitation de cette diffrence fonctionnelle. Logiquement, en Italie mridionale,en dalmate et en roumain, o ladverbe en -mentem ne sest pas implant, ladjec-tif-adverbe protoroman se maintient avec ses deux fonctions, sauf, comme nous ve-nons de le signaler, en ce qui concerne leur fusion en Italie mridionale.

    En fin de compte, la dfinition standard ne semble sappliquer systmatiquementni la situation en protoroman, ni celle qui se dessine dans les parlers romans.

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  • Robert de Dardel

    3. Analyse du cas spcial des quantifiants et identifiants

    En 2, nous avons prsent une vue globale de la morphosyntaxe des adjectifs-ad-verbes, comportant leur rpartition dans le temps, en protoroman et en roman, selon le critre de labsence ou de la prsence dune marque exprimant respecti-vement la rection et laccord dans la thorie de Bally. Il sen est dgag un en-semble de constructions, tendant dans les grandes lignes passer de la rection enprotoroman laccord en roman, mais qui semble, par la mise au jour dune chellechronologique ordonne des accords, rejoindre des observations au niveau detraits typologiques ou universels.

    Reste pourtant un sous-ensemble de constructions, lorigine rectionnelles, necomportant que des adjectifs-adverbes quantifiants et identifiants, qui, vu la com-plexit de leur volution, doivent faire lobjet dune analyse distincte; il sagit desstructures I et II/7/qt du classement syntaxique du tableau A. Lanalyse sera pro-pose en premier lieu pour ladjectif-adverbe totum, dont la frquence demploiet labondance dattestations romanes offrent laccs le plus ais la descriptionet lexplication historiques (3.1). Les autres lexmes de cette catgorie serontabords brivement ensuite (3.2).

    3.1 TOTUM et OMNEM

    3.1.1 Esquisse diachronique

    Lhistoire de totum est insparable de celle de ladjectif omnis, laquelle elle estlie par certains traits smantiques propres la fonction adjectivale de ce groupe, savoir, au singulier, le sens discontinu-distributif, quillustre en franais chaquevillage, et le sens continu, quillustre le village entier, au pluriel, le sens discontinu-collectif, quillustre tous les villages.

    Au dbut, dans la phase 1 du tableau B, en croire les attestations romanes, no-tamment sardes et italiennes, ladjectif omnis et ses drivs ont, comme en latinclassique, un sens discontinu-distributif au singulier (omnem villam, ancien sardein omni opera dans chaque jour de travail, it. ogni giorno chaque jour), un sensdiscontinu-collectif au pluriel (omnes villas, ancien sarde omnes sanctos prophe-tas tous les saints prophtes) et, au singulier, en plus, un sens continu, dj pr-sent en latin crit, qui fait encore surface en ancien sarde (cun omnia pertinenthiaissoro avec toute leur dpendance, Monaci 1955: t. 16,9, o omnia fonctionnecomme fminin singulier) et en italien (omne mia fidanza toute ma confiance,Monaci 1955: t. 33, III,1; ogni lor virt toute leur vertu, M.-L., 3,729). Ltymo-logie de ce quantifiant nest pas encore assez bien tablie pour quon puisse ad-mettre sans rserve quil y a accord tardif, au singulier, selon la rgle II/7/qta.

    La phase 2, o apparat totum, soulve un problme danalyse syntaxique et declassement: si le type totum villam est un syntagme nominal relevant de la rgle

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  • Tableau B

    Phase adjectif adverbe

    singulier pluriel

    1 I/1b/qt

    omnem villam omnes villas videt totum illam villam(discontinu-distributif) (discontinu-collectif) videt totum illas villaschaque village tous les villages entirement

    (continu)le village entier

    2 I/7/qtatotum villam(continu)le village entier

    3 II/7/qta II/7/qta

    totam villam totas villas(discontinu-distributif) (discontinu-collectif)chaque village tous les villages

    (continu)le village entier

    4 I/7/qtb I/Ib/qt

    totum illam villam [videt] totum illam (continu) villamle village entier

    totum illas villas [videt] totum illas(discontinu-collectif) villastous les villages

    5 II/7/qtb II/7/qtb

    totam illam villam totas illas villas(continu) (discontinu-collectif)le village entier tous les villages

    La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman

    I/7/qta, totum a une fonction adjectivale et, daprs les tmoignages romans, lesens continu de entier. Si totum villam fait partie dun syntagme verbal du typevidet totum villam, totum peut avoir une fonction adverbiale et signifier enti-rement; le problme se pose dans (32), qui admet deux interprtations:

    (32) I/7/qtacat. moderneHe corregut tot Catalunya[J] ai parcouru toute la Catalogne.[J] ai entirement parcouru la Catalogne.

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  • Robert de Dardel

    Nous navons trouv, dans les rares exemples du type de la phase 2, aucune attes-tation dun sens autre que le sens continu.

    Dans la phase 3, avec laccord, totum se substitue omnem pour les trois fonc-tions que cet adjectif-ci assume dans la phase 1: discontinue-distributive au singu-lier (totam villam, it. tutta citt toute ville, M.-L., 3, 165), discontinue-collectiveau pluriel (totas villas, aport. armado de todas armas, M.-L., 3, 165; ancien sardetotas billas tous les villages) et continue au singulier (totam villam, ancien sardetotta corona toute lassemble des juges, afr. toute nuit toute la nuit, M.-L., 3,165).

    Jusquici, totum, comme adjectif-adverbe en fonction adjectivale, donc dans unsyntagme nominal, se joint un nom [articul] au singulier, selon la rgle I/7/qta.Pendant ce temps, au niveau de la proposition, la fonction adverbiale est rguli-rement exprime par totum invariable et de sens continu, entirement, selon largle I/1b/qt, soit en protoroman, (33a) et (33b):

    (33a) I/Ib/qtvidet totum illam villam[Il] voit le village entirement.

    (33b) I/Ib/qtvidet totum illas villas[Il] voit les villages entirement.

    soit en roman, (34) et (35):

    (34) I/1b/qtcat.erem tot orelles[Nous] tions tout oreilles.

    (35) I/1b/qtroum. (DLRM, s. tot adv.)Tot n-a murit mtu-meaMa tante nest pas encore (litt. entirement) morte.

    Dans la phases 4, totum adverbe subit une altration (cf. 2.3.2.3), en passant du ni-veau de la proposition, o il signifie entirement, celui du syntagme nominal[+articul], o il est adjectif, sans pourtant recevoir de marque daccord; dans cetteposition, il a le sens continu au singulier ([videt] totum illam villam, sarde mo-derne totu sacqua toute leau, Rohlfs 1937: 35) et le sens discontinu-collectifau pluriel ([videt] totum illas villas et [videt] illas villas totum, ancien sardetoctu sos saltos tous les bois; il en va de mme dans (36):

    (36) I/7/qtbancien sarde (M.-L., 3: 494, sans rfrence)appo vistu sas femnas todu[J] ai vu toutes les femmes.

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  • La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman

    Ainsi, totum devient, pour la fonction, un constituant immdiat du syntagme no-minal, selon la rgle I/7/qtb, interprtation confirme par le fait que ce syntagmepeut tre introduit par une prposition, comme dans (37):

    (37) I/7/qtbancien sarde (Condaghe di S. Pietro di Silki, Lazzeri 1954: t. I.21.a, l. 22, p. 110, cf. N10)et ego pettilila a tottu frates suoslitt. Et moi [le prtre] la [la serve] lui [ I. de V.] demandai, (et) tous ses frres. [?]

    Des matriaux romans se dgage limpression que la rgle relative au nom [+arti-cul] (I/7/qtb), lie linstauration progressive de larticle dfini, tend supplan-ter le nom [-articul] correspondant (I/7/qta), tout en en conservant le sens continuau singulier. En fait, la structure opposant, dans les phases 3 et 4, les syntagmes is-sus respectivement des fonctions adjectivale (totam villam) et adverbiale (totumillam villam) de totum est atteste dans deux des parlers romans les plus archa-sants que sont le sarde (exemples ci-dessus) et le rhto-roman des Grisons, o, se-lon Augustin (1903: 46), totum saccorde avec un nom [-articul], totas kumnastoutes les communes (II/7/qta), mais reste invariable avec un nom [+articul], totlas sairas tous les soirs (I/7/qtb). En fin de compte, totum, comme adjectif-adverbe quantifiant invariable, se trouve, dans la phase 4, insr dans un syntagmenominal, o il revt, malgr labsence de marque, une fonction syntaxique adjecti-vale, en infraction donc la dfinition standard, mais en accord avec la thorie g-nrale de Bally (2.3.1), ainsi quavec la dfinition de laltration selon Saussure(2.3.2.3).

    Dans une cinquime phase, enfin, avec totum [+marqu], la rgle II/7/qtb rta-blit la marque prvue par Bally pour lvolution morphosyntaxique de ladjectif-adverbe quantifiant (2.3.2.2), au singulier et au pluriel (totam illam villam ettotas illas villas, aoc. tota lonors tout le domaine, Schultz-Gora 1973: 176;it. tutta la citt la ville dans son intgrit, tutti gli uomini les hommes dans leur to-talit, tous les hommes, M.-L., 3: 165; roum., avec larticle postpos au nom, tottrupul tout le corps, toat apa toute leau, toat ziua tout le jour, DLRM, s. totadv.).

    3.1.2 La documentation minimale de la rgles I/7/qta

    Toute lvolution de ladjectif-adverbe dcrite dans la prsente tude saccom-pagne de lintroduction, puis de la gnralisation de larticle et dautres dtermi-nants, le plus souvent antposs au nom, larticle dfini ntant postpos quen rou-main. De ce fait, on rencontre dans le corpus dexemples romans, en fonction dad-jectif continu, la fois le type archaque tot Catalunya et le type courant toute laFrance, ainsi que, dans la rgle rhto-romane rapporte plus haut (3.1.1), en fonc-tion dadjectif discontinu-collectif, la fois totas kumnas et tot las sairas.

    Voici les quatre types de construction possibles en termes de traits [marqu]et [articul]:

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  • Robert de Dardel

    (i) I/7/qta [marqu], [articul] totum villam(ii) II/7/qta [+marqu], [articul] totam villam(iii) I/7/qtb [marqu], [+articul] totum illam villam(iv) II/7/qtb [+marqu], [+articul] totam illam villam

    Lvolution quils illustrent suggre deux explications. Selon la premire, il y apeut-tre lorigine une rgle concernant la dtermination du nom, car, dans lesnombreux exemples romans du syntagme nominal avec totum, la construction (i)est atteste, mais extrmement rare, comme dans le catalan He corregut tot Cata-lunya, I/7/qta, de lexemple (32), avec linterprtation adjectivale de totum; nousen concluons que, ds une date recule, le nom doit, en rgle gnrale, tre ac-compagn dun dterminant qui en prcise les traits grammaticaux et quen lab-sence dun tel dterminant, dans le type (ii), cest totum [+marqu] qui assume cette fonction; les exemples rhto-romans cits en 3.1.1 nous paraissent confirmerces vues. Selon la seconde explication, en recourant la thorie de Bally, on peutcomprendre que le type (i), trs synthtique, ait adopt laccord, en (ii), plus rapi-dement que ne la fait le syntagme moins synthtique du type (iii), en adoptantlaccord, dans le type (iv). Ces deux explications ont pu tre dterminantes en com-binaison. Nous ne voyons pas dautre moyen de rendre compte de la frappante raret documentaire de (i).

    3.2 Les autres lexmes ressortissant aux classes des quantifiants et des identifiants

    Totum, le plus frquent des adjectifs-adverbes quantifiants, est aussi le mieux at-test; il nous permet de suivre dans le dtail lvolution des lexmes soumis lori-gine la syntaxe de rection. Pour les autres quantifiants et les identifiants, moinsfrquents, moins bien attests et au parcours moins connu, parmi lesquels ipse, me-dium, metipsimum, minus, plenum, purum, solum et summum, valent probablement,dans les grandes lignes, la mme description et les mmes explications; nous disonsdans les grandes lignes, parce quen vertu de diffrences smantiques entre ceslexmes, il semble exister aussi quelques variantes qui ne se sont pas prsentesavec totum.

    Dune manire gnrale, est conforme ce quon observe propos de totumlinvariabilit de ladjectif-adverbe en fonction adverbiale jusque dans les parlersromans modernes, puis son passage tardif ventuel la forme marque. Par ail-leurs, la conformit avec la syntaxe de totum se rencontre dans des exemples re-fltant encore la rgle I/7/qta, tel (38):

    (38) I/7/qtabas-engad. (Augustin 1903: 49)Main ufants main fastidisMoins [il y a d] enfants, moins [il y a de] soucis.

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  • La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman

    ainsi que les rgles I et II/7/qtb (afr. meisme le jour le mme jour, M.-L., 3: 729).Sont galement conformes aux rgles de totum la possibilit dintroduire le syn-tagme nominal par une prposition (afr. par esse la charrire par le mme cheminM.-L., 3: 729) et la libert de position de ladjectif-adverbe en fonction adverbialeou drive dadverbe devant ou derrire le syntagme nominal, comme lillustrentrespectivement les exemples (35) et (36). La raret de la construction I/7/qta, si-gnale propos de totum (3.1.2), caractrise aussi les autres quantifiants et lesidentifiants.

    Et voici deux aspects de la non-conformit de totum avec les autres termes ltude. La libert positionnelle de ladverbe ou du driv dadverbe dans lesconstructions rgies par la rgle I/7/qtb, que nous venons de citer, ne semble pastre exploite smantiquement avec totum; mais elle peut ltre avec dautreslexmes; Gamillscheg 1957: 29 postule, avec lidentifiant ipse, les types proto -romans ipse ille homo derselbe Mensch/ille homo ipse der Mensch selbst, se-lon un schma squentiel dont on retrouve le reflet dans les parlers romans, parexemple en franais, dans le mme homme/lhomme mme, le seul homme/lhommeseul. Enfin, la squence adjectif-adverbe + dterminant + nom, normale avec to-tum, subit souvent une inversion des deux premiers termes avec les autres quanti-fiants et les identifiants (afr. meisme le jour le mme jour fr. moderne le mmejour).

    4. Critique des thses antrieures

    Les recherches traditionnelles ne dpassent gure la collecte de faits isols, glansdans des textes anciens, des grammaires historiques et des dictionnaires, chacundes parlers romans tant envisag sparment et dans une perspective historiquefonde sur les textes anciens, dont la pertinence pour la localisation et la chrono-logie est souvent trompeuse. Seuls les comparatistes de lpoque no-grammai-rienne parviennent imprimer aux recherches une approche densemble plus so-lide, fonde sur des donnes panromanes classes, compares et analyses.

    Les vues les plus prometteuses se prcisent alors propos de quelques pro-blmes romans o se fait jour une certaine cohrence interromane. Aussi est-ce aucomparatiste Meyer-Lbke (1890-1906/3: 137, 173-75; 165, 203-04; 729, 812)quest emprunt lessentiel de notre 3.1.1; et cest dj lui qui, suivi par quelquesautres romanistes (Heise 1912 et Maurer 1959: 163-65), estime que lvolution deladjectif-adverbe consiste majoritairement en un remplacement de structures nonmarques par des structures marques, peu prs comme le reprsente notre tableau A. Pendant ce temps, dautres chercheurs, surtout parmi les latinistes, pren-nent le contre-pied de ces vues. Richter (1909: 145) sappuie sur le latin crit plu-tt que sur lanomalie des donnes romanes ou sur le protoroman; tous les lexmesqui entrent ici en ligne de compte (solus, purus, etc.) tant, comme totus, attes-ts en latin sous la forme dadjectifs [+marqu] en fonction adverbiale, elle estime,

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  • Robert de Dardel

    la diffrence de Meyer-Lbke, que cest au contraire le type marqu qui est leplus ancien. Cette chronologie-ci est adopte aussi, avec des arguments du mmeordre, par Andersson 1954: 106-13; 1961: 5 et Gamillscheg 1957: 60-61.

    5. Remarques finales sur la mthode

    Les deux interprtations qui se dessinent en 4 sont incompatibles: le latin parl quereprsentent le protoroman et les parlers romans, dune part, et le latin des textes,dautre part, appartiennent ds lAntiquit des normes diffrentes, ce dont beau-coup de chercheurs nont pris conscience que tardivement. En outre, le protoro-man reconstruit est un fait de langue, tandis que le latin crit, notamment vul-gaire, est avant tout un fait de parole.

    Cette incompatibilit sexplique par lhistoire des recherches latino-romanes.En gros, au XXe sicle, nombre de chercheurs, surtout des latinistes, taientadeptes du modle dit de la successivit, cest--dire pensaient que, puisque lesparlers romans apparaissent aprs le latin crit antique et tardif, ils sont ipso factoissus du latin crit. Dautres chercheurs, cependant, notamment des romanistes, sesont douts que, selon un modle dit de la simultanit, les parlers romans sontissus ds lAntiquit du latin parl, qui existait cte cte avec le latin crit; les re-cherches, dont lexpos mnerait trop loin (cf. Dardel 1996: ch. 1), tendent en ef-fet montrer que les traits romans les plus anciens dont il est avr quils refltentle protoroman remontent au moins au premier sicle avant notre re (Dardel1985); aussi estimons-nous quen bonne mthode le modle de la successivit doitcder la place celui de la simultanit. Les rsultats divergents ou contradictoiresque nous venons dpingler sont en partie imputables lapplication combine deces deux modles.

    Toutefois, le comparatisme historique appliqu selon le modle de la simulta-nit ne suffit pas, dans le cas prsent, pour dcrire et expliquer la morphosyntaxedes adjectifs-adverbes en protoroman et en roman. Si lhypothse difie ici sur lecritre des rapports dinhrence et de relation et du besoin de conformisme per-met de faire avancer les choses ce qui semble tre le cas cest qutait nces-saire au pralable une rflexion thorique approfondie (dans lesprit du texte plac en exergue), valable en synchronie et en diachronie et invitant des pro-longements typologiques, comme celle que nous offrent Bally et Frei. Cest donc,dans ce cas, grce un retour de la pense sur elle-mme que pourraient tre relances les recherches sur le terrain.

    Groningue Robert de Dardel

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  • La morphosyntaxe de ladjectif-adverbe en protoroman

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