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Jean Neuville - La condition ouvrière au XIXe siècle (Tome 1: L'ouvrier objet)

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H I S T O I R E D U M O U V E M E N T O U V R I E R E N B E L G I Q U E

1

Jean Neuville

La condition ouvrière au XIXe siècle

Tome 1

L’ouvrier objet

DEUXIÈME ÉDITION

Editions Vie Ouvrièrea.s.b.L

Avenue Van Volxem 305  

1190 Bruxelles

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Histo ire du mouvement ouvr ier en Be lg ique

Quelques précisions sur l’ordonnance de la collection :

Elle se décompose en quatre parties :* Les volum es revêtus d’une jaquette dans les teintes rouges constituent une série, suffisante 

en soi, pour une initiation générale à l’Histoire du Mouvement Ouvrier en Belgique. Vol. n° 1 : La condition ouvrière au XIXe siècle tome 1 : l’ouvrier objet (J. Neuville)  

Vol. n° 2 : La condition ouvrière au XIXe siècle tome 2 : l’ouvrier suspect(J. Neuville)Vol. n° 3 : Origine et première mutation du mouvement ouvrier socialiste (M. Liebman) 

Sortie prévue : 1er semestre 1978

Vol. n° 4 :  Origine et première mutation du mouvement ouvrier chrétien (J. Neuville)

Ce livre est en préparation.

*  Les volumes revêtus d’une jaquette dans les teintes vertes contiendront l’évolution de  

certains mécanismes économiques, politiques, sociaux, culturels... dans lesquels le mouvement ouvrier est impliqué.Vol. n° 5 : L’évo lutio n des relations industrielles tom e 1 : l’avènem ent du système des 

relations «collectives» (J. Neuville)Vol. n° 6 : L’évolution des relations industrielles tome 2 : l’entre deux guerres (J. Neuville) 

Vo l. n° 7 : L’évolu tion des relations industrielles tom e 3 : l’après-guerre 19 40 (M. M olitor) 

Ces deux derniers volumes sont en cours de réalisation.

*  Une troisième série de volum es seront revêtus de jaquettes dans les teintes grises et seront réservés à l’histoire des organ isations ou des institutions créées par le Mo uve m ent O uvrier. Vol. n° 8 : Histoire du syndicalisme (J. Neuville) Sortie prévue : 1978

Nous espérons accueillir dans cette série plusieurs autres volumes.

* La quatrième série serait constituée de volum es don t la couleur des jaquettes n’a pas encore 

été déterminée. Les ouvrages de cette série retraceraient l’histoire du Mouvement Ouvrier  

dans les différentes rég ions du pays. Il ne s’agit ici que d’un avant-projet.

Autre ouvrage du même auteur, chez le même éditeur, Adieu à la démocratie chrétienne?

« Aux term es de la loi belge du 22 mars 1 886 sur le droit d ’auteur, seul l’auteur 

a le droit de reproduire ce livre ou d’en autoriser la reproduction de quelque 

manière et sous quelque forme que ce soit. Toute photocopie ou reproduction  

sous une autre forme est donc faite en violation de la loi. »

Tous droits réservés pour tous pays.

° Édition Vie Ouvrière, Bruxelles 1976.

ISBN 2-87003-111-4

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Introduction

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U ne histoire du M ou vem en t ouvrier ne peut se con cevo ir sans une 

« préface » évo qu an t la con dit ion m isérable des ouvriers dans les décenn ies 

qui précèdent sa naissance. Cette condit ion explique, en effet , pourquoi la 

masse ouvrière n’a pas réagi plus tôt; l’atonie dans laquelle la place la  

misère ne lui laissant pas la force nécessaire pour secouer le joug qu’el le 

supp orte. M ais el le sera aussi un élém ent qui soutiendra ensu ite l ’action 

parce qu’une fois entrée dans la conscience claire des travailleurs, elle sera 

 jugée com m e s itu a tion im m éritée ap pelant, au n om de la justice un renver

sement complet .

C ’est cet te préface que ce volum e vou drait être. D u m oins un e première 

étape dans la description de la condit ion de l’ouvrier belge dans les 

quarante prem ières années de notre indép enda nce nat ionale . N ou s 

cro yo ns q ue ce qui cara ctérise l’ouv rier de cette épo q ue , c’est d ’être réduit 

au rang d’objet par le système de production; i l faudra un long travail du  

mouvement ouvrier pour faire accepter l ’ouvrier comme sujet dans la  

société qui reste dominée par la bourgeois ie. Une seconde caractérist ique  

est que cet te même société le cons idère comme un suspect; nous l ’aborde

rons dans un volume suivant pour évi ter de donner à celui -c i une dimen

sion qui risquerait de décourager le lecteur.

N o u s avo ns écarté l ’idée de décrire la m isère ouvrière à partir d ’une 

étude des salaires payés à l ’époq ue. N o n seulement on est m al renseigné à 

ce sujet, m ais les dévaluat ions de la m on na ie im poseraient un gros travail 

de convers ion pour que les chif fres ne faussent pas la percept ion de la  

s ituat ion . C om m e notre propos es t de m ettre un out i l d ’é tude notam m ent

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à la disposi t ion des mi l i tants ouvriers , nous avons cru donner une image  

beaucoup plus parlante en fa isant appel à ces indicateurs que tout le  

m ond e sais it a isément : la nourriture, le logem ent , etc . N otre source essen

t ie l le est const i tuée par les enquêtes contemporaines qui ne peuvent être 

suspectées puisqu’el les furent menées par des bourgeois auprès des bour

geois, en dehors de toute intervention des ouvriers.

Notre travai l ne dépasse pas la guerre de 1870, date que nous chois issons com m e po int de repère m arquan t le passage du cap ital ism e l ibéral des 

petites entités à un capital isme de concentration où les grandes entités 

deviennen t dom inantes . C ’est en ef fet avec ce second capital ism e que naî t 

le m ou vem en t ouvrier et q u ’il com m ence à lutter avec ef ficacité . N otr e 

« préface » à l ’histoire du M ou ve m en t ouvrier s ’arrête do nc a ux env irons  

de 1870 avec l ’enquête menée à cette date par le ministère de l ’Intérieur.  

Cel le de 18 86 , d ont nous som m es lo in de n ier l ’im portance , es t con tem po

raine de la naissance du m ou vem ent ouvrier et sort don c du cadre qui est le 

nôtre ici .

On trouvera dans les pages qui suivent une quant i té impressionnante  

de citat ions, parfois assez longues, dont certains trouveront peut-être  

qu’el les a l longent inut i lement le cheminement de notre descript ion. On 

nous permettra de ne pas partager cet avis , car nous sommes conscients  

que la majorité de ceux qui nous l iront n’ont ni le temps ni la possibi l i té  

d’aller euxrmêmes rechercher ces documents, devenus fort rares, et qu’on 

ne peut plus guère consulter que dans quelques bibl iothèques qui , avec  

raison, ne les laissent pas franchir le seuil de leurs sallçs de lecture.

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La population ouvrière 

en Belgique 

au 19e siècle

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Ceux dont nous a l lons nous occuper ne sont pas minor i té dans la  

Belgique indépendante; i l s ne sont point une quanti té négl igeable  

p uisq u’ils con st ituen t environ la m oit ié de la p op u lat ion act ive . Le prem ier  

recensement à même de fournir des é léments assez sér ieux date de 1846.  

C’est un point de repère intéressant puisqu’i l se s i tue une dizaine d’années  

après le premier démarrage important de l ’ industrial isation du pays, vers  

18 34 , 18 35 (*). Par a il leurs , c ’est en 184 3 que le gou vern em ent décide de 

faire mener une enquête sur la condition des classes ouvrières et sur le  

travai l des enfants; les résul tats en seront publ iés en 1846 et en 1848.E n 1 8 4 6 , la po pul a ti o n du pa y s dépa sse lé g èr e m e nt 4 . 3 0 0 . 0 0 0 un i

tés . Sur ce chi ffre , à peu p rès la m oit ié const i tue la p op u lat ion « pro du cti

ve» . Beno î t Verhaegen es t ime ce l l e -c i à 1 .961 .849 . S i on se basa i t sur l e  

r ec e nse m e nt « pr o fe s s i o nn e l » de 1 8 4 6 , o n de v ra it c o ns ta te r 2 . 2 3 6 . 0 9 0  

ouvriers dont 1 .232 .828 dans l ’agricul ture . Ce sont les chi ffres que donne  

l ' E x p o s é d e l a s i t u a t i o n d u R o y a u m e   p u b lié en 1 8 5 2 (12). C es c h iffres  

com pre nn ent à l ’éviden ce des gen s qui ne so nt pas d es « ouvriers » (par 

exemple, les artisans); i l faut donc se reporter au recensement industriel 

pour mieux approcher la réal i té , non seulement en quanti té , mais auss i  

pou r détecter les différents types d ’ouvriers existan t à l ’épo qu e. Le tableau  

qu ’on peu t lire pa ge 13 reprend les 31 4 .84 2 ouvriers recensés , mais il faut  

y ajouter deux catégories regroupant beaucoup d’autres ouvriers non

(1) Léon H. Dupriez,  Des mouvements économiques généraux, Louvain, 1947, tome 1er, p. 239 :

« malgré les tentatives intéressantes de Guillaume Ier d ’Orange vers 1822, il est correct de faire débuter le

véritable essor industriel de la Belgique au cours des années 1834-1835... »(2) Tableau des pages 16 et 17 du titre II.

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Nbre de Nombre d’ouvriers

manufac- Total De 16 ans et au-dessous De plus de 16 ans

tures Garçons Filles Total Hommes Femmes Total

Industries minérales

Houille et Coke .................................................... 202 46.186 7.378. 2.961 10.339 31.742 4.105 35.847- Etablissements principaux ............ 243 21.312 1.447 175 1.622 18.590 1.100 19.690

Métallurgie - Etablissements secondaires ........... 2.176 4.966 760 222 982 3.548 436 3.984- Ateliers d’artisans .............. ............ 12.028 16.011 2.393 35 2.428 13.460 123 13.583

Carrières, ardoisières - Etablissements industriels 1.613 19.976 2.982 627 3.609 15.249 1.118 16.367et céramiques - Ateliers d’arti sa n s .......... 6.786 11.789 928 18 946 10.696 147 10.843

v , • - Etablissements industr iels ................

Verrer.es _ Ate,ieisd>artisans ............................

35 3.694 539 119 658 2.718 318 3.036595 265 29 — 29 235 1 236

Industries manufacturières

Un et chan vre-E^ isseme m s industriels . . . .-Ateliers d artisans ....................

2.401 17.229 1.491 2.147 3.638 7.006 6.585 13.59118.732 42.794 2.361 18.046 20.407 11.559 10.828 22.387

Laine ........................................................................ 768 18.153 2.076 1.257 3.333 10.134 4.686 14.820r - Etablissements industriels ....................

- Ateliers d’artisans ..................................

350 14.318 2.491 1.247 3.738 7.551 3.029 10.58043 362 3 258 261 1 100 101

Soie .......................................................................... 27 675 208 29 237 380 58 438Bonneterie, rubanerie, passementerie ................ 1.074 3.010 501 337 838 1.497 675 2.172Industries de confection en tissus .................... 10.036 11.057 1.352 1.247 2.599 5.817 2.641 8.458Industries ayant pour objet :

le chauffage (tourbe) ............................................ 12 71 8 2 10 45 16 61l’éclairage ................................................................ 1.690 3.133 176 147 323 2.624 186 2.810

l’alimentation ~ Eta^ isse7ients industriels ........

8.434 22.404 1.329 567 1.896 18.451 2.057 20.508-Ateliers d’artisans ...................... 7.928 7.457 ' 688 44 732 6.291 434 6.725

Industries diverses

- Etablissements industriels ......................

- Ateliers d’artisans ....................................

1.032 1.722 135 10 145 1.524 53 1.57720.636 19.235 2.060 46 2.106 16.960 169 17.129

r , • - Etablissements industriels ......................

- Ateliers d’artisans....................................

968 2.692 157 63 220 2.292 180 2.472

11.841 10.459 2.150 52 2.202 8.039 218 8.257Papeteries et - Etablissements ind us trie ls........ 142 2.671 380 185 565 1.202 904 2.106imprimeries-Ateliers d’artisans .................... 611 2.705 632 19 651 2.034 20 2.054

Produits chimiques - Etablissements industriels .^ —Ateliers d artisans ..........

417 1.453 126 3 129 1.262 62 1.3241.240 1.627 125 2 127 1.484 16 1.500

Industries diverses ................................................ 2.691 7.416 1.451 164 1.615 5.393 408 5.801

TOTAUX ................................................................ 114.751 314.842 36.356 30.029 66.385 207.784 40.673 248.457

L A P  OP  UL AT I   O N  O

 U VRI  È  RE 

E  N B E L  GI   Q UE 

A U 1  9 * 

 S I  È  

 CL E 

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provinces wal lonnes , Liège et Hainaut (5) .

Enfin, ces deux industries sont assez différentes. Par une logique  

interne, l ’exploitation charbonnière a dû se mécaniser et a fait appel à de  

gros inv estissem en ts. L ’industrie linière, par contre, a résisté fortem en t à la 

mécanisation, e l le reste plus disséminée que cel le de la houil le et présente  

d ’autres types de travail leurs par suite de son im brication d ans l ’agricultu

re. D ’une part, il s’agit d’une indu strie en exp an sion, q ui con n ait très tô t le  

capital isme industriel , tandis que, d’autre part, on se trouve devant une  

industr ie en récess ion où règne le capi ta l i sme commercia l .

(5) Soulignons pourtant que la Wallonie compte à l’époque un nombre important de tisserands etde fileuses. Rien que dans le Hainaut, par exemple, on dénombre en 1840:

Tisserands Fileuses

à Toumay 1.087 10.468à Thuin 187 864à Soignies 3.122 8.820

à Mons 160 718à Charleroy 324 1.540à Ath 3.356 10.948

8.236 33.358

(Rapport de la députation permanente du Hainaut,  1844, p. 277).

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Anvers   Brabant   Fl. occ.   Fl. or.   Hainaut   Liège   Limbourg   Luxemb. N am ur Pays

Houille et coke   — — —   — 33.497   11.872   — — 81 7   46.186

Métallurgie   1.95 3 3 .7 93   1.724   3.132   9.175   15.544   497 678   5.793   42.289

Carrières, ardoises, céramique   4.266   4.459   2.6 08 2 .8 53   9 .9 64 2 .3 14   976   1.292   3.031   31.763

Verreries   42   272   35 47 2.476   967 5 15   100   3.959Lin et chanvre   3 .8 97 4 .6 69 2 5.0 97   20.554   3.397   1.011   619   260 519 60.023

Laine   681   762   1.076 503   1.377   13.621   68   8   57   18.153

Coton   432 2.628   1 87 1 0.1 16   1.016 303   — — —   14.682

Soie 530   52   40 45 8   —   — — —   67 5

Bonneterie, rubans, etc.   57 3   803 369   24 1   80 6   68   25   1   124 3 .010

Confection en tissus   1 .2 92 2 .3 57   1 .720 2.55 1 1.568   517 534   248 270 11 .057

Chauffage   —   — 71   —   — — — — —   71

Eclairage   217   56 3   83 8   841   419 137   45   33 40 3 .133

Alimentation   3.006   5.016   4.375   5.120   6.636   2.169   1.771   580 1.188 29.861

Bois   2 .9 51 3 .0 94   2.919   4.995   2.766   1.500   940 788   1 .0 04 2 0 .9 57

Cuir   1 .4 33 2 .5 18   2.047   2.177   2 .092 1.185 552 538   609   13.151

Papeterie, imprimerie   58 1   2.588 221 440   290 816 61 52 327   5.376

Produits chimiques   356   793 371   6 88 407 205   96   9   155   3.080Industries diverses   84 8   1.713   80 3   883 589   1.422   808 127   223   7.416

TOTAUX   23 .058 36 .080   44.501   55.186   76.483   53.651   6.997   4.629   14.257   314.842

L A P  OP  UL AT I   O N  O U VRI  

È  RE 

E  N B E L  GI   Q UE 

A U 1  9  e  S I  È   CL E 

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Effect i f des journal iers en 18 4 6

Journaliers Journaliers Total

non agricoles agricoles

Anvers   34.195   6.986   41.181

Brabant   44.187   22.909   67.096

Fl. occ.   39.718   27.810   67.528

Fl. or.   56.703 23.559   80.262

Hainaut   74.065   29.248 103.313

Liège   30.946   10.787   41.733

Limbourg   10.334   5.204   15.538

Luxembourg 10.491   2.655   13.146

Namur   25.026   11.438   36.464

Pays   325.665   140.596   466.261

Effectifs des do m estiqu es et con cierges en   1 8 4 6

Domestiques   Domestiques   Total

non agricoles   agricoles

Anvers   13.659   11.412   25.071

Brabant   30.939   7.631   38.570

Fl. occ.   14.899   25.577   40.476

Fl. or.   20.494   25.367   45.861

Hainaut   14.852   9.475   24.327

Liège   13.224   3.736   16.960

Limbourg   2.541   11.388   13.929

Luxembourg   5.169   735   5.904Namur   6.440   2.829   9.269

Pays   122.217   98.150   220.367

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Chapitre 1er

Les ouvriers liniers

L ’analyse de la p op ulation occu pée dans l ’industrie l inière est pa rtiel

lement éclairée par une enquête antérieure au recensement de 1846; l ' E n

q u ê t e s u r l ' i n d u s t r i e l i n i è r e ,   organisée en 1840 par le ministre de l ’Inté

rieur. La C om m ission qui en fut chargé e a, en effet, réservé une partie de  

ses con clu sion s à l ’état de la classe ouvrière (6). C ’est particulièrem ent  

lorsqu’elle évoque les tisserands que les types de travailleurs apparaissent  

clairement.

L orsq u’elle parle de Y é t a t d e l a c l a s s e o u v r i è r e ,   la C om m iss ion établ it 

quatre classes; lorsque, plus loin, el le abordel e s o r t d e s o u v r i e r s ,

  el le  disting ue cinq classes , le term e « ou vrier » étan t pris au sens large de  

«travai l leur» .

Les types de travailleurs dans le lin

La première classe est com po sée dé t i s s e r a n d s c u l t i v a t e u r s . Il s’agit 

d ’un état où l’agriculture tient en core une large plac e d ans l ’activité et dans  

la sub sistance . En effet, ces tisserand s « exp loiten t une étend ue su ffisan te  

de terre pour pourvoir à leur nourriture et à celle de leur famille » (7). Ils  

mettent en œuvre le l in qu’ils ont cultivé et n’en achètent qu’en cas  

(l’insuffisance de la récolte (8). Ils cultivent jusqu’à deux ou trois hectares

(<ï) Il faut entendre ici le terme « classe », employé par la Commission, dans le sens de « catégorie ».(7)  Enquête de 1840,  tome II, p. 398.

(8) ld., p. 363.

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et possèdent un métier (9) . De plus, « i ls ont des domestiques qui f i lent et  

qui tissent» (1011).

La deuxième c lasse est formée par les  f a b r i c a n t s t i s s e r a n d s . Ici, « les  

plus aisés achètent leur l in sur pied, le font préparer et survei l lent ainsi ce  

produit dans toutes ses transformations jusqu’au t i ssage inc lus ivement .  

D ’autres ach ètent le l in te i l lé chez le m archa nd prép arateur de l in; le plus  

souvent , i l s ont un certain nombre de métiers , depuis deux jusqu’à qua

rante e t même so ixante ( n )  qu’i ls occupent, eux, leur famil le et leurs 

d om estiqu es ou leurs ou vriers » (12).

La trois ième c lasse , que la Commiss ion d’enquête considère comme  

l a p lus nombreuse , compte ceux que nous pourr ions appe ler a r t i s a n s -  

t i s s e r a n d s   qui , l ’été , sou ven t, aba nd on ne nt le t issage pou r la culture, soit 

po ur leur com pte , so i t , le plus souv ent , pou r se louer com m e journalier  

dan s les fermes. « Ce son t des individu s qui ne p ossè de nt q u ’un m étier, 

t iennen t un e p eti te dem eure avec un journal de terre (13) et qu elqu efois  

moins, en location, achètent leur l in te i l lé à crédit chez le marchand ou le  

gros fermier et vendent la toi le sur le métier ou au marché. En été , i l s  

s’occupent de cul ture , ou pour eux ou pour les fermiers de leurs environs » (14).

La quatrième classe est consti tuée par les t i s s e r a n d s à d o m i c i l e .   « Ils  

travai l l ent chez eux sur commande pour compte de fabr icants , de mar

chan ds et de b ou rge ois » (15). Selon l ’enq uête, « i ls so n t en p eti t nom bre,  

mais dans ces derniers temps le nombre s’en est accru, par suite des  

tentatives faites çà et là pour l ’emploi du f i l mécanique dans le t issage des  

toiles » (16).

La cinq uièm e classe enfin regro up e « les tisserand s qui travai l lent  

dans des ate l iers pour faire de la toi le à voi les ou du l inge damassé . De ce  

nombre se trouvent ceux qui ont é té réunis dans ces derniers temps sur  

plusieurs p oints po ur co nfect ionn er d e la toi le en f i l m écaniqu e » (17). O n  

pourrait croire qu’i l s’agit ic i d’ouvriers travai l lant directement sous pa

tron. I l n ’en est r ien; dans sa prem ière classif ication, la com m ission les  

réunit avec les t i s s e r a n d s à d o m i c i l e s  disan t : « D an s la qu an tité , o n n ’en  

co m p te en cor e qu e bien peu q ui so ien t réunis en atelier » (18). A illeurs, el le

(9) Id., p. 398.

(10) Id., p. 363.

(11)  P* 398. L’enquête signale pourtant les chiffres de vingt et trente comme maximum; «Lacommission en a rencontré un qui en possède quarante».

(12)  Enquête de 1840,  tome II, p. 363.

(13) Le journal de terre était la surface qu’un individu pouvait bêcher en une journée.

(14)  Enquête de 1840 , tome II, p. 363.(15) Id., p. 399.

(16) Id., p. 364.(17) Id., p. 399.(18) Id., p. 364.

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avai t soul igné qu’«Il est quelques sortes spécia les de t i ssus , comme les  

couti ls , les toi les à matelas, le l inge damassé, les toi les à voi les, les rubans, 

etc. , qui sont entre les mains de quelques fabricants qui font travai l ler les  

t isserands po ur leur com pte, soit q u ’ils les réun issent dan s des atel iers, soit 

q u ’ils leur d on n en t le fi l à d om icile » (19).

O n p eut conclure q u ’à l ’ép oq ue, un e grande part ie du t issage est 

encore réal isée par des artisans. M ais on trouv e, dan s le classem en t de la  

C om m ission , d ’une part , des o u v r i e r s   qui travai llent p ou r un fabricant  

tisserand. C e fabr icant, « c ’est le  p a t r o n   qui app araît sur la scène et prélu de  

à une n ou ve l le org an isation ind ustrielle » (20). D ’autre part, on trou ve d es  

domestiques qui l ivrent leur travai l aux tisserands cultivateurs ou aux  fabricants t isserands. Ces d o m e s t i q u e s   do ivent év idemment être pris en  

con sidéra tion lo rsq u ’on étud ie le sort des ouvriers, car, en réali té , leur état  

est fort pro che de ce lui de ces derniers. O n les trouve dans le recensem ent  

général de la populat ion de 1846 sous la rubrique domest iques et  

concierges (21). De même, i l faut y ajouter les  j o u r n a l i e r s e t o u v r i e r s s a n s  

 p r o f e s s i o n d é t e r m i n é e   (22) qui , eux no n p lus , ne sont pas com ptés d ans le 

recensem ent ind ustriel, a lors qu e « l ’industrie et surto ut l ’agriculture recru

tent gé n éra lem en t leurs ou vriers d ans cette ca tégo rie » (23).

Une industrie stagnante

Alors que dans l ’ industrie de la laine et dans cel le du coton, la  

mutation vers le machinisme s’opère sans trop de heurts , parce que le  

nombre de travai l leurs qui y sont occupés est assez réduit , i l n’en sera pas  

de même dans le l in . Dans cette industr ie , en effet , en 1830, i l y a encore  

280 .396 f i l euses , 74 .700 t i s serands e t 50 .000 ouvr iers occupés dans la  

préparation du tissage (24).

Dans la f i lature du coton, par exemple, alors qu’en Angleterre où  

sont appl iquées les premières inventions de mécaniques , l es inventeurs  

H argrave d ’abo rd, Ark w right ensu ite , voien t leurs m ach ines brisées par les  

ouvriers, en Belgique Liévin Bauwens parvient, à la f in du XVIIIe siècle ,  après b eau cou p d ’avatars, à im porter en fraude d ’A ngleterre une partie des  

pièces nécessa ires à la con struct ion de m achines à filer le coton . D e m êm e, 

il parv ient à faire venir à G an d u n certain nom bre d ’ouvriers an glais

(19) Id., p. 256.

(20) E. Dubois,  L ’industrie du tissage du lin dans les Flandres,  1900, p. 64.

(21) N° 41.(22) N° 117.(23)  Recensement général de la population de 1846,  Introduction, p. XLVII.

(24) L. Varie/,  Les salaires dans l’industrie gantoise, II, Industrie de la filature du lin,  Bruxelles,IV04, p. XXIX.

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qu alif iés . Il étab l it , au d ébu t du X IX e siècle , dans le loca l de la C hartreuse, 

à G an d, « un é tab l issem en t où le co ton se cardait et se f ilait d ’après le 

systèm e an glais » (25). Plusieurs m ill iers d ’ouv riers y étaien t o ccu pé s en  

1805 déjà .

Bauwens s’intéressa également à la f i lature du l in, mais, dès 1808, i l  

écrira : « les résultats m ’on t pro uv é q u ’au cun e filature de cette e spè ce, la 

mieux combinée et la plus économique, ne peut a l ler en concurrence avec  

le bas prix au qu el les ha bitan ts de la cam pa gne peu ven t f iler à la main dans  

tou s les pa ys où ce vég étal es t cu ltivé » (26).

Les que lques essais d ’introd uction de la fi lature du lin à la m écaniq ue  

furent ensui te très l im ités , e t cec i , m algré les encouragem ents de N ap oléo n  

durant le blocus continental en vue de suppléer par le l in à la carence du  

coton qui ne pénétrait plus guère en France (27). Les premières fi latures de  

l in furent érigées à la fin du régime hollandais, mais ce type de fi lature  

n’était pas encore très développé au lendemain de la révolution belge. En  

1835, à l ’exposition industriel le de Bruxel les, les f i ls à la mécanique  

« é ta ient cons idérés p lutô t com m e des échant i llons que com m e d es pro

d uits d ’un e fab rica tion su ivie » (28).

C ’est le fi l an glais, fi lé à la m éca niq ue , qui finit par con qu érir les 

m archés. « L ’An gleterre qui , en 18 25 , vend ai t à pe ine 1 .00 0 kg de f i l e t de 

to i le à la France, lui en fournissa it , en 18 37 , plus de 3 .5 0 0 .00 0 kg et la 

B elgiqu e perd ait tou t le terrain que g agn aient les f ilateurs et les t isserands  

an glais » (29). D an s ce s exp or tatio n s an glaises, le fi l de l in éta it pa ssé de  

161 kg en 182 5 à 3 .1 9 9 .91 7 kg en 1 83 7 (30). Par a illeurs , de 18 32 à 18 38 , 

l ’ importat ion des f i l s écrus fabriqués mécaniquement éta i t montée de  

49 .98 8 à 1 .22 2 .49 1 kg , tandis que nos exporta t ions tom baient , de 1835 à  

18 38 , de 1 .04 0 .10 5 à 38 9 .99 0 kg (31). En 18 49 , la Be lgique im porta i t près 

de 14 0 fois plu s de f i l à la m écan ique d ’An gleterre qu ’en 18 33 (32).

La si tuation ne manque pas d’alerter l ’opinion publique. L’industrie  

l inière est , en effet , pou r les con tem po rains « un des plus b eau x fleuron s de 

la c ou ron ne indu striel le » de la B elgique, p our ainsi dire « un e étoffe q ui 

n’a pas de revers: agricole d’un côté, e l le est manufacturière de l ’au

(25) Briavoine,  De l’industrie en Belgique,  Tome I, p. 315.(26) Observations sur une lettre de François de Neufchâteau, Gand, 15 mars 1808, Dossier « Lin »,

Bibliothèque de Gand, cité par Variez:  Les salaires dans l’industrie gantoise,  o.c., p. XXXI, note 1.

(27) Napoléon offrit, le 7 mai 1810, une récompense de un million à l'inventeur du système qui

filerait le lin avec la même perfection que le coton (Briavoine : De l’industrie en Belgique, Tome II, p. 362).(28) G. Jacquemyns, Histoire de la crise économique des Flandres (1845-1850), Bruxelles, 1929.,

p. 78.

(29) Romberg,  Les grandes industries,  Patria Belgica, Tome III, p. 222.(30) Variez, o.c., p. XXXIII. — Dubois, o.c., p. 21.

(31) Id., p. XXXIX.(32) Jacquemyns, o.c., p. 145.

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tre »! (33). Il y eut des vo ix p ou r préco niser la m éca nisa tion . « Les ch am

bres ne tardèrent pas à s’ém ou vo ir de cette s itua tion . D ès 1 8 3 4 , tant à la 

Cham bre q u’au Sénat, on pro po sa d ’encourager l ’introdu ct ion d es m achi

nes à f iler m écan iquem ent le lin » (34). D ep ou h on , d éputé, y déclara n o

tam m en t : « la ville des Flandr es qui élèver ait en so n sein un éta blissem en t  

de f ilature com m e i l en ex iste en G rande-Bretagne se préparerait un avenir 

des plus prospère. Avec les mêmes moyens de fabricat ion, nos Flandres  

seraient en mesure de soutenir avec avantage la concurrence de l’ industrie  

anglaise pour la filature du lin, parce qu’elles ont la matière première à  

meilleur compte et moins de charges à supporter» (35) .

Les bourgeois contre les mécaniques

Cependant , en 1841, i l n’y avait encore en Belgique que 47.000  

broches . I l faudra attendre 1896 pour que leur nombre atte igne 292.156,  

alors q u ’en 1 8 4 0 , i l y en a vait déjà un m illion en An gleterre (36). C ’est  

qu’en ef fet une oppos i t ion extrêmement tenace mit en œuvre tous les  m oyen s po ssibles pou r em pêche r l’installat ion des m écaniq ues à f iler le l in. 

Au moment où , en 1834 , on proposa i t , à la Chambre , d’encourager  

l ’introd uction de m achines à f iler le l in, les représentants des prov inces les 

plus intéressées s ’y o p po saien t ou se taisaient; « la plupa rt des députés d es 

Flandres combatt irent avec acharnement toute idée d’abandonner les 

vieux procé dés; i ls s ’opp osèren t aux inn ovat ions . C e furent généralem ent  

les m êm es dépu tés qui s’élevèren t en défenseurs de l’ancienne ind ustrie: à 

la Chambre, l ’abbé De Haerne, député de Courtrai ; l ’abbé de Foere,  

député de Thielt , et Eugène Desmet, représentant de l’arrondissement  

d’A lost ; .. . au Sénat, Bon né-M aes , sénateur de R oulers , négocian t en  

toi les . Un grand nombre de représentants des Flandres n’intervinrent que  

très rarement dans les débats où il était question de l’industrie toilière; i ls 

sem blaien t vivre en m arge d e la m isère d es fileuses et des tisserand s » (37).

A la base de cet te oppos i t ion, i l y a une catégorie de gens qui sont  

parfois des polit iciens, mais presque toujours des capital istes du premier  type: des capital istes commerciaux (38); «la plupart restaient étrangers à 

la fab rica tion : ce n ’éta ien t pa s des indu striels » (39). C e so n t c eu x qui

(33) Comte J. Arrivabene, Situation économique de la Belgique exposée d’après les documents  

officiels, Bruxelles, 1943, p. 51.(34) Variez, o.c., p. XXXIII.

(35) Chambre, 20 février 1834, cité par Jacquemyns, o.c., p. 76.(36) E. Romberg, o.c., p. 222.

(37) Jacquemyns, o.c., p. 100.(38) Les capitalistes industriels étant du second type.(39) Jacquemyns, o.c., p. 103.

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ach ètent, p ou r les revend re, f ils et toiles (40). C ’est à eu x q ue reven aient les 

pro fits de la fabrication (41). « Les pa uvres t isserands, g ag na nt qu elques  

cent imes par jour, se trouvaient sous leur dépendance économique. La  

prospérité de ces bourgeois était int imement l iée à l ’organisat ion spéciale  

de l’ industrie l inière. Dans cette industrie des campagnes, les frais de  

fabrication étaient réduits au minimum. Les t isserands isolés devaient  

accepter les c on dit ion s f ixées par les m archan ds » (42).

Fo nd am entalem ent ces capitali stes com m erciaux craignent d’être 

supplantés par les capital istes industriels à la suite de l ’ introduction des  

m écaniques. « La pro du ct ion d ispersée of frai t une m ain-d ’œ uvr e m oins  

chère et plus d oci le. La rév olution indu striel le m enaça it cette org an isat ion : 

el le deva it cond uire à la conc entra tion de la pro du ction d es f i ls , et du cou p,  

l ’har m onie da ns la fabrication à d om ici le dev ait disparaître. Il fal lait 

craindre que d’autres capitalistes n’achètent en gros le l in et aussi les f i ls  

sortant des f ilatures et les fassent t isser po ur leur com pte p ar les t isserands  

aussi bien des vi l les q ue d es cam pag nes. Le fabricant se serait sub st itué au 

marchand. Celui-ci aurait , le cas échéant, pu évoluer; mais, par esprit de  

routine autant que par intérêt, i l s’efforça de m aintenir l ’an cienne industrie  

l inière qui lui procurait des bénéfices assurés. Cependant cette industrie  

dont on proclamait la supériorité étant branlante; el le était marquée du  

sceau de la mort. Il fallait la sauver. Pour arrêter sa décadence, les mar

cha nd s form èren t une va ste a sso cia tion » (43).

La salive humaine, atout du capitalisme commercial

Celle-ci — l ’A sso ciat ion na tionale p ou r le progrès de l ’industrie  

l inière — fut créée le 8 mai 18 38 (44). D ès l ’ann ée suivante, en nov em br e, 

cette appe llat ion fait place à l ’A sso ciat ion na tion ale pour l a c o n s e r v a t i o n  

et le progrès d e l ’a n c i e n n e   indu strie linière. « Le C om ité directeur était 

présidé par Desmasières , député de Gand. Les quatre autres membres 

étaient: Eugène Desm et , député , B on né-M aes, sénateur et négo ciant en  

toi les; Rey Ainé et Staes-Vrancken, négociants en toi les. Le comité direc

teur était assisté d ’un C on sei l général de qu arante-hu it m em bres d o n t d e u x  

t i e r s é t a i e n t   des m archand s de toi les. Ils se tena ient en relat ions con stantes

(40) Des commissionnaires servent d’intermédiaires pour les approvisionner. Les « Cutzers » ou

« opkoopers » parcourent les campagnes et achètent les toiles sur le métier (voir Variez, o.c., pp. 61 et ss).

— Dans la vallée de la Vesdre, les façonnaires jouent un rôle similaire. Ils sont les intermédiaires entre le

paysan et le marchand de la ville (voir: Duchesne,  Histoire économique de la Belgique,  p. 47).

(41) Jacquemyns, o.c., pp. 61 et ss.(42) Id., p. 106.

(43) Id., pp. 106-107.(44) Parmi les souscripteurs des actions de la nouvelle association : le roi et la reine, la Société

générale, le duc d’Arenberg, le Prince de Ligne, etc...

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avec les f i leuses et les t isserands par l’interm édiaire des com ités ca nto na ux  

org an isés dan s to us les districts l iniers im po rtan ts » (45).

D ’une part, l ’A ssociat ion m ena une act ion p ou r le perfect ionnem ent  

du travail à la m ain (pour le perfect ionnem ent des rou ets par exem ple) , e t, 

d ’autre part , elle s’efforça d ’ob tenir des subv ention s des po uv oirs pu blics 

no tam m ent pou r procurer du l in à m eil leur com pte a ux f ileuses à la m ain. 

Un premier subside de 60.000 frs fut accordé en 1840 (46) . Ces subsides  

allèrent cro issant jusqu ’à atteindre le triple en 1 8 44 et 1 84 5. « M ais, par  

l ’effet de cette vie art if iciel le , communiquée au f i lage à la main par les  

ventes de f i ls opérées en dessous des cours, la situation des f i latures  

mécaniques, à peine const i tuées , partout encore précaire , devenait péri lleuse au point que le ministre de l ’Intérieur, par une singulière contradic

t ion, parlai t (27 janvier 1840) de leur donner aussi des subsides pour le  

pe rfec tion n em en t de l ’ou tillage » (47).

Aussi les tenants de l ’ancienne industrie crurent- i ls pouvoir chanter  

victoire. Le 20 jui l let 1941, Eug. De Smet écrivait dans le rapport du  

C om ité de direct ion de l ’A sso cia t ion : « La Belgique a m ainten an t la cert i

tude de maintenir son antique travail du l in. . . Certains ont recherché des  procédés nouveaux pour faire du f i l , sans suivre ceux que les f i leuses  

f lamandes emploient exclusivement avec tant d’art et d’ inte l l igence. On  

pensait les avoir trouvés à l ’aide de mécaniques, et on a cru que les  

cylindres et les broches, mus tous à la fois par un moteur unique, auraient  

pu remplacer les doigts et que la sal ive humaine aurait été faci lement  

imitée par u ne eau préparée a rt if iciellemen t! O n l’avait cru ainsi , parce que  

les inventeurs de mécaniques ignoraient les points essentiels du f i lage à la  

main et qu’i ls ne savaient pas que là force d’adhésion de la sal ive, qui en  

fait un e sor te de cim ent, était in im itable » (48).

Les « démonstrations » sur les qualités prétendument supérieures de  

la f i lature à la m ain on t atteint , à l ’ép oq ue, un nom bre et une variété  

inouïes . El les con st ituent une col lect ion impressionna nte de docum ents , de  

brochures, etc. (49).-

M ora lité, religion , ordre social, arguments capitalistes

O n s’imagine aisément que les capital istes com m erciaux f irent, dans  

leur campagne en faveur du maintien de l ’ancienne industrie, un large

(45) Jacquemyns, o.c., p. 108.(46) Variez, o.c., p. XL.

(47) Variez, o.c., p. XLI.

(48) Variez, o.c., p. XLI.

(49) Voir Jacquemyns, o.c., p. 116 et Variez, -pp. XXXVI-XXXVII, note (1).

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appel aux argum ents qui leur perm etta ient de dissim uler un com ba t d ’inté

rêt sou s d es deh ors de lutte pou r la m oral i té , la religion, l ’ordre social. 

Jacquemyns en a co l lect ionné une sér ie dont i l suff ira de c i ter quelques  

perles : (50)

...«La question est morale, car il n’est pas d’industrie manufacturière qui 

nécessite un travail plus constant, qui éloigne par conséquent davantage le danger  

et l’occa sion des m auvaises habitudes : il n’en est pas qui conserve plus précieuse

ment l’esprit de famille » (51).

...«il est utile de maintenir l’ancienne organisation du travail, parce que, 

indépendamment de ce qu’il économise à l’industrie certains frais généraux, l’ou

vrier de la campagne est plus m oral, plus religieux, plus économ e, plus réglé, parce 

qu ’en gagnant de plus petites journées il a moins de luxe et dépense par conséquent 

d’une manière plus utile le fruit de son travail » (52).

...« une partie de la population des campagnes qui vivait, sinon contente de  

son sort, du moins plus rangée, plus laborieuse, vient grossit les masses souvent  

corrompues qui ne savent que dépenser, et dont la position est assujettie à beau

coup plus de vicissitudes que celles des paysans [...] le grand nombre de personnes 

de sexe et d’âge différents, rémunérées dans les mêmes ateliers, exercent les uns sur  

les autres une influence pernicieuse en se communiquant mutuellement leurs pen

chants et leurs vices [...]. Enfin, beaucoup d’ouvriers forment dans plusieurs villes 

des m asses agglomérées de prolétaires ordinairement m écontents » (53)....« N o u s pouvons le dire que c’est un bonheur pour la Belgique d’avoir 

désormais la certitude de maintenir son antique travail du lin. La religion et la 

moralité d’un grande partie de la nation y trouvent une garantie contre la corrup

tion que les ateliers de fabrication traînent toujours à leur suite » (54).

(50) Voir Jacquemyns, o.c., pp. 111 et ss.

(51) Association nationale... Statuts, Discours, 9.(52)  Mémorial de l’Association,  déc. 1839, 302.

(53) Id., janvier 1840, n° 1, 14 à 16.

(54) Id., avril à.novembre 1841, n° 4 à 11; 104.

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Chapitre 2

Les ouvriers houilleurs

A l’époque qui nous occupe, c’es t -à-dire la première moit ié du XIXe 

s iècle, les travail leurs des m ines son t, depuis lon gtem ps, des ouvriers au 

statut semblable à celui des ouvriers des f i latures à la mécanique, évoquées  

ci-dessus.

N o u s avo ns sou l ign é que , dans l ’industrie l in ière se rencontrait un  

no m bre im po rtan t de travail leurs à dom icile (S5). C es travail leurs subissent  

deu x sujét ions . D ’une part , ce lle des m archands à qui i ls durent se soum et

tre par manque de capitaux pour se procurer la matière première mais  

auss i parce qu’eux seuls pouvaient p lacer les to i les sur les marchés é lo i

gnés. D ’autre part , cel le des p ropriétaires fonciers qu i « trouv aient, dans  

une populat ion dense de pet i ts locataires ou de fermiers retenus à la  

cam pagn e par l ’industrie loca le , une forte dem and e d’ im m eubles qui assu

rait des loy ers et d es fe rm age s rém unér ateurs » (56).

Les prem iers ouvriers houi l leurs o nt con nu orig inel lem ent une s i tua

tion o ù i ls sub irent, eu x aussi , la sujétion des propriétaires fonciers et cel le  

des marchands .

Le travail en « band e » des prem iers hou illeurs

So us l ’ancien régim e, l’au torisation d ’extraire la ho uil le ne prend p as  

la forme d’une concession octroyée par l’Etat . Les mines et minières ne  

seront en effet m ises à la disposit ion de la na tion q u ’à la suite de l’an ne xion

(55) Nous reviendrons plus loin sur ce type de travailleur.

(56) L. Dechesne,  Histoire économique et sociale de la Belgique,  1932, p. 390.

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du pays par la France en 17 94 , an nex ion qui le soum ettra à la lo i des 12 -28  

 juillet 1 7 9 1 . A van t cette date, c ’es t du « S eig n eu r» q u ’il fau t ob ten ir la  

con cess ion. A L iège — ainsi qu ’à Charleroi et environs qui en dépen dent  

— le pro priétaire du sol es t dit pro priétaire « jusq u’au centre de la terre ». 

Dans le Hainaut, le droit sur les richesses du sous-sol était celui du  

Seigneur Haut-Just ic ier . Dans le comté de Namur, c’étai t également le  

seigneur foncier.

La concession était octroyée à des groupes d’ouvriers constituant des  

associat ions de fai t prenant le nom de «bandes». Parfois , on trouvait  

com m e à M on s d eu x typ es d ’associés : « les m a î t r e s   proprement d i t s ou  

 p a r c h o n n i e r s , qu i po sséd aien t la co nc ession et sou tena ient l ’entreprise sans  

fournir de travail manuel, et les  p e t i t s m a î t r e s ,   subordonnés aux premiers 

et form ant la ban de t r a v a i l l a n t e . C eu x-ci, à leur tour, se faisaien t aider par  

des travailleurs salariés n’ayant aucune part dans les bénéfices et dans les  

pertes, les m e n i l s   o u  p e t i t s o u v r i e r s . Pour certaines catégories de travaux,  

ces derniers se réun issaient et contractaient avec leurs maîtres po ur un p rix 

f ixe o u p rop ortion né à l’avan cem ent (m archanda ge) » (57).

Ces maîtres de fosses étaient donc des entrepreneurs mais de condit ion extrêmement modeste , travai l lant souvent avec leurs compagnons .  

L’orga nisation était très rud imentaire et chacun assum ait selon les circon s

tances les diverses opérations appelées par l’extraction. Le charbon était  

généralemen t vendu sans intermédiaire m ais les rentrées ne po uv aient que  

faire vivre ch ichem ent les charbonn iers. « Pend ant long tem ps, l ’industrie  

houil lère écoulant avec une certaine diff iculté ses produits , i ls se voyaient  

obligés pour pourvoir à leur subsistance de recourir à d’autres ressources,  

d ’être en m êm e tem ps charbo nniers , agriculteurs, artisans, do m esti

ques » (58).

On retrouve ici le cumul d’une profession industriel le et d’une pro

fess ion agricole comme le s ignale l ’enquête de 1840 pour les ouvriers  

travail lant le l in dans les Flandres. Benoît Verhaegen a souligné le fait en  

montrant la double interprétat ion qui peut être donnée à ces cumuls  

pr ofession ne ls . « Le prem ier, existant d ans les Flandres, tém oign e d e la 

carence des revenus agricoles. L’activité industrielle est un appoint et est  

organ isée en ce sens ( .. .) . Le secon d type de cum ul est celui que l ’on trouve  

dans la province de Hainaut où l’essor de l’ industrial isation, provoquant  

des migrations par appel , coïncide avec un mode de vie rural et une  

dispersion des travailleurs dans les campagnes. L’activité agricole, exercée

(57) Gonzalès Decamps,  Mémoire historique sur l’origine et les développements de l’industrie houillère dans le bassin du couchant de Mons,  Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts

et des lettres du Hainaut, IVe Série, Tome 5e, 1879, p. 194. Ce qui est valable pour le couchant de Mons

l’est aussi pour Charleroi (voir: H. Hasquin, Le « pays de Charleroi » aux X VII9 et X VI II9 siècles,  p. 116).

(58) G. Decamps, o.c., p. 191.

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dan s de petites u nités, n ’est p lus, dès lors, qu ’une a ctivité d ’ap po int » (59). 

Par con séq ue nt, co nclu t-i l, « selon que les revenus pro ven an t de ses pre sta

tions industriel les suffisent ou non à faire vivre sa famil le , l ’exploitation  

agricole parcel laire signifie po ur l ’ouvrier un d ébut d ’aisance o u une stricte  

néce ssité. C ’est là que réside la d ifféren ce entre l ’agriculture parcellaire des  

pro vin ces de H ain au t et de L iège et celle des F land res » (60). C ’est un e  

interprétation qui peut être admise pour la période qui se s i tue vers la f in  

de la prem ière m oitié du X IX e siècle. A ce m om en t, l ’industrie s’est 

dév elopp ée d ans ces provinces w al lonn es et les Flandres on t freiné l ’indu s

tr ia l isat ion d u lin . M ais la s i tuat ion des ouvriers hou i lleurs au m om ent où  

l ’extract ion de la h oui l le est au stade écono m iqu e et technique q ui est ce lui  de l ’industrie linière vers 1 84 0 , es t la m êm e que ce l le d es ouvriers liniers à 

ce moment. Avant l ’ industrial isation, le cumul des activités industriel les et  

agricoles a , en W allon ie, la m êm e sign ification : atteind re un revenu su ffi

sant pour l ’ouvrier et sa famil le .

Exploités par les propriétaires fonciers

Les propriétaires fonciers n e con cèd en t pas le dro it d ’extraire le 

charbo n sans contrep artie , on s’en d oute. Lo ua nt déjà la surface du sol aux  

fermiers, l ’extraction des richesses du sous-sol va leur permettre de perce

voir un s eco nd loyer : les charb onn iers do ivent pa yer le c e n s   au pro priéta i

re. C ’est un dro it f ixe d’abord. « Le cens est la prem ière form e de revenu s  

pour droi t de charbonnage. C ’éta i t, s i no us c om pren ons bien, le pr ix d ’une  

s im ple loca t ion a insi que le m ot l ’indique, m ais une locat ion qui dou bla i t celle du fermier o ccu p an t la terre » (61). C ’est bien tôt un dr oit variab le : 

V e n t r e c e n s .   « L ’entrecens peu t être considéré com m e une revanche du 

propriétaire contre les avantages inattendus tirés de la location à des f ins  

industriel les; c ’est un e sorte de cens pro po rtionn el inspiré par la disp rop or

tion de plus en plus grande entre le droit du propriétaire et le profit de  

l’usufruitier » (62).

Le droit payé par le charbonnier au propriétaire ou droit de terrage  

prenait généralement la forme d’une partie du charbon a remettre à ce  

dernier. Ainsi , pou r n ’en citer q u ’un exem ple, en 1 3 7 2, « l ’abbé de St- 

Denis céda à t i tre de bai l à quelques particul iers les gisements de houil le  

sous divers biens du m onastère à Ho u de ng et à G œ gn ies , à charge pou r les 

concess ionnaires de remettre à la communauté la quatr ième mesure du

(59) Benoît Vcrhaegcn, Contribution à l'histoire économique des Flandres, 1961, volume I, p. 115.

(60) B. Verhacgen, o.c., p. 154.

(61) J. Plumet, Une société minière sous l ’ancien régime,  79.

(62) J. Plumet, o.c., p. 10.

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com bu stible extra it » (63). Les propriétaires ne se fon t pa s fau te d ’exp loiter  

les pauvres charbo nniers; parfois mêm e ceux -ci son t mis dans l ’im po ssibi

l i té de continuer l’extraction tel lement le contrat avec le propriétaire est  

léonin (64).

Les communautés re l ig ieuses , dont on sai t qu’el les const i tuent , avec  

les Seigneurs laïcs, la classe des grands propriétaires fonc iers, ne déton ne nt  

pas dans la façon d’ut i l i ser cet te propriété foncière pour exploi ter les  

charbonniers . Une requête de 16 43 , c i tée par Decam ps, b ien que ne s ’en  

prena nt pa s directem ent (prudence?) au chapitre de Sainte W audru , est 

signif icat ive. Elle est ad ressée au dit chapitre par des exp loitan ts de Qu are-  

gn on : « En ce qu i tou ch e l ’octroy des vaines , o n n ’esco ute que trop  sou ven t les gens co m m is au regard et à la recet te des droi ts dudit chapitre  

en ce quart ier , gens peu ydoines pour sais ir le travai l des carbonniers ,  

hab i les u niquem ent à soign er les intérêts de leur bourse . Pour prendre plus  

de proff it des vins et droits payés au renouvellement des censses, i ls  

m orc ellent sans raison les plus bel les veines en nom bre ux renda ges. . . » (6S).

On es t t enté de rapprocher ce morce l l ement des ve ines données en  

exp loi tat ion d u m orcel lem ent des terres cul t ivab les don nées en loc at ion en  

Flandres vers 1 8 4 0 . Ici, « les parcel les et les pet ites ferm es se lou an t plus 

cher à l ’hectare que les grandes et les moyennes exploi tat ions, i l est  

évident, écrit B. Verhaegen, qu’une gest ion rationnelle tend à subdiviser  

l ’ex p loitat io n d u so l jusq u’à l’extrêm e l im ite » (66). Ainsi vo it-on , une fo is 

encore, les houil leurs subir, deux siècles avant les l iniers, les mêmes  

contraintes d’exploi tat ion.

L'obstacle de l'eau les soumet aux marchands

Culture du l in et extraction de la houil le se heurtent à des obstacles  

naturels m ais à u ne éc helle très différente. P our la première, i l faut trava il

ler et amender la surface du sol , subir les aléas cl imatiques; la seconde  

de m an de de creuser la terre à une pr ofo nd eu r grandissante et de vaincre un 

ob stacle naturel autrem ent contraignant que le c l im at: l ’eau. S i mêm e on  adm et q u ’aux X V e et X V Ie s ièc le on trouve encore dans le pays des chantiers

(63) Jules Monnoyer,  Mémoire sur l’origine et le développement de l’industrie houillère dans le  Bassin du Centre, Mons, 1873, p. 31.

(64) «Le 11 janvier 1773, quatre mineurs du nom de Joseph et Jean-Baptiste Dugauquier,Jean-Joseph Brassau et Nicolas Louvet signèrent avec la douairière Van Brockem, née Odwycr, un bail de

30 ans sur le quartier nommé « le Canton », touchant au Bois de Luc, le droit d’entrecens était fixé au

onzième; mais les autres conditions étaient tellement tyranniques que les associés renoncèrent à leursengagements en janvier 1777 » (Exemple cité par Jules Plumet, Une société minière sous l’ancien régime, 1941, p. 6).

(65) G. Decamps, o.c., p. 265.(66) B. Verhaegen, o.c., t. I, p. 129.

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d’extraction à ciel ouvert , i ls ne peuvent être qu’exception car la quantité  

de travail im pr od u ctif que représente le dép lacem ent des « m orts-terrains » 

rend le système n on rentable . Da ns l e Couch ant de M on s , par exem ple , 

« po ur t irer b on p arti des v eines, les anciens ch arbo nn iers furent ob ligés de  

bonne heure de creuser la terre verticalement, d ’a v a l l e r   des  p u i t s , des  

 f o s s e s , ou, comme on le disai t souvent , des t u y a u x   o u a v a l e r e s s e s   » (67).

L’idée de creuser un puits est peut-être venue de la méthode uti l isée  

déjà po ur trouver de l’eau. C ’est ce que suggère un M ém oire d u 1 8e s iècle 

en écrivant : « Il y a dans le Ha inau t im périal beau cou p d ’end roits où les  

rochers ne so nt q u ’à 8, 10 ou 12 pied s de distance d e la surface de la terre. 

Un pa ysan , en faisant un puits p ou r son usage, y rencontre le rocher et, en  

m êm e tem ps, la tête d ’une veine de charbon . C harmé de cet te décou verte , i l 

s’associe avec cinq autres paysans pour la continuer. I ls exploitèrent cette  

veine à leur profit . Leur exe m ple fut bientôt suivi par bea uc ou p d ’autres 

qui f irent une extraction considérable du charbon de terre» (68) .

A u déb ut , ces puits sont peu pr ofon ds et rudimentaires; « un puits 

peu pro fond , qu elques galeries où les entrepreneurs descend aient travai ller  

eux-m êm es en s ’a idant des m oyens m écaniques les p lus s im ples, t els é ta ient  

les m ode stes é lém ents des prim itives c h a r b o n n i è r e s »   (69). M ais au fur et à 

m esure de l ’épu isem ent des veines se trouva nt près de la surface, i l faut 

ap profon dir les puits . Les pu its peu pro fond s se rencontrent jusqu’au X V e 

siècle; d ix à qu inze toises (70) m ax im um jusqu ’à la f in du X IV e s iècle 

estim e D escam ps. Ils deviennen t ensuite de plus en plus p rofond s . « A u  

commencement du XVIe s ièc le , on ment ionne des pui t s de 20 à 25 to i ses  

(35 à 42 mètres) ; soixante ou septante ans plus tard, on al la i t jusqu’à 50  toises (88 m ètres) sur les territoires de Bo ussu et de Frameries . V ers 1 6 90 ,  

la profondeur moyenne des puits étai t de 40 toises (70 mètres) , mais i l se  

rencontrait des exploi tat ions qui , par leur tuyau et les tourets qui y  

succédaient vers le fond, at te ignaient jusqu’à 80 à 95 toises (140-167  

mètres) » (71).

Plus on ap profon dit les pu its , p lus les problèm es techniques se p osen t  

et plus s’al longe le temps nécessaire avant que le travail soit productif de  

char bon . M ais aussi et surtout, on trou ve de l’eau q u ’il faut évacuer. « D ès  

le XIIIe s iècle , le gouvernement et les exploi tants eux-mêmes reconnurent  

l ’urgence et la nécessité de se débarrasser des eaux qui inondaient les  

travaux souterrains. Les cris de détresse des consommateurs f i t de cette

(67) G.  Dec amp s, o.c., p. 135.(68) Cité par G. Decamps, o.c., p. 137.

(69) J. Monnoyer, o.c., p. 35.

(70) Une toile correspondait à 1 m 75.(71) Ci. Decamps, o.c., p. 139.

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né cessité un e lo i su pr êm e » (72). L ’exh au re se fait selo n les p ossibilités. 

D ’ab ord , on p uise l ’eau a vec un récipient que l’on rem onte à la surface un 

peu com m e o n po urrait pu iser dans un puits creusé pour l ’al imen tat ion en  

eau . A insi , dans le ba ssin d e M on s, po ur « sakier et battre les eau x », on  

puisai t au fond de l ’avaleresse avec des tonneaux qui montaient et descen

daient « à l ’aide d’un tourniquet ou bourriquet à bras (escor à thours et à 

t innes) . Des ouvriers spéciaux, les tourteurs ou moul ineurs d’eaux, se  

ch arg eaien t de ce trava il » (73). Sou ve nt, à con d ition que le perm it la 

dén ivel lat ion du sol , c ’est une galerie creusée à partir du puits qui évac uait  

l ’eau au fur et à mesure qu’el le envahissait la fosse; appelée a r e i n e   dans le  

pays de Liège, on dénommait cet te galerie s e w e o u s a i w e   dans le pays de C harleroi , à M on s : e s c o r    ou c o n d u i t    (74).

Les deux procédés f inissent par coûter très cher. Surtout lorsque les  

puits s’approfondissent sérieusement vers le XVIe s iècle, le matériel d’ex-  

haure devient plus im portan t , il faut ut il iser des chevau x. D an s le cou cha nt  

de M on s , par exe m ple, se répanden t vers le m i lieu du XV Ie s iècle les g r a n d s  

t o u r s , b a r i t e l s , m a c h i n e s à m o l e t t e s . « Leu r form e o rdinaire est celle d’une 

sorte de treuil com po sé d ’un arbre avec tam bou r placé vert icalem ent sur 

lequel s ’enrou lait une cord e ou une ch aîne ram enée au dessus du pu its par 

un système variable de poul ies ( m o l e t t e s ) .   L’arbre était muni de longs  

leviers manœuvrés à bras et dans les fosses importantes par des chevaux  

aveugles » (75).

Creuser des galeries d’évacuat ion des eaux, instal ler des manèges , 

entretenir les che vau x, dem and ent des « invest issem ents » do nt sont bien 

incapables personnellement les pauvres charbonniers (76) . I ls vont devoir  

passer par les marchands de charbon et , par voie de conséquence, tomber  

sous leur coupe.

Vers le début du XVe siècle, dit Decamps (77) à propos du bassin du  

C ouch ant de M on s , « l ’industrie houi l lère com m ence à fixer l ’at tent ion par 

son dé velop pem ent toujours progress i f m algré tant d’obstacles; à côté de 

simples ouvriers , des personnes plus aisées s’ intéressent dans les charbon

nages, un contrat spécial règle les rapports de l’association s’ i ls n’ont pas  

été déterminés par l ’acte de concess ion. Les cap itaux com m e les débo uché s  

sont aussi plus faci les à trouver.

(72) De Crassier, Traité des arènes,  Liège, 1817, pp. 2, 3.

(73) G. Decamps, o.c., p. 142.

(74) Id. p. 143.(75) Id. p. 152.

(76) « ]La construction des arènes a exigé des capitaux qui, aux treizième, quatorzième et quinzièmesiècles n’étaient point à la disposition du commun des hommes. Aussi, dès en 1439 le tribunal des échevinsde Liège déclare que ceux qui avaient enlevé arène et avant bouté l’avaient fait à leurs très-grands coûts et

dépens » (De Crassier, Traité des Arènes,  Liège, 1827, p. 4).

(77) G. Decamps, o.c., pp. 191-193.

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« C ’est id le l ieu de dire quelques m ots d ’une d as se d ’agents qui eut 

auss i une inf luence co ns idérab le sur l ’exp loi tat ion d u co uc ha nt : les m ar

chands de charbon. D ès l e com m encem ent du X IVe s ièc le , on vo i t apparaî

tre certains trafiquants de houil le (marcans de carbon) qui contractaient  

avec les exp loi tants pou r la l ivraison d e certaines qua nt i tés de ce m inéral , à 

l ’année, au mois . Dans la plupart des cas , les charbonniers ne possédant  

que d es ressources très b ornées pou r asseoir ou sou tenir leur établ issem ent ,  

ces marchands se présentaient comme bai l leurs de fonds; i l s fournissaient  

aux associat ions charbonnières les capitaux nécessaires et s ’en faisaient  

rembourser l e montant en charbon.

« Peu à peu, les ma rchan ds intervinrent d’un e m anière plus a ctive  

dans l’exploitation. I ls se f irent octroyer la concession des veines par les  

seigneurs et les remirent à des compagnies de mineurs salariés ou établ is  

comme sous-concess ionnaires à charge d’une redevance f ixe en argent et  

d ’un dro it de préférence po ur ach eter les pr od uits de leur ex trac tion. . . ». Si 

m êm e, au X V Ie s iècle on en revint à certains en dro its à des init iat ives prises 

par de s imples charbonniers , le cens et l ’entrecens, les investissements  

nécessaires , les trava ux n écessaires avan t le travail rentable, ne pe rm ettaient pas aux charbonn iers de tenir le coup . « Force leur étai t don c, dan s  

tout état , de recourir à la bourse des marchands et d’accepter les condi

t ions o néreu ses auxq uel les il s ne m anq uaient jam ais de subo rdon ner leur  

in tervent ion . Chaque explo i tat ion é ta i t subs id iée par deux ou tro i s mar

chand s; se lon le cas , i ls form aient une assoc iation p articulière o u s’intéres

sa ient d irectement dans la bande formée pour explo i ter un charbonna

ge. » (78)

C e « cap italism e com m ercial » se remarque au ssi très bien dès le X V e 

s iècle dans les m ines du D uch é de Limb ourg où « les besoins gran dissants 

de l’ industrie, réclamant des capitaux, ont amené l’ intervention des « mar

cha nd s ca pita listes » (79). Ep ou san t la thèse de Strieder, Y an s affirm e qu e  

« les m ines Em bourgeoises n’on t pas d éterminé une a ccum ulat ion de cap i

taux. Les premiers ex ploi tan ts trouvent seulement la rém unérat ion de leur 

labeur dan s la m ise en valeur des richesses m inières . L’ép oq ue de splendeur  

des mines coïncide avec l’arrivée des marchands qui apportent l ’argent 

nécessaire à la « stand ard isation » des entreprises. C om m e les mines E m

bourgeoises , les exploi tat ions du Sud de la future Al lemagne ont connu  

éga lem ent cette intrusion des m archa nds. Elle se diss im ule sous l ’appo rt de 

« m ises de fon ds » (verlagssystem ). Un exp loitan t gêné s’adresse à des  

marchands qui lui fournissent les ressources pécuniaires nécessaires à la

(78) Decamps cite une série d’exemples d’intervention des marchands ou des « bourgeois » voirpages 215, 251, 289, 301, 327 — voir aussi Plumet pour le Bassin du Centre, pp. 97 et 98.

(79) Maurice Yans, Histoire économique du Duché de Limbourg sous la maison de Bourgogne, p.

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cont inuat ion des travaux; parfois ces marchands achètent des parts de 

copropriétaires. Devenus peu à peu les bail leurs de fonds des miniers, i ls  

dirigent effect ivement les entreprises de ceux-ci» (80) .

Les associés font travailler, les ouvriers travaillent

La d ist inc t ion entre a ssoc iés qui fo n t travailler et ouvriers qui trav ail

lent ne se fa i t évidemment que progressivement . Au début du XIXe s ièc le , 

par exem ple , « dan s les houi llères qui dépen daient du D om ain e et du  

Ch apitre de Sainte-W audru, les maîtres de fosses con t inuèren t com m e par 

le passé à s’occuper manuellement de l ’exploitat ion, à l ’égal de simples  

ouvriers; i ls recevaient seulement une gratif icat ion de deux ou trois pa-  

tards, en sus du salaire le plus élevé ». La situation ne se modif ia que tard  

dans le X IX e siècle. Par contre, « à W asm es, à D ou r, à B ou ssu, à Elou ges,  

les  p a r c h o n n i e r s   possédaient ordinairement d’autres ressources que leurs 

 p a r t s à f o s s e   et leur travail manuel. Ils ne s’occupaient que de la surveil

lance des travaux du fond, du contrôle de la quant i té de charbon extrai te  

et des journées des m e s n i e s , ouvriers recrutés aux alentours et qui travail

laien t so u s leurs ord res » (81).

C ’est ce qui a fa it écrire à V an H ou tte q ue la différen ciat ion entre 

associés et ouvriers ne commence à se marquer qu’à la f in du XVIIIe 

siècle (82).

Plumet a montré qu’en tout cas pour la société d’Houdeng, ceci se  

passa beaucoup plus tôt . L’appel lat ion de cet te société const i tuée le 14  

février 1 68 5 indique bien que le m ot i f po ur lequel e lle est const i tuée est la  

né cessité d ’invest ir po ur d rainer le terrain: « So ciété du gran d co nd uit et 

d u ch a rb o n n a g e d ’H o u d e n g » . J ean Fra n çois le Da n o i s , s eig n eu r d ’H o u

deng souscri t 4 parts du capital, deux nég ociants de Binche et deu x a vocats  

de M on s furent les autres bai lleurs de fond s, tand is que trois m ineurs 

ap po rtaient leur travail et leur con na issanc e des travau x (83). Le contrat de  

société st ipule n otam m en t: « . ..Et ont rem ontré qu ’il s se son t résolus de  

faire ouvrir un co nd uit po ur t irer les ea u x e t assécher les vein es à l ’ho uil le du terre in dudi t Houdeng e t l ’ entour pour par ce moyen en pouvoir  

extraire le charb on ; et qu ’aupa ravan t d ’y parvenir il con viend ra d ’exp oser  

indispensablement assez grosse somme d’argent pour subvenir aux jour

né es de s ou vrier s » e tc... (84). L ’h istoire de l’activ ité ind us trie lle d e la

(80) Id. p. 173.

(81) G. Decamps,  Mémoire...,  suite, 5e série, tome 1er, 1889, p. 194.(82) H. Van Houtte,  Histoire économique de la Belgique à la fin de l*ancien régime,  1920, p. 38,

(83) Plumet, o.c., p. 21.

(84) J. Monnoyer, o.c., p. 39, note 2.

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Société , de 17 65 à 18 00 , se résume à l ’h isto ire des deux co nd uits d ’assè

chement qui furent creusés (85). Déjà ce contrat de 1685 « trahit le dessein  

du Seigneur et des bail leurs de fonds de n’accorder aux ouvriers qu’une  

part réduite des droits et de l’autorité; sur sept actionnaires i l n’y a que  

deux ouvriers détenant deux voix sur dix , a lors que dans les contrats  

d’autres sociétés , même postérieures à 1685, leur nombre étai t notable

m ent plu s élevé. La con tribution d ’un m inimum d ’ouvriers maîtres était 

nécessaire , indispensable au recrutement des hommes de mét ier qui n’au

raient apporté leur concours qu’à des compétences méri tant leur conf ian

ce. Ils n’étaient là que pour leurs connaissances professionnelles, en quel

qu e s or te p o u r lan cer l ’affaire » (86).A C harleroi, la form ule qu ’on appel lerait m aintenan t « autog est ion » 

par les « com pa rçon niers » va se m âtiner prog ressivem ent à partir de la 

m oitié du X VIIIe siècle d’ingérence de représen tants des ba illeurs de fond s. 

Pour le m êm e m ot i f qu ’à M on s — appel aux investisseurs parce que les 

ouvriers exp loi tan ts n ’on t pas le m oyen d ’y fa ire face — ces invest isseurs 

vont exiger que leurs intérêts soient représentés et défendus sur place par  

des co m m is, ou des « facteurs » (87).

H asqu in rapporte le cas de Gui llaum e N ico las M oreau qui fa it aux  

comparçonniers du Grusiat , au Faubourg de Charleroi , un versement de  

52 8 f lorins dans le cadre d’un règlem ent notarié datant du 21 m ars 173 1 et 

où on pe u t lire entre au tres : « Prisme, q u ’il y aura à la direction et vo lon té  

du di t s ieur M orea u un com m is aux frais et gage de tous les com pa rçon

niers, que ce commis serat tenu de remettre son état tous les quinze jours  

des recens et débourses , et au bout de chaque mois , un compte exacte et  

escris de sa main, par feuillet , aussy et de la mannierre qu’il luy sera  

enseigné et m ontré par le d i t s ieur M oreau.

« Que ce commis payera du provenus tous les ouvriers et maîtres qui  

travail lerons comme ouvriers, sur le même pied que les ouvriers, employez  

par les m aîtres so n t pay és » (88).

A la soc ié té N otre D am e au Bois de Jumet , le 13 novem bre 1 74 5 , un  

directeur, M ichel L efèvre, est no m m é et , pour la secon de m oitié du XV IIIe 

s ièc le , Hasquin a dénombré 18 charbonnages carolorégiens où une « orga

nisat ion» est introduite de cet te façon de 1758 à 1793 (89) .

(85) J. Plumet, o.c., p. 71.(86) Id., pp. 127, 128.(87) Ce n’est pas uniquement dans l’industrie charbonnière qu’on rencontre ce type. Déjà au XVIIe

siècle, on le rencontre en métallurgie. « Cette fonction est nécessitée soit par la multiplicité des exploita

tions appartenant à un même propriétaire, soit par l’impéritie de celui-ci dans les questions techniques:c’est le cas notamment pour les femmes, les jurisconsultes, les ecclésiastiques » (J. Yemaux : La métallurgie liégeoise et son expansion au XVII • siècle,  Liège, 1939, p. 66).

(88) Hasquin, p. 120.(89) Voir la liste dressée par Hasquin, o.c., pp. 123 et ss.

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C ette « or ga nisa t ion » qui , en fait, m et les charb on na ges à la m erci 

du capital ne sera évidem m ent pas introduite sans susci ter de réact ions de 

la part de ce ux qui ef fectivem ent assu m ent le travail d ’extra ct ion d ’autant 

plus que c’est aux frais de tous que ces commis ou facteurs sont imposés .  

H asq uin c i te le cas de la So ciété « Sablonière et Ve inet te G enau x » à 

Charleroi où, en 1766, lorsqu’on introduit un facteur qui doi t être payé  

par tous , « deu x d es sociétaires s ’insurgen t contre cette idée car i ls est im ent  

«être très en état de régir et gouverner par eux-mêmes les intérest qui  

peu ven t leur incom ber da ns cet te société tant pou r la recet te que la dép en

ce, même pour la conduite et d irect ion des ouvrages puisqu’ i l s sont houi l

leurs de profess ion, ce pourquoy i l s n’ont besoin de facteur pour manger  leur argent », et i ls ajou ten t : « m ais si Es tienn e Bastin ( . ..) T h om as J oseph  

T ho m as (.. .) qui n ’on t aucune con na issance dan s les ouvra ges de hou i lle- 

ries, ont besoin d’une personne pour régir et gouverner leur intérest , bien  

leur convienne d’y placer une personne qu’ i l s trouveront convenir à leur  

fraix et dépens (...) » (90).

L’introduction des machines plus perfect ionnées pour assurer l ’ex-  

haure des eaux va accentuer encore la différenciat ion associés-ouvriers.  L’approfondissement des fosses les impose spécialement lorsque le  

conduit ne peut plus déboucher à un niveau inférieur. Dans le Borinage,  

leur instal lat ion fut en grande partie l ’effet des inondations de 1748 à  

17 50 . « D ’un autre côté , l ’e n t r e p r i s e d e s m a c h i n e s à v a p e u r    (91) e t d e s  

m i n e s   commença à ê tre cons idérée comme un p lacement avantageux des 

capitaux rassemblés pendant trente ans de paix et de prospéri té . Des  

som m es con sidérables son t nécessaires à ces invest issem ents . « Les capita

l istes, pou r se pay er de leurs avan ces, exigèren t , à l ’exe m ple d es off ices  

seigneuriaux, un tantième dans les produits de l ’extraction; cette redevan

ce , n o m m ée d r o i t d ’e x h a u r e ,   s’élevait quelque fois au onzième et était  

rarement inférieur au quatorzième denier de tout le charbon extrait . I l y  

avait dans cette opération f inancière une source de gros bénéfices qui fut  

évidem m ent e xp loi tée par quelques personn es r iches »(92).

L ’orj

XVI;anisation cap italiste des charb onn ages est en place dès le 

Ie siècle

Le pré lèvem ent opéré par les bail leurs de fonds sou s le n om de droit 

d’exh au re, po ur l’instal lat ion de ces m achines s’éleva p arfois jusq u’au

(90) Hasquin, o.c., p. 122.

(91) La première machine avait été installée à Jemeppe/Meuse en 1721.

(92) G. Decamps, Mémoire, suite, pp. 21, 22.

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quart du produit de l’extraction (93). Parfois ce sont les constructeurs qui 

pe rço ivent ce droit , parfois ce son t des m archan ds d e charb on (94), ou bien  

encore, la société étai t devenue assez puissante pour f inancer e l le-même  

l’opération (95) mais alors c’est qu’elle est entrée déjà dans la forme capita

l iste. Cette organisat ion capital iste est bien en place au XVIIIe siècle dans  

la Société d ’H ou de ng décrite par Plum et; à part ir de 1 72 4, l ’avocat de  

W esem al , fond é de pouv oir de le D an ois (M essire Joseph Franço i s le 

D aüo is , d it de N eufchaste l , v icom te e t se igneur d’H ou den g e t grand M a-  

reschal d’Haynan, etc . ) supplante peu à peu les descendants des maîtres  

qui représentaient l’assemblée sur les travaux (96). La vente du charbon  

sera sou m ise à la vérif icat ion d ’un contrô leur asserm enté tand is que la  direct ion d es travaux est con fiée à deux inspecteur s, « sorte de chefs 

ouv riers » (97). U ne h iérarchie est définie dan s le règlem en t de 1 7 7 9 : « 1° 

Le receveur a la direction générale et fait la recette, 2° Le contrôleur vérifie  

et survei l le son chef dans la vente du charbon* 3° Les deux directeurs des  

travaux s ’occu pen t de la b esogn e des ouvriers , 4° Par dessus tout , l ’A ssem

blée dom ine par l ’organe du bai ll i d ’H ou de ng qui fa i t passer les em ployés à  

son tribun al et leur fait rendre des com p tes » (98 99100).

Les « bandes » existent toujours. Les ouvriers du fond, par exemple,  

« étaient grou pés par b and es de six parmi lesqu els un ch ef était désigné : 

deux à la veine, deux sc lôneurs et deux t ireurs . La bande étai t donc la  

cel lule ou vrière du fond ; qu an d i l s’agissait d ’aug m enter ou de dim inuer la  

m ain d ’œ uvr e, c ’étai t par groupes de s ix q u ’on les em bau chait ou q u’on les  

ren voy ait » (" ) .

M ais ces « ban des » on t perdu le sens premier. Elles son t deven ues  des sortes d’équipes sur lesquelles règne le capital . Le règlement de la  

soc iété arrêté en 1 7 79 pr évo it le renvo i « po ur m o tif grave » : « L ors qu ’il 

s’agira du c h oix ou du ren voi de plusieurs ouvriers, le receveur ne pou rra le 

faire que de la participation de deux maîtres, résidant au l ieu, qui seront  

nom m és à cet ef fet par la soc iété , sauf que trouva nt un ouvrier en défaut de  

remplir ses devoirs en contravent ion aux règlements de la société , ou  

commettant des malversat ions, i l pourra les renvoyer sans consulter per

sonne, les maîtres restant néanmoins en entier d’examiner la cause s’ i ls en  

son t requ is » (10°). Il pr évo it aussi qu e le receveur veillera à un e pro d u ction  

diligente : « Il po rtera un soin p articulier à ce que les ou vriers rem plissent

(93) J. Monnoyer, o.c., pp. 69, 70.(94) Id., p. 74.

(95) Selon Hasquin, o.c., p. 144, c’est le cas pour la région de Charleroi.

(96) J. Plumet, o.c., p. 51.(97) Id., p. 52.

(98) Id., p. 53.

(99) Plumet, o.c., p. 57.(100) Article 17.

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f idèlement leurs journées ou les tâches leur prescrites, et que les ouvrages  

soien t cond uits et cont inué s avec di ligence et ass iduité au plus grand prof it 

de la Société, et à qu el effet, il les visitera de tem ps en tem ps, au m oins une  

fois par sem aine, et il fera rendre com p te par le directeur au m oin s deu x  

fois chaque semaine, des observations qu’il aura faites à cet égard (101).

Le receveur do i t prévo ir dans ch aque bande l es « ho m m es du p a

tron » : « p ou r s ’assurer d ’au tant plu s d e l ’ex ac titud e et de la fidélité des  

ouvriers, i l sera attentif dans la formation des bandes, qu’i l y en ait au  

m oins un ou deu x de conf ian ce et sur la prob ité desquels il croira pou vo ir  

co m p ter » (102).

La paie a l ieu to us les qu inze jours, la prem ière ne com po rtan t qu ’un 

aco m pte car c’est à la f in du m ois seu lem en t que le receveur rem et ses 

co m pte s. « Po ur faire ses « états », le receveu r app elait chez lui q ue lque s  

ouvriers, sans doute les chefs de bande, qui le renseignaient sur les heures  

faites par leurs h om m es » (103). A jou ton s enco re q ue les long ue s journées  

de travail son t déjà im po sé es : 12 heu res et peu t-être plus; « il arrivait assez  

fréquemment que sur 48 heures, i ls y restaient 24 heures d’aff i lée, lorsque  

la besogne pressait» (104).

Les ouvriers, domestiques des «autres»

Le règlement d e 17 79 n ’est cepen dan t que la traduct ion écrite d’une 

s i tuat ion préexistante . Depuis longtemps, i l s ne sont plus à la société  

d ’H o u d e n g q u e d es « d o m e s t iq u e s » . D è s 1 7 2 4 , le f on d é de p o u v o ir du  

Comte de Houdeng , l e Danois , l ’avocat de Wesemael prend chez lu i l e s 

l ivres de com pte et dans le procès qui l ’op po se a ux f il s des ma îtres de fosse , 

son argumentation repose sur l ’ idée qu’on avait fait appel aux ouvriers  

fondateurs p our travail ler « et en certaine façon, com m e d om est iqu es des 

autres» (105).

La ségrégation sera particulièrement visible lorsqu’on bénira la  

pompe à f eu à Houdeng . On s ’aperçut , en 1773 , que certa ines ve ines se  

trouvaient déjà sous le n iveau du second conduit . Les associés décidèrent ,  

le 19 avril 1 77 3, la construct ion d ’une po m p e à feu. Sa bén édict ion eut lieu  

le 23 m ai 1 7 8 0 (106). La soc iété s’int itula dor én av an t: « Soc iété du ch ar

(101) Article 18.

(102) Article 19.(103) J. Plumet, o.c., p. 61.(104) J. Plumet, o.c., p. 60.

(105) Plumet, o.c., pp. 128, 129.

(106) Id., pp. ,87 à 89.

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bon nag e et m achine à feu d ’H ou de n g» (107). A cet te bén édict ion étaient  

invités les abbés de Saint Denis , de Bonne Espérance et de Saint Feuil len. 

« I l y eut à cette occasion un grand diner chez le receveur, auquel assistè

rent M M . les A bb és précités , le curé, le vicaire de la paro isse, le doy en de la chrétienté de Binche, le sieur Hallet qui se trouvait au dit l ieu à cause de la  

bén édiction d ’une cloch e q u ’il avait faite le m êm e jour, tou s les principa ux  

maîtres avec leurs femmes et familles , et comme le nombre des petits  

m aîtres résidant au dit H ou de ng , était trop grand, on av oit réglé qu’il y en 

auroit seulement s ix du dixième de Pourbaix et autant de celui des Blan-  

quet, ceux-ci mangèrent dans une chambre séparée avec les receveur,  

contrôleur et directeur, le f i ls du machiniste étoit à leur table et on leur 

donna aussi du vin. On distribua aux ouvriers trois tonnes de bière, trois  

 jam bons et un salé de 2 0 pesan ts » (107).

C ette app ellat ion de « do m estique » se trouve déjà au X V e siècle dans  

les mines du Duché de Limbourg. A la mine d’Eselbach, lorsqu’en 1433,  

Herman Pael en reprend l’exploitation, i l dépossède les ouvriers extrac

teurs de leurs droits et ceux-ci sont «progressivement relégués vers le  

salariat, voire vers le prolétar iat » (108). Les dirigeants de B leasberch c o m

prennent les entrepreneurs, représentants du duc, et ceux qui jouissent  

d ’une part dan s l’entreprise m inière sans participer à la prod uction . Q ua nt  

aux ouvriers ( K n e c h t e n J, salariés, i ls n’ont pas droit aux bénéfices de  

l’en trepr ise. La m en tion d ’ou vrier s salariés app ara ît ici en 1 4 7 7 ... » (109).

De pat ientes recherches montreraient probablement que les caractè

res cap italistes son t déjà profo nd ém en t marqués da ns l ’industrie m inière  

du X VIIIe s iècle . Ph. M ou rea ux a brièvement évoq ué le cas du charb on

nage de R edem ont près de M ariem on t où, en mai 1 76 9, l ’ouvrier gagne 13 

à 20 livres, le receveur, 50 livres, le directeur 33 livres plus 40 livres pour  

sa p articip ation aux bé néfices, l’actionn aire enfin tou ch ait 2 7 7 livres (110111).

La nouvelle noblesse

Une fois les charbonniers relégués au seul rôle d’ouvriers salariés, les  So ciétés v o n t tenter de sec ou er le joug d es Seigneurs. « C ap italistes » et 

pro priétaires fon ciers v on t s’affron ter sur le terrain des d roits d ’entre

cens (m ). Là, les Seigneurs vo n t avoir à faire à plus forte partie. C ’est la

(107) Id., p. 90.

(108) Id., p. 126.(109) Id., p. 129.

(110) Philippe Moureaux, Charbon et capital dans le Hainaut du XVIIIe siècle, Mémoires etpublications de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, 78e volume, 1964, pp. 39 à 45.

(111) A Houdeng, en 1794, l’entrecens « rapportait au Seigneur 5410 livres, du seul fait de son

droit de propriété, alors que cette même année les dividendes distribués entre les associés et les maîtres

n’atteignaient globalement que 5.254 livres à répartir en 10 parts» (J. Plumet, o.c., p. 11).

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nouvelle bourgeoisie industriel le qui oppose à la puissance basée sur la  

propriété immobil ière, cel le , autrement dynamique, basée sur la propriété  

m obil ière . T ou t com m e les corp ora t ion s de l ’ancien régim e s ’épu isèrent en  

procès pour déterminer les front ières de leur compétence, les Seigneurs  

vont s’empêtrer dans les procès dont i l s at tendent la f ixat ion de leur  

compétence terri toriale dans le cadre des concessions charbonnières . I l 

faudra l ’occupat ion de notre pays et son annexion à la France révolut ion

naire po ur que, f inalem ent les Sociétés se vo ien t « dél ivrées » du jou g du  

Seigneur.

A Bois du Luc ( la société d’Houdeng), « en 1796, trois bénéficiaires  

de l’entrecens, les abbayes de Saint Denis, Saint Feuil l ien et Bonne Espérance furent sup prim ées : c ’était un gain d e plus de la m oitié de l ’im pô t  

seigneurial » (112). Il fut plus difficile de venir à bout des droits de certains 

Seigneurs laïcs et particulièrement lorsque ceux-ci étaient en même temps  

des act ionnaires de la Société.

Un jugement du tr ibunal de Jemappes en 1798, déclarant de Caron-  

delet déch u du d roit d ’entrecen s sur la Soc iété de La He stre (113), m od ifia 

la perspective et renforça la possibi l i té pour les sociétés de refouler « progressivement le droit seigneurial de l’entrecens qui les gênait» (114). L’oc

casion de la diminution fut , dès le début du XVIIe siècle, l ’argument du  

coût des grands travaux pour augmenter la product ion. On a vu qu’ i l 

subsista puisqu’après les « conduits », ce furent les « pompes à feu » pour  

l ’exhaure et bientôt les machines pour extraire le charbon. Ces dernières  

furent instal lées plus tard que les ma chines po ur pom per l ’eau, parce q u ’on  

n ’en se ntait pa s a uta nt la néc essité (115). Au ssi les m ach ines d ’extr action  

sont-e l les souvent contemporaines des premières sociétés anonymes de  

charbonnage (en 1844, sur 69 charbonnages dans le premier distr ict des  

mines, i l y avai t 44 sociétés anonymes) .

(112) J. Plumet, o.c., p. 124.(113) J. Plumet, o.c., p. 124.(114) Id.

(115) J. Monnoyer, o.c., p. 73. Le tableau ci-dessous montre le décallage pour les charbonnages duCentre :

Exhaure ExtractionLa Barette 1766   }

Bois du Luc 1779 1807Bascoup 1788 1835Sars Longchamps 1789   }

La Louvière 1800   }L’Olive 1803 1834Mariemont 1805 1837Bracquegnies 1806 1830La Hestre 1820 1836

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U ne fo is les grandes dép enses terminées , les assoc iés insistèrent po ur  

le retour à l ’ancien taux de l ’entrecens. Si bien que, gardant son caractère  

variable en fonc t ion de la pr od uc t ion , l ’entrecens ch ang ea de sens; le d roi t 

seigneur ial varia « en raison inverse de la pr od uc tion, c ’est-à-dire en raison  inverse de l ’accroissement de la puissance industriel le . Une fois le privi lège  

ab oli , c’est la so ciété qui do m ine; el le a gag né la batai l le , el le a le tem ps de  

laisser s’op érer, sans h eurt, la tra nsition entre les d eu x âges » (116).

Un év én em en t q u ’o n p eu t co n sid érer co m m e u n sy m b o l e d e ce ch a n

g em en t v a se p ro du ire à H o u d en g en 1 8 0 6 . « L e 2 9 o c t o b re 1 8 0 6 , la  

Société f i t l ’acquisit ion des biens de l ’ancienne Seigneurie d’Houdeng-  

Aimeries mise en vente forcée . Pour couvrir le coût de cet achat , environ  15 0 .0 00 f rancs, e lle l eva 15 0 .0 00 livres de H ainaut qu ’e lle com pta i t rem

bourser en s ix ans. El le céda im m édiatem ent à H enri de W avrin de V i llers , 

pour la somme de 14.000 l ivres tournois , le château, la ferme et ses  

dé pe nd an ces , ainsi que cinq bo nn iers de terres, jard ins, etc. » (117).

A insi , tand is que l ’industrie l inière des F landres reste f igée e t que to ut  

est fait pou r q u ’el le n ’évo lue pa s vers la m éca nisat ion , l ’industrie hou illère  

est, dès le X V IIIe siècle dans le régim e de cap italism e indu striel. Si celui-ci  s’est tôt installé, i l faut l’attribuer à la force des choses, mais aussi au fait  

que sou ven t « l ’esprit entrepren ant » du cap italism e industriel que B au-  

wens avait mis en œuvre dans l ’ industrie cotonnière en Flandre sans  

p ou vo ir l ’étendre à l ’industrie linière, cet esprit triom ph e p leinem ent dès le  

XVIIIe siècle dans la houillerie.

C harleroi en est un exe m ple typique. D e for m at ion tardive — à la  

m oit ié du X VIIe s ièc le , le futur Charleroi ne com pte encore q ue 88 chefs de 

fam ille (118) — cette vi l le a pu entrer de p lain pied da ns le cap italism e  

puisque le corporat isme n ’y fut jamais introduit. C ’est le cham p d ’act ion  

rêvé pour « ces hommes d’af faires géniaux et parfois peu scrupuleux qui 

transform ent de fond en c om ble la région de C har leroi » (119).

Le plus remarqu able paraî t b ien être Jean-Jacques D esan dro uin. S on  

père déjà , Gédéon Desandrouin, of f ic ier français qui avai t épousé la f i l le  

d ’un ma ître d e verrerie de C ha rleroi , avait tracé la vo ie par l’acq uisit ion de  

biens fonciers et de verreries . N ob lesse n ouv el le , il est m êm e fai t v icom te  

en 17 33 (120) — Jean -Jacques, h érit ier en 17 35 du t itre et de la plupart des  

biens paternels va successivem ent « s’intéresser » aux charb on nage s puis à  

la sidérurgie jusqu ’à construire ava nt la m oit ié du XV IIIe siècle, u n vér ita

ble empire industriel.

(116) J. Plumet, o.c., pp. 125-126.

(117) J. Plumet, o.c., p. 126.(118) Hervé Hasquin, Une mutation, le «pays de Charleroi» aux X V IIe et XV IIIe siècles, 

Bruxelles, 1971, p. 17.

(119) Id., p. 77.

(120) Hasquin, o.c., p. 81.

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« Si l ’on em bra sse d ’un co up d ’œ il l ’ense m ble des act ivités de Jean  

Jacques Desandrouin, i l appert qu’en construisant son formidable réseau  

industriel, i l en est arrivé à dépendre très peu de tiers; i l est à même  

d ’intervenir dan s les différentes étap es de la fabrication du fer ( fourn eau x  et forges) et de sa transfo rm ation (fond erie, m aka, plat inerie); ses n om

breux bois lu i permettent de trouver les étançons nécessaires à ses mines,  

de m êm e q u ’à fabriquer u ne partie du cha rbon d e bois ind ispensab le à ses 

fourneaux et à ses forges; quant à ses houil lères, el les lui assurent du  

com bu st ible n on seulem ent «pour ses verreries , mais égalem ent pou r ses 

usines sidérurgiques; ajoutons encore que, peu après 1739, l ’ industriel 

transform era sa m anu facture d ’armes en u sines de can nes à sou ffler le  verre, ce qui ne p o u va it que servir ses intérêts de m aître de verreries; en fin, 

i l n’hésitera pas à établir au faubourg de Charleroi une usine où l’on  

fabriquait tout un m atérie l , e t notam m ent des buses , indispensable au bon  

fonct ionnement de ses pompes à feu» (121) .

Le pet i t- fi ls de G édéo n, Jean-M arie Stanislas D esand rouin, ajoutera à 

l ’empire paternel le text i le et la tannerie et ses revenus annuels moyens de  

1767 à 1782 représentent env iron 80 %   du budget annuel de la vi l le de  

Charleroi (122).

D ans ce mi li eu cap i ta l is t e où dom ine les D esandrou in — m ais ou de  

nombreux autres se ta i l lent une part non négl igeable , te ls les Chapel ,  

Puissant , D or lod ot , M ore au , Dr ion, etc ., e tc . (123) — on retrouve, à côté de  

cette tendance à se const ituer un empire industriel , les caractérist iques des  

grands capitali stes d e tou s les tem ps :

— l’inf luence sur le po litiqu e po ur en o bten ir privi lèges et faveurs. « Il est ind iscutab le, écrit H asq uin , q u ’i l ex iste un e interpénétration étroite  

des m on des po l it ique et f inancier; en tout cas , en m aintes c irconstances , les 

relat ions de Desandrouin dans les sphères de la haute administrat ion  

fav or isère nt se s d ess ein s » (124).

— l ’écrasem ent du concurrent qui ne veu t pas se la isser absorber, te l 

le cas du curé de Dam prem y, M ou che t , copropr ié ta ire du m oul in de ce tte 

loca l ité qui f init par k céder parce qu e D esan dr ou in, propriétaire des  

écluses de C harleroi , s 'arrange po ur n oyer ce m ou l in qu ’on ne veut pas lu i 

céder (125)

— le caractère intern ational et apa tride de ce ca pital ism e. « C es  

Desandrouin, d i t Hasquin, éta ient d’ai l leurs sans nat ional i té . Possess ion-  

nés dans les Pays-Bas, dans la principauté de Liège et en France, i ls étaient

(12Î) Hasquin o.c., p. 88.(122) Id., p. 215.(123) On lira Hasquin pour le détail des activités de tous ces capitalistes.(124) Hasquin o.c., p. 91. — voir pp. 91 et s$. les preuves apportées par cet auteur.(125) Id., p. 93.

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namuroïs dans les Pays-Bas, l iégeois dans le principauté et Français en  

France; s’ i ls trouvaient quelque avantage à ce que tel le usine de la princi

pauté fonct ionnât plutôt que te l le autre des Pays-Bas, i l s n’hési ta ient pas  

un.seul instant et faisaient de la principauté le centre de leurs intérêts;  

qu’un renversement de conjoncture se produisît , et i ls délaissaient la prin

cipau té au pr ofit des Pay s-Bas ou de la France » (126).

— l ’ad aptat ion aux régim es po l it iques successi f s , servant sans verg o

gne dans une armée puis dans l ’autre . Ou encore, comme J.M. Stanis las  

Desandrouin qui « après avoir échappé de justesse à la Terreur, effectuera  

un p rom pt redressem ent sous l ’Em pire et après W aterloo , ce sera l ’acte  

d’allégeance à Guil laume 1er, ce qui lui vaudra de faire partie du Corps  

équ estre de la prov ince du H ain au t» ( 127).

(126) Hatquin, o.c., p. 95.(127) Id„ p. 95.

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Chapitre 3

Les ouvriers à domicile

Bien qu e les recensem ents , avant la f in du s iècle, ne com pten t pas à 

part les ouvriers à domicile, ceux-ci constituent une catégorie de travail

leurs extrêmement répandue. On en trouve dans de nombreux secteurs .  

N ou s nous b ornerons pourtant à montrer par quel mécanism e i ls font  

irruption dans le vie sociale, en nous référant aux travail leurs du l in dont  

nous avons parlé au 1er chapitre.

Le capitaliste marchand réduit Partisan au rang de salarié

Les t isserands indépendants vont, dans les années 40, subir le  

con tre-cou p du rem placem ent du f il à la m ain par le fil à la m écan ique. A u  

m om en t de l’enq uête de 1 8 40 , « ce son t toujours les cult ivateurs ou journ a

liers agricoles, indépendants, travaillant à leurs risques et périls, sur leur 

unique métier, effectuant, seuls ou en famille, toutes les opérations, depuis 

la production ou l’achat du l in jusqu’à la vente du produit , qui composent 

encore la classe la plus n om breu se des p roducteurs de toi les . C ’est, l ’an

cienne et tradit ionnelle organisation du travail qui prédomine. Peu à peu, 

ces t i sserands autonomes tombent sous la dépendance d’un marchand, 

d ’un fabr icant, d ’un pa tron , qui leur fourn it la m atière prem ière, qui dirige 

à sa guise le travail du tissage et qui se cha rge seul de la ven te du tissu. Sou s 

ces trois rapports , l ’ indépendance du t isserand est entamée profondément. 

Parfois, i l reste propriétaire de son métier, quand on l’emploie chez lui, à 

son propre domicile; mais quand il travaille dans l’atelier du patron, i l

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perd généralement la propriété du métier. Le t isserand devient un sala

rié» (128).

C ’est le travailleur à dom ici le , d ifférent de l ’art isan d on t il a perdu  

l ’indép end anc e par un do ub le jeu : celui , d ’une part du ca pital ism e ind us

triel qui a conquis le secteur de la fi lature et par celui du capitalisme  

commercial qui a conquis la maîtr ise du marché des t i ssus .

Le jeu du cap ital isme industriel d ’abord . « L ’org an isat ion fam iliale 

de l’ancienne industrie l inière avait reçu une profonde secousse à l ’avène

m ent de la f ilature m écan ique. Le travail si im po rtan t du f i lage éch app ait à 

la fam ille du t isserand . D ’autre part , la con currence d es grandes f i latures  

na issantes ren da it les achats de lin plus on éreu x. Le prix du l in m on tait , et 

an cienn em ent, il était d ’usage qu e le t isserand ne pay ât son l in q u ’après 

avoir vendu sa to ile . C es usages anciens d isparaissaient devan t ceux intro

duits par l ’ industrie nouvelle. Les ressources manquaient aussi aux t isse

rands pour acheter des f i ls faits à la mécanique; parfois, les t isserands-  

cult ivateurs qui continuaient à produire le l in trouvaient avantage à le  

vendre plutôt qu’à le f i ler et à le t isser. Cette difficulté pour les t isserands  

de se procu rer la m atière prem ière, les plaça fa talem ent sou s la dépen dan ce  

de commerçants et de marchands munis des capitaux nécessaires pour  

faire des a ch ats d ans de b on n es co n d ition s » (129*).

Ici, le cap italism e indu striel place le travail leur à do m ici le so us la 

coupe du capital i ste commerçant , mais la modif icat ion des condit ions  

m êm es du m arché forc e par ai l leurs le travailleur à suivre les direct ives que  

lu i donn e le marchan d. «Im ag inez, écrit D ub ois (13°), un corps de m usi

ciens, où chacun jouerait à sa guise, sans se soucier du voisin et de l ’effet  général . Quelle affreuse cacophonie! C’est l ’ image de l ’ancienne industrie  

de la toi le . C e qui lui m an qu ait , c’était un ch ef d ’orchestre, cap able de  

diriger tous ces efforts épars vers un but commun, de les unif ier, de les  

assoup lir. L ’org an isat ion n ou ve lle lui do nn e ce ch ef d ’orchestre, ce pa tron , 

ce manufacturier qui dorénavant prendra la tête de la fabrique col lect ive  

de la toile. C ’est lui qui achètera le lin et le f il et le c on fiera au tissera nd , qui  

le travaillera d ’après ses ind ication s. U ne fo is le t issu ach evé , le pa tron le 

reprendra, pou r le vendre à so n profit . La prop riété des m atières prem ières 

et la vente du produit échappent au t isserand, mais i l continuera à travail

ler che z lui et sur so n pr op re m étier. C ’est au patron à observ er l’éta t du  

marché et à diriger la fabrication en conséquence, selon les f luctuations et 

les exigences de la concurrence».

(129) Dubois,  L'industrie du tissage du lin dans les Flandres,  1900, pp. 65-66.

(129) Dubois, o.c., p. 67.(1.10) ld„ p. 70.

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L’ouvrier à dom icile est celui q ui « transpire » po ur un m ar

chand

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le l ieu de travail de l’ou

vrier à domicile n’est pas nécessairement sa propre habitation. La caracté

rist ique essen tielle ici est que — quel que so it le l ieu du travail — au p oin t  

de vue du statut , c ' e s t c o m m e s ' i l   trava illait chez lui . « C on trairem ent à  

l ’op inio n vulgaire, le l ieu o ù s’effectue le travail — la dem eure d e l ’ouv rier 

— ne con st itue pas l ’é lém ent essent ie l de la form e de pro du ct ion décentra

lisée » (131).

L ’en qu ête réa lisée à la fin du X IX e siècle en Belgique sur le trava il à 

domici le en a révélé de mult iples formes ef fectuées hors du domici le de  

l ’ouv rier. Pa rfois l’ou vrier à do m icile trav aille dan s le loca l d ’un autre 

ouvrier, parfois encore, c’est dans les locaux aménagés par un fabricant,  

dans ce ux d ’un interm édiaire , ou bien m êm e dans un atel ier pub l ic . M ais , 

dan s ces « ateliers », les ouvriers « travail lent co m m e des ouv riers à do m i

cile le feraient chez eu x, po ur le com pte de fab rican ts» (132).

La caractérist ique fondamentale du travail leur à domicile, c’est de  n’exécuter que la fonct ion technique, la fonct ion économique étant l ’apa

na ge du fabricant, du m arch and , de l ’« entrepo sitaire », do n t i l dépen d  

pou r ob tenir ma t ières premières et com m an des . « La nature cap ital is te de 

la direction de l’entreprise, la sub ord ination éco no m iqu e du pro du cteur, la 

dépossess ion du marché commercial réal isée au détriment des organes de  

p rod uc tion, la divis ion des tâches, l ’épar pil lem ent des ateliers appara issent  

dan s ce régim e avec u ne imp ortance au tremen t cons idérable que la fabrica

tio n d om iciliaire » (133).

Ce type d’organisation du travail prend plusieurs appellat ions au  

X IX e s iècle . Au C ongrès internat ional de législat ion du travail , en 18 97 , on  

l ’appel lera «travai l en chambre» , Gide la dénommera «manufacture à 

do m icile », Le Play l’avait b ap tisée « fabr ique co llective » (134). C ette der

nière appel lat ion sera reprise en 1900 par Dubois qui notera qu’une  

org an isation no uv elle du travail s’esqu isse vers 1 84 0; « el le se dé velop pe et 

se fortif ie dans la suite, pour aboutir aux deux formes industriel les qui se  

pa rtag en t au jou rd ’hui le tissage de la to ile : la fabrique co llective et le 

grand atelier m éca niq ue » (135).

(131) Schwiedland,  La répression du travail en chambre,  p. 6.

(132)  Recensement industriel de 1896,  vol. XVIII, p. 196.

(133) Julin,  Les industries à domicile en Belgique vis à vis de la concurrence étrangère, p. 7.

(134) « Système d’organisation de la grande industrie manufacturière, où le patron centralise lecommerce des produits que fabrique pour son compte une population ouvrière; la fabrication a lieu dans

les foyers domestiques des ouvriers, soit dans de petits ateliers multiples » (Le Play, Ouvriers des deux 

mondes,  tome V).(135) Dubois, o.c., p. 66.

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D an s tou s les cas, « Pen trepositaire du qu el dépen d cette pro du ction  

en cha m bre, ex erce les fon ction s d ’entrepreneur; i l répartit à la « fabriqu e  

col lect ive» les commandes, réunit par achat les produits fabriqués, 

fournit, so i t au façonnier , so i t au pet it patron tom bé sous sa dép endan ce, 

des m od èles , des m atières prem ières et souv ent des u stensi les et des ma chi

nes » (136).

Il arrive même que le travail leur à domici le exécute le travail en  

uti lisant les services d ’autres ouvriers. Ainsi , au C ongr ès intern ational de  

législat ion du travail de 1897, le rapporteur a classé les ouvriers de  

fabrique col lect ive en trois types:

« 1° Voici, en premier lieu, le type des petits patrons dépendants qui se  

distinguent du maître artisan de jadis en ce qu’ils écoulent leurs produits à des  

intermédiaires, marchands ou fabricants, sans entrer directement en rapport avec  

les consommateurs, et souvent même sans connaître les revendeurs détaillants. Ils 

vendent leurs produits à Pentrepositaire, ou les confectionnent sur commande 

contre un salaire déterminé. Souvent ils travaillent avec leurs propres outils sur des 

matières brutes que Pentrepositaire leur livre, mais il arrive aussi que les outils  

mêmes leur sont prêtés. Parfois, ils travaillant seuls, d’autres fois, ils ont des  

auxiliaires ou occupent même, de leur côté, des ouvriers en chambre.

« 2° Ces derniers, les façonniers, peuvent cependant aussi livrer directement 

à Pentrepositaire, et même la règle générale est qu’ils dépendent directement de lui. Sans avoir de lettre de maîtrise, ou payer de patente (au moins le plus souvent), ils  

travaillent à domicile, en chambre, et s’associent parfois des sous-locataires qui 

participent à leurs commandes ou exécutent leur travail indépendamment d’eux.  

Dans le nombre de ces façonniers se trouvent beaucoup de femmes qui effectuent quelque travail industriel à côté des travaux de leur ménage.

«3° Souvent on rencontre enfin un groupe d’ouvriers qui travaillent au  

domicile de quelques façonniers qui est en train de devenir sous-entrepreneur. C’est le type du Sweater proprement dit. Il fait exécuter par eux, chez lui, à meilleur  

marché, ses commandes pour lesquelles il reçoit souvent du magasin les matériaux  

préparés, les étoffes coupées, ajustées, etc... » (137).

On n'a même pas estimé nécessaire de les dénombrer

I l faut malheureusement at tendre 1896 avant qu’on établ isse un  recensement dans lequel les travai l leurs à domici le sont comptés séparé

m ent . « A va n t l ’explora t ion com plète qui fut fa ite lors du recensem ent  

général des industries et des mét iers au 31 octobre 1896, le domaine de  

l ’indu strie à d om ici le est po rté com m e « terra incog nita » sur la carte de la  

Belgique industriel le . Les enquêtes au cours desquelles on eut parfois à  

s’occ up er de la situation des travailleurs à do m ici le , com m e l’enq uête de la  

C om m ission l in ière de 1 8 4 3, ne fournissent que de s im ples évaluat ions. Le

(136) Schwiedland, o.c., p. 3.

(137) Id., o.c., p. 6.

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recensement de 1 8 4 6 , œu vre rem arquable pou r l ’époq ue à laque l le il fut  

op éré , laissa ces in du stries en de ho rs d es re cher ches » (138).

En 18 96 , on d énom bre 1 1 8 .7 47 «travail leurs à dom ic il e pour le  com pte des fabrican ts », chiffre au que l il faut vra isem blablem ent ajouter  

5 .39 2 « ouvriers occu pés en atelier chez les fabricants ou les interm édiai

res». Ce qui , en chif fres ronds nous donne près de 125.000 ouvriers à  

domici le . I l y en avait certainement beaucoup plus c inquante ans plus tôt  

pu isqu’une im portan te conce ntrat ion industrie l le m arque cet te période. B. 

V erhaegen a tenté d ’app rocher le nom bre d es travail leurs à dom ici le en  

comparant le recensement profess ionnel de 1846 et le recensement indus

trie l de la même année. Ce dernier , ayant exclu le comptage des ouvriers  

travai l lant à leur domici le , présente 229.627 travai l leurs de moins que le  

recensement des professions (139). En chiffres ronds, i l y aurait donc une  

dim inut ion d ’environ 1 0 0 .00 0 travail leurs à do m ici le durant cet te période  

de cinquante ans. N o u s croy ons cep end ant que cet te dim inut ion se s itue 

vers la f in de la période et c’est d’abord à un accroissement du nombre de  

travail leurs à domicile que l’on assiste entre l’enquête de 1840 et les  

dernières années avant la guerre de 1870.

Le recensem ent de 18 66 n ’a m alheureusemen t pas com pté séparé

m ent , lu i no n p lus , les travail leurs à dom icile . C ’est d ’autant plus do m

m age q u’il eut été intéressan t de co nn aître l ’év olu tion sur ces ving t ans; 

c’est impossible, puisqu’i l ne comporte pas de recensement industriel .

Un indice qui peut la isser supposer l ’augmentat ion du nombre de  

travail leurs à d om icile du rant cette pér iode est le recul de l’artisanat. O n  

peut certainement supposer que les art isans perdant leur indépendance  

po ur les raisons que no us avon s s ignalées plus haut , von t , pour la plupart , 

grossir le nombre des ouvriers à domicile. Ce recul apparaît dans les  

chiffres ci-dessous :

Artisans en 1846 et en 1866  

1846 1866

Anvers 43.051 (21,24) 19.064 (8,13)Brabant 58.643 (23,39) 46.886 (12,35)

Fl. occ. 101.998 (29,65) 71.767 (19,37)

Fl. or. 91.409 (19,44) 64.620 (15,12)

Ht-Lg 101.423 (21,27) 66.826 (9,85)

Pays 429.762 (21,91) 295 .829 (12,37)

Pendant cette même période, la petite industrie s’est considérable

ment développée, mais on ne peut savoir s i les ouvriers qui y sont occupés

(138) Julin, Les industries à domicile en Belgique vis à vis de la concurrence étrangère, o.c., p. 8.(139) B. Verhaegen, o.c., t. I, p. 182.

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(1 8 2.9 4 2 ) so n t des salariés en fabrique ou à dom icile . En effet , tou t com m e  

en 1 8 4 6 , les ouvriers recensés com prenn ent « les pers onn es qui travai llent 

hors de chez e l les , seules ou en ate l ier , payées par un patron, a insi que  

cel les qui travail lent à do m ici le po ur com p te d ’autrui et sur des m atières 

pre m ières ap pa rten an t à autru i » (140).

Une chose est frappante en tous cas , c’est que la diminut ion de  

l ’art isanat est plus faible dans les Flandres que dans les provinces où  

l ’ industrie se développe plus rapidement. Or l’ industrie l inière, quLretient  

notre at tent ion, se local ise surtout dans ces deux provinces . Le manque  

d’industrial isat ion permet à l ’art isanat de se maintenir. Encore faut- i l  

dist ingu er les secteurs. D an s la fi lature du lin, i l sem ble que la m éca nisa

t ion soi t ent ièrement réal isée vers 1860. L’exposé de la s i tuat ion du  

royaum e rap porte , en ef fet , que « la f ilature m écanique s’est com plètem ent  

su bstitu ée ap ro uet » (141). Par con tre le tissage d u lin n ’a pa s suivi le m êm e  

m ouv em ent . Le m êm e exp osé la isse entrevoir net tem ent que c’est le travai l

leur à do m ici le qui est deven u do m inan t : « . .. le t isseran d n ’est plus à la fois  

entrepr eneu r d ’industrie et ouvrier; i l reçoit le f il du fa brican t et lui rend la  

toi le q u ’il ne ven d plus guère au m archan d. C ’est entre les m ains de 

no m breu x entrepreneurs, don t plusieurs o nt dé velopp é leur industrie sur la 

plus vaste éche lle, que se trou ven t aujou rd’hui l ’ex plo itat ion et la direct ion  

de la fabrication toilière. Ils achètent leur fil , le l ivrent à l’ouvrier et lui  

prescrivent le nombre de f i ls qu’i l doit employer en chaîne et en tra

m e. .. ( 142).

C ’est une con statat ion sem blable qu ’on retrouve dans le R app ort de 

la première sect ion du Jury de l ’exposi t ion de l ’ industrie belge en 1847. 

Pa rlant de* la filature de lin à la m éca niq ue , le rapp ort d éclare q ue « no us  

po uv on s n ou s f latter d ’avoir en ce genre les établ issem ents les p lus c on si

dérables du C ont inent . O n ne s ’est pas con tenté d ’étendre la prod uct ion;  

on s’est éga lem en t appliqué à po ur vo ir à tou s les besoins » (143). Alors q u ’à 

l ’ expos i t ion de 1835 dont nous avons par lé p lus haut , on ne s ignala i t  

comme f i l à la mécanique que des «échant i l lons» , l e rapport de 1847  

déclare que « A ujou rd’hui , n os étab l issem ents son t à m êm e de sat isfa ire à 

tout ce que les exigences des différentes industries réclament. Ils font avec  

une ég ale perfect ion les fi ls po ur chaînes et po ur tram es pou r le t issage : ils 

op èren t aussi très bien le retordage po ur les f i ls à cou dre. Il y a six ans, les  

f i l s communs pour to i les à voi les manquaient encore; on devait les fa ire  

venir de l ’étranger [ .. .] . A ujo ur d ’hui, i l n’en est plus ainsi , et no us auro ns à 

constater que ce besoin est sat isfait d’une manière qui ne laisse rien à

(140)  Introduction au Recensement de la population de 1866,  p. XLI.

(141)  Exposé de la situation du Royaum e de 1851 à 1860 , Tome III, p. 141.

(142) Id.(143)  Rapports du Jury et documents de l’exposition de l ’industrie belge en 1847, Bruxelles, 1848, 

rapport de la première section du jury — article: lin filé à la mécanique, p. 41.

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que l’ industrie l inière se tranforme dans les Flandres, des mutations pro

fondes se produisent dans la main d’œuvre.

Les f i leuses à la main ne vont pas travail ler nécessairement à la  

filature mécanique, elles restent pour la plupart sans travail. Un certain  

nombre s’oriente vers la dentelle, mais malgré cela, le taux d’activité  

f éminine d iminue de 1846 à 1866 .

Une grande partie du personnel domestique (149) travail lant pour la  

bo urg eois ie des vi lles com m e Bruxel les et Anvers es t prob ablem ent fournie 

par les Flandres. « Il n’est pas douteux que les Flandres constituaient, déjà  

à cette époque, la réserve de domestiques et de servantes à laquelle les  

grandes vi l les du Royaume faisaient appel . Toutefois , ce phénomène ne  peut se traduire dans le recensement des professions, car les domestiques  

sont supposés faire partie du ménage de leur employeur et sont recensés à  

son d o m icil e » (15°).

Un autre phénomène caractér i se encore la mutat ion économique  

dan s les Fland res. U ne p artie des trava illeurs rejetés par la crise linière dan s 

le chômage et ne trouvant pas à s’employer dans une industrie qui ne se  

crée pas sur place, devront chercher ai l leurs leur subsistance. Les migrat ions al ternantes vo nt être leur lot pour de nom breuses années . N o u s y  

reviendrons (151).

(149) Au sens de service personnel.(150) B. Verhaegen, o.c., volume I, p. 97.

(151) Voir chapitre 7.

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Chapitre 4

Les journaliers et les domestiques

Ils con stitue nt la ca tégo rie la plus nom bre use (152). Leur n om bre  

dépasse celui du total des ouvriers du recensement industriel . On les  

rencontre dans tous les secteurs, aussi bien dans les mines que dans le l in.  

L’agriculture en compte un nombre impress ionnant , au point qu’on a  

souvent assimilé journalier et ouvrier agricole. « Or le journalier n’est rien  

d ’autre qu ’un ouvrier payé à la journée. Ce terme est em ployé couram m ent  

pour désigner les cloutiers et les houilleurs» (153).

La masse des journaliers , spécialement dans les Flandres, est une  

masse f lot tante , sans at taches avec un employeur. B. Verhaegen est ime  

m êm e q u’« on peu t supp oser que c ’est parm i les journal iers que se rangent  

la plupa rt des ch ôm eu rs interm ittents et des m en dian ts » (154). D ’après le 

tableau établi par Jacquemyns, ceci semble être particulièrement le cas  

pendant la crise économique des Flandres de 1845 à 1850: (155)

Professions ou métiers

exercéspar les indigents

1841 1843 1845 1846 1847 1848 1849 1850

Journaliers 12.677 16.329 26.827 36.879 35.330 45.300 46.857 42.747Tisserands 8.251 11.073 16.909 22.961 21.756 18.616 24.047 22.237Cultivateurs 896 1.329 2.597 4.324 3.433 3.183 4.719 4.303Fileuses 10.706 23.051 34.410 44.552 43.136 49.512 49.415 44.602

Dans le Hainaut les journaliers aussi bien industriels qu’agricoles  

atteignent les chiffres les plus élevés comparativement aux autres provin

(152) Voir le tableau page 14.

' (153) Hasquin, o.c., p. 292, note 175.(154) B. Verhaegen, o.c., vol. I, p. 94.

(155) Jacquemyns, o.c., p. 309.

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ces , avec un nom bre p art icul ièrem ent haut pour les prem iers . Ic i égalem ent  

i l s ’agit d ’ouv riers « pay és à la journée » sans atta ch es av ec un em plo ye ur  

et leur no m br e élevé est fon ction de la croissan ce indu striel le. « Le dév e

loppement de l ’ industrie provoque des migrat ions du secteur agricole ou  

artisanal sans pourtant offrir, pendant la période de démarrage, les condi

t ions favorables à la s tabi l i sat ion profess ionnel le . Des ef fect i fs nombreux  

sont occupés à des travaux temporaires , te l les des construct ions d’us ines  

ou de voies de communicat ion, ou de manière intermittente du fai t des  

à-co up s sa ison n iers ou con joncture ls de la pro du ction » (156).

Le journalier industrie l es t donc une sorte de n om ad e lou an t au jour  

le jour sa « force travail » à un patron cloutier, à un ch arbo nn age. H asq uin  

a cité certains textes d ’ép oq ue relatifs aux journaliers hou illeurs. Te l , 

celui-ci , datant de 1781 et dans lequel S.L. Puissant, parlant d’ouvriers  

ho uil leurs, dit « que ce son t com m e tous ce ux d es autres hou illères , des 

 journaliers qui qu itten t l ’ou vrage quand ils le trouven t con ven ir , et q u ’on  

congédie auss i quand on trouve à propos; on les paie par journées et  

au tant q u ’ils travaillent » (157). U n autre texte re latif à Jum et, en 17 71 : « la 

plupart sont tous journaliers occupés à la clouterie et aux houil lères et  do nt les premiers ne son t ordinairem ent payés de leur salaire que lorsqu ’il s 

font la livrance de tems en tems, le salaire des autres étant réglé à la  

quinza ine te l lem ent q u’il arrive sou ven t , et m êm e tou s les jours qu ’üs n ’on t  

pas d’argent p ou r ach eter des grains a ux jours des ma rché s » (158). Bien qu e  

ceu x qui font « la l ivrance de tem s en tem s» paraissent bien être des  

ouvriers à d om icile , on vo it bien cet te absence totale de sécurité de l ’em

plo i. C e qu i caractérise les jour na liers, c ’est « un e gran de insta bilité de  

travail (chômage saisonnier, conjoncturel*. . ) , une absence quasi totale de  

qu al i ficat ion a ins i q u ’une m ob i li té pr ofess ion nel le qui rend leur c lassem ent  

individuel d ans un secteur écon om iqu e d éf ini très dif fic ile . I ssus souv en t  

du secteur agricole, i ls offrent leur travail selon les saisons ou les circons

tances éco no m iqu es , tantô t dans le secteur indu strie l, tantô t dans le secteur  

agricole . Parfois i l s cumulent une pet i te exploi tat ion agricole avec un  

trava il sa larié inte rm ittent » (159160).

B. Verhaeg en croi t q u ’« on peut les cons idérer com m e con st ituan t le 

chaînon entre le phénomène du paupérisme, caractéris t ique au XVIIIe 

s iècle, et celui du chô m age d u X IX e s iècle. Leur apparit ion est liée au déb ut  

de la révolut ion démographique et industrie l le du XIXe s iècle . A mesure  

que s’est développé le processus d’industrial isation, i ls furent absorbés et  

stabilisés p ar l ’ex p an sion ind ustrielle, o u forcés d ’ém igrer » (16°).

(156) Verhaegen, o.c., vol. I, p. 94.(157) A.G.R., Fonds d’Arenberg n° 9127, dté par Hasquin, o.c., p. 292, note 175.

(158) A.G.R., C.F., n° 4750, dté id.

(159) B. Verhaegen, o.c., vol. II, p. 41.

(160) B. Verhaegen, o.c., vol. D, p. 41.

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Les journaliers agricoles ne semblent pas mieux lot is que les journa

liers industriels. A u dé bu t du siècle, T h om assin (161) parle des jou rnaliers 

agricoles com m e d ’une pépinière de m alfaiteurs. « O utre les différences qui 

dist ingu en t les W allon s des Flam and s, écrit-i l, i l faut enco re con sidérer les 

habitants de la Hesbaye partagés en deux classes très dissemblables par  

leurs m œ urs et leur caractère : la première se com po se des fermiers p ro

priétaires et locataires qui sont plus ou moins affables , hospital iers , tandis  

que le reste des hab itants ne v it que du travail de ses mains; cette classe très 

nom breuse, p uisq u’on ne com pte que deu x o u trois fermiers par vil lage, es t 

grossière et parfois brutale. Les fermiers tiennent ces ouvriers dans la  

dépendance à tel point que celui qui leur a déplu a souvent de la peine à  trouver de l ’em plo i et que, pour s’en procurer, il se trouve forcé de quitter 

le vi l lag e et m êm e le can ton. C ’est ainsi que, n ’ayant au cun e propriété, ne 

trouvan t p oint de travail , le naturel de ces m anœ uvres se dév elop pe insen

s iblement jusqu’aux préparat i fs et à la consommation du dél i t . Tel le es t  

alors, dan s sa s itua tion , la ha ine q u ’il po rte au x prop riétaires , jointe à une 

espèce de f ierté, qu’i l préfère la mort à une mendicité ois ive, et , dès lors , 

déshonorante à ses yeux; i l a ime mieux voler , sommer et chauffer que  

m e n d i e r » .

La « c lasse » des do m est iqu es com pren d les do m est iqu es agricoles 

d’une part et ceux qui sont attachés au service personnel des bourgeois ,  

d ’autre part. Leur nom bre « varie av ec l ’état de m isère plus ou m oins  

grande des populations » (162).

Plus encore que les journaliers , les domestiques agricoles sont dépen

dan ts de l’em ploy eur . C ’est ce q ue faisait remarquer T ho m assin :« La 

plupart des fermiers propriétaires sont riches, mais le reste de la popula

tion, n’ayant aucune industrie que cel le qu’el le peut exercer chez les  

fermiers, est à leur merci pour le prix des journées et croupit dans l’ indi

gence, dévorée de tous les vices qu’elle entraîne à sa suite » (163). En 1828,  

l e docteur Lebeau, dans sa topographie médica le du canton de Huy, f era  

un tab leau très app roc ha nt de celui de Th om assin : « En H esb ay e, dit-i l, —  

contra irem ent au C ond roz — dix ou dou ze fermiers possèden t toutes les 

propriétés d’une commune, tandis que le reste d’une nombreuse population est obligée de trouver sa subsistance soit en les servant, soit en se  

l ivran t à des trava ux étrangers à l ’agriculture. Sou ven t forcé de s’expatrier 

pour al ler chercher au loin le travail qui lui manque sur le sol natal , i l 

rapporte chque année dans sa famille, presqu’étrangère pour lui , les cou-

(161) Louis François Thomassin,  Mémoire statistique du département de l'O urthe,  Liège, pp. 219, 221,cité par Vliebergh et Ulens, o.c., p. 59.

(162) B. Verhaegen, o.c., vol. I, p. 97.(163) Louis François Thomassin, o.c., cité par E. Vliebergh et R. Ulens,  La population agricole de la 

 Hesbaye au X IX * siècle, Bruxelles, 1909, p. 108.

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tûmes et surtout les vices des peuples vois ins. L’hiver les laisse sans autre  

ressource que la m end icité; dès leurs prem ières an née s, ils en on t contracté  

l ’habitude, et cette plaie de la société suff irait pour dépraver l’ individu né  

avec les p lus heu reuses d ispo sition s » (164). Le con tra ste entre la situ ation  

du travail leur habitant en contrée à terre riche et cel le du travail leur  

instal lé sur une terre ingrate n’est pas propre à la région étudiée par  

Lebeau : H esbay e-Co nd roz. O n la retrouve, par exem ple, dan s le pays de  

W aes pou r lequel Thu ysbaert a soul igné la di fférence entre le « H oo glan d » 

et le « Po lder » : « Les grand es ferm es du Polder o n t un grand nom bre de  

domest iques et de servantes tandis que o p d e n H o o g e n ,   les serviteurs  

logea nt à la ferme so nt ex cep tion ». Les journaliers (id a g l o o n e r s ) , sont aussi 

plus nombreux i n d e n P o l d e r    que o p d e n H o o g e n  ; ces jou rnaliers tra va il

lent chez les fermiers du Polder à l’entreprise (werken in taak bij de  

boeren) (165).

(164) Docteur Lebeau, Topographie médicale du canton de Huy, Liège 1828, p. 86.

(165) Prosper Thuysbaert, Het land van Waes, bijdrage tô t de geschiedenis der landelijke bevolking in deXIXe eeuw, Courtrai, 1913, p. 221.

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L’ouvrier est un objet

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Le système économique que connaît notre pays au début du 

XIXe siècle, par son essence même ne peut considérer le travailleur que comme.un objet, une marchandise. Le salaire payé au travail

leur sous le capitalisme des petites entités est, en effet, un coûf. Il est 

la contrepartie du travail «acheté» par l’employeur. Aucune adé

quation ne s’établit entre la personne qui fournit le travail et son 

salaire. La «personnalisation» du salaire n’interviendra que beau

coup plus tard sous l’effet de l’action syndicale.

Les entreprises, à l’époque, sont de petite taille, aucune ne 

peut dominer le marché et y imposer son prix. Le pouvoir politique, 

imprégné de l’idéologie du libéralisme économique maintient un 

régime juridique qui permet à la concurrence de jouer librement sur 

le marché. Or, cette concurrence « est défavorable aux entrepreneurs mais elle l’est encore plus aux travailleurs, qui en supportent 

en définitive le poids. Elle conduit les producteurs à abaisser leur 

prix de vente, mais aussi à comprimer leur prix de revient : pour y 

parvenir, ils réduisent les salaires, ils embauchent des femmes et 

des enfants, ils augmentent la durée du travail, etc... »(166)

En fait, dans ce régime les travailleurs subissent une double 

concurrence. Celle qui vient d’être signalée et que se font les entreprises en en répercutant finalement les effets négatifs sur le dos de 

leurs travailleurs. Celle ensuite que les travailleurs se font entre eux. 

Ils se présentent seuls devant l’entrepreneur, aucune entente

(166) Lassègue:  La réforme de l'entreprise,  p 13.

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n’existe alors entre les travailleurs; elles sont d’ailleurs — nous le 

verrons plus loin— interdites à cette époque. « Un conflit les déchi

re, dont les postes de travail sont l’enjeu, et qui, aux époques de 

conjoncture funeste, s’exaspère et exerce une pression redoutable 

sur le taux des salaires » (167).

La concurrence, que l’idéologie libérale considère comme essentielle pour que le système économique soit efficace, ce sont les 

travailleurs qui en supportent tout le poids; « le prolétaire se pré

sente tout nu et désarmé dans la jungle économique. Il y trouve 

deux concurrences superposées : la concurrence des patrons entre 

eux, sur le marché des produits, concurrence qu’ils invoquent et souvent avec raison pour déclarer impossible sous peine de faillite, 

toute amélioration des salaires; et, en outre, la concurrence des 

ouvriers entre eux, sur le marché du travail, où ils se trouvent isolés, 

inorganisés, en face de patrons qui, selon l’expression d’Adam 

Smith constituent, chacun à soi seul, une coalition naturelle. La 

classe ouvrière, en fin de compte, fait les frais de toute la concurrence, sur laquelle repose le régime » (168).

L’ouvrier-objet n’est pas seulement un fait, c’est une théorie 

enseignée par les économistes de l’époque (169).

L'explication de l’écrasement des salaires par le jeu des 

concurrences est fournie par les adeptes du marginalisme. Pourêtre 

satisfaisante une telle explication devrait parallèlèment montrer s’il 

y a en fait exploitation de l’ouvrier par celui qui loue sa force de 

travail. Nous n’avons pas l’intention d’entrer ici dans la polémique 

qui a surgi à ce propos(170), mais il faut tout de même bien retenir 

que l’observation des faits nous montre qu’à l’époque une classe de 

la société « vit bien » tandis que fautre est dans la misère noire. Or il 

se fait que la misère est essentiellement le lot de ceux qui n’ont pour 

vivre que la vente— ou la location si l’on préfère— de leur force de 

travail. Les impératifs du «marché», les lois «inexorables» de la 

concurrence ne paraissent donc pas, dans les faits, éliminer une 

exploitation très réelle de la masse des salariés par ceux qui détiennent le pouvoir économique, généralement parce qu’ils sont pro

priétaires des moyens de production.

(167) Goetz-Briefs,  Le prolétariat industriel, p. 147.

(168) Jean Marchai: Cours d’économie politique, tome 1er, l re édition, p. 97.

(169) G. de Molinari par exemple, voir plus loin, dernière partie.

(170) Voir Pierre Maurice,  Les théories modernes de l’exploitation du travail,  1960.

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Chapitre 5

Une misère incommensurable

Il serait pro ba blem en t inexa ct d ’affirmer que la « rév olution indu s

triel le» qui , après s’être amorcée sous le régime français, marquera un  

premier essor quelqu es années après la révolut ion de 1 8 30 , est la cause de  

la misère extraordinaire qui étreint la classe des ouvriers pendant les  

cinquante premières années de notre indépendance. El le existe depuis  

long tem ps, à l ’état endém ique selon le m ot de W olo w sk i (171), à l ’état  

chro niqu e, selon celui de D uc pé tiaux (172).

M ais , norm alem ent , en augm entant la capac i té de p roduct ion , l ’in

dustrial isat ion aurait dû faire reculer la misère. Il ne paraît donc pas  exagéré de m ettre en a ccu sa t ion , le systèm e éco no m ique dans le cadre  

du qu el se réalise l’ind us trialisation : le premier cap italism e industriel. O n  

ne peut non plus s’empêcher de souligner que si le paupérisme (173) existe  

déjà avant l ’avènement du capital isme industriel , i l est alors contemporain  

du capital i sme commercial .

(171) Wolowski,  Etudes d'économie politique,  p. 9.(172) Ducpétiaux,  Mémoire sur le paupérisme,  p. 10.

(173) Eugène Buret, dans son ouvrage « De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en 

France »  (édition de Bruxelles, en 1843) appelle misère « le dénûment qui réclame le secours de la charité

publique ou privée. L’homme appartiendra, selon nous, à la misère, lorsqu’il ne sera plus en état de

supporter seul sa pauvreté et celle des siens, lorsqu'il devra succomber infailliblement sous le poids, si

personne ne vient à son secours». Les indigents  seront pour nous les sujets de la misère. Le terme paupérisme  [ . . . ] ne signifie pas plus en espèce que celui de misère; seulement, il est plus général. La misère

s’applique particulièrement aux individus, aux classes; elle fait toujours songer à des souffrances privées,tandis que le mot paupérisme embrasse tout l’ensemble des phénomènes de la pauvreté : ce mot anglais

signifiera donc pour nous la misère en tant que fléau social, la misère publique » (p. 463, col. 1).

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Le paupérisme au 18e siècle

Une des premières causes de cet te misère d’ancien régime est le  

chôm age d ont l ’é tendue es t révélée par des docum ents d’épo qu e analysés 

no tam m ent par Bon enfan t (174) qui s ignale qu e ce ch ôm age se concen tre  

sur deu x catégories d ’ouvriers : ceux qui a ppar t ienn ent au x indu stries en  

décadence e t « la grande m asse de ceux n ’ayant pas de form at ion profes

sionnelle » (175).

L’industrial isation, sous la forme de m a c h i n o f a c t u r e   ne s ’étant pas  

encore im po sée, l ’ouv rier sans qu al i ficat ion ne trouve pa s à s ’occu per car il 

n ’y a en core gu ère de m ach ines d o n t le « service » peut être assuré après 

quelques jours « d’apprentissage ». Cette carence, Bonenfant l ’attribue, en  

s’appuy ant sur L e w in sk i(176) et P ire n n e(177), au «m a nq ue d ’esprit d ’en

treprise des classes q ui d éten aien t alors la p lus gran de richesse du pa ys : la 

n ob lesse et le c ler gé » (178). Il en résulte p ou r les ou vriers u ne situa tion  

d’indigence général isée au point qu’on peut parler de paupérisme. Un  

dénom brem ent de la popu lation b ruxel lo i se en 175 5 m ontre que , parmi les 

indigen ts secouru s, on trouv e « des fem m es seules et des ouvriers dans la force de l ’âge dont la famil le parfois ne se compose que de deux person

nes » (179). Ce m êm e dén om bre m ent révèle q ue « faute de ressources é vi

demment , nombre de famil les ouvrières bruxel loises , comptant parfois  

 ju sq u ’à huit p erson n es, en son t réduites à viv re dans une seu le ch a m

bre » (18°). A A nv ers, selon D ériva i (181) qu e cite B on en fan t, « la dernière 

classe des citoyens vit ramassée dans certains quartiers de la vi l le où el le  

ha bite d es esp èce s d e cab an es » (182). C ’est enco re D érivai qui rapp orte  

qu’à Bruges, les neuf dixièmes des femmes et des f i l les travail lent la  

de ntelle et « se nou rrissen t de lait, de pa in bis et d ’un peu d e beurre; si elles 

mangent par hasard des pommes de terre, el les les font cuire dans du lait  

aigre avec un peu de sel » (183).

Sans qu ’on pu isse c i ter des s tat is tiques précises , de nom breu x tém oi

gnages montrent que le travail infanti le est très répandu. A Anvers, vers  

1770, des enfants travail lent dans les rubaneries dès 7 ou 8 ans, i l y en a 

dans le dévidage de la soie qui sont âgés de 6 ans, de 7 ans dans la

(174) Bonenfant,  Le problème du paupérisme en Belgique à la fin de l’ancien régime, Bruxelles,1934, pp. 33 et ss.

(175) Id., p. 35.

(176) Lewinski,  L ’évolution industrielle de la Belgique,  Bruxelles, 1911.(177) Pi renne,  Histoire de Belgique,  Tome V, 1920.(178) Bonenfant, o.c., p. 36.

(179) Id., p. 43.(180) Id., pp. 43, 44.

(181) Dérivai, Le voyageur dans les Pays Bas autrichiens,  Amsterdam, 6 vol., 1782.(182) Bonenfant, o.c., p. 44.

(183) Id., p. 49.

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prép aration de la soie et dan s la dentel le (184). D an s le pays d e W aes, le  

t issage o cc up e un grand n om bre d ’enfants de 7 à 8 ans (185).

Parlant des ouvriers agricoles , D érivai les d épeint « végé tant  dan s la m isère, logés d ans des caban es hum ides et m alsaines. . . I ls son t les 

de ux tiers de l’année san s travail et m an qu en t so u ve n t de nourriture » (186).

Les ouvriers ruraux à domicile sont les plus misérables . Dans le  

Lim bou rg, « le bas peup lé qui travaille à la f i lature des laines m ène u ne vie 

assez misérable; i l se nourrit de pain de seigle très noir, quoiqu’assez  

agréable au goût et de lait et de café qu’il boit trois fois par jour» (187). 

Selon les éch evins de la Keure de G an d, en 1 7 6 5 , « i ls vivent de pain bis , de 

p om m es d e terre, de lait battu, d ’un peu de lard les dim an ch es et de l’eau; 

vo ilà tou te leur subsistance. Il n ’y a p a s de gen s plus m isérables au  

m on d e » (188).

L’emprise du capital isme commercial sur ces travail leurs à domicile  

est s ignalée en 17 64 par W illem sen (189). Les m archan ds s’arrogent « u n  

despotisme qui ne leur convient pas, en f ixant le prix de la sueur de  

l ’ou vrier cha cun à sa gu ise, sans avo ir d ’autre tarif et sans suivre d ’autre  

direction q u ’un intérêt sordide et u ne a vide cup idité qui leur ferme les yeu x  

sur les lois divines et hu m aine s » (190). C ’est le S w eatin g System q ue n ou s  

avo ns év oq u é plus haut . Le truck-system é galem ent exis te au XV IIIe s iècle; 

citant le curé T h y s( 191) qui « con sidère le t isserand a gricole de son pa ys  

com m e le rebut de l ’hum ani té , Van H ou t te rapporte que ces « pauvres 

esclaves » on t deu x m aîtres : « le fermier qui les em plo ie pen da nt la sa ison  

et le petit indu striel p ou r lequ el ils travaillent pen da nt l’hiver. C elui-ci est  

le plus sou ven t un bou t iquier chez lequel il s doivent se fournir et payer p lus che r q ue le clien t o rd ina ire » (192).

Les travail leurs à dom icile sont qua lif iés d’esclaves. M ieu x, s i on  

retrouve des plaintes des marchands vis à vis des t isserands à domicile,  

« toute l’org an isation de cette indu strie rurale à do m icile, en tièrem ent  

dominée par le capital isme commercial , démontre l ’ inanité de parei l les  

plaintes , et la vérité est sans au cun do ute sou s la plu m e des grands ba ill is et 

hau ts échevins des Pays de W aes et de Term ond e, lorsq u’i ls écrivent , en

(184) Id., pp. 50, 51.

(185) Id., p. 52.(186) Id., p. 52.

(187) Id., p. 54.(188) Id., p. 55.(189) Willemsen, Contribution à l’histoire de l’industrie linière en Flandre.

(190) Bonenfant, o.c., p. 54.(191) Thijs,  Mem orie o f vertoog over het uytgeven en tô t culture brengen der vage en inculte 

gronden in de Meyerge van’s Hertogenbosch,  Malines, 1792.(192) H. Van Houtte,  Histoire économ ique de la Belgique à la fin de l’ancien régime,  p. 488.

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1 7 6 5 , qu e « les pau vres t isserands ne so n t guère m oins q u’esclaves des 

m ar ch an ds » (193).

Les corpo rat ions d e m ét iers dans les v il les , qui coex isten t toujours à  

cette ép oq ue , « ne so n t plus q ue l ’instrum ent de lutte de classes de pe t its 

pa tron s capital istes; el les contra ignen t « l ’ouvrier pauvre, m ais hom m e à 

ta le n s . . . de végéter tou te sa v ie dans le fondrde la bout ique d ’un m aître  

sou ven t igno rant , en lu i vendan t la sueur de son corps à quelques sols par 

 jo u r » (194). Les a sso c ia tio n s de résis tan ce ouvrière so n t in te rd ite s (195) et 

l ’analphabét isme est le lot de plus de 75 %   de la populat ion .

O n trouve au X VIIIe s ièc le une s ituat ion p arad oxa le que l ’enqu ête de 

18 4 0 révélera au siècle suiva nt: il est plus lucratif de m end ier que de  

travail ler. « Le plu s gran d n om bre des m end iants, rapp orte Ta inte- 

nier (196), o n t ch oisi ce m oy en de préférence co m m e étan t plu s lucratif , 

q u o iq u ’ils e us sen t pu trouv er leur sub sistan ce par le trava il » (197).

Bref, à l ’épo qu e m odern e le paup érism e est un m al end ém ique en  

Be lgique. D ès la f in du m oy en âge, « on vo it l ’industrie rurale à do m ici le se 

placer au premier rang des act ivités industriel les du pays et , de bonne  

heu re, elle revêt les caractères q u ’elle con serv e enc ore au XV IIIe siècle : subo rdinat ion au capitali sme com m ercial, bas salaires , travail des femm es 

et des enfants. D ès ce t te épo qu e, les corp orat ions urbaines se transform ent  

en syndicats patronaux et , dans la plupart des industries, l ’ouvrier ne  

trouve plus guère de pro tect ion ef ficace contre les exigence s d es em

ployeurs. Dès cette époque encore, l ’ inf luence du capital , s’exerçant sur  

l ’agriculture el le-même, provoque la formation d’un prolétariat agricole  

aux condit ions de v ie misérables . Dès cet te époque, l ’augmentat ion du  

num éraire entraîne cel le du coû t de la vie, tand is que la su rab ond ance d e la 

po pu lation pro voq ue n on seu lem ent le bon marché de la m ain d ’œ uvre , 

m ais a ussi le c hô m age , le v ag ab on da ge et l ’ém igration » (198).

Le paupérisme au 19e siècle

A la vei l le de la révolution de 1830, la situation ne s’est guère  am éliorée m algré le déb ut d ’indu strial isat ion du pays. Selon l ’E xp osé de la 

s ituat ion , en 18 28 , sur 3 .90 5 .23 5 habi tants dans les prov inces m ér id iona

(193) Bonenfant, o.c., p. 58, citant Willemsen, o.c.

(194) Id., o.c., p. 59. La citation est d’un mémoire adressé en 1778 au Prince de Starhemberg,ministre plénipotentiaire.

(195) Id., o.c., p. 61. Bonenfant s’appuie sur Dechesne (interdiction aux tondeurs d’Eupen en

1763) et Des Marez (interdiction aux chapeliers à Bruxelles en 1786).(196) F. J. Taintegnier, Traité sur la mendicité avec les projets de règlement propre à Vempêcher  

dans les villes et dans les villages, dédié à messieurs les officiers de Justice et de police.   1774.(197) Cité par Bonenfant, o.c., p. 67, note 2.

(198) Bonenfant, o.c., p. 73.

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les des Pays-Bas ( l ’actuelle Belgique) , on com ptait 56 4 .5 6 5 inscrits et 

secou rus, so it 14,5 indigen ts sur 10 0 ha bitants . « La s itua tion des classes 

populaires ne s ’es t donc pas amél iorée au même rythme que la croissance  

de l’ industrie. Le paupérisme, cette plaie de l’ancien régime, n’a pas cessé  de ro ng er la B elgiq ue » (199).

Cette s i tuat ion se maint ient pendant toute la première moit ié du  

X IX e s iècle . La com m iss ion spéciale po ur la réforme de la bienfaisance le 

con firm e d ans son rap port de 1 9 0 0 (200). Le no m br e de secou rus, selon la  

com m iss ion , a évo lué a ins i :

Les données recue i l l i es par Ducpét iaux amènent à la même conclu

sion puisqu’à partir de ses différents tableaux, i l établit qu’il y avait un  

habi tant secouru sur 6 ,93 en 1 82 8 , sur 7 en 1 83 9 , sur 6 ,2 0 en 1 84 6 . A la 

moitié du s iècle, le département de la Justice f i t établir une statist ique,  

portant sur les années 1848 à 1850 qui avait le grand avantage de dis t in

guer entre indigents secou rus to ute l ’année et indigen ts secouru s une partie  

de l’anné e seulem ent. O n verra, en con sultant le deu xièm e tableau (201) que  

la première catégorie osci l le autour de 400.000 unités . Pendant cet te  

période, le nombre d’ indigents es t monté à un pour 4 ,65 habitants .

Répétons- le , ce serai t une erreur de méconnaître , même pour la  

première moit ié du XIXe s iècle , l ’ impact des phénomènes c l imat iques ou  

pathologiques (comme la maladie de la pomme de terre) (202). Les années  

45 et suivantes vo nt at te indre un niveau part icul ièrem ent é levé d ’indigence

* Selon un rapport aux Etats généraux des Pays-Bas. C’est le même nombre que celui de l’Exposé; un

seul chiffre diffère; peut-être une faute d’impression.

* * Moyenne.

(199) Robert Demoulin, Guillaume  1er et la transformation économique des Provinces belges 

(1815-1830), 1938, Liège, p. 224.

(200)  Réforme de la bienfaisance en Belgique, Rapport de la Commission spéciale, Bruxelles,1900, p. 79.

(201) Nombre de secourus en 1848, 49 et 50, page 63.(202) Le tableau « phénomènes climatiques et pathologiques » essaie de montrer cette influence

(voir page 65).

1828 (*) 

1831 à 1834 ( **

5 6 3 . 5 6 5

6 7 1 . 1 2 8

5 8 7 . 0 9 5

7 0 0 . 1 4 1

9 4 1 . 3 2 6

9 0 1 . 7 8 1

8 6 3 . 0 9 8

1 8 3 9

1 8 4 6

1 8 4 8

1 8 4 9

1 8 5 0

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parce que, dan s les Flandres , aux ef fets catastrophiqu es de la déca den ce de  

l ’ industrie l in ière vont venir se superposer, non seulement la maladie du  

seigle et la faible réco l te de from ent , m ais auss i la m aladie de la po m m e de  

terre qui , sans ce f léau, aurait pu pall ier la disette de céréales . Depuis la  

m oit ié du X VIIIe s iècle , la p om m e d e terre étai t en ef fet entrée largem ent  

dans l ’al imentat ion.

C ’est un peu ava nt la m oit ié du XV IIIe s iècle seulem en t qu ’el le  

co m m en ce à se répa nd re d an s n otre p ay s. Si on en c ro it T or fs (203),* c’est à 

un Brugeois no m m é Verh ulst qu’on d oit la « réhab i li tat ion » de la po m m e  

de terre, considéré e a ntérieurem ent co m m e « nu isible et m alsaine ». « Ce  

digne c i toyen f it d istr ibuer au x cultivateurs de Flandre, un e grand e qu an

t ité de po m m es de terre, sous la prom esse form el le de les planter. C et 

engagement fut tenu et les fermiers ayant pu apprécier l ’uti l i té de ce  

tubercule pour l ’al imentat ion de l ’homme et du bétai l , s ’empressèrent à  

l ’envi d’en étendre la culture, s i bien qu’en 1740, on vit paraître les  

premières pommes de terre aux marchés des vi l les . . .

« C ette acq uisit ion d e la po m m e d e terre valait à el le seule tou t l ’or et 

l ’argent des mines du n ouv eau M on d e. Il a été pro uv é, en ef fet , q u ’un  

hectare planté de p om m es de terre rapportera plus de m atière nu trit ive que  

s’il avait été ensem en cé en fro m ent ou en seigle : la différence de pro du it est 

d ’un t iers sur le prem ier et de près de la m oit ié sur le seco nd , en faveur de la 

solanée américaine. Auss i , les prévent ions s ’évanouissant , on en apprécia  

bientôt la va leur com m e prod uct ion e t a limen t à bon m arché , e t , par un  

revirement assez ordinaire, on exalta ce tubercule autant qu’on l’avait  

d’abord dénigré. L’homme osa même déf ier la nature et les é léments , et , 

tou t f ier de sa no uv elle con qu ête, i l dit d ’un ton superbe : dé sorm ais , la  

fam ine est im po ss ible . » « Ce fol orguei l , d it po m peu sem ent To rfs , devait  

recevo ir plus d ’un ch âtim ent éclatant. »

C ’est en 18 45 que la ma ladie de la po m m e de terre fi t son app arition dans  

les env irons de C ourtrai . Elle al lait régner sur tou te l ’Eu rope avec plus o u  

m oins d ’intens i té (204). Au l ieu de 8 4 9 .3 0 9 .7 1 7 k i logra m m es, on ne récolta  

en Belgique que 110.350.900 kgs . En Flandre la perte fut la plus forte: 

9 2 ,4 % en Flandre occiden tale , 90 ,7% en Flandre orientale (205). L’année 

suivante fut encore plus désastreuse parce qu’à la suite des condit ions  

cl im atiques, le seigle fut atteint par la rou ille et on p erdit plus de la m oit ié  

de la récol te . En même temps, le rendement de toutes les autres céréales  

ba issa con sidér ab lem en t (206).

(203) Louis Torfs, Fastes des calamités publiques survenues dans les Pays Bas et particulièrement  

en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours , Bruxelles 1859, p. 208.

(204) Torfs, o.c., p. 228.

(205) G. Jacquemyns,  Histoire de la crise économique des Flandres  (1845-1850), p. 254.

(206) Pour plus de détails sur la crise agricole des Flandres, on se reportera notamment à l’ouvrage  

de Jacquemyns.

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1828 1839 1846

Provinces1 habitant

 

secouru surProvinces

1 habitant secouru sur

Provinces1 habitant 

secouru sur

Luxembourg 130,79 Luxembourg 61 Luxembourg 69,22

Anvers 14,67 Limbourg 14 Anvers 16,54

FL orient. 8,69 Anvers 10 Namur 8,96

Limbourg 7,75 Namur 9 Liège 7,89

Namur 7,70 Liège 9. Limbourg 7,62

Fl. occid. 6,68 Fl. orient. 7 Hainaut 6,05

Liège 6,17 Brabant 7 Fl. orient. 5,89

Hainaut 4,48 Hainaut 5 Brabant 4,85

Brabant 4,42 Fl. occid. 5 Fl. occid. 3,87

Le Pays 6,93 7 6,20

Nombre d’habi tants mis en rapport avec l e nombre de secourus

Source : Du cpétiaux , Mémoire sur le Paupérisme dans les Flandres, 18 50 , p. 17. Les 

données de 1828 sont établies d’après le Rapport aux Etats généraux des Pays-Bas 

déjà signalé, celles de 1839 d’après les exposés des Députations permanentes des 

Conseils provinciaux, et celles de 1846, d’après le Recensement général.

N o m b r e d e s e c o u r u s e n 1 8 4 8 , 4 9 e t 5 0

1848 1849 1850

Anvers 21.312 50.110 21 .422 51.473 17.068 45.858

Brabant 53.745 97.161 53.402 96 .856 52.351 95.048

Fl. occ. 143.460 61 .020 132.329 52 .854 130.788 49 .156

Fl. or. 100.840 127.158 93.286 118.457 85.664 107.023Hainaut 58 .202 80 .090 56.240 78.453 56.246 76.858

Liège 31.372 50.352 30.799 50.578 31.851 49.563

Limbourg 13.233 17.828 13.174 17.621 13.320 17.126

Luxemb. 1.133 3.024 988 3.200 944 3 .084

Namur 10.313 20.973 10.106 20.643 10.326 20.824

Pays 433.610 507 .716 411.746 490.135 398.558 464.540

l re colonn e : toute l’année — 2e colonn e : une partie de l ’année.

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Ce n’est donc point la révolution industriel le qu’i l faut accuser de la  

m isère dans les Flandres. C ’est , au contraire, à la sup erp osit ion de la crise 

agricole et à l ’ab senc e d ’év olu tion d e l’indu strie du lin — elle-m êm e dûe à 

l ’opposit ion des classes dirigeantes des Flandres à l ’ introduction de la 

m éc an isation — q u ’il faut attribuer la s ituation. D éjà très forte avant la 

m aladie de la po m m e de terre, l ’indigence v a s ’accentuer; ainsi , en Flandre 

occiden tale d ’un ind igent po ur 4 ,4 1 hab itants en 1 84 3, on passa à 1 pou r  

2 ,6 0 en 1 845 , 1 pour 2 ,82 en 1 846 , 1 pour 2 ,71 en 1847 , 1 pour 3 ,04 en  

18 48 , 1 pou r 3 ,31 en 18 49 e t 1 pour 3 ,6 6 en 185 0 .

O n a be au cou p discuté de la valeur des statist iqu es des indigen ts qui , 

presqu e toujours son t des statistiques des indigents s e c o u r u s  p ar la b ienfaisance of f ic ie l le . Jacquemyns a évoqué ce problème, disant notamment que

 

« de ce que dan s certaines com m un es i l ne se trouvait pas d ’indigents sur 

les l istes off icielles , i l faut co nclure seulem ent à l ’absence de ressourc es du  

bureau de bienfaisance; là, au contraire, où l ’on a vait de nom br eu x se

cours à dis tr ibuer, on comptait souvent un nombre exagéré de pauvres  

inscrits » (207).

C ette exag érat ion est évoq uée dans l ’E xpo sé de la s i tuat ion du 

R oyaum e (18 4 1-1 8 50 ) qui as sure que le rapport des secourus à la pop ula

t ion est p lutôt le résultat du systèm e de charité pub l iqu e en B elgique et des 

abus qui y so n t m alheu reu sem ent inhé rents que le reflet du degré réel de la 

m isère. « En effet , dit l ’E xp osé, en attacha nt à la q ualité d ’indige nt certains  

av an tages, tels qu e la dél ivrance gratuite de passe-po rts , de certif icats et de 

papiers divers, l ’adm iss ion aux bureau x d es consultat ion s gratuites d ’av o

cats , les secours m édicau x, et m êm e dans un grand nom bre de local ités 

l ’admiss ion gratuite des enfants dans les écoles communales , etc . , on 

enco ura ge à certains égards les inscriptions sur les registres des pauvr es. Il 

s’ensuit qu’un grand nombre d’ouvriers laborieux, qui gagnent un salaire  

suff isant pour satisfaire aux besoins ordinaires de l’existence, se voient  

con traints en quelqu e sorte de sol liciter l ’assistance des bure aux de b ienfai

sance et de se sou m ettre à la form al ité de l ’inscription pour éch app er aux  

emb arras d ’une gêne m om entan ée et remédier à certains accidents e x

tra or din aires » (208).

C ’est là une op inion qu ’on retrouve sous la plum e des con tem po

rains , a ins i par exemple chez Lebeau dans sa topographie du Canton de  

H u y (209), dans les rapports de la D ép uta t ion p erm anente du H ainau t en

(207) Jacquemyns o.c., p. 299.

(208) Exposé p. 262. Le même « Exposé » dit, cependant, p. 296 : « Le manque ou l’insuffisance 

des moyens d’occupation peut être considéré comme l’une des principales causes de la misère et du 

paupérisme ».(209) « Je n’hésite pas à ranger parmi les causes qui concourent à entretenir la misère de quelques- 

unes de oes communes, la distribution de secours à domicile. J’ai toujours remarqué qu’elle était en raison 

directe de la richesse du bureau de bienfaisance. Amay jouit d ’un revenu considérable, et ce village est 

certainement le plus misérable du canton... » (p. 75).

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Phénomènes c l imat iques e t patho log iques  

et pr ix du froment et du se ig le

Froment Seigle

1801 15,95 10,17

— 1802 22,07 16,04 gelées tardives.

1803 19,57 15,43

1804 16,28 10,33

1810 18,19 9,18

1811 20,52 12,08

— 1812 27,04 17,84 sécheresse — orages violents.

1813 21,16 12,82

1814 18,31 11,40

1815 21,85 14,70

— 1816 31,22 21,58 résultat des invasions de 1814-15

— 1817 35,41 24,70+ pluies et mauvaise récolte de pommes  

de terre.

1818 26,08 17,62

1819 18,67 12,76

1826 14,19 10,17

— 1827 17,13 12,04 maladie

— 1828 19,69 11,52 dite :

— 1829 23,21 12,89 « cousin » du froment.

1830 20,27 12,42

1844 17,75 10,55— 1845 20,22 13,79 maladie de la pomme de terre

— 1846 24,27 18,71 maladie du seigle (urède-rouille) et

— 1847 31,14 21,62 maigre récolte du froment.

1848 17,94 10,71

1849 17,43 9,59

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18 43 et 18 44 (210); e l le sera reprise dan s le Rap port de la C om m iss ion 

spéc iale sur la réform e d e la bien faisance en Be lgique (211). Bo ne nfa nt  

reprena it la. m êm e ex plica tion p ou r le X VIIIe s iècle déjà (212).

Ducpét iaux , lu i , s emble avoir évo lué dans son appréc iat ion . Dans 

son mémoire de 1844, i l avait déjà soulevé cet te quest ion de la s tat is t ique  

de l ’indigence et de sa f iabi l ité : « O n a prétend u qu e le no m bre d e perso n

nes secou rues par les burea ux de bienfaisance, da ns les dif férentes prov in

ces du royaume, es t généralement en rapport avec les ressources f inanciè

res de ces établissements .  L e j o u r n a l d e B r u x e l l e s ( d u   28 jui l let 1843)  

dém ontre que cet te as sert ion es t erronée e t ne repose sur aucun fondem ent  

sol id e » (213). L ’article du journal a uq uel se réfère D u cp étia u x fon da it son 

argumentat ion sur l ’absence de corrélat ion entre le nombre d’ indigents et  

le revenu de s bu reau x de bien faisance (214).

D an s son m ém oire de 1 85 0 , D ucp ét iau x semble avoir ra llié l ’op in ion  

cou ran te : « les l istes dressées p ar les bu reau x de bien faisanc e, écrit- il , 

indiquent bien plus souvent les ressources dont disposent ces établ isse

m ents que le caractère et l ’étend ue de la m isère qu ’il con vien dr ait de 

sou lager » (215). Par co ntre, i l dén on ce un e certaine ind igence cac hée , n on  

révélée par les statist ique s parce q ue les règles d ’inscription s on t loin d ’être 

uniform es; « les usag es varient à cet égard d an s chaqu e loc alité, de telle 

sorte que l ’ individu porté comme indigent dans te l le commune ne l ’es t pas  

dans te l le autre, quoique placé cependant dans des c irconstances absolu

ment ident iques . Ains i , par exemple , dans l e Luxembourg , l ’ ex i s tence de  

terrains com m un au x do nt la jouissance es t assurée à tous les hab itants , es t, 

pour un grand nombre de ceux-ci , un véri table secours qui équivaut aux  

aum ônes d istr ibué es ai lleurs par les bureau x de bienfaisance. D e là, sans 

do ute , en grand e partie, le nom bre restreint d ’indigen ts inscrits dans cette  

province » (216).

Les deux tableaux que nous reproduisons pages 6 7 e t 69 don nent , le 

premier l’état de l’ indigence en Flandre occidentale en 1845, l ’autre la

(210) « Si, comme nous l’avons fait remarquer dans l’exposé de l’année dernière, la statistique 

officielle des personnes secourues dans une commune, prouve la richesse plus ou moins grande du bureau de bienfaisance, plutôt que le degré d’indigence de la population, il n’en reste pas moins vrai que la misère, 

surtout dans certaines parties du pays, s’accroît d’année en année» (Session 1844, p. 117).

(211) Bruxelles 1900, p. 90.

(212) « N ’oublions pas, en effet, que le plus ou moins grand nombre des indigents secourus d’une 

commune peut dépendre dans une large mesure des ressources dont disposent les institutions de secours » 

(o.c., p. 25).

(213) Ducpétiaux,  Le paupérisme en Belgique,  pp. 8, 9.

(214) On trouvait en effet un indigent pour les revenus qui suivent: Ville de Virton: 417 f.; 

Arrondissement de Virton: 8 f.;Ville de Bastogne: 70 f.; Ville de Marche: 9 f.; Arrondissement de  

Neufchateau: 20 f.; Ville de Neufchateau: 9 f.; Ville de Malines: 21 f.; Ville de Lierre : 15 f.; Ville de 

Turnhout : 13 f.; Arrondissement d’Anvers : 52 f.; Arrondissement de Turnhout : 31 f.; Ville de Verviers : 

13 f.; Ville de Huy: 2 f.; Ville de Liège: 9 f.; Arrondissement de Verviers: 12 f.; Arrondissement de 

Waremme: 6f.

(215) Ducpétiaux,  Le paupérisme dans les Flandres,  p. 276.

(216) Id., p. 18.

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L’indigence en   F landre occ identa le en 1845

Indigents   Population 1 indigent pour

vaies

Bruges   21 .789 46 .813   2,14

Courtrai   11.000   19.864   1,85 C)Dixm ude 1.750   3.681 2 ,10

Fûmes 1.776   4 .780   2,68

Iseghem 3 .300 8 .847 2 ,67

Menin   3 .000 8.208 2,73

Nieuport   (compris dans l’arrondissement de Fûmes)

Ostende   3.250   14.110 4 ,34

Poperinghe   5.000   10.540   2,10

Roulers   3.766   10.392 2 ,57 (2)Thielt   2.901   12.394   - 4 ,27

Thourout 3.820 8.530   2,23

Warneton   1.224 5.938 4,85

Wervicq   1.455   5 .747   3,95

Ypres   6.239 16.593 2,65

TOTAL   71.460   176.437   2,47

Arrondissements

Bruges   10.666   63.118 5,91Courtrai   38.572   120.308   3,11

Dixmude   16.033 44 .765   2,78

Fûmes 5 .870 26.851 4 ,57

Ostende   7.187   30.160   4,19

Roulers 25 .188   69.539   2,76

Thielt 20.589   61.415   2,90

Ypres 18.686   65.802 3,52

TOTAL   142.791 481.958 3,36

Total Province   214.251   658.395 2 ,60 (3)

(1) En réalité : 1,81.

(2) En réalité : 2,75.

(3) En réalité : 3,07.

(Source: Jacquemyns, o.c., page 303.)

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s ituat ion dans le H ainau t . G lobalem ent , le niveau d ’indigence es t plus  

élevé en Flandre occidentale (1  indigent sur 3,07 habitants) que dans le  

Hainaut (1 indigent sur 5 habitants). Si l’ interprétation qui fait dériver le  

taux d’indigence du niveau de richesse des caisses de bienfaisance était 

appliquée sans nuance, on arriverait à une s ituation inverse pour ces 

prov inces , puisque la première es t en grande di ff iculté éco no m ique tandis 

que la secon de e st en vo ie d ’industrial isation.

Chose curieuse, c’est pourtant bien à l’argument classique qu’a re

cours la Dép ut a t ion perm anente du Ha inaut dans son rapport : « . . . à 

G osse li es, pour une po pu lation de 4 .76 6 âmes , la b ienfa i sance publ ique ne 

dispose que de 1911 francs par an, ou de 40 cent imes par tête: auss i le 

nombre de personnes secourues n’est - i l que de 1 sur 56. A Tournay, pour 

une pop ulat ion d e 24 .9 8 4 âm es, les m aîtres des pauvres ont à leur dispos i

t ion 1 0 5 .2 1 0 francs par an ou 4 francs 24 centim es par tête : i l n ’est pas  

étonnant que le nombre des personnes secoürues soi t de 1  sur 2  » (217).

La députat ion permanente maint ient l ’argument à travers ses rap

ports successifs . En 1 8 4 3 , c ’est le p oin t de vue qu ’el le défend. En 1 8 4 4 , elle 

y revient : « la statist iqu e off iciel le des p erson nes secou rue s da ns une 

commune, prouve la r ichesse plus ou moins grande du bureau de bienfai

sance, p lutôt que le degré d ’indigenc e de la po pu lation » (218). M êm e  

op in ion en 18 46 : « . . . on ne peut, en aucune manière , juger de l ’é tat du 

paup érism e dans no tre province, par la som m e des secours que les bureaux  

de b ienfaisa nce distrib ue nt a ux ind igen ts » (219220) . En 1845, en publ iant les  

s tat is t iques auxquel les nous venons de faire al lus ion, la députat ion avait 

qu alifié les statist iques b elges du pau pérism e « com plètem en t fausses » et 

est im ait « q u ’au l ieu d ’inférer des chiffres posés que le H ain au t r e n f e r m e  

r e l a t i v e m e n t p l u s d e f a m i l l e s n é c e s s i t e u s e s q u e l e s a u t r e s p r o v i n c e s , on  

aurait dû en conclure uniquement que les bureaux de bienfaisance du  

Hainaut sont généralement mieux dotés et peuvent donner à la dis tr ibu

tion de leurs secours plus d’extension que les bureaux de bienfaisance des  

au tres pa rties du p ay s » (22°).

En vérité, sans m ésestime r totalem en t l ’imp act du niveau d es revenus 

des bureaux de bienfaisance sur le taux d’indigence, ne se trouve-t-on pas 

en présence d’une bourgeois ie qui s’efforce de minimiser les révélations  

statist iques parce qu’el les sont déplaisantes pour ceux qui détiennent le  

pouv oir? O n p ourrait mêm e se dem and er s ’il n’y a pas là une préf igurat ion  

de la cam pagn e con tre les « abus » du ch ôm age q u ’on conn aîtra durant  

l’entre deux guerres.

(217 ) Rapport de la Députation perm anente  du Hainaut, 1845, p. 131.(218) Rapport de 1844, p. 117.

(219) Rapport de 1846, p. 185.

(220) Rapport de 1845, pp. 126-127 . Cette conclusion n’est pas celle qu’on peut tirer des tableaux 

que nous donnons.

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L’indigence dans le Hainaut en 1845

Soit

Arrondissements   Indigents   Population un secouru 

pour:— habitants

Recettesordinaires

Ath 20 .604 85.435   4   89.686,56

Charleroi   9.648   98.933   10   87.419,66

Mons   17.922   122.216 6   150.725,11

Soignies   15.160   70.598   4   9 3 .879,65

Thuin 9.495   66 .742 7   89.103,45

Tournai   18.770   101.884   5   115.099,78

Total Communes 91 .599   545.808   6   625.914,21

Villes

Ath   3.400   8.315 2   11.927,29

Chièvres   815   3.125   4   1.158,24

Charleroy   691   5.881 9   5.071,46

Châtelet   857   3.009   4   5.158,32

Fontaine l’Evêque   550   3.053   6   2 .264 ,97

Gosselies 131   4.766 36   1.911,34

Mons   7.094   21.241   3   115.432,75

St-Ghislain 159   2.008   13   4.594,35

Braine-le-Comte   1.310   4.588   3   5.479,62

Enghien   1.295   3.746   3   11.876,32

Lessines   1.160   4.975 4 5.463 ,15

Rœulx   746   2.758   4   6.292,03

Soignies   1.990   6.723 3   8.880,05

Beaumont   653   2.130   3   11.018,13

Binche   1.625   5.306 3   19.126,56

Chimay   377   3.102   8   7.383,94

Thuin   1.304   4.213 3   3.862,82

Antoing 165   2 .162 13 2 .99 3 ,5 7

Leuze   1.037   5 .904 5 6 .401 ,89

Péruwelz   1.365   7.511   5   8.812,88

Tournay   12.200   24 .984 2 105 .209,73

Total des Villes   38 .924 129.500   3 350 .319,41

Total Province 130.523   675.308   5   976 .233,62

(Source : Rapport de la Députation permanente.)

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Par ai lleurs , on sou l ign era en core, avec Jacq uem yns, qu e « la qu es

t ion de la r ichesse des bureaux de bienfaisance n’expl ique pas le grand  

nombre d’ ind igents dans l es campagnes . Les revenus des bureaux de  

bienfaisance y éta ient de bea uco up inférieurs à ceux des v i l les , e t po urtan t 

c ’est dans les com m un es rurales que no us trouv on s, lors de la cr ise , le p lus  

d’indigents » (221).

Quel les que soient les tentat ives de minimiser l ’ importance de la 

misère, l ’étendue de la mendici té au XIXe s ièc le est là pour en témoigner. 

Certes, i l n’y a pas de stat ist ique et cel le des dépôts de mendicité n’en 

do nn e q u’une vue très part ie l le . Par contre , les tém oigna ges son t extrêm e

ment nombreux. Pour les Flandres , Jacquemyns en a c i té un certain 

nom bre m ontrant les m endiants se dép laçant en bandes , des f erm es voyant  

défi ler jusq u’à trois cents m end iants sur une journée (222). Il y a tel lem en t  

de vo l s que l e gouverneu r de la Flandre or ienta le par exem ple d o i t recom

mander aux adminis trat ions communales d ’organiser des patroui l l es de  

nu it à la suite de la m au vaise récolte de p om m es de terre (223). En 1 8 4 6 , le 

même gouverneur recommanda de reprendre l es patroui l l es , qu i se sont  

ralenties f in d e l ’hiver, cela parce q ue le nom br e d es vo ls au gm ente (224). 

Par une c irculaire du 16 octob re 18 45 , il ava i t recom m and é de sévir contre 

le s bandes de m endiants « com po sées en grande partie d ’ho m m es va lides » 

qui se présen tent la nu it à la por te des m aiso n s isolées et des ferm es. Il faut , 

dit- il , faire ap plicat ion de l ’article 2 7 6 du C od e pén al (225). Le 8  n o v em b re  

1846 , une autre c ircu la ire constate que nombre de mendiants e t de vaga

bo nd s ref luent vers Bruxel les; « toute co m m un e, d i t le gouvern eur, do i t 

procurer du sou lagem en t à ses pauvres et les engager, par les secours 

qu’el le leur offre et par toutes les voies de la persuasion à ne pas s’éloigner 

d e la loc a lité » (226).

La fa im pro vo qu e d ’ail leurs des désordres et des ém eutes , on pi l la des  

bou langer ies , des marchés publics . Le 17 m ai 1 84 7 , i l y eut m êm e, à Gand, 

une ém eute où des grou pes de m anifestants furent chargés au sabre et à la  

b aïo nn ette (227). Il est vrai que la misère , à certains m om en ts, po us sa d es  

miséreux dans les bras mêmes de la pol ice; « les malfai teurs , lo in de  

craindre les gardiens de l ’ordre, cherch aient m aintes fois l ’oc ca sion de 

com m ettre des dél it s en présence des agen ts et des gendarm es. C ’étai t, pour  

eux, le moyen de se fa ire envoyer en prison et de recevoir a insi une 

nourriture suff isante p ou r ne pas m ourir de faim (228). Un g rand nom bre

(221) Jacquemyns, o.c., p. 300.

(222) Voir Jacquemyns, o.c., pp. 314 et ss.

(223) Mémorial administratif de la Flandre orientale, 1844, 1er semestre, p. 86.

(224) Id., 1846, p. 414.(225) Id., 1845, 2e semestre.

(226) Id., 1846, 2e semestre, p. 788.

(227) Jacquemyns, o.c., p. 329.

(228) L’enquête de 1840 a révélé également cet état d’esprit (voir d-après).

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de vitres furent brisées par des indigen ts qui vo u laien t se faire em pr ison

ner. Tous les rapports off iciels et les journaux de l ’époque signalent ces  

b r i s e u r s d e v i t r e s .   Les voleurs qui n’avaient pas recours à ce procédé  

attend aient sou ven t le m om en t prop ice p ou r se faire attraper » (229).

C e n ’est pas uniquem ent en Flandre que se rencontre cet te men dicité . 

La Cham bre de com m erce de M on s es tim e b ien , en 18 4 4 , que la m isère « a 

beaucoup perdu de sa r igueur» grâce à l ’abondance de la récol te de  

p om m es de terre et le bas prix des céréales » (23°). M ais le C om m issaire  

d ’arrondissem ent est m oins op t im iste . I l se p laint de l ’augm entat ion de la  

mendicité, surtout dans le Borinage. Il constate que la classe ouvrière est  

« dans un grand dénu em ent » et que toute m esure de répression serait 

inut ile à cause du grand nom bre d ’individus à at teindre. I l recom m and e, 

dans les grandes communes, l ’ inst i tut ion de maîtres des pauvres dont la  

mission serait de recueil l ir les dons chez les personnes aisées pour soulager  

les pauvres (231). Le C om m issaire d ’arrondissemen t de T our nai no te ég a

lem ent qu e la m end icité est loin de disparaître; « les uns m end ient par  

paresse , d ’autres par beso ins , d ’autres enf in par ha bitude » . Co m m e b eau

coup de m end iants p lacent l ’autori té deva nt le d i lemn e : m endier ou entrer 

au dépôt de mendici té «et at tendu que de deux maux i l faut chois ir le  

m oindre, la pol ice n ’hési te pas, e lle évite à la com m un e les charges du  

d ép ôt » (232). R ecrude scence aussi da ns l ’arron dissem ent de T hu in, m ais 

ici, selon le com m issaire d ’arron dissem ent, « c ’est plutô t parce que les 

m oyen s de la réprimer sont em ployés avec m oins d ’act iv i té que parce qu ’il 

m an qu era it du travail aux ouv riers » (233). Il d éve lop pe la m êm e op inio n en  

1846 (234) tandis que celui de Tournai , après avoir constaté les progrès de  

la mendicité en 1845, « au point que l’on voit dans certaines local ités des 

mendiants s ’a t trouper au nombre de 30 à 40 personnes e t demander 

l ’au m ôn e d ’un ton plus ou m oins im périeux » , déclare que pour que çà  

cha nge i l faudrait « que lques an née s heureuses po ur la classe ouvrière, il 

faudrait que l’on fût en mesure de procurer du travail à tous les bras  

inactifs » (235).

U n indice de l ’im por tance atteinte par la m isère à l ’ép oq ue est d ’autre  

part , le nombre impressionnant d’ouvrages et surtout de brochures qui 

sont publiés sur le sujet . Son niveau frappe tel lement que la détect ion des  

causes, la recherche des remèdes à y apporter donnent naissance à une 

ab ond ante l i ttérature où l ’on vo i t tourner en rond un remarquable m anèg e

(229) Id.

(230) Rapport de la Députation permanente du Hainaut, Session de 1844, p. 323.

(231) Rapport de la Députation... session 1844, p. 50.

(232) Id., p. 55.

(233) Id., p. 58.

(234) Id., session de 1846, p. 75.

(235) Id., p. 49.

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de l ieux com m uns do nt l ’intent ion inavo uée paraît bien être de disculper le 

rég ime et de donner bonne consc ience aux détenteurs du pouvoir .

Parmi les « ex p lication s » av an cées, i l y a la « surab ond anc e d e la 

pop ulat ion » . Déjà dans son m émoire  D e s m o y e n s d e s o u l a g e r l a m i s è r e , 

Ducpét iaux se montre frappé par l e fort accro i s sement de la populat ion .  

O r, écrit- il , « s i la pop u lation s’accroit avec trop d e rapidité, la pro po rtion 

entre le m on de d es ouvriers et la som m e d es capitaux dest inés à rétribuer 

leur travail est dérangée, le salaire baisse et aussitôt arrive la misère. Il  

importe donc, pour maintenir le taux du salaire en rapport avec leurs  

beso ins , que les c lasses laborieuses ap portent dans leurs m ariages la mêm e  

pr évo ya nce que da ns la d isposit ion de leurs m od iques rev enus » (236). O n 

retrouve la même thèse dans le mémoire sur  L e p a u p é r i s m e d a n s l e s  

F l a n d r e s .  C on statant qu e la m oyen ne de la popu lat ion pàr l ieue carrée 

géographique peut y être évaluée à près de treize mil le habitants , Ducpé

tiaux con clut : « I l suff it de ce fait, c om bin é a vec l ’accro isseme nt de la 

pop ulat ion pend ant l e comm encem ent de ce sièc le e t avec la décadence de 

la principale industrie de ces deux provinces, pour expliquer en partie les 

effrayants progrès qu’y ont fait la misère et le paupérisme. Le nombre des 

indigents au gm ente en raison de la dens i té de la po p u la t io n . . . » (237). O n  

retrouve l ’ idée, à la même époque, dans le Rapport de la Députat ion  

perm anen te du H ainau t qui es tim e que b ien q ue « la po s i t ion de la classe 

ouvrière soi t , à bea uco up d ’égards , m oins m auvaise dans le H ainau t que 

dans le reste du pays » , le problèm e du pau périsme do it être abordé dans le 

rapport. «Il est évident, y l i t -on, que l’accroissement successif(238) de 

l ’espèc e h um aine d o it aug m enter les diff icultés de subsister, c’est-à-dire de 

se nourrir, de se vêtir, de se loger et d ’élever une fa m ille» . Le rappo rt 

considère cet a ccroissem ent com m e la cau se « la plus pressante » du pau

pér ism e et « en ge nd ran t presqu e tou tes les autres » (239).

D uc pé tiau x, p ar ai lleurs, fait rem arquer « qu ’une grande féc ond ité 

m arche gén éralem ent de fron t avec une grand e m ortalité » (24°) et estime  

« que le m eilleur, le seul m oy en de m ettre un frein à l ’accro isseme nt  

excessif des naissances est de réduire, autant que faire se peut, la propor

tion des décès. C’est par une répartit ion aussi égale que possible du 

bien-être qu’on parviendra à rétablir l’équilibre troublé entre ces deux  

termes. La po pu lation , dans l’état norm al, d oit rester stationn aire ou à peu  

près, c’est-à-dire que les naissances doivent se borner à balancer les dé

cès » (241) C om m e ce son t « les classes les plus pau vres (qui) s on t aussi

(236) Ducpétiaux,  Des moyens de soulager la misère,  1832, p. 6.

(237) Ducpétiaux,  Le paupérisme dans les Flandres,  p. 53. La même thèse est reprise dans  Le 

 paupérism e en Belgique,  du même auteur, 1844, p. 20.

(238) Peut-être faut-il lire «excessif».

(239)  Rapport de la Députation perm anente du Hainaut,  1844, pp. 117 et ss.(240) Ducpétiaux,  Le paupérism e dans les Flandres,  p. 214.

(241) Ducpétiaux, id., p. 215.

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d ’ord inaire les p lus pr olifique s » (242), i l « n e s’ag it plu s, p ou r arrêter 

l ’accroissement anormal de la populat ion, que de réduire le nombre de  

pr olétaire s et des ind igents » (243). Le vrai remèd e est pou rtan t, po ur D u c

pét iaux , le «d ép lacem en t» . «L orsqu e l ’accro issement de la pop ulat ion  

excèd e les ressources d ’un pay s, c ’est une indicat ion po ur que cet te pop u la

tion ai l le chercher ai l leurs sa subsistance. Tant qu’à côté des régions  

cult ivées i l restera des régions sans culture, i l est dans l ’ordre de la Provi

dence que l e nom bre des hom m es augm ente en ra i son de l ’é tendue du 

do m ain e q ui leu r reste à con qu érir » (244). C ’est là le rem ède p rôn é pa r  

Ducpét iaux pour les Flandres où l ’exubérance « est malheureusement un 

obstacle aux amél iorat ions dont la s i tuat ion des Flandres serai t suscept i

ble » . A insi, co nt inue-t -i l, « no us avons pro uvé que le nom bre des cul t iva

teurs dépassait les besoins de la culture, que la concurrence des ouvriers  

tendait incessam m ent à déprécier le travail . Il y a d on c évidem m ent sura

bo nd an ce de bras et de forces dans les Flandres. D e là, la nécessité d ’un 

déplacement. Ce déplacement, nous l ’avons déjà dit , peut s’opérer de trois 

m anières : par la co nst i tut ion de n ouv eau x centres de pop ulat ion dans les 

Flandres m êm es, par la colo nisa t ion dans d ’autres parties du pa ys, et enfin 

par l ’ém igra tion et la co lon isa tion à l ’étranger » (245).

Le comte Arr ivabene défend la même thèse pour résoudre l e pro

blèm e de l ’indigen ce : « . . . q u oi de plus naturel , de plus simp le que de  

tâcher d’opérer le déplacement d’un certain nombre de famil les de labou

reurs ». .. « on fait ainsi un m eilleur sort à ce ux qui parten t , et en éclaircis

sant les rangs des demandeurs de travail , on soulage ceux qui res

tent » (246).

Le déplacement ne fut pas seulement un remède théorique, a insi ,

« dahs le but de se soustraire, autant que possible à la dépense permanente 

occasionnée par l ’entret ien de leurs indigents au dépôt de mendici té de  

M on s, un certain nom bre d ’adm inis trations com m un ales des prov inces de  

Hainaut , de Namur e t de Luxembourg ont payé l es f ra i s de t ransport de  

vingt reclus qui a vaien t m an ifesté le désir d ’ém igrer en A m ériq ue » (247).

(242) Id., p. 219.

(243) Id., p. 220.

(244) Id., p. 220.

(245) Id., p. 223.

(246) Arrivabçne, Sur la condition des laboureurs et des ouvriers belges et sur quelques mesures  

 pour l'améliorer,  Bruxelles, 1845, p. 24.

(247)  Rap po rt de la Députation perm an ente du Hainaut,  1852, p. 106.

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U n premier tém oignage :

l’enquête de 1840 sur l’industrie linière

L’enquête de 1840 n’est pas une enquête spécialement menée sur la 

condit ion ouvrière. Instituée par un arrêté du Ministre de l’Intérieur, De  

Theux, le 25 février 1840, e l le se voi t essent ie l lement donner un object i f   

éc on om iqu e qui est de « con stater la s ituation de l’industrie l inière en 

Belgique et rechercher les moyens d’encouragement et de protect ion qu’ i l 

pourrait être uti le d’employer dans l’ intérêt de cette industrie».

Le rapport de la Commiss ion d’enquête comporte b ien un chapi tre 

intitulé : « état de la class e o uv rière » (248); m ais il ne faut p as s’y trom pe r : 

« classe » est em plo yé, co m m e no us l ’avo ns déjà soul ign é, dan s le sens de 

« catég orie » et ouv rier a le sens « d ’oc cu p é au travail du l in ». Le nom bre 

de ces personn es occ up ées à travail ler le l in es t bea ucou p plus é levé dan s le 

rapport que dans le recensem ent indu strie l de 1 84 6. N ou s av on s vu que le 

nombre d’ouvriers du secteur l in et chanvre étai t a lors de 60!023. La 

C om m iss ion , en 18 40 , dénom bre 3 5 5 .09 6 travail leurs (249250). Il s’agit donc  

au ssi bien d es artisans (25°) que d es trav ailleurs à d om icile et des ouv riers. 

C’est une image de la s i tuat ion de toute la populat ion laborieuse qui es t  

fournie par ce chapi tre du rapport de la C om m iss ion , bourg eois ie m ar

chande et autre mise à part . On y trouve notamment cet te masse de  

travai l leurs à domici le exploi tés par les marchands et dont nous avons  

parlé plus haut.

Comme le montre le tableau ci -dessous une forte majori té de ces  

travail leurs sont localisés dans les deux Flandres; vient ensuite le Hainaut 

qui en compte un nombre assez important .

Fileuses Tisserands

Flandre occidentale 98.385 24.430

Flandre orientale 122.226 32.718

Hainaut 33.358 8.236

Brabant 16.730 4.348

Anvers 3.685 2.491

Luxembourg 2.945 865

Namur 1.950 926

Limbourg 844 432

Liège 273 254

Totaux 280 .396 74.700

(248)  Enquête sur l'industrie linière, rapp or t de la Commission , oc tobre 1841,   Tome 1er, pages 

361 et ss. (désignée ensuite: Enquête 1840). Le tome 2 fut publié en juin 1841.

(249) Id., p. 362.

(250) « De petits fabricants en grand nombre ne peuvent travailler, ce n’est pas seulement la classe 

des pauvres gens qui est en souffrance, mais aussi celle des petits fabricants » (Enquête 1840 , Tome 1er, p. 

365).

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« En restant assis, ils gagnent autant qu’en travaillant. »

Si réduites que so ient les inform ations sur P« éta t de la classe ouv riè

re » , e l les s on t particulièrement é loquen tes . C onsa cran t quelques pa ges à 

répondre à la quest ion: «Le salaire que nos f i leuses et nos t i sserands  

reçoivent suff it - i l à leurs besoins? », le rapport i l lustre bien cette réponse  

qui sera do nn ée par Va n den B erghe, blan chisseu r à T hielt : « En restant  

assis, i ls gagnent autant qu’en travaillant» (251). Il suffit pour s’en rendre  

com pte de relever quelques ph rases du rapport de la C om m ission : « Les 

t isserands (à A velghem ) n ’on t pa s assez de forces pou r travail ler, ils tom b en t 

sur le m étier » (252). « Les tisseran ds et les f i leu ses en gén éral n ’on t plu s 

assez pour se vêt ir, i ls payent diff ici lement leur loyer; leur nourriture 

con siste en pain sec, en po m m es de terre; ils log en t dans de m auvaises  

m aiso ns et n ’o n t pas de linge p ou r se co uvrir et se c ou ch er » (253). « Les 

f i leuses des environs de Ninove sont te l lement pauvres qu’el les ne peuvent 

plus se n ourrir; el les m end ient qua nd il y a po ssibi l i té . Il y en a qui 

préfèr ent être e m pr ison né es p ou r avo ir de la nou rriture » (254).

Les enquêteurs se sont aussi rendus dans les habitat ions de quelques 

t isserands e t rappo rtent l ’état navrant de l ’habitat. D ero ch est sans do ute  

un travail leur à do m ici le , car « il travail le à la tâche en recevan t d eu x so us  

par au ne » ; « i l ne m an ge jam ais de viande , i l ne prend p as de café le m atin, 

mais du thé avec un peu de la i t de chèvre, sans sucre; à midi son repas se  

com p ose de pain de se ig le , de po m m es de terre avec du la i t bat tu; il ne fa i t 

usage que de très peu de beurre, i l n ’achète jam ais de po rc que p our en a voir 

la graisse , il s ’im po se b eau cou p de privations; m ais il y a des gens encore  

plus m alheureux q ue lu i e t tout récem m ent il a t rouvé m oyen de donner une 

chemise . Dans toute la maison , la Commiss ion n’a aperçu qu’un seu l l i t  

com p osé d ’une p ai llasse sans draps et d’une couverture en étoup e de lin . 

C ette h ab itat ion con siste en d eu x p ièces; l ’une où se trouve le m ét ier et le li t, 

l ’autre où l’on fait la cu isine e t l ’on f ile. P endan t tou t l ’hiver, ces gens ne se  

chauffent qu’avec le pet it bois qu’i ls ramassent , i ls travail lent depuis cinq 

heures et d em ie du m atin jusqu ’à d ix heures du soir » (255).

Le deuxième t i sserand dont la Commission a v is i té l ’habitat ion, 

C lém ent K eyser, sem ble être un art isan car il travail le « po ur son com pte ». 

Là, « da ns to ute la m aiso n il ne se trou vait q u ’un lit fort étroit , plus 

dégradé, plus mal garni que le l i t de l ’habitat ion précédente. Les membres 

de la C om m ission n ’on t pas osé dem ander où se retiraient les s ix enfants

(251 ) Enqu ête 1840 , Tome 2, n° 1861.(252) Id., tome 1, p. 383.

(253) Id., p. 383.

(254) Id., p. 384.

(255) Id., p. 386.

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pendant la nuit; i ls ont aperçu à la suite de la cuisine et de l ’atel ier une 

trois ième pièce sans meubles et fort mal c lose dans laquel le ne se trouvait  

aucun e trace de pai l le , enco re m oins de m atelas , il s o n t craint d ’apprendre  

qu el é tait l ’usa ge de cette dernière cha m bre » (256).

« La classe la p lus m alheure use est cel le qui ne m end ie pas. »

Le tome 2  reproduit les interrogatoires menés par la Commission.  

Des réponses consignées , une première impression se dégage, c’est l ’éten

due extraordinaire de la mendicité.

Les tisserand s « son t actuel lem ent dévo rés par la misère » répond D e  

V os , de H eu l le(257). Le nom bre des pauvres a t te int des pro po rt ion s im

pressionnantes non seulement en Flandre mais aussi en pays wal lon; le 

bourgm estre d ’A th, T aintenier , déclare que le nom bre d es pau vres était de 

2 .74 9 en 18 36 , « il e s t m aintenant de 3 .00 0 env iron . N otre pop ulat ion es t 

de 9 .0 0 0 âm es » (258). G on e, échev in de Fleurus signa le : « no u s com pto ns

1.0 0 0 pauvres , réellement pauvres , sur 3 .3 0 0 h abitants . Il y en a encore 

d ’autres qui m ér iten t de figure r sur la liste d es p au vre s » (259).

La m en dicité prend à certains m om en ts l ’allure d ’une inst itut ion, el le 

se concentre sur les jours « autorisés ». « Tous les lundis, on voit jusqu’à 7 

à 8 00 m endiants venant de Bae legem et de Nederbrake l » , répond V ande- 

veld e, t isserand à V elsiqu e (260). « J’ai tro is ce nts pa uvr es le jeu di à m a  

po rte, déclare Va n D e M erge l , cult ivateu r à N eder bra kel (261).

Les m endiants vo yag ent en band es. « D an s les v il lages environn ant 

Sottege m , signale J. Van B ossch e, fabricant de lam és dans cette loca l ité, où  

la mendicité est tolérée un jour par semaine, des bandes de 2 à 300  

m en dian ts se p rése nten t d ans la m êm e ferme » (262). D es tisseran ds  

« circulent dan s no s cam pa gnes, par 1 00 et 15 0, d em and ent du travail » 

répon d D eslo ov er e, cult ivateur à V ive Saint-Eloi (263).

Les bandes de mendiants provoquent la peur . Ce phénomène sur  

l eque l nous rev iendrons p lus longuement dans l e tome 2 , est révélé par 

certains tém oign ag es: «L a m endicité augm ente toutes les semaines; il 

vient des pauvres par b ande la nuit, qui dem and ent du pain et de la v iande. 

C es ban des so n t déjà venu es deu x fois chez m oi et j ’ai do nn é de suite. Elles

(256) Id., p. 387.

(257) Id., tome 2, n° 224.

(258) Id., n° 1040.

(259) Id., n° 5117.

(260) Id., n° 2339.

(261) Id., n° 2408.

(262) Id., n° 2314.

(263) Id., n°128.

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ne font pas de mal quand on donne de sui te; je donne par la fenêtre . La 

mendici té nocturne se répand. La maréchaussée es t en permanence toutes 

les nuits» , déclare Jacques Steenkis t , cul t ivateur et t i sserand à Thou-  

rout(264) . «Le nombre de mendiants es t te l lement augmenté que j ’en ai 

peur; ils font des m enaces. N otr e pop ulat ion se com po se de 50 0 e t quel

ques famil les . Je donne tous les mercredis ; 140 mendiants viennent à ma  

ferme; outre cela, i l y en a encore qui viennent tous les jours avec des  

m ena ces », dit V an B elle, cult ivateur et échev in à V ia n n e( 265).

Evidem m ent , on s ’en dou te, certaines personn es interrogées trouv ent 

que les mendiants sont responsables de leur état . Aug. Gone, échevin à  

Fleurus, a cette répon se éton na nte : « S’i l ne m an gea it pas tou t en un jour, 

le travail de la sem aine d evra it gén éra lem ent suffire » (266). D e so n cô té, 

Burn, échev in, négo ciant à Z ele trouve q ue « l ’ouvra ge ne m anq ue pas; ce 

sont des fainéants . On a essayé de mettre des entraves au mariage des 

pauvres; o n a supprim é le pa in et la m oit ié du loye r à ceux qui se 

m ariaient, o n n ’a pa s réussi » (267). D e W its, n otaire et b ourg m estre à  

N ederb rak el , est im e qu ’« on devrait ext irper la m endici té au m oye n d ’une  

mesure générale. J’avais l ’ intention de la faire défendre en recourant à la  

force, je ne l’ai pas fait parce que dans les communes vois ines, i l n’y a pas 

de moyen de répress ion, nos mendiants de la commune vont ai l leurs . La  

réciprocité serait nécessaire. Quoique la chose ait été dél ibérée en consei l ,  

 j’ai dû y renoncer. Si on p rena it des m esures générales, je serais d isp osé à 

payer 200   fr. par an » (268).

C ette peur du m endiant , cet te accusat ion de fainéan t ise , cet te vo lon té  

de traquer le pauvre et d ’él im iner la m end icité, toutes ces réactions q u ’on  

voit traduites par les réponses à l ’enquête revêtent à nos yeux beaucoup 

d ’imp ortance ainsi que nous au rons l ’occa s ion de le m ontrer, com m e nou s 

l ’avo ns d it déjà, au volum e 2. C ’est q u ’el les on t en effet, accrédité, au X IX e 

siècle, l’opinion que la classe des ouvriers était alors la « classe dangereu

se». La confus ion pauvres et ouvriers paraît certaine, comme dans cet te  

répon se du bourgm estre d e W evelgh em , Braban dere : « La p op ula tion  

ouvrière étant très nombreuse, i l s’en suit qu’il y a un grand nombre de  

pauvres » (269).

O n trouve* aussi cette o p inion que les men diants son t parfois plus  

heureux que ceu x qui ne m end ient pas . « N ou s m anq uon s de tout , déclare 

W aegebagh, t is serand à Au denarde , de vêtem ent com m e de couchage . La

(264) Id., n°3430.

(265) Id., n° 537.(266) Id., n° 5119.

(267) Id., n° 1682.

(268) Id., n° 2426.

(269) Id., annexe n° 23, p. 765, n° 15.

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classe mendiante es t dans une pos i t ion moins tr is te que nous , parce qu’on  

la soutient; à n ou s, o n ne d on ne rien » (270). C e po int de vue est confirm é 

par des t isserands de R ena ix qui déclarent : « Bea ucou p m end ient , m ais la 

c lasse la p lus malheureuse es t ce lle qui ne m endie pas [ . . . ] • N o u s n ’avons 

plus rien po ur no us vêtir ni p ou r n ou s cou che r » (271). U ne f ileuse de 

Renaix, J . Ghenens , déclare de son côté que « les mendiants sont dans un 

état moins malheureux que les personnes qui travail lent , les premiers  

obt iennent de la bienfaisance publ ique plus qu’on en a en travai l

lant » (272).

« J ’en vo is qui pleure nt, qui d ésirent qu e cela f inisse d ’un e m anière o u de  

l ’autre. »

Il se dégage des réponses à l ’enquête une autre impression particuliè

rem ent pé nible. C ’est la lassitude, l ’état de d épression da ns leque l se trouv e  

les travail leurs. La f i leuse que nous venons de citer, J. Ghenens, ne peut  

terminer l’interrogatoire. Les enq uêteurs no tent : « D es larm es son t venues  

interrom pre cet interr og atoire » (273). Les ouv riers q ui pleu re nt sur leur 

s i tuat ion est chose souvent évoquée dans l ’enquête .

A la question: «Y a-t- i l plus de misère qu’autrefois dans le bas  

peup le?» , Herregodt s , de Grammont , répond: «B eaucoup p lus , on vo i t  

des gens qui pleuren t au m arché; nou s av on s ici bea uc ou p de t isseran ds, ils 

ne p eu ve nt avo ir l ’éto ffe à un prix raiso nn ab le » (274).

« Quel est le sort de votre population ouvrière? » demande-t-on aux 

bourgm estre et échevins de W aersch oot . « Bea ucou p de ti sserands doivent  

manger du pain sec , répondent- i l s ; ceux qui avaient un cochon n’ont plus  

rien, généralement i ls prennent encore un peu de café, les f i leuses n’en ont 

pas le m oy en ». Ils af firment m êm e que « la d épense dans les cabarets a 

aussi c on sidé ra blem en t d im inué » (275). « La m isère ici, ajo uten t les éd iles  

communaux, es t au comble sans exagérat ion. Le samedi mat in, on fai t la 

distribution des aumônes; c’est un aspect vraiment déchirant; s i on refuse 

deux l iards à un homme, i l p leurera; on a vu des hommes tomber de 

faiblesse » (276).

«Le sort des t i sserands es t très malheureux expl ique Vanacker,

(270) Id., n° 5301.

(271) Id., n° 5520.

(272) Id., n° 5389.(273) Id., n° 5392.

(274) Id., n° 687.

(275) Id., n° 3010.

(276) Id., n° 3011.

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nég ocian t en to i le à W evelghem , extrêm em ent tr iste . J’en vois qui p leurent , 

qui d ésiren t q ue cela finisse d ’un e m anière ou de l ’autre » (277).

« Il y a des maisons où on ne trouve pas de lit, ce sont des feuilles 

d’arbres.. . »

D e nom breuses répon ses fournissent des in form at ions sur la nourr i

ture et sur la « l iterie » des ouvriers tisserands et des fi leuses. « La nourri

ture de no s ou vriers , d i t V an M aldeg hem , fabricant de to i les à vo i le à 

Belem, se com p ose de pain , de pom m es de terre , de la i t, de lard trois fo is 

par semaine, quatre à cinq fois par an de la viande, mais la plus pet ite 

viande » (278).

« R em arqu ez-vous que la m isère augmente? » dem and e-t-on à V an 

D e Keere, n égo cian t en toi le à Lichtervelde. « La pauvr eté est tel lem en t  

forte , répond- i l , que le couchage manque complètement . Je parcours le  

pays, je trouve les f ileuses et les ti sserands au tour d ’un po t de pom m es de 

terre sans beurre ni pain. U n c h ef de fam ille de C ortem arcq q ui ne  

mendiait pas est resté huit jours sans pain; un fermier l ’ayant su lui en a 

do nn é, m ais dès que le t isserand l ’a eu da ns les m ains, i l est tom bé faible et 

est mo rt à la su i te . To ute l ’étend ue d e la m isère n ’est pas en core con nu e, 

une quant i té de f i leuses et de t i sserands sont en train de vendre tout ce 

qu ’il s po ssèd en t en m eubles et pet it s objets , c ’est l ’année p rochaine qu ’on  

saura m ieu x la situ ation vér itable » (279).

G ust in , à E st inne s au M on t , déclare : « no s ta il leurs , quan d i l s reço i

vent leur semaine, l ’ont déjà dépensée à l ’avance; i l y a de la misère, mais 

cela a tou jour s été com m e cela; les ouvriers tai lleurs n ’on t jam ais eu 

d ’aisance, i ls m an gen t plus de pain de seigle que de pa in de from ent, des 

pommes de terre , du fromage, très peu de beurre, du café avec de la  

chicorée . La m oit ié n ’a pas de co uch age, toute la fam ille cou che en sem ble  

sur la dure; i ls ont encore du l inge sur le corps mais des sabots pour  

chaussure » (280).

« N o s pauvres se nou rrissent de se ig le et de po m m es de terre, déclare  

Joseph Danhé, fermier à Jodoigne, i l s prennent beaucoup de café , un peu  

de lard, presque tous ont un cochon, i l s font à leurs pommes de terre une  

sauce au vinaigre et au beurre. Les ouvriers ont les uns un journal et les

(277) Id., n° 5952.

(278) Id., n° 6770.

(279) Id., n° 4367.

(280) Id., n° 4692.

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autres un demi-journal de terre qu’i ls payent très cher. Leur couchage  

co ns iste en pa ille ou en éto u p es » (281).

« Il y a, dit Bru lois , fabricant d e lam és et de toi les à M oo rsled e, des  

f i leuses et des t isserands qui ne gagnent pas assez pour avoir du l inge chez 

eux . L eur nourriture est très pauvre; i ls on t des po m m es d e terre sans 

beurre et souvent sans pain. Quand leurs objets de couchage sont usés , i ls  

ne peuvent plus les renouveler. La mendicité augmente de jour en jour, 

m ais ceux qui on t été occ up és au travail du f ilage et du t issage on t plus de 

p eine qu e les au tres à se décider à m end ier, i ls on t plus d e m or alité » (282).

Parlant de ceux qui ne son t pas m endiants , V an de M ergel , cul tiva

teur à N ederbrakel , a ffirme que , pour cette clas se , « . . . la pom m e de terre 

est sa nourriture principale; elle ne connaît ni le lard, ni le lait , ce sont des  

pommes de terre sèches dont el le fait usage et el le n’en a pas toujours. Le  

matin, el le a le café. I l y a des maisons où on ne trouve pas de l i t , ce sont  

des feuilles d’arbres; on pratique, à côté du foyer, un puits où le soir toute  

la fam ille se met. Là où il y a quelque l i terie, on m et une charge en étoup e,  

c ’est dég oûtan t à voir . O n se chauffe avec le bois qu ’on ram asse ou qu ’on  

vole. . . » (283).

L ’enqu ête n ’étai t pas , com m e le sera celle de 18 43 , d est inée à con na î

tre le sort des enfants . Cependant, on y découvre l’une ou l’autre al lusion.  

A insi V an M aldeg hem , fabricant de toi les à vo i le à Belem , s ignale que « les 

t isserands ne font pas apprendre à l ire à leurs enfants , mais nous ne  

remarquons pas, ajoute-t-il , qu’ils soient plus méchants » (284). A des tisse

rands de R ena ix on dem an de : « que faites-vo us de vo s enfants? » I ls 

rép on de nt : « no s en fan ts n ’on t pas de trav ail. Ils n ’on t qu ’à courir pou r 

cher che r d es p om m es de terre » (285).

(281) Id., n°4986.(282) Id., n° 6236.

(283) Id., n°2422.

(284) Id., n° 6771.

(285) Id., n° 6608.

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Chapitre 6

Un témoignage essentiel: l’enquête de 1843 

sur la condition ouvrière

C ’est le pro blèm e de légiférer ou no n sur le travail des enfan ts qui 

am ena N o th o m b , m inistre de l ’Intérieur à entreprendre une enquê te sur 

«la condit ion des c lasses ouvrières et sur le travai l des enfants» . Une  

commission, dont Ducpét iaux fut la chevi l le ouvrière , dépoui l la les docu

ments reçus et publia en trois volumes les résultats de cet important tra

vail (286).

Il fau t rem arquer qu e les ouvriers eu x-m êm es n e furent pas interrogés 

au cours d e cette enquête. C e so n t les chefs d ’entreprise, les cham bres de  

commerce et des manufactures , les ingénieurs des mines a insi que les  

com m ission s m édicales , les sociétés de m édecine et les consei ls de salubrité 

qui furent sol l icités de donner leur avis. Les commissaires chargés de  

constater la condit ion des jeunes ouvriers dans les provinces avaient reçu  

com m e instruction d e s ’attacher « à vérif ier l ’exa ctitud e des re nseign e

ments transmis à l ’administration supérieure par les chefs d’ industrie, les 

cham bres de comm erce et les com m ission s et sociétés m éd icales» . Ils 

devaient compléter ces renseignements « de manière à présenter le tableau  

de la condit ion physique, morale et intel lectuel le des jeunes ouvriers dans 

les d istricts qui leur auron t été re spectivem ent assignés ». O n p eut d o nc  

dire que l ’enqu ête de 18 43 vo i t la con dit ion ouvrière com m e el le est perçue  

par la bourgeoisie. Si la çhose est regrettable, el le a par contre l ’avantage  

de perm ettre de co nclure que le tableau n ’a pa s été noirci et rend par

(286) A.R. du 7 septembre 1843. Les volumes furent publiés : le deuxième et le troisième en 1

(contenant notamment l’avis de la commission) le premier en 1848 seulement sous le titre «  Enquête sur la 

 condition des classes ouvrières et sur le travail des enfants   », Imprimerie Lesigne, Bruxelles, 352, 666 et 

672 pages.

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con séqu ent les infor m ation s fourn ies exem ptes d ’exa géra tion (287).

Un témoin aussi peu suspect de cri t ique vis-à-vis des charbonnages  

que le docteu r Sch œ nfeld (288) écrira à prop os de l ’enq uête de 18 43 que  

« les doc um en ts relat ifs au x hou illeurs p ubliés il y a env iron on ze à 

dix- sept ans ( . . . ) sem blent écr its avec exagération e t cependant il s sont  

ex ac ts p ou r l ’ép oq u e à laq ue lle ils se r ap po rtent » (289).

Il fa lla i t év idem m ent cho i s ir dans ce t te m asse de docum ents . C om m e 

no us l ’avon s déjà di t , nous tenteron s, sur certains po ints com m e l ’a l im en

tat ion , le loge m ent , etc ., de d onn er une vue d ’ensem ble en évi tant soign eu

sement de ne retenir que les cas extrêmes, ce qui fausserait la vue de la 

situ at ion réelle (290).

1. The belgian way of life

Le menu de l’ouvrier

Pour l ’a l imentat ion, i l est intéressant de donner une idée se lon les 

différentes régions du pays. Les manières de se nourrir peuvent en effet 

varier selon les coutumes ou les productions particulières de l ’endroit; de  

m êm e, i l faut tenir com pte d es degrés très différents d’indu strial isat ion. 

C ’est po urq uo i no us avon s ch ois i de parcourir les d i fférentes prov inces du 

pays , en commençant par l es Flandres .

(287) 614 chefs d’entreprises ont adressé une réponse (après élimination des inutilisables) : Anvers : 

49, Brabant: 101, Flandre occidentale: 20, Flandre orientale: 61, Hainaut: 156, Liège: 168, Limbourg:  

4, Luxembourg: 13, Namur: 42.

14 chambres de commerce répondirent à l’enquête: Bruxelles, Louvain, Gand, Saint-Nicolas,  

Alost, Termonde, Mons, Charleroi, Toumay, Liège, Namur, Anvers, Ypres, Courtray.

La commission reçut des rapports des ingénieurs en chef des mines du Hainaut, de Liège et de  

Namur-Luxembourg. En plus, des rapports des ingénieurs des mines furent remis pour Mons, Charleroi,  

Liège et Limbourg (rive gauche de la meuse) ainsi que pour le sixième e t ie septième districts (Liège).

Ce sont les réponses des corps médicaux qui constituent incontestablement la partie la plus 

intéressante de l’enquête. Ils furent nombreux à répondre : L’Académie royale de médecine de Belgique, la 

Commission médicale du Brabant, le Conseil central de salubrité publique de Bruxelles, la Commission  

médicale du Hainaut, le Conseil de salubrité publique de Liège, la Commission médicale de Namur, la  

Commission médicale d’Anvers, la Société de médecine d’Anvers, la Commission médicale de Malines, les 

médecins des hospices de Malines, la Commission médicale locale de Lierre, la Commission médicale de la 

Flandre occidentale, la Société de médecine de Gand, la Commission médicale de la province de Liège, la  

Commission médicale de Bruxelles. A ces rapports vinrent s’ajouter des lettres de médecins, telle celle du 

docteur Schoenfeld de Charleroi ou le mémoire du docteur Peetermans de Liège, etc...

(288) On aura l’occasion d’apprécier sa position plus loin.

(289) p. 271 du Mémoire que nous analysons plus loin.(290) Pour la facilité de la composition, les références à l’enquête ont été placées entre parenthèses  

directement dans le texte. Ceci évite un trop grand nombre de notes en bas de page. Le chiffre romain  

renvoie au volume, le chiffre arabe à la page du volume où se trouve l’information. Certains renseigne

ments complémentaires ayant été ajoutés, ils sont l’objet de références en bas de page.

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Flandre orientale

A la qu estion relative au régim e alime ntaire, les C ham bres de co m

m erce de cet te province on t des réponses presque s téréotypées . « D u p ain, 

des pom m es d e terre, le café et l ’eau » répon d cel le de Sa int N ico las (II, 4 9 ) .  

« D u p ain, d es pom m es de terre, en majeure partie du lait, des légum es et 

qu elqu efois de la viand e le dim an che » répète en éc ho cel le d ’A lost (II, 56 ) . 

T erm on d e con firm e : « . . . l’ouv rier vit de pa in, de po m m es de terre et de 

lard; sa boisson habituelle est du café fort léger; les plus pauvres sont  

même privés de lard; quand à la femme et aux enfants , i ls ne vivent que de  

tartines, de café et de p om m es de terre au vinaigre; il est rare que la fam ille  

mange une soupe ou des légumes » (II , 66 ). Les m em bres de cette dernière 

cham bre n e d isent pas autre cho se; Verm eire répon d que « le régim e 

alimentaire habituel de l’ouvrier est sain: i l consiste principalement en 

café, lait beurre, pain de seigle et de froment (ce dernier en petite quantité) 

et p om m es de terre. La viand e n ’y entre que lquefois que p our une part bien  

minime, le salaire peu élevé ne lui permettant pas d’en faire un usage 

fréquent (II, 85); D ’H ol lande r a la m êm e énum érat ion : « des pom m es de 

terre, du pain noir et de la soupe au lait» (II , 94); le régime signalé par 

V an de n Steen est un peu p lus substantiel :« Le m atin, il déjeune ordina ire

m ent avec des tartines et du café; à m idi , i l m ange des p om m es de terre, du  

riz , de la soup e, de tem ps en tem ps un peu de viand e, du lard et du po isson 

sec; i l boit quelquefois un petit verre de l iqueur spiritueuse le matin et un  

verre de bière le soir, quand i l mange ses pommes de terre, mais surtout le 

dimanche» ( I I , 99) . Pour la rég ion de Gand, Mareska e t Heyman ont 

long uem ent ex pl iqué quel étai t le m ode de nourri ture des ouvriers :

« Ils se rendent à jeun à leur travail; à huit heures, ils déjeunent avec des 

tartines.

« Le dîner consiste en une soupe au lait battu ou en un potage maigre, qui est  

ordinairement préparé aux poireaux et aux pommes de terre, et en pommes de 

terre assaisonnées d’une sauce au vinaigre ou mêlées à des légumes communs, tels 

que choux, carottes, oignons, etc. Ils terminent le repas par une ou deux tartines.

« Pendant la récréation de l ’après-midi, ils prennent un repas analogue à 

celui du matin.

« Le soir, en entrant chez eux, ils mangent encore des pommes de terre et un  

morceau de pain.

« La boisson ordinaire de l ’ouvrier est une infusion faible de café à la 

chicorée, coupée d’un peu de lait. Le matin, en se rendant à la fabrique, il apporte  

avec lui, dans une petite marmite, la mesure de sa boisson pour la matinée; en  

rentrant à une heure, il apporte également la boisson destinée aux besoins de 

l’après-dinée. Il la réchauffe le plus souvent sur la chaudière de la machine à 

vapeur.« Tel est l ’ordinaire de nos ouvriers. Il subit des variations en plus ou en 

moins d’après leurs ressources. Le plus grand nombre y ajoutent de la viande et de 

la bière une ou deux fois la semaine. Les jours maigres ils mangent des moules ou

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du poisson sec (stockvisch). Ils consomment autant de pain de froment que de pain  

de seigle. Les plus malheureux trouvent moyen de réduire encore ce modeste 

régime en se servant exclusivement de pain de seigle et en ne buvant que de l ’eau.

« Les ouvriers les plus aisés, ceux qui trouvent, soit dans la nature de leur 

travail, soit dans l’absence de famille, ou dans la coopération de leurs enfants, des 

ressources plus grandes, se nourrissent d’une manière plus convenable, pour autant 

qu’ils n’aient point d’habitudes d’intempérance. Ils mangent de la viande quatre  

fois par semaine et ils assaisonnent leur dîner d’un verre de bière » (III, 378).

Flandre occidentale

On imagine que la s i tuat ion n’est pas mei l leure en Flandre occi

dentale . La Chambre de commerce d’Ypres s ignale même le se l ce qui 

indique peut-être q ue so n én um érat ion est exhau st ive : « du café , du pain, 

des po m m es d e terre et du sel » (II, 2 1 2 ) et cel le de C ourtrai signa le que « la  

nourriture de la c lasse ouvrière se com po se de pain, de po m m es de terre et  

de soupe au lait battu, a l im ent sain, m ais que m alheureusem ent la plupart  

de n os ouvriers ne peu vent pas toujours se procurer à défaut d ’occup at ion  

ou d ’un salaire suff isant » (II, 21 8 ). O n appréciera la dé po sit ion de la 

C om m ission m édicale de cette p rov ince: «L a nourriture de la c lasse  

ouvrière de la campagne se compose de pain de seigle et de pommes de 

terre, qu elqu efois de pa in de from ent; les nav ets , les carottes , les ch ou x, les 

haricots , les p ois verts v ienne nt que lquefois interrompre la m on oto nie de 

leur régim e. C ette al im entat ion, presque exclus ivem ent végétale es t cepen

dant de temps en temps variée par le lait , les œufs , la viande de porc, et 

rarement par la viande de bœuf ou de veau; au surplus , la nourri ture de 

l ’ouvrier dépend de la prospérité de-son industrie (III , 305).

Quelques années après la date de la réponse que nous venons de 

reproduire, la crise al imentaire va mettre à Pavant-plan ces navets , qui , 

se lon la com m iss ion m édica le, rom paient la m on oton ie a limenta ire des 

ouv riers des F landres; « les nav ets rem placère nt le pa in de se igle et les 

p om m es de terre » dit Jac qu em yns (291) qui a glané dan s la presse des  

années 1 8 4 6 -1 8 4 7 des données qui lui on t perm is de tracer le tableau 

suivant :

« D es m ill iers d ’individus ne m ang èrent d ’autre plat chau d q u ’une 

soupe préparée avec de la verdure de navets , du colza et un peu de farine;  

les plus malheureux arrachaient les fanes des pommes de terre et les  

la issaient boui l l ir sans aucun assaisonnement .

« D ’autres at tendaient plusieurs heures aux m archés aux p oisson s , 

pour pouvoir enlever les peaux, les têtes et les entrail les de poisson que les

(291) Jacquemyns, o.c., p. 385.

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O n n e m a n q u e r a p a s , d e v a n t l a d e s c r i p t i o n d e l a m i s è r e o u v r i è r e a u 

1 9 e s i è c l e , d ' e n t e n d r e d e b o n s a p ô t r e s d e l ' h a r m o n i e s o c i a l e p r é t e n d r e q u e 

l e p r o g r è s é c o n o m i q u e , q u i n e f a i t q u e s ' a m o r c e r a l o r s , n e p e u t e n c o r e  

a s s u r e r u n e s u b s i s t a n c e c o n v e n a b l e . C ' e s t t o u t e l a p o p u l a t i o n  —

e t n o n 

s e u l e m e n t l ' o u v r i e r   — q u i e n e s t r é d u i t à u n n i v e a u d e v i e q u i n e p e u t s e 

c o m p a r e r a v e c c e l u i q u e c o n n a î t l e 2 0 e s i è c l e .

 N o u s n e c o n n a i s s o n s p a s p o u r n o t r e p a y s u n o u v r a g e c o m m e c e l u i 

q u ' a é c r i t J e a n - P a u l A r o n s u r « L e m a n g e u r d u X I X e s i è c l e » e t q u i c o n s t i

t u e r l u i s e u l u n e r é p o n s e s u f f i s a n t e à c e t t e o b j e c t i o n . N o u s n o u s b o r n o n s ,  

c o m m e « c o m m e n c e m e n t d e p r e u v e  » à r e p r o d u i r e q u e l q u e s « M e n u s  » 

b o u r g e o i s d e l a m o i t i é d u 1 9 e s i è c l e . I l s s o n t a s s e z é l o q u e n t s p o u r s e p a s s e r   

d e c o m m e n t a i r e s .

U n c o n t r a s t e s e m b l a b l e p o u r r a i t ê t r e é t a b l i p o u r l ' h a b i t a t , l e v ê t e

m e n t . . .

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nettoyeuses jetaient auparavant comme fumier. Ces restes étaient cuits  

avec de la verdure de navets , des fanes de pom m es de terre ou des racines 

sauvages . Un jour, à N ederb rak el , on se disputa au débit de la ch air d ’un 

chien. C elle-ci fut vend ue à raison de 6  c entim es la livre. Plus de tro is cents 

malheureux ne purent être servis . I l arriva qu’on déterra des chevaux 

abattus pou r cause de m orve, et des best iaux m orts d ’ép izoot ie .

« Un jour, après un incend ie à T hielt , les pauvres des env irons, 

accourus sur les l ieu x, dévorèrent quatorze a nim aux qui ven aient d ’être 

brûlés vifs.

« Les plus pauv res ram assaient dan s la rue les épluchures de p om m es  

de terre. Pour toute vian de b eauco up m ang eaient des chats , des rats et des 

chiens. » (292)

Rappelons, une fois encore, que les Flandres sont, dans les années  

décrites par Jacquemyns, vict imes de véritables catastrophes agricoles , et 

q u ’il est bo n d e retenir essentiel lem ent les don né es de l’enq uête de 18 43  

qui se s itue avant ces événements. De plus, cette démarche permettra de  

comparer avec l’al imentation des ouvriers dans des provinces déjà plus  

avancées dans l’ industrial isation, Liège et le Hainaut par exemple.

Liège

Si l ’on en croit la Chambre de Commerce, le menu ouvrier n’est  

guère différent, c ’est « le pa in et la p om m e de terre, un peu de graisse 

commune et du sel , rarement de la viande. Le café est devenu leur besoin 

indispen sable >\ (II, 17 5). Le docteu r P eeterma ns, gén éralem ent op tim iste 

dans son rapport, est ime que « l’ouvrier se nourrit bien, [ . . . ] i l est conve

na blem en t vêtu et [. . .] il cherche à se loge r le m ieux p ossib le » (III, 1 39 ). 

Son confrèr e, le do cteu r Fo ssion , l’est m oin s : « La nourriture de l ’ouv rier, 

dans notre province , s e compose presque exc lus ivement de pommes de  

terre et de pain. L e pain do nt i l fait usage est assez b on; c’est du pain m oit ié  

froment, moit ié seigle. La viande n’entre qu’accessoirement dans l’al imen

tation de l’ouvrier; elle se vend à des prix trop élevés qui la lui rendent 

inaccessible. I l faut qu e l ’ouvrier soit assez à l ’aise po ur q ue lê dim an che ou  

deux fois par semaine, i l se procure cet al iment savoureux et restaurant; 

encore est- i l poussé fatalement à ne faire usage que des viandes les plus  

m alsain es, telle que la charcu terie (III, 86 ) [. . .] la boisson habituelle de 

l ’ouvrier est le café (87) [ . . . ] i l ne fait usage de bière qu’exceptionnelle-  

ment (87) .

La Commiss ion médicale de la province es t plus nuancée et s ignale

(292) Jacquemyns, o.c., pp. 335, 336.

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d ’abord q uatre ca tégor ies d ’ouvriers qui « vivent de pain no ir ou de pain  

bis , de p om m es d e terre le plus sou ve nt gril lées et de café » (III, 5 7 3 ). C e 

son t : « les ouv riers chargés d ’une fam ille nom breu se, m ais don t les enfants 

ne sont pas encore parvenus à cet âge où i l s peuvent apporter leur quote- 

part à la com m un au té » et ceci , « qu el que so it le salaire de ces ou vriers » ; 

« ceux qui, par paresse, par incurie ou par défaut d’intel l igence ou par un 

état valétudinaire , n ’acquièrent que peu d ’apt itude ou m an qu ent d ’act ivi té  

dans la profess ion qu’ i l s exercent;

« ceu x qui, m algré tou te l ’intel ligenc e, to ute l ’activité et la m eilleure 

vo lon té po ss ible dép ensent leurs forces et exp osen t leur vie dan s l ’exercice  

d’une profession peu lucrative et souvent meurtrière, sans en retirer qu’un 

salaire ingrat et insuffisant;

« ceux enf in qui s ’ado nnen t à une profess ion sujette au chôm age par  

les p lus légères co m m ot ion s» .

A côté de ces quatre catégories, le docteur F oss ion en dis tingue d eux  

autres d on t l ’a l im entat ion est un peu m ei lleure :

« C eux qui ne se trouven t pas tou t à fai t dans ces con dit ions d ésavan

tageuses , qui ont une femme bonne ménagère, ou qui sont cél ibataires , 

peu vent y ajouter quelque fois de la viande de porc, un p o t au feu au repas 

du soir, un peu de bière et des l iqueurs spiritueuses.

« Les m aîtres ouvriers des fab riques, des ex p loitation s m inières ou  

des établissem en ts m étallurgiqu es; les bo ns ouvriers de ces derniers étab lis

sements mangent du pain de froment bluté , de la viande de porc et de 

boucherie, des légumes bien assaisonnés, boivent de la bière, des l iqueurs 

spiri tueuses , et même quelquefois du vin» (III , 573 et 574) .

Hainaut

Autre province où l’ industrie s’est implantée, le Hainaut parait  

fournir une im age assez sem blable au po int de vue al im entaire : les pr ivi lé

giés on t un régim e plus favorable . C ’est a ins i que la C ham bre de comm erce de M o n s con state que « la classe ouvrière de notre ressort se nourrit 

hab ituel lem ent de pa in de m éteil , de p om m es de terre, d ’un peu d e lard, de 

café et de bière. Les charbon niers , quan d la hau teur des salaires le perm et, 

ont généralement un régime plus substant ie l ; i l s mangent assez fréquem

ment de la v iande de boucher ie , ne consomment guère que du pain de  

from ent et bo iven t bea uco up de bière » (II, 111 ). La Cham bre d e Charleroi 

est moins précise: « les ouvriers , en général , se nourrissent de pain de 

froment , de café au lai t et de pommes de terre. Le dimanche, i l s mangent  

de la viand e ou prenn ent du bou i llon » (II, 13 0) . S elon celle de To urn ai , les 

ouv riers en bo uc he rie : « du pain , des légu m es, rarem ent de la vian de » (II,

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14 2) , les ouvriers des tann eries et des corroyeries paraissent à première vue  

des privi légiés, « i ls o n t de la v iand e prove na nt des pea ux de la tannerie » 

(II, 146) , mais on reste sceptique sur la qualité; les ouvriers de f i lerie et  

rubaner ie m angen t « le pa in , l e s pom m es de t erre , que lquefo i s de là soupe ,  

et très rarem ent de la vian de » (II, 149 ); d an s les diverses ind ustries d ’A th : 

« le pa in de from ent , la sou pe au x légum es, les po m m es de terre , le café , la 

bière. Les uns o n t de la v iande de b œ u f trois fo is la sem aine, d ’autres deux  

fois, d ’autres une fois et i l en es t qui n ’en o n t pas du tou t » (III, 15 6); dan s  

la fabrication du ch oc o lat : « La viand e et les légum es au repas principal; la 

sou pe le m at in et le so ir ( II, 16 1); les carriers de Basècles et Q uev au cam ps : 

« Sou pes, so i t au la i t, so i t aux herbes, pain , beurre, from age, po m m es de  

terre, ca fé» (II, 16 2); fabricat ion de p orc elaine: «L a viand e au dîner, les 

légumes le so ir» ( II , 164) .

Le docteu r Scho enfeld , de C harleroi, s ignale de son cô té que l ’ouvrier 

houi l leur se nourri t principalement de pain , de café (ce l iquide prédomine 

dans son al im entat ion) et de po m m es de terre; le so ir , après sa journée, i l 

mange la soupe aux l égumes; i l ne mange de la v iande e t du boui l lon  

qu’une fo i s par semaine , l e d imanche; beaucoup s ’en passent , surtout à 

présent que les bénéf ices des journées sont très bornés» (III , 28) .

T o u t es l es d ép o s i ti o n s v o n t d a n s le m êm e sens . Ce lle d e la C o m m i s

s ion m édica le du H ainau t peut ê tre cons idérée com m e en fa isant la synthè

se :

« La n ourriture de la c lasse ouvrière du H ainau t co nsiste généra le

ment en soupe, pommes de terre et pain de se ig le pour un t iers environ de  

cette classe, de métei l pour un autre t iers, et de froment pour le troisième  

t iers. Un t iers à peu près ne mange que très rarement de la viande, et les 

deux autres t iers en font usage une fo is ou deux par semaine.

« Sa boisso n se com po se d ’eau o u t isane, de pet i t café à la chicorée , 

pur o u au la it . La trois ièm e part ie seu lem ent bo i t journe l lem ent de la bière; 

m ais n on les fem m es et les enfa nts » (III, 4) .

An v ers

La Cham bre de C om m erce d ’A nvers n uance sa réponse : « A A nvers , 

les ouvriers re çoiven t en général un salaire assez élevé p ou r se procurer un e  

nou rriture sa t isfaisante. So us ce rappo rt , la p osit ion des ouvriers mariés est 

plus ou m oin s aisée, suivan t le no m bre de leurs enfants et l ’état de leur  

santé; suivant que leur fem m e est éco no m e o u dépen sière , et qu ’el le exerce 

el le-m êm e un m ét ier ou t ienne u ne pet i te b out ique. Les ouvriers raf fineurs 

ont toujours reçu un bon salaire. La plupart se nourrissent de viande, au  

m oins trois ou quatre fo is la semaine; p lusieurs en m angent m êm e à leur

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déjeuner; le reste de leur nourriture se com p ose de pain, de po m m es de  

terre, d ’œ ufs et de po isson » . . . D ans q uelques vi lles de prov ince, le salaire 

est très m inime ; les ouv riers n ’y m an gen t de la viand e que très rarement; ils 

se nourrissent presque exclus ivement de pommes de terre qu’ i l s ont cult ivées eux-mêmes , et de pain qu’ i l s achètent chez leur chef» (II , 200) .

Le médec in du bureau de b ienfa i sance de Tu m ho ut conf irm e ces 

dernières cons idé rat ions: a l im entat ion v égétale , sau f les im prim eurs, 

mieux payés et qui mangent un peu de viande (III , 291) . La Commiss ion  

m édicale d ’A nvers d it la m êm e ch ose lor squ ’el le parle du t isserand en 

couti ls de la vi l le de Turnhout; i l se nourrit « exclusivement de pain et de  

pommes de terre; le café est sa boisson la plus ordinaire; i l ne mange 

 jam ais de v ian de n i de b o u illo n ; le salaire que son travail assidu lu i 

procure, ne lui permet pas cette dépense» (III , 191); presque tous, par 

ail leurs, sont des ouvriers à domicile.

La Société de m édecine d ’An vers do nn e un avis qui ne d iverge pas : 

« La nourriture ha bituelle de la classe ouv rière con siste g énéra lem ent en 

pain de seigle et en pommes de terre, et la boisson ordinaire est une 

infusion de café mêlé de chicorée. Parfois on ajoute à cette nourriture du  

lait battu, que lques légum es tels que na vets , carottes , har icots et p o is secs . 

D an s le plus grand nom bre des com m un es rurales de notre pro vince, il es t 

très rare que les ouvriers journaliers mangent de la viande et du poisson.  

Dans les vi l les , au contraire, les ouvriers même peu aisés , peuvent encore  

assez faci lemen t se procurer une nourriture animale , te lle que p ou m on s, 

tr ipes , fo ie de bœuf , mamel les de vache, boudins de sang de porc, moules , 

rogn ures de sto kv isch , de m oru e, etc. . . » (III, 2 3 0 ).

Comme i l s ’agi t d’une enquête d’opinion, on ne s ’étonnera pas de 

voir les m édecins de M aline s dire de la s ituation dan s cette vi lle, les uns 

q u ’el le est con ven ab le, les autres q u ’el le est déplorable. C ’est la C om m is

sion m édicale loca le qui pe nch e pou r l’op tim ism e : « le régime al imen taire 

de n os ouvriers es t généralemen t assez conv enab le; les po m m es de terre et 

le pain form ent la base de la nourriture; la b oisso n presque ex clu sive est le 

café. Ce régim e ne sub it que de rares m od if ication s à l ’ép oq ue o ù les 

légumes abondent et dans la saison des moules . L’usage de la viande, cel le 

de porc exceptée es t relat ivement peu fréquent» (III , 271) . Les médecins  

des h osp ices de M aline s son t m oins satisfaits et déclarent q u ’ « un nom bre 

plus ou moins considérable d’ouvriers sont mal nourris , mal vêtus et en  

m êm e tem ps m al logés » (III, 27 8) .

Brabant

M êm e si les app réciations de la s ituation varient, celle-ci semb le se 

reproduire pa rtou t avec une s im ilitud e qu i f init par lasser : pa in, pom m es

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de terre, café; très p eu d e vian de . C ’est ce que con state, à Lou va in, la 

Ch am bre de co m m erce : « les pom m es de terre, le pain de seigle, une fois  

par se m aine d e la vian de , l ’été d u b eurre et, en hiver, du lard fon d u » (II, 

3 6 ) .

Bruxel les ne d étonn e pas d ans cet te « harm onie » . O n p eut dire qu ’en  

génér al , déclare le con sei l de salubrité pub liqu e de la vi lle, « leur régim e  

al im entaire es t m auv ais et peu réparateur; le plus souven t , i l se com po se de  

pain d e seigle pur o u de seigle m êlé à des pro port ions plus ou m oins fortes 

de from ent ou de seigle et de fécule de po m m es de terre, de légu m es parmi  

lesque ls f igurent au prem ier rang les p om m es de terre, pu is les caro ttes , les 

haricots , les navets , etc . C es légum es son t presque toujours m al préparés, 

assaisonnés avec de mauvaises graisses et avec des condiments avariés , 

achetés à bon marché . Enf in , une infus ion ou décoct ion de café ou de  

chicorée de qualité inférieure est le nectar qu’i ls savourent avec le plus de 

dél ices , et qui leur fai t oub l ier , du m oins po ur le m om ent , les privat ions et  

les peines de leur précaire existence » (II, 64 7 ) . A près ces p rofon de s co n s i

dérations sur l’art de noyer sa peine dans la chicorée, le Conseil croit 

pouvoir af f irmer que l ’ouvrier de la vi l le jouit de moins de bien-être que 

celui de la cam pa gn e. « L’ouv rier des vi l les , avec d es salaires plu s forts , est 

m oins heureux et a m oins de bien-être que celui de la cam pagn e; quels que  

soient les avan tages que présentent les v il les p opu leuses en ce q ui regarde 

la faci l i té de se procurer les al iments les plus substantiels , la viande et le 

poisson, la c lasse ouvrière ne peut guère en jouir parce que ces al iments ,  

par leur prix élevé , so nt inab ord ab les pou r el le. . . » (II, 64 8 ).

U n avis contraire es t fourni par la C om m iss ion m édicale du Brabant 

pour laquelle « les ouvriers de la province sont généralement mal nourris; 

i ls ne m an gen t guère qu e des pom m es de terre cuites à l ’eau; rarem ent ils y 

mettent de la graisse, du beurre ou du lard. Le pain dont i ls font usage est  

sou ven t un m élange de farine de seigle et de from ent , qu elque fois de seigle 

uniquement , ou de farine de féverole; une légère infus ion de café avec du  

la i t es t leur boisson favori te . I l s sont presque constamment privés de  

substances nutri t ives animales» (II , 383) .

La C om m iss ion m édica le loca le de Bruxelles conf irm e que l es m enus 

ouvriers so nt co nfo rm es à la règle généra le : m atin et quatre heu res, légère 

infu sion de ca fé à la ch icorée , un peu d e lait , tartines; m idi et soir : sou pe  

aux pom m es de terre , aux poireaux, aux ch oux , e tc., pom m es de terre au  

vinaigre ou mélangées à des choux, carottes , navets , o ignons ou fèves . 

Parfois , en plus , une tart ine avec du fromage. A propos de la viande, la 

C om m iss ion ins is te sur la piètre qual i té des m orceau x qui écho ient parfois 

au x ou vriers : « La plupart des ouvriers m ang ent de la viand e le dim an che  

et le lundi, mais , trop souvent, au l ieu de l’acheter à la boucherie, i ls la  

prennent chez le charcutier; cette viande, fort salée, fumée, et quelquefois  

gâtée, est malsaine. S’ils l’achètent à la boucherie, l’ insuffisance de leurs

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ressources ne leur perm et pa s de fa ire un ch oix conven able; i ls do iven t se  

contenter des os , des tendons, des aponévroses , des muscles p lats , en un  

m ot de tou tes les part ies les m oins est im ées et qui ne con t ienn ent que peu  

de principe s f ibrineux, si nécessaires à la reform ation des t issus » (III, 62 2 ) .  

En ce qui conce rne le pa in, la C om m ission fait rem arquer que « la f leur que  

le bou lange r a soin d ’extraire de la farine n ’entre jam ais dans la co nfec t ion  

des pains dits de m énage; il l ’em ploie de préférence à la fabrication du pain  

de grua u, d es co u qu es, des gâ tea u x, des tartes, etc. » (III, 62 3 ). . . « q u el

qu efois m êm e, pour au gm enter le volum e et le p oid s , on ajoute à la farine  

des substances non al imentaires tels que le sulfate de chaux (plâtre) , le  

car bo na te de cha ux (craie) » (III, 6 2 4) .

N a m u r - L u x e m b o u r g

On trouve moins d’ informat ions sur ces provinces , mais la Chambre  

de commerce de Namur nous apprend pourtant que « le rég ime a l imen

taire de l ’ouv rier se réduit à du pa in, des po m m es de terre, du café, 

qu elquefois de la bière , rarem ent un peu de v iande et sou ven t du genièvre 

ou de l’eau-de-vie» (II, 190) .

D an s le Lu xem bou rg, vers la m oit ié du X IX e s ièc le , les ouvriers 

étaient égalem ent m al nourris : « le pain étai t une m ixture sous forme de  

gaufres, d e po m m es d e terre et de seigle; les sénés serva ient à faire de la 

choucroute; une soupe à base d’eau de poireaux et de pommes de terre  

addit ionnée de pain remplaçai t le premier déjeuner du mat in . Le pain se  

m an gea it sec et l ’orge su pp léait au café. La viand e ne faisait que très 

rar em en t a pp ar ition sur la t ab le » (293).

Il n ’est évidem m ent pas p os sible de traduire en stat istique la situation  

al imenta ire dont nous avons t enté de donner une idée . Mareska e t Hey-  

man, de Gand, ont s ignalé que sur 1000 ouvr iers , 187 ne mangeaient  

 jam ais de v ian d e o u à des in tervalles très é lo ign és, 2 8 5 en m a n geaien t une  

fois par semaine, 377, deux fois et 221, quatre fois(294) . Par ai l leurs,  

Q uete let a é tab l i la con som m at ion m oyenne de v iande , par personne , pour  

1 8 4 5 - 1 8 4 6 , d e l a m a n i ère su i v a n t e : a u Ro y a u m e- Un i : 2 7 k g s 5 4 6 , en  

Suède: 20 kgs 200 , en France: 20 kgs , aux Pays-Bas: 18 kgs 250 , en  

Prusse: 16 kgs 923 , en Be lg ique: 7 kgs .

Plus important que les quelques chi f fres qu’on pourrai t rassembler  

est , croyons-nous, le fait qu’à la presque unanimité, les interrogés, tous

(293) E. Vliebcrgh et R. Ulens, L'Antenne, sa population agricole au X IX e siècle, p. 130.(294) III, 379. On remarquera que le total donne 1070 et non 1000.

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appartenant à la c lasse b ourg eoise , disent que les ouvriers viven t de p om

m es de terre, de pain do nt la qualité est souv ent m ise en do ute et de café : 

unanimité également pour constater que la viande f igure rarement au  

m enu ouv rier (295). D e p lus, la qu alité de la vian de q ua nd celle-ci est 

consommée par l es ouvr iers , es t souvent mise en doute par l es observa

teurs (296).

M areska et H eym an on t résumé la s ituat ion al im entaire de l ’ouvrier 

du d ébu t des années 4 0 d ’une m anière qui peu t servir de synthèse du sujet; 

non seulement disent- i ls , les substances dont se nourrit l ’ouvrier « lui sont  

pesées d’une main avare, mais el les pèchent encore le plus souvent par la  

qualité. La viande surtout est du plus mauvais choix. Les chairs fortement  color ées et riches en o sm azô m e (297) étant au -dessus de ses m oy en s, il do it 

se conten ter des os , des ten do ns, des ap on évro ses (298), des m uscles plats et 

en général de toutes les parties de l’animal les moins est imées, et qui 

appart iennent plutôt aux al iments gélat ineux et a lbumineux qu’aux al i

m ents f ibrineux ».

Si no us exa m inon s m aintenan t ces diverses substances sous le po int  

de vue de leur com po sit ion é lém entaire , disent encore M areska et H eym an, nous trouvons :

« 1° que les al iments féculeux forment la base de la nourriture des  

ouvriers (pommes de terre, pain);

2 ° que les substances gélatineuses et albumineuses (os , aponévroses ,  

moules) ne concourent à leur al imentat ion qu’en pet i tes quant i tés ;

3° que les m at ières véri tablem ent f ibrineuses n’entrent qu ’excep t ion -  

nel lem ent dans la co m po sition de leur régim e» (III, 37 9) .

La prom otion imm obilière : bidonvil les et « cloaques im m on

des»

Bien avan t que so i t entreprise l ’enq uête de 18 43 , on avait fa i t remar

quer cette « relégation » dan s les quartiers m argina ux, de la po pu lation  

laborieuse groupée dans les vi l les; séparation entre gens aisés et gens  

pauvres que Buret avait soul ignée à propos de l ’Angleterre. A propos de  

Sun derland, p ar exem ple, B uret disait : « la vi lle est divisée en de ux parties ,

(295) Le lecteur végétarien voudra bien reconnaître que le fait de ne pas manger de viande au XIXesiècle prend un autre sens qu’à l’heure actuelle.

(296) Nous avons vu qu’il en était souvent de même pour d’autres aliments. Le café est souventpréparé avec des fèves avariées constate la Commission médicale d’Anvers (III, 216).

(297) Substance nutritive, base du bouillon (Petit Larousse).

(298) Membrane blanche résistante qui enveloppe les muscles et sert à les fixer aux os (PetitLarousse).

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l ’une haute, l ’autre basse, la première occupée par les habitants aisés , la  

sec on de pa r la p op u lation de s ou vriers » (299).

Dès 1828, le docteur Courtois notai t qu’à Liège, dans la part ie  centrale d e la ville, « les rues so n t en génér al fort étr oites, i l y en a 

bea uco up , surtout dans la vi lle basse et dans le quart ier d ’O utre-M euse o ù  

le solei l ne pénètre presque jamais , où l’air ne circule pas, ou forme des  

courans violens et les eaux croupissantes y exhalent en été une odeur  

infecte. Aussi , dans ces ruelles populeuses, habitées par la dernière classe,  

la plupart des individus sont pâles , bouffis , scrofuleux et rachit iques. La  

puberté y est tardive et la leucorrhée très commune. La disposit ion inté

rieure n ’est pa s plus favo rab le que l ’extérieure : un e fou le d ’individu s de  

tout âge, de tout sexe sont souvent rassemblés dans des pet i tes chambres  

obscu res. O n se ferait diff icilem en t une idée de la m isère et de la m al

propreté qui règne dans ces galetas; et cette dernière ajoute encore aux  

cau ses de m ala die s » (30°).

Situation sem blab le à V erviers: « C e que j’ai dit de la classe infé

rieure de la ville de Liège, écrit le m êm e, peu t s’ap pliquer ju squ ’à un certain 

point ici , avec cette différence que la propreté y est beaucoup plus recher

chée , et q ue cette classe e st be au co up plus labo rieu se » (301).

A la m êm e date , le docteur Lebeau con statait la m êm e s ituat ion dans  

la ville de H u y. Ici, la rue des A ug ustin s, large et bien or ientée « est form ée  

de m aiso n s plus va stes, o ccu pé es p ar des ha bitan ts aisés » (302). Il en est de  

m êm e de la rue du M ar ch é-a ux -bê tes (303). Par con tre, le qua rtier de la rue 

du Fort représente l’autre volet , la rue du Til leul , notamment, « excessive

ment malpropre, presqu’exclus ivement habitée par la c lasse indigente , don ne p assage à plusieurs ruisseaux qui descendent des m ontag nes , et qui, 

l ’ inondant à la moindre pluie , y entret iennent une humidité cont inuel

le » (304). Le qu artier de l ’A p lez , « situé à l ’extr ém ité no rd de la rue du F ort,  

vo isin de la M eu se, et bâti sur un sol très bas, est encore un de ceux d on t  

l ’insalubrité d oit d ’autan t plu s f ixer l ’attention des m agistrats que l’état  

misérable de presque tous les habitants les expose davantage aux fréquen

tes causes de maladies qui s’y développent. Les vingt à trente masures qui 

s’y trouvent contiennent chacune quinze à vingt individus, l ivrés à la plus  

grande misère et à tous les vices qu’elle engendre. . . » (305). Le quartier de  

Statte « form e u ne rue long ue et étroite do nt les m aison s, élevées, ma l

(299) Buret, D e la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France,  édition de Bruxelles à

la Société typographique, p. 474, col. 1.(300) R Courtois,  Recherches sur la statistique de la prov ince de Liège  ,  1828, tome 2, p. 190.

(301) Courtois, o.c., p. 193.(302) Docteur H. Lebeau, Topographie médicale du canton de Huy,  Liège, 1828, p. 38.

(303) Id., p. 39.(304) Id., p. 43.

(305) Id., p. 48.

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bât ies et en grande part ie ha bitées par la c lasse ouvrière ( . . . ) Les habitants 

de cet te part ie de la v i l le son t rema rquables par leur const i tut ion lym ph a

t ique e t par une d i spos i t ion prononcée aux engorgements des g landes  

pulm ona ires et m ésintériques qui , chaq ue année, y fon t périr un grand  

no m bre d ’indiv idu s » (306 307).

A Amay, « la p lus grande part ie des maisons qui occupent la val lée  

sont très rapprochées de la col l ine et sont habitées par des personnes  

aisées . Le f lanc et le sommet de la montagne sont couverts de cabanes,  

généralem ent occ up ées pa r des ouvriers de h oui llères et d ’alunières , les

quels, faute de travail , sont réduits en ce moment à l ’état le plus miséra

b l e » ^ 07).

L’enquête de 1843 ne révèle pas une situation différente. L’exiguïté  

des logements ouvriers est presque généralement soul ignée bien que les  

Chambres de Commerce répondent souvent de manière impréc i se à la  

qu est ion relat ive à la man ière do nt l ’ouv rier est logé. V oici d ’abord la 

substance de ces réponses :

 Louvain  : assez bien (II, 36); G and  : il est impossible de répondre à cette 

question (II, 42); S t  Nicolas : assez bien (II, 49); Termonde  : passablement (II, 66); 

Vermeire, de Termonde: assez proprement, avec cette préc ision: «u ne maison  

occupée par une famille ouvrière compte ordinairement deux pièces, un grenier et  

une petite étable » (II, 86); d’Hollander, de Termonde  : pauvrement; Mons : « dans 

des maisons basses, humides et malsaines» (II, 111); TQurnai : fabrication de 

bonneterie : « la salubrité laisse beaucoup à désirer chez plusieurs; cet état est 

d’autant plus préjudiciable, qu’ils sont constamment dans leurs habitations, dont 

plusieurs sont peu aérées, et que leurs métiers se trouvent le plus souvent dans la  

même pièce où couche la famille et où l’on fait le ménage, enfin où tout se fait, pour  

ceux qui n ’ont qu ’une seule pièce » (II, 142) — tanneries et corroyeries: très mal; « une chambre le plus souvent pour une famille » (II, 146) — fileries et rubaneries : 

très mal; «,une chambre pour toute une famille, très souvent un seul lit pour père, 

mère, filles et garçons » (II, 149) — diverses industries : l ’ouvrier travaillant dans 

les grands établissements industriels est généralement assez bien logé (II, 156) —  

fabriques de chocolat et com merce d ’épicerie : fort mal; « une chambre ou deux 

pour toute une famille» (II, 161) — fabriques de porcelaine: la plupart des  

chambres ne sont pas fort saines (II, 164) — filatures et tissages de coton : assez 

mal (II, 166);  Liège : «mal, une même pièce sert d’habitation, de cuisine et de 

chambre à coucher pour les parents et les enfants » (II, 175);  Anvers  : presque tous 

bien logés (II, 201); Ypres  : mal logé, mal couché (II, 213).

Les rapports des commissions médicales conf irment pour la plupart  

l ’existence d’une seule chambre par famil le . Le docteur Fossion, de Liège,  

le signale (III, 88). « D an s les gran des vi l les com m e A nvers, u ne seule  

maison est presque toujours occupée par plusieurs ménages d’ouvriers ,

(306) Id., p. 48.

(307) Id., p. 64.

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Quand Mr Appert visitait Verviers le 30 mai 1848.

« La famille Biolley, qui inventerait le bien si l’Evangile ne l’enseignait 

aux riches, a vou lu mettre le com ble à sa prévoyante sollicitude, en construi

sant deux vastes rangées de bâtiments divisés, et formant un grand nombre 

de petites maisons ayant chacune une chambre, une cuisine, un petit corridor 

au rez-de-chaussée, une chambre et un grenier au premier, et, un joli jardin 

derrière la maison. J’ai visité un de ces logements où se trouve un ouvrier  

avec sa femme, ses enfants et sa/n ère, parfaitement à l ’aise, et comme le loyer 

est de 100 francs par an et que trois personnes et l’aîné des enfants travail

lent, on le retient facilement par petites parties sur le gain des journées. »

(Voyage en Belgique, dédié au Roi, p. 148.)

« Pour suivre l ’ordre de mes visites, je dois parler du Château des 

Masures, auquel je me suis rendu d’après l’aimable et prévenante invitation  

de son digne propriétaire, M. Edouard Biolley.« Cette magnifique propriété, située à un quart de lieue de Pépinster,  

entourée de plus de deux cent cinquante hectares de forêts et jardins d’une 

grande beauté, est vraiment royale.

« Le château gothique, dont l’origine paraît remonter au roi Pépin, a  

été augmenté et embelli, dans le même style, avec une recherche, un talent 

qui donnent la plus haute idée du goût du noble propriétaire, son principal 

architecte et créateur. Les meubles, les ornements intérieurs, les tenturès, les  

mille objets curieux de ce château hospitalier, sont d ignes de l’admiration des 

connaisseurs et donnent l’appréciation des sommes considérables employées 

pour réunir tous les genres de curiosités. Un châlet suisse, véritable ferme 

habitée par une famille intéressante, le bassin, les cours d’eau, les ponts, les  

prairies et surtout la délicieuse chapelle, forment un ensemble séduisant et 

grandiose. »

(Voyage en Belgique, dédié au Roi, pp. 145-146.)

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chaque famil le n ’ayant ordinairem ent à sa disposi tion q u ’une seule cha m

bre » (III, 2 3 1 ), d éclare la soc iété de m éde cine de cette ville. C ’est aussi la  

con statat ion du C on sei l de salubrité pu blique de B ruxe lles : « le plus 

souvent, l ’ouvrier ne possède pour lui et sa famil le qu’une seule pièce qui 

sert à tous les besoins du ménage; cette pièce, fréquemment trop exiguë 

pou r le nom bre de perso nn es do nt se com po se la famil le , se trouve à l ’étage 

ou au rez de chaussée; au rez de chaussée, el le est presque toujours  

carrelée, froide, et présen te sou ven t des m urs ruisselants d ’hum idité; à  

l ’étage , el le est ord inairem ent planch éiée, plus chaud e et plus sèche; m ais 

dan s l ’un et l ’autre cas , on n ’y respire q u ’un air pr ofon dé m en t altéré dan s  

sa c o m p o si t io n . . . » ( II, 650 ) .

La qualité du logement ouvrier fait surgir les mêmes qualif icat ifs  

sous toutes les p lum es. H ab itat ions « étroi tes , hum ides, froides et som

bres » (C om m ission m édicale d ’A nve rs, III, 2 16 ); «resserrée s, froides et 

hum ides » (Cham bre de C om m erce de Liège, II, 174); « basses , hum ides, 

resserrées , froides sans a ir et sans lumière» (Commission médicale du  

H ainau t , III, 5) . M areska dén om m e « c loaqu es im m ond es » ce q u ’on dési

gne sous le nom d ’en clos ou d ’impasses (III, 38 6) où son t s ituées 3 .5 8 6 des 

14 .372 maisons que compte Gand à l ’ époque; «I l ex i s t e , en outre , dans 

notre vi l le 2 2 6 caves hab itées. A insi , le quart , et nous oserion s dire le tiers 

de la population se trouve entassé sur une superficie qui ne forme sans 

doute pas la trois centième partie de cel le de la vi l le» (III, 389) .

Le travai l leur à domici le , dont l ’habitat ion doi t en même temps  

fournir abri à la famille et l ieu du travail , est dans une situation particuliè

rement pén ib le . « . . . sa m aison es t trop pet it e pou r lu i e t sa fam ille , 

rapporte la C om m ission m édicale d ’An vers; la p ièce où se trouve son 

m étier sert en m êm e tem ps de cham bre à couch er et est encom brée d ’effets 

de tou te espè ce » (III, 19 1). Fa ut-il ajou ter qu e les desc riptions de m ob iliers  

so n t à l ’avenan t; les con sidéra tions du co nse i l central de salubrité pu blique  

de Bruxelles ref lètent assez bien ce qui se retrouve un peu partout .

Les ouvriers, dit le Conseil, n’ont « pour reposer leurs membres, fatigués par 

le travail, qu ’un affreux grabat, qu ’une espèce de large bac contenant une méchante 

paillasse sur laquelle s’étendent, pêle-mêle, père et mère, garçons et filles, qui la tête au chevet, qui la tête au pied du lit, et n’ayant pour se garantir du froid qu’une sale 

et grossière couverture, souvent en lambeaux. Certes, nous ne pouvons pas nous  

arrêter à faire le triste tableau de ce que nous avons vu dans ce genre; mais nous 

voulons, au moins, en donner un échantillon qui résume assez bien la condition 

d’une infinité de familles ouvrières. Dans une commune voisine de la ville de  

Bruxelles, vit une famille composée du père, de la mère et de sept enfants, dont  

l’habitation est sise en pleine campagne; le père, la mère et deux filles de l’âge de 

douze à quatorze ans environ, exercent la profession de tisserands en coton. Leur  

logement est au rez de chaussée et se compose d’une petite pièce carrée dans laquelle se trouvent deux métiers à tisser qui en remplissent tout l’espace, puis 

d’une espèce de réduit attenant à cette pièce et juste assez grand pour contenir un 

métier; c’est dans ce réduit que la famille a trouvé moyen de se loger la nuit, en

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fixant au dessus du métier, et à 80 centimètres environ de distance du plafond, un 

immense bac garni d’une mauvaise paillasse; c’est dans ce réduit encore que nous 

avons rencontré les provisions du ménage, consistant en quelques légumes, plus 

quelques lapins vivants partageant et corrompant avec la famille l’air déjà si peu  

salubre de cette pièce. Le pauvre ménage dont nous nous occupons ne mange 

 jamais de viande; sa nourriture se compose exclusivement de pain, de pommes de 

terre et de faible café au lait. . . (II, 653).

La s i tuat ion est assez semb lable à Liège : « . . . les pièces son t basses , 

ha bituel lem ent en fum ée s», qu ant au m obi l ier , le C onsei l de salubrité 

pu bl iqu e de Liège écrit : « . . . les li ts son t de m isérables grabats dég oû tant  

de m alpr op reté » (III, 88) . La Commiss ion médicale de la province de  

Liège établ i t pourtant des nuances dans la manière dont les ouvriers sont 

logés. I l y a d ’abord les « ouvriers chargés d ’une fam ille no m bre use, m ais 

do nt les enfants ne sont pas en core parvenus à un âge où il s peu vent  

app orter leur qu ote-par t à la com m un au té » ; ceu x-ci ha bitent « une cave, 

une mansarde, une chambre mal éclairée, de quelques pieds carrés dans  

une rue étroi te et populeuse ou dans une gorge humide servant à toute la 

fam il le , aux m alades com m e à ceux qui sont en santé , à la fem m e, au m ari, 

aux enfants des deux sexes e t même aux animaux domest iques . Ceux-c i 

partagent la couche de la famille qui consiste le plus souvent en une l i t ière 

de pai l le q u ’on ne renouv el le qu e lorsqu ’elle es t convert ie en fum ier».  

Ensuite , les ouvriers « qui on t une femm e b onn e m énagère, ou qui so nt  

cél ibataires», i l s habitent «des chambres plus grandes , mieux éclairées , 

moins humides , une pai l lasse mei l leure mais toujours encombrement et 

situation m alsa ine » . Enfin, les m aîtres-ouvriers et les bo ns ou vriers des 

mines ou de la métallurgie sont mieux logés (III , 574).

A quoi les personnes interrogées attribuent-el les cette s ituation dé

plorab le de l’ha bitat ouvrier? Pour le do cteur M aresk a (Gand) « les m an u

factures sont la cause indirecte de l’existence des impasses puisque partout  

on les vo it naître et se mu ltiplier a vec elles et la crainte de po rter atteinte au  

dro it de la pr op riété les a fait tolérer » (III, 3 9 1 , 3 9 2 ). M ais la cup idité des  

prop riétaires est m ise en cause. C ’est ainsi que la C om m ission m édicale de  

la Flandre occidentale, bien qu’el le pense que les habitations des ouvriers  

de la province réunissent toutes les condit ions désirables de salubrité, 

adm et qu ’il exis te n éanm oins des excep t ion s assez nom breu ses , « surtout 

po ur la por tion la plus pau vre de cette classe de la po pu lation ».

Ces infortunés, dit la Commission, séjournent dans de misérables chaumiè

res construites avec quelques morceaux de bois et du limon; le chaume qui les 

couvre garantit à peine de la pluie et du vent; il n’y a ni planche, ni pavement et il 

arrive souvent que le sol de ces habitations est couvert d’une boue infecte qui 

exhale une odeur méphitique et rend ces tristes réduits d’autant plus insalubres 

qu’ils abritent tous les animaux domestiques qui appartiennent à la famille. Cet 

état de choses ne se voit pas seulement à la campagne mais il existe aussi dans les  

villes des emplacements où séjournent quelquefois jusqu’à cent personnes éparses

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dans de misérables taudis qui ne sont guère plus salubres que les habitations dont  

nous venons Je parler. Il est vraiment déplorable, conclut la Commission, de voir  

 jusqu’à quel poin t est poussée la cupidité de certains propriétaires qui, pour faire 

valoir leurs capitaux, extorquent à ces infortunés des loyers qui dépassent le plus  

souvent leurs moyens et leur donnent pour abri des repaires dont la description., 

quoique fidèle, ne rencontrerait que des incrédules, tant elle serait hideuse » (III,  

305).

Droit de propriété souverain , cupidi té des propriétaires . . . de toute  

façon, c’est la spéculat ion du type capital iste qui est mise en cause' La  

C om m ission m édicale de L iège le soul igne : « Les hab itat ions des ouvriers 

de la prov ince son t en général ma l ord on nées, m al construites et insuff isan

tes. D an s les cam pa gn es, c ’est sur les terrains les plus hu m ides, les plus ba s; 

dan s les vi l les, c ’est dan s les rues les plus étro ites, les plus to rtue use s qu ’on  

élève les con struct ions qui d oiven t donn er asi le à la c lasse ouvrière , parce 

que les terrains d on t le prix est le m oins é levé sont les p lus favorables au x  

spéculat ions de cet te nature. Ces construct ions se font sans survei l lance  

au cun e » (III, 58 0 ).

V oi là qui suf f it , croyo ns-n ou s, à s ituer la qual i té du logem en t ouvrier  

à l’ép oq ue ; logem ent? ou p lutôt , des réduits qui « représentent fort bien un  

tombeau vivant où viennent se reposer les malheureux ouvriers après  

douze heures de travai l» (Commission médicale de Bruxel les , III , 631) .  

C’est au point que Desmaisières , gouverneur de la Flandre orientale  

adresse le 27 jui l let 1844 une c irculaire aux administrat ions locales dans  

laquel le i l recommande aux bureaux de bienfaisance de fa ire de temps en  

temps « blanchir à la chaux l’ intérieur des habitat ions des pauvres » et de  

fournir « à ceux qui so nt dép ourv us de l i teries de la pa ille de co u ch age » (308). Q ue lqu es an né es plus tard, le journal qu otidien « Le H aina ut » 

(9 mars 1 84 9) don nera de l ’hab itat de la c lasse indigente m on toise une  

descr ipt ion q ui vaut ce l le de M areska p ou r Ga nd :

« ... Notre intention n’est pas de faire le tableau de l’aspect hideux que  

présentent certaines parties de ces quartiers populeux, de décrire les quelques 

cloaques d’insalubrité qu’ils renferment, ces maisons où la lumière ne pénètre que  

difficilement et où l’air constamment vicié tue les plus fortes organisations; de conduire nos lecteurs dans ces ruelles et ces impasses aux noms caractéristiques et  

qui sont presque les mêmes dans toutes les sentines séculaires de l’insalubrité des  

villes, sur une place dite des pestiférés ou dans ces vastes pandémonium de la misère, 

dont l ’un a nom Troustoufi; — de pénétrer avec eux dans ces constructions pourries 

par des suintements pestilentiels, de leur montrer ces murs rongés par les insectes, les 

escaliers sur lesquels le p ied glisse dans une b oue infecte, ces fenêtres qui s’ouvrent 

sur des cours, sortes de fosses de quelques pieds carrés où l’air s’imprègne d ’émana

tions fétides... »

(308)  Mémorial administratif,  1844, 2e semestre, p. 246.

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U n espo ir de vie m oins grand qu e sur le cham p de bataille de 

Waterloo

La situation al imentaire et cel le de l ’habitat laissent assez présumer 

ce que pou va it être la santé des ouvriers du X IX e. L’enq uête de 1 843 com

prena it un e q uest ion ainsi con çu e : « que l est, en gén éral , l ’état de san té de  

vos ouvriers, et en particulier celui des enfants? ». On est assez étonné de 

lire les répon ses d es industrie ls à cet te qu est ion. U n pou rcen tage im portan t 

se déclaren t sat isfaits de l ’éta t de santé des o uvriers.

La Chambre de commerce de Bruxelles affirme que les réponses sont una

nimes; « tous les ouvriers jouissent en général d’une bonne santé, et plus particulièrement encore les enfants » (II, 23); elle ajoute que le travail assigné aux enfants

 

« est un exercice manuel utile, propre à les développer et nécessaire pour en former 

plus tard de bons ouvriers dans la branche qu’ils ont embrassée » (II, 24). L’état  

sanitaire dans les fabriques est caractérisé de « très satisfaisant » par cette Cham

bre; la cause essentielle des maladies, c’est la boisson (II, 24).

Pour la Chambre de Louvain, la santé est, en général, assez bonne (II, 35),  

selon celle de St Nicolas, « l’état de tous est satisfaisant» (II, 49), Alost: bon (II, 

55), Term onde (verreries) : satisfaisant (II, 85), Term onde (d’Hollander) : très 

satisfaisant (II, 94), Termonde (Vandersteen) : généralement bon (II, 99).

A Tournai, les industriels se déclarent généralement satisfaits également: 

dans la bonneterie la santé est assez bonne (II, 142), chocolaterie et commerce 

d’épicerie: très bon (II, 161), fabriques de porcelaine: en général les ouvriers se  

portent bien (II, 163), fabriques de chaux et extraction de pierres: fort bon (II, 

165), filature et tissage de coton : satisfaisant (II, 167), industries du canton d’Ath : 

parfaitement bon (II, 156).

Quel crédit faut- i l accorder à ces opinions? Les industriels avaient 

évide m m ent to ut intérêt à se déclarer sat isfaits de la san té de leurs ouvriers. 

Il y en a m êm e un — dans une fabr ique de grains de p lom b du Braban t—  

qui déclare que les ouvriers n’éprouvent aucun inconvénient de ce travail;  

lui-m êm e cep end an t « n ’a jama is pu s ’y faire et i l a été très grav em ent  

m alade au com m encem ent , à t el po int que sa v ie a é té en danger . M ainte

nant encore i l ne pourrait rester dix minutes dans l ’atel ier, sans se trouver  

incom m od é et sans éprouver d es dou leurs à la région épigastr ique » (II, 

4 5 7 ) .

I l faut reconnaître pourtant que certains employeurs constatent des  

déficiences sanitaires; l ’un d’eux (t issanderie de l inge damassé et nouveau

tés , à M olen be ek St Jean) ad m et que « l ’expérience est venu e dém ontrer  

l ’existenc e d ’abus regrettables. Les enfants restent gén éralem ent chétifs et 

perd ent de b on ne heure leurs facultés ph ysiques et m orales » (I, XII) . Un  

autre (filatures d e laine à E lvau x) d éclare q u ’il est « év ide nt que le travail à 

un âge trop tendre, ou l’excès à un âge trop avancé, ont sur les pet its  

malheureux qui y sont soumis, l ’ inf luence la plus désastreuse» (I , XIV) . 

Déjà quelques années avant l ’enquête , le docteur Courtois avai t évoqué le

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travail des femmes dans les fabriques de draps à Verviers; là, écrivait-il , les  

femm es qui son t em ployée s à fa ire m ouv oir les m achines à tordre « péris

sent presque tou tes d ’anévrisme du cœu r. C et exercice pén ible et cont inu el  

des bras amène nécessairement une congest ion de la poi tr ine qui f in i t tôt  ou tard par devenir funeste. On voit par là que ce n’est pas seulement à  

Liège que les femmes du peuple sont employées à des travaux pénibles ce  

qui avait fait dire aux anciens auteurs que Liège était Y e n f e r d e s f e m

m e s   » (309). D an s l ’enq uête, la C ham bre de com m erce de cette dernière  

vil le co ns tate e nco re q ue « l ’état de santé des o uvriers et des en fants 

présente plus d ’un côté af f ligea nt» ; la Chambre est im e po urtan t « q u ’il 

faut m oins l ’im puter à la profess ion q u’ils exercent qu ’aux ha bitat ions qui 

son t ord inairem ent resserrées, froides et hum ides » (II, 1 74 ) . A T ou rna i , la 

Chambre de commerce reconnaît que dans les laineries et corroyeries,  

l ’état sanitaire n ’est guère bon, «b eau cou p sont scrofu leux » (II, 146);  

dans les fi leries et rub aneries, « les ou vriers son t en généra l m alingres et 

d ’une com plexion qui anno nce peu de force phy sique, les enfants sont  

disposés au rachiti sm e, beau coup so nt scrofuleu x» (II, 149 ) .

M ême*du côté m édical, les constatat ions son t plu tôt opt im istes . C ’est 

ainsi que pour le docteur Peetermans, de Seraing, « la population ouvrière  

du bassin de Seraing présente en général une const itut ion robuste et pleine  

de vie . La ph ysion om ie, la d ém arche et la gaieté de l ’ouvrier indiqu ent  

assez le degré d’aisance dont i l jouit , malgré les temps diff ici les dans  

lesquels n ou s v ivon s et tou t fait croire q u ’hab itué au travail , i l souffre peu  

des peines du labeur journal ier dont la durée a cependant augmenté ,  

surtout dans les charb onn ages» (III, 1 1 7 ) . . . «C e qui prouve encore , 

ajoute-t- i l plus loin, que la const itut ion physique de nos classes ouvrières  est bonne et que le travail qui remplit toute leur existence ne détériore pas  

cet te const i tut ion autant qu’on le croi t b ien, c’est que nous possédons un  

assez bon nombre de viei l lards, verts encore, parmi les femmes surtout , 

lesquel les ont néanmoins leur part dans les travaux industrie ls de toute  

esp èce » (III, 11 9) . Le docteur M ercier , de la Co m m ission m édicale de 

N am u r est d ’un avis sem blable p u isq u ’il est im e que les habitants de la  

prov ince de Na m u r « et ses ouvriers en particul ier sont doués d ’une bon ne  

con stitutio n e t qu e l’état sanitaire laisse peu à désirer » (III, 170 ).

A peine plus nuancée apparaît la déposi t ion du Consei l central de  

salubrité publique de Bruxelles pour lequel « la const itut ion physique des 

ouvriers est , en général , bonne, à part les ouvriers de quelques établisse

m ents plus o u m oin s insalubres, à part ceux qui étaient déjà d’une con st i

tut ion plus ou moins mol le et chét ive en commençant leur carrière indus

(309) R. Courtois,  Recherches sur la statistique physique , agricole et médicale de la province

 Liège, tome 2, p. 178.

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triel le, on peut dire qu’i ls offrent presque tous des apparences de santé et  

de force. Voi là ce qui es t vrai , quand on cons idère la populat ion ouvrière 

en m asse; ma is si l ’on descend au x détails, s i l ’on exa m ine cet te pop ulat ion 

dans q uelques travaux spéciau x, d ans q uelques industries part icul ières , le 

tableau devient plus aff l igeant; alors disparaissent les apparences de la 

santé et de la vigueu r, alors se présenten t à l ’observ ateur d es teints hâv es et 

décolorés , des const i tut ions débi les , épuisées , rabougries , etc .

« Relat ivement à la masse, ce sont des except ions , nous le répétons;  

mais les except ions sont nombreuses , très nombreuses , et i l importe de les  

signaler à l ’attention et à la sol l icitude du go u ve rn em en t» (II, 5 6 6 ).On est un peu étonné de cet te appréciat ion générale qui ne corres

pond guère avec le tableau de l ’hygiène industrie l le dont nous parlerons  

dan s un instan t. Il co n vien t cepe nd an t d ’attirer l ’atten tion sur le fait que les 

statist iques de mil iciens ajournés ou exemptés, recueil l ies par plusieurs  

médecins et l ivrées à la Commiss ion d’enquête indiquent souvent un  

pou rcentage plus im por tant de m ilic iens réformés d ans les dis tr icts ind us

triels . C’est ce qu’a montré par exemple le docteur Fossion, de Liège à  

travers ce tableau (III, 47 à 60) :

Miliciens ajournés ou exemptés définitivement pour 

maladies ou infirmités physiques

Années District de District de District de District de

LiègeVerviers Huy Waremme

(partiellement (partiellement (agricole) (agricole)

industriel) industriel)

un milicien exempté sur:

1836 6,39 10,24 13,88 12,90

1837 7,62 11,06 12,52 13,79

1838 9,75 10,97 14,63 16,55

1839 7,81 7,78 13,53 12,32

1840 9,64 13,04 15,79 15,90

1841 8,06 13,55 23,41 19,48

Moyenne 7,90 13,10 15,11 14,98

F ossion a aussi com pa ré la m ortalité de différentes régions et arrive à 

la constatation qu’el le est plus forte là où l’ industrie est plus largement  

implantée, les cantons les plus agricoles (Huy et Waremme) ayant la 

m orta lité la p lus fa ible (III, 56 ) :

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Années Ville de Ville de Ville de District District District DistrictLiège Verviers Huy agricole

deagricole

deagricole

deagricole

deLiège Verviers Huy Waremme

Un décès sur ... habitants1830 32 26 33 39 37 46 38

1831 31 32 40 45 44 57 51

1832 31 31 31 41 41 51 52

1833 27 18 35 36 34 45 49

1834 24 18 32 27 22 34 38

1835 27 32 31 35 42 43 47

1836 30 27 38 38 41 47 51

1837 27 25 34 35 35 44 41

1838 28 31 37 38 44 47 48

1839 27 27 36 27 42 46 421840 32 25 37 35 39 50 42

1841 32 26 34 43 39 49 431842 31 25 34 36 , 38 52 50

Moyennedes 29,15 26,39 34,77 36,54 38,31 47,00 45,54

13 années

Pou r le H ain au t (310), l’ingén ieur des m ines Bidau t a éta bli un e statis

t ique montrant que les cas de réformes sont beaucoup plus é levés chez les  

h ou illeurs et les verriers (II, 2 7 2 ) :

Professions nombre de miliciensprésentés acceptés exemptés 

ou ajournés

Houilleurs 123 85 38

Journaliers 39 35 4

Voituriers 6 6 —

Cloutiers 24 23 1

Briquetiers 2 1 1

Tailleurs d’habits 3 3 —

Plafonneurs 10 10 —

Forgerons 16 . 15 1

Cordonniers 5 5 —Verriers 24 18 6

Menuisiers 3 3 —

Carriers et tailleurs de pierres 24 21 3

Le docteur M aresk a, de G and, a égalem ent établ i une statist ique des 

réformés et bien qu’i l croit à l ’ influence des «factoreries» sur l’état de

(310) Exactement pour Dampremy, Roux, Jumet, Lodelinsart, Gilly, Montigny-sur-Sambre,ciennes, Lambusart, Felui et Arquennes.

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santé des ouvriers , on sent pourtant une tendance à en minimiser l ’ impor

tance : « La preuve que n ous avon s fourn ie de la détériorat ion con st i tu

tionnelle de nos ouvriers , dit- i l , fait présumer que le travail , dans les 

factoreries , n’est pas sans influence sur le grand nombre de difformités 

constatées à Gand par le Consei l de recrutement . Cependant , i l serai t 

injuste d e m ettre cet te aug m entat ion sur le com pte de l ’industrie seule . 

D ’abord , les réform és dans les di fférentes local i tés n e son t pas en pr op or

tion aveè l’extension que l’ industrie y a prise; ensuite, trop de causes 

tendent à augmenter progress ivement , surtout dans les grandes vi l les , 

l ’af faiblissem ent des con st itut ions , po ur q u ’on p uisse cons idérer le nom bre  

é levé des exempt ions comme provenant uniquement de l ’ extens ion du  

système manufacturier» (III , 408) .

Le tab leau établ i par M areska est celui -c i :

Villes Exemptions sur 100 

pour défaut pour défauts de taille corporels

Total sur Population 

100 en 1840

Gand 15,34 26,87 42,21 93,421Audenaerde 16,66 11,53 28,19 5,614

Alost 20,81 20,82 41,63 14,787

Termonde 16,80 13,60 30,40 7,786

Saint Nicolas 25,09 13,86 38,95 18,477

Lokeren 21,54 13,00 34,54 10,289

Renaix 40,31 13,04 53,33 12,489

Grammont 22,95 18,03 40,98 7,243

Ninove13,11 16,39 29,50 4,446Deinze 21,31 18,03 39,34 3,640

Eekloo

Arrondissements

17,24 21,37 38,61 8,947

Gand 20,80 18,08 38,88 264,069

Audenaerde 29,84 10,54 40,38 111,227

Alost   2 1 , 1 2 15,34 36,46 135,747

Termonde 17,35 13,16 30,51 93,624

Saint Nicolas 19,57 13,50 33,07 111,176

Eekloo 20,95 16,82 37 ,77 53 ,564

Il y a donc une partie des répondants à 1’enquête qui non s eu lement

paraissent opt imistes , mais on croi t percevoir une tendance assez pronon

cée à disculper l ’ industrie . La Commiss ion médicale de la province de  

Liège qui es t convaincue que beaucoup d’ouvriers industrie ls ont une 

co ns titution p référable à cel le d es ouvriers agricoles , estime q u ’« on ne 

peu t attribuer ces résultats qu ’au b ien-être que procu re le salaire plus élevé  

des ouvriers des établissements métallurgiques, salaire qui leur donné la

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po ssibil i té de se procurer des a l im ents plus nu trit ifs et des ha bitation s plus 

confortables» (111 ,493) .

Des témoignages en sens contraire at ténuent pourtant l ’ impress ion  

première que la s ituation industriel le est plus favorable que le travail  

agricole à la santé de l’ouvrier.

Ainsi, la Commission médicale du Brabant, croit que « si les travaux agrico

les, renfermés dans de justes limites, sont plus propres à entretenir la santé floris

sante qu’à produire des maladies, il n’en est pas de même de ceux qu’exige 

l’industrie des villes [. . .] si nous avons vù les campagnards jouissant d’une bonne  

constitution physique, nous ne pouvons en dire autant de la classe ouvrière de nos  

villes » (II, 356).

« Les travaux agricoles, dit le Conseil de salubrité publique de Liège, sont  

tous compatibles avec le libre exercice des organes et la vigueur de la constitution.  

Les ouvriers qui s’y consacrent exclusivement sont, en général, plus forts que les 

artisans et les ouvriers employés à la grande industrie : cependant, ils ne sont pas 

non plus tout ce qu’ils pourraient être» (III, 45).

« Quoique l ’homme des champs supporte pendant une bonne partie de 

l’année des fatigues poussées quelquefois à l’extrême, affirme de son côté le 

rapporteur de la Commission médicale de Namur, il se trouve, cependant, sous le 

rapport hygiénique, dans des conditions de santé que l’on ne rencontre plus chez  celui qui est employé dans les fabriques, principalement lorsqu’elles ont leur siège  

dans les villes » (III, 172). Et celle d’Anvers a constaté qu’« en général, les individus  

occupés aux travaux agricoles sont plus robustes» (III, 217), constatation qui 

ressemble fort à celle des médecins des hospices de Malines : « les ouvriers occupés 

aux travaux agricoles jouissent généralement d’une complexion plus robuste et 

d’une santé plus florissante que ceux employés dans l’industrie » (III, 275). C’est ce 

que pense également le médecin du bureau de bienfaisance de Turnhout (III, 285).

« Les personnes vouées aux travaux agricoles sont, toutes choses égales 

d’ailleurs, déclare la Commission médicale de la Flandre occidentale, d’une constitution meilleure et plus robuste, d’un caractère plus énergique, plus franc, plus  

 jovial, que celles qui travaillent sédentairement dans les établissements industriels » 

(III, 301).

Quelle est l ’ importance du facteur travail industriel par rapport à la  

concentrat ion en habitat urbain, là où les opinions sont plutôt négat ives  

vis-à-vis du travail en usine? L’enqu ête est beau cou p trop peu p récise pour  

qu’on puisse le déceler avec exact i tude. Quand le docteur Lebon, de  

Nivelles , écrira, quelques années après l ’enquête, que le risque de mort à  

la batail le de W aterloo étai t com m e 1 à 30 et qu e po ur la c lasse pauv re et 

indigente de Nivelles, le risque est seulement de 1 à 25 (311), c’est l’habitat  

q u ’il m ettra e ssen tiellem en t en a ccu sation : « Si l’on divise la po p u lation  

nive lloise en deu x catégor ies : 1° la classe bourgeoise et aisée, 2° la classe  

ouvrière et indigen te, on con state, pou r l’an née q ui vient de s’écou ler, qu ’il

(311) Docteur Lebon,  Habitations de la classe ouvrière et indigente à Nivelles, 1852, p. 22.

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est mort, dans la première classe, une personne sur 51, et , dans la seconde,  

une personne sur 25. C’est donc une di f férence de 67 pour cent au  

détriment de la classe ouvrière et indigente, différence due principalement  

aux habitations insalubres. La différence est plus grande encore s i l ’on  

com pare la m ortalité des jeunes enfants dans ces deu x classes; l ’an dernier, 

i l est mort à Nivel les 93 enfants de 5 ans et au-dessus; dans ce nombre, la  

classe ouvrière était pour 71 et la classe aisée pour 22 seulement » (312).

L’hygiène industriel le, que nous al lons aborder à travers l ’enquête  

toujou rs, appar ait fort déficiente pourtan t. En don ner u ne idée à travers les 

élém ents rassemblés par les enquê teurs permettra d ’éclairer un peu le 

 jugem ent à porter sur la q u estion .

Il faut éloigner les poules de l’usine, sinon elles crèvent.. .

La situation hygiénique dans les  f i l a t u r e s   apparai t com m e part icu l iè

rement déficiente et la description sanitaire que donne le rapporteur de la  

Commiss ion médicale du Brabant détonne assez bien dans le concert  

opt im iste que nous venons d ’évoquer : « . . . d ’une f igure pâle , é t io lée , 

souvent amaigrie par la misère et un travail excessif , on voit ces ouvriers , 

les enfants surtout, ét iolés avant l ’âge. Leur ventre est développé, pâteux,  

leur digest ion pénible; les scrofules , le rachit isme, le carreau, impriment à  

leur éco no m ie le cachet de la d égradat ion p hys ique. Leur poitr ine es t 

étroite, le système musculaire peu prononcé, leur intel l igence nulle; i ls  

n’ont de penchant que pour la débauche, la dépravat ion. Les jeunes f i l les  son t tour m entées par des affections verm ineuses; d ’un teint pâ le, d’une  

con st itut ion ch ét ive , e l les son t vict im es des af fections ch lorot iques , ané m i

qu es, so n t m al réglées, sou ven t incapa bles de deven ir m ères, et , si el les le 

deviennent, ce n’est qu’en courant les plus grands dangers pour el les et  

pou r leurs enfants. L ’ostéo m alax ie , le rachitism e, déform ant leur bassin , 

l ’accouchement naturel es t souvent péri l leux, quelquefois imposs ible avec  

les seules forces de la nature» (II , 370).

Ce m êm e rapporteur parle long uem ent de cet te s ituat ion hygiénique; 

après avoir, entre autres, décrit « les l ieux bas, humides, mal aérés » où se  

fait l’im pre ssion da ns les filatur es, i l écrit : « la ga ieté, l’enjo ue m en t, fon t  

place à la tristesse qui vient imprimer ses rides et ses sombres couleurs sur  

le front de^ jeunes enfants; pâ les , b ou ffis , le corps am aigri, les articulations  

tuméf iées , le ventre démesurément développé, ces enfants sont plongés  

dans un m orn e s i lence, et m inés par une f ièvre lente. . . » (II, 3 7 9) .

(312) Id., pp. 22, 23.

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La plupart des pet i tes f ilatures — qui sont presque toujour s des 

f ilatures à la m ain — son t s ituées dans les caves froides et hu m ides . V oici  

une description donnée par les enquêteurs du Conseil central de salubrité 

pu bl ique de B ruxel les :

« L’atelier est dans une cave froide et humide, où l’air, se renouvelant 

difficilement, est corrompu et fétide. Les homm es et les enfants qui travaillent là du 

matin au soir, sont constamment soumis aux causes les plus puissantes de mala

dies: air froid et humide, corrompu par l’acte respiratoire même de ceux qui 

travaillent dans ces bouges malpropres, et par l’emploi du savon pour la prépara

tion du coton; insolation nulle, fatigue corporelle, nourriture grossière et insuffi

sante, tout enfin est là de nature à altérer profondément la constitution, et à 

disposer l’organisme humain aux plus cruelles affections, la phtisie pulmonaire et 

les scrofules. . . »; et ceci, ajoute le rapporteur, « on peut l’appliquer à toutes ces  

petites filatures à la main, si nombreuses à Bruxelles. Suivant la déclaration du 

chef, les enfants seraient encore plus malheureux dans quelques autres petites  

filatures; il assure qu’on y emploie des enfants de cinq à six ans, et que ces petits  

malheureux, qu’on fait travailler depuis quatre ou cinq heures du matin jusqu’à 

neuf heures du soir, ne gagnent guère que 60 centimes par semaine» (II, 493).

Cette situation n’est pas particulière au Brabant. La Commission médicale  

de la Province de Liège, sous la rubrique « ouvriers de fabriques de draps et filatures », donne des ouvriers la description suivante: «L ’aspect des ouvriers de 

fabriques est en général peu satisfaisant. Leur physionomie, toute particulière, les 

fait facilement reconnaître. Cet aspect résulte de ce que, de père en fils, ils ont 

presque toujours exercé la même profession; de ce que, de père en fils, ils ont 

toujours été soumis aux mêmes influences, au même régime, aux mêmes habitudes, 

aux mêmes privations.

« Petits, maigres ou bouffis, leur peau est pâle, luisante et comme macérée;  

ils paraissent vieux avant leur maturité; ils sont ridés avant la vieillesse; le torse est  

déformé, les extrémités inférieures faibles et contournées chez un grand nombre.

« L’atmosphère chaude et humide des fabriques; le peu d’aérage et d’éléva

tion des étages dans la plupart d’entre elles; le manque d’espace, la mauvaise  

disposition et l’humidité des locaux qui leur servent d’habitations; un salaire 

insuffisant; une alimentation pauvre; un travail peu actif, d’une trop grande durée,  

égale pour tous, pour l’adulte comme pour l’enfant; les excès d’onanisme ou 

vénériens sollicités par les mauvais exem ples, par le contact incessant d’ouvriers des 

deux sexes; l’abus du genièvre quand le salaire le permet, sont autant de causes qui, 

réunies ou isolées, prédisposent la population des fabriques aux tempéraments 

lymphatique ou scrofuleux et aux maladies chroniques qu’ils engendrent » (III, 539). 

539).

La mêm e C om m iss ion s ignale plus lo in que, da ns les fi latures de lin , 

les jeunes filles (8  à 15 ans) qui surveillent les métiers à filer, « ont toutes,  

ou presque toutes , la peau blafarde et comme macérée. Leur const i tut ion  

ne peut qu’aller en se détériorant chaque jour, parce que chaque jour el les 

restent plongées pendant quatorze heures et demie dans cet te atmosphère 

débil itante, et que leur salaire ne suff it pas pour qu’el les prennent des  

al iments capables de s t imuler convenablement leurs fonct ions languissan

tes » (III, 5 4 3 ).

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Dans les autres secteurs , même hygiène déplorable du mil ieu de  

travail .Le Conseil Central de salubrité publique de Bruxelles vis ite une  

petite  f a b r i q u e d e c h a p e a u x d e f e u t r e e t d e s o i e   d on t le ch ef déclare que la 

p ro fession « n ’a rien de n uisible », qu e la santé d es ou vriers est « assez 

b on n e» . O r , « o n n ’y resp ire qu ’une atm osphère puan te , e t chargée de 

duv et f in e t de po ils très déliés; les ouvriers qui y travail lent so n t chargés de 

ces poi ls et de ce duvet , qui pénètrent dans toutes les ouvertures naturel

les. . . » (II, 438). Ailleurs, le même conseil parle des t i s s e r a n d s   : « O n ne 

peu t se faire un e idée de la m isère qui ex iste chez les ouvriers tisserand s : 

leurs habitat ions sont mauvaises , étroi tes , malpropres et humides , et leur 

nourriture grossière, se com po san t de soupe et de m auv ais pain de seigle , 

est sou ven t insu ff isan te : ils m an gen t tou t au plus de la vian de u ne fois par  

an , le jour d e la kerm esse. » (II, 52 8 ).

A Herenthals , dans une  f a b r i q u e d e d r a p s e t b a i e s , l a Commiss ion  

m édicale d ’A nver s n ote ce d étai l peu ragoû tant : « Les laines dest inées à la  

fabrication des draps sont d’abord lavées avec de l’urine en putréfaction. 

Quoique les ouvriers aient déclaré à l ’un de nous qui s’est rendu sur les  

l ieux po ur recuei llir des renseignem ents , qu ’ils n ’étaient nul lem ent in com

modés par les émanat ions qui ont l ieu pendant cet te opérat ion, nous  

sommes convaincus qu’el les ne peuvent qu’exercer une inf luence fâcheuse  

sur la santé . N o u s avon s prop osé aux fabricants de subst ituer un alcali 

(cristal de sou de ) à ce d ég oû tan t liquide, et ils ont pr om is de le faire » (III, 

194) .

Très souvent, les ouvriers travail lent dans des caves. Dans une  f a b r i

q u e d e p l o m b s d e c h a s s e , « l’atelier est dans une cave donnant sur la rue,  

n ’ayant que deu x m ètres d ’élévat ion et fort peu aér ée» ; l ’enquêteur du 

Conseil central de salubrité publique de Bruxelles doit en sortir avant  

d ’avoir term iné son en qu ête. D éta il typiqu e : « Le p uits où se fait la 

pro jection du plom b a att iré aussi notre attention : une po m pe , placée sur 

ce puits , semble indiquer qu’on se sert pour les besoins domest iques de 

l ’eau q u ’il fourn it. N o u s a vo ns interrogé à cet égard la servante de la 

maison, et ses réponses ambiguës nous ont fai t croire que nos présomp

tions étaient fondées: un vois in nous a d’ai l leurs assuré que l’eau de ce 

puits étai t em ployée dans le m én ag e» (II, 45 8) .

Les ouvriers des  f a b r i q u e s d e p a p i e r   n’échappent pas aux mauvaises  

co n dit ion s h ygiéniq ues. « Le rachit ism e est fréquent chez les pape tiers , 

rapp orte le C on seil m édical de la Province de Liège : un cinqu ièm e environ  

des ouvriers travail lant à la cuve dans les papeteries à l ’ancien système,  

son t rachit iqu es » (III, 54 5 ) Le C onseil central de salubrité pub liqu e d e 

Br uxelles fait une con statation sem blab le : « Les ouvriers qui travail laient 

là ont produit sur nous une pénible impression; la pâleur de la face, la  

déformation anticipée des traits , dénotaient assez la funeste influence de  

leur travai l. U n formeur de c inq uan te ans , tout courb é et voû té , paraissait

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bien avoir soixan te et dix ans . Les enfants , à face blême, nou s o nt présenté  

tou s les caractères de la con stitution scro fuleuse fa m ieux p ro no nc ée : en 

les voyant, on peut assurer d’avance qu’i ls ne deviendront jamais des 

ho m m es » (II, 4 1 2 ) .

Le même Consei l v is i te une  f a b r i q u e d ' a l l u m e t t e s c h i m i q u e s   où tra

vai l lent 5 ou 6  enfants de 8  à 12  ans. « Cette fabrique est détestable; les 

enfants y travai l lent dans un mauvais hangar, froid, humide, malpropre,  

ouvert à tous vents , car les fenêtres , en face desquelles ces malheureux  

petits êtres ac co m plissen t leur rude tâch e, se font remarquer par l’absence  

d’un bon nombre de carreaux» ( I I , 520) .

Ailleurs, i l décrit un a t e l i e r d e l a v e u r d e c e n d r e s d ' o r e t d ' a r g e n t   : 

« U ne p ièce au rez de c ha ussée co m p ose l’atelier; c’est un m au vais chen il, 

sale , infect , où la pouss ière et les ordures de toutes espèces son t en excès .  

Un mauvais fourneau et une marmite en fer sont les instruments qui 

servent aux opérat ions du raff inage.

« U n e nfan t de d ix à dou ze ans , pâle , b lême et étio lé , travai l le , pour 

qu elques sou s , du m atin au soir dans un cheni l préci té , où l ’air et la lum ière 

font éga lement défaut .

« On ne peut que gémir sur le sort du pet i t malheureux condamné à  

vivre dans une atmosphère aussi nuis ible, car sa santé et sa constitution ne  

peuvent qu’en recevoir de fâcheuses atteintes .

« N o u s le rép éton s, on ne saurait rien im aginer de plus sale, de plus 

misérable et de plus dégoûtant que l’atel ier de ce laveur de cendres et 

d’argent» (II , 521 et 522) .

On imagine bien qu’ i l ne trouve pas mieux dans les u s i n e s d e p r o

d u i t s c h i m i q u e s ;   dan s un établissem ent : « au bo ut d ’un certain tem ps les 

ouvriers portent sur la f igure un cachet tout particulier, dû à la nature de 

leur travail; ainsi , i ls pâlissent, maigrissent, commencent à tousser et sont 

pris d ’une diarrhée qui devient souv ent fâcheuse. D eu x ouvriers son t 

m orts , depuis peu, de pht isie pulmo naire » ( l ’établ isseme nt occu pe 5 o u

vriers) (II, 394). Dans une autre où deux ouvriers travaillent à raison d’un  

franc par jour: « Les gaz acide carbonique et ox yd e de carbo ne, trouvant 

de la peine à s’échapper, s’accumulent dans la fabrique et en rendent le 

séjour très nuisible; à certaines époques de l’opération, le dégagement de  

ces gaz est s i abondant, que les poules vaguant dans la cour intérieure,  

tombent, au dire même du propriétaire, quelquefois asphyxiées , et qu’i l a 

fallu prendre l ’ha bitude de les chasser dans la cam pag ne pou r les soustraire 

à u ne m ort certaine » (II, 3 9 5 ).

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La C hambre de com m erce de M on s ne trouve p as excess i f le travail 

des enfan ts dans les charbo nnag es . « Les enfants adm is dans nos ch arbo n

nages son t lo in d ’être exposés aux fatigues excess ives , aux dangers perm a

nents qui compromettent sans cesse la santé et la vie des jeunes ouvriers 

des deux sexes» (II , 109) . Opinion qui ne rencontre pas cel le de la  

Commiss ion médicale du Hainaut dont le rapporteur s ’écrie , après avoir  

décri t les mauvaises condit ions de labeur et d’al imentat ion du mineur de  

fond s : « D o it-on s ’étonn er, d ’après cela, de voir n os bora ins sortir de la 

fosse com m e des mo rts sort iraient du tom beau , et se l ivrer d’abord, dan s le 

premier cabaret venu , à la sat is fact ion d ’un besoin trop longtem ps co m

primé, et qui , pour cela mêm e, dégénère bientôt en un ex cès a uss i nu isible 

que la longue abst inence qu’ i l s ont supportée» (III , 22) .

Bidau t, ingén ieur du 2 e district, I e divis ion (Ch arleroi), après avo ir 

énuméré les raisons pour lesquelles i l faut interdire le travail des femmes 

dans la m ine, ne m âche pas ses m ots :

« le gouvernement apporte, dans notre pays, des soins minutieux à l’amélio

ration des races de diverses espèces animales; la reproduction de l’une d’elle est 

entourée de précautions infinies; chaque jour, des mesures nouvelles témoignent 

d’une sollicitude plus grande à cet égard : ne devrait-on pas s ’occuper également de 

l’amélioration physique de la race humaine, ou, au moins, tâcher d’en arrêter la 

dégradation? » (II, 261/62).

Bida ut cro it qu ’en tête des cau ses de « l ’influenc e d élétère exercée par  

l ’exploi tat ion des mines sur ceux qui la prat iquent», i l faut placer «les  

efforts phys iques trop cons idérables des jeunes mineurs , condamnés à des  

po si t ion s s i forcées par la form e et l ’exiguïté des exc av at ions dans lesqu el

les i ls se m euv ent ». .. M ais ce n ’est pa s tou t, ajoute-t- il plus loin : « So u

ven t, en pro ie à la transpiration q ue fo nt ruisseler sur leurs corps ap pauvris  

des efforts continus, i ls ont les pieds, parfois les jambes, parfois même une  

partie du tronc plongés dans l’eau froide; I ls sont tantôt exposés à un  

cou ran t d ’air actif et froid, m ais pur; tan tôt à un air tiède et vicié par son  

mélange avec les hydrogènes carbonés, l ’acide carbonique, etc. » (II , 269).

L’ingénieur de la première divis ion du Hainaut aborde ensuite la 

qu estion de la rem ontée d es m ineurs par le système des échelles :

« Enfin, après dix ou douze heures de ce supplice, que chaque jour leur 

ramène, leur tâche est finie : ils sont, ou trempés de sueur, si le contact des fluides 

froids ne l ’a point arrêtée, ou bien mouillés de la tête aux pieds : il serait naturel de 

penser qii’ils vont immédiatement remonter à la surface et changer de vêtements. Il 

en serait ainsi, si les exploitants, et malheureusement aussi les mineurs du second 

district, n’avaient pas, contre les échelles, des préventions irrationnelles et funestes,  

qui empêchent, en général, les premiers d’en placer, et les seconds de s’en servir 

quand il y en a. Mais les mineurs sont remontés au jour à l’aide des machines 

d’extraction. Or il est impossible de mettre ce moyen de locomotion à la disposi

tion de chacun de ceux qui se présente isolément pour en profiter. Il faut donc  

attendre, la plupart du temps, que le nombre de mineurs qui peuvent remplir un

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 cuffat soit complet, et quelquefois, que la machine ait achevé l’extraction entière du 

combustible. Que deviennent, cependant, les hiércheurs? Ils sont dans les chambres 

d’accrochage, grelottant sous l’influence du courant d’air frais venant de la surface, 

et exposés aux suppressions de transpiration et à toutes les maladies des appareils  

respiratoire et digestif, qui en sont les conséquences» (II, 269/270).

M ais Bidaut es t ingénieur, il n’est pas m édecin et on se dem and e s i la 

prévent ion des mineurs contre les échel les es t te l lement «irrat ionnel le».  

Ce n ’est pas , en tou s cas — et, sem ble-t- il , à juste t itre— l ’avis du d octeur  

Fo ss ion , rapporteur pou r le C onsei l de salubrité publ ique de L iège :

« Dans certaines houillères, celle de Sainte Marguerite par exem ple, les 

ouvriers remontent par des échelles; dans d’autres, c’est par le cufat. Il y a quelques 

années, on ne permettait à aucun ouvrier de remonter par le cufat. Ce mode  

d’ascension avait plus d’une fois occasionné des malheurs effroyables, que l’on  

voulait désormais éviter. Les chaînes peuvent se rompre et se sont en effet rompues 

fréquemment. Des morceaux de houille, des pierres qui tombent d’une grande 

hauteur, ont quelquefois écrasé des malheureux ouvriers. On abandonna donc le 

cufat, et on prescrivit aux ouvriers de remonter par les échelles.

« Ce dernier mode d ’ascension offre également des inconvénients graves qui, 

pour ne pas être aussi frappants, n’en sont pas moins pernicieux. Les échelles fatiguent les ouvriers : ils ont bras et jambes brisés quand ils remontent à la surface; 

la respiration est anhéleuse. Que l’on juge combien doit être essouflé un homme  

qui, fatigué et éreinté par le travail, doit monter 150 à 200 toises, et on appréciera 

les inconvénients de tout genre "que présentent les échelles. Elles usent la vie 

lentement, en produisant des maladies, des infirmités qui compensent les avantages 

qui y sont attachés »\(III, 73).

D éjà le docteu r C ou rtois attribua it « l ’aném ie » du m ineur à l’uti l isa

tion des éch elles : « C eu x qui éta ient ob ligés de se servir d’éch elles pou r  

rem on ter à la surface , après leur journé e, étaien t plus sujets qu e les au tres à 

contracter des asthmes , des palpitat ions que ceux qui descendaient et  

remontaient à l’aide de paniers » (313). Quelques années après l’enquête, le  

docteur H an ot co nd am nai t sans retour le sys tèm e des éche l les dans l es 

puits de mines.

C’est dans ces termes qu’il décrit la remontée de « cet ouvrier fatigué, qui, 

arrivé à la fin de sa journée, vient s’asseoir tristement aux pieds des échelles, se  repose, gémit; puis, rappelant le reste de ses forces, monte par la voie étroite que  

nous connaissons, à une hauteur de quatre à cinq cents mètres. Pour surcroît de 

malheur, c’est enveloppé de cet air vicié qui a parcouru les travaux, c’est dans cette  

suite de puits étroits, rétrécis, gorgés de l’atmosphère du fond qu’ils sont chargés de  

reporter au jour, que doit monter l’ouvrier mineur dans la plupart des houillères,  

inondé de sueur, mouillé par la pluie de niveau qui lui tombe d’une manière 

incessante sur le corps haletant dans ce fluide impur qui le presse pas à pas de ses

(313) Docteur R. Courtois,  Recherches sur la statistique physique, agricole et médicale de là 

 province de Liège, 1828, p. 172.

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flots étouffants. C’est à travers tant de maux que l’ouvrier, chaque jour, doit sortir 

de son travail pour revoir le jour, où il s’assied essouflé sur la trappe du tombeau  

dont il sort: je dis tombeau, et ce n’est pas au figuré que j’emploie ce mot; car, 

comme je vais le démontrer, c’est dans cette voie de sortie quegfr la grande cause de  mortalité  des mineurs: ce sont ces milliers d’échelons au sommet desquels il doit  

chaque jour hisser tout le poids de son corps sur la force de ses bras, c’est cet air 

impur dans lequel il monte, livré aux angoisses de l’essouflement occasionné par  

ces grands mouvements contre nature qui tendent à arrêter, par leur mode d’action  

nuisible, la fonction gemelle de la respiration et de la circulation, comme nous le  

verrons bientôt, qui sont cause de la vieillesse et de la mort prématurées de l’ouvrier 

mineur. En effet, si nous avons vu déjà qu’à 45 ans l’ouvrier mineur était souvent  

hors d’état de travailler, c’est aux échelles qu’il doit ce funeste présent. Je le répète : 

cette voie de retour est le tombeau anticipé de l’homme des mines » (314).*

*   *

N ou s avon s soul igné précédem m ent qu’il y a une tendance à d i scu l

per l’ industrie de la responsabil ité d’influence négative sur la santé des  

ouvriers . Ce qui nous es t rapporté de l ’hygiène des établ issements indus

triels tend à d isculper la gra nd e indu strie et à culpa bil iser la petite. N o u s  

avons trouvé un avis opposé, c’es t celui de la Commiss ion médicale de la  

pro vince d e Liège qui pen se qu e « l ’air des grands étab lissem en ts ind us

triels étant plus vicié que celui des établissements de la petite industrie,  

parce que la populat ion des premiers es t comparat ivement de beaucoup  

supérieure à cel le des seconds , qu’on y emploie des machines qui , par le  

frottement des rouages , vaporisent une part ie des corps gras dont i l s sont  

chargés et que l ’éclairage au gaz qui y est introdu it vicie l ’air bien plus qu e  

ne le fait l ’éclairage à l’hu ile d on t on se sert dans les p etits étab lissem ents , i l 

doit en résulter que les ouvriers occupés sédentairement à la petite indus

trie sont m oins exp osés a ux m aladies chroniques que ceux qui travail lent  

dans les grands établissements industriels» (III , 495).

M ais à cô té de cette opin ion l iégeoise, c’est la petite industrie, et  

souvent , croyons-nous , l ’ industrie à domici le qui es t mise en accusat ion.

Une autre inst itution l iégeoise, le Conseil de salubrité publique,  

déclare que dans la grande comme dans la pet i te , on emploie des enfants  be au cou p trop jeunes, m ais « da ns la petite industrie, il n’y a pas no n p lus  

de frein à la durée du travail et à son intensité. Sollicités par l’appât du  

gain, ob ligés de lutter p ou r ne pa s être écrasés par le f léau de la con curr en

ce, les ouvriers prolongent leurs journées jusque tard dans la nuit . Je  

connais des fabricants de fourchettes qui travail lent depuis cinq heures du  

m atin jusq u ’à on ze d u soir » (III, 4 1 ). Il s ’agit sans do u te là de travailleurs à 

do m icile. C ette rem arque du C on seil le confirme : « Certes , les ho uil leur s  

et les ou vriers des fab rique s so n t à plaindr e : la nature de leurs trava ux

(314) Doçteur Hanot,  De la mortalité des ouvriers mineurs,  1846, p. 86.

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sou m et leur con stitution à de rudes épreuves; m ais les ouvriers qui travail

lent chez eu x à la pièce o u à la journée, en un m ot , tou t ceux qui v ivent de 

la pe tite indu strie, ne so n t pa s toujours m ieux partagés » (III, 1 20 ). C ’est la 

m êm e catégorie — (et avec la m êm e accusat ion de céder à l ’appât du ga in . 

O h! ironie) — qu e v ise le d octeur Peetermans , de Liège : « . . . toujours  

ex cités par l ’app ât du ga in, n ’étan t retenus par rien, i ls trav aillent , dans le 

tem ps d e presse, pou r ainsi dire nu it et jour » (III, 1 20 ). Par contre, d ès qu ’il 

s’agit de grand s étab lissem en ts indu striels , i ls son t, pa rait- il , « bien 

con struits , sp ac ieux , aérés », on a so in d ’y entretenir « une tem pérature qui 

leur est salutaire » (mé decin d u bu reau de b ienfaisance de T ur nh ou t, III, 

2 8 7 ) .

Cette opposit ion entre l’appréciation de l’hygiène dans les grands 

établissements et cel le rencontrée dans les petits est formulée de manière  

radicale par la C om m ission m édicale du Brabant :

« Les grands établissements industriels sont dirigés, la plupart du temps, par  

des hommes instruits et de cœur, qui, loin de regarder leurs ouvriers comme des 

esclaves ou des machines, ont pour eux, si ce n ’est des égards, au m oins de la bonté. 

Aussi les voit-on faire des sacrifices d’argent pour doter leurs établissements des 

bénéfices d’une saine hygiène, et détruire, par les dispositions qu’ils donnent à leurs ateliers, les mauvais effets que la confusion, l’encombrement, le défaut d’aérage,  

l’humidité, amènent avec eux. Ici les ouvriers ne sont ni harassés d’ouvrage, ni 

plongés au milieu d’une atmosphère corrompue; aussi sont-ils moins souvent  

malades, prennent-ils moins souvent les germes de cruelles maladies, qui les 

conduisent au tombeau.

« Dans la plupart des petits établissements industriels, au contraire, où le 

maître, privé d’éducation, n’est dominé que par l’appât du lucre, dont l’âme est 

souvent inaccessible aux sentiments généreux, les ouvriers sont bien plus souvent 

atteints de maladies funestes pour eux et pour leurs descendants, parce qu’ils sont 

plus maltraités, que leur salaire est moins élevé, et qu’ils ne jouissent pas des mêmes 

conditions hygiéniques que les ouvriers employés dans les établissements précé

dents» (III, 360).

La com m ission m édicale du Brab ant est aussi très radicale lorsq u’el le  

se pen che sur la santé des dentell ières d on t beauco up so nt évidem m ent des 

travail leuses à domicile. Elle fait exception pour « cel les qui travail lent en 

fabrique » m ais qui son t peu n om breu ses. Q ua nt aux au tres , el le décrit ainsi 

leur s i tua t ion :

« R assem blées dans des cham bres ba sses, étroites et hu m ides, mal  

aérées, dans des rues où les rayons du solei l ne pénètrent jamais , le tronc  

courbé sur leur tabouret , leurs yeux f ixant toujours des objets de petit  

volume, gagnant peu, et plongées souvent dans la misère, e l les ne tardent  

pas à éprou ver l ’influen ce déb ili tante de tel les con d it ion s. [. . . ] D ’autre 

part , la débauch e, les excès , un m auvais régime, concou rent pu issam m ent 

à développer dans cette classe nombreuse d’artisans, une foule d’affections  

qui détériorent leur santé. La phtisie pulmonaire fait périr, chaque année,  

un grand nombre de dentel l ières . L’anémie, l ’aménorrhée, la chlorose, les

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dé viat ions tho raciqu es et vertébrales, le rachitisme, les scrofu les, les en go r

gements des v iscères abdominaux et des extrémités pelviennes, sont , en  

outre , les d i f form ités et les m aladies qu ’on observe très fréquem m ent chez 

ellçs. Il y a peu de dentellières qui ne soient atteintes de l’une ou l’autre de 

ces inf irm ités . N o u s p ou vo ns dire sans crainte de nou s trom per, que l ’état 

de san té est chez elles l’ex ce p tion , l’état de m alad ie la règle géné rale » (II, 

3 7 1 , 3 7 2 ) .

« L’ouvrier qui cherche sa vie dan s le trava il, y rencontre de 

nom breuses chances de m aladies et de m o rt» .

Les réponses à l ’enquête de 1843 insistent en général plus sur l ’hy

giène que sur la sécurité au travail . On le comprend. Le manque d’hygiène  

frappe l’enquêteur qui se présente dans l ’atel ier tandis que pour déceler  

l ’ importance des accidents, une enquête dans le temps est nécessaire ainsi 

que le fait remarquer le C on sei l central de salubrité pu blique de Brux elles : 

« N ou s ne posséd on s pas les don nées suff isantes pour r ép on d re . . . Ces  

données, nous n’avons pu les acquérir parce qu’el les ne peuvent être  

fournies que par une observat ion cont inuée pendant plusieurs années sur 

chaq ue ind ustrie en particulier. Il y a ici des recherches stat ist iqu es im po r

tantes à faire et no us nou s fa isons un dev oir de les signaler à l ’attention d u  

gouvernement» ( II , 621) .

Les accidents du travail paraissent , malgré le manque de renseigne

m ents, être une pla ie très con séq ue nte du travail indu striel au X IX e, surtou t 

là où « l ’on fait usage de b eau cou p de m achines et de m étiers m unis d ’un 

grand nombre d’engrenages et de courroies , on observe fréquemment des 

mutilat ions des extrémités, des fractures, des plaies par arrachement,  

l ’enlève m ent com plet du cuir chevelu lorsque la chevelure s ’enga ge da ns les 

boucles des courroies et même la mort par broiement» (III , 541) . Le 

docteur Mareska, qui a étudié spécialement les manufactures de coton,  

assure que « les tableau x stat ist iqu es prouv ent q u ’un cinquièm e des o u

vriers em ploy és dans les fabriques o nt été atteints par les m écan iques. 

Encore ce rapport n’exprime-t- i l pas le nombre réel des malheurs puisque 

ob tenu par la vo ie d ’interrogation d irecte dans les ateliers, il ne peu t  

comprendre ni les accidents qui ont causé la mort immédiate, ni ceux qui  

on t éloig n é à jam ais les ouvriers du travail » (III, 4 4 5 ). S elon M are ska , le 

plus gran d n om bre de. victim es se renco ntre parm i les enfants (III, 4 4 6 ) et i l 

rapporte que, dernièrement, les ouvriers d’un établissement se sont cot isés  

entre eux pour faire célébrer une messe en l’honneur de la vierge af in  

d ’invoqu er son intercession po ur v oir mettre; un terme aux nom breu x  

acc idents d on t la fabrique était , dep uis qu elque tem ps, le théâtre » (III, 

4 4 7 ) .

Les dangers courus par les mineurs ont évidemment retenu l ’at ten

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t ion; « la plupart de ces acciden ts son t des blessures légères, des co n tu

sion s. N éa n m oin s, i l en est qui son t très graves : tels son t ceux qui survien

nent à la sui te d ’ex p losion s, de chu tes , de cou ps d ’eau, d ’éb ou lem ents , etc . 

Ce son t des fractures du crâne, des com m otion s cérébrales , des déchirures de la moël le épinière , des fractures comminut ives des membres, des luxa

tions, des brûlures qui env ahissen t toute la surface du corps, l ’asp hyx ie » 

(III, 66). C om m e p ou r le reste , le docteur Peeterm ans est op t im iste pour sa 

région (Seraing) : « les accid en ts dev ienn en t égalem en t d ’une rareté assez  

remarquable , dans les houi l lères principalement , grâce aux soins des pro

priétaires, des directeurs et des chefs de ces établissements. . . » (III, 118). 

L’importance des accidents survenus pendant la descente ou la remonte  

dans les m ines passe g énéralem ent inaperçue dans les dép osi t ion s. Le tr ibut 

payé par les mineurs au système mis à leur disposi t ion est cependant  

énorme. Voici un tableau qui concerne la période courant de 1821 à  

1840 (315):

Nbre Nbre Total

d’ouvriers d’accidents Blessés Tués blessés 

+ tués

Belgique

Nombre total d’accidents

37.171

1.352 882 1.710 2.592

 A la descente  par cuffats 226 50 261 311

 ou à la remonte  par échelles 95 30 73 103

Total 321 80 334 4 14

Premier district des mines 

Nombre total d’accidents

16.896

432 287 532 819

A la descente  par cuffats 42 5 4 7 52

 ou à la remonte  par échelles 70 22 55 77

Total 112 2 7 102 129

Deuxième district des mines 

Nombre total d’accidents

8.345

261 151 346 4 97

A la descente  par cuffats 60 21 61 82

 ou à la remonte  par échelles 6 1 5 6

Total 66 22 66 88

Province de Hainaut 

Première division des mines 

Nombre total d’accidents

25.241

693 440 878 1.318

A la descente  par cuffats 102 26 108 134

 ou à la remonte  par échelles 76 23 60 83

Total 178 49 168 217

Remarque: La première division regroupe le premier et le deuxième districts.

(315) G. Lambert,  De la descente et de l'ascension des ouvriers dans les mines, mémoires etpublications de la société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut p. 111.

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Il n ou s sem ble que la dé po si tion du C on sei l central de salub

publ ique es t la synthèse de l ’op in ion contem poraine de l ’enquête de 184 3 :

« L ’ouvrier qui cherche sa vie dans le travail y rencontre de nombreuses 

chances de maladies et de mort; mais ces chances ne proviennent pas exclusivement 

du travail, ou , du m oins, n’en proviennent pas directement. Il serait injuste d’attri

buer au travail seul les maladies si fréquentes et la mortalité si grande parmi la 

classe laborieuse; il faut lui reconnaître sa part d’influence et d’intervention dans  

ces tristes résultats; mais il faut tenir compte aussi de la condition des travailleurs, 

en général si misérable et si malheureuse, de l’abandon dans lequel on les a toujours 

laissés, de l’impossibilité où ils se trouvent de se nourrir convenablement, de leurs  

habitudes de débauche, d’ivrognerie et de malpropreté, de l’insalubrité de leurs 

habitations; il faut tenir compte, disions-nous, de tout cela et convenir que ces 

diverses circonstances exercent une influence bien plus funeste que le travail et 

qu ’elles contribuent puissam ment à augmenter la mortalité parmi les ouvriers » (II, 655, 656).

I l faut pourtant noter une tendance de beaucoup à fa ire endosser la  

respon sabi l ité des accidents par les travail leurs eux -m êm es. « En général , 

écrit le Consei l central de salubrité publique de Bruxelles, ces blessures ne  

peuvent être at tr ibuées qu’à l ’ imprudence ou à la maladresse de ceux qui 

les on t reçu es» (II, 41 0 ) . Le docteur M areska , dans le mém oire de la 

Socié té de médec ine de Gand es t à pe ine p lus nuancé: « . . . t ous l es  

fabricants af f irment que la plupart des accidents sont dus à l ’ imprudence 

de ceux qui en son t les v ic t im es . N ou s pen sons éga lem ent que l ’habi tude de 

vivre au mil ieu des dangers rend téméraire , et que beaucoup de malheurs 

pou rraient être évi tés s i les ouv riers étaient m oins indo ci les et prenaient les 

pr éca ution s qui leur son t ind iqu ées pa r leurs m aîtres » (III, 3 3 6 ) . Il est vrai 

que plus lo in , M aresk a écrit encore : « T ous les jours , à côté de vo us, v os 

camarades sont v ic t imes de l eur t éméri té e t vous tombez constamment  

dans l es mêmes fautes . Les maî tres sont t émoins des nombreux acc idents  

qui vou s frappent , i ls co nn aissent les dangers et votre im prévo yan ce, et il s 

négl igent les précaut ions les p lus s imples . Quelques fabricants se sont  

efforcés de défendre, autant que possible, les ouvriers contre les péri ls  

attachés à leurs travaux ; m ais le p lus grand nom bre n ’on t rien fa i t. Au cun e  

con sidérat ion ne saurait excu ser une parei lle insoucian ce, n ous a l l ions dire 

un parei l mépris pour la santé et la vie des ouvriers. L’absence presque  

générale de moyens préservatifs contre les accidents, révèle dans l ’organi

sat ion des établ issements industrie ls une lacune que nous nous fa isons un  

dev oir de signaler au go uv ern em en t» (III, 4 47 ) .

A p rop os des a cc idents dans les us ines , la C om m iss ion m édica le de la 

Province de Liège rejette aussi la responsabil i té sur les ouvriers mineurs  

(III, 526); el le y revient même à plusieurs reprises: «Les accidents qui 

pro vienne nt des éb ou lem ents de la couch e de ho ui l le , du to i t de la veine ou  

du fa ux -toi t , résul tent ordinairem ent de l ’im prévo yan ce des ouvriers et de 

leur précipi tat ion à placer les étançons» (III , 601) .

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Le truck System, forme de surexploitation de l’ouvrier

U ne forme d ’exp lo i tat ion p atronale qui eut pendant longtem ps un  

effet néfaste sur le revenu des travailleurs, est le truck System. Il consiste, 

de la part de l’employeur à payer une partie du salaire en nature ou à 

imposer de dépenser une part ie du salaire dans un magasin lui apparte

nan t. A insi , i l réalise un b éné fice sur le salaire de l ’ouvrier. C om m e sou ven t  

la ma rcha ndise est vend ue à un pr ix supérieur ou bien qu ’il s’agit de cho ses  

dont l’ouvrier n’a pas un besoin urgent, la pratique a une répercussion  

directe sur le niveau de vie de l’ouvrier.

Peu d ’indicat ions se trouven t dans les réponses à l ’enqu ête de 18 43 , pour la s imple raison qu’aucune quest ion directe n’appelai t ces réponses ,  

on ne pouvait guère at tendre des employeurs consultés qu’ i l s avouassent  

spontanément la prat ique du système en cause.

Le terme se trouve cepend ant dans le Rapp ort de la C om m ission (T. 

I , p. LXI), là où el le parle de l’enquête de la Chambre de Commerce  

d ’A nvers : « Ce qu i con tribu e, répon d en effet la Cham bre à la 22eques t ion , 

à aggraver la po sit ion de ces ouvriers , c ’est que les salaires leur so nt payés  souvent en nature et non en espèces. Ainsi , la l iberté de l’ouvrier est  

entravée, et on l ’obl ige quelquefois à accepter en payement des objets  

autres que ceux dont i l a le plus impérieusement besoin. Les fabricants de  

Turnhout ont fai t très récemment un arrangement entre eux pour donner  

un salaire uniforme à leurs ouvriers; mais il serait à désirer qu’ils convins

sen t aussi de les pay er tou s en arge nt sur le m êm e pied » (T. II, pp. 

200 / 201) .

Sur cet te s i tuat ion à T urnh out , plus d ’indicat ions on t été fournies par  

la C om m ission m édicale d’A nvers parlant des Tisserands en cou t il s de 

cette région :

« Si les renseignements qui nous sont parvenus sont exacts, nous devons 

signaler encore ici des abus qui contribuent puissamment à retenir les ouvriers dans 

un état de dépendance qui détruit toute émulation, tout désir d’améliorer leur 

position et les énerve au moral. Voici ce dont il s’agit: Les fabricants font des  

avances aux tisserands, qui travaillent tous à la pièce ou à la tâche; c’est un abus qui leur est très nuisible, car il arrive fréquemment qu’ils dépensent ces avances en  

débauches, avant mêm e de commencer à tisser la pièce. D ’un autre côté, plusieurs 

fabricants ont adopté, dit-on, un mode de payement, connu sous le nom de système  de troc.  Les ouvriers sont payés en marchandises au lieu d’argent; les fabricants 

tiennent boutique en même temps, de tous les articles dont les ouvriers ont besoin,  

 jusqu’au pain et au beurre qu’ils doivent payer plus cher que chez les boulangers. 

Les ouvriers sont forcés de prendre ces marchandises de leurs maîtres, quelle qu’en  

soit la qualité, et à tel prix qu’il leur plaît de fixer; ces prix sont ordinairement plus 

élevés que dans les autres boutiques, et de cette manière, les ouvriers sont frustrés d’une grande partie de leur salaire.

« Il serait d ’autant plus à désirer que l’autorité pût intervenir par des moyens 

efficaces pour mettre fin à cet abus, que déjà ce mode de payem ent s’étend, à ce qu’il

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parait, à d’autres industries. A Turnhout, les fabricants de dentelles forcent les  ouvrières à venir acheter le fil chez eux. Ils le leur vendent à un prix exorbitant. On  nous assure qu’on leur fait payer 16 florins (30 fr.) la livre, la même qualité qu’on  vend ailleurs 4 florins (7 fr. environ). Pour obliger les ouvrières à prendre leur fil, ces fabricants n’achètent que les dentelles de celles qui ont chez eux un compte  courant. Quelques bijoutiers à Boom et à Niel semblent avoir adopté déjà le même  système» (III, 192).

Le recensement de 1846 révélera que le paiement en nature es t  

sou ve n t le lo t des travailleurs agricoles . C ’est du m oins le cas pou r plus de 

la m oi ti é des com m unes de F landres . En W al lonie , sur 16 14 com m unes  

recensées en 1846, 1371 déclarent que les journal iers ne sont pas nourris  

dans les ex p loitation s. C ’est la m isère et l ’instabil ité de l ’em ploi q ui co n traig n en t les journ aliers à a ccep ter le salaire en nature (316). L. Be llefroid  

écrit dans l ’introduct ion à A griculture-Re censem ent général de 1 8 4 6 , tom e  

I, p. C C IV (317) : « Il y a, d an s ce s pro vin ce s (les Flan dres) de s loc alités o ù  

les journaliers étaient heureux alors de trouver à échanger leur travail  

contre la nourriture et lorsqu’ils recevaient outre leur repas, une chétive  

rém uné ration en argent, i l était rare que cel le-ci dép asse 30 ou 4 0 centim es, 

somme à peine suff isante pour payer 2 à 3 kgs de pommes de terre et  tromper a insi la fam ine de leur fam il le» .

2. L’âge de l’insouciance avant l’invention de la 

«politique familiale»

Sur quatre ouvriers: un enfant

Le recensement de l ’ industrie , en 1846, sur un total de 314.842  

ouvriers en dénombre 66.385 de moins de seize ans , ce qui représente un  

 jeune de m oin s de se ize ans p o u r un p eu p lus d e tro is ouvriers d ép assan t ce t  

âge(318). Les pourcentages des enfants travail lant dans différents secteurs  

montrent que c’est surtout le text i le qui occupe un fort cont ingent d’en

fants. 3 2 ,6 % con tre 15 ,5 % da ns les industries diverses , 16 ,6 % da ns les  

industries minérales .

Selon l’âge, le travail des enfants se répartissait ainsi:

(316) B. Vcrhaegcn, o.c., tome I, pp. 146, 147.(317) Cité par Verhaegen, id., p. Î49, note 78.(318) Voir le tableau page 11.

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Garçons Filles

9 ans ou moins 0,5 %   1 ,6   %

plus de 9 ans à 12 ans 1,9 % 2,7 %

plus de 12 ans à 16 ans 9,1 % 5,3 %

La Commiss ion d’enquête de 1843 ava i t cru pouvoir conc lure de  

tous les chiffres qui lui furent adressés « que le nombre des jeunes enfants  

employés dans les d ivers établ issements industrie ls est beaucoup moins 

con sidérab le qu ’on ne serait tenté de le sup po ser » (I, C X V ) ta nd is que 

l ’Académie royale de médecine aff irmait , au contraire, que « le nombre de 

ces enfants est très considérable» (II , 326) .

N o u s tenteron s de résumer les renseignem ents qui on t été fournis 

aux enquêteurs par les industriels, les ingénieurs des mines, les Chambres 

de commerce e t l e s corps médicaux .

Les résultats de l ’enquête auprès des industriels

A part ir des répon ses des industrie ls — sur un total *de 4 9 7 fabriq u es — la com m ission a établ i le tableau c i -dessou s. Elle fa i t cepend ant

 

remarquer « qu’i l ne s’agit ici que d’une portion minime de la population 

ouvrière et que le nombre des enfants et des jeunes gens est très inégale

m ent réparti entre les diverses industries. Il est particulièrem ent élevé d ans  

les fabriqu es de c o to n , de lin et de drap, dan s les ateliers de de ntellerie et de 

brod erie et dans les m ines de ho uil le (I , p. IV et V ). L’enq uête ne peu t do nc  

être considér ée co m m e s ’éten da nt à tou tes les industries et el le ne four nit 

ici « aucune donnée posit ive sur le nombre d’enfants» occupés (I, p. III) .

Sexe masculin Sexe féminin Total

Nbre absolu % Nbre absolu % Nbre absolu %

au-dessous de 9 ans 532 13 164 15 696 13

de 9 à 12 ans 1.615 36 684 61 2.299 42

de 12 à 16 ans 5.638 131 1.881 170 7.519 138

de 16 à 21 ans 5.768 134 3 .37 7 304 9.145 170de 2 1 a ns et au-dessus 2 9 .5 2 0 686 5.002 450 34.522 637

Totaux 43.073 1.000 11.108 1.000 54.181 1.000

La s i tuat ion dans les charbonnages

On jugera à quel point le tableau c i -dessus sous-est ime le nombre  

d ’enfants en le m ettant en regard du nom bre d’enfants travai l lant dan s les 

charbonnages du Hainaut seulement . Ce tableau est donné par l ’ ingénieur  

en ch ef de la première divis ion des m ines (H ainau t), J. G on ot (II, 225 ) :

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Sexe masculin Sexe féminin Total

—de 16 ans+ de 16 ans —de 16 ans+ de 16 ans —de 16 ans+ de 16 ans

Surface 600 3.000 900 1.200 1.500 4.200

Fond 3.600 18.000 900 1.800 4.500 19.800

Total 4.200 21.000 1.800 3.000 6.000 24.000

Il y a do nc, po ur le H ainau t , 16 % de fem m es parmi les ouvriers 

houil leurs; 6 %   son t des f il les de m oins de 1 6 ans. Au total , 2 0 % d es 

houi l leurs son t des enfants de m oins de 16 ans. Près du quart des ouvriers 

du fond sont des enfants parmi lesquels 900 f i l les de moins de 16 ans.  

Comment se répart issent ces enfants dans les mines du Hainaut? On ne  

trouve que des indicat ions dans les rapports . Delneufcour donne les chi f

fres suiva nts (II, 23 7 ) :

Femmes Hommes Total

- de 16 ans + de 16 ans - de 16 ans + de 16 ans - de 16 ans + de 16ans

Mines du Fond 589 1.142 2.179 12.044 2.768 13.186Borinage Surface 549 1.020 250 1.869 799 2.889

Mine de Fond   _    _  12 147 12 147B la ton Surface — — — 33 — 33

Mines du 

Levant Fond 22 4 399 1.349 421 1.353de Mons Surface 14 46 — 489 14 535

Totaux 1.174 2.212 2.840 15.931 4.014 18.143

Il se dégage surtout de ce tableau que, là où on em ploie des enfants , 

c’est surtout au fond qu’ils travaillent. Il semble aussi que lorsqu’on  

emploie des femmes, une large proport ion sont des f i l les . Le pourcentage  

de femm es est sensiblem ent le m êm e que c i-dessus pu isqu ’il dépasse 15 %; 

de m êm e p ou r le pou rcen tage de f i l les : il dép asse ici 5 % . En fin, le  

po urcen tage des m oins de 16 ans est près de 19 (20 c i -dessus) . Le nom bre  

des en fants trava illant au fon d n ’atteint pa s to u t à fait le quart des  

houi l l eurs du fond .

Pour l ’arrondissement de C h a r l e r o i , Bidaut , ingénieur des mines du  

deu xièm e d istr ict a recensé les ef fect if s de 17 ex p loi tat ions d e hou i lle des plus importantes représentant environ la moit ié du total du personnel  

occupé dans les charbonnages. Les pourcentages qu’ i l obt içnt sont les  

suiva nts (II, 2 5 5 ) :

Enfants âgés de 9 ans : 0,07 % du total 10 0,2811 1,56

12 3,3113 4,0214 5,0615 4,7616 5,53

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Ic i encore, le po urc entag e de fem m es dans l ’ensem ble est sem blable à 

celui de l ’ensemble du Hainaut puisqu’ i l at te int 17 %. Le pourcentage de  

f il les dép asse légèrem ent 7 % , celui de l ’ensem ble des enfants , 24 %. En  

gros, les pource ntage s son t don c un peu p lus fa ibles dans le B orinage, un 

peu plus forts à Charleroi .

Pour les pro vince s de Ntfmwr et  L u x e m b o u r g ,   Gautier, ingénieur des  

m ines, f f d ’ingénieur en ch ef de la d eux ièm e divis ion des mines s ignale que  

« le nom bre total des ouvriers em ployés dan s cet te d ivis ion à l ’extract ion  

de la h oui l le et travai l lant dan s l ’intérieur des m ines est de 86 3 , d on t 84 1  

du sexe mascul in et 12 seulement du sexe féminin. Sur ce nombre, l ’on  

co m p te 23 2 jeunes ouv riers de 12 à 16 an s, parm i lesquels il ne s’en trouve 

que 2 du sexe fém inin » (II, 2 9 6 ) . Le pour centage des enfants occup és au 

fond est donc ici fort élevé puisqu’i l atteint presque 30 % alors qu’i l n’est  

que de 25 % à peu près pour l ’ensemble du Hainaut .

Pour  L i è g e ,   D ev au x, ingénieur en ch ef des m ines de la 3 e divis ion , 

est im e — sur la base des rapports des 5 e, 6e et 7 e districts — qu e « sur  

environ 1 7 .5 50 ouvr iers , i l y a appro xim at ivem ent 1 .200 ga rçons de 10 à 

16 ans et 6  à 7 0 0 fem m es don t la m oit ié à peu près de 1 0 à 16 an s » (II, 

3 0 1) . V oici le détai l po ur les districts, relevé dans les différents rap ports :

Total des - de 16 ans

5e district

ouvriers houilleurs garçons filles

(Liège, Limbourg, rive gauche 

de la Meuse

6.135 676 110

6e district 

(Liège)

3.181 390 36

7e district 

(Liège)

836 134

Totaux 10.152 1.346

Le pourcentage des enfants par rapport au personnel total ne serait  

do nc que d ’un peu plus de 13 % contre 2 0 %   dans le H ainau t . M ais quel le  

foi faut- i l accorder à ces chiffres? Le rapport de l ’Académie royale de 

m édecine de Belgique s ignale en ef fet que « sur 17.70 1 ouvriers em ployés , 

en 1840, dans les houi l lères de la province de Liège, on comptait 6 .090  

enfants » (III, 326), ce qui fait passer le rapport de 13 % à plus de 34 %. Il  

est fort prob able q ue le pourcentage réel éta i t au m oins aussi fort que dans 

le Hainaut .

A joutons encore que le nom bre de f il les travai llant dans les charbo n

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nages ne cessera d’augmenter jusqu’à la guerre de 1870. C’est ce que  

m on tre le tab leau que vo ici (319) :

Ouvrières Ouvrières Total

travaillant à l’intérieur travaillant à la surface mineurs

Années Femmes Filles de 

- de 16 ans

Femmes Filles de 

—de 16 ans

Hommes + 

Femmes

1845 2.098 953 1.936 1.035 41.435

1850 2.274 1.221 1.771 1.142 47.949

1860 5.148 3.142 2.604 2.046 78.232

1870 5.151 3.656 2.921 1.880 91.993

1876 4.579 3.306 3.260 2.285 108.343

1880 4.714 3.262 3.540 2.206 102.930

1885 4.256 1.612 3.847 2.241 103.095

1887 3.201 1.032 3.762 2.380 100.739

1888 3.327 1.026 4.051 2.450 103.477

1889 3.233 960 4.132 2.663 108.382

1890 3 .170 945 4.368 2.763 116.779

Source :  E lém en ts d 'e n q u ê te su r le rô le d e la fem m e dans l'in d u s tr ie , le s œ u vre s, le s 

 a rts e t le s sc ien ces en B elg iq ue,  Exposition universelle de Chicago, 1893, p. 117.

Les rapports des Chambres de commerce

Il n’est pas possible de retirer des chiffres précis des renseignements  

fournis par les Chambres de commerce. Tout ce qu’on peut en retenir , ce  

sont des indications, des tendances générales.

Une fabrique de tul le de  B r u x e l l e s   occup e — déclare le rapport de la  

Cham bre de comm erce de B ruxe l les— 30 enfants de 8  à 12 ans ( toutes des  

fil les) con tre 3 0 travailleurs de 21 ans et plus (II, 3); u ne fabrique d ’im pr es

sion de foulards, de soie et de moussel ine de laine de la même localité  

occu pe 25 garçons de 9 à 12 ans pour 38 ouvriers de 21  ans et plus (II, 4).  

Voici un tableau établi à partir des données fournies par la Chambre de  

commerce de Bruxel les .

(319) Rappelons que la loi du 13-12-1889, art. 9, stipula qu’à pa rtir du 1er janvier 1892, les fille

les femmes âgées de moins de 21 ans ne pourront être employées dans les travaux souterrains des mines,

minières et carrières. Les femmes et filles employées avant cette date n’étaient pas soumises à cettedisposition.

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A  Louvain, il y a 1/4 à 1/3 d’enfants de moins de 16 ans (II, 33), 1/7 à Saint  Nicolas  (II, 46), 1/5  àAlost sauf dans la dentellerie où ils son t la 1/2 des adultes (II,

 

52), à Termonde,  on trouve 3 enfants sur 20 adultes écrit le président de la  

Chambre de commerce (II, 58) tandis que d’autres membres signalent des proportions de 1 à 5 (fabriques de ficelle et rubaneries de fils), 1 à 10 dans les huileries et

 

amidonneries (II, 79), 1 à 3 dans les filatures et fabriques de couvertures de coto n,  

1 à 8 dans les fabriques d’huile, les corderies et papeteries (II, 96).

A  Mons,  peu nombreux dans les carrières, les verreries, les laminoirs, les  

faïenceries, les fabriques de laine, de tabac et de pipes, les enfants sont proportion

nellement nombreux dans les sucreries de betteraves, 1/4 dans les filatures de 

coton, tandis que dans les houillères, il y a 1/5 à 1/8 d’enfants. A Charleroi,  il y a 

1/6 des ouvriers qui n’atteignent pas 16 ans (II, 121). Sur 10 ouvriers, à Tournai, il 

y a un garçon; sur 15 ouvrières, une fille (II, 141); 1/3 dans la fabrication des tapis 

et la filature des laines (II, 144), 1/6 dans les tanneries et fabriques de cuir (II, 145),  

1/4 dans la fabrication du fil à coudre, 1/2 dans la fabrication des cordons (II, 147); 

1/4 dans les fabriques d’indiennes; 1/10 dans les carrières (II, 152); 1/3 dans les 

chocolateries (II, 160), 1/8 dans les carrières (II, 164); 1/10 dans les filatures de  

coton; 1/5 dans le tissage (II, 166). A  Liège,  la proportion est de 1/4, 1/3 et même  

parfois de moitié, particulièrement dans les industries où les machines jouent un  

rôle. A  Namur,  13 % en moyenne (II, 184).

A  Anvers, 3 sur 8 dans les fabriques de soie à coudre, 1/5 dans les fabriques 

d ’étoffes de soie, 1/12 dans une fabrique de calicots et tulles, 1/3 dans une fabrique 

de toiles et coutils, 5/10 dans deux fabriques de papier peint, 1/5 dans une fabrique 

de siam oise, fabriques de drap et dans une fabrique de matière servant de prépara

tion au feutrage de vieux articles en laine, 2/3 dans les fabriques de tabac et cigares.

Les rapport s des co l lèges m édicaux

V A c a d é m i e r o y a l e d e m é d e c i n e ,   nous l ’avons déjà dit , s ignale que le  

nom bre des en fants au travai l est « très con sidérable » , « — la prop ort ion 

m oy en ne d ’une f ilature po ur les enfants est d’un t iers . Sur ce nom bre, la 

m oit ié o n t l ’âge de s ix an s et dem i à dix ans; l ’autre m oit ié de dix à q uinze  

ans. Dans les autres industries , le nombre des enfants employés est égale

m en t très con sidér ab le» (II, 32 6) . Le C o n s e i l d e s a l u b r i t é p u b l i q u e d e  

 B r u x e l l e s   a mené dans l e Brabant une enquête consc ienc ieuse qu i a duré  

environ s ix m ois et po rté sur au m oins 17 0 fabriques et ateliers; les 

renseignem ents rassem blés son t m alheureusem ent di f fic iles à résumer dans 

un tableau. La s o c i é t é d e m é d e c i n e d e G a n d ,   qu i a m ené son enq uête sur le  

t rava i l e t la condi t ion phys ique e t morale des ouvr iers employés dans l es  

manufactures de coton de cet te v i l le , est ime l ’ensemble des ouvriers du  

coto n à 9 ou 10 .00 0 e t é tab l it dans un tab leau la pro port ion des jeunes . Les 

auteurs du rapport , M areska e t Hey m an, on t é tab l i la com paraison av ec  

les d on né es fournies par les indu strie ls :

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Ages Résumé des réponses 

des industriels

Sexe

Mareska et 

Heyman

Sexe

Masculin Féminin Masculin Féminin

Au-dessus de 9 ans   8 7 5

De 9 à 12 ans 

De 12 à 16 ans 

De 16 à 21 ans

De 21 ans et au-dessus

Totaux

73

122

280

517

1.000

41 50 17 

100 170 177  

338 170 322  

514 605 484

1.000 1.000  1.000

Le début de la carrière ouvrière: six ans, mais, de préférence  

après la première communion ce qui évite les « crédits d'heu

res» pour aller au catéchisme

Généralement, i l semble que l’âge d’entrée au travail se situe vers la  

9e année. C ’est du m oins ce qui ap paraît du tableau reprod uit pages 130 , 

131 et que nous avons établ i d’après les réponses des Chambres de  

commerce .

Souv ent cepen dan t c’est à un âge plus précoce qu e les enfants com

m enc ent leur vie de travail. A insi à T erm on de où la fabr ication de f icel le et 

la rubanerie engagent les enfants dès s ix ans. La dentel lerie fait tout  

particulièrement exception à cet âge moyen. A Ypres, c’est dès 5 ans. I l  

s ’agit ici , évidem m ent, des fameu ses « éco les po ur d entel lières » qui , en  

Flandre orientale , en 18 56 , rassemb leront 19 .78 5 jeunes ouvriers . Il devait 

y en avoir un nombre déjà considérable en 1843 bien que la crise de  

l’ industrie linière n’aie pas encore probablement rejeté les fileuses vers la  

den tellerie au m om en t de l’enqu ête. Le rapport du jury de l’ex p osit ion de 

l ’ industrie belge de 1847 note, qu’à cette date en tout cas, «i l est peu  

d ’industries qui pu issent prétendre à occu per autant de bras en Belgique »; 

m ais, à ce m om ent , « . . . nos v il les ne sont p lus seu les en po ssess ion de 

l ’exploi ter . Les cam pag nes s ’en sont emp arées auss i com m e d ’un m oyen de remplacer, jusqu’à un certain point , le travail des f i leuses . Dans les Flan

dres surtout, il y a peu d ’éco les de vi l lage où el le ne se soit introdu ite avec 

av an tage » (322). Le rap por t dit enc ore qu e ce son t les m ains d élicates d es 

 jeunes en fants du sexe fém inin qui « dès l ’âge de six à huit ans, co m m en

ce nt à ap pre nd re l ’art de co nd uire ces fus ea ux légers » (323). C itan t, par  

ailleurs, l ’éc ole des filles pau vres à Brug es, le rapp ort estim e q u ’elle

(322) p. 105. Nous reviendrons sur la question au chapitre 7. Sans doute faut-il lire en  position de

l’exploiter.G23) p. 105.

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« éch ap pe au p rincipe qui prive, en général , les étab lissem ents de cha rité  

d’être placés sur la même l igne que les fabricants ordinaires . Le jury a  

pensé qu’i l ne serait pas juste d’appliquer ce système aux écoles de dentel

les no n sub sidiées; pa rte qu e ces m aison s son t de vér itables ateliers trava il

lant en concurrence avec le commerce ordinaire et , souvent même, pour  

so n co m p te » (324).

A B ruxe lles , « dan s la fabrication des de ntel les , les jeunes ou vrières 

com m en cen t déjà à apprendre dès l ’âge de s ix a n s» (II, 8).

D ans le s hou il lères, s i — év idem m ent — on n ’im ag ine pas des en

fants descendant à l ’âge de s ix ans, on en trouve dès l ’âge de 9 ans. Et  

encore! la C ham bre de com m erce de Tam ines s ign ale avoir « les preuv es  

dan s les relevés fai ts i l y a en viron trois m ois par l ’ad m inis tration des m ines  

que des enfants ont commencé leur état d’ouvrier houi l leur à l ’âge de s ix  

ans et au-dessou s » (I, p . X V I). Les rapporteurs de la C om m iss ion disent  

cependant ne pas avoir conf irmation de ce fai t et croient qu’ i l s ’agi t de  

travaux de surface ( tr iage); par contre, la Chambre de commerce de  

N am ur, après a voir rappelé l ’article 9 du d écret im périal du 3 janvier 18 13  

défendant de la isser descendre dans les mines des enfants au-dessous de  d ix a ns, no te qu e « cette pa rtie de la loi n ’est pa s fidèlem en t ob serv ée » (II, 

183 ) . C ec i ne confirme pas év idem m ent que les enfants com m encent à s ix  

ans. D ’autre part , le docteu r Sch œ nfeld, de Ch arleroi , croit que ce décret  

« est gén éra lem ent observé d ans n otre contrée, et s i l ’on em ploie pa rfois 

des enfants plus jeunes, ce sont des enfants de veuves ou d’ouvriers très 

pa uv res » (III, 2 9 ).

L’Académie royale et la Commiss ion médicale du Hainaut af f irment  

qu e l’âge d ’accès à la m ine est d ix ans. La secon de tro uv e d ’ailleu rs que ce t  

âge est trop bas : « N otr e co nsc ience de méd ecins, de citoyens d ’une nation  

l ibre, nous crie que pour l ivrer nos frères aux travaux propres à ces  

souterr ains, i l faut q u ’ils soien t assez forts po ur ne pa s en recevo ir d ’at

te inte dan s leur orga nisat ion, ni d ’em pêchem ent dans leur édu cat ion. C ’est 

pourquoi nous pensons qu’on ne doit permettre la descente en quest ion  

qu’après l’âge de treize ans, pour les travaux qui ne demandent point  

d ’efforts m usculaires , et de qu atorze ans pou r le service d es w ag on s » (III, 

21 ).

Un tableau établi par l’ ingénieur Bidaut pour l’arrondissement de

(324) p. 110. — Une dépêche de Ganser, procureur général à Gand, à De Haussy, ministre dJustice, le 6 mars 1848, apprend qu’une femme de médecin exploite plusieurs écoles de ce type: « ...hier

>s’est présenté chez moi le sieur Hamelrath, docteur en médecine à Ypres, don t l’épouse, faisant lecommerce de dentelles, emploie un grand nombre d’écoles de jeunes dentellières. Le commerce souffre

considérablement à raison des événements politiques actuels, et Hamelrath a diminué de 10 % le salairequ’il payait à ses ouvrières. (Du reste, il en est de même à Gand.) — Pour ce motif, le docteur Hamelrath est

devenu, m’a-t-il dit, l’objet de menaces de la part de la populace d’Ypres (Archives de la police des

étrangers, dossier général, 15 B in Wouters, Dokumenten betreffende de geschieden der Arbeidersbewe-ging, Deel I, n° 623).

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L’âge du début de la vie de travail selon les chambres de commerce

Chambre de :

Bruxelles

Dentelle

Rubanerie, tissage de laine et de soie 

Tulle

Ateliers de mécanique 

Filature de lin

Manufactures de papier peint 

Fabriques de papier 

Impression d’indiennes

Impression de foulards, soie et mousseline de laine

Teinturerie

Tissage d’étoffes

dès 6 ans

au-dessous de 9 ans

8 ans

9 à 12 ans 

9 ans

9 ans

au-dessous de 9 ans 

9 ans 

9 ans 

9 ans

au-dessous de 9 ans

Louvain 12 à 13 ans

Gand

Filatures 9 ans H

Saint-Nicolas 9 à 12 ans

Alost 9 ans (2)

Termonde

Fabrication de la poudre et construction de navires 

Fabrication de ficelles et rubaneries

8 à 10 ans 

15 à 17 ans 

6 ans

Mons

Filatures de coton

Sucreries de betteraves, fabriques de pipes, faïenceries,

7 à 8 ans

verreries

Fabriques de laine, de tabac, carrières, laminoirs 

Houillères (travaux souterrains)

9 ans 

12 ans

10 ans

Charleroi 10 à 12 ans

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Ch a m b re d e :

Tournai 

Bonneterie 

Fabrication de tapis 

Tanneries, corroyeries 

Filerie, rubanerie Diverses industries à Ath 

Carrières 

Chocolaterie 

Carrières de pierres

Fabrique de porcelaine

Fabrique de chaux, extraction de pierres

Filatures et tissages de coton

12 ans 

9 à 10 ans 

15 ans 

7 ans9 ans 

12 ans

15 ans

10 ans (garçons) 

17 ans (filles)

16 ans

10 ans

11 ans

Liège avant 10 ans

Namur

Faïenceries, houillères, mines, papeteries, filatures, 

fabriques d’objets en terre plastique 

Forges, fonderies de fer, coutellerie, cristallerie,

10 ans

fabriques de cuivre 

Exploitation de marbre, houillères

dès la première 

com munion (3) 

9 ans

Anvers

Fabriques

Dentelle

8 à 9 ans 

6 ans (4)

Ypres

Industrie dentellière 

Autres industries

5 ans 

7 ans

CourtraiTissage, filatures de lin 7 ans(5)

(1) «Quelques parents amènent leurs enfants au-dessous de cet âge» (II, 38).

(2) « On en prend quelques fois à 7 ans, mais c’est un abus » (II, 52).

(3) « Ils doivent commencer jeunes pour parvenir à être ouvriers à l’âge où ils en on t la force » (II,

183).(4) « Les dentellières dans les écoles commencent vers 6   ans » (II, 194).

(5) «Ce travail n’est point fatigant et ne peut énerver leur constitution» (II, 215).

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C harleroi (325), do nt no us ne do nn on s q ue les totaux , fou rnit des rensei

gn em en ts précis sur l’âge des enfa nts occu pé s dan s les m ines de cette région

(II, 254).

9 10 11 12

Hommes 3 9 53 106

Femmes 3 13 34

Total 3 12 66 140

13 14 15 16 ans 17 ans 

et plus

Total

119 142 147 163 2 .763 3.505

51 72 ‘ 55 71 428 • 7 2 7

170 214 202 234 3.191 4.232

La proport ion des moins de seize ans es t donc importante .

L’âge de la première communion est parfois s ignalé comme l ’événe

m ent m arquan t l ’entrée au travail . O n en trouve le m ot i f dans le rapport de 

la Commiss ion médicale de Liège, parlant de la fabrique d’épingles de  

Fra nco tte : « Les en fants son t ad m is, en génér al , après qu ’i ls o n t fait leur 

première communion, mais on en rencontre quelques uns âgés de moins de  

dix ans. Les fabricants préfèrent les premiers quand i ls peuvent s’en  

procurer autant que l’exigent les besoins de l’ industrie, parce qu’une fois  

entrés dans la fabrique, i ls n ’o n t pa s be soin de la qu itter po u r se rendre au catéch ism e» (III, 5 49 ) .

« Q uan d les travaux ne sont Q U E de dou ze heures, les enfants 

ne se plaigne nt pas de la fatigue »

Détecter exactement la durée de la journée de travail n’est pas plus  co m m od e qu e de préciser l’âge de déb ut de travail, qu ’il s’agisse des 

adultes ou des enfants . En matière de durée du travail des enfants au XIXe 

siècle, on cite en général les chiffres les plus élevés, c’est-à-dire ceux qui  

heurten t le p lus , de mêm e — pour produ ire le mêm e e f f e t — on c ite  

sou ve nt les plus bas p ou r l’âge d ’entrée au travail. La s ituation réel le est 

évid em m ent plus n ua nc ée et il est fort diff icile d ’établir, à travers l ’enq uête, 

une m oyen ne de la durée du travail , ce qui pourrait donner un e idée un peu  

plus app rochan te de l ’image réelle . Faute de pou vo ir y arriver, no us avon s  

établi un tableau, qu’on trouvera pages 1 3 6 ,1 3 7 , à partir des répon ses des 

C ham bres de co m m erce à la qua trièm e q uestion qui leur était po sée (326).

(325) Ce tableau concerne les mines suivantes : Marcinelle (Nord), Carabinier français, Ardinoises,

Pays de Liège, Gouffre, Monceau Fontaine, Réunion (Mont sur Marchienne), Bayemont, Sacré madame,

Falmée, Lodelinsart, Bascoup, Courcelles (Nord), Sars le Moulin, Sacré Français, Mariemont, L’Olive.(326) « Quelle est la durée habituelle du travail journalier pour les enfants? Signalez les cas où cette

durée vous paraît excessive. » — Il se dégage clairement des réponses que les Chambres ont bien distinguéles deux éléments dans leurs rapports; elles n’ont pas répondu à la première partie de la question par des

renseignements relatifs à la seconde partie. On peut donc faire confiance aux chiffres qu’elles fournissent,

d’autant plus, comme nous l’avons déjà signalé, que les dirigeants des chambres n’avaient aucun intérêt à

noircir le tableau.

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Ce tableau comprend deux co lonnes ; l es Chambres répondant à la ques

tion soit en donnant le nombre d’heures de travail journalier, soit par le  

détour des heures de début et f in du travail . Pour rester aussi près que  

poss ible des données de l ’enquête , nous reprenons les deux formulat ions . 

L ’« im pr ession » q u ’on retire c ’est que g én éra lem ent la journ ée de travail 

est de douz e heures — un peu m oins en h iver faute d ’éc la irage— avec une  

heure environ po ur les repas . Evidemm ent , com m e po ur l ’âge du début de 

travail , i l y a de nombreuses exceptions.

U ne ch ose qu i appara ît certaine à travers l ’enq uête, c ’est que la durée 

du travail des enfants est la même que cel le des adultes . A partir des  

réponses des industriels, les rapporteurs Visschers et Ducpétiaux l’ont affirm é n ettem en t : « la durée d u travail est, sau f de rares exc ep tion s, la 

même pour les enfants et les jeunes gens que pour les adultes; el le est  

gén éralem ent de d ouz e h eures et varie entre huit et quin ze heu res » (I, p.

V).

De cette af f irmation, on trouve maintes conf irmations dans les ré

ponses venues d’autres mil ieux.

Dans les mines du Borinage, répond la Commiss ion médicale du 

Hainaut, la durée du travail « est la même pour l’adulte et pour l’enfant,  

douze à quatorze heures en général. . . » (III, 21), dans les autres centres  

d ’ex p loita tion , elle, n ’est que"de 7 à 8  h. ( id.) . Ceci laisserait supposer une  

durée du travail plus long ue dans les m ines du Bor inage, m ais on ne trouve  

pas confirmation de cette opinion; c’est ainsi que le docteur Schœnfeld de  

C ha rlero i pa rle de d ou ze he ur es de travail jour nalier : « . . . c ’est à d ix an s, 

l imite inférieure de l’âge des enfants employés, que l’enfant de l’ouvrier  

m ineur dev ient traîneur ou hiercheur. Le m inimu m de la journée de travail 

de cet enfan t est de neu f heures, dep uis sept à huit heures du m atin ju squ ’à 

six, ou dep uis cinq à s ix heures de relevée jusqu ’à quatre heures du m atin; 

le maximum de la journée es t de douze heures , et ce maximum est plus  

gén éralem ent suivi , car les ouvriers traîneurs son t, com m e les autres, à leur 

tâche et non à la journée. L’enfant se lève à six heures du matin, se lave 

tant bien que mal la face et les mains, déjeune de tafé faible au lait , à la  

chicorée, et de pain; i l em po rte avec lui son bidon plein du m êm e l iquide et 

du pain un peu beurré; dans le courant du travail , i l mange et boit selon  

que le besoin se fait sentir; le soir il mange de la soupe ou de la salade, se  

lave et se cou ch e. La distance de la fosse à l ’ha bitation est souv en t grande;  

souvent ces enfants jouent après le travail et jouissent alors de l’air pur des 

ch am p s» (!) (III, 30 ). A L iège aussi, i l y a assim ilation de la durée du  

travail des en fan ts à celle des a du ltes : « la durée du travail des en fants est  

la m êm e que cel le du travail des adu ltes » répond la Ch am bre de com m erce 

(II, 17 0) et le docte ur F ossio n d on n e exa ctem en t le m êm e avis : « . . . leur 

travail dure autant que celui de l’adulte» (III , 41) . L’Académie de méde

cine l’aff irme également en précisant que c’est une s ituation généralisée:

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« La durée du travai l des enfan ts des deu x sexes dans les m anu factures , 

m ines et usines , est la m êm e que cel le des ho m m es forts » (II, 3 2 8 ) . M êm e 

s i tuat ion à Gand dans l es manufactures de coton pour l esque l l es l e s  

docteurs M areska e t H eym an s ignalent que « la durée du trava il pou r les 

enfan ts est la m êm e q ue cel le pou r les ou vriers adultes » (III, 3 6 6 ) . C ette 

dur ée, ils la décr ivent ainsi : « la durée h ab ituel le des trav au x, dan s no s  

étab li ssem ents , e s t don c de d ouz e à q uatorze heures , c inq fo i s par sema ine  

et de sept à neu f heures le lun di , ce qui revient à soixa nte-sep t o u soixa nte  

et dix-n eu f heures par sem aine, d ’après les saisons » (III, 3 6 4 ) . Fro idem ent,  

les de ux m édecins fon t remarquer : « qu and les travaux n e so nt q ue de  

do uz e h eures, les enfa nts ne se plaign en t pa s de la fatigue » (III, 36 6 ) .

E videm m ent , presque partout , « la journée de travail est cou pé e par 

trois intervalles de repos, à savoir, une demi heure le matin, une heure à 

m idi et une dem i heure l ’après d îné e» (I, p . V ) , m ais la C om m ission  

médicale locale de Bruxel les constate que l ’ouvrier travai l le douze heures  

en été, n on com pris les heures de repos; el le ajoute, elle aussi , qu e « les 

enfants son t en général ass im i lés au x ad ultes sous le rapport de la durée du  

travai l » ( III, 63 5 ) . A Y pres, se lon la C ham bre de com m erce, les dentel liè

res et les garçons boulangers travail lent de manière continue (II, 210) .

L orsq u’il y a p ro lon ga tion du travail, l ’assim ilat ion su bsiste. C ’est ce  

qu’a noté le Consei l de salubri té publ ique de Bruxel les , parlant d’une  

fabrique de dentel les désignée E tabl issem ent A : « la journée des plus 

 jeu nes en fan ts est gén éra lem en t éga le en durée à ce lle des ad u ltes , e lle p eu t 

se prolonger pendant quatorze ou quinze heures ( . . . ) ; quelquefois les  

ouv rières ( . .. ) travail lent la nu it ou le dim an che ( .. .) ; qua nd i l y a un travail 

extraordinaire la n uit ou le d im anch e, les enfants do ivent y prendre part » 

( II , 460) . Le même consei l le note aussi à propos d’une fabrique de tabacs  

et cigares (Etablissement B); la durée du travail , en été, va de 6  heures du  

m atin à 7 heures du soir , en hiver , de 7 heures à 7 heures , m ais , ajouten t les 

enq uêteurs, « il arrive qu elque fois , dan s des ca s pressants , qu e l ’on dép asse  

ces l imites ordinaires de travai l ; cependant on ne les dépasse guère que  

d ’un e heu re.  L e s e n f a n t s d o i v e n t a l o r s t r a v a i l l e r c o m m e l e s o u v r i e r s f a i t s   » 

(II, 429) .Les rapporteurs de la C om m iss ion de 1843 on t cru po uv oir conc lure

 

— à la sui te des réponses des indu strie ls— que dans la plupart des ind us

tries, i l n ’y a p as de trav ail de nuit; ce travail n ’ex istait guère à l ’ép oq u e q ue  

dans les mines et les usines à feu continu, quelques f i latures de l in, et , 

occ asion ne l lem ent , lorsque l ’ouvrage est pressé , dans les fabriques de drap  

et de co ton . Les enfants — toujours se lon les rapporteurs — y son t astreints 

de même que les adultes (I , p. V). Le Consei l central de salubrité publique  

de B rux elles sign ale certaines indu stries où le travail dure 24 heures : dan s  

une fab rique de pa pier (E tablissem ent B), « les meun iers travail lent encore 

24 heures de sui te , mais on nous a assuré que bientôt on les re layerai t de

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dou ze en do uz e heures » (II, 4 0 6 ) . Il en es t de m êm e dan s un établ issem ent  

similaire (Etablisseme nt F, II, 4 0 9 ) où les ouvriers ga gn en t 2 ,7 2 fr. po ur les  

2 4 heures et à l ’Etabl issem ent G , où , pour 24 heures de travail con sécu t if   

i ls ne ga gn en t que 1 ,35 à 1,4 4 fr. (II, 4 1 1 ); à l ’Etab lissem ent H , les 

m euniers t ravail lent éga lemen t 2 4 heures . La Com m iss ion m édica le de 

Liège con state que « les ouvriers en z inc, de m êm e q ue ceu x qui sont 

em ployés à la rédu ct ion des autres m étaux , travail lent vingt-quatre heures 

et se reposen t le m êm e laps de tem ps » (III, 53 1); m ais , ajoute la C om m is

s ion l iégeo ise , « les dix-neu f heures qui restent son t em ployée s à un travail 

de surv eil lanc e, qu i n ’est nullem ent pé nible, et à la fon te des l ing ots » (III, 

5 31 ); les enfants qui sont occup és u niquem ent au tr iage des débris de vieu x  

creusets « quit tent cet te occ up at ion quan d i ls le jugent à pro po s , sans 

 jam ais être astreints à un travail co n tin u » (III, 5 3 1 ) .

La Commiss ion médica le loca le de Bruxel les n’a pas rencontré de  

 jeunes ouvriers occu p és p en d an t la n u it (III, 6 3 7 ) . Il en est de m êm e dans  

les m anu factures de c oton gan toises s i on en croi t le docteur M areska :

« La plupa rt des fabricants , dit- il , considéra ient les travaux ex cep tionn els  

de nu it co m m e n uisibles à leurs intérêts. La m ain-d ’œ uv re, disaient- i ls , est  

plus chère à ca use de la lum ière, et l ’ouv rage est m oin s bo n : ce son t là 

deux condi t ions fâcheuses dans un pays où l ’ ex igence du consommateur  

est grande, et où, par la réduct ion du m arché, l ’éco ulem en t des prod uits es t 

de ve nu p lus d ifficile » (III, 36 5 ).

Les C ham bres de com m erce répondent de m êm e que , dans la p lupart 

des branches, i l n’y a pas de travail de nuit , bien que parfois celui-ci se  

présente en période d e presse . La Ch am bre de Bruxel les signale une exce p

t ion « po ur les établ issem ents où les mécan iques so nt m ult ipl iées, fort 

coûteuses , et où les chefs ont par conséquent un intérêt fort grave à leur  

faire produire tout ce qu’el les peuvent; tel les sont ici les machines à 

fabriquer le tulle et à filer le l in. Telle est aussi la fabrique d’acides où  

de ux ouvriers son t occu pés tou tes les n uits» (II, 13); à Te rm ond e,

« chez qu elqu es rub aniers , on travaille le soir, en h iver de sept à n eu f  

ou d ix he ures» (II, 80) . La C ham bre de com m erce de M on s a cons taté 

que c’est seulement dans les houil lères que les enfants travail lent la nuit , 

i ls so nt « rarem ent » âgés d e m oins de 13 ans et n e trav aillent pa s le 

 jour (II, 1 0 4 ). G o n o t, in gén ieu r d es m ines de la prem iè re d iv is ion d u  

H aina ut est im e q u ’un tiers des m oin s de 16 a ns trava illent la nuit (II, 22 6 );  

Delneufcour, du 1er district de la première divis ion est ime que dans les  

m ines du B or inage , deux- s ep t ièm es — s o it 750 à 8 0 0 — des ouvriers de 10  

à 16 ans travail lent la nuit (II , 238); selon Bidaut, pour Charleroi (2e 

d istria , l re divis ion ) , 1 78 m ineurs de m oins de 1 7 ans travai llent la nuit (II, 

267) . A Namur, se lon la Chambre de commerce , l es enfants , dans l es  

m ines, « fo n t leur p ério de de nu it » et « la fon te des cristalleries ex ige un  

travail de nu it auq uel les en fan ts pren nen t part » (II, 1 84 ). A To ur na i, dans

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La durée du travail selon les chambres de commerce

Chambre de commerce de : Durée du travail 

par jour Heures de début et 

de fin du travail

Bruxelles

Rubanerie 8 à 9 h.

Tulles 11 à 12 h.

Ateliers de mécanique 12 à 13 h.

Filatures de lin   — de 6 h. à 19 h.

Fabriques de papier 11 h. de 7 h. à 18 h.

Papiers peints Eté: 12 h. Hiver: 9 h.

Dentellières   — de 6 h. à 21 h.

Imprimeurs d’indiennes Eté: 12 h. 

Hiver: 9 h.

Tissage d’étoffes Eté : 12 h. 

Hiver: 9 h.

Fabrique diacides   12V î   h.

Louvain Eté : 12 h. 

Hiver: 8 h.

Gand   — Eté: 5 à 20 h.

— Hiver: de l’aube à 21/22 h.

Saint-Nicolas   — Eté: 5 à 20 h.

— Hiver: 7 à 20 h.

Alost   — Eté : 6 à 20 h.

— Hiver: 7 a 20 h. •Termonde

Delwart-Landas   — 6 à 18 h.

Vermeire Eté : 12 h.   —

Hiver: 7/8 h.   —

J. d’Hollander   — 6 à 19 h.

Van den Steen 8/10 h. —

Mons   — Eté : 6 à 19 h.

— Hiver: 7 à 18 h.— Houillères: 4 à 16 h.

Charleroi 9/12 h. —

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Chambre de commerce de : Durée du travail Heures de début etpar jour de fin du travail

Tournai

Bonneterie ± 12 h.

Tapis 12 h. —

Tanneries, Corroyeries   — 6 à 20 h.

Filerie, rubanerie 13 h.   —

Diverses industries (Ath) Eté : 12 h. 

Hiver: 8 h.

Fabriques de chocolat et

commerce d’épicerie — 6 à 20 h.

Fabrication de porcelaine 

Fabrication de chaux et

12 h. —

extraction de pierres Eté : 10 h. 

Hiver: 8 h.

Filature et tissage de coton Com me les adultes

Liège 12 h.

8 h. (houillères)fréquemm ent porté à 13 /14 h.

Namur

Houillères 8 h.

Fabriques 12 h.

Filatures

Forges, fabriques de

14 h.

cuivre et de couteaux 10/12 h.

Verreries 11 h.

Tailleurs sur cristaux 10 h.

Carrières de marbre Eté: 11 h. 

Hiver: 8/9 h.

Anvers 10/11 h.

Ypres

Dentelle Eté: 7 à 19 h. (en ville)

6 à 20 h. (à la campagne);

Hiver:  3U   d’h. en moins.

Boulangers   — 2 h. du m atin à une heure fort;avancée de la nuit.

Courtrai moindre que pour

les ouvriers.

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la chocolaterie et le commerce d’épicerie, lorsque les enfants travail lent la  

nuit , « c’est le sam edi, de m anière q u ’ils se repo sent le dim an che » (II, 1 60 ) . 

La Chambre de commerce d’Ypres rapporte que les apprent is boulangers , 

sou ven t, « son t à l ’ou vra ge d epu is deu x heures du m atin jusq u’à d ix heures 

du soir» ( II , 210) . Cel le de Gand s ignale que lorsque les enfants sont 

occ up és la nu it , « on cesse à 9 h eures du soir po ur reprendre à 10 heures et 

le travail est con tinu é avec un intervalle d ’une dem i heure à m inuit 

 ju sq u ’au jo u r» (V , 3 9 ) .

L’enfant, petit moteur électrique de la machine du 19e siècle, 

o u jeune lam ineur « do nt la fibre m usculaire est pu isam m ent 

stimulée par la crainte du danger », ou jeune houilleur « qu’il 

est cruellemen t utile de faire descendre de bo nn e heure »

La plupart des réponses à l ’enquête de 1843 présentent les travaux  

do nt o n charge les enfan ts com m e travaux légers : travaux de pet i t s m a

nœuvres, d’aide ouvrier, etc.

Dans les fabriques de bas, répond la Commission médicale d’Anvers, « les 

enfants de dix à onze ans sont employés au dévidage; ce travail n’excède pas leurs  

forces, et sa durée ne dépasse pas une limite convenable » (III, 187), à la Fabrique  

de papiers peints Delhuvenne, à Turnhout, « les jeunes ouvriers de 9 à 16 ans sont 

employés à pendre et à sécher le papier, et à peindre les images » (III, 20 4) . A 

Louvain, on répond qu’ils aident les ouvriers (II, 33); à Saint Nicolas, les garçons  

rattachent et dévident dans les filatures (II, 46) tandis que les filles assortissent et 

épluchent les laines (II, 46 ); à Alost, les enfants bobinent le fil et le coton , battent le 

fil, égalisent les couleurs dans les imprimeries, font les commissions (II, 52); à 

Termonde, ils sont occupés à la fabrication de la dentelle (II, 90); à Namur, les 

enfants sont manœuvres légers dans les fabriques de papier et dans l’extraction 

plastique, dans les filatures de coton, ils surveillent les machines (II, 183).

La Chambre de Tournai fournit de nombreuses réponses du même genre:  

« Les garçons font leur apprentissage sur les métiers à bas, etc. Les filles apprennent 

à coudre et à bobiner » (Bonneterie, II, 14 1) , « préparation de la matière première à 

placer sur métiers; ils sont aussi chargés des dernières manipulations que l’on fait 

subir aux marchandises avant de les livrer à la consommation » (Filerie et rubane-  

rie, II, 14 7) , « étendre, au m oyen de petites brosses, sur des tamis en drap, les 

couleurs dont on se sert pour imprimer » (Fabriques d’indiennes, II, 152), « mise en 

forme des chocolats et menues préparations » (Fabriques de chocolat, II, 160), 

« taille des pierres...; les jeunes filles achèvent la polissure des carreaux à paver, qui 

ont subi une première opération au moyen du manège (Carrières, II, 162), « dé

blayer le banc de rocher des petites pierres et la chaux des résidus; ils font aussi des 

marchés de terrassements » (Fabrication de chaux et extraction de pierres, II, 164), 

« dans la filature, quelques petites so igneuses et rattache uses; dans le tissage, les 

bobineurs de la trame » (Filature et tissage de coton , II, 166).

Il ne faut pourtant pas trop s’ i l lusionner sur la légèreté du travail 

dévolu aux enfants. Le travail de dentel lerie par exemple apparaît à

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première vue com m e un travai l léger . La Cham bre de com m erce d ’An vers 

s ignale pourtant com m e u ne excep t ion aux travaux « qu i ne fa tiguent 

p oint et qui ne son t pas su scept ibles de nuire au dévelop pem ent » (II, 19 4)  

le travail des den tellières de T u m h ou t et de quelques local ités de la 

C am pine : « les jeunes f i lles étan t p ou r la plupart en fants de t isseran ds, les  

ateliers de t issage leur servent d ’éco les; el les trava illent dan s ces en dro its 

humides et malsains depuis sept heures du mat in jusqu’à midi , e t depuis  

une heure de l ’après-midi jusqu’à huit heures du soir, et cela dès l ’âge de  

six ans. Le mauvais air qu’el les respirent continuellement, joint à leur 

po si t ion assise et p lus ou m oins cou rbée, ne peut ma nqu er d ’être funeste à 

leur santé et à leur cro issance : aussi , elles con tracten t ordinairem ent des 

difform ités et viei l lissent ava nt le tem p s» (II, 19 5 ) .

D an s le m êm e sens, la descript ion fourn ie par l ’A cad ém ie royale de  

m édecine at tire l ’at tent ion sur des travaux s ou ven t présentés com m e lé

gers : ceu x de s enfants em ploy és co m m e rattacheurs dans les fi latures de fi l 

et de c oto n à la m écan ique : « Ces d erniers son t chargés de su rveil ler les 

f il s, de rattacher ceux qui se rom pent , de net toyer les bo bines , de ram ener 

le coto n qui s ’éch ap pe du v enti lateur, au risque de se faire broyer les do igts  

et les m ains par les rouag es des m achines . C e son t , à proprem ent parler , d it 

un auteur moderne, les aides, les élèves, et presque toujours les souffre- 

douleurs d u f ileur. Ajoutez que ces diverses occu pa t ion s exigen t de l ’enfan t 

une attention et une act ivité qui ne soient jamais interrompues, car le 

moteur est là qui les presse, et toute distract ion de leur part , par cela seul  

qu’el le serait préjudiciable au f i leur, serait punie de la manière la plus 

sévèr e» (II, 3 29 ) .

Ce travai l est pou rtant fréquent : à Gan d, se lon M areska et H eym an , 

« tous les garçons, à l ’exception de quelques enlaçeurs et apprentis t isse

rands, so nt des rattacheurs et des m on teurs. . . » (III, 3 5 7 ) .

Il est enco re d ’autres travau x, co m m e ceu x d es « épingleries à tête 

battue » exercés presque exc lusivem ent par des enfants de 10 ans e t m oins ,  

d on t la C om m ission m éd icale de Liège décrit l ’act ivité : « C es pet its enfa nts 

introduisent , à l ’aide de la main gauche, la t ige de l ’épingle dans la tête, 

placen t cet te tête sous un m ou ton du poids de 4 à 5 ki logr. , qu ’ils font 

m ou vo ir quatre à cinq fo is de suite par un levier à l ’aide de la jamb e dro ite 

alors que la main gauche est déjà occupée à introduire une nouvel le t ige  

dan s un e au tre tête et ainsi de su ite tant que la journée dure » (III, 54 9 ) . E t 

cet te journée dure 12 heures! La même commission médicale fa i t montre  

d’une admirat ion assez désarmante devant le travai l des lamineurs qui  

d ébu tent dès l ’âge de 1 2 à 15 an s et travaillent 12 h eures par jour: « leur 

act iv i té est admirable; on ne comprendrait point l ’adresse dont i l s font  

preuve en saisissant le métal en ignit ion, en le passant d’une f i l ière à  

l ’autre, si l ’on ne connaissait pas tout ce que peut une longue habitude sur  

de jeunes sujets, dont la f ibre musculaire est puissamment st imulée par la

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crainte du danger, l ’ incandescence des barreaux de fer qu’i ls manient, le  

bruit et la vitesse d es m ach ines et des lam ineurs » (III, 5 3 3 ). C ’est là un  

effet de l ’environnement auquel on n’aurait pas pensé!

Le travail des enfants dans les mines ne paraît pas appuyer l’hy

pothèse des « travaux légers» . Evidemment l e docteur Peetermans fa i t  

enco re une dé po sit ion op tim iste (327) sur ce sujet : « l ’em ploi des c he va ux , 

un air plus pur et l ’assèchem ent des travaux souterrains o nt en f in m is un 

terme à la plupart des causes qui , dans les charbonnages , produisaient  

spécialement ces effets ( les maladies qu’i l a décrites auparavant) sur l’en

fance employée ci-devant au traînage des produits , espèce de travail très 

n uisib le et p ou r lequ el elle était très rech erch ée » (III, 13 1 ).. . les acc iden ts « son t actuellem ent d ’une ex cessive r areté» ( id.) .. . et i l va m êm e jusqu ’à 

considérer « les inco nv énients at tachés au travail du jeune m ineur com m e  

m oins grands et m oins d éfavorables à sa con st itut ion phys ique, que ceux  

qui résultent des pro fession s séde ntaires emb rassées par d ’autres enfants » 

(III, 1 32 ). M ais Peeterm ans a born é ses recherches aux m ines de sa loca lité. 

Les ingénieurs des mines de la trois ième divis ion (Liège) nous apprennent  

effect ivement que « dans les grandes mines , comme dans cel les du canton  

de Seraing, où le trainage est exécuté presque partout par des chevaux, les 

enfants sont occupés à reporter les lampes, nettoyer les rigoles , porter des  

m atériaux , fermer les portes et il s sont à peu près en m êm e no m bre le jour 

que la n u it» (II, 3 1 0 ) . M ais il n ’en est pas partout de mêm e; « d a n s les 

mines moins importantes , comme cel les qui se trouvent au nord de la  

Vesdre, rapportent ces ingénieurs , les enfants sont employés comme traî

neurs et l ’extraction étant plus active le jour que la nuit , on emploie  

bea uco up plus d ’enfants pend ant le jour que pen dan t la nuit » (II, 31 0) . Le 

docteur Foss ion auss i es t plus nuancé que Peetermans: «I l es t de ces  

enfants , et c’es t le plus grand nombre, dont l ’occupat ion cons is te à  

conduire la houi l le , soi t au puits d’extract ion pour être immédiatement  

chargé dans le cuffat , soit dans les galeries principales qui sont assez  

élevées et assez larges pour que les chevaux puissent y circuler. Dans les  

anciennes houil lères , le charbon était chargé dans des espèces de paniers 

que l’on devait traîner sur la terre toujours recouverte de pierres, de  

morceaux de houi l le , etc . Cette tâche étai t extrêmement fat igante; e l le  

épuisait les forces des petits malheureux que l’on voue au métier de  

houil leur. Les galeries étaient quelquefois tel lement basses que les enfants  

de dix à douze ans devaient se courber et se pl ier pour y circuler. Depuis  

quelques années, cet état de choses s’est beaucoup amélioré. . . » (III , 77) .

Pour le bassin de Charleroi , une s ituation assez semblable est décrite

(327) Signalons que le docteur Peetermans était chargé depuis dix ans du service médchirurgical des trois charbonnages de l’Espérance à Seraing (III, 131).

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par le do cteu r S chœ nfeld : « D an s un p etit nom bre de fosses de p eu  

d ’im portance, app elées cayats , on em ploie encore l ’ancien m od e de traîna

ge. C e m od e, q ui con siste à faire t irer par les enfan ts un traîneau sur lequ el 

est placé un cuffat , a des inconvénients grades pour l’enfant qui doit faire  

beaucoup d’efforts pour vaincre la résistance que rencontre le traîneau. 

Depuis d ix à douze ans , on emplo ie rarement ce mode de transport dans  

l ’ intérieur des mines et ceux qui, autrefois , ont travail lé à ce genre de  

traînage se fo nt rem arquer à l’observateur par la stature et la con stitution  

que j’ai décrites au commencement de ma lettre; ceux-là ont été é c r a s é s  

dans les fosses , suivant l ’expression pittoresque des ouvriers» (III , 30) .

Le « hierchage » par les enfants était donc une plaie avant l’enquête  de 1 84 3. Le docteur Lebeau, en 18 28 , y faisai t déjà allus ion. Ce m al , pou r  

le docteur hutois naît du dénuement absolu de la majori té des habitants  

des com m un es de la r ive gauch e de la M euse. C e « travail forcé au quel sont  

ob ligés de se livrer, trop jeunes, les m alheur eux e nfan s des paysans; à peine  

ont- i ls sept à huit ans que le plus grand nom bre v on t déjà aux travaux d es 

hou i llères ou des alunières. Q u ’on se f igure com m ent do it se développ er un  

infortuné, obl igé de traîner chaque jour pendant dix heures un poids  

au-dessus de ses forces , dans la posit ion la plus gênante, et renfermé dans  

une mine dont l’air humide et vicié n’est jamais corrigé par la lumière du  

so leil... » (328). Il n ’est pa s certa in q ue ce gen re d e trava il infan tile, gé né ra

teur d ’une « fou le de graves accid en ts », rend ant les en fan ts « im pro pres au  

travail à un âge où d’autres ont acquis un plus grand degré de force  

(Chambre de commerce de Namur, I I , 183) , so i t é l iminé au moment de  

l ’enqu ête. C ’est ainsi que Bidau t, ingén ieur de la prem ière d ivision du  

premier district (Charleroi) , constate que le transport des «substances  

pro vena nt du p ercem ent des excav at ions prat iquées d ans les m ines » est  

assuré par « 1  un certain nombre d’individus mâles ayant dépassé seize  

ans; 2  tou tes les fem m es em ploy ées dans les travau x intérieurs; 3  tous les  

individus mâles au-dessous de seize ans , excepté ceux qui sont employés  

com m e aides des catégories de m ineurs que je viens de désigner » (II , 2 6 3 ).  

On trouve conf irmation de cet te dernière constatat ion dans les cons idéra

t ions de la Chambre de commerce de Charleroi à propos du travai l des 

enfants dan s les m ines :

« Il est une partie des travaux imposés aux enfants dans les mines de houille  

qui nous paraît nuisible à leur santé. Souvent ils sont employés à  hiercher, c’est-à- 

dire à tirer ou pousser les chariots chargés de charbon pour les conduire depuis 

l ’endroit où travaille le mineur proprement dit, jusqu’au puits d’extraction : c’est 

un travail très fatigant. Obligé quelquefois par le peu de hauteur de la galerie, à 

ramper, le jeune ouvrier s’attache au corps une sangle, terminée par une chaîne  

accrochée au chariot ou wagon. Il se traîne alors, comme il le peut, sur les pieds et

(328) Docteur Lebeau, Topographie médicale du Canton de Huy,  1828, p. 86.

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les mains, tandis qu’un autre enfant, placé derrière le chariot, le pousse devant lui 

avec la tête et les mains. Ceux-là sont écrasés dans les fosses, suivant l’expression  

des ouvriers. Ce travail est d’autant plus au-dessus de leurs forces, qu’ils sont  

obligés de l’accomplir dans les galeries basses et étroites, exposés tantôt à des 

courants d’air très frais, tantôt à une température assez élevée, et ayant constamment à lutter contre les mauvais effets de la poussière de charbon et des gaz 

délétères. Heureusement que déjà la science a apporté quelques changements au 

système suivi depuis longtemps; et, dans certaines exploitations, des chemins de fer 

rendent plus facile la traction des chariots chargés de houille. Il serait à désirer que  

ce système fut mis indistinctement en usage dans toutes nos exploitations, notam

ment dans les remises à forfait. Les ouvriers hiercheurs se font généralement  

remarquer par leur constitution rachitique.

« La sûreté des m ines exige que les galeries soient coupées par des portes, 

afin de prévenir de dangereux courants d’air, qui, dans les entrailles de la terre, 

pourraient produire de terribles accidents. Ce sont ordinairement des enfants qui 

sont chargés de la garde de ces portes, qu’ils doivent ouvrir aussitôt qu’un ouvrier  

ou qu’un chariot se présente, et qui se referment d’elles-mêmes, ordinairement dans 

l’obscurité, car on ne leur fournit pas toujours de la lumière, et dans l’humidité  

pendant tout le temps que dure la journée de travail, ces enfants arrivent souvent à 

un état d’imbécilité qu’ils conservent toute leur vie, indépendamment de l’altéra

tion de leur constitu tion physique » (II, 12 2, 123).

On peut même être sûr que le hiérchage par les enfants pers is te  

plusieurs ann ées après l ’enqu ête. Ainsi le docteu r H an ot écrit enco re à ce 

sujet en 18 46 :

« Le genre de travail qui m’a paru le plus rude et le plus dur, c’est le traînage 

du charbon dans les différentes galeries : il se fait ordinairement par des jeunes gens 

forts et robustes, et le plus souvent étrangers au pays charbonnier, car les ouvriers  

de la localité s’en gardent bien en général. Au reste, ce service fatigant, qui a lieu,  pour la plupart des houillères, dans la voie d’arrivage de l’air frais, où celui-ci n’a  

pas encore pu se vicier, s’accorde bien avec la dépense de forces que ce travail exige. 

Le charbon est transporté au moyen de chariots dont la grandeur varie; les roues  

marchent ordinairement sur des rails en fer » (329).

H an ot a d ’ail leurs une curieuse p os i t ion en face de ce prob lème. Il 

n’est pas un tenant de l’adaptation de la machine à l’homme, mais de  

l ’homme à la machine.

«M oi, je soutiens, écrit-il, et j’en ai la preuve, qu’il est infiniment plus 

dangereux de laisser commencer à descendre dans les travaux des mines un homm e 

fait qu’un jeune enfant : je vais plus loin, et je dis qu’il est cruellement utile de faire 

descendre de bonne heure un enfant qu’on destine à la profession de houilleur; car, 

 je le répète, on se fait à tout, et c’est dans le jeune âge, comme je l ’ai prouvé, qu’on 

doit s’y prendre pour y parvenir. Cet enfant s’habituera à grimper pour monter aux

(329) Docteur Hano t, De la mortalité des ouvriers mineurs, Bruxelles, 1846, p. 82. L’essentiel

cet ouvrage est un mémoire présenté par l’auteur à la Société des Sciences, des Arts et des Lettres duHainaut.

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échelles; il s’habituera à se nourrir d ’un air peu riche en oxygèn e : les positions gênantes qu’on est forcé de tenir dans ce genre de travaux lui deviendront familiè

res; il basera de bonne heure son alimentation sur sa respiration, dont la somme  d’activité de fonction se dosera sur elle; sa poitrine ne prendra pas une ampleur inutile et dangereuse pour lui : en effet, j’ai cru remarquer que les hommes au thorax large et développé devenaient plus tôt asthmatiques que ceux dont celui-ci  est long et étroit; et il s’établira un équilibre organique entre le milieu dans lequel il  est appelé à vivre et la constitution physique qui lui sera convenable; enfin, sa  nature se sera moulée sur son genre de vie, et il aura acquis droit de domicile dans  ces sombres demeures qui, pareilles au sol africain pour ce Samoyède transplanté,  tuent celui qui voudrait venir les habiter, passé un certain âge » (33°).

C ’est ce que H an ot a ppel le « la période d ’accl im atem ent » de l ’enfant  ho ui l leur :

A son entrée dans les travaux des mines, il s’opère une révolution complète  dans ses habitudes, sa manière de vivre. Il se lève maintenant à deux heures du matin et on sait quelle influence a la privation du sommeil sur la santé, et surtout  sur celle d’un enfant : il doit, pour gagner la fosse où il travaille, voyager par toutes  les intempéries des saisons; il va descendre les échelles, respirer un air vicié (*), être contraint dans une attitude plus ou moins immobile et gênante, puis ensuite il  

remontera par les échelles que nous connaissons. Ajoutez à cela la cessation de ses  jeux, le changem ent de son régime, et vous conviendrez qu’une révolution aussi bouleversante, qui s’opère tout à coup autour de cette tendre organisation, suffit  déjà pour imprimer à ce jeune sujet une teinte de souffrance intérieure qu’on lit  dans ses traits. Aussi le voit-on bientôt pâlir et maigrir; son appétit diminue; il devient triste; il répugne au mouvement; enfin, il présente tous les symptômes, que nous connaisson s déjà, de dépérissement et d ’affaissement physique : c’est la période d 'acclimatement » (330331).

H an ot n ’est pas inventeur de cet te curieuse at ti tude, pu isqu’en 18 43  déjà, le docteur V and enbr oeck relatait que « quelques m édecins , ce m e  

semble, ont émis à ce sujet une opinion bien étrange en avançant que la  

l imite d’âge adoptée pouvait être plutôt d iminuée qu’augmentée ,  p a r c e  

q u e ,   disaient-ils, l e s e n f a n t s e m p l o y é s d a n s l e s m i n e s a c q u i è r e n t f a c i l e m e n t   

l ' h a b i t u d e d u t r a v a i l e t q u ' i l s s o u f f r e n t m o i n s , p l u s t a r d , d e s i n c o n v é n i e n t s  

a t t a c h é s à l ' e x e r c i c e d e l e u r p r o f e s s i o n .   Cette manière de voir, ajoutait  

Vandenbroek, n’est que spécieuse, et je vais tâcher de le démontrer » (332).  Avant cela Vandenbroeck s’était déjà, lui , prononcé contre l ’art icle 29 du  

décret du 3 janvier 18 13 (333) interd isant de laisser descen dre les en fants d e

(330) Hanot, o.c., pp. 102/103.* « On sait que plusieurs de ces enfants, fixés invariablement dans une impasse, qui est un bout de

galerie fermé par une porte qu’ils sont chargés d’ouvrir, se trouvent par conséquent inactifs dans un air peurenouvelé ».

(331) Id., pp. 106, 107. ,(332) Docteur Vandenbroeck, professeur de chimie, de métallurgie et d’hygiène à l’école provin

ciale des mines du Hainaut,  Aperçu sur l'état physique et moral de certaines classes ouvrières.  Présenté àM. le ministre des Travaux publics, Bruxelles 1843 1843, p. 51.

(333) Confirmé par l’article 7 du règlement de la députation des États du Hainaut le 17 sept. 1833.

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m oins de dix ans; n on seulem ent , af f irm ait- il , « cet te injon ct ion ne se 

trouv e pas toujours ob servée », m ais « la l im ite q u ’el le assigne ne m e paraît 

pa s suff isante » (334). C ette l im ite pou r V and enb roec k aurait dû être portée  

à 15 ans.

On peut donc conclure que, dans les mines , les enfants exercèrent  

très longtemps les fonct ions de hiercheurs dans des condit ions extrême

m ent pénibles . Pet it à pet i t, il s furent remplacés par des m oyen s m écan i

ques. C e dernier p hé no m èn e est im po rtan t à noter. Il paraît en effet certain  

qu’un des éléments les plus pénibles du travail des enfants dans les usines  

au début de l’ industrial isation, est qu’on leur f it jouer le rôle de force  

motrice .La C om m ission m édicale d ’A nvers l ’a bien remarqué en écrivant que 

da ns la grand e corde rie, « . .. on n ’ad m et pa s les enfants au-d essou s de  

treize ans, parce qu ’un m ou lin à bras rem place l’ou vrage des enfan ts qui ne 

font que tourner » (III , 189). Plus s ignif icative encore cette autre notation  

de la même chambre à propos de l ’ Industrie de la tai l le du diamant:  

« D an s les ateliers de M . B orie, qui occu p e au -delà de cent ou vriers , les 

disques sur lesquels le diamant es t pol i , sont mis en mouvement par une  

machine à vapeur. Les ouvriers qui travail lent chez eux impriment ce  

m ouv em ent au disque au m oyen d ’un m ou l in à bras , qui es t tourn é par un  

apprenti adolescent» (III , 202).

M ou vo ir les tours et les roues, étai t une fonct ion sou ven t dév olue  

au x enfants; chez les fabricants de ficel les à T erm on de, i ls tou rn en t la roue  

du f i leur (II, 79 ) , d ans les faïenceries de M o n s, ils tou rnen t les roue s des 

tours (II , 103), de même dans cel les de Namur (II , 183). . .

Parfois , c’es t un autre m ou vem ent m écaniqu e q u’ils do ivent assurer, 

com m e celui de « ploq ue r » : « D an s un établissem en t où l ’on fabrique des 

couv ertures de laine, rapp orte l ’A cad ém ie roya le de m édec ine, on se sert de  

machines mobi les , d i tes machines-à boudiner, auxquel les i l faut imprimer  

des m ou vem en ts successifs de va -et-vient. Pou r faire reculer la m ach ine  

poussée en avant par les boudineurs , les enfants occupés à ploquer, ne  

pouvant se servir de leurs membres inférieurs, appliquent à cet effet la  

partie antérieure et moyenne de la jambe contre le support de la machine  

qui est élevée sur des roulettes et , de ces actions fréquemment répétées , i ls  

résulte que les os flexibles des jeunes ouvriers cèdent sous l’effort, et 

subissent , à la longue, une incurvat ion qui const i tue une déformation  

permanente des jambes de ces enfants» (II , 340) .

Le Comité de salubrité publique de Bruxelles décrit le genre de

(334) Vandenbroeck, Réflexions sur l'hygiène des mineurs et des ouvriers d'usines métallurgiq

suivies de l'exposé des moyens propres à les secourir en cas d'accidents...,  Mons, 1840, p. 232.

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travai l des enfants dans les fabriques de papier peint : «Tout l ’apparei l 

nécessaire à l ’ impression du papier ne const itue pas autre chose qu’un 

levier du second genre, c’est-à-dire que la résistance à vaincre se trouve  

entre le point d’appui et la puissance, mais b ien plus rapprochée du  

premier que de la dernière. La puissance, c’est l ’enfant qui , saisissant à  

pleines m ains le bras du levier au -delà de la résistance, saute sur ce bras et 

lu i imprime, en se courbant , tout le poids de son corps. Dans cet te act ion,  

qui se répète constamment , la région épigastr ique subit une compression  

très con sidérable , d ’où do it résulter naturel lem ent un refou leme nt des 

organes abdominaux , re fou lement s ingul ièrement suscept ib le de provo

quer peu à peu la format ion des hernies . On conçoit a isément que cet te  

manière de travail ler peut encore avoir d’autres inconvénients pour les  

organ es intra ab dom inau x, par la secou sse v ive q u’ils on t à chaqu e instant  

à sup po rter ».

Par ailleurs, dans une fabrique de passementerie, « l’enfant (i l s’agit  

d ’en fants d e 12 à 1 5 ans q ui trava illent 1 2 1/2 h. par jour) q uan d i l 

trava ille au m étier, est assis sur une traverse étroite et ten u en plac e par une 

lanière de cuir passant sur la région sacro-lombaire; tandis que ses pieds  

son t toujou rs en m ouv em ent pou r faire jouer les péd ales du mét ier , la  

moitié supérieure du tronc est fortement précipitée en avant, et la chute 

serait infai l l ible s’ i l n’était soutenu par deux courroies passant sur les  

parties latérales et antérieures de la poitrine, qui , par conséquent, éprouve 

cont inuel lement une forte compression» (II , 467) .

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Chapitre 7

La situation après un quart de siècle 

de progrès industriel

En 1865 , l e Docteur Meynne publ ie sa T o p o g r a p h i e m é d i c a l e d e l a  

 B e l g i q u e   (335). C ’est la date q ue n ou s ch oisiro n s pou r tenter d ’apprécier  l ’évolution de la s ituation. Le choix est quelque peu arbitraire. I l eut été  

séduisant d ’essayer d ’établir une com par aison de rythme décenn al; en 

1855, en ef fet , Ducpét iaux publ ie un important travai l sous le t i tre:  

 B u d g e t s é c o n o m i q u e s d e s c l a s s e s o u v r i è r e s e n B e l g i q u e   (335a) auquel on a 

sou ven t recours , proba blem ent parce qu ’on y trouve des don née s chif frées. 

N o u s avon s déjà di t po ur qu oi nous n ’avon s pas chois i la « vo ie chif frée » . 

Il faut ajouter que, d’une part , le nombre de budgets étudiés par Ducpé

tiaux est assez réduit et que, d ’autre part , la plupart des com m entaires qui 

acco m pag nen t la présentat ion des budgets sont repris à l ’enqu ête de 1 84 3,  

c’est-à-dire vieux de vingt ans.

M eyn ne a , lu i aussi , souven t recours aux do nn ées de cette enqu ête , 

m ais avec la vo lon té d ’établ ir la com para ison. C ’est po urq uo i il nous  

paraît une bonne référence de départ pour l’étude de la s ituation à l’aube  

de la deux ièm e généra t ion de la Belgique indép endan te. D ’autant plus que  

quelques années p lus tard — en 186 8 — une nouvel le enquête es t publ iée 

par l’A cad ém ie de m édec ine tandis que le ministère des travaux p ub lics en 

commande une qui prendra part ie l lement f igure de contre enquête , la  

première ayant suscité l ’ ire des associations charbonnières . L’année sui

(335) Dr Meyenne, Topographie médicale de la Belgique ,  Manceaux, Bruxelles, 1865, 582(335a) E. Ducpétiaux,  Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique  — Subsistances  — 

 salaires   —  popu lation,  Hayez, 1855, Extrait du tome VI du Bulletin de la Commission centrale destatistiques, 340 pages.

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van te, c’est le ministre de l ’Intérieur qui com m an de une en qu ête qui 

clôture ains i la période que n ous nou s som m es ass igné de passer en revue.

Nous ne f erons donc appe l aux  B u d g e t s é c o n o m i q u e s   d e D u c p é

t iaux qu’au moment où ce travai l nous parait apporter des é léments  

éclairant notre démarche (335b). I l en sera de même de l’enquête menée à 

l ’ init iat ive du ministre de l’Intérieur Rogier, en 1860 sur la condit ion de  

travail des femmes et des enfants (335c). Celle-ci, en effet, n’est pas essen

tiellement révélatrice de la condition ouvrière; i l s’agit en fait d’un sondage  

de l ’op inio n des m ilieux indu striels sur l’op po rtun ité de légiférer sur le 

travail des femmes et des enfants .

Les dernières enquêtes avant 1870 révèlent que l’attention s’est cen

trée surtout sur le travail des femmes et des enfants dans les mines et ,  

accessoirement, dans la métallurgie. C’est là que le capital isme industriel 

s’est fortement ancré; aussi assistera-t-on à une réaction énergique de sa  

part lorsque des médecins le mettront en accusation à travers les révéla

t ions de leurs témoignages sur la condit ion des femmes et des enfants au  

travail.

1. Les mutations dans la population ouvrière

Le nombre des « ouvriers » paraît avoir augmenté d’un tiers environ  d ’un recensement à l ’autre — de 18 46 à 18 66 — . Cec i pour autant que  

l ’es t imat ion pour 1846 soi t relat ivement exacte . I l y a donc environ

5 0 0 .0 0 0 ouvriers en plus alors que la po pu lat ion glob ale e l le-mêm e n’a 

augmenté que d’à pe ine 500 .000 uni tés .

Le tableau ci-dessous reprend (336), pour le pay s, le nom bre d ’o u

vriers par groupes professionnels . Encore faut- i l considérer que le recen

sement de 1866 n’a pas recensé certaines profess ions en comptant séparé

ment maîtres et ouvriers .

(335 b) Nous donnons pourtant en annexe le tableau synthétique publié par Ducpétiaux pages146 à 148 de son étude parce qu’il permet de comparer — avec les réserves nécessaires — la situation selon

les provinces.(335 c) Le Rapport Rogier a été publié dans les Actes parlementaires, session 1859-1860, Chambre

des Représentants, document n° 41. — Voir page 481 (17 janvier 1860) : dépôt du rapport. , — pages 247 à251: projet de 1843, objections suscitées, situation à l’étranger, nouveau projet du gouvernement, —

pages 886 à 889 : annexes reprenant les documents des milieux industriels gantois, lettres, pétition, etc., —

pages 977 à 1000 : réponses des chambres de commerce et des députations permanentes.(336) D’après Verhaegen, o.c., Vol. II, p. 292.

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A griculture 3 3 8 .8 2 3

Grande industrie 1 9 9 . 8 5 1

Petite industrie 1 8 2 . 9 4 2

Art isanat 1 6 5 . 1 0 8

Commerce e t art i sanat 4 0 . 2 6 5

M oyen ne indus tr ie . 3 7 .42 6

T ransports 3 .8 5 3

Services personnels 4 6 6

C o m m e r c e 5 4

Pêche 4 3

T ot a l 9 6 8 . 8 3 1Journaliers industriels 3 0 1 . 4 0 1

T o t a l 1 . 2 7 0 . 2 3 2

I l faut ajouter 130.000 domest iques dont la vent i lat ion n’a pas été  

fai te dans les services personnels . Ce qui porte le total à 1 .400.232.

Lorsqu’on compare l es t ro i s recensements de 1846 ,1856 e t 1866 , on  

constate que la populat ion enregis tre une expansion importante dans le  

s il lon industrie l Sambre et M euse, spécialem ent dans les prov inces du  

H aina ut et de Liège, les plus ind ustrialisées . Elle stagne, au con traire, dans  

cel les où l’ industrie ne se modernise presque pas; spécialement dans les  

Flandres où l’industrie linière a été maintenue dans une situation arriérée  

pour les mot i fs que nous avons soul ignés .

Le tableau ci -dessous m ontre cet te évolut ion :

1846 1856 1866

Anvers 406.354 434.485 465.607

Brabant 691.357 748.840 813.552

Fl. occ. 643.004 624.912 642.217

Fl. or. 793.264 776.960 805.835

Hainaut 714.708 769.065 845.438

Liège 452.828 503.662 557.194

Limbourg185.913 191.708 195.302Luxembourg 186.265 193.754 199.910

Namur 263.503 286.075 302.778

PAYS 4.337.196 4.529.461 4.827.833

L’industrial i sat ion est donc accompagnée d’une augmentat ion de la  

po pu lation (337) tand is que la m isère dans les Flandres pr ov oq ue la stagn a

tion . « Si le pro létar iat ag ricole des Flan dre s, dit D ec h esn e (338), y avait

(337) A. De Laveleye:  Etudes diverses, La Belgique,  Bruxelles 1864, pp. 38, 39.(338) L. Dechesne:  Histoire économique et sociale de la Belgique,  Liège, 1932, pp. 410, 411.

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favorisé autrefois le développement des industries à domici le , i l n’y aida  

guère celui de la grande industrie mécanique. Au contraire, cel le-ci s’épa

no uit surtout en W al lonie , où p ourtant les sa la ires étaient plus é levés , mais 

où el le était att irée par le charbon et elle con tinua à y a ccélérer l ’accr oissement de la population, tandis que celui des Flandres se ralentissait . Le  

prolétariat f lamand ne favorisa qu’une seule industrie mécanique impor

tante : le f i lage du c oto n , fourn issant aux usines de B au w ens la plus grand e  

partie de son pers on ne l .. . » .

« Ils étaient m orts m ais n e s ’étaient pas pla ints »

C ette s tagnat ion de la popu lation — cette d im inut ion m ême,  

lorsqu’on com pare les recensem ents de 184 6 e t 1 85 6 — dans les deux  

Flandres d oi t certainement une part à la m ortal i té pr ovo qu ée par la misère 

invraisemblable. Après la crise de l’ industrie l inière, la situation de la  

cam pa gne avait bien chan gé co ns tatait Va riez (339); « des centaines de  

vil lages avaient vu leur population décimée; selon l’expression du repré

sentant Tou ssaint , de Thielt* beau cou p de Flamands avaient imité la garde  

impériale; i ls étaient morts, mais ne s’étaient pas plaints».

Crise industriel le et crise agricole jumelées avaient eu raison d’une  

population qui jusque-là avait été en expansion. A la f in du siècle, certains  

croya ient que sans la crise agricole la misère n’eut pas prov oq ué la dim inu

t ion de la popu lation . D egand D opc hie , par exem ple , secréta ire com m unal  

d ’Ellezelle§, écrivait en 18 98 q u ’à son avis les ouvriers tisseran ds « au raient  

peu souffert de la crise industrielle si celle-ci ne se fût compliquée d’une  crise agricole intense (maladie des pommes de terre, mauvaise récolte des  

céréales) .. . Ce fut la fam ine avec tou tes ses horreurs. Le tiers de la po p u la

tion d ’Ellezelles — 2.000   hab i tants sur 6 .0 0 0 — tom ba à charge de la 

bienfaisance publ ique. . . C’est à part ir de 1846 et 1847 que commença  

l ’exode annuel de nos ouvriers vers la France, où beaucoup se sont f ixés à 

cette ép oq ue . La po pu lation d ’Ellezel les, qui était , au 31 décem bre 1 84 3 de  

6 .37 7 h abi tants , é ta i t tomb ée à 5 .61 8 en 1 846 . C haque année , depuis lors , 

un mil l ier d’ouvriers, hommes, femmes, enfants et adolescents, se rendent  

encore en France pour s’y livrer aux travaux agricoles et rapporter à leur  

fam ille d e q u o i vivre p en da n t l ’hiver » (340).

A ug m enta tion des décès et de l ’ém igration d ’une part , baisse des 

mariages et des naissances, d’autre part , furent les facteurs de la diminu

t ion de la pop ulat ion dans les Flandres, spécialem ent en Flandre occ iden ta

le .

(339) L. Variez, Les salaires dans l'industrie gantoise, IL Industrie de la filature du lin,  p. XLVI.

(340) Degand Dopchie: La commune d’Ellezelles pendant le XIXe siècle, 1898, p. 56., dté par

Vandervelde:  L ’exod e rural et le retour au x champs,  Paris, 1903, p. 164.

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C ’est dans les arr ond issem ents l iniers que ces facteurs furen t le plus  

ressentis . Jacquemyns l ’a montré à l ’a ide de nombreux tableaux stat i s t i

ques (341). Il suffira de retenir qu elqu es chiffres seulem en t. En 1 8 4 7 , i l y a 1 

décès pou r 27 ,5 hab itants d ans les arrond issem ents liniers a lors qu ’il y en a 

un pou r 34 ,2 dans les arrondissem ents non lin iers (342). La m êm e anné e, en 

Flandre orientale , i l y a un m ariage po ur 2 6 2 ,1 habitants dans les arrondis

sem ents liniers et un po ur 2 1 9 ,5 dans les non lin iers; en Flandre occ iden ta

le , un mariage pour 272,6 habitants dans les arrondissements l in iers et un  

po ur 19 4,2 dans les non l in iers (343). Tou jours po ur 18 4 7 , la Flandre 

orientale compte une naissance pour 45 ,1 habitants dans les arrondisse

m ents lin iers contre une po ur 3 9 ,2 h abitants dans les arrondissem ents no n  l iniers. Les arrondissements l iniers de Flandre occidentale enregistrent en  

1847 5 .706 décès de p lus que de naissances a lors que les non l in iers en  

enre gistrent 89 3 seu lem en t (344).

Q ua nt à l ’ém igration , e lle affecte égalem ent les arrondissem ents  

l iniers en particulier. D e 18 45 à 1 8 5 0 les districts liniers de la Flandre 

occ identa le ont 4 .1 5 0 émigrés en p lus que d ’im m igrés, a lors que l es d i s

tricts non l iniers n’enregistrent qu’une différence de 31. En Flandre orien

tale , l es chi ffres , pour la même période, sont respect ivement de 11 .159 et  

4.397 (34$).

Migration professionnelle à rebours

M ais ce type d e m igration n ’est peu t-être pas ce lu i qui affecte le p lus  

les deux Flandres. A côté de cette émigration pour al ler s’instal ler dans  

d’autres provinces ou à l ’étranger , i l y a une migration profess ionnel le  

im portan te parce q u’e l le traduit auss i une s i tuat ion écon om ique qui rétro

grade : c ’est l ’aug m entat ion du n om bre d es person nes qui ref luent vers les 

profess ions agricoles . De 1846 à 1866, la part de l ’agricul ture dans la  

p o p u l a t io n p r o d u c t iv e p a s se d e 3 1 , 7 % à 3 6 , 6 %   (346). C eci p ro vie n t  

essentie llem ent d ’une d ispari tion prog ress ive du travail à do m icile qui 

con st i tuai t antér ieurem ent l ’occu pa tion principale , l ’agriculture étan t l ’o ccup ation d ’app oint . C ette « m igration profess ion nel le à rebours » com m e  

l ’appel le B. Verhaegen (347) est faci l i tée par la pol i t ique agricole protec

t ionniste qui perm et une hau sse des prix agricoles de 1 82 2 à 18 80 . « O n

(341) G. Jacquemyns,  Histoire de la crise écon om ique des Flandres, pp. 352 et ss.(342) Id. p. 361.

(343) Id. p. 367.(344) Id. pp. 374 et 380.(345) Id. pp. 385 et 386.

(346) B. Verhaegen : Contribution à l’Histoire économique des Flandres, vol. I, p. 220.(347) Id. p. 220.

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peut comparer la pol i t ique agricole de cet te période avec la pol i t ique qui ,  

entre 1839 et 1848, tenta de préserver l ’ industrie l in ière à domici le . Dans  

les deux cas, sous prétexte de protéger les revenus de la masse rurale, les  

mêmes intérêts furent défendus , à savoir ceux des propriétaires fonciers; 

les mêmes conséquences en résultèrent, c’est-à-dire l’engorgement d’un  

secteur profess ionnel voué à brève échéance à une crise de réorganisat ion  

profonde. Le développement de l ’ industrie à domici le durant la première  

m oitié du X IX e s ièc le avait about i à la misère e f froyable de 1 84 5-1 84 8 . D u  

gon f lem en t des ef fecti fs agricoles après 1 85 0 résulteront , pou r l ’agricul

ture belge, les années catastrophiques d’après 1880. . . (348).

Ce go nf lem en t des ef fect ifs agricoles ne résulte que part ie llemen t de celui des effectifs occupés sur place. Une large partie provient des ouvriers  

qui se d ép lace nt po ur l ivrer leurs services dans l ’agriculture d ’autres pr o

vinces o ù l ’industrie a po m pé la main d ’œ uvre, m ais auss i à l ’étranger. 

« L ’apport de revenus q ue les travail leurs saisonniers procura ient aux  

entreprises agricoles f lamandes rempli t la même fonct ion en 1866 que le  

cumul d’une occupation industriel le en 1846» (349). Ici encore la prove

na nc e esse n tielle de ces « saison nier s » se situe d an s des d istricts liniers. 

«Tous d’ai l leurs ne sont pas des Flamands: i l en es t un assez grand  

nombre qui v iennent de la part ie nord du Hainaut , des Arrondissements  

d ’A th et de Tou rnai . A vec une p récision tout à fait rem arquable , leur zon e  

d’émigrat ion coïncide avec la zone de dispers ion de la c i -devant industrie  

l inière à d om icile » (35°). « Les Fra nsch m ans dit R on se, so n t des ou vriers  

agricoles f lamands ou hennuyers qui font en France les travaux des  

cha m ps » (351); débu t du X X e siècle, il estime la pro po rtion de ces saiso n

niers par rapport au nombre total d’ouvriers agricoles masculins de la  

Flandre orientale, de la Flandre occidentale, des arrondissements adminis

tratifs d ’A th, de Soign ies et de To ur na i à 33 ,5 2 % (352).

Bien qu’i l soit diff ici le de chiffrer le mouvement, un certain nombre  

de travai l leurs à domici le sont devenus , en 1866, des saisonniers dont les  

effect i fs sont repris dans les 338.823 ouvriers agricoles du recensement .  

Ceux-ci const i tuent environ le t iers des ouvriers en 1866 dont le total es t  

de 9 6 8 .8 3 1 (353). C ’est po ur tant d ans les régions où fut travail lé le lin à domicile que ce mode de travail subsistera le plus tard d’une manière  

im po rta n te (354).

(348) B. Verhacgcn, id. p. 220/221.

(349) Id. p. 222.

(350) E. Vandervelde : Uexode rural et le retour aux champs , p. 162.(351) Edmond Ronse: Uémigration saisonnière belge.

(352) Id., pp. 74, 75.(353) B. Verhaegen, o.c., tome 2, p. 292.(354) L. Dechenne,  Histoire écon om ique...,  pp. 440 et ss.

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D an s le tableau ci-desso us (355) reprenant le nom bre d ’ouv riers dans  

les de ux Flandres , i l faut tenir com pte q u ’une part ie de ces ou vriers son t —  

sans que nou s p uiss ions en d éterm iner l ’im portance — des ouvriers, sa i

sonniers (repris dans l ’agriculture) et des ouvriers à domici le . De plus, au  

total du tableau, il faut ajouter 7 0.2 3 1 journaliers industrie ls (do nt 29 .75 1  

fem m es) e t 3 5 . 3 9 3 d o m es ti q u es (d o n t 2 2 . 5 5 6 fem m es).

Les groupes les plus nombreux

Les groupes les plus importants sont donc, cette fois, les ouvriers  

ag rico les, les jour naliers, les de ntellières, les f ileurs et les do m estiq u es; les 

t isserands se classant en 6e posit ion seulement.

Les f i leurs , au moment du recensement de 1866, sont tous prat ique

ment des travai l leurs en usine. Dans le coton, i l y avai t déjà 360.000  

broch es en 1 84 6. Il y en a 6 5 0 .0 0 0 en 1 8 6 0 (356). D an s le l in, il n ’y avait en 

1846 que 92 .000 à 95 .000 broches; en 1860 , i l y en a 180 .000 (357) . Ces  

f i latures, si tuées pour une bonne part à Gand, sont de grandes f i latures  

avec une q uant i té de b roches et un niveau d e concen trat ion p lus é levé que  

la m oye nn e du pay s. 8 2 ,9 % des f ileurs son t des travailleuses (358).

Les t i sserands en coton sont également des ouvriers travai l lant en  

fabrique. Ceux qui t i ssent le l in sont encore pour une grande part des  

travailleurs à d om icile; le t isseran d en lin, en effet, à l’ép oq ue « reço it le fil du fabricant et lui rend la toi le qu’i l ne vend plus guère au mar

chand» (359).

Les dentel l ières, d’après le recensement de 1846, étaient au nombre  

de 49.000. Ce chi f fre a augmenté de manière extraordinaire bien que le

(355) D’après B. Verhaegen, tome 2, p. 84.(356) B. Verhaegen, Tome i, p. 227.(357) Id.

(358) Id., p. 228.

(359)  Exposé de la situation du royaume, 1831-1860,  Tome III, p. 141.

Agriculture 155.036

61.971

28.441

48.574

10.6708.554

5.789

5.911

5.737

5.711

Dentelle

Tissage

Filature

Lin

Couture, broderie 

Confection 

Chaussure  

Bois

Bâtiment

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docteur Van H olsbeek croyai t imp oss ib le d ’en connaî tre le nom bre exact ; 

il l’estim ait à plus de cinq uan te cinq m ille (36G). Va n der D uss en par con tre  

l ’est imait à 150.000 ce qui est le chiffre de l’exposé de la s ituation du  

royaume (360361) qui lui-même ne correspond pas au chiffre du recensement  

de 18 66 parce que, da ns celui -ci , les é lèves des nom bre uses écoles den tell iè

res n ’on t pas été reprises. O r le no m bre d e ces éc oles d épa sse à l ’ép oq ue  

celui des fabriques de dentel les . « On est ime généralement le nombre des  

manufactures de dentel les en Belgique à huit cents et celui des écoles  

den tellières à m ille » (362). C ’est su rtout da ns les Flandres q u ’on retrou ve  

écoles et fabriques, 900 des premières, 380 des secondes; i l y a peu de  

fabriques dans les provinces de Luxembourg, de Limbourg, de Liège, une  cinquantaine dans le Hai'naut et la même chose dans la province de  

N am u r (363).

C ette prog ress ion extraordinaire du n om bre des dentel lières , surtout 

dans les Flandres, est probablement dûe à la crise industriel le du l in qui ,  

 jum elée avec la crise agricole , a rejeté une im portante quantité de m ain  

d ’œ uv re fém inine vers la den telle; le travail saisonn ier en France et dans  

no s prov inces , w al lonne s surtout , étai t principalement le fait des hom m es. Au moment du recensement de 1866, la crise du coton subissai t encore les  

effets de la guerre de sécession (1 86 1 -18 6 5 ) qui avait pro voq ué un chô

m age imp ortant , l ’arrêt de l ’exp ortat ion des cotons am éricains em pêcha nt  

les patrons gantois de se procurer leur matière première habituelle (364).

Sans perdre de vue q ue « l ’imm ense m ajorité travail le au foyer d o

m estique » (365), on peu t tenter de se faire une id ée de la rép artition d es  

d en tellières entre les ateliers et les « éc ole s ».

V an der D ussen divise les établ issem ents dentell iers en deu x classes : 

les ateliers laïcs et les ateliers du clergé. « C ha cu ne d e ces de ux classes,  

ajoute-t- i l , pourrait être subdivisée en fabriques et en écoles , s i beaucoup  

de fabriques , tant la ïques qu’appartenant au clergé, ne cherchaient pas à  

déguiser leur véritable caractère en prenant le t i tre d ' é c o l e s »   (366). Selon  

cet auteur le nom bre de ces dernières po ur le p ay s étai t de 90 0 contre 7 0 0  

m anu factures de dentelles. A part ir des chiffres c ités par V an der D ussen , 

nous avons reconst i tué le tableau ci -dessous , forcément incomplet  

puisqu’ i l ne correspond pas aux totaux généraux que lu i -même donne .

(360) Docteur Henry Van Holsbeek,  L ’industrie dentellière en Belgique — étude sur la condition  physique et morale des ouvrières en dentelles,  Bruxelles, 1863, p. 8.

(361) Benoît van der Dussen,  L ’industrie dentellière belge,  Bruxelles, 1860, p. 83.

(362) Van Holsbeek, o.c., p. 9.(363) Id., p. 9.

(364) Louis Variez,  Les salaires dans l’industrie gantoise, I L ’industrie cotonnière,  p. 56.(365) Van der Dussen, o.c., p. 83.(366) o.c., p. 93.

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1 5 4 LA CONDITION OUVRIÈRE AU XDC' SIÈCLE. T. 1

Provinces Manufactures Ecoles dentellièresde dentelles religieuses laïques

Anvers 100 15 10

Brabant 110 15 5FL occ. 180 157 243FL or. 200 200 250Hainaut 50 7Liège (peu)   —

Luxembourg 10 quelques écolesLimbourg 2   —

Namur 2   — -

Com m e p op u l a ti on d e ce s éco l e s, V an D er Du ssen s ign a le q u e 1 .200  

f il les pauvres fréquen tent les écoles den tel lières de la pro vin ce d ’A nv ers, il  

y a 5 0 0 é lèves dans cel les du Brabant et 2 2 7 ap prent is dans le H aina ut . C e  

sont les deux F landres qui en com ptent év idem m ent l e p lus grand nom bre :

15 .00 0 apprent is en F landre or ienta le e t 3 0 .00 0 apprent is rien que dans les 

écoles de la Flandre occidentale dépendant des congrégat ions rel ig ieuses .  

U E x p o s é d e l a s i t u a t i o n d u R o y a u m e   p ou r 1841 - 1850 s i gn a l a i t 73 éco l e s  

m anufactures com ptan t 2 .85 0 é lèves pour la prov ince d ’A nvers . Pour le  

Brabant où les ren seignem ents so nt incom plets : 6  éco les avec 842 é lèves . 

La F landre occ identa le compta i t 483 éco les avec 25 .000 é lèves . Pour la  

Flandre orientale , l ’Exposé relève 369 écoles manufactures avec 17.082  

ouvrières é lèves; avec les dentel l ières à domici le , ce la fa i t 34 .000 ouvriè

res (367). C es chiffres son t fort im précis m ais i ls m ontre nt cep en da nt l ’im

portance du nombre d’enfants dentel l iers . Voic i un tableau récapitulat i f   d ’ap rès 1" E x p o s é d e l a s i t u a t i o n d u R o y a u m e   de 1861 à 1876 . I l donne  

d ’abord le nom bre des « ateliers de charité et d ’app rentissage d on t la  

plupart sont des écoles dentellières (368).

1845 1851 1854 1857 1860 1863 1866 1869 1872 1875

Pour garçons 7 12 21 28 43 40 42 24 21 61Pour filles 550 717 819 869 625 579 526 464 424 357Pour les deux 54 56 69 65 70 61 33 26 22 12Total 611 785 909 962 738 680 601 514 467 430

Quant au nombre d’élèves des écoles-manufactures , s ignalé par le

(367)  Exposé de la situation du royaume, 1841-1850, p. 301.

(368) Id., 1861 à 1876, tome 2, pp. 50, 51.

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même Exposé (369370) il apparaît com m e m oins é levé que d ans les es tim at ions  

précitées :

Garçons 1.605 1.347 2.096 2.013 3.272 2.859 2.055 1.310 1.174 2.207

Filles 34.391 32.531 41.008 42.388 34.027 30.729 31.226 25.873 25.575 19.974Total 35.996 33.878 43.104 44.401 37.299 33.588 33.281 27.183 26.749 22.181

Les ouvriers dans la grande industrie

Les provinces de Ha inaut-Liège enregis trent, en 18 66 , dans la pet i te ,  

la m oy en ne et la grande indu strie, un nom bre d ’ouvriers dép assant celui  

des deux Flandres. Pour la grande industrie, la proportion dépasse le  double. Par contre les ouvriers de l’artisanat sont plus nombreux dans  

chacune des deux Flandres que dans les deux provinces wal lonnes ensem

ble. De même, le nombre de journaliers industriels est beaucoup plus élevé  

en Wallonie .

Si on m et en regard le nom bre de journaliers ind ustriels , des ouvriers 

agricoles , ainsi que celui de la petite, moyenne et grande industrie, on  

obtient le tableau ci-dessous.

Fl. occ. Fl. orient. D eux Fl. Hainaut 

+ Liège

Journaliers 39 .296 30.935 70.231 94.163

Ouvriers agricoles 56 .652 98.384 155.036 76.761

Petite Industrie 18.856 40.057 58.913 60.228

M oyenne Industrie 963 6.026 6.989 11.919

Grande Industrie 20.188 29.644 49.832 132.809

Ouvriers de l’Artisanat 41.241 53.439 94.680 32.627

L’essor de l’industrie est am orcé en W allonie. Pour ne citer que  

quelqu es chif fres , l ’au gm entat ion, en tonn eau x, de la prod uct ion m étallur

gique dans le Hainaut a le prof i l suivant au cours des trente premières  

années de l’indépendance (37°) :

Hauts Fonderies

fourneaux

Fabriques Platineries et

de fer Fenderies

1830 7.960

1840 52.628

1850 62.821

1860 183.910

4.000 (*) 

7.361  

23.578

7.220

20 .84 8 (*) 1.646 (*)

34.369 2.490

101.455 3.377

(*) 1841

(369) Id., p. 53.

(370) Source : A. Warzée, Mémoire sur l’histoire métallurgique du Hainaut, Mémoires et publica

tions de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, Années 1860-1862.

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Les ouvriers houi l leurs restent le groupe le plus nombreux. Leur  

nom bre évolue a insi :

1 8 40 — 3 9 .1 5 0  1 8 50 — 4 7 .9 4 9  

1 8 6 0 — 7 8 .2 3 2  

1 8 70 — 9 1 .9 9 3

Les ouvriers du fer augm entent au ss i rapidement m ais i ls ne vienn ent  

pourtant qu’en second rang.

usinesminéralurgiques

usinessidérurgiques

1846 à 1850 12.595 7.475

1851 à 1855 16.670 10.428

1856 à 1860 22.615 13.806

1861 à 1865 27.779 18.082

1866 à 1870 33 .805 21.038

1871 à 1875 40 .994 25 .510

2. Vers 1865, la misère n’a pas reculé

C ’est don c à cet te da te que le docteur M eyn ne pu bl ie sa « topog ra

p hie m éd icale d e la B elgiqu e » (371). Il y co nsta te qu e la m isère n ’a pa s  

reculé . U ne est im at ion d atant des environs de 18 60 répartit le m i ll ion de 

fam illes ex istan t alor s dan s le pay s de la m anière suivan te (372) :

— 100.000  famil les riches ou dans l’aisance,

— 4 2 0 .0 0 0 familles de la pet i te bou rgeois ie parmi lesquel les une partie 

n’est pas toujours exempte de privat ions ,

— 4 8 0 .0 0 0 famil les d ’ouvriers de dif férentes c lasses do nt une m oitié 

vivent dans la gêne continuelle ou dans un état rapproché de la pauvreté .

Etabl issant la comparaison avec la période des premières enquêtes ,  

M eyn ne cons idère q ue « plus ieurs grandes catégo ries de travail leurs sont  

restés dans une situation très précaire; le chiffre des pauvres n’a pas  

diminué; les salaires , pour une grande part des travail leurs, sont insuff i

sants » (373). C ’est une co nsta tation sem blab le que le docteu r Le bon faisait

(371) Voir plus haut.

(372) P. 468.(373) Id., p. 450.

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pour Nivel les vers 1850 puisque sur 902 ménages inscri ts sur le l ivre  

off iciel de l ’indigence, 3 7 9 y so n t à cau se de l’insuff isance d u salaire. Parmi 

les chefs de ces 9 0 2 m énag es , 2 5 9 étaient des journal iers , 67 des journal iè

res et 56 des dentellières (374375).

M ey nn e co nstate enc ore qu e « l’état sanitaire ne s ’est pa s am élioré 

dans les classes infimes; les excès de toute nature sont grandissant tous les  

 jours; en un m ot, la p lupart des calam ités que con sta ten t le s rap ports (37s) 

que nous allons lire, sont à peu près ce qu’elles étaient il y a vingt  

ans » (376).

Quelques pages plus lo in , i l écrira même que « depuis le commence

m ent du s ièc le , e t en la is sant de côté l ’époq ue de fam ine de 1 8 4 6-1 84 8 , la  

pro por t ion des indigents s ’a c c r o î t s a n s c e s s e   (c ’est lui qui sou ligne ). L’on se 

demande avec inquiétude ce que deviendra la société, s i le salaire devient  

de moins en moins en rapport avec les premiers besoins de la vie , et s i  

chaque c hô m age, chaque crise industrie l le , chaque m auvaise récolte do i

vent fatalement plonger de nouvel les famil les dans la catégorie des indi

gents? » (377).

A près avoir exam iné ce q u ’il range parm i les causes de m ortalité dan s 

le pays, M ey nn e c on clut que la m isère prime tou tes les au tres : « La  

pauvreté est la cause morbigène qui domine toutes les autres parce qu’el le  

comprend toutes les mauvaises influences. Elle entraîne une habitation  

insalubre, un air vicié, une al imentation insuff isante ou non convenable,  

souvent un excès habituel dans le travail , de la malpropreté, l ’exercice de  

métiers dangereux, et parfois aussi le désordre, l ’ imprévoyance ou le  

déco ura gem ent. L ’action du sol et du clima t, la contagion* et mêm e l’hérédité, cèdent la place devant ce facteur multiple et universel qui, à lui seul  

ex pliqu e la déch éan ce ph ysiqu e d ’une fou le d ’ouv riers et de pauvr es » (378).

Là où l’industrie a amélioré la situation, c’est surtout pour les 

classes aisées

Il sem ble que le docteur M eynn e évoq ue surtout ic i la m isère qui 

règne dan s les Flandres; là où l’industrie s’est im plan tée, la s ituation paraît  

différente. C ’est ainsi qu ’alors que dans les années 4 0 , la m end icité est

(374) Docteur Lebon, membre du Bureau de bienfaisance, Quelques renseignements sur la popu la

 tion indigène de -N ivel les qu i a participé, en 1851,  aux secours publics, Manuscrit 4°, 1853, 20 p. Ce

manuscrit est déposé au Fonds Quetelet sous le n° 3021 Bg.

(375) Il s’agit des rapports de l’enquête de 1843.

(376) Meynne, o.c., p. 450.

(377) Id., p. 468.(378) Id., p. 503.

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encore s ignalée com m e une p la ie par les rapports de la D épu tat ion perm a

nente du H âinau t , ceux qu ’el le pu bl ie qu elque dix ans plus tard la préten

dent en vo ie d ’être é l im inée d ans la province. Le com m issaire d ’arrondis

semen t de Tou rnay cons tate , en 18 58 , que la m endic ité est presque nulle; « le travail ne fait d éfau t dans au cun e co m m un e » (379). Celui d e C harleroi 

constate une diminut ion cons idérable du nombre des mendiants; i l en  

con clut q u ’il faut do n c tenir la main à la répression de la m en dicité surtou t  

cel le des enfants «p ar ce q u ’el le inspire à ceu x-ci l ’é loignem ent po ur le 

travail et le go û t du va ga b on d ag e » (380). C elui d ’A th c on seille de faire des  

distributions en nature plus qu’en argent; i l faut cependant vei l ler à la  

qu alité des b iens d istribu és car « il faut éviter tout ce qui p eu t porter  

atteinte à la cons idérat ion des membres des bureaux de bienfaisan

ce » (381).

Les avis des com m issaires sont les m êm es les anné es suivan tes : en  

18 59 e t en 1 86 0 . En 18 61 , le com m issa ire d’A rrondis sem ent de M on s  

signale même que « les bras manquent presque partout et i l n’y a que des  

hommes vic ieux, des vie i l lards ou des inf irmes privés de famil le qui puis

sen t être rédu its en co re à la m en dic ité » (382).

Pour le docteu r M ey nn e, « . .. la po s i t ion des ouvriers dan s les bass ins  

de M on s , de C harleroi et de Liège a été sens iblem ent am él iorée, depu is la  

rédaction de ces Rapports (383). Le salaire a été augmenté, les condit ions  

hygiéniques du travai l minier ont été amél iorées mais tout ce qui a été di t  

sur l’éta t insalubre de leurs ha bitation s, sur les excè s d u lund i, sur les abus  

des l iqueurs fortes , sur le défaut d’ordre et de prévoyance, tout cela est  

enc ore pa rfaitem ent ap plicab le au x travailleurs actuels » (384).

L’exp osé de la s ituat ion du royaum e 1 8 5 1-1 86 0 s ignale que la d i ffé

rence et l ’augmentation des salaires des ouvriers agricoles suit à  p e u   près 

les l im ites qui séparent les provinces f lam and es des provinces w al lon ne s :

« D an s la région f lam an de, o ù l ’agriculture est la plus a van cée, l ’ouv rier de  

la campagne ne gagne pas autant que dans la rég ion wal lonne où les  

établ issem ents industrie ls et les exp loi tat ions m inières son t en grand n om

bre.

« La m êm e différence e xiste encor e dans la nourriture q u ’on lui do nn e ou  

qu’i l prend à domicile. L’ouvrier f lamand se contente de pain de seigle, de  

po m m es de terre et de lait battu; q ue lqu efois un m orceau, de lard ou de  

viande salée viennent faire diversion à ce régime peu fortif iant. Dans sa

(379)  Députation permanente du Hainaut,  Rapport 1858, p. 352.

(380) Id., p. 375.(381) Id., p. 362.

(382) Id., Rapport de 1861, 2e partie, p. 9.

(383) Les rapports de l’Enquête de 1843.(384) Meynne, o.c., p. 457.

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fam ille , la nourriture es t encore p lus m auvaise . L ’ouvrier w al lon , au  

contraire , ne co nso m m e guère que du pain de m éteil ou d ’épeautre, et la 

viande entre pour une part dans son a l imentat ion» .

Les métiers pratiqués dans le nord du Pays, t isserands, f i leurs de  

co ton , terrassiers , dentel lières et brodeu ses sont m oins bien rémunérés que  

ceux prat iqués dans la part ie sud: mécaniciens , houi l leurs , armuriers ,  

forgerons, fondeurs, mineurs, tai l leurs de pierre, paveurs, etc. De plus, 

« les métiers des f i leurs de co to n , des den tell ières et br od euses so n t par  

eux -m êm es b eaucoup p lus n uisib les que l es professions qui se rat tachent à 

la m étallurg ie. » A qu oi il faut enco re ajouter les séqu elles de la périod e de  

1 84 0 à 1 8 5 0 (385).

L’amélioration perceptible dans les régions industrial isées avait déjà  

été s ignalée dans l es Budgets économiques de Ducpét iaux , mais i l y es t  

uniquem ent ques t ion du H ainau t où , d i sent les comm entaires , la s ituat ion  

« est génér alem ent bea uco up m ei lleure q ue d ans la plupart des au tres 

provinces, et particulièrement dans les Flandres. Les districts où se trou

vent les mines , les us ines métal lurgiques qui assurent aux ouvriers un  

travai l cont inu et bien rétribué sont les plus favorisés sous ce rap

port» (386).

Le truck System sem ble régner d’une m anière assez générale . « D an s  

plus ieurs rapports success i fs , d i t la Chambre de commerce de Roulers , en  

1863, nous avons s ignalé le regrettable traf ic prat iqué au détriment de  

l ’ouvrier , forcé d’accepter en rémunérat ion de son travai l des denrées ou  

des marchandises . . . L’usage de payer le salaire en marchandises  p l u s o u  

m o i n s a v a r i é e s , e n p a i n s d ’u n p o i d s d o u t e u x ,   s ’es t notablement restreint sans doute, mais i l es t des établ issements qui en perpétuent habi lement la  

mauvaise tradit ion. . . I l est tel le jeune enfant, ouvrière en dentel le, dont la  

.dette s’élèv e à 80 o u à 1 0 0 francs, et diff icilem ent l’on com pre nd la 

sincérité d ’un créd it aussi large en regard d ’un salaire p lus que rédu it. 

 L ’a b s e n c e d e C o n t r ô l e ,   l’incurie d es par ents (387), l’ap pâ t du lux e et le désir  

de river de pauv res êtres au m étier où leur santé s’ét io le, d on n en t la clef de 

ces gro sses ad dit ion s . .. » . D éjà en 1 8 5 9, la dép utat ion perm anente d ’A n

vers répon da nt à l ’enqu ête R og ier croyait « dev oir signaler au gou ver ne

ment l ’abus criant des salaires en nature imposé par nombre de patrons à  

leurs ouvriers . Ce mode de paiement , ajoutai t la députat ion, at tr ibue au  

maître un double gain et infl ige au travail leur une double perte» (388).

(385) Mcynnc, o.c., p. 493.(386) Ducpétiaux,  Budgets économiques...,  p. 83.(387) Ce thème revient souvent. La chambre de commerce d’Anvers, répondant à l’enquête Rogier

déclarait que « c’est un triste spectacle de voir, dans tan t de manufactures, de pauvres petits êtres chétifs et

étiolés assujettis à des travaux rudes ou malsains et exploités par des parents qui détruisent ainsi le germe

de leur santé et de leur intelligence», (p. 977, réponse du 12 sept. 1859).(388) Rapport Rogier cité, p. 977, réponse du 7 octobre 1859.

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M eyn ne assure m êm e que le systèm e est prat iqué par certains responsab les 

de la b ienfaisance : « D an s co m bien de v i l les n ’existe- t -i l pas d e m aîtres des 

pauvres , qui so n t en m êm e tem ps débitants de denrées ou d ’étoffes? Et qui  

ne comprend combien ce seu l fa i t p lace l es pauvres dans une pos i t ion  

dépen dan te et précaire v is à v is de ces traf iqua nts , qui on t po ur ainsi d ire 

un pouvoir arbitraire sur les secours publics qui passent par leurs  

m ain s? » (389).

I l faut encor e soul igner que M ey nn e fa i t ressortir que les c lasses 

aisées ont surtout bénéf ic ié de l ’évolut ion favorable de la s i tuat ion.

Après a voir évo q ué la récession de la m ortal ité et l ’accroissem ent de  

la po pu lat ion , i l soul igne q u ’on « do i t surtout se garder de conclure d es  

résultats avantageux que nous venons d’ indiquer, que toutes les couches  

sociales y participent . Il y a, au contraire, un contraste frappant entre la  

situation sanitaire des personnes aisées et cel le des classes inf imes. Bien  

loin d ’être en progrè s, les classes prolétaires son t plutôt en recul . Leur vie  

m oy en ne est de bea uco up plus cou rte que celle des gens r iches et e lle tend à 

dim inuer sans cesse . D e l ’avis de tous les m édecins , les ma ladies atoniqu es  

deviennent de plus en plus communes parmi e l les; les cachexies et af fect ions diathésiques s’étendent tous les jours; les const i tut ions subissent un  

affaisemen t graduel , une déchéan ce lente , m ais cont inue. D on c, s’i l y a  

prog rès sous le rapport san itaire, pou r les habitan ts aisés, s’il y a un e légère 

amélioration pour certaines catégories de travail leurs (ouvriers en métal

lurgie, houil leurs, m enu isiers, m aço ns, etc.) et po u r la pet ite bou rge oisie, i l 

y a en revanche abâtardissem ent progre ssi f pour les pauvres en géné

ral » ( 390).

Parlant plus sp écialem en t de la vil le de Liège, M eyn ne co ns tate « que  

c’est parmi les ouvriers qui v i v e n t l e p l u s m i s é r a b l e m e n t    que les décès ont  

été les plus nombreux. Ces états sont ceux de terrassier, briquetier, ba

layeur de rues, égoutier, etc. La classe des ouvriers houil leurs a eu aussi  

beaucoup de victimes » (391). Dès qu’il y a épidémie, « ce sont les pauvres  

qui p aie n t le p lus lou rd tribut » (392).

Les accidents de travail deviennent progressivement la rançon —  plu tôt un e des ranç on s — pay ées par les ouvriers à l ’industrial isat ion. « Les  

décès par accidents involontaires , écri t M eyn ne, so nt nom breu x dan s notre 

pays industriel et riche en produits miniers. Dans l’espace de cinq années  

(1 85 1-1 85 5) le chif fre total s’en est é levé à 7 .36 2 cas , so i t en m oyen ne près

(389) Meynne, o.c., pp. 526, 527. Il est en tout cas un fait : la distribution des secours en nature estrecommandée aux bureaux de bienfaisance. Ainsi, à Ath, en 1858. (Rapport de la Députation permanente,

p. 362).(390) Meynne, o.c., p. 486.

(391) Id., p. 233.

(392) Id., p. 440.

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de 1.500 annuellement, ou 18 décès sur 1.000 décès généraux... Les 

provinces industrielles sont naturellement celles qui ont eu la plus large 

part dans ces accidents. »

Liège a eu 33 cas sur 1.000 décès généraux 

Hainaut a eu 30 cas sur 1.000 décès généraux 

Namur a eu 26 cas sur 1.000 décès généraux 

Luxembourg a eu 17 cas sur 1.000 décès généraux 

Brabant a eu 15 cas sur 1.000 décès généraux 

FL orientale a eu 12 cas sur 1.000 décès généraux 

Anvers a eu 12 cas sur 1.000 décès généraux 

Fl. occidentale a eu, 10 cas sur 1.000 décès généraux Limbourg a eu 9 cas sur 1.000 décès généraux

Le même auteur a aussi souligné l’importance des accidents dans les 

mines; de 1831 à 1840: 1.016 tués, de 1841 à 1850: 1.306, de 1851 à 

1855: 1.047. Les accidents dans les fabriques de tissage, les filatures, draperies etc. sont moins souvent mortels; « Dans les manufactures coton

nières de Gand, on compte que sur 1.000 ouvriers il y en a 19 qui 

conservent des difformités, suites d’acddents divers... » (393).

La situation alimentaire s’est détériorée

Le docteur Burggraeve, professeur à l’université de Gand soulignait 

déjà en 1955 la persistance de l’absence de viande dans l’alimentation 

ouvrière : « Le régime de l’ouvrier de fabrique consiste principalement en 

féculents, bouillies de riz ou d’orge, infusions de café à la chicorée, pom

mes de terre, toutes substances qui élèvent d’un faible degré la température 

animale et qui laissent le corps sans énergie. Le pain seul est pour lui un  

aliment complet, puisqu’il renferme à la fois des matières azotées et non  

azotées. En fait de substances animales, il ne mange que des débris de 

boucherie, des os, des parties tendineuses qui ne lui fournissent qu’un 

bouillon gélatineux incapable de le soutenir» (394).

Burggraeve évoque surtout la situation à Gand, après avoir rappelé ce que Mareska et Heyman en avaient dit en 1845. Ses considérations sont 

d’ailleurs confirmées dans les « observations » annexées aux budgets en

voyés de l’arrondissement de Gand pour l’enquête de Ducpétiaux en 1855. 

La situation alimentaire y est décrite dans des termes fort proches de ceux 

de l’enquête de 1843 et, de plus, il y est dit que ce régime alimentaire est à 

peu près uniforme pour les diverses catégories d’ouvriers.

(393) Meynne, o.c., pp. 220, 221.(394) D r Buiggraeve, Le choléra indien considéré sous le rapport hygiénique, médical et économi

que,  Hoste, Gand, 1855, p. 214.

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Evolution du prix de certaines denrées selon Ducpétiaux

OBJETS   Quantités1830-1834Moyenneannuelle

1835-1839Moyenneannuelle

1840-1844Moyenneannuelle

1845-1848Moyenneannuelle

1849   1850 1851

en F. en F. en F. en F. en F. en F. en F.

Froment   100 kg 25,30 21,19   26,06   30,46 24,92 23,55 26,04Seigle •—   16,51 15,14   18,14   24,91 16,72   14,70 17,87Pain de froment, de farine non blutée   T--   27,12   22,77   26,80 28,59   29,71   21,26   23,05Pain de seigle   —   15,62   13,05   15,15 18,82   1 4,03 13,12   15,13

Viande de vache   —   66,80 63,70   61,88   68,66   75,54   73,67   70,96Pommes de terre   —   4,43   4,36   4,96   7,03   7,03 5,12   7,60Légumes   —   15,85   18,62 11,64   11,26   11,87   11,30 13,15Oignons   —   16,34   15,32   14,32   12,83 13,08   12,14   14,50Riz   —   50,75   37,19   38,93 49,35 35   30,90 36Pois secs   — 19,27   18,87   21,76   28,91   27,83   20,13   23,07Gruau d’orge   —   26,42 24,39   —   38,71 28,47   26,87 29,89Beurre   —   131,70 148,61   152,45 170,49 171,97   156,80 155,60Café   — — —   171   150,62   — — —

Sel   —   25,76 24,60   25,83 26,22 27,61   27,48 27,60Poivre —   100,38 115,75   99,43   104,64   103,39   102,56 108,22Savon noir —   47,69 52,97   47,95   46,53   49,87   53,41   54,21Sel de soude   —   —   —   53,91 40,71   41,92 36,26 37A bleu Amidon ,,

blanc—   — — — —   —

Paille de seigle —   3,75 4,44   5,25   5 ,07 4,28   3,34   4,23Charbon gros   —   2,43   2,82   2,66   2,93   2,49   2,19   2,19Charbon menu   —   1,82 1,86   1,81   2,03   1,57   1,42   1,39Bois à brûler   le stère 8,55 8,76   9,29 10,14   8,44   8,80 8,56Balais   les 100   9,08 9,01   8,57   9,69   —   __   __

Huile de colza (pour lampes)   10Q litres   86,44 90,06   87,98   81,92   84,56   97,70   94,63Lait doux   —   12,23 13,10   11,43   10,42 12,50   12,89 14,88Bière   —   12,49   11,49   12,06 9,34   —   __   10,50Vinaigre de bière   —   13,19   11,62   13,97   16,32   —   —   14

OBJETS   Quantités   1852   1853   1854   1855

1849-1854

Moyenne

annuelle

Moyenne de 

1849-1854 

augmentée de 15 %

Prix de détail 

à Bruxelles 

Juillet 1854

Froment   100 kg

en F.

27 ,17

en F.

28,81

en F.

45,51

en F.

38 31

en F.

29

en F.

33 35

en F.

Seigle —   19 ,90 21 ,4 2   3 1 ,57 27 ,21 20 ,3 6 23,41 —

Pain de froment, de farine non blutée   —   22,82T 2 4 ,4 7   35 ,70   35 ,12 2 6 ,1 7   30 ,10   0,43 le kg

Pain de seigle —   15,68 17,81   25 ,50   26 ,14   16,88 19,41 0 ,28 —

Viande de vache —   66 ,24   66,94   79 ,17   94 ,54 72 ,09   80,80   1 —

Pommes de terre —   7 ,47 8,47   9,73   11,86   7,57   8,70   0 ,12 —

Légumes —   12,82 13,58   1 3,04 15,83   1 2,63 14,52 0 ,25 —

Oignons —   15,16   15,58 16,24   17,92   14,45   16,62   0,25 —

Riz —

  35 ,50   35 40 49 ,9 0   35 ,40 40 ,71   0 ,36 —Pois secs —   21,45 26,61   34,56   34 ,97   25,61 29 ,45 1,20 —

Gruau d’orge —   27,50   28 ,74   32,98   44 29 ,0 7   33 ,43 1 ,50 —

Beurre   —   155,93 16 9,20 1 85,0 8   202 ,8 0 165,76   190,62 1,75 —

Café   —   142   145 172 162 ,50   15 3   175,95   2 —

Sel —   27,34   27,45   27,00   27 ,65 27,41   31 ,52   0 ,30 —

Poivre —   111,78   1 17 ,8 8 1 33 ,1 4   162,17   112,83   129,75   1,50 —

Savon noir   —   51 ,12 4 8 ,28   48,38   5 6 ,79 50,88 58 ,51 0 ,56 —

Sel de soude   —   37,30   31,72   31,43   33 ,15 35 ,94   41,33   0,38 —

A bleuAminAn

  —   50   52 85   100 62,33 71 ,68   0,88 —

blanc —   80 8 0 ’   —   90   76 ,67 88 ,17   1 —

Paille de seigle   —   4,20   4,62   5,56   5,20 4 ,37   5,02   0,06 —

Charbon gros   —   2 ,18 2,23   2 ,44 2 ,8 ?   2,29   2,63   3 les 100 kg

Charbon menu   —r   1,36 1,36   1,59   2,04   1,45   1,66   2 ,20 —

Bois à brûler   le stère 8,31   8,04   9,04   9 ,07   8,53 9,81 2 ,2 0 —

Balais   les 100   9 9 11   11,42 9,67   11,12   0,10 la pièceHuile de colza (pour lampes)   1 00 litres 8 5,4 5 8 5,2 4   96 ,27 112,04 90 ,64   104,25   0,9 6 le litre

Lait doux —   13,38   13,11 13,37 14,05 13,35   15,35   0 ,12 —

Bière —   10,50   1 0,50 13   11,49 11,12   12,78   0,13 —

Vinaigre de bière   —   14   14   17   19,92 14,75 16,96 0 ,2 4 —

 6 

 

L A

 C  O ND

I  T I   O N  O U VRI  È  RE A U

XD C *  S I  È   C L E  .

T  .1        

 j  

L A

 S I  T  UAT I   O N AP RÈ   S  U N  Q U

ART DE  S I  È   C L E DE P R O GRÈ   S I   ND U S 

T RI  E L 

 6 

 3 

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« En général, les ouvriers font trois repas par jour. Le premier, le matin, à 

leur lever (en été à 5 heures et en hiver à 6  heures), consiste en café mélangé de 

chicorée, avec des tartines de pain de seigle, ou des pommes de terre. Le second,- à  

 îhidi, consiste dans une maigre soupe de lait battu, avec un mélange de farine de 

sarrasin ou de seigle, de gruau, de quelques croûtes de pain de seigle, ou dé riz,  suivie d’une portion de pommes de terre avec une sauce au lard ou autre graisse.  

Mais ce dernier plat est déjà limité à la classe plus ou moins aisée, et il en est  

beaucoup qui n’ont pas le bonheur de se régaler d’un pareil diner, quelque frugal qu’il soit.

Quand les denrées alimentaires renchérissent, on économ ise particulièrement 

le beurre, l’huile, la graisse et les assaisonnements.

L’ouvrier peu aisé ou indigent ne mange guère de pain de froment ou de 

méteil.Les carottes et les navets, depuis la maladie des pommes de terre, entrent 

pour une large part dans l ’alimentation de beaucoup d’ouvriers. O n en prépare une 

espèce de potage, avec des fèves, des pois, du riz ou du gruau, et un peu de graisse.

Le troisième repas se prend vers le soir et consiste généralejnent en café-  

chicorée, avec des tartines de pain ’de seigle ou des pommes de terre.

Les ouvriers plus aisés, et ceux qui travaillent chez les fermiers et les fabri

cants, déjeunent, en outre, à 8  heures du matin, et goûtent à 4 heures de relevée.

L’usage. de la bière et d’autres boissons, ainsi que celui de la viande, est  devenu très rare. Dans d’autres temps, lorsque l’industrie linière florissait, presque 

chaque tisserand ou ouvrier engraissait un porc pour la consommation de son  

ménage. Cet usage tend à disparaître, et même lorsque des ouvriers le suivent  

encore, ils sont souvent dans la triste nécessité de vendre leur porc pour en  

consacrer le prix à des besoins plus pressants » (395).

Très voisines sont les observations qui accompagnent le budget 

venant de la commune de Wijnghene et qui est celui d’un tisserand non secouru :

« Les familles de cette catégorie sont, en général, soigneuses, écono

mes et se contentent du strict nécessaire. Elles ne font jamais usage de pain  

de froment, de méteil, de viande, d’œufs, de poisson, de bière. Le seigle et  

les pommes de terre forment la base exclusive de leur alimentation. Cha

que famille a une chèvre qui lui fournit son laitage; le sel et le vinaigre 

constituent pour elle une assez forte dépense... (396).

Bien que l’ouvrier agricole de l’arrondissement de Waremme paraisse 

mieux loti parce qu’au lieu d’une chèvre comme à Wijnghene; il nourrit 

presque toujours une vache, une truie et un cochon qu’il engraisse, en fait, 

sa situation est également précaire. Etabli sous le contrôle du baron Edm. 

de Selys Longchamps, le budget est accompagné de cette remarque:

« J’admets que la vache soit assez bonne laitière pour fournir tout le lait et

(395) Ducpétiaux,  Budgets économiques..., p. 40.(396) Ici., p. 66.

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tout le beurre dont il a besoin pendant l’année entière. Mais il ne peut 

guère compter sur ce produit pour son ménage; le plus souvent il est obligé  

de vendre son beurre ou son lait, et de manger son pain sec, pour se 

procurer d’autres aliments ou des vêtements. A l’exception de la kermesse, où il se permet de la viande fraîche, il n’a d’autre viande pendant toute 

l’année que celle du cochon qu’il a engraissé; il en conserve la plus grande  

partie pour le temps de la moisson. Hors de là, il n’en mange qu’un peu le 

dimanche... » (397).

Meynne, dans sa Topographie souligne sans équivoque que la situa

tion alimentaire s’est détériorée : « Il n’y a pas quarante ans que tous les 

ouvriers, dans les Flandres, mangeaient habituellement du beurre, du poisson, des œufs, du laitage et souvent de la viande. Le hareng était un 

met recherché et très répandu. L’ouvrier se régalait souvent de lapins; 

c’était encore un manger de prédilection. Il achetait alors un lapin pour 50  

ou 60 centimes.,. » (398). Il est vrai qu’à cette date — plus exactement en 

1828 — le docteur Courtois constatait que* « les aliments sont très abon

dants et d’une nature très variée. La qualité en est bonne en général, lorsque 

leur nature n’est pas altérée par de coupables spéculations ou par suite de la température» (399). Mais il ajoutait, et ceci est important, «que de 

différences dans les substances dont ils (les repas) se composent, suivant les 

classes et les localités » (400)... « Dans les villes, la classe inférieure est mal 

nourrie» (400).

Quoiqu’il en soit de ce que Meynne pense de la situation à la fin du 

premier quart du 19e siècle, il trouve en 1865, que la situation s’est  

détériorée quant à l’alimentation. A ce moment, selon notre auteur, on paie le lapin 2,50 fr ou 4 fr. « et ce n’est pas qu’ils soient devenus rares 

puisque le canton de Roulers seul en expédie annuellement près de200.000 en Angleterre. Malheureusement, telle est la situation, que notre 

immense production de porcs, de moutons, de beurre, d’œufs, de lapins, 

etc. semble ne plus exister pour le tiers de la nation » (401). Au fond, 

Meynne rencontre en 1865, la même situation que celle décrite par 

Courtois : ce sont les classes aisées qui mangent bien et les classes défavori

sées qui font ceinture. Chez ces dernières, dit-il, les classes « inférieures », la nourriture est insuffisante ou trop uniformément composée de substan

ces végétales. Meynne estime que deux millions de Belges ne mangent de la 

viande qu’à de rares intervalles (402).

(397) Id., p. 402.(398) Meynne, o.c., p. 441.(399) Courtois, o.c., tome 2, p. 181.

(400) Id., p. 182.(401) Meynne, o.c., p. 441.

(402) Id., p. 443, note 1.

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La vie du poisson trente fois plus protégée que celle des  

travailleurs

Encore faut-il souligner que la qualité des aliments pour les ouvriers 

est souvent mauvaise; « Toutes les denrées mauvaises : les grains avariés, 

les déchets des viandes, le poisson à moitié gâté, le lard rance, les mauvais 

fromages, les légumes grossiers, les pommes de terre aqueuses ou piquées, 

le pain mal fait, les fruits verts, tout cela ne trouve d’écoulement que chez 

les pauvres et les petits ouvriers » (403). La qualité des produits alimentaires 

semble bien être un problème de tout le 19e. Le docteur Kubom, qui publie 

en 1897, un Aperçu historique sur l'hygiène publique en Belgique depuis 1830, signale qu’avant la loi du 4 août 1890, cette qualité était déplorable.

« ...la trom perie sur la quantité et la qualité des denrées alimentaires, 

rapporte-t-il, devenait de plus en plus générale. Liés aux propriétaires des magasins 

qui leur avaient livré la marchandise à crédit, les débiteurs, ne pouvant se libérer, 

n’osaient se plaindre. Parfois assignés devant les juges de paix par leurs créanciers, 

ils faisaient entendre des doléances. Mais les choses n’allaient pas plus loin. A  

Bruxelles, par exem ple, sur 508 échantillons de denrées saisies par l’administration 

communale, le laboratoire de la ville en rejetait 181 comme suspects. Le débit de  viandes malsaines se pratiquait aussi partout sur une grande échelle. On a vu tel  

abattoir refuser ou détruire en dix ans (1878 à 1888) au delà de 270.000 kg de  

viande; dans la capitale, on dut enfouir sur une année 73.250 kg de viandes  

malsaines, 5 .000 pièces de gibier, de volaille, plus une énorme quantité de poissons, 

mollusques, crustacés.

« Des distilleries agricoles, on vit expédier vers les grandes villes des bêtes 

péripneumoniques vivantes; à l’arrière-saison notamment, à l’époque des kermes

ses de village, on égorgeait des porcs malades, des bêtes souffreteuses, atteintes de 

phtisie tuberculeuse, de tumeurs à l’aine, au pis, au genou, et cela sous l’œil  impassible de l’autorité.

« Les abattages clandestins d’animaux malades étaient communs, surtout à 

la campagne. A défaut d’autres consommateurs, les usines à saucissons étaient là.

« De ces tueries, de ces abattoirs privés, s’écoulaient sur la voierie, dans les  

rigoles, le sang de toute espèce d’animaux. Il n’était pas rare de rencontrer des 

fabriques de saucissons annexées à des clos d’équartissage.

« Ceux-ci d’ailleurs, pas plus que l’enfouissement, n’offraient des garanties  

suffisantes contre les nocturnes spéculateurs ayant à tâche de faire rentrer dans la consommation les viandes saisies.

« Quant aux débitants de viandes de charcuterie, ils pouvaient plus impuné

ment encore livrer leurs produits malsains soit dès l’origine, soit par suite d’altéra

tions consécutives subies par la durée.

« Il existait bien des règlements communaux, mais, en dehors des grandes 

villes, ils n’offraient aucune garantie sérieuse.

« En somme, toutes les classes sociales souffraient d’un état de choses atten

tatoire à l’hygiène et à la morale. Toutes les classes en étaient victimes, et plus

(403) Id., p. 427.

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spécialement les classes ouvrières et nécessiteuses. Les médecins, les commissions  

médicales constataient chaque jour l’étendue du mal, mais leurs efforts restaient 

impuissants vis à vis des administrations communales. En 1865, le Conseil supé

rieur d ’hygiène s’était occupé de la q uestion... » (404).

On pourrait établir une belle collection des méthodes de falsifica

tions alimentaires utilisées à l’époque. Par exemple, le quotidien  L e H a i -  

n a u t    du 3 juillet 1849 explique quels sont les produits utilisés dans les 

falsifications les plus courantes de la chicorée: la brique pilée, l’ocre, la 

terre, le pain torréfié, les débris de semoule ou de vermicelle, le gland 

torréfié, les semences de graminées torréfiées, les fêverolles, les haricots, les 

pois torréfiés, les coques de cacao, la poudre de vieilles écorces, la betterave et la carotte torréfiées.

Cette situation avait fait dire au docteur Vandenbroeck, de Mons, au 

Congrès d’hygiène de 1852, que « la vie du poisson qui peuple nos étangs 

est t r e n t e f o i s   plus protégée que celle du travailleur! (article 475 du Code 

pénal mis en regard de l’article 25 du Code de la pêche fluviale) » (405).

Au premier congrès de Y  A s s o c i a t i o n i n t e r n a t i o n a l e p o u r l e p r o g r è s  

d e s s c i e n c e s s o c i a l e s , en septembre 1962, Kayser, de Schaarbeek, signalait de son côté que « prétendant venir en aide à l’insuffisance des ressources de 

l’ouvrier, l’industrie lui fournit, depuis quelques années, un grand nombre 

.de substances économiques et principalement une matière connue sous le 

nom de graisse d’hôtel, qui n’est autre chose que le produit d’une ébullition  

prolongée des os et de tous les déchets des cuisines d’hôtel » (406).

La « p rom otion im m obilière » n ’a pas chan gé

En 1851, le Congrès d’hygiène publique avait révélé des conditions 

de logement aussi déficientes que celles de 1840. C’est au point qu’une 

question posée au Congrès envisageait « la défense de mettre des caves en 

location pour servir de logements »; ce qui valut au Congrès une interven

tion de Dumortier, échevin de Toumay qui crut devoir déclarer: «je ne 

crois pas que l’habitation des caves soit toujours insalubre » (407). Un autre intervenant, le docteur Vandermeulen, conseiller communal à Lokeren, décrit de cette façon l’état du logement : « ...tout le mal que nous voulons

(404) pp. 75, 76.

(405) Compte-rendu, p. 109. L’article 475, 6° condamnait d’une amende de 6  à 10 fr « ceux quiauront vendu ou débité des boissons falsifiées; sans préjudice des peines plus sévères qui seront prononcées

par les tribunaux de police correctionnelle, dans le cas où elles contiendraient des mixtions nuisibles à lasanté».

(406) Annales de l’Association internationale pour le progrès des sciences sociales, compte-rendu

du premier Congrès tenu à Bruxelles, 1863, p. 508.(407) Congrès d'hygiène publique, session de 1851, p. 27.

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combattre, gît dans l’intérieur des maisons des pauvres, gît dans ces demeures pestilentielles où femmes et hommes, grands et petits sont accu

mulés pêle-mêle, sans air, sans espace, sans soleil. Aussi longtemps que ces. réduits existeront, tous les efforts du gouvernement, tous les efforts des communes, des comités de salubrité publique, des administrations locales, seront frappés de stérilité. Nous aurons beau élargir nos rues, en faire enlever les immondices, aussi longtemps que ces réduits infects seront debout, aussi longtemps qu’ils ne seront pas remplacés par des maisons  convenables, par de bonnes cités ouvrières, je désespère de l’hygiène publi

que... » (408). Il sera aussi signalé au Congrès que même les lieux d’aisance 

sont l’objet de spéculation. C’est Van Oye, conseiller communal et professeur à l’école d’agriculture de Thourout qui le fait remarquer: «Dans plusieurs petites villes de la Flandre, il existe de ces lieux d’aisances publics, établis, dans un but de spéculation, par des particuliers. Ces lieux d’aisance, que fréquentent les campagnards au sortir de l’église, sont devenus de véritables foyers d’infection » (409*).

A peu près à la même époque, le docteur Lebon, membre du Bureau 

de bienfaisance et du Conseil d’hygiène publique de Nivelles, écrit qu’en cette ville les propriétaires des maisons insalubres louées aux ouvriers ne s’occupent nullement de savoir si leurs locataires seront ou non dans des conditions de salubrité; « ils s’inquiètent peu d’augmenter pour ces der

niers les chances de mortalité, pourvu qu’ils augmentent leur reve

nu » (41°). Parmi les nombreuses descriptions d’habitations ouvrières de Nivelles, on n’en retiendra qu’une, les autres étant de la même veine : « la cour étroite qui précède ce misérable réduit, est resserrée entre de hautes murailles; elle formait un vrai cloaque, dans un coin qui tient lieu de latrine, on apercevait un monceau de fèces humaines; le sol, mal pavé, présentait, à chaque pas, des cavités remplies d’eau boueuse et d’urine croupissante, liquides qui ne pouvaient disparaître qu’en s’infiltrant dans le sol ou par évaporation; un égoût à ciel ouvert, venant des maisons voisines, charriait à travers cette cour, des immondices et des eaux ména

gères qui allaient s’accumuler sous le seuil de la porte de l’habitation, où 

un passage leur était jadis ouvert » (4n). « Demandez, dit plus loin le docteur Lebon, au médecin du pauvre, quel triste spectacle il lui arrive de rencontrer quand il est appelé la nuit dans un de ces déplorables taudis dont je vous ai crayonné une esquisse; il vous dira : j’ai vu sur de sales grabats et même sur de la paille jetée sur le carreau, des familles entières qui n’avaient pour se couvrir que des lambeaux de couverture ou des

(408) Id., p. 34.(409) Id., p. 39.(4IÔ) Docteur Lebon,  Habitations de la classe ouvrière et indigente à Nivelles, 1852, p. 7.(411) Id., p. 12.

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paquets de hail lons; el les y gisaient pêle-mêle, sans dist inct ion d’âge ni de  

sex e : les enfants à cô té des ad ultes, les fi lles à côté des g arço ns, les m alade s  

à côté des val ides; ici un même l i t réunit un père, sa femme et sa nièce,  

 jeune fille de 15 ans; aille urs en co re, un jeune h o m m e avec sa m ère  

paralysée et une sœu r scro fuleus e» (412). Da ns le m anu scrit que n ou s  

avon s déjà c i té et qui date de 1 85 1 , le m êm e docteur Lebo n recense les 9 0 2  

ménages ind igents de Nive l l es e t exp l ique que l es logements occupés par  

ceux-ci se vent i lent de cet te manière: 375 n’avaient qu’une pièce , 406 en  

avaient 2 , 70 en compta ient 3 , 44 a t te ignaient 4 p ièces e t 7 seu lement en  

avaient 5 . 79 de ces habitat ions étaient insalubres et 91 absolument  

insalubres. D ’autre part , sur 93 décès d’enfan ts, 71 étaient des enfan ts d’ouvriers, 22  de la classe aisée.

Quelques années après les constatat ions qui précèdent, le Dr Burg-  

graeve considérait l ’habitat comme le facteur le plus important dans la  

prop agat ion des ép idémies . Après avo ir long uem ent c it é M areska e t H ey-  

man, i l fa i t appel au témoignage apporté v ingt ans plus tard par le Dr  

Lessel iers à la Société de médecine de Gand et qui arrive aux mêmes  

tém oigna ges : « toutes ces ha bitat ions se trouv ent d ans les co nd it ion s  suivantes : dan s un e cou r peu spacieuse o u bien d ans une rue le p lu s  

souvent étroi te et dont le so l est p lus é levé que celui des demeures, se  

trouvent serrés les uns contre les autres des tas de pierres qu’on appelle  

maisons. Cel les-c i sont composées d’une porte et d’une, deux ou trois  

fenêtres , qui ordinairement ne sont pas suscept ibles de s’ouvrir . Toutes  

indist inctement ne reçoivent le jour que par un seul de leurs quatre côtés.  

Les ouvriers , les pau vres , son t cou chés là par m asses dans des a lcôves , dans  

des coins et des re coins, sur des l its fort peu élevés au-de ssus d u sol ou b ien  

sur des pa il lass on s jetés sur le sol m êm e» (413).

Le m êm e Burggraeve n ’enregistre pas une am él iorat ion bien sensible  

de l’habitat ouvrier lorsqu’i l en parle à la deuxième session du Congrès de  

l ’A sso ciat io n interna tion ale po ur le prog rès des science s soc iales (414) :

« En ce qu i co nc ern e la ville d e G an d, je dois le dire av ec régret, ces  

amél iorat ions ont été de nul ef fet ou i l lusoires . On y a introduit quelques  

mesures de propreté, mais on a laissé subsister ce que les habitat ions  

actuel les présentent de vicieux quant à leur situation et leur distribu

tion .. . » (415). « Les m aiso n s ouv rières, da ns les dé plo rab les con d ition s où  

el les sont aujourd’hui , sont un obstacle non seulement à la santé de  

l’ouvrier, mais à sa moralité, qu’on n’aille pas, après cela, lui faire un

(412) Id. p. 14.(413) Dr Burggraeve,  Le choléra indien...,  1855, pp. 204, 205.(414) Gand, 1963.

(415)  Annales de l'Association internationale pour le progrès des Sciences sociales,  compte-rendudu Congrès de Gand, 1864, p. 550.

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reproche de chercher des distractions et des amusements souvent grossiers 

au cabaret. Le foyer domestique n’est pas une abstraction; quand tout y 

manque, l’air, la lumière, la chaleur, c’est bien le moins qu’on permette à 

l’ouvrier d’aller chercher ces conditions vitales au dehors... » (416).Le docteur Meynne, dans sa topographie médicale de 1865, constate 

que « l’encombrement se retrouve dans la demeure de tous les pauvres et 

de la plupart des ouvriers. Ils habitent d’ordinaire des ruelles étroites, des 

quartiers resserrés et populeux, des cours intérieures, des logements com

posés d’une pièce ou de deux tout au plus. Toute la famille y vit pêle-mêle 

au milieu d’une atmosphère profondément corrompue. Ces habitations 

sont généralement sombres, basses d’étage : le soleil y pénètre à peine et les vents ne viennent pas les purifier» (417). La mortalité, ajoute cet auteur, 

« est à peu près double dans les quartiers agglomérés et pauvres » (418). On 

ne peut cependant trop tabler sur ce qui précède car toutes les citations de 

Meynne pour appuyer ces affirmations datent des travaux relatifs aux 

années 40 et même antérieures.

« A vec le p etit carré de ch ou x si m oralisateur... »

Sur l’état déplorable de l’habitat ouvrier, l’opinion apparaît donc 

unanime. Elle l’est moins sur les causes de la situation. On trouve même au 

Congrès de Gand de l’Association internationale pour le progrès des 

sciences sociales, une opinion qu’on rapprochera de celle souvent émise à 

l’heure actuelle sur le problème du logement des ouvriers étrangers. Jac- 

quemyns, de Gand, explique à l’auditoire pourquoi, à son avis, on ne construit pas plus de logements ouvriers dans cette ville (ce qui, selon lui, 

ferait baisser les loyers) : « Il y a à Gand une foule de particuliers qui ont1.000 à 1.500 fr disponibles et qui pourraient, du jour au lendemain, bâtir 

une maison d’ouvriers, si cela leur offrait un placement avantageux et leur 

rapportait un intérêt de 12 à 15 p.c. Pourquoi ces particuliers ne le font-ils 

pas? Pour une raison bien simple; c’est qu’une maison d’ouvriers est le plus 

souvent très mal habitée; qu’elle est exposée à de nombreuses dégradations, qu’il y a des chances de non-paiement, et que le propriétaire qui est censé avoir 12 à 15 p.c. de son argent, retire un loyer en réalité beaucoup 

moindre qu’il ne perçoit qu’avec des peines infinies. Je connais tel proprié

taire qui a imaginé l’expédient de déléguer un agent de police pour recevoir 

ses loyers » (419).

(416) Id., p. 551.(417) Meynne, Topographie...,  p. 427.

(418) Id., p. 429.

(419)  Annales...,  p. 545.

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Les formules ayant en vue de permettre à l ’ouvrier de devenir pro

priétaire de son logem ent grâce à un système de f inancem ent pa tronal  

sou lèvent certaines ob ject ion s , do nt i l faut reconnaître q u ’el les ne m an

quent pas d’une certaine pertinence. « Que résulte-t- i l de ce fait que l’ouvrier peut devenir propriétaire?, se demande Laussedat, de Bruxelles .  

D ’abord l ’eng agem ent q u ’il contracte le lie , non p lus à la glèbe, m ais à 

l ’étab lissem ent. Il ne peu t plus, lorsq u’il a pa yé, pe nd an t deu x o u trois ans, 

ses annuités , discuter son salaire avec l’ industriel , parce qu’i l ne peut 

abandonner sa maison dont i l a déjà payé une part ie . I l ne peut pas non  

plus aller da ns u ne autre usine, o ù le salaire serait p lus con sidér ab le » (420). 

Et si l’usine vient à licencier l’ouvrier par suite de crise, la solution devient  

imposs ible constate- t - i l encore.

Le docteur Burggraeve, pour sa part , n’hésite pas à mettre le régime  

en cause. Bien qu’ i l ne cache pas son admirat ion pour Liévin Bauwens ,  

« un des grands instrum ents » de la pensée de N ap olé on , i l n ’hés i te pas à 

déclarer :

« A cette époque, l’idée industrielle n’avait pas jncore l’extension qu’elle a 

prise aujourd’hui. Il fallait trouver des ouvriers et surtout des ouvrières. Là était la 

grande difficulté. On est parvenu à trouver quelques ouvriers et quelques ouvrières, mais par suite d’un préjugé des autres classes de la société, ces ouvriers et ouvrières 

étaient considérés comme tombé tellement bas, qu’on leur donnait un sobriquet 

particulier; on leur avait infligé le nom d’un poisson, si commun à cette époque,  

qu’il servait à nourrir les porcs et à engraisser les champs.

« La pop ulation ouvrière ne pouvait tomber plus bas. Pour ces misérables, 

qu’on ne considérait plus comme des hommes, on a construit des bouges. Je me 

sers de ce mot, parce que je n’en ai pas d’autre. Quiconque avait un terrain presque  

sans valeur, mal situé ou marécageux, y bâtissait le plus grand nombre de loge

ments possible, sans se soucier des conditions de salubrité. Ainsi se sont formés les enclos; nous en avons encore aujourd’hui qui contiennent quatre cents maisons.

« Ces maisons sont restées ce qu’elles étaient. On y a passé le badigeon; et 

l’on a pu décerner à ceux qui les habitaient des prix de propreté. Car remarquez  

 jusqu’où va l’héroïsme de ces pauvres gens: ils ont su conquérir des prix de 

propreté au milieu de la boue. Mais l’état insalubre de ces habitations continue à 

exercer son influence sur nos populations. Aussi, à l’heure qu’il est, notre popula

tion ouvrière n’a plus de sang dans les veines [...] alors que dans le restant de la 

population , la moyenne de vie tend constamm ent à s’accroître et que nous somm es 

presque arrivés en Europe à 48 années d’existence moyenne, la vie de nos ouvriers 

est de 18 ans à peine... » (421).

O n e st lo in d’avoir réalisé pa rtout le m inim um nécessaire com m e Ch.  

Potvin le trouve à H o m u où le propriétaire a fond é un e c ité ouvrière en  

m êm e tem ps que l’ex p loitation industriel le. Là, dit Potvin, « l ’ouvrier a sa  

m aison , a vec le petit carré de c ho ux s i m or alisate ur ». . . (422).

(420)  Id., p. 565.(421) Id., p. 569. .

(422) Id., p. 589.

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En somme, comme pour l ’a l imentat ion , ce qui es t f rappant , pour  

l’habitat, c’est l’inégal profit retiré par les classes privilégiées et les classes  

défavorisées des bienfai ts du progrès économique. Burggraeve le s ignale  

au x participa nts du C on grès de G and : « M essieurs les étrangers, vo us avez  admiré nos grands quartiers , nos quartiers de luxe, i l est bon que vous  

vis i t iez également nos quart iers ouvriers . Là, vous verrez que tout man

qu e : l ’air et l’esp ac e » (423). C ’est au ssi ce qu e c on sta te, à la m êm e d ate le 

docteur M eynne :

« L’ouvrier pâtit mêm e souvent de nos idées de progrès; et lorsqu’on invoque  

l’intérêt général, en réalité le sien est presque toujours oublié. J’en citerai deux  

exemples, mais il serait facile d’en produire un grand nombre.

« Lorsque la ville de Bruxelles a établi cette belle œuvre qui devait donner de 

l’eau en abondance à tous les habitants de la capitale, on n’a pas manqué de faire  

valoir des raisons de santé et d’intérêt général. On a, en effet, amplement pourvu  

aux choses de luxe et de commodité; on a établi de beaux jets d’eau et un système  

régulier d’arrosage. Les riches ont pu avoir de l’eau à tous leurs étages; mais en  

revanche la plupart des fontaines et pompes publiques ont été supprimées. De 

manière que le peuple, la masse, la généralité, se sont trouvés beaucoup plus gênés  

qu’auparavant. Il y avait de l ’eau pour arroser les arbres des boulevards, mais il n’y 

en avait plus pour les pauvres.

« Depuis quelques années, nous avons vu dans plusieurs villes, percer de 

grandes artères « pour assainir des quartiers de travailleurs »; mais nulle part nous  

n’avons vu les travailleurs profiter de ces projets. Chaque fois, pendant l ’exécution  

du travail, le but d’hygiène se transforme en un but de luxe et de spéculation, et les 

ouvriers sont forcés de déguerpir. Toutes les petites masures démolies sont rempla

cées par de grandes maisons dans lesquelles il n’y a pas la moindre place pour le  

prolétaire; pas même aux mansardes, com me c ’était jadis l’habitude. Chaque vaste 

démolition fait ainsi expulser des centaines de familles pauvres qui sont obligées, sans indemnité, d’aller beaucoup plus loin et de payer plus cher parce que l’on  

construit bien moins pour les classes inférieures que l’on ne démolit. C’est ainsi que  

d’excellents projets hygiéniques tournent en réalité au désavantage des misérables.  

Aussi, l’étude pratique des constructions ouvrières est-elle, comme nous le dirons  

tantôt, une des mesures réparatrices les plus urgentes envers ceux qui souf

frent » (424).

Q ua nt aux dom est iqu es agricoles , souv ent , i ls logen t dans les écuries . 

« Jadis , écrit V liebe rgh , à pr op os de l ’A rden ne au X IX e s iècle, les do m estiques logeaient pour la plupart dans les écuries; leur l i t était suspendu à la  

vo ûte et on y m on tait au m oy en d ’une éch elle » (425). C ’était éga lem ent le 

cas dans les fermes de H esbay e, où , pour tant , parfois , « ils on t une cham - 

brette au dessus de l’écurie. Il n’y fait pas toujours très propre, mais c’est  

quelque peu la faute des domest iques eux-mêmes; i l s font leur l i t ; à

(423) Id., p. 550.(424) Meynne, Topographie...,  p. 529.(425) E. Vliebergh et R. Ulens,  L ’Ardenne, sa population agricole au X IX e siècle,  1912, p. 128.

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certains intervalles , i ls ont droit à des draps propres, mais bien souvent i l  

faut que la fermière leur impose de nouveaux draps , s inon i l s conservent  

ceux qu’i ls ont, disposés à dire que la l i terie nouvelle est moins chau

de » (426). D an s le pays de W aes, Th uysb aert e st im ait que « la m anière de  

passer la nu it ( d e s l a p i n g )   constitue la différence essentielle entre le fermier  

( d e b o e r )   e t le domest ique ( d e k n e c h t ) .   Le dom est ique d ort dans l ’écurie  

( s t a l ) ,   le fermier à la ferme. Le domestique ( d e p a a r d e n k n e c h t )   dort dan s  

l’appentis ( d e K l u i s  — l i t t é r a l e m e n t : c e l l u l e , e r m i t a g e ! ) ,  un e pet i te cham bre  

de fortune ( e e n k l e i n s o m s m e t i g v e r t r e k ) ,   près de l’écurie. Les autres  

do m est iqu es dorm ent dan s le « cou ven t » ( h e t « c o v e n t » ) ,   une p lace ex igüe  

pr ès d e l ’é ta b le » (427).

Sur ce pro blèm e de la « l iterie », des infor m ation s son t fournies par  

les commentaires des  B u d g e t s é c o n o m i q u e s   d e D ucp ét iaux . Da ns l ’arron

dissem ent de G and, « beau coup d ’indigents couch ent sur la pai lle ou des  

feui l les sèches et se couvrent de quelques lambeaux ou de leurs habi l le

m en ts » (428) A W ijngh ene , c ’est à un autre usag e en cor e q ue les feuilles 

sèches servent; là, el les sont « un excel lent combustible pour les familles et 

ne leur c oû ten t que la p eine de les r ecue illir.. . »! (429 430).Pou r l ’ha bil lem ent, B urggraeve trouve q u ’on est en recul. « L ’état  

que l ’enqu ête constatai t en 1 8 4 5 , es t devenu aujourd’hui l ’excep t ion . Tou t  

ce lux e a disparu; les enfants surtout sont à peine vê tus — quan d, m utilés 

par les den ts des m ach ines, on les p orte à l ’hô pital pâ les et extén ué s, c’est à 

peine s i leur nudité est couverte. L’espèce d’indifférence qu’i ls semblent  

op po ser à l ’intemp érie de l’air, est du stoïcisme. ... H ab itués à la pein e, i ls 

ne con na issent po int la plainte , m ême d ans leurs dou leurs les plus po igna n

tes . Le travail seul sou tient leur existenc e f iévreuse et leur fait ou blier leur  

m isèr e» (43°).

3. La condition des ouvrières dentellières

Le systèm e des écoles d entel lières - qui sont de réelles m anu factures -  

a comme résultat que les petites f i l les commencent à travail ler dans cette  

branche à un âge extrêmement tendre. Certains auteurs se refusent à

(426) Id.,  La population agricole de la Hesbaye au X IX e  siècle, 1909, p. 123.(427) P. Thuysbaert,  Het land van Waes,  p. 122.

(428) Ducpétiaux,  Budgets économiques...,  p. 41.

(429) Id., p. 66.

(430) Burggraeve,  Le choléra indien...,  p. 217.

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établir une distinction entre la manufacture et l’école dentellière, mettant l’une et l’autre sur le même pied. Wagener, par exemple, d’une enquête 

faite dans les écoles communales de Gand, peut conclure que « sur 850  

enfants qui, de 1864 à 1866, ont quitté (ces) écoles à l’âge de 10 ans, 483,  c’est-à-dire plus de 56 % sont entrés aux fabriques ou aux écoles dentelliè

res. C’est dans les mêmes établissements qu’ont été employés 751 enfants 

sur 1401 (plus de 54 %) qui, pendant la même période, ont quitté nos  

écoles à 11 ans».

« Nous n’avons pas voulu continue-t-il, dans les calculs qui précè

dent, séparer des fabriques les écoles dentellières, et dans les indications 

que nous avons fournies au sujet des enfants qui, au sortir de nos écoles, continuent à recevoir de l’instruction, nous avons cru ne pas devoir tenir 

compte de ces établissements hybrides qui, tout en se décorant du titre 

spécieux d’écoles, ne sont, en général, que des exploitations industrielles, beaucoup plus préjudiciables à la santé que les manufactures » (431).

Ouvrière dentellière à quatre ans, mais il y a des intervalles de  

repos pour apprendre des cantiques

Toutes les sources sont d’accord sur la précocité du travail des petites 

dentellières. Ainsi l’Exposé de la situation du Royaume pour 1841-1850, 

dans son commentaire à propos de la Flandre orientale signale qu’on les 

admet à tout âge, « même à cinq et quatre ans, cependant la plupart d’entre 

elles ne sont admises qu’à l’âge de six à sept ans; elles y restent rarement  après 20 ans » (432). Dans cette province, il y a également des garçons de 6 

à 14 ans qui ont du apprendre la dentellerie (433).

En Flandre occidentale, selon la même source, l’enseignement dis

pensé aux enfants dans les écoles dentellières est insignifiant, « les conditions d’hygiène manquent et la durée du travail est de 10, 12 et même 14 

heures pas jour ». L’auteur ne peut « s’empêcher de déplorer le développe

ment excessif que prend la fabrication de la dentelle et la position précaire dans laquelle se trouvent, en présence d’une crise toujours imminente, la 

plupart des enfants qui fréquentent les écoles dentellières » (434).

Wagener rapporte qu’en 1856, les écoles dentellières comptaient une 

population de 19.785 jeunes ouvrières « condamnées au travail à partir de

(431) A. Wagener, De la nécessité au point de vue de l’instruction primaire, d ’une loi sur le travail des enfants dans les manufactures,  Gand, 1867, p. 17.

(432)  Exposé de la situation du Royaume,  1841-1850, p. 300.(433) Id., p. 301.(434) Id., p. 298.

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l’âge de six ans » (435). Considérant soulignait en 1863 que le travail dans 

ces écoles durait 12 à 15 heures (436).

Un autre auteur dont le propos n’est pas d’étudier particulièrement la 

situation sociale note que « l’apprentissage commence ordinairement à 

l’âge de six ans; il est suivi d’un travail gratuit de deux à quatre années, 

pendant lesquelles on les instruit en leur fournissant la matière. Après ce 

laps de temps, elles touchent une rétribution sans être encore ouvrières 

parfaites; mais elles payent à l’école ou à l’atelier particulier une indemnité 

mensuelle de 1,60 fr à 1,80 fr et le prix de la matière première qu’elles  

emploient » (437).

Van Holsbeek qui estime que jusqu’à 13-14 ans, les enfants ne 

devraient travailler qu’une demi-journée, donne une description plus élo

quente encore la durée du travail chez les dentellières.

« En général, dans les ateliers, la durée du travail est proportionnée à l’âge 

des ouvrières; ainsi, pour les enfants de six à sept ans, la journée de travail  

commence à huit heures du matin et se termine à six heures du soir pour les plus 

 jeunes et à huit heures pour les plus âgées. Pour les filles âgées de douze à seize ans,  

la journée de travail com mence en été à six heures du matin, pour se.terminer à huit 

heures du soir.

« La durée du travail journalier est interrompue par des intervalles de repos. 

Ces intervalles sont employés dans certains ateliers, soit au repas, soit à donner aux 

enfants des leçons de catéchisme, de politesse, ou à leur apprendre des cantiques.  

Ces leçons, outre leur avantage moral, ont encore celui de permettre aux enfants de 

quitter la position assise, et de leur procurer quelque exercice musculaire. On ne 

peut donner que des éloges à ces dispositions réglementaires.

Si la durée du travail est réglée dans la plupart des ateliers d’apprentissage, il 

n’en est pas de même dans les ouvroirs dont nous parlons plus haut. La durée du travail varie au gré de la maîtresse. Celle-ci, étant payée à la pièce, est intéressée à  

travailler le plus possible, surtout quant elle n’a pas d’autres ressources. La journée 

des plus jeunes enfants est généralement égale à celle des adultes; elle peut se  

prolonger pendant quatorze ou quinze heures » (438).

Même certaines chambres de commerce réagissent contre le système 

des écoles dentellières. C’est ainsi que la Chambre de commerce et des 

fabriques de Gand dans la lettre qu’elle avait adressée au ministre Rogier et 

qui est à l’origine de l’enquête que ce dernier décide en 1859 (circulaire du 

20 juillet aux Gouverneurs) écrit :

« Dans le principe, la bienfaisance avait été le mobile des fondateurs de ces 

écoles; mais lorsque après d’assez grands sacrifices, le développement de l’industrie 

dentellière et l’instruction des ouvrières qu’on avait formées eurent permis la

(435) Wagener, o.c., p. 18.(436) Considérant, o.c., p. 18.

(437) A. Meulemans,  La Belgique, ses ressources agricoles, industrielles et commerciales,  Bruxelles, 1864, p. 219.

(438) Van Holsbeek,  L ’industrie dentellière en Belgique,  1863, pp. 26, 27.

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réalisation de bénéfices, l’idée première, dans beaucoup de cas, dégénéra, et le gain 

devint la préoccupation principale de quelques directeurs.

« La majeure partie des filles pauvres de la campagne se livrent dès l’âge le  

plus tendre, dans quelques-unes des écoles dentellières, à un travail trop prolongé et préjudiciable au plus haut point à leur santé.

« L’intérêt public com mand e au gouvernem ent des m esures prom ptes et 

efficaces contre les abus qui ne sauraient manquer d’être cause dans l’avenir de la  

dégénérescence de notre population ouvrière... » (439).

La Chambre de commerce de Bruges également réagi t contre les  

« éco l e s - m a n u f a c t u r es» . A l a s éa nce d u 1 5 m a rs 1 8 6 0 , a u C o n se il S u p é

rieur de l ’Industrie et du Commerce, un de ses membres, Thooris, le  rappela après qu’un membre de la Chambre de commerce de Gand,  

G rov erm an, eût interpellé le C on sei l sur la nécessité de rem édier « aux  

abus qui se pro du isent d ans certaines écoles-m an ufac tures » (440).

Messieurs, je crois pouvoir revendiquer, pour la Chambre de commerce de 

Bruges, l’honneur d’avoir, la première, éveillé l’attention sur ce point. Dans le  

rapport qu’elle a publié, il y a deux ans, elle a fait connaître au pays tout entier ce  

qui se passait dans les écoles-manufactures, qui sont, dans certains de nos cantons,  

aussi nombreuses, et plus nombreuses que les communes mêmes, car il n’y a pas de 

commune qui n’en ait au moins une, et plusieurs en ont trois ou quatre.

Peu importe par qui sont dirigées ces écoles-manufactures; là n’est pas la 

question; mais le fait est, qu’il s’y commet des abus extrêmement graves. On y 

soumet les enfants, à partir de l’âge de cinq ans, au travail de la dentelle, qui est 

presque la seule industrie exploitée dans ces cantons, travail dont vous connaissez  

probablem ent tous les inconvénients, sous le rapport de la santé et de l’hygiène. On  

y astreint ces enfants à un labeur, qui commence, en été comme en hiver, avec le  

 jour; qui dure, pendant l’été, aussi longtemps que le jour, et qui, pendant l’hiver, se prolonge dans la nuit. Ces petits êtres, dans un âge où le jeu, où le plein air, où  

l’exercice sont un besoin pour leur développement, sont astreints à rester, pendant 

de longues heures, courbés, littéralement courbés, pliés en deux, sur le carreau à 

dentelles, et ils n’ont, pendant toute la journée, que quelques instants pour se livrer 

à l’exercice.

Voilà un premier abus, et qui, depuis qu’il s’est introduit dans nos Flandres,  

a produit des résultats extrêmement déplorables.

Un second abus consiste dans le payement des salaires. Quelque peu d’ou

vrage que fassent ces enfants, ils gagnent quelque chose. Il n’y a pas de dentelle, si  

mauvaise qu’elle so it, qui ne finisse par trouver un acheteur. Ces enfants, je vous en  

parle en connaissance de cause, parce que j’ai fait les calculs, font des dentelles qui 

ont une valeur tellement m inime, q u’il leur revient de 8 à 9 centimes par jour. Cela 

se conçoit, on ne peut attendre davantage d’enfants aussi jeunes.

Mais, sur ces 8 ou 9 centimes que vaut leur travail quotidien, on leur en  

retient, sous prétexte d’apprentissage, 5, 6 et quelquefois 7. On pourrait même

(439) Enquête Rogier citée, p. 887

(440)  Bulletin du Conseil supérieur de l’Industrie et du Commerce,  Tome I, Session 1860-1861,

pp. 537 et ss.

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citer des établissements où l’on exige des enfants au delà de la somme payée pour  leur ouvrage.

Dans d’autres établissements, et ici il ne s’agit plus de commençants, voici 

ce qui se passe.

L’ouvrage fait, le chef de l’établissement, quel qu’il soit, s’en empare. Je dois ajouter, il est vrai, qu’il existe sur ce point une convention quelquefois consentie,  une convention quelquefois imposée; mais enfin il y a une convention. Le chef de  l’établissement s’empare de la dentelle, et la vend, soit à un intermédiaire, soit  directement aux consom mateurs. Eh bien, on a constaté juridiquement, il y a un an à peu près, que, sur le travail qui valait 16 francs, l’ouvrière n’en recevait que 9, et ce travail avait été exécuté en vingt et un jours, par des ouvrières de seize à dix-sept 

ans. Voilà d onc que, sous prétexte du prix d’école, on retient à peu près 50 % de la valeur du produit. Évidemment, il y a là un abus grave.

Malheureusement, les moyens qui sont actuellement donnés aux autorités, aux particuliers, aux tribunaux sont trop faibles, et l’on ne peut pas atteindre ces  abus. Lorsque le public s’en occupe, lorsqu’un journal les signale, savez-vous ce qu’on fait? On poursuit ce journal en calomnie. Il y a actuellement en Belgique dix   journaux qui sont poursuivis pour calomnie, et cela parce qu’ils ont révélé un abus pareil.

Je crois donc, messieurs, qu’il est important, qu’il est urgent, qu’il est 

essentiel que le Gouvernement avise à des moyens, quels qu’ils soient. Nous  n’avons pas à nous occuper ici de rechercher ces moyens, c’est au Gouvernement, c’est au pouvoir législatif à faire la loi. Nous ne pouvons qu’attirer son attention  sur ce point; mais je crois qu’il est nécessaire, qu’il est indispensable que le Gouvernement s’en occupe dans un bref délai. Il y a dans les campagnes des deux  Flandres une quantité d’enfants, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à celui de dix-huit à  vingt ans, que l’on exploite dans ces écoles de la manière la plus indigne.

Entre autres moyens que l’on emploie pour attacher ces enfants à l’école, on 

leur fait, au moment de leur entrée, des avances pour une somme beaucoup plus  forte que la valeur du travail qu’ils peuvent produire pendant deux ou trois mois,  pendant un an même; et on les retient sous prétexte de remboursement, par le  travail, des avances qui leur ont été faites. Lorsque la première avance est à peu  près remboursée par le travail, on leur en fait une seconde. Ces enfants sont, de  cette façon, toujours débiteurs envers l’établissement, et on les retient ainsi, jusqu’à l’âge de majorité, à travailler au grand bénéfice de ces écoles-manufactures.

On a même cité des faits assez curieux. Ils se sont déroulés, il n’y a pas bien longtemps, devant le tribunal de Courtrai.

M. BUYSE-VAN ISSELSTEYN. — L’administration des hospices a eu à soutenir un procès pour les orphelins.

M. THOORIS. — On avait trouvé un moyen fort ingénieux de retenir les  ouvrières à l’établissement. Non seulement on s’emparait du produit de leur travail, mais on leur réclamait encore une somme assez forte. On avait établi un compte fort habile, fort détaillé, par lequel les enfants étaient débiteurs envers l’établissement pour avances, fournitures de fil, fournitures d’outils, etc. Et, en fin  de compte, rien n’était moins exact; c’était une vengeance exercée contre eux, afin  

de les tenir sous la chaîne.

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La santé est l'exception, l'état de maladie la règle générale

Le docteur V an H olsbeek a é tudié so igneu sem ent l ’é ta t de santé des 

dentell ières et con clut q ue « nou s po uv on s dire , sans crainte de no us  

tromper, que l’état de santé est chez el les l ’exception, l ’état de maladie, la  

règle g énérale » (441). R égim e de trava il, m ais au ssi al im en tation dé fec

tueuse et hab itat da ns « ces antres im m on des » où logen t la p lupart des  

den tell ières, son t les cau ses de cette situa tion (442). Van H olsb ee k e st im e  

d’ail leurs que « les manufactures sont la cause indirecte de l ’existence des  

impasses, puisque partout on les voit naître et se mult ipl ier avec el les, et la  

cra inte de po rter attein te au d ro it de la pr op riété les a fait tolérer » (443).

L’école doit ici être mise sur le même pied que l’atel ier, «dans la  

plupart de ces écoles , re l ig ieuses ou la ïques, les abus sont scandaleux, 

rév oltan ts, inc ro ya b les » (444).

C’est un écho à peu près semblable qui nous est révélé pour le  

Limbourg par l e rapport é tab l i l e 20 mai 1869 par la Chambre de com

m erce de Ha ssel t à pr op os de l ’école dentel lière tenue par les Sœurs N oires  

à Saint-Tron d :« 102 apprenties ou ouvrières, écrit-elle, ont fréquenté cet atelier en 1868. 

Les jeunes filles y sont admises dès l’âge de  six ans.  A l’expiration de leur terme 

d’apprentissage, qui est de trois ans, les apprenties reçoivent une somme de 15 

francs à titre de gratification. Quelques-unes, profitant de la faculté qui leur est 

laissée de rester attachées à l’établissement, en qualité d’ouvrières salariées, conti

nuent à y aller travailler. Leurs travaux, dans ce cas, se font pour le compte de  

l’atelier. Celles d’entre les ouvrières qui se distinguent par une grande habileté  

parviennent à gagner 15 à 16 francs par mois, en travaillant pendant onze heures 

par jour, c’est-à-dire depuis sept heures du matin jusqu’à sept heures du soir. A  midi, elles jouissent d’une heure de repos. Tou tefois, la journée de travail n ’est que 

de sept heures pour les filles âgées de moins de onze ans. » A propos de cet atelier,  

la Chambre fait encore remarquer que les ateliers dirigés par des ouvrières laïques 

sont beaucoup moins bien que celui des sœurs noires, mais n’en conclut pas que  

celui-ci ne laisse rien à désirer ou puisse être cité comm e m odèle à suivre. « Loin de 

là; écrit-elle, car si, d’une part, cet atelier facilite aux enfants l’apprentissage de la  

fabrication des dentelles, il est, d’autre part, cause qu’à Saint-Trond les filles de la  

classe ouvrière restent en grande partie privées d es bienfaits de l’instruction primai

re... L’éducation intellectuelle, paraît-il, y est peu ou point estimée; c’est à peine si l’on enseigne aux enfants les premiers éléments de la lecture et de l’écriture. Aussi 

ne consacre-t-on à cet enseignement que  deux heures par semaine, tandis qu’on 

retient les enfants pendant sept heures par jour  courbées sur le carreau à dentel

les » (445).

(441) Van Holsbeek, o.c., p. 74.(442) Id., p. 46.(443) Id., p. 46.(444) Wagener, o.c., p. 18.(445) Cité dans l’Enquête 1870-1871 du Ministère de l’Intérieur, I, p. 209.

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Finalement, les dentellières n’ont plus comme perspective que le 

dépôt de mendicité, cette institution sinistre dont nous parlerons au 

tome 2. « Obligées de cesser de bonne heure, par suite de maladies, le 

métier qui subvient à leur existence, le plus grand nombre de dentellières sont contraintes, vers leur cinquantième année, d’aller frapper à la porte 

du dépôt de mendicité, ce dernier asile de la classe ouvrière, où vont s’engloutir tant de souffrances et de misères dont les riches ne soupçonnent 

pas même l’existence (446).

(446) Van Holsbeek, o.c., pp. 163, 164.

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Chapitre 8

La condition des ouvriers houilleurs 

à la veille de la guerre de 1870

C ’est la discuss ion autour d e la s i tua t ion des ouvriers h oui l leurs qui , 

à ce moment, paraît avoir pris le pas sur les débats autour de l’ industrie 

l in ière , problème de la moit ié du s iècle . Deux problèmes semblent avoir  

retenu l’attention; d’abord celui du travail des enfants dans les mines;  

ensuite celui de l’amélioration de la salubrité dans les charbonnages. C’est  

surtout la pub l icat ion du rapport K ub om fa it pour l ’Acad ém ie de m éde

cine qui sera l ’é lém ent ex plos i f . M ais le remu e m énage q u’il pro voq ue t ient 

au fait qu ’avan t ce rapp ort com m e après, à travers les réac tions q u ’il 

suscite, c’est le capital isme industriel , fortement instal lé dans les charbon

nages, qui se défend contre les accusations relatives à la condit ion des 

ouvriers houil leurs.

1. Le travail des enfants dans les mines

Le congrès d’hygiène publique de 1851 l’avait évoqué en  

parallèle avec le travail des enfants dentelliers

Au Congrès d’hygiène publ ique de 1851 , convoqué par Rogier  

pour st imuler le zèle des comités locaux de salubrité, la question de la  

réglementat ion du travai l des enfants es t évoquée les 22 et 23 septembre.  

U n vœ u souh ai tant que le projet de la Co m m iss ion de 18 43 about i sse enfin  

devant les chambres légis lat ives suscite, en faveur des enfants houil leurs, 

une intervent ion du docteur Van den Broeck , membre du Comité de

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salubrité de Mons. Van den Broeck, qui était professeur de chimie, de 

métallurgie et d’hygiène à l’école provinciale des mines du Hainaut, s’était 

déjà prononcé en 1840 contre l’admission des enfants au travail minier 

avant l’âge de 15 ans (447). En 1843, il estimait « que l’hygiène et la morale 

s’opposent également à l’emploi des femmes dans les exploitations char

bonnières »; mais le médecin montois ne se fait guère d’illusions, « qu’on  

ne s’y trompe pas, dit-il, ces considérations si puissantes pour le médecin et 

pour le législateur, ne pèsent en aucune façon dans la balance industrielle. 

Là où la question d’argent est tout, comment peut-on prétendre que 

l’humanité puisse être quelque chose? » (448449). Au Congrès de 1851, Van 

den Broeck fait remarquer que, malgré le décret de 1813, des enfants de moins de 10 ans descendent encore au fond de la mine en cette moitié du 

XIXe siècle : « Aux termes d’une ancienne loi, les enfants ne peuvent 

descendre dans les mines au-dessous de l’âge de 10 ans. Cependant, il y a 

considérablement d’enfants au dessous de cet âge qui sont reçus dans les 

mines et qui y rendent seulement, il est vrai, de petits services, tels que 

fermer les portes, etc. Mais il n’en est pas moins vrai que par suite du 

défaut d’air et de lumière, les enfants s’y abâtardissent, leur constitution 

s’y détériore. Je voudrais que la loi remédiat à de pareils faits en défendant 

de laisser descendre dans les mines les enfants au dessous de 15 ans. A cet 

âge, les enfants peuvent rendre des services utiles et leur constitution est 

assez forte pour qu’çlle ne se détériore pas par le travail souterrain. Il est 

bien entendu qu’il s’agit des enfants mâles. Quant aux filles, elles ne 

pourraient.descendre dans les mines avant l’âge de 18 ans» (448).

Malgré une intervention du docteur Mareska, de Gand, qui eut 

souhaité qu’on restât dans les généralités, un autre gantois, le capitaine 

Rousseau, appuie Van den Broeck, et, assurant bien connaître le pays 

borain où il est né, il affirme pouvoir garantir que « si le système actuel est 

maintenu, la population boraine s’étiolera de plus en plus. On fait descen

dre les enfants tellement jeunes dans les fosses, dit Rousseau, qu’il est 

impossible qu’ils vivent longtemps. Souvent à l’âge de 16 ou 17 ans, ils 

sont atteints de maladies des poumons, ils sont rachitiques, ils n’ont plus 

de fQrme. Un Borain de 40 ans, sain et robuste est chose (45°) presque impossible à trouver aujourd’hui. Cependant, autrefois, cette race était 

forte, elle était renommée à cet égard. Aujourd’hui, elle est dans un 

véritable état de décadence» (451).

(447) Vandenbroeck,  Réflexion sur l'hygiène des mineurs et des ouvriers d'usines métallurgiques, 

suivies de l'exposé des moyens propres à les secourir en cas d'accidents..., 

Mons, 1840, p. 13.

(448)  Aperçu sur l 'état physique et m oral de certaines classes ouvrières...  Bruxelles, 1843, p. 10.

(449) Congrès d’hygiène publique, session de 1851, compte-rendu des séances, p. 73.

(450) Sic.

(451) Congrès d’hygiène publique, o.c., p. 73.

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Visschers, conseiller au Conseil des mines et membre du Conseil supérieur d’hygiène, membre de la Commission de 1843, rappelle que 

celle-ci avait proposé d’interdire la descente des femmes dans la mine; 

« nous croyons, dit-il, que la place de la femme est au foyer domestique et 

non dans les grottes souterraines, mêlée avec les hommes » (452). Il est beaucoup moins exigeant pour les jeunes gens : « quant à l’âge des ouvriers 

mineurs, il faut concilier les intérêts de l’industrie avec les intérêts des 

populations et je crois qu’à l’âge de douze ans, l’enfant est ordinairement 

assez fort pour que l’on n’ait pas à craindre, comme effet de son séjour 

dans les mines, la dégénérescence de la race » (453). Ancien directeur de 

l’administration des mines, Visschers veut répondre à l’accusation de Van den Broeck. Il admet « que la population des ouvriers mineurs est .une 

population souffrante, souvent étiolée. Mais, ajoute-t-il, ce que je ne puis 

croire, c’est que malgré les soins que les ingénieurs des mines mettent à 

exiger des ouvriers des livrets, on ait admis des enfants au-dessous de dix 

ans dans l’intérieur des mines. Quelquefois, concède Visschers, on admet 

des enfants de neuf à dix ans à l’extérieur des mines, pour nettoyer le 

charbon, pour tirer les pierres et les mettre de côté. Mais ce n’est là qu’un 

exercice gymnastique et non une industrie dangereuse » (454).

Contre l’opinion de Visschers, Lombard, président de la Commission 

médicale de la province de Liège, vient appuyer la position de Van den 

Broeck et Rousseau en signalant qu’au temps où les enfants descendaient 

encore dans les mines de Liège, ce travail leur était néfaste : «... nous 

avons eu la preuve des ravages que produit sur les enfants leur descente 

dans les mines à un âge trop tendre. Les enfants de nos houilleurs étaient 

beaux, forts, d’une bonne constitution. A l’âge de huit ou neuf ans, ils 

descendaient dans nos mines; ils n’y passaient pas deux ans, rarement 

trois, sans être atteints de rachitisme, sans s’étioler, sans que leur constitu

tion fut complètement détériorée. Nos houilleurs formaient une race abâ

tardie, dont la vie était très courte. » (455) Lombard estime que la limite de 

douze ans est insuffisante parce qu’à cet âge ils sont aussi vulnérables qu’à 

9 ou à 8 ans.

La tendance Visschers l’emportera pourtant, appuyée notamment par Ducpétiaux qui souligne que d’autres enfants au travail sont également 

à prendre en considération : les enfants travaillant dans la dentelle : « On 

parle des mines, mais il est dans certaines industries des maux beaucoup 

plus grands encore que ceux que vous déplorez pour les enfants employés  

dans les houillères. Ainsi dans les Flandres, où vous n’avez pas de grandes

(452) Id., p. 74.(453) Id., p. 74.(454) Id., p. 74.

(455) Id., p. 75.

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industries, au moins dans les communes rurales, il y a une industrie 

réellement meurtrière, qui emploie, dans ce moment 30.000 enfants. Un 

grand nombre de ces enfants, depuis le premier jour de l’année jusqu’au 

dernier, depuis le point du jour jusque bien avant dans la soirée, sont  occupés à faire de la dentelle, le corps plié en deux sur un carreau. C’est là 

le plus grand des supplices, et s’il est un vœu qu’il y aurait lieu d’émettre, 

c’est que ce martyre, auquel sont condamnés un grand nombre d’enfants 

dans les Flandres, ait un terme; et ce terme, vous ne l’aurez que par une loi 

générale qui s’appliquera à ces enfants comme à ceux que l’on emploie 

dans les houillères » (456).

Bourson, directeur du Moniteur, tentera encore de faire admettre une disposition additionnelle par laquelle le Congrès aurait émis le vœu 

que l’âge des enfants admis dans les mines soit d’au moins 14 ou 15 

ans (457). Mais l’opinion défendue par Visschers, Ducpétiaux, Mareska et 

Arrivabene (458) fut seule retenue : le projet initial fut voté par l’Assemblée 

sans modification.

L'enquête de l'A cadém ie de m édecine sur l'em ploi des fem m es 

dans les travaux souterrains des mines

Tenace, le docteur Van den Broeck écrit, le 22 février 1867 à l’Aca

démie de médecine, dont il est correspondant, pour solliciter son appui 

auprès du gouvernement afin que celui-ci soumette aux chambres un 

projet de loi statuant sur l’admission des femmes et des enfants dans les 

travaux souterrains des mines. Une commission spéciale fut constituée, 

composée des docteurs Vleminckx, Boulvin, Sovet et d’un correspondant, 

le docteur Kuborn, qui fut chargé des fonctions de rapporteur. Celui-ci, au 

début de son rapport (459), a insisté sur le soin que mirent les commissaires 

à rassembler leur information. « Ils ne se sont pas bornés à compulser les 

nombreux documents publiés dans ces dernières années par les Collèges 

médicaux et les Chambres de commerce, les rapports des Députations 

permanentes, les communications que le ministère de l’Intérieur a mises à ieur disposition; ils se sont directement adressés aux praticiens du pays 

qui, par les localités qu’ils habitent, se trouvent dans la position la plus

(456) Id., p. 76.(457) Id., p. 77.(458) Le comte Arrivabene était membre du conseil supérieur d’hygiène.(459) Le rapport de la commission a été publié dans le Bulletin de l’Académie 3* série, tome II, p.

802. Il fut publié en tiré à part sous le titre : « Rapport sur l’enquête faite au nom de l’Académie demédecine de Belgique, par la Commission chargée d’étudier la question de remploi des femmes dans les

travaux souterrains des mines». Nos références renvoient à la pagination du tiré à part que nous

désignons : « Rapport Académie 1868 ».

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favorable pour fournir des renseignements précis. Ds se sont transportés 

dans les différents districts houillers, tantôt pour élucider des points obs

curs ou contestés, tantôt pour recueillir des faits dont ils soupçonnaient 

l’existence mais qu’on semblait enclin à cacher afin de ne pas compromettre les intérêts mal entendus. Ils ont voulu traiter d’une façon complète 

l’important sujet soumis à leurs investigations, n’émettre aucune allégation 

qui ne s’appuyât sur des faits. Ils ont procédé à la recherche de la vérité 

avec indépendance et impartialité. Ils n’hésitent pas davantage à dire le mal 

et ses sources, quelque pénible que ce puisse être; à affirmer qu’ils parlent, 

comme sous la foi du serment, « sans crainte et sans haine » (460).

Les causes

Selon les renseignements recueillis par l’Académie, il y a, au moment 

de l’enquête 13.524 femmes et filles qui travaillent dans les mines dont 

9122 à l’intérieur (461). Trois causes de cette situation sont dégagées par le 

rapporteur.

La première est la misère qui, elle-même, procède de deux causes. 

« Bien souvent elle est due à l’absence de prévoyance et au manque d’ordre; quelquefois à la privation des ressources que fournissait à la famille

 

son chef frappé par la mort ou réduit à l’impuissance; plus rarement à la 

cherté des denrées alimentaires. On dit que les femmes entrent alors dans 

les mines par vertu, pour échapper à la prostitution; nous verrons plus loin 

ce qu’il faut penser de cette allégation» (462).

Le rapporteur semble surtout avoir été frappé par une seconde cause 

sur laquelle il revient souvent : la vanité féminine! « Il n’est guère, écrit-il, 

de profession qui donne plus de liberté avec des salaires plus élevés que 

celle de l’ouvrier mineur»... «Le travail dans les mines leur procure 

facilement le gain nécessaire à leur ajustement. Il en est beaucoup qui, à 

l’instar des hommes, font double tâche, c’est-à-dire passent des vingt- 

quatre heures dans la fosse. La vanité, innée chez les femmes, est portée 

d’autant plus haut qu’on a moins développé en elles les qualités du cœur 

susceptibles d’en contrebalancer l’influence » (463).

Enfin, le rapport signale — c’est là une cause, ou une accusation que 

nous avons déjà rencontrée à plusieurs reprises — la « cupidité des pa

rents ». « Le désir du chef de famille de tirer de ses enfants qu’il considère

(460) Rapport Académie 1868, p. 3.

(461) Voir tableau page 189.(462) Rapport Académie 1868, p. 15.

(463) Id., p. 16.

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Hainaut Namur Liège

Nombre Salaire Nombre Salaire Nombre Salaire

A L’INTERIEUR

Hommes   35.918   3,81 1.409   3,71   12.486   3,25Femmes   4 .289   2,25   54   1,89   817   1,76

Garçons   6 .840   1,70 2 77 1,75   1.576   4 ,52( i )

Filles • 3 .5 54   1,46 13   1,29 125   1,39

SURFACE

H om m es 10.027 2 ,6 0 348 2,55 2 .613   2,34

Femmes 1.556 1,49 161 1,36   940   1,23

Garçons 1.531   1,19   34   1,15 308   0,93

Filles 1.258 0 ,99 65   0,91   422   0,78

RECAPITULATION

Le nombre de mineurs travaillant dans les charbonnages en 1868

Intérieur

Surface

Hommes

Femmes

Garçons

Filles

Hommes

FemmesGarçons

Filles

49 .913 (2) 

5.160  

8.693  

3.9 62 (3)

12.988

2 . 6 5 71.873

1.745

87.001

soit en tout, femm es et filles, 13 .52 4 (4), 

dont 9 .1 22 à l’intérieur (5)

(1) U s'agit probablement d'une erreur typographique. Sans doute faut-il lire: 1,52.(2) En réalité, le total est 49.813.(3) En réalité, le total est 3.692.(4 ) En réalité: 13.254.

(5 ) En réalité : 8.752. (Source: Rapport Académie 1868, pp. 14 et 15).

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comme un capital, le plus de profits possible. Cette cupidité a quelquefois 

pour mobile la paresse ou le désir de faciliter la satisfaction de certains 

goûts, de certains plaisirs plus ou moins avouables » (464).

Le genre de travail effectué

Le rapporteur a classé en huit catégories les types de travaux effec

tués par les femmes et les enfants dans les charbonnages. Ou plutôt, il n’a 

pas parlé de travail, son expression est: «voici le lot qui échoit aux 

femmes, aux filles ou aux enfants dès l’âge de 12 ans » :1° Le transport par gaillots dans les fausses voies, ou vo ies intermédiaires, du 

charbon pendant le jour, des pierres et des terres pendant la nuit. Les galeries 

comptent parmi les moins élevées. On donne à ce genre de travail le nom de 

hierchage ou traînage;

2° Le remblayage des tailles pendant la nuit, lequel consiste à remplacer le 

charbon extrait par les pierres détachées pour avancer la voie;

3° Le boutage, opération qui sert à faire passer le charbon de la taille dans la 

voie à l’aide de pelles.Ces divers travaux occupent les deux sexes;

4° Le maniement des freins, le soin d’attacher des charriots sur les plans  

inclinés, qui sont nombreux dans les systèmes d’exploitation en tailles d’allonge

ment;

5° La manœuvre des treuils, employés soit pour élever le charbon sur des 

plans inclinés en vallées, dits défoncements, soit des pierres des puits en voie de  

creusement ou d’approfondissement, connus sous le nom d’avaleresses;

6° Le service des pompes;

7° La ventilation des travaux préparatoires.

Les deux dernières opérations, dans la plupart des fosses, ainsi que la 

manœuvre des freins et des treuils, sont plus spécialement réservées aux femmes ou  

filles;

8° Les fonctions auxquelles sont préposés les enfants en dehors du trainage  

et du remblayage consistent à accompagner les raccommodeurs de voies, à transfé

rer du bois d’une place à l’autre, à aller rallumer les lampes éteintes pour les  

reporter dans les tailles, à suivre les trains de wagons conduits par des chevaux » (465466).

Quant à la durée de ce travail, elle « varie entre huit et douze heures. 

La tâche commence vers 4, 5 et 6 heures du matin. Aux ouvriers de jour 

succèdent aussitôt les ouvriers de nuit » (46<s).

(464) Id.

(465) Id., pp. 16/17.(466) Id., p. 18.

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Une forte mortalité infantile

Après avoir noté quelques améliorations intervenues dans le travail 

du hierchage depuis que fut menée l’enquête de 1843, le Rapport imprime l’avis envoyé par un docteur du Hainaut déclarant notamment : « La jeune 

enfant qui est envoyée dans les fosses, à l’âge de 11 ans, ne verra plus la 

lumière du jour que le dimanche, du moins pendant la plus grande partie 

de l’année. Elle quitte le foyer paternel vers trois heures du matin, pour n’y  

rentrer que de 6 à 8 heures du soir. Si de 11 à 13 et 14 ans, le travail en 

lui-même n’est pas toujours pénible, cette absence d’insolation, jointe à un 

air souvent impur, est déjà nuisible au développement des forces physiques (...); l’influence fâcheuse du travail des mines sur la constitution, 

spécialement chez la femme, est toujours manifeste. Généralement pâles, de petite taille, les filles de fosse, comme on les désigne, ne sont réglées que 

fort tard, la plupart deviennent mères avant d’être suffisamment aptes à 

remplir, même au point de vue animal, les devoirs de la maternité » f467).

Kubom croit d’ailleurs que les perfectionnements apportés « ne sont, 

à bien des égards que des palliatifs » (468); il y a, en effet, des causes qui  sont inhérentes à la nature du travail. Ces considérations, l’auteur les écrit après avoir évoqué la pénible situation des mineurs soumis continuelle

ment aux brusques changements de température : « Couverts de sueur et de poussière, les femmes et les enfants se trouvent selon la nature de leur 

travail, exposés alternativement pendant neuf à dix heures, à un courant actif d’air tantôt froid et pur, tantôt tiède et vicié; la tâche finie, ils se 

présentent au cuffat pour remonter au jour; ils attendent leur tour dans les 

chambres d’accrochage, grelottant là encore, sous le courant d’air froid et hymide qui arrive de la surface, se préparent à subir toutes les conséquen

ces des brusques suppressions de transpiration. Cette circonstance est très 

commune dans les mines où la cage ne transporte personne si l’extraction 

n’est terminée » (469).

Le rapporteur cite encore une série de témoignages relatifs aux effets 

du travail minier sur la grossesse et la parturition. C’est à cet endroit qu’il  

fait état des réticences que les enquêteurs ont rencontrées dans leur recherche de la vérité : « On avait prévenu les membres de la Commission qu’ils 

auraient quelque peine à découvrir la vérité, si elle était mauvaise. Ils s’en 

aperçurent aisément dans les interrogatoires auxquels ils procédèrent. Ils 

comprirent le mobile de la réserve des praticiens, en voyant avec quelle 

insistance ceux qui consentaient à fournir des éclaircissements écrits, de

(467) Id., pp. 21, 22.

(468) Id., p. 23.

(469) Id., p. 23.

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mandaient à ce qu’on ne publiât pas leurs noms. Il résulte toutefois des 

investigations de la Commission, que le travail des femmes, admises jeunes 

dans les mines, imprime souvent à leur système osseux des dispositions 

vicieuses, incurve la colonne, rétrécit le bassin; que chez elle, les avortements, les accouchements avant terme, sont très fréquents; que la mortalité 

à la naissance, est plus forte que chez les enfants des ménagères... » (470).

Revenant plus loin sur la mortalité dans les communes charbonnières 

et tout en regrettant la défectuosité des statistiques, Kubom dte les quel

ques chiffres suivants :

« Les villes de Courtrai, Ath, Nivelles, Huy, Andenne, Lessines, comprennent  

une population de 64.713 habitants; les puissantes communes charbonnières de  Seraing, Quaregnon, Gilly, Châtelet, Dampremy, Hornu, de 68.456. Pendant la 

période précitée, le nombre de décès d’enfants en dessous de 7 ans, s’est élevé à 

2 .359 pour les premières, à 3.0 60 pour les secondes, ce qui donne pour celles-ci 44  

décès, pour les autres 36 sur 1.000 habitants, moyenne annuelle, 11 et 9.

« Dans ce relevé, quelques chiffres sont frappants.

« Ainsi Ath, qui possède une population de 8 .47 2 âmes, fournit 24 3 décès en 

quatre années, tandis que Hornu, qui n’en compte que 6.674, en fournit 271. La  

commune de Seraing, sur 4.105 décès en général, compte 1.034 décès d’enfants en 

dessous d’un an, soit 257 décès sur 1.000, chiffre calculé sur une moyenne de 9 

années (1857-1866 exclusivement); c’est énorme.

«La proportion des enfants décédés en dessous de 7 ans dans la même  

commune, pendant la période quatemale de 1862 à 1865, est de 160 pour 1.000  

décès en général et de 48 pour 1.000 habitants, soit une moyenne annuelle de 152  

et de 12  » (471).

<<Les plus belles filles appartiennent d’abord aux maîtres ouvriers »

Kubom et les enquêteurs paraissent avoir été surtout frappés par la 

situation de la moralité des femmes travaillant à la mine. C’est un des 

points du rapport qui sera furieusement contesté dans la controverse dont 

nous parlerons plus loin.

« ...Toutes les licences, tou tes les privautés sont permises. Pendant ce retour, 

au crépuscule, bien souvent la fille des houillères s’écarte un peu de la bande pour  se livrer sans honte, ni pudeur, presque sous les yeux de ses com pagnons de travail.

« Enfin, elle rentre au logis, monte à son étroite chambre. Elle y cherche du  

regard le matelas où se trouve une place vide. En voilà une que vient de quitter un  

logeur pour aller à son travail. Qui repose à l’autre? C’est son frère, son père, son  

oncle, son cousin, un étranger peut-être! A-t-elle le temps de s’en préoccuper; elle  

est fatiguée! Elle prend la première place venue, sans que son imprudente mère  

s’inquiète des conséquences qui peuvent résulter de cette insouciance.

(470) Id., p. 30.(471) Id., pp. 50/51.

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« Fait-elle sa toilette? Elle agit comme si elle était seule; tout près pourtant 

des hommes se lavent à moitié nus comme elle.

« Pourquoi rougirait-elle? Ses sœurs sont à cô té qui en font autant; le fait est 

passé dans les habitudes.« Sa mère qui tient la poêle où frit une tranche de lard, est là aussi, simple

ment vêtue d’une chemise et d’un jupon, la gorge découverte! » (472).

La d escr ipt ion du com portem ent au charb onnag e es t part icu l ière

m ent imp lacable d ans ses a ccusa t ions v is à v is des « m aîtres-ouvriers » :

« La femme mariée a souvent pour am ant un des homm es qu’elle tient en  

logement. Partout ou à peu près, mais spécialement dans les grands centres, tels 

Seraing, Charleroi, Gilly, Dampremy, Quaregnon, Lodelinsart, les plus belles filles  appartiennent d’abord aux maîtres ouvriers. Des tolérances de toute espèce sont le 

gage de leurs faveurs.

« Void, nous dit-on, le procédé mis en usage pour les obtenir. La jeune fille  

est placée dans un endroit où elle peut être fadlement surveillée. On cherche à  

l’allécher par l’appât d’une augmentation de salaire. Si elle refuse on l’isole sous 

l ’un ou l ’autre prétexte; on lui donne la tâche la moins facile, et cela dure jusqu’au 

moment où elle consent à l’échanger, au prix proposé, contre une autre moins  

pénible.

« Parmi les jeunes filles qui travaillent dans les fosses, il est vraiment excep

tionnel d ’en rencontrer qui soient encore vierges à quatorze ans! Dans une houillère 

près de Gilly, une femme de fosse nous débita que l’on venait de renvoyer un chef  

mineur marié, pour avoir rendu mères deux jeunes filles de 16 à 17 ans. Tout  

récemment, dans le bassin de Seraing, un maître ouvrier, marié aussi et père d’une 

nombreuse famille, a vu naître un troisième enfant de sa concubine âgée de moins  

de 20 ans. Un autre, un contremaître aussi, ayant femme et cinq enfants vient de  

retirer de la houillère, pour la mettre en chambre, une jeune fille de 16 à 17 ans,  

dont il a obtenu dans la fosse même les premières faveurs. Un quatrième avait un  

enfant d ’une fille à peine nubile issue du premier mariage de sa femme; il couchait  

dans la chambre de celle-ci avec cette fille. Nous pourrions multiplier les exemples 

que nous avons recueillis... » (473).

Selon K ub orn , la situa tion ne s ’est guère am éliorée depuis vingt ans. 

Après avoir cité des stat ist iques de naissances i l légit imes, i l conclut ainsi :

« Au dire des directeurs de charbonnages, ce ne serait pas dans les travaux  

que se commettraient les actes d’amour; c’est là du moins que se fixent les  

rendez-vous pour le moment du retour ou l’arrivée du lendemain. Citons cependant un exemple odieux qui prouve que la surveillance la plus active peut être  

trompée. Il y a deux ou trois ans, dans une des houillères en amont de Liège, une  

fille, bien jeune encore, reçut un coup à la tête et perdit connaissance. Un mineur  

travaillant à proximité, lui porte secours et s’apercevant sans doute qu’elle n’était  

qu’évanouie, assouvit sa passion sur elle.

« Croit-on que l’idée bestiale l’eût seul guidé? Du tout. Il était atteint d’un  

chancre qu’il communiqua à sa victime. Son viol lui était commandé par cet

(472) Id., pp. 33, 34.

(473) Id., p. 38.

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abominable préjugé, que dans ces sortes de maladies on guérit plus sûrement et  

plus promptement en se livrant à une fille vierge! Voilà comment la pudeur des  

ouvrières est protégée dans certaines fosses! » (474).

Q u e faire?

La grande plaie , pour le Rapport de l ’Académie, c’es t l ’absence de  

form ation, d ’instruct ion des femm es qu i , tou te jeunes , se rendent à la 

fosse. A Seraing, le rapp orteur a interrog é « tou tes les fem m es o u f i lles , 

d ’où q u ’el les provienn ent , travai l lant ou ayan t travai llé dans les h ou i lles , et 

qui se sont présen tées à son cab inet pen da nt l ’espace d ’un an. Sur 11 7  f emm es o u f illes :

19 savaient l ire, écrire et un peu chiffrer;

32 à peine l ire ou épeler;

6 6   rien d u to u t » (475).

La form ation m énagère es t ab solum ent nul le . « . . .N ’ayan t aucun e  

idée d ’ordre, aucun e n ot ion d ’éco no m ie do m est iqu e, ne conna issan t r ien 

aux travaux du ménage, paresseuse par ignorance, négl igée dans sa tenue, ne sachant ni pétrir la pâte , ni fa ire un rag oût , ni m êm e peler une po m m e,  

encore m oins cou dre, tr icoter , ravauder des ba s , racom m od er lé l inge, e lle 

prépare à son m ari , qui trouv e, à son retour, la tab le nue et le foye r glacé,  

la pire des ex is tenc es , et à ses enfants l ’exem ple d ’une un ion m al assortie , 

avec toutes ses conséquences. . . » (476).

La travail leuse à la mine n’a aucune notion de puériculture; « L’en

fant es t exp osé tou s l es jours aux n om breux dangers qui le m enacen t dans le jeune âge; quel les précau t ions pren d-el le po ur le vêt ir en rap port av ec la  

saison, sans nuire à la l iberté de ses mouvements; pour ne gêner ni la  

respiration, ni la circulation, ni la digest ion? Elle ne donnera pas l’al imen

tat ion appropriée à un tendre es tomac, mais les mets dont e l le use e l le-  

m ême; e l le sortira par un tem ps froid et h um ide en le po rtant sur le bras ou  

sur le dos; el le restera enfermée avec lui dans une pièce enfumée par le  

tabac et le charbon, non venti lée, servant de lavoir, de séchoir, chauffé  

outre m esure à l’aide d ’un po êle sur lequel el le cuit des a l im ents . A -t-el le à 

vaquer à quelque occupation? el le laissera l’enfant se rouler à terre au  

milieu des ordures et se couvrir de malpropreté; el le n’aura pas même  

l ’attention de le décrasser pour le retour du père; el le ne songera pas à 

retenir celui -c i au logis par la vue d’un enfant propre ou d’une épouse  

avenante... » (477).

(474) Id., p. 42.

(475) Id., p. 45.(476) Id., pp. 42, 43.

(477) Id., p. 49.

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K uborn ne v oi t qu ’un rem ède : la fem m e d oit quit ter la fosse et  

s’occu per d u m éna ge. « L’aisance , la m ora lité et la san té n’existent que  

dans les ménages où la femme est rendue à son vrai rôle , nul le part  

ailleurs » (478). C ela rev ient co m m e u n leit-m otiv : « D a n s les m én ag es d e  houi l leurs dont la femme ne pénètre pas dans les mines, i l y a plus de  

prop reté , d ’aisance, de m oral i té , de bonheu r au foyer dom est iqu e, que  

dan s les circo nstan ces o p po sée s » (479) .. . « A B ois du L uc, o ù la ho uil le est 

ex p l o i tée d ep u i s 1 8 1 0 , a u cu n e fem m e n e d escen d d a n s le s fo s se s . N o u s  

avons v is i té de nombreux ménages et nous y avons rencontré l ’ordre et la  

prospérité. Les pièces étaient vastes, bien aérées, bien éclairées, les l i ts  

soignés. De petites f i l les de 6 à 7 ans tricotaient sur le seuil , de pet its  

garç on s jou ff lus, l ’air de san té au visage, jou aient au d eh ors . .. » (48°). D an s  

la Région de Liège également , là où les femmes ne descendent pas à la  

fosse, « . . .on con state aisém ent qu ’il y a dans les m éna ges un esprit d’ordre  

et de prév oy an ce assez m arq ué » (481).

A u Bleyberg, « . .. les garç on s ne son t adm is dans les m ines q u ’à partir 

de quinze ans, les jeunes f i l les en sont exclues absolument , a insi que des  

fonderies . Les mères de famil le ne quit tent pas le foyer domest ique, leur  

moralité est à l ’abri de tout reproche. Les grèves, les débats relat ifs aux  

salaires, ne se présentent jamais au Bleyberg. Les deux cinquièmes des 

ouv riers s o n t prop riétaires de leurs h ab itation s » (482).

Le rapport du docteur Kuborn f i t l ’objet de discussions au cours de  

six séanc es de l ’A cad ém ie de m éde cine, du 16 janvier au 6 jui llet 18 6 9 (483) 

pour débouch er , à la réunion du 30 décem bre 1 86 9 sur ce t te conc lus ion :

« L ’A cad ém ie royale de m édecine, éc la irée par le rapport de sa  

Commiss ion a ins i que par la longue d i scuss ion à laque l l e ce document a  

donné l ieu, émet l ’avis, ainsi que l’ont fait déjà un grand nombre de  

directeurs de charbonnages, que le travail des femmes et des f i l les dans les  

fosses n ’est pa s en harm onie a vec leur organisat ion; q u ’à d ’autres p oints de 

vue d’ai l leurs , i l convient d’en recommander la prompte suppression, la  

bon ne con st itu t ion du foyer dom est ique a ins i que l e b ien-ê tre phys ique e t  

m oral de la po pu lation ho uil lère y étant p articulièrem ent intéressés » (484).

(478) Id., p. 71.(479) Id., p. 85.

(480) Id., p. 62.

(481) ld., p. 63.(482) Id., p. 68.

(483)  Bulletin de ïAcadém ie royale de médecine, année 1869, tome 3, 3e série, pp. 11, 99, 366,483, 632, 730 (livre n° 1, 2, 4, 5, 7, 8).

(484) A l’unanimité moins deux voix (Kuborn,  Aperçu historique...,  p. 162).

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2. La salubrité des charbonnages s’est-elle amélio

rée?

Si la plupart des témoignages convergent pour nous dire qu’en un  

quart de s iècle la s ituation des ouvriers ne s’est guère améliorée, i l s ’en  

trouve po ur assurer que celui des ouvriers h oui l leurs — contrairem ent à ce 

que révèle l ’enq uête de l ’A cad ém ie de m édecine — a fait de grands progrès .

L e doc teur M eynn e par exem ple , dans s on ouvrage de 18 65 , e s tim e . 

que « les ind ustries da ns lesqu elles le salaire a subi u ne ha usse sen sible, 

appart iennent pour la plupart aux quatre provinces méridionales . Ce sont  

part icul ièrement les branches qui t iennent à la métal lurgie et aux extrac

t ions m inières. D an s l ’industrie ho ui l lère , ajoute M eyn ne, i l y a égalem ent , 

depuis une vingtaine d’années , une amél iorat ion remarquable . Les mines  

on t été m ieux *aérées, les trava ux les plus fatigan ts son t faits par des  

machines et les salaires ont été plus que doublés.. . » (485).

A van t lui, C on sidéra nt croyait po uv oir aff irmer, en 1 8 63 , cette 

am élioration d u travail da ns les m ines; « . . .le nom bre des h i e r c h e u r s , — o n  

app elle ainsi les-enfan ts chargés de traîner, so uv en t en s’aidan t des pieds et  

des m ains , les chariots de charb on da ns la t a i l l e  —: tend à dim inu er de plus  

en plus . D es chem ins de fer ont été étab l is dan s les galeries pou r y faci li ter  

la traction, et dans certaines houil lères du pays de Liège, on n’emploie  

même plus à cet te besogne que de pet i t s chevaux ardennais . Dans nos  

usines et nos manufactures , la subst i tut ion de plus en plus complète des  

m achines au travai l des bras a s ingu l ièrem ent al légé la tâche d es enfants en  même temps que cel le des adultes , et , sous ce rapport , le progrès es t lo in  

d ’av oir dit son dern ier m o t » (486).

C es auteurs av aien t peu t-être été influen cés dan s leur jugem ent par le 

do cteur Sc ho en feld qu i s’était fait le héra ut d e la « périod e de salubrité » 

des mines. Que l’ industrial isation ait amélioré les salaires par rapport au  

nivea u o ù i ls étaien t restés en Flandre, d ans l’industrie l inière no n évo luée , 

c’est certain. M ais Sch oen feld insiste surtou t sur l’am élioration des condit ions mêmes du travail dans les mines.

La «période de salubrité» des charbonnages

O rig inaire de H i ldburgh ausen où il es t né en 17 96 , le docteur M art in  

Sch oenfeld avait étudié la m édecine à l ’universi té de W ürzbo urg. A la

(485) Docteur Meynne, o.c.,  p. 463.(486) N. Considérant, Du travail des enfants dans les manufactures e t dans les ateliers de la petite  

industrie,  Bruxelles, 1863, p. 14.

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sortie de cel le-ci , i l prend du service dans l’armée des Pays-Bas et est  

en vo yé à C harleroi . En 1 83 0, il dev int che f du service sanitaire de la 

garnison de cette vi l le . Après la révolution belge, i l obtient, le 8 février  

1831, la grande naturalisation (487).

Une let tre du 20 novembre 1842 qu’ i l avait envoyée à Gui l lery,  

professeur à l’Université de Bruxelles sur « l ’état hygiénique et moral des  

ouvriers-enfants employés aux mines de charbon dans le dis tr ia de  

C ha rleroy », et insérée d an s le tom e III de l ’en qu ête de 1 8 4 3 (488), faisait 

déjà état d ’am éliorations dan s les m esures de sûreté et de salub rité dan s les 

m ines do nt, disait- il , « tou t fait espérer qu ’on o btiend ra d ans peu d ’ann ées  

des ré su ltats sa tisfa isa n ts » (489).

C ’est surtout dans le M ém oire q u’il adresse à l ’A cad ém ie de m édeci

ne (490) en réponse à la quest ion mise en concours pour 1856-1857 (491) 

que Schoenfeld présente sa thèse de la transformation des condit ions de  

salubrité dans les charbonnages. I l importe de rappeler qu’à l’époque les  

charbo nnag es so nt en plein essor capitalis te et que S cho enfeld es t m édecin  

attaché à un ch arb on nag e (492). N o u s au rons l’oc ca sion d e voir au f il de ses  

pu bl icat ion s que l ’auteur ne paraît pas avoir pris bea uco up de dis tance vis à vis de sa fonaion dans l ’ industrie .

A près av oir dit tou t le bien q u ’il pe nse d es rév élations d e l’enq uête de  

1 8 4 3 , S choen feld af firm e que tou t cela a bien chan gé. « I l faut se garder, 

écrit- i l , de juger l’atmosphère du fond d’après les écrits dont nous venons  

de parler; on croirai t faci lement que les houi l leurs n’ont pas assez d’oxy

gène à absorber et que leur san g a du m al de se dép ou i ller conven ablem ent  

de son carbone.

« Les charbonnages ne forment pas une popu lation robuste et belle; c’est une 

génération qui se ressent beaucoup des pernicieuses influences qui ont agi sur leurs  

parents et aïeux. En outre, elle éprouve l’effet des nombreuses causes fâcheuses  

auxquelles sont assujetties toutes les autres familles ouvrières des localités indus

trielles; mais c’est une race d’ouvriers dont les conditions physiques se sont singu

lièrement améliorées depuis environ quinze ans et s’améliorent encore de jour en  

 jour, attendu que l’atmosphère de travail est en général meilleure que celle de 

beaucoup d’ateliers situés à la surface. Il est incontestable qu’en général les travaux  

des mines sont encore mal jugés et qu’il y a même des médecins qui en ont une idée très vague. On en connaît quelques généralités; mais on en ignore les particularités

(487) Notice de L. Dekeyser dans la  Biographie de Belgique,  tome 21, col. 747.

(488)  Enquête de 1843,  tome III, pp. 26 à 35.(489) Id., p. 31.(490) Dont il est devenu correspondant le 29 octobre 1842.(491) Docteur Martin Schoenfeld, Recherches sur l’état sanitaire des houilleurs pendant la période 

de salubrité des mines en Belgique. Mémoire adressé à l’Académie royale de médecine de Belgique sur la

question suivante qu’elle avait mise au concours pour 1856-1857 : « Exposer les causes, les symptômes, lecaractère et le traitement des maladies propres aux ouvriers employés aux travaux des exploitations

houillères du royaume ». Les mémoires des concours et des savants étrangers publiés par l’Académie royale

de médecine de Belgique, tome III, Bruxelles, 1855, pp. 261 à 424. — Tiré à part 1859, 4° 163 p.(492) 11 le signale lui-même p. 406 de son Mémoire.

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nombreuses et importantes. Cependant, tous les homm es compétents savent que les 

agents gazeux, emportés rapidement, ne peuvent plus exercer d’action funeste sur 

les houilleurs.

« Le contraste de l’état sanitaire entre les houilleurs d’autrefois et ceux de 

notre temps n’a échappé à aucun des praticiens. Ils ont constaté un heureux  

changement et tous sont d’accord pour admettre que les maladies dites propres  à 

ces ouvriers ne se montrent presque plus et qu’il faut maintenant biffer bien des  

pages de pathologie écrites au milieu de cri constances d’une autre époque » (493).

Sch oenfeld es t assez vagu e sur la front ière séparant les deu x périodes  

de salub rité dan s les m ines : « I l no us est im po ssible de f ixer ave c que lque  

précis ion la date de cet te amél iorat ion dans les condit ions hygiéniques de  

l ’ouvrier des mines de charbon; d’ai l leurs, el le ne s’est pas établie d’une  

m anière égale da ns tou s n os b assins » (494). C ette ex plica tion est plausible. 

On voit bien qu’une te l le transformation ne puisse se faire en quelques  

semaines ou quelques mois . Ce qui paraît plus sujet à être cons idéré avec  

scept ic ism e — surtout s i on p ense à l ’év olu t ion ul térieure de là san té des 

m ineurs — c’est l ’op t im ism e d on t fait preuve Scho enfeld sur la s i tuat ion à  

la m oit ié du X IX e s iècle. S on ap pré ciation est , en effet, rad icale; « . .. les  

travaux actuels ne laissent rien à désirer sous le rapport de la salubrité » (495). A la lecture du tableau qu ’il do nn e, on com pr end m êm e q ue  

certains aient pu croire qu e la W allonie étai t devenue u n paradis pou r les 

ouvriers tand is qu e leur enfer se s itua it en Flandre :

« En général, toutes les conditions de l’ouvrier mineur se sont améliorées.  

Après dix-huit ou vingt ans, il y a parmi eux une plus grande aisance. L’élévation  

du salaire leur permet de pourvoir plus facilement à leurs besoins. Le charbonnier 

est sans contredit mieux vêtu qu’il ne l’était sous l’anden régime; la blouse et le  

pantalon léger, ont fait place au paletot et au bon pantalon de drap. Le luxe a pénétré aussi dans les familles de houilleurs; on rencontre parfois des ouvrières en 

robe de soie le dimanche. Il y a des charbonniers qui sont dans une grande aisance 

et dont les fils étudient pour être ecclésiastique et même pour être médecin. 

Beaucoup de houilleurs ne s’appellent plus Pierre ou Jean, mais Alfred ou Arthur et 

sont membres d’une société de chant ou de musique »... (496).

Schoenfe ld concède donc que la s i tuat ion fut mauvaise; mais l e  

souvenir d ’une épo qu e m alheureuse détermine à tort l ’op inion qu ’il en es t 

encore ainsi , fa it no tam m ent croire qu ’il exis te des maladies prop res aux  

houi ll eurs , provo qu ées par l ’exe rd ce de la profess ion — ce q u’on appellera 

un jour « m aladies profess ionn el les » , — alors que « l ’ob servat ion pe rson

nel le , journal ière , seule compétente pour résoudre cet te quest ion, nous  

apprend qu’en réal i té , chez nous , les travaux des mines de charbon ne  

nu isent en r ien à la santé et qu ’il n’exis te plus en B elgique c om m e autrefois

(493) O.C, pp. 271, 272.(494) O .C , p. 272.(495) O .C , p. 274.

(496) O .C , pp. 278, 279.

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des maladies qui appart iennent aux houi l leurs à l ’exclus ion des autres  

classes ouvrières . Ces maladies ont disparu depuis un grand nombre d’an

nées et l ’état sanitaire de la population qui vit dans notre pays de l’extrac

t ion du charbon est devenu te l lement sat is faisant que les adminis trat ions  de beaucoup d’exploi tat ions , vu le peu d’occupat ions que donnaient les  

abo nn em ents des houi l lères , on t obl igé les m édecins de soigner les famil les  

des ch arbo nn iers sans au cun e a ug m en tation d e leurs hon ora ires » (497).

La qual i té de m édec in de charbon nage la i sse év idem m ent p laner un  

doute sur la manière dont Schoenfeld voit et interprète les faits . Ceci  

apparaît lor squ ’il parle de l’im m igration f lam and e vers les houil lères w a l

lonnes dont i l s i tue le début vers 1840. A l’en croire, c’est parce qu’i ls  savent que les mines ne sont plus insalubres que ces ouvriers viennent y  

travailler :

« Depuis l’immigration flamande, beaucoup de fils de journaliers, d'artisans,  de petits cultivateurs,  voire même de fils de meuniers et de boulangers, vont  

travailler aux mines de charbon et deviennent ouvriers-mineurs, sachant parfaite

ment que la profession n’est plus insalubre et qu’elle procure toujours de l ’ouvrage, 

car il faudra du charbon en tout temps. Les ouvriers logent à proximité de  

l’exploitation et retournent une fois par semaine dans leurs familles fixées souvent 

à plusieurs lieues du charbonnage, dans une localité agricole. Tous ces houilleurs 

nouveaux ont empêché, depuis un grand nombre d’années, la mise en grève des 

houilleurs wallons ».

Que ces nouveaux venus aient freiné les grèves , c’es t vraisemblable ,  

mais n’est-ce pas plus la nécessité de gagner le pain quotidien qui les att ire  

plutôt que la croyance à la salubrité? La connaissance que nous avons  

actuel lement de l ’emploi des migrants dans les charbonnages ébranle sé

rieusem ent l’arg um entation de S ch oen feld. La ré action q u ’il aura — ^.paral

lè lem ent aux associat ions charb onnières — lorsque sera con nu le résultat  

de l ’enqu ête de l ’A cadém ie de m édecine en 1 86 8, achève de convaincre le 

lecteur de bonne foi du manque d’object ivi té de Schoenfeld.

La réaction des Associations charbonnières à Penquête de 

l 'Académie

Le Rap port K uborn « souleva de violentes colères parmi les indu s

triels intéressés et les a dm inistra tion s de ch arb on na ge s » (498). Les réa c

tions vinrent surtout du Comité houiller de Charleroi (499) et de l’Union  

de charbonnages , mines et us ines métal lurgiques de la province de Liè

(497) O.G, p. 289.(498) H. Kuborn,  Aperçu historique sur l’hygiène publique en Belgique depuis 1830,  p. 162.

(499)  Lettre du Comité houiller de Charleroi. Nouvelle lettre de l’Association charbonnière de 

Charleroi,  Charleroi, 1869, Imprimerie Auguste Piette.

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ge (50°). S cho enfeld, d e so n cô té se dis t ingu era pa rt icul ièrem ent dan s ces 

at taques contre K ub om . La thèse générale es t év idem m ent ce lle de la  

s i tua t ion a ssainie dans les charb onn ages . A ins i, pou r l ’U nion ch arbon nière 

de Liège, « on serai t tenté , en l isant le R app ort de la C om m ission, de croire  

que no us som m es encore à l ’épo qu e o ù le t ravail des mines é ta it cons idéré  

com m e dég radan t à la fois l ’âm e et le corps de ceu x qui l ’exerc ent » (500501). 

Pou r la com m iss ion de l ’U nion l iége oise , qui a rédigé le rapport , i l serait 

m oins n oc i f à un e fem m e de travail ler dans la m ine que dans u n ate li er de 

couture : « Les fem m es so n t em ployé es da ns les mines à des travau x très 

divers , les principaux sont le transport , le boutage, le chargement des  

wagons , le remblayage, la manœuvre des treui ls , etc . Certains de ces  

travaux , concè de l ’U nion charb onn ière, i l faut l ’avouer, con vienn ent pe u  

par leur rud esse à la nature de la fem m e; i l s ’en faut cepe nd an t qu ’ils soien t  

plus excess if s ou p lus d é lé tères que ceux auxq uels les fem m es son t souven t  

em ployé es à la surface. N o u s ne c i terons , d’une part , qu e le décha rgem ent  

des ba teau x d ans les por ts et, d ’autre part , le travail des ateliers de couture,  

surtout depuis que la machine à coudre y es t venue exercer des ravages  

au xqu els ceu x des trava ux de m ine ne son t pas à com parer » (502).

Quel le que soi t la valeur de ce rapprochement , l ’af f irmation de  

l ’Union l iégeoise es t formel le; les travaux rudes qu’assuraient les femmes  

ne son t plus e xéc utés dans les con dit ions antérieures. « Le tramage o u  

hierchage des wagons de mine est certainement le plus rude d’entre les  

travaux qui soient conf iés à des fem m es. C epend ant , il es t b on d e dire que  

nos galeries , généralement larges et é levées , ne nécess i tent pas de la part  

des hiercheurs les posit ions gênantes que se plait à décrire le rapport de la  

Commiss ion d’enquête comme funes tes au déve loppement phys ique . La  

s i tuat ion a bien changé sous ce rapport . Les chevaux et les moyens méca

niques , treui ls , p lans automoteurs , sont employés sur une vaste échel le  

dan s tou tes n os gran des ex p loita tion s » (503). D ’ail leurs, à en croire 

l ’U nio n c ha rbo nn ière, travail ler dans les m ines est gag e de santé; « . .. les  

étrangers qui ne sont pas habitués à voir travail ler les femmes dans les  

mines sont étonnés de l ’air de santé et de bonne humeur de la plupart de  

no s fem m es de houi llères . Les enfants occupés dans nos m ines son t robu stes et a lertes. N o u s ne c i tons ce fait que po ur répondre au x al léga t ions de  

d é g é n é r e s c e n c e d e l a r a c e , en réservant ent ièrement l ’examen de la ques

tion du travail des enfants . Si le type de nos houil leurs n’est pas un modèle  

au po int de vue p lastique, c ’es t peut-être une q uest ion de race, m ais no n à

(500)  Du travail des femmes dans les mines,  rapport présenté par une Commission spéciale et

approuvé par le Comité permanent de l’Union des Charbonnages, mines et usines métallurgiques de laprovince de Liège dans sa séance du 10 mars 1869, Imprimerie J.G. Carmanne, à liège, 1869.

(501)  Du travail des femmes dans les mines...,  p. 12.(502) Id., pp. 13, 14.

(503) Id., p. 17.

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coup sûr de dégénérescence » (504). Et s’il y a des « bronchites », il ne peut  

être quest ion d’en accuser le travail minier; la faute en incombe au mineur  

lui-m êm e; « si les bro nch ites son t fréquentes parmi les ouvriers m ineurs, ce 

n’est pas en attendant au pied du puits qu’i ls en gagnent le germe, c’est  

bien p lutôt en re tournant chez eux avec des habit s hum ides sans se prému

nir co n tre le f ro id » (505).

Il y a enfin « l ’aném ie du m ineur ». Elle fait l ’ob jet de d eu x avis —  

discordan ts — pub l iés en ann exe du rapport de l ’U nion l iégeoise . C ’est  

qu’ici cette dernière a eu recours à l ’avis de médecins, probablement parce  

qu ’il s ’agissai t d ’une op inion à don ner sur une m aladie de type pr ofess io n

nelle où le m édecin est p lus crédible que le d ir igeant d ’asso ciat ion patro nale . Le docteur M aw et , d ’abord , reconn aît qu ’il y a des cas d ’aném ie, mais 

que « la plup art son t plus app arents qu e réels, c’est-à-dire se résum ent tou t  

s implement en une déco lorat ion des t i s sus provenant du défaut d ’ inso la

t ion, m ais so n t com pa tibles a vec u n état de sa nté sat isfaisant » (506). Le  

docteur Otte , au contraire , constate que plusieurs causes concourrent à  

pr ov oq ue r l’aném ie chez les ho uil leurs : « O n ne pe ut nier que l ’air plus o u  

m oins v id é q ue ces fem m es respirent dans l ’intérieur des m ines y contribue  

pour une très grande part ; mais i l faut également tenir compte du défaut  

d’al imentat ion qui n’est pas en rapport avec la dépense de forces qu’el les  

doivent fa ire; le repos qu’el les prennent n’est pas non plus suf f i samment  

réparateur. Les m êm es causes d u reste, agissent sur no s ho ui lleurs do nt le 

te int pâle et p lombé n’annonce pas un sang bien r iche; l ’anémie des  

houil leurs n’est pas bien rare, el le est poussée quelquefois tel lement loin  

q u ’ils d oiv en t su sp en dr e leu r trava il » (507).

Q ua nt à la s i tuat ion de la m oral ité , pour l ’U nio n l iégeoise , e lle n’est 

pas aussi négative que l’Académie l ’a aff irmé. « Ce n’est pas dans la mine  

que peuvent se commettre les désordres que l ’on s ignale . Outre les obsta

cles provenant de la survei l lance et de l ’act ivité qui y régnent, l ’ouvrier  

mineur est superst it ieux. Il connaît les dangers qui entourent son travail et  

cro ira it s ’exposer en y com m et tant une act ion que sa croyance con da m

ne » (508). E voq ua nt les naissan ces i l légit im es, l ’U n ion tente de disculper les 

charbonnages en re je tant la faute sur l ’é ta t du logem en t : «C om m en t  veu t-on qu e le sens m oral se dévelop pe, a lors qu ’un seul grabat reçoi t toute  

une fam ille , sans d ist inc t ion d ’âges n i de sexes? C ’est là qu e gît la véritable 

promiscuité, cel le qui détruit tout sens moral chez l ’enfant , avant qu’i l ne  

soit h om m e et ne p uisse ra isonn er ses actes » (509).

(504) Id., p. 14.

(505) Id., p. 18.(506) Id., p. 30.(507) Id., p. 32.(508) Id., p. 10.

(509) Id., p. 11.

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En conc lus ion , l ’Union demande au gouvernement une contre-  

enquête , enquête d ’op in ion auprès de la bourgeo i s i e év idemment :

« N ou s d emandons en conséquence qu’une contre-enquête soit ordonnée par 

le Gouvernement, afin qu’il ne reste pas de trace dans l’opinion publique, des faits 

erronés avancés par le Commission de l’Académie. Nous demandons que cette  

enquête soit faite par des personnes compétentes et impartiales; nous demandons  

qu ’elle soit aussi com plète que possible, qu ’elle embrasse la popu lation ouvrière des 

ateliers et des champs aussi bien que celle des mines; nous demandons que tous 

ceux qui ont des rapports avec cette population, industriels, ingénieurs, médecins, 

prêtres, y soient interrogés; nous demandons enfin que l’état de salubrité en soit  

officiellement constaté par des personnes désintéressées. La contre-enquête que 

nous proposons viendra compléter l’enquête du travail récemment confiée à nos 

ingénieurs de mines et fera justice des opinions préconçues que le public est trop  souvent enclin à partager sans preuves suffisantes... (51°).

Un médecin de charbonnage brouillé avec Descartes

Dès 1862, le docteur Boëns-Boissau s’étai t inscri t en faux contre  

l ’opt imisme de Schoenfeld (510511). Il rec on na ît que « les ou vriers e m plo yé s  

aux travaux des charbonnages de la Belgique se trouvent certainement  

au jourd ’hui dan s des con dit ion s sanitaires m eilleures qu ’el les ne l ’étaient  

il y a q ue lqu es a nn ées » (512). M ais ...

« Cependant il faut se garder de prendre pour un état parfait, pour une 

époque d 'innocuité  complète, l’état et l’époque de l’exploitation actuelle des mines 

de charbon. Un médecin qui a habité autrefois Charleroi et qui s’est retiré depuis 

dans une charmante villa, M. Martin Schoenfeld, dans un mémoire qui contient 

beaucoup de remarques judicieuses a eu, selon nous, le tort d’insister, à chaque  

page, sur la  parfaite salubrité  du plus grand nombre des charbonnages de notre 

pays, et sur la complète disparition  des cas d'anémie, d'emphysème pulmonaire, de 

 phtisie,  par le fait du travail des houilleurs. Il suffit d’avoir visité l’intérieur des  

mines à charbon, d’avoir vu les ouvriers à l’œuvre, pour comprendre que, malgré  

les précautions les plus minutieuses et les améliorations les plus considérables, 

l’état de houilleur comptera toujours au nombre de ceux qui nuisent le plus à la 

santé, par les attitudes forcées, les mouvem ents irréguliers, la privation trop longue 

de la lumière du soleil et le dégagement inévitable de gaz, de vapeurs et de  

poussières délétères, auxquels l’homme est soumis pendant tout le cours de son 

travail. Si, d’ailleurs, comme M. Schoenfeld le reconnaît lui-même, il existe très peu  

de professions qui soient exemptes d’inconvénients, il y a tout lieu de présumer que 

celle du houilleur, qui s’exerce dans des espaces souterrains, accidentés, et qui exige  

un déploiement de forces et d ’attitudes particulières, ne peut être rangée au nombre 

des privilégiées. L’expérience et l’observation, ainsi que nous le verrons par la suite, 

ne confirment que trop cette présomption. »

(510) Id., p. 22.(511) Docteur H. Boëns-Boissau : Traité pratique des maladies, des accidents et des d ifformités des 

houilleurs, Tircher, Bruxelles, 1862, 186 p.(512) p. 3.

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C e n ’est peut-être pas sol l ic i ter la pen sée du d octeur Bo ëns de sup po

ser q u’à son avis Sch oen feld, ret iré « da ns une ch arm an te vil la », a ten

dan ce à peindre la s ituat ion du ho ui lleur de cet te épo q ue so us un jour trop  

favorable parce qu’i l n’a plus le contact direct . En tout cas, i l redit encore  un peu p lus lo in sa d ivergence de vue avec Schoen fe ld :

« Une différence capitale existe donc entre notre manière de voir et celle de 

M. Schoenfeld. Selon lui, « les travaux charbonniers n’occasionnent plus dans 

notre pays des altérations de constitution de l’ouvrier par des agents morbifiques  

spéciaux comme autrefois; mais les influences, jadis si funestes, de ces travaux ont  

imprimé  à toute la race des anciens houilleurs et à leurs descendants  un cachet 

particulier qu’il importe d’étudier de nouveau, puisqu’il doit nécessairement modi

fier la thérapeutique des maladies. » Selon nous, au contraire, malgré l’incontesta

ble amélioration des conditions sanitaires dans lesquelles les houilleurs travaillent 

aujourd’hui, la profession charbonnière exerce, et exercera toujours, quoi qu’on  

fasse, certaines influences fâcheuses sur la santé et sur la constitution des ouvriers.  

C’est à déterminer ces influences, et à indiquer les moyen s d ’en com battre les effets 

morbides, que nous allons nous attacher dans les pages suivantes».

B oën s crit ique l ’existen ce d es « m archés à forfait » qu i font travailler 

les ouv riers à vein e « ou tre m esure » (513). Il év o q u e au ssi « un e ca tég orie  

d ’individus sans fam ille et san s prop riété , qui v i t dan s des logem ents  

insa lubres , où i ls dorm ent com m e des bohèm es , au nom bre de quatre , six  

ou hu it, d an s de m isérables rédu its, sur de s l its sales et in fects » (514).

C e qui le frappe égalem en t, c’est l ’im m ora lité q u ’il trou ve chez les 

m ineurs :

« Les mœurs des charbonniers sont loin d’être recommandables. Il suffit de  

 jeter un coup d ’œil sur le tableau des naissances dans les communes qu’ils habitent, 

pour être convaincu du débordement et de la dépravation de leur conduite. Les distrias houillers se font remarquer par la grande quantité d’enfants illégitimes  

qu’on y rencontre. Il est rare que les hiercheuses se marient sans être dans un état de  

grossesse plus ou moins avancé, ou sans avoir eu déjà un ou plusieurs bâtards. 

Lorsqu’on passe auprès d’un groupe de ces jeunes filles, on peut juger aisément du  

degré de leur moralité par les sales propos et les gestes lascifs qu’elles s’adressent 

mutuellement dans leurs plaisanteries. Il ne peut guère en être autrement lorsque  

des filles et des garçons, dès leur plus tendre jeunesse, se trouvent continuellement  

en présence dans les heures de travail, aussi bien que dans les moments de loisir » (515).

Ev idem m ent , il faut tenir com pte d e la part de subject iv i té qui peut  

intervenir dans cette appréciat ion, surtout de la part de quelqu’un qui 

trouve que s i les mineurs « s’at tachaient à mieux comprendre et surtout à  

prat iquer plus régul ièrem ent les devo irs de la re l ig ion, i l s seraient m oins  

tentés de cou rir au cabaret et i ls n ’auraient , d ’ai lleurs, pas au tant de loisirs

(513) Boëns, o.c., p. 10, p. 16.(514) Id, p. 22.(515)  Id., p. 23.

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pendant les jours fériés » (516) . Toujours est- i l que Boëns prend fort nette

m en t ses d istanc es v is à v is de la thèse de Schoen feld . Ten ace, cepe nda nt , ce 

dernier, à 75 ans , pu bl ie en 1870 une série de discours et « étu de s » sur le  

travail des f il les dan s les charb on na ges (517). Cet am algam e de doc um ents  

est assez déro utant . O n aperço i t b ien q ue Schoen fe ld es t un adversa ire 

déc idé de la p os i t ion ad optée par l ’A cadém ie de méd ec ine à la su i te du  

docteur K ub om . M ais , la construct ion des exp osés e t l ’ar t icu lation des 

argumentat ions coupent parfo i s l e souf f l e .

Schoenfe ld appara î t comme un croyant mât iné d’ant ic lér ica l i sme.  

D ès l ’ouverture d e la brochure , on tom be sur t ro i s poés ies d on t la t ro i

s ièm e int i tulée « Le repos de l ’enfan t du h oui l leur » est appu yée par un e  no te de Scho enfe ld a insi conçu e : « C e can t ique a é té co m p osé par un  

chrét ien se lon l ’Evangi le à l ’usage des ouvriers enfants des mineurs et a  

amené bon nombre d’entre eux à penser au Sauveur J . -C. Dans l e monde  

des houi l leurs on sai t qu’ i l n’est pas rare que ces enfants sont blessés ou  

tués par des accidents et l ’auteur de ce l ivre dans sa longue carrière a  

prat iqué un assez grand nombre d’amputat ions et d’autres opérat ions sur  

des enfan ts de charb onn iers » (518). Po urtant , Scho enfeld sem ble en vo uloir  

spécialem ent au x O rdres re lig ieux. D an s « l ’étude » qu ’il int itule po m pe u

sement S c i e n c e S o c i a l e , i l donne l ibre cours à sa cr i t ique en mettant  

n o t a m m en t en d o u t e l a m o ra l i t é d es en se i g n a n t s ca t h o l i q u es : « . . . o u t re  

l ’absen ce de tou te garan t ie de cap aci té d e savo ir et de savoir enseigner, les  

m aîtres e t leurs antécédents , sont pou r a ins i d ire com plèteme nt m éconn us  

dan s la local i té où i ls son t appelés pou r instruire . Il y a d on c a bsence totale  

de g aran tie de m ora lité » (519). Le do cteu r caro lorégien est spé cialem en t  

acerbe vis à vis des petits frères; « on sait du reste, écrit-il , que les écoliérs  

des pet i t s frères sont souvent en danger de perdre leur innocence; ces  

maîtres sal i ssent assez souvent de leurs at te intes la pureté des en

fan ts» (52°). P our lu i , l ’é lévat ion du niveau m oral des charb onniers ne  

résu l tera pas d ’une amél iorat ion du logement comme le la i sse supposer  

B oën s m ais elle est tributaire de la sup pr ession des ordres rel igieu x: « Si 

vou s vou lez le perfect ionn em ent des bon nes m œurs de nos charbonniers , si 

vous voulez la régénérat ion morale des travai l leurs , i l ne faut pas des  inst i tuteurs qui portent un uniforme, i l ne faut pas d’académie de médeci

ne; inst ituez une assemblée de ministres de l ’Evangile, des inst ituteurs  

p ieu x, des m agistrats , mais pas de corpo rat ions d i tes re lig ieuses , alors vous  

serez m ieu x re nseignés sur les m oy en s d ’élever le niveau m o ra l» (521).

(516) Id., p. 25.(517) Martin Schoenfeld,  Nouvelles recherches sur l’état sanitaire, moral et social des houilleurs 

 pendan t la période actuelle de salubrité des mines en Belgique,  178 pages, Charleroi, 1870.(518) Id., p. 75.(519) Id., p. 104.

(520) Id., p. 106.

(521) Id., p. 107.

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Q ua nt à son appréc iat ion de la format ion don née par l ’ense ignem ent  

cath oliqu e, el le est de la m êm e ve ine : « Par un ch ristianism e so ph ist iqu é  

qui ne s’élève pas au-dessus de l’honnêteté civi le, par un enseignement  

chargé d’inventions et de superstit ions humaines, les enfants se trouvent  

emprisonnés dans un système funeste qui asservit et fausse les consciences;  

la m ém oire des enfants es t rem plie de catéchism e et la co nscience es t v ide; 

i ls sont exercés à servir la messe, mais les cœurs ne sont pas exercés à la  

vertu » (522).

Cela dit , la thèse fondamentale de Schoenfeld, c’est que la période  

d ’insalubrité des m ines était f inie à la m i X IX e s iècle. « V ou s co nn aissez ou  

vous ignorez ou vous semblez ignorer, di t - i l en s ’adressant à l ’Académie  dans son d iscours du 2 7 m ars 1 86 9, ce que j’ai dém ontré à l ’évidence dan s  

mon mémoire de 1858, savoir le fai t des deux époques d’ insalubrité et de  

salubrité des ho uil lères de notre pays? » (523). C ’est de pu is 1 8 4 3 -1 8 4 4 que  

l ’aném ie des houil leurs a disparu grâce à l’action d es ingénieurs des m i

nes (524), et «p arler, en 1 8 6 9 , com m e le rapp orteur, d ’a i r c o r r o m p u   d es  

ateliers souter rains , c ’est faire pre uv e d ’une gra nd e ign or an ce » (525). Ce  

le itm ot iv revient dans son d iscours du 10 juil let 1 86 9 : «A ve c l ’établ isse

ment de la salubrité dans les mines de houi l le , l ’époque de caducité et de  

sénilité p réc oc e des m ineurs est a ussi passé e » (526). Il en sera de m êm e  

dan s son « étud e » sur la salubrité : « V ou loir sou tenir de no s jours que n os  

ex ploi tat ion s souterraines son t insalubres , n’est pas seulem ent une préten

t ion ridicule, c ’es t un anach ronism e cou pab le , oui cou pa ble envers la vérité 

que l ’on dénature, cou pa ble envers notre exc el lent corps des mines don t on  

m éc on n ait les ser vices rendus » (527).

On est pourtant frappé par trois choses en l i sant Schoenfeld.

T ou t d ’abo rd, c’est sa m anière curieuse de raisonner . Il p roc èd e  

essent ie l l ement par af f i rmat ion , évoquant avec compla i sance son expé

rience, sa com péten ce : « M od est ie à part, m a com pétence p ou r parler des  

ch ar b on na ge s et d es cha rb on niers ne sau rait être récu sée » (528). Pa sse 

encore pour la modest ie , mais les syl logismes de Schoenberg n’en font pas  

un disciple de Descartes . Ains i , à propos de l ’appréciat ion que le docteur  

de C harleroi po rte sur la sen sat ion pro duite dans l ’op inion publ ique par le 

R app ort K ub orn : « L ’éton ne m en t était d’autant plus grand q ue le travail 

académique aff irmait sérieusement un état d’insalubrité des galeries sou

terraines qui produit une série d’affections graves que l’on croyait avec

(522) Id., p. 105.

(523) Id., p. 19.

(524) Id., p. 15, note 2.(525) Id., p. 15.

(526) Id., p. 31.(527) Id., p. 111.(528) Id., p. 111.

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raison disparues depuis fort longtemps. A force de répéter cet te absurde  

assert ion d’insalubrité de nos charbonnages, i l s’était formé un parti aca

dém ique qui ferm em ent la croi t fond ée. N o u s disons absurd e, car s i e l le ne 

l ’éta i t pas , l ’état san itaire des ouvriers co nstaté partou t com m e excel lent  

entre tous, serai t partout déplorable et tout le monde sai t que cela n’est  

pas » (529).

La deuxième chose qui frappe, c’est qu’i l affect ionne d’appeler à 

l ’appui de ses aff irmations ceux dont on s’attend à priori qu’i ls ne noirçi-  

ron t pa s le tableau de la situa tion dan s les hou illères : « A près on ze ans, les 

C om ités charb onn iers , les ingénieurs en ch ef des mines, les Caisses de 

Prévoyance, les prat ic iens at tachés à ces caisses , at testent abondamment  

que l ’ép oq ue d ’insalubri té des m ines est pa ssée depu is longtem ps et qu ’il 

n’y a plus depuis un grand nombre d’années les maladies provenant des  

travaux souterrains et qu’aucun travail des divers ouvriers houil leurs ne  

peu t plus les énerv er » (53°). Par contre, « les m em bres de la C om m ission  

so nt évid em m en t de s arriérés » (531) et « le télesc op e du rapp orteur a 

découvert une fou le de ch oses inou ïes e t jusqu’ici incon nu es des A ssoc ia

t ions charbo nnières , des m em bres des Ca isses de Prévoyance, de la généralité des pra ticiens e t des a dm inistration s co m m un ales » (532). La valeur de  

son M ém oire de 18 58 , il l ’a ttr ibue b ien sûr à sa com pétence personnell e 

m ais, de plus, il a po ur lui à présen t « des autorités d ’un grand p oid s, les 

ingénieurs en che f des m ines, l ’A ssocia t ion charbon nière du plus im portan t  

bassin houi l ler du pa ys, les rapports ann uels des caisses de prévo yan ce des 

houi l leurs et les médecins at tachés à ces inst i tut ions, tous hommes dist in

gués et méritant toute confiance » (533). Et les « arguments » se succèdent,  

tou s de la m êm e veine : « vo ulo ir faire croire à l ’insalubrité des cha rbo nn a

ges de la Belgique fa i t hausser les épaules à tous les membres des comités  

houillers et des caisses de prévoyance des cinq bassins.. . » (534).

Le plus curieux est la manière dont Schoenfeld s’y prend pour  

«d ém on trer» que l es patrons charbonniers n ’exercent po int de pression  

sur lès m éde cins attaché s à leurs exp loitat io n s. « Il est certain, écrit- il , que  

les sociétés des houil lères les laissent parfaitement l ibres, car ces sociétés  

n ’on t ab solum en t rien à cach er » (53S). Et po ur appu yer cette aff irm ation, il 

fa it tou t s im plem ent appel à un e let tre de septem bre 1 86 9 d e l ’A ssociat ion  

cha rbon nière d e C har leroi el le-m êm e : « la vérité est que la plus gra nde  

l iberté a été laissée aux médecins pour leur permettre d’exprimer leurs

(529) Id., p. 127.(530) Id., p. 17.

(531) Id., p. 44.(532) Id., p. 21.

(533) Id., p. 32.(534) Id., p. 114.

(535) Id., p. 140.

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op inions com m e i ls l ’entenda ient , et q u ’il s n ’on t pa s été de la part des 

exp loi tants l ’objet d ’aucune dém arche capab le d’avoir pu entraver la l ibre 

m an ifesta tion d e leurs idées, de leurs app réc iations » (536). Sc ho en feld est  

tel lement convaincu de son aff irmation qu’i l va jusqu’à reprocher à la  

Commission de ne pas avoir interrogé d’ouvriers , car dans son espri t , i l 

semble bien qu’i l est certain que si les ouvriers descendent dans la mine,  

c’çst que rien ne les rebute, sino n, i ls n ’iraient pas. N o tre m édec in ne paraît  

pas le m oins du m ond e envisager qu ’i ls pu issent y descend re par nécessité : 

« D u reste, to ut le m on de sait q u ’i l est de l ’intérêt de l ’ex p loitan t de  

m aintenir avec soin la salubrité des travau x et s ’il n’y a pas de salubrité, il 

n ’y a p as m oy en d ’avo ir des ouv riers » (537).

En f in , il apparaît com m e évident , à travers tou te « l ’argum entat ion » 

de Sch oen feld, qu ’il est un tena nt du ma intien de l ’ordre l ibéral éc o n o m i

que et qu e, d ès lors, ce qu ’il crain t avant tou t, c ’est la « m ena ce » soc ia

l iste : « U ne m asse assez con sidérab le d ’incrédules et de m au va is drô les 

parm i les houi lleurs n ’at tend ent qu ’une occa sion fav orab le po ur secouer le 

 jo u g de l ’o rd re et de la co n sc ien ce . C ette c lasse est travaillée d ep u is  

longtemps par des inf luences et par des publ icat ions qui ont des côtés  social i stes malsains et un immense nombre d’ouvriers ont rompu avec  

toute rel igion. Il est à craindre que vos conclusions peu prévoyantes ne  

viennent ren ouveler les scènes san glantes de M arch ienne et de Ch âteli - 

neau » (538).

Les pi l iers de cet ordre que menacent d’ébranler les «conclusions  

peu p révo yan tes » de l’A cad ém ie, selon S cho enfeld, c ’est , d’une part , la  

l iberté; dans l ’étude qu ’il int itule « Sc ienc e so c ia le» , il évo qu e le tém oi

gnage des économistes dont on connaît l ’orientat ion quasi unanime à 

l ’ép oq ue : « N otr e e xc el lente société b elge d’éc on om ie po lit ique a aussi 

reconnu que la légis lat ion est impuissante pour porter remède aux maux  

des classes ouvrières et qu ’ici com m e en bien d’autres co m plica tions la vo ie  

roy ale du pr og rès est la liberté » (539).

L ’autre pilier, c’est la religion , du m oin s . la re ligion telle que la 

conçoit Schoenfeld; « I l manque de sol ides principes moraux à la base de  

notre c ivi lisat ion; c ’est su rtou t l ’élém en t religieux q ui est absent . O n pren d  

pour rel igion ce qui n’est qu’un ensemble de cérémonies et de pratiques  

toute extérieures qui la issent les con sciences end orm ies. Les m asses ne son t  

pas placées so us u ne inf luen ce sérieusem ent chrétienne. Ce ne son t pa s les  

inf luences hygiéniques plus ou moins mauvaises , ce n’est pas le défaut  

d’instruction élémentaire qui déterminent les écarts de la nature humaine,

(536) Id., p. 140, note 2.(537) Id., p. 116.(538) Id., p. 29.(539) Id., p. 74.

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c’est l ’a b s e n c e t o t a l e d ’u n e p r é d i c a t i o n é v a n g é l i q u e   forte et énergi

que » (540).

Object ivement , i l faut reconnaître que Schoenfeld n’est pas seul à 

s’opposer au rapport de Kuborn. I l faudrait dépoui l ler une abondante  

l it térature po ur fa ire un e ana lyse com plète de cet te d ispute vraiment  

s ignificat ive des déb uts du capitali sme industrie l tr iom pha nt . N o u s no us  

bornerons s implement à évoquer l e t émoignage d’un autre médec in , l i é

geois celui-ci .

Le docteur F ossion , dans sa « R épo nse au rapport de M . K u

bo rn » (541) sign ale q u ’il a d ’ab ord été fav or ab le à la sup pr ession du travail 

des femm es, « m ais , après un exam en p lus ap profond i de cet te grave et 

épineuse quest ion, je suis revenu à d’autres sentiments et je me range  

aujou rd’hui aux principes de l ’éco le des éco no m istes m ode rnes, je crois 

q u ’il faut laisser le travail com plètem en t libre, tou t en répriman t, si p o ss i

ble, les a bu s q ui p eu ve n t naître d ’un e liberté sans lim ites » (542).

F ossion révoq ue en do ute l ’insalubri té et l ’imm oral ité do nt les m ines 

son t accusées par l ’A cadém ie; « . .. le m ét ier de m ineur est m oins insalubre 

et peut-être m oins im m oral qu e celui de ta il leur d ’habit , de cord onn ier , de couturière , de m od iste , de f leuriste , etc . et tou t ce que la co m m ission vou s  

dit dans son rapport du travai l des femmes dans les mines s’appl iquerai t  

avec beaucoup plus de raison à tous les métiers de la grande et de la pet ite  

indu strie » (543). C on tre l ’accu sation d ’im m ora lité, les réa ctions v ienne nt  

de plusieurs m édecins . Il sem ble qu ’el le a i t été perçue com m e spécialem ent  

offensan te . C ’est a insi que le docteu r B oën s, de Ch arleroi, dan s son dis

cours, est imera que ce n’est pas sur les considérat ions sociales et morales  

qu’i l faut mettre l ’accent; la situation de la moralité n’est pas, dit- i l ,  

particulière au x m ines : « . . .le rapport dit que les jolies hierch euses d evien

nent les v ictimes de leurs chefs .. . C ela est qu elques fo is vrai , m alheureu se

m ent . M ais à qui son t dest inées les jo l ies servantes , y com pris les bonn es  

d ’enfan ts, les ga rde-m alade s m ême? Le rapp ort cite un acte infâm e : un  

ho i ii lleur, sous pré texte de po rter secours à une f i lle b lessée au fond d ’une  

fosse , lu i co m m un ique la syphi ll is . J’ai vu un e nourrice contracter cette 

m aladie par le fa it m êm e d u père de son nourr i sson . Infâmie pour in fâm ie , 

 je cro is q u e le fa it q u e je sign ale v a u t ce lu i d u rap port » (544).

F ossion se basera essent ie l lem ent sur les stat istiques com pa rées de la

(540) Id., p. 27.

(541) Docteur Fossion, Réponse au rapport de M. Kuborn sur le travail des femmes dans les mines,

Bulletin de l’Académie royale de médecine, t. III, 3e série n° 2, tiré à paît publié par le librairie de Henri

Manceaux, Bruxelles, 1869. Nos références renvoient à ce tiré à part.(542) p. 4.(543) p. 5.

(544) Discours du 16 janvier 1869 à l’Académie, extrait du Bulletin de l’Académie royale demédecine, tome III, 3e série, p. 13.

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m ortalité et de la m ortalité infanti le d ans les « loc alités ch arb onn ières » et 

da ns les « loca lités salubr es ». Il résulte des chiffres, dit-il , « qu e les loc alités  

charbonnières ont fourni de 1 85 6 à 186 5 inc lus une m orta li té m oyen ne de 

1  sur 56,5 tandis que les local i tés qu’on peut cons idérer comme très  salubres o n t fourni une m ortalité de 1 sur 4 4 ,3 : par con séq ue nt, un e  

différen ce de 12 » (545). Il pa raît év iden t qu e ces com p ar aiso n s statistiqu es  

(comme cel les du rapport lui-même d’ail leurs) sont fort superficiel les , mis  

à part le fait qu ’el les ne so nt pa s n écessairem ent le m eilleur ind icateur de la 

situation des ho uil leur s, d ’autres facteurs im po rtan ts devraient être pris en  

considération (546). On imagine bien qu’i l ne peut être question ici d’en

treprendre un tel travail de vérification . Il suffira ici d ’enregistrer que  

Fossion considère que le travail féminin dans les mines n’est pas un travail  

te llem ent ardu, au p oint qu e les femm es, se lon lui , « ne po urraient que  

perdre en écha ngea nt leur m ét ier contre celui de cou turière ou d ’ouvrière 

de fabrique; ce n ’est pas une b esog ne bien dure que de charger à la pel le  

des berlaines ou de les faire glisser sur les rails à une certaine distance. Ce  

n ’es t que p ar excep t ion qu ’on vo i t encore par ci par là un charbonn age m al 

aménagé où les femmes doivent trainer les berlaines à l ’a ide de sangles  

p ass an t sur la poitrin e et les m am m elles.. . » (547). Pour le jeune ou vrier  

éga lem ent le travail des m ines n ’est pa s néfaste pu isq u ’il constitue « une  

gymnast ique cont inuel le de la poitr ine» (548) . Foss ion va même jusqu’à 

suggérer que le travail du houil leur est plus sain que celui du médecin. En  

effet , les co nd it ions dans lesq ue lles s’effectue ce travail « o n t plutô t pou r  

effet de le fortifier que de l’affaiblir; on ne pourrait pas en dire autant des  

tai l leurs, des cordonniers et des ouvriers de fabrique qui sont décimés par  

la tuberculose pulmonaire; peut-être même les médecins , qui sont  cons tamment occupés à chercher l es moyens d’amél iorer la condi t ion  

physique des populat ions , se trouvent- i l s moins bien partagés que les  

charbonniers » (549).

C ’est la péroraison du d iscours de F oss ion qui rend sa po s i tion auss i 

suspecte que cel le de Schoenfeld. Déjà pour défendre les charbonnages  

d’être des l ieux où sévit particulièrement l’ immoralité, i l a eu recours à un  

tém oign ag e p atron al : « L ’ouv rier ho uil leur e st religieux, m ais en m êm e  

temps superst i t ieux, son espri t dans la mine es t toujours préoccupé du  

danger qu’i l court , i l ne se permet dans les travaux aucune l icence; s i dans  

un atel ier i l y avait un ouvrier qui proférait des jurements ou des blasphè

(545) Fossion, o.c., p. 12.

(546) Fossion a présenté le problème : « Je dois avouer cependant, écrit-il, que le mode que j’aisuivi n’est pas tout à fait régulier, en com parant diverses localités entre elles; il se pourrai t que je sois tombé

par hasard sur des localités soit industrielles, soit non industrielles favorables aux résultats que je viens devous faire connaître» ( p. 21).

(547) Id., p. 17.(548) Id., p. 18.

(549) Id., p. 19.

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mes, les autres demanderaient son exclus ion et , dans le cas où cela leur  

serait refusé, i ls qu itteraien t les travau x. V oilà ce qui m ’a été dit par M . 

Ca m p, bo urgm estre de Seraing et directeur des charbo nn ages de la Société 

Cockerill » (550).

M ais i l est p lus clair enc ore dan s ses con clusion s. « I l est en général , 

dit- i l , de bon ton d’avoir l ’air de s’apitoyer sur le travail , de plaindre les  

travai lleurs et de les présenter com m e des vict im es de la so i f insat iab le des 

cap italistes à recueil lir de l ’or d e leurs ac tions industrielles . Je t iens, m es

sieurs, à vo us rassurer sur ce po int . Il est rare de voir prospérer les sociétés  

qu i se son t livrées à de s entreprises ex ige an t de gran ds ca pita ux » (551). Les  

actionnaires? q u ’on t-i ls ret iré de leurs actions? « Ils on t be au cou p espéré; m ais en f in de com pte, i ls on t consacré leurs cap itaux à la prospéri té 

pub l ique . V oi là la vér ité pou r beau coup d ’industries . N e d i sons p as de mal  

des capital istes et ne prêtons pas surtout des armes à ces fauteurs de  

désordres qui cherchent aujourd’hui plus que jamais , à soulever la classe  

ouvr ière en lui per sua da nt qu ’el le est la vict im e des cap ital istes . En vo ula nt  

faire hausser les salaires , d’une manière disproport ionnée aux bénéf ices  

réalisés , ils ruineraient l ’industrie et m êm e les ouvriers qui y ch erche nt des  

m oy en s d ’ex isten ce » (552).

La conclusion est assez claire. Inutile d’insister!

3. L’enquête du département des travaux publics en 1869

En novembre 1868, le département des travaux publ ics f i t ef fectuer,  

pa r les ingén ieurs et sous ing énieurs des m ines, un e enqu ête sur la s itua tion  

des ouv riers des m ines, m inières , carrières et usines m étallurg iques de la 

Be lgique d on t les résultats furent pub liés en 1 86 9 (553). Etait-elle cette

(550) Id., pp. 2>, 28.(551) Id., p. 37.

(552) Id., pp. 37, 38. Le docteur Burggraeve, de Gand, qui déclarait au premier congrès deY Association internationale pour le progrès des sciences sociales en 1962 que l’ouvrier houilleur était bien

nourri et mangeait de la viande tous les jours, ne semble avoir mené qu ’une enquête ttès limitée, au niveau

d’une société, celle dont était administrateur « M. le comte Alb. Duchastel, un de ces nobles qui ne croientpas déroger en s’occupant d'industrie parce qu’ils comprennent sa haute mission : celle de moraliser les

masses par le travail et le bien-être » (Annales de l'Association... p. 504).(553) Résulta ts de Venquête ouverte pa r les officiers du corps des mines sur la situation des ouvriers 

 dans les mines et les usines métallurgiques de la Belgique en exécution de la circulaire adressée le 3 

 novem bre 18 68 pa r  M. le Ministre des travaux publics  aux ingénieurs en chef des mines, Bruxelles,

Bruyland Christophe, 1869, 489 pages. (Plus loin désignée : Enquête mines 1869).

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contre-enquête demandée par l ’Union des charbonnages , mines e t us ines  

m étallurgiqu es de la Prov ince de L iège, « af in q u ’i l ne reste pas d e trace  

dans l ’op in ion pu bl iqu e des fa i ts erronés avancés par la com m iss ion de  

l ’A ca d ém ie»? En principe, no n, m ais , en fa it , les ingénieurs des m ines 

semblent bien l ’avoir compris a insi .

Les ingénieurs des mines contre les « exagérations » de l’Aca

démie de médecine

C ’est ainsi que L agu esse (554), qui , to u t en a dm ettant que l’ex clu sion  de fem m es du travail m inier est sou ha itab le , s ’emp resse de crit iquer ou ver

tem ent l ’A cad ém ie. « T ou t en s’é levan t contre les exa gér at ions con tenu es  

dans le rapport présenté récem m ent à l ’A cadém ie de m édec ine , exa géra

t ions qui tendraient à fa ire sup poser que les fem m es em ploy ées à l ’intérieur  

des mines se trouvent dans des condit ions de moral i té et de salubri té  

beaucoup plus fâcheuses que dans les autres industries , je crois , en me  

plaçant surtout au point de vue du rôle que la femme doit rempl ir dans la  

famil le , qu’i l serait extrêmement désirable qu’el le ne fut plus admise dans  

ces travaux, où sa nature s’ imprègne d’une rudesse par trop mascul i

ne » (555). O n tro u ve la m êm e attitude ch ez L am bert (556), pou r q ui, « au  

l ieu de s’appuyer aussi longuement sur l ’ immoral i té , qui est une chose  

appréc iab le pour tout l e monde , ( . . . ) une commiss ion académique aura i t  

pu rendre plus de services en portant ses études scientif iques vers des faits  

qui se passent dans l es mines e t qu i demandent un examen approfondi  

p o u r en rec her che r les effe ts » (557).

Et tandis que l’ ingénieur principal Flamache (558) note simplement  

qu ’il « regarde com m e h au tem ent désirable que la femm e ne soi t pas 

occu pée d ans les houi l lères , du m oins à l ’intérieur des tra va u x» , Jo-  

chams (559) insiste dans le sens de Laguesse. Il rappelle d’abord l’opinion  

de son p rédécesseur G on ot af f irm ant qu’i l y a très peu de fem m es mariées 

qui travai l lent dans les mines; . . .« aucune idée de déshonneur ou de mau

vaise con du ite n ’est attach ée, dan s la classe ouvrière, au travail des m ine s » (560) « . . .i l se co m m et m oin s d ’actes rép réh ensib les dan s les travau x  

souterrains qu’à la surface, et surtout que dans les fabriques et dans les  

m anu factures où ex iste la prom iscuité des sex es » (561). Joc ha m s est

(554) Ingénieur principal des mines au 5e arrondissement de la 2e division (Liège précisément).(555) Enquête mines 1869, p. 141.

(556) Ingénieur principal des mines, 2e arrondissement de la l re division (Charleroi).

(557) Enquête mines 1869, p. 70.(558) 1er Arrondissement de la l re Direction (Mons).(559) Ingénieur en chef, directeur des mines, 1er district (Mons).

(560) Enquête mines, 1869, p. 3.

(561) Id., p. 4.

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form el : « . .. les m œ urs des ou vriers m ineurs s on t plus régulières que cel les 

des au tres classes de la s oc iété en géné ral , et , da ns tou s les cas ( .. .) leur vie 

n’est pas aussi désordonnée qu’on pourrait le croire d’après les assert ions,  

pour la plupart erronées, qui ont été émises à ce sujet. . . » (562). Il s’efforce  

alors de montrer que la mortal i té , le nombre d’enfants morts-nés et ce lui 

des naissances i l légi t imes ne sont pas plus importants dans les provinces  

minières que dans les provinces manufacturières (563) .

Des magasins patronaux... mais bains et lavoirs pratique

ment inexistants

A cette ép oq ue où le « truck System » est une p laie contre laq uelle de  

nombreuses voix f in iront par s’é lever , le système du magasin patronal est  

considéré par R uc loux (564) com m e un remède contre l ’ex ploi tat ion par les  

com m erçants . « U n certain n om bre de soc iétés , d i t - il , on t inst itué des  

magasins de denrées a l imentaires ou contribué à l ’établ issement de mai

sons de comm erce soum ises à leur con trô le e t venda nt aux ouvr iers à des  

co n d ition s d éterm inées » (565). .. « Il n ’arrive que trop so u ve n t que l ’ou vrier  

est exp lo i t é par des commerçants malhonnêtes qu i commencent par lu i 

accorder du crédit jusqu’à ce que sa dette excède ses ressources et le  

tienn en t alors en q ue lqu e s or te à leur m erci » (565). .. « l ’étab lissem en t de  

magasins de denrées a l imentaires où l ’ouvrier peut s’approvis ionner  

 ju sq u ’à con cu rren ce du m o n ta n t d u salair e qui lu i est d û , es t u ne ex cellen te  

m esure p ou r le m ettre à l ’abri d e cette indigne ex p loitat io n » (566). C es  

m agasins p atronaux v enden t parfo i s au pr ix coûtant « mais le p lus souven t  

avec un certain bénéf ice qui est employé à des œuvres ut i les ou distr ibué  

entre les ouvriers c l ients , proport ionnel lement aux achats qu’ i l s ont  

faits » (567). Des efforts ont été faits pour amener les ouvriers à se charger  

de la ge stio n , m ais sa ns résu ltat (568),

L’enthousiasme n’est pas unanime; peut-être même y a- t - i l une cer

taine m auva ise conscience v is à v is des m agasins pa tronau x. « Presque 

tou tes les répon ses so nt n éga tives, dit Lam bert , sur le p oin t de sav oir s’il y  a des contremaîtres , chefs ou act ionnaires intéressés dans les commerces  

qui fournissent d’ordinaire les objets de consommation aux ou

vriers » (569). Flam ach e, de so n cô té, r eco nn aît qu ’« il ex iste en core qu el

(562) Id., p. 6.

(563) Id., pp. 11 et ss.(564) 2e division (Namur, Luxembourg, Liège, Limbourg, Anvers).

(565) Enquête mines, 1869, p. 30.(566) Id.

(567) Id., p. 31.

(568) Id.

(569) Id., p. 77.

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ques charbonnages où l es employés infér ieurs t i ennent ouvertement des  

déb its de liqueu rs, d ’épiceries , etc. C ’est là un ab us m an ifeste con tre lequ el 

on s ’est déjà é levé à diverses épo qu es et qu i , s ’il d im inue, garde en core de  

trop fortes p ro p or tion s » (570).

Pour ce qui es t des bains et lavoirs m is à la d ispos i t ion des m ineurs, 

« l ’inst itut ion es t de créat ion trop récente po ur qu ’elle pu isse être déjà  

répandue; e l le n’exis te encore qu’aux charbonnages des s ix Bonniers , de  

W ariha ye et d’A ng leur » (571). L’ingénieur H am al en re con na ît l ’uti li té, 

« nul d ou te que les b ains et lavoirs ne puissen t être d ’une grande ut i li té au x  

m ineurs » , m ais , « on ne paraît guère disposé cepend ant à en établ ir da ns le  

4 e arro nd issem ent » (Nam ur) (572). A C har leroi , « le charb on na ge du Ce n

tre de G i lly es t le seul qui possède des baignoires à pro xim ité de la m achine  

d ’épuisem ent du T rieu A lbert » ; e l les son t établ ies dans de bo nn es con di

t ions mais peu uti l isées par les ouvriers (573). Dans les charbonnages du  

Borinage, i l n’existe aucun local de bains (574).

Les influences « fâcheuses » et les autres

A vrai dire, l ’enq uête de 1 86 9 n ’est pa s spécialem ent révélatrice de la  

con d it ion ouvrière à l ’épo qu e. A part les inform ations sur le nom bre de  

fem m es et de jeune s occ up és (575), on n ’appr end pa s gran d ch ose sur le 

genre d e travail q u ’ils effectuent. L am bert no us dit bien que « dan s le  

bass in de C harleroi, le travail des fem m es con s is te principalemen t à p ou s

ser des chariots sur des voies ferrées , dans des galeries qui ont 1 m 30 à 

1  m 80 de hauteur; à élever, à l ’aide de treuils , les charbons exploités en  

vallées , à m anœ uvr er des freins sur les plan s incl inés au tom oteu rs » (576), 

m ais , pou r le reste , les ingénieurs ne so n t guère loq uac es sur le sujet . N o n  

seulement, on retire l ’ impression qu’on est bien en présence de la contre-  

enq uête sou ha itée pa r les charb onniers , m ais il en ressort que les ingénieurs 

des mines sont lo in d’épouser la cause des mineurs . On les trouve plus  

pr éoc cu pé s de « l ’ordre » dans le cha rbo nn age , de la « bo nn e enten te »avec  

les m aîtres de charb on na ges que de con d it ion ou vrière. « La grève qui vient  d’éclater à Seraing, écri t Rucloux en conclus ion de son rapport , a de  

nouveau mis en lumière les idées fausses répandues dans la classe ouvrière

(570) Id., p. 58.(571) Id., p. 34.

(572) Id., p. 136.(573) Id., p. 78.

(574) Id., p. 58. Le docteur Burggraeve, de Gand que nous avons déjà cité, avait trouvé en 1862,dans la Société où il a mené son enquête, à Bemissart, « un bon feu et un bain » qui attendent les mineursau sortir de la fosse (Annales citées, p. 503).

(557) Voir les tableaux-résumés que nous reproduisons.

(576) Enquête mines 1869, p. 69.

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et les exc itation s d on t elle est l ’ob jet de la part d’esprits m alades et m éco n

tents, ab usan t des l ibertés d on t no us jouissons p ou r créer entre les ouvriers 

et les patron s un an tago nism e d éplor ab le » (577). Flam ach e, de M on s,  

répète com m e un éch o, en évoq ua nt les piquets de grève sur le chem in du  

travail : « les m aison s d ’ouvriers s ituées à pr ox im ité des fo sses on t le grand  

avantage de soustraire leurs habitants à ces influences fâcheuses» (578).  

Serait-ce un des motifs pour lesquels on a col lé les corons ouvriers le nez  

sur les ch arbo nna ges? La n ota tion la p lus « savou reu se » est cel le de  

Beaujean, ingén ieur principal à M on s, qui , parlant de l’état m oral , cite la 

répon se de M on ceau -Fo ntaine et M art inet : « j’ajouterai q u’indépend am -  

ment de tout ce qui a été fait pour moraliser l ’ouvrier, la Société de  M onc eau-F onta ine a accordé , en 1 86 7 , un subs ide de 15 .00 0 frs pour  

aider la com m un e de Forchies la M arche da ns les frais de recon struct ion de  

son église et l ’établissement de nouvelles écoles» (579).

(577) Id., p. 41.

(578) Id., p. 56.

(579) Id., p. 96.

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Chapitre 9

L’enquête de 1870 sur le travail des enfants

Le 5 octobre 1869, le ministre de l’Intérieur, Kervyn de Lettenhove  

envoyai t aux Chambres de commerce un ques t ionnaire , en rappelant que  

son prédécesseur av ait « prom is de fournir aux cham bres , dans leur pro

chaine session, divers renseignem ents sur la question du travail des enfants 

dans les mines et les manufactures».

Le minis tre demandait aux chambres de commerce de joindre à leur  

rapp ort « tous les ren seignem ents do nt la légis lature et le gou vern em ent  

pourront avoir besoin lorsque, dans un délai rapproché, i ls auront à  

examiner de nouveau les quest ions que soulève la réglementat ion du  

travail dans les m ines et dans les établissem ents ind u striels». C ’est assez 

dire que les Chambres de commerce, du moins s i el les étaient adversaires 

de la réglementation, n’al laient pas pousser au noir le tableau de la 

situation. De plus, on ne peut oublier que les réponses reprennent les  

données qu’ont bien voulu fournir les industriels .

Il ne faut pas perdre de vue qu’avec le capitalisme industriel qui, à ce  

m om ent , es t déjà sol idem ent im planté , les enquêtes prenn ent m oins figure 

d’une recherche sur les souffrances ouvrières (comme cel le de 1843 par 

exem ple) que d ’instrum ent po ur tenter de départager partisans et ad versai

res d ’une lég islation sur le travail infantile. Les info rm ation s q u ’elles 

four nissent risquen t do nc d ’être plus f i ltrées. D ’autre part, d ans ce cl im at, 

les avis émis par les ingénieurs des mines que nous venons de résumer et  

qui , en principe d evraient être des plus précieux sont prob ablem ent lo in de  

noircir le tableau. Formés à l’Université, i ls appartiennent évidemment, en  

fai t , à la c lasse dominante et en épousent forcément les vues . On peut 

même supposer que les médecins , bien que sortant auss i de l ’Univers i té , 

on t une pro pen sion plus grande à réagir plus hu m ainem ent parce q ue plus  

attentifs aux problèmes de la santé.

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Ces stat ist iques fournies par les chambres de commerce n’ont donc  

forcément que valeur de sondage fort imparfai t . Presque chaque chambre  

fait d’ai l leurs état des diff icultés rencontrées et du nombre souvent l imité 

de réponses reçues.

Certaines chambres se bornent à signaler simplement le fait . Le  

tableau, d it la cham bre d ’A nvers « con state les don né es stat ist iqu es que 

nous avons pu nous procurer à ce sujet» ( I , 156); de même cel le d’Aude- 

narde signale qu’el le envoie les renseignements qu’el le a pu recueil l ir (I , 

18 3) et cel le de C harleroi avo ue q ue « les chiffres n ’o n t rien d ’off iciel; i ls se 

rapprochent toutefois de la vérité autant que faire se peut» (I, 195) .

D ’autres cham bres n ’en vo ient 'pa s de statistiques com plètes , parce 

que « ne possédant pas des éléments posit i fs d’appréciat ion », c’est le cas  

de cel le de Louvain (I, 163); ou bien el les n’envoient aucune stat ist iques  

telle cel le d ’Y pre s-D ixm ud e qui regrette « de n ’avo ir pu recueill ir des  

don nées suf fi santes » (1 ,179) ou encore celle de B ruxel les d on t les répon ses 

son t cepen da nt basées sur 52 répo nses d ’industriels et qui signale que « les 

industries qui em ploien t le plus d ’enfan ts et d ’ad olescen ts son t les f ilatures  

de l in, de laine, le t issage de la toi le , des cotonnettes, etc. , et quelques 

usines m étal lurg iques» (I, 160 ) .

Pourquoi l ’enquête a-t-el le eu si peu de rendement?

Plusieurs expl icat ions sont données par les chambres de commerce.

N ivel les , par exem ple , at tr ibue « en part ie aux évén em ents pol it iqu es  

la d i f f icul té que nous avons éprouvée d’obtenir ces renseignements que 

nou s devons vous donner inco m plet s» (I, 165) . Certa ines chambres sem

blen t dire qu ’un tel travail dé pa sse leurs p ossib ilités d ’enq uê te. « D an s un 

arrondissement aussi vaste que le nôtre, et où le nombre de fabriques est si  

con sidérab le, i l ne no us est pas p oss ible d ’indiquer, par chiffres, le no m bre  

et l ’âge des enfants employés dans l ’ industrie. Le seul renseignement que  

nous possédions à cet égard, et qui n’a qu’un caractère privé, remonte à 

18 59 ; m ais la s ituat ion à peu ch an gé» (I, 179) . « C es en quêtes , d i t la  

chambre de Termonde, ne peuvent pas être d’une exact i tude absolue de  

chiffres, par la diff iculté que l’on épro uv e de se renseigner très exa ctem en t. 

I l faudrait pour avoir une enquête complète s’adresser à chaque chef   

d’atelier» (I, 185).

D e m êm e, M on s n ’envo ie aucun rense ignem ent parce qu ’e lle « ne  

dispose ni du personnel nécessaire pour recueil l ir directement les rensei

gnements demandés, n i des moyens d’ inf luence indispensables pour les 

obtenir des industriels. Sans doute, beaucoup d’entre ceux-ci seraient  

disposés à les fournir, mais plusieurs s’y refuseront, alors surtout que la  

dem and e leur en sera faite par un c ol lègu e dans lequel ils incl inen t m alhe u

reusement , trop souvent encore, à voir des concurrents p lutôt que des  

délégués» (I , 194) .

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D ’autres cham bres se heurtent égalem ent à cette at ti tud e des chefs 

d ’entreprises. « I l n ou s es t im po ss ible , d i t celle d ’A lost , de d onn er les 

chif fres demandés dans le tableau s tat is t ique y annexé; en ef fet , les don

nées no us m an qu ent et i l n ’y a aucun m oy en de les obtenir . Il faudrait po ur  cela s’adresser au x fab ricants qu i , po ur la plupart, cherchera ient à dégu iser 

la véri té . D ison s seu lem ent q u ’à part ir de la trois ièm e catégo rie (enfants de 

dix à d ouz e a ns) , le nom bre em ployé da ns les ateliers es t con s idérab le » (I, 

181) . Courtrai fa i t remarquer que « malgré nos demandes réi térées et des  

démarches personnel les , quelques industrie ls n’ont pas sat is fai t à notre  

invi tat ion» (I , 168) .

Pour d’autres enfin c’est le fait que les enfants sont surtout occupés  

dans une mult i tude de pet i ts atel iers qui empêche d’en établ ir un recense

m en t sérieux : « l ’enq uê te à laq uelle la cham bre s ’est livré rép on d B ru xel

les , est inc om plète , parce que le no m br e d ’industriels à qui el le s’est 

adressée, est forcément restreint , et que la plupart des enfants et adoles

cents ouvriers son t em ployé s par les art isans et les ouvriers en cham bre, 

lesquels son t dissém inés dans tou tes les com m un es de l ’arron dissem ent » 

(I, 1 60 ) . A vis sem blable de la part de la chambre de N ivel les qui déclare : 

« le t issage des étoffes occupe un grand nombre de bras, mais le travail se  

fait à d om icile. L es paren ts em plo ient leurs enfan ts po u r les aider à la 

prép aration du travail. Il nou s est im po ssible d ’établir cette statist ique » (I, 

165) .

C ’est don c a vec tou tes ces réserves que les tableau x do iven t être pris 

en con s idéra t ion, spécialem ent celui des cham bres de co m m erce (58°).

Des centaines d'enfants de moins de 8 ans, des milliers de 

moins de 14 ans

Le tableau récapitulatif donne une idée de l’âge des enfants au  

travail. Il est pa r co ntre p lus d ifficile d ’étab lir l ’â g e d ’a d m i s s i o n d e s e n f a n t s  

a u t r a v a i l .

Des rares indicat ions fournies par les chambres de commerce, on  

peut inférer que c’est surtout vers 1 1 o u 1 2 a n s ;   c’est du moins ce  

qu’aff irme cel le de Bruxel les , de même que cel le de Gand qui ajoute  

cependant que l ’engagement assez fréquemment a l ieu avant 1 2 a n s . Celle  

de T ourna i donn e éga l em ent 1 1 a n s , m ais , selon el le, ce serait plu s sou ven t  

à 12  a n s ; cette chambre ajoute qu’« il n’y a guère que l’industrie céramique 580

(580) Nous l'avons établi à partir des renseignements fournis par les chambres de commerce

classant les données par branche industrielle. Nous reprenons également les données fournies par lesingénieurs des mines pour les mines et pour les usines métallurgiques. En comparant ces différents

tableaux, on verra que les données fournies par les chambres de commerce sont peu crédibles.

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et les f ilatures d e laine, de c o ton et de l in qui em p loien t les enfants » (I, 

1 9 8 ) . La ch a m b re d ’Yp res e t D i x m u d e d o n n e a u ss i 1 1 à 1 2 a n s   pour la  

rubannerie et la t issanderie, 1 2 à 1 3 a n s   pour la construct ion des mécani

ques, la chaudronnerie, la serrurerie et la poêlerie; « dans les fonderies de 

fer, les apprentis ne sont admis qu’à l’âge de 1 4 à 1 5 a n s »   (I, 178);  

exception pour l’ industrie dentel l ière « qui occupe le plus de bras dans le  

ressort de cet te chambre, et qui s’exerce généralement à domici le , les  

enfants sont admis à l ’apprentissage dès l ’âge de 8 a n s   » (I, 17 8 ).

C e dernier âge est égalem en t signalé p ou r A lost : « Ce so n t les fabri

ques de f il à coudre, à A lost et à N ino v e, et les fabriques d ’al lum ettes  

ch im iques , à G ram m ont , qu i, dans notre arrondissement , em plo ient le p lus  

d ’enfan ts. D an s cette dernière industrie su rtout , les abus so n t criants, car 

on y em plo ie l es enfants d e h u i t à d i x a n s e t m ê m e a u - d e s s o u s   de cet âge » 

(I , 181) . « Quant aux autres industries de l ’arrondissement, soieries, fabri

ques de coton à tr icoter et à coudre, étof fes à pantalon et to i les , e tc . , le 

nom bre d ’enfants qu ’e lles em plo ient es t m oindre, e t com m e q ue lques-unes  

font travail ler à domici le , on ne peut savoir si , ni dans quelle mesure, el les  

ont recours au travail des enfants» (I, 181) .

La chambre de Hasse l t donne que lques in format ions sur l es enfants 

travaillant dans le tressage de la paille et dans l’ industrie dentellière.  

« En viron 9 2 5 en fants et ado lescen ts, écrit la cham bre, de l ’âge d e s e p t à 

d i x - h u i t a n s   s’occupent du tressage de la pail le dans les différents vi l lages 

de la val lée du Geer. Ces enfants travail lent , sous la survei l lance de leurs  

parents, en été, à la promenade, et en hiver, au coin du feu. Les enfants de  

l ’âge de sept à douze ans fréquentent assez régulièrement les écoles primai

res de leurs co m m un es resp ectives et ne se livrent au tressage de la paille 

qu’en dehors des heures de classe. Les fil les ne travaillent jamais à l’atelier,  

et les garçon s y so nt rarement adm is avant l ’âge de dix-sept à dix-huit ans. 

Q ua nt à l ’industrie dentell ière , e l le occ up e à S aint-Trond environ 3 0 0 f il les  

de l’âge de s i x à d i x - h u i t a n s . Ces fil les, dès qu’elles sont exercées à la 

fabrication de la dentel le , travail lent également chez el les, sous la survei l

lance d e leurs par ents. Il n ’y a que les ouv rières attac hé es à l ’atelier  

d ’ap pren tissage qui fassent ex cep tion à cette règle. » (I, 2 0 8 ) .

Les réponses des chambres de commerce montrent qu’en généra l l a  

d u r é e d u t r a v a i l   se si tue encore à 10 , 11  o u 12  heures par jour:

La cham bre d ’Y pres-D ixm ud e s ignale que dans les écoles den tell iè

res, on trav ail le 9 h eures, été com m e hiver, da ns les rub ann eries et les 

tissan de ries : 9 heu res en hiver, 11  heures en été; en construction de  

m éca niq ue s et da ns les fon der ies de fer, l ’hiver on travaille 10 h eures , m ais 

l’été 12  heures .

La ch am bre de Bru xelles cite le chiffre de 11 h eures, cel le de G and : 

12 heures. A A lost , dan s les fabriques de f il , on travail le 12  1/2 h eures l ’été

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Travailleurs de 18 ans et moins selon les chambres de commerce 

(Enquête de 1870)

moins de de 8 à de 10 à de 12 à de 14 àTotal

8 ans 10 ans 12 ans 14 ans 18 ans

Industrie métallurgique   _  ? 11 5 43 3 294 851

Mines   _ 

  r  599 1.636 82 2.323

Verre - céramique — 13 7 294 49 8 773 1.702

Textile 2 250 486 1.232 2.229 4.199

Industries diverses 268 567 656 1.299 2.576 5.366

Totaux par âges 270 96 9 2.150 5.098 5 .954 14.441

Travailleurs de 8 à 14 ans dans les mines de houille

(Enquête de 1870) (Ingénieurs des mines)

8 à 10 ans 10 à 12 ans 12 à 14 ans Total

Durée duFilles Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons F. + G. travail

Province de Ha inau t S. 22 18 30 3 33 8 599 6 1 7 ‘ 924 97 3 1.897 10 à 12 h.

(1er, 2e, 3e arrondissem ents) F. — — 566 1.120 1.478 2.706 2.044 3.826 5.870 8 à 12 h.

Province de Liège S. 4 7 24 23 215 188 243 21 8 46 1 10 à 12 h.

(5e, 6e, 7e arrondissem ents ) F.— — .

2 33 96 59 6 98 62 9 72 7 8 à 9 h.Province de Nam ur S.   _ 

— 3 5 36 22 39 27 66 11 h.

(4e arrondissemen t) F. — — — 4 3 126 3 130 133 8 à 12 h.

Total 26 25 89 8 1.523 2.427 4.255 3.351 5.803 9.154

F. — — 56 8 1.157 1.577 3.428 2.145 4.585 6.730

S. 26 25 330 366 850 827' 1.206 1.218 2.424

Travailleurs de 8 à 14 ans dans les usines métallurgiques

(Enquête de 1870) (Ingénieurs des mines)

8 à 10 ans 10 à 12 ans 12 à 14 ans Total

Files Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons F. + G.Durée du

travail

Province du Hainaut — — — 1 03 13 4 0 3 13 5 0 6 5 1 9 12 h .

Province de Liège 4 3 0 2 0 1 0 7 9 9 4 8 6 1 23 6 2 3 7 4 6 10 à 12 h.Province de Namur — — — 2 6 13 6 15 2 1 1 0 à 12 h .

Total 4 3 0 2 0 2 1 2 1 1 8 9 0 2 1 4 2 1 . 1 4 4 1 . 2 8 6

Idem dans les mines métalliques

8 à 10 ans 10 à 12 ans 12 à 14 ans Total

Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons F. + G.

Province de LiègeS.

F.

— — — 3 3 5 73

7

3 5 7 6

7

11 1

7

S. —— — — — 6   _ 6 6

Province F. — —   _.   __   __   _   _   _ 

de Namur (‘) s. — — — — — 14 — 1 4 1 4

t1) F. — — — 3 — 2 9 — 3 2 3 2

Total S. — — — 3 3 5 9 3 3 5 9 6 13 1

*F. — . — — 3 — 3 6 — 3 9 3 9

2 1  6 

L A  C O

 NDI  T 

I   O N  O U VRI  È  RE  A U XI  X e  S I  È   CL E  .T  .1   

L ’  E  N Q UÊ T E  DE 

1  8 7  0 

 S  U

R L E 

T RA VAI  L 

DE  S 

E  NF A NT  S 

2 1 7 

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— « ce qui es t exc ess i f mêm e p ou r les adultes et écrasant po ur les enfan ts » 

con state la cham bre (I, 1 81 ) , — l ’hiver, on travail le depu is q u ’il fait clair, 

le matin, jusqu’à huit heures du soir; dans les fabriques d’al lumettes , le 

travai l commence à 6  heures et finit à 20   heures, avec 2  heures d’interruption.

La cham bre de T ou rn ai, enfin, s ignale que les enfan ts « ne travail lent 

généralement que ( s i c )   10 heures par jour (I, 19 8) .

Les houil lères ne le cèdent en rien aux manufactures. L’ingénieur  

principal du premier arrond issem ent des m ines — Flam ache — écri t dans  

son rapport : « A la surface, la journée est hab ituellem ent de do uz e heures; 

à l’intérieur, sa durée est p lus variable. Les enfan ts des p os tes d ’aprè s-midi 

et de nuit et ceux du poste de jour qui sont indépendants du trai t ,  

travail lent de huit à dix heures par journée. Les enfants du poste de jour,  

dépendant du trait , ont à faire une journée plus longue, de douze heures et  

plus; mais le système de rebandes (ou renouvellement de journée) , fort  

usité dans un certain nom bre de charb onn ages , augm ente la durée norm ale 

du séjour dans la m ine. L orsq u’il y a reband e, le travail dure que lqu efois de  

seize à vingt heures. Du reste, le nombre de ses redoublements de travail  

par semaine est très variable, suivant les mines et les temps de plus ou 

moins grande act ivi té du travai l» (I , 219) .

En général , on ne s ignale guère de t r a v a i l d e n u i t   po ur les enfants . Les 

réponses des chambres de Courtrai , Roulers , Gand, Alost , Audenarde, 

To urna i sont n égat ives . D ’autres sont n égat ives avec une légère réserve: 

Y pres -D ixmu de (exceptionnel lem ent ) , Term onde ( sauf dans une fabrique), 

Sa int-Nicolas (parfois dans une fabrique), Liège (sauf une exce pt ion occ a

sionnelle) .

Dans les papeteries et laminoirs relevant de la chambre de Nivel les ,  

les enfants travail lent une semaine de jour et une semaine de nuit . Ce qui  

est le régime des sucreries semble-t- i l ; la chambre de Louvain s ignale que  

les enfan ts ne travail lent pas la nu it, sau f au x sucreries de Tirlem on t où  

« les ad olescen ts trava illent par qu inzaine h uit journées de n uit , leur travail 

de nuit étant le m êm e que le travail de jou r» (I, 163 ) . D e m êm e, la 

cham bre d ’A nvers qui rapp orte qu ’en gén éral les enfants ne travail lent pa s 

la nu it sau f dan s les sucreries de L illo, S ch oo ten et Lierre ainsi qu ’à la 

pa peterie de W illeb roe k; ici , le travail de nuit dure 10  heures , i l com m ence  

à n eu f heu res du so ir pou r finir à cinq h eures du m atin ». A B ruxe lles les 

enfants travaillent la nuit dans quelques industries et, là aussi, « i ls alter

nent de sem aine en sem aine » (I, 1 59 ) .

D an s les char bo nn age s et dans les usines à travail continu , les enfants 

travail lent presque partout de nuit . L’ingénieur Flamache écrit dans son 

rapport : « D an s tou s les charbon nages du co uch an t de M on s , les enfants  

son t assoc iés aux travau x de nuit. A la surface, le nom bre en est peu

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considérable; mais , à l ’ intérieur des travaux, les enfants sont employés  

dans une mesure très large, quoique imposs ible à préciser , en ce qu’el le  

varie avec l ’al lure des couches , l ’organisat ion du travai l en deux ou trois  

postes , le nombre des rebandes , etc . On peut dire , cependant que la forte 

moit ié et plus souvent les deux t iers des enfants du personnel souterrain 

trava illent la nu it» (I, 222 ).

Le t r a v a i l d u d i m a n c h e e t d e s j o u r s f é r i é s   s emble moins répandu  

encore que l e t ravai l de nui t . De nombreuses chambres répondent par la  

négat ive à la q ues t ion p osée : N ive l l es , Rou lers , G and , A los t, Au denarde , 

Courtrai , Termonde, St-Nicolas , Tournai , Liège. Ai l leurs , i l n’est qu’ex

cept ionnel : Bruxel les , Ypres -Dixmude a ins i que , s e lon l es réponses des 

ingénieurs des mines , à Anvers , où i l n ’es t «pas d’usage» .

Presque toutes les chambres assurent que les enfants ne sont pas  

occupés à des t r a v a u x d a n g e r e u x .   Les chambres su ivantes répondent né ga

t ivement : B ruxe l l e s , N ive l l e s , L ouva in , Ypres - Dixmude , Gand , Aude

narde , Term ond e, Sa int -N ico las , Tou rnai e t L iège . Anvers donn e au ssi une  

réponse n égat ive sau f po ur les ma nufactures de tab ac a ins i que p ou r l ’éco le  

pyrotechnique (qui occupe so ixante-deux enfants ) .

Deux chambres at t irent l ’at tent ion sur l ’état de Y h y g i è n e d e s t r a

v a u x .   C el le de R oulers es tim e que « les travaux de la f ilature ne sont po int  

dangereux, mais (que) l ’air vicié qu’on y respire et l ’atmosphère chaude et  

hum ide d ont on y es t cont inuel lem ent entouré doiven t certa inem ent in

fluencer, d’une manière très nuisible, sur ces jeunes créatures» (I , 174) . 

Celle d ’A lost : « la fabricat ion des al lum ettes chim iques const i tue un tra

vail ém inem m ent dé lé tère» (I, 181 ) .On ne peut pourtant s ’empêcher d’exprimer une certaine réserve  

devant les répon ses à l ’enq uête sur ces po ints , tou t spéc ialem ent lorsqu ’on  

voit la d éclaration de L am bert, ingénieu r du 2 e arro nd issemen t : « Je ne  

pense pas que les mines de houi l le et les us ines métal lurgiques soient  

considérées comme des atel iers d a n g e r e u x , au m oins sous le rapport de la 

santé» (I, 221 ).

Un niveau d'instruction presque nul

L’instruction, s i on en croit les rapports des chambres de commerce  

est a b so lum en t défe ctu eu se. L ou va in : « laisse à désirer » ; N ive lles : « ins

truction élém entaire insu ff isan te »; Bru xelles : « l ’ instruction est génér ale

ment plus répandue chez les enfants employés dans les établ issements 

industriels éloignés des grands centres » (I , 159) . La chambre de Bruxelles 

est « persu ad ée que rendre l’instruction ob liga toire serait em pêch er en 

part ie l ’abus du travai l prématuré des enfants; la chambre de commerce

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app el le la sérieuse at tent ion d u G ouv ernem ent sur cet te qu est ion e t émet le 

vœu qu’une d i spos i t ion dans ce sens so i t soumise aux Chambres dans l e  

plu s b ref délai » (I, 16 1 ) .

O ptim iste à p rop os des co nd itions m atériel les qui « ne la issent plus 

rien ou peu de ch ose à dés irer , la Cham bre de R oulers es t p lutôt pess imiste 

sou s le rapport instruc tion pa rce que « grand nom bre d e no s travail leurs 

sont encore privés du pain de Taine et croupissent dans une complète  

ignorance»; auss i se prononce-t -e l le pour l ’enseignement obl igatoire (I 

173) . L’ ignorance, pour la Chambre de Roulers , doi t être combattue au  

même titre que la misère; el le avait constaté que, dans les principaux  

établ issements industrie ls de son ressort , sur 100 ouvriers , 85 étaient 

com plètem ent il let trés , 5 savaient lire , 10 s igner leur no m (1 ,17 4); p our la  

vi ll e de Roulers, sur une po pu lation de 1 3 .7 74 habi tants, 9 .8 4 9 ne savaient 

rii l ire ni écrire, « so it 7 0 % d ’ign ora nc e!» (I, 175 ) .

Q ua nt à la C ham bre d ’A lost , e l le con state T« ét iolem ent phys ique et 

m oral » dans les fabriques d ’al lum ettes . La s ituation y est enco re pire que 

da ns les fabrique s de fil à cou dre. « Les enfa nts ad m is dan s les ateliers à un 

âge encore m oins a vancé n e fréquentent d ’école , n i avant leur adm ission ni 

pen da nt, ni jamais . Ignoran ce ab solue, ét iolem en t phy sique et m oral » (I, 

182) .

Enfin, la Chambre d’Anvers, après avoir constaté que l’ instruction  

élém entaire fait généra lem ent défau t, est im e que c ’est à l ’autorité « q u ’ap

pa rtient le soin et le d evoir imp érieux de tracer le chem in, d ’orga niser sur 

des bases obligatoires l ’ instruction publique, surtout dans les centres in

dustriels , af in de battre en brèche cette ignorance qui paralyse les forces 

vitales de la nation et placerait la Belgique dans un état d’infériorité vis à  

vis des peuples qui comprennent mieux les avantages d’une instruct ion  

so lide , do nn ée à to u tes les classes de la so ciété » (I, 16 7).

I l faut reconnaître pourtant que des Chambres soulignent la diff i

cu lté p ou r les jeunes o uv riers d ’aller à l ’éc o le a près le dur lab eur q u ’ils on t  

fourni toute la journée. C el le d ’A nvers , par exem ple: « les en fants ou 

adolescents se trouvent avoir l ’esprit peu dispos et propre à recevoir avec 

fruit l ’instruction des écoles du so ir» (I, 15 7) . C elle d ’A lost con state 

qu’après avoir passé onze heures et demie à l ’atel ier, les enfants ne sont 

plu s cap ables d ’al ler encore suivre une heure o u d eux à l’éco le du soir (I, 

18 2). « L’ouv rier qu i n ’a pas m archan dé sa peine (dou ze heures) aspire à 

bo n droit au repos » déclare celle de Rou lers (I, 17 5); aussi pr op ose-t-el le  

de rem placer les écoles du soir par des c o u r s ......du dimanche! Une Ch am

bre détonne par ses constatat ions; c’es t cel le de Saint-Nicolas se lon la

quelle les adolescents , travail lant jusqu’à 14 heures par jour, suivent les 

cours qui se donnent le soir! (I , 191) .

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Les causes d u travail des enfants s elon la classe « aisée »

Po int de vu e que n ous avo ns déjà rencontré — il paraît être très 

courant à l ’épo qu e — les Cham bres es timent gén éralemen t que c’est par 

suite de « l ’insouc iance des paren ts » que les en fants ne fréqu entent pa s les 

écoles du soir ou du dimanche; i ls les envoient au travail , dit la Chambre  

d ’A nvers, par « désir d ’exp loiter sou ven t pré m aturém ent à leur profit les 

forces physiques de leurs enfants» (I , 157) . Pour cel le de Bruxelles , le  

m anq ue d ’instruction serait dû à l’indifférence des p arents « qui laissent  

va gab on de r leurs enfan ts » o u bien qui veu lent, par n écessité, « tirer parti 

de leur trav ail ava nt qu ’ils aient atteint l’âge de on ze ans » (I, 15 9 , 1 6 0) . 

R oulers va m êm e jusq u’à avan cer qu e c ’est « sédu its par l’app ât d ’un 

salaire é levé» ( s i c )   que les paren ts con da m ne nt l’enfan t « au x rudes tra

vaux des fabriques où sa santé s’étiole, où ses facultés intellectuelles  

s’altèrent et f inissent par s’oblitérer com p lètem en t» (I, 1 73 ) . C ’est po ur  

cette cham bre u ne vraie ob sess ion , sem ble-t-il : « les paren ts les env oie nt  

dans les fabriques, sacrifiant ainsi à l’appât d’un salaire élevé leur dévelop

pement intel lectuel , v ict imes eux-mêmes de l ’ ignorance de leurs ascen

dants; i ls ne sentent pas le besoin de l’ instruction et prétendent que leurs 

enfants viven t com m e i ls on t vécu » (I, 17 5) .

Pas que st ion, par contre de sup poser que ce soient les em ployeurs qui  

pro f itent de l ’em ploi des enfants . Un ingénieur des m ines , rappo rtant que  

ce n’est qu ’excep t ion nel lem ent que les enfants travai l lent au charb onn age 

avant leur douz ièm e année, va m êm e jusqu’à assurer que « ceux qui n’on t 

pas at te int l ’âge de douze ans ne sont employés que pour des mot i fs  

charitables» (I, 220 ).

Les progrès de l'idée de réglementation

On peut constater, à travers l ’enquête de 1870, que l’ idée de la 

réglementation du travail des enfants s’est propagée sérieusement. Beau

coup de Chambres de commerce se prononcent en faveur de cet te régle

mentation. Celle d’Alost considère même « une tel le loi comme une stricte  

obligation morale et une nécessité absolue. Si l ’on veut, ajoute-t-el le,  

prévenir l ’abâtardissement de nos populations, i l faut des mesures sévères  

et ef f icaces et non de vains pal l iat i fs» . C’est pourquoi , e l le se prononce  

pour « l’ interdict ion absolue de tout travail pour les enfants au-dessous de  

douze ans , la l imitat ion du travai l de douze à quatorze ans , et celà pour  

toutes les industries et tous les ateliers, grands ou petits; serait seul 

exempté le travail de l’enfant avec son père, au domicile paternel , parce 

que, là, la surveil lance est vraiment impossible et que, dans ce cas, le but  

ne pourrait être atteint que par une loi rendant l’ instruction obligatoire »

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(I, 182 ) . La Cham bre de R oulers se prono nce à la fois pou r la l im itat ion de  

l ’âge d ’ad m ission et la l im itation de la durée du travail . Pour cel le de G an d,  

on devrait f ixer q uatre con dit ion s à l ’adm ission des enfants en fabrique : 

« 1° que l’enfan t ait plus d e do uz e ans acco m plis; 2° q u’il sache lire et 

écrire; 3° que la durée du travail soit l imitée à douze heures; 4° condit ions 

spéciales pour les éc oles den tell ières » (I, 1 80 ) . La Ch am bre de Br uxelles 

est im e q u ’une lo i sur le travail des enfan ts pour rait « po ser des principes, 

mais leur application serait bien diff ici le, s inon impossible à constater,  

sur tou t dans les villes, à ca use de la m ultiplicité des petits ateliers », aussi 

est ime-t-el le néanmoins que « quelques règles générales , tutélaires de l’en

fance et de l’adolescence, pourraient être prises , quant aux heures de 

travail, à l’âge, au lo ca l, au x trav au x d e nu it, etc. ».

L’intérêt de l’industrie à la réglementation est évoqué, à côté de 

l ’aspect humanitaire, par une Chambre seulement, cel le de Courtrai , parce  

que , dit-el le, en pr otég ea nt les enfants contre un travail « énerv ant et 

abus i f» , l e gouvernement ménagerai t «dans l ’avenir une populat ion ou

vrière intel l igen te et ro bu ste, su sceptible d e sup pléer par un surcroit d ’acti

vité, à la réduction d e qu elques heures dan s le travail des enfants » (1 ,16 8).

A lors que la Ch am bre d ’A lost es tim ait n’avoir pas à se prono ncer sur 

l ’instruction ob ligato ire to ut en est im an t que sans elle l ’eff icacité d ’une  

l im itat ion serait fort réduite , ce lle de N ivel les se pron onc e plus n ettem ent  

en faveu r d ’une légis lat ion rendan t la scolarité ob liga toire : « D es é co n o

mistes voudraient que le travail dans les mines et les manufactures fût  

défendu aux enfants âgés de moins de quatorze à quinze ans . L’ intent ion  

est louable, mais dans l’état de notre légis lat ion, quel serait le résultat de  

cette mesure? Aucune dispos i t ion n’obl ige les parents à envoyer leurs  

enfants à l’école. Ils les reprennent lorsqu’ils ont atteint l’âge de douze ans, 

pour les aider à subvenir aux besoins de la famille. En leur défendant 

l ’entrée de l’atel ier, ne s’expose-t-on pas à les laisser désœuvrés pendant  

deu x o u trois ans? Le remède pourrait être pire que le m al , et nous som m es  

d’avis que cette défense ne doit pas être inscrite dans nos lois , aussi  

lon gtem ps q ue l ’instruction primaire n ’est pa s ob liga toire en Be lgique » (I, 

16 6) . C ’est une po s i t ion s im ilaire qui est avancée par la C ham bre d ’A n

vers : « l ’ad m ission des en fants au -desso us de treize ans po ur rait être 

absolument interdite dans les atel iers , fabriques ou autres établissements  

industriels , et, passé cet âge, sub ord on née à la pro du ction d ’un certificat de  

capacité ou de fréquentation des écoles » (I , 157) . Plus radicale, la Cham

bre d ’A rlon trouve que « cette prétendue atteinte po rtée à la l iberté ind ivi

du elle et à la l iberté du travail est beau cou p p lus légit im e et plus rationne lle  

que les disposit ions contre les établissements dangereux et insalubres, 

contre l’emploi des machines sans autorisation préalable, contre la circula

tion sur les rou tes dan s certaines circonstan ces don nées; en un m ot, qu ’une  

foule de restrict ions et d’entraves qui n’ont pas pour objet de sauvegarder

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un intérêt aussi élevé pour l’avenir physique et moral des classes les plus  

nombreuses de la soc ié té» ( I , 210) .

A côté de cet te m ajor ité de chambres de com m erce qui se pron oncen t  

en faveur de la réglem entat ion, trois chamb res w al lon ne s en sont adversai

res . Ce lle de V erviers d ’ab ord , qui , après avoir aff irmé que le travail des  

enfan ts dans le région « n ’est pas gén éralem ent de nature à entraver leur 

développement corpore l» , s e prononce , avec fougue pourrai t -on d ire ,  

contre tou te réglem entat ion : « D an s toutes c irconstanc es , nou s som m es 

antag on is tes des lo is qui veu lent réglem enter l ’industrie; n ous dem and ons  

toujours la l iberté la plus complète pour le travail , mais ici surtout, en 

présence d’un état de choses auss i sat is faisant , nous appuyons énergique

m ent sur l ’inopp ortunité d ’une intervent ion gou vernem entale et no us no us  

•déclarons adversaires d ’une lo i o u d ’un règlement sur la m at ière . N o u s  

sommes convaincus qu’une réglementat ion légale gênerait cons idérable

ment les patrons et serait moins féconde en bons résultats que l’ init iat ive  

privée » (I, 2 0 6 ) . La Ch am bre de Liège, aussi radicale da ns son op p osit ion  

tente de disculper les em ployeu rs en én um éran t l'es facteurs qui d ’après 

el les doivent être considérés comme responsables de l’altération de la santé 

des enfa nts . « La loi n ’a pas, p ou r réglemen ter le trava il, la p uissance et 

l ’eff icacité qu’on suppose; les petits atel iers échappent à son empire; de  

sorte q u ’elle ne peu t agir qu ’à l ’égard de la gran de indu strie. Les lois  

restrictives de la liberté du travail , non seulem ent ne son t pas d ’une  

app l icat ion g énérale, m ais e lles ne peu ven t couper le ma l dans sa racine ni 

supprimer les nécessités auxquelles les familles ouvrières ont en vue de  

subve nir lor sq u ’el les s’infl igen t les excès de travail qu e l’on vou dra it em p ê

cher. Parm i toutes les causes qui p euv ent altérer la san té des femm es et des 

enfants dans les classes ouvrières , la plus puissante ne se trouve pas dans  

un travail trop prolongé. Le défaut de nourriture substantiel le, le manque 

de vêtem ents et de chaussures conven ab les , une ha bitat ion m alsaine et peu 

aérée sont bien plus nuisibles à l ’enfance que les fat igues de l’atel ier. Or  

toute restrict ion dans le travail entraîne une diminution de salaire, c’est- 

à-dire un e rédu ction da ns les seules ressources des fam illes d ’ouvriers . 

N o u s co nsta tons avec bonh eur que l ’on ne signale pa s , dans le ressort de la 

C ham bre de com m erce, des abus da ns le travail des enfants . Pour remédier 

à ceux qui viendraient à se produire ou à se révéler, la l iberté a des  

ressources m ultiples : c’est ainsi q u ’à Verviers de gén éreux industriels o n t  

fondé une associat ion qui a pour but d’écarter l ’enfant trop jeune des  

m anu factures ou d ’em pêche r qu ’on l ’astreigne à un travail trop pro long é.  

Ainsi, par l’initiative individuelle, on peut prévenir les abus; à la vérité,  

l ’ intervention du légis lateur agit d’une manière plus prompte et plus éten

due. Les réformes par la l iberté sont plus lentes , mais plus durables , parce 

qu’el les peuvent mieux remédier aux causes qui produisent les abus».

Disculper les employeurs, mais aussi culpabil iser les travail leurs

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eu x-m êm es, c ’est bien le but pour suivi par la Cham bre l iége oise : « L’inter

ven t ion du légis lateur en m atière de travail ne do it être adm ise que quand  

el le es t commandée par une impérieuse nécess i té; or , jamais e l le n’a été  

m oins ind ispensab le , jam ais les c lasses supérieures ne se son t préoccup ées  d’une manière plus générale du sort des classes inférieures; jamais on n’a  

fai t autant de sacrif ices vo lontaires en vue d e contribuer à leur progrès , so i t 

m atériel , soit m ora l . Si une am élioration p lus sensible ne se fait pa s sentir, 

cela vient surtout de ce que ceux- là même qui ont le plus besoin d’aide et  

de protec t ion on t toujours la plus grande part de responsab i li té da ns leurs 

dest inées . Le m anq ue d’ordre dans les m énag es et les habitudes de cabaret 

ont une influence pernicieuse sur le bien être des familles ouvrières et  

empêchent les mei l leures mesures prises en leur faveur de produire leurs  

fruits» (I, 199, 200) (581).

L’oscar revient f inalement à la Chambre de commerce de Tournai .  

Car après le chœ ur des C ham bres pou r cu lpabi li ser les parents des enfants 

ouvriers , voi là que cel le de Tournai rejette l ’ idée d’une légis lat ion l imita

tive parce que ce serait froisser les parents dans leurs sentiments de  

responsabilités vis à vis de leurs enfants! Une telle loi aurait, en effet,  

quelque chose « qui froisserait les sentiments les plus naturels de la classe  

ouvrière. C e serait un e loi qui d est ituerait en m asse de la tutel le naturelle et 

légit im e de leurs enfan ts les pères de fam ille d es classes labo rieuses; u ne loi 

qui déclarerait qu’i ls sont à la fois indignes et incapables d’exercer conve

nablement cette tutel le; une loi qui proclamerait qu’au sein des classes  

labo rieuses , les pères so nt sans cœ ur et les m ères sans entrail les . .. » (1 ,19 7).

(581) Il y a cependant un «industriel important», Charles Begasse, fabricant de couverture de

laine, qui émet un avis différent : « ...je suis très hostile au travail des jeunes enfants. J’ai reconnu qu’il estbeaucoup plus avantageux de prendre des enfants plus âgés et de les payer mieux, ils font beaucoup plus

d’ouvrage et le font mieux. Avant douze ans, je trouve que dans mon industrie les enfants ne peuventrendre aucun service réel » (I, 200).

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L’ouvrier méprisé

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Est-i l exag éré de con clure qu e la con dit ion o uvrière au X IX e s iècle est 

celle d ’un être m éprisé par la société? R éd uit au rang d ’ob jet par le systèm e  économique, c’es t une véri table déconsidérat ion, un authent ique mépris  

qui pèse sur lui.

« L'ouvrier est un véritable o u til qui s'use ou se rom pt »

L’entrée de l’ouvrier à l ’usine en fait une sorte de m ach ine parm i les 

autres. C ette s ituat ion, un écon om iste belge que nou s av ons eu l ’occa s ion  

de citer déjà, G . de M olina ri , l ’a théorisée dans son cours d ’éc on om ie  

pol i t ique: «Au point de vue économique , l es t ravai l l eurs do ivent ê tre  

considérés comme de véri tables machines . Ce sont des machines qui four

nissent une certaine quantité de forces productives et qui exigent, en  

retour, certains frais d ’entretien et de reno uvel leme nt p our po uv oir fon c

tionner d’une manière régulière et continue. Ces frais d’entretien et de  

renou vel lem ent , que le travai lleur exige, con st ituent les frais de pro du ct ion  du travai l , ou, pour nous servir d’une express ion fréquemment employée  

par les éc on om istes , le m inim um de subsistances d u travailleur » (582).

D ucp ét iaux avait évoqu é cet te at ti tude dès l ’introduct ion du 1er tom e  

de son o uvra ge sur la cond ition phy s iqu e et morale des jeunes ouvriers. O n  

a, dit -i l, cons idéré l ’ho m m e « com m e un instrum ent ou un out i l; lorsque  

l ’outi l est ébréch é, on le rejette, lorsque l’instrum ent est usé, on le remp la

(582) G. de Molinari, Professeur au Musée de l’industrie, Directeur de l'Economiste belge, Cours d’Ecortomie Politique,  tome 1er, 2e édition, 1863, pp. 203, 204.

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cul ièrem ent pénible . A pr op os du sort des « apprent is des paro isses » 

em ployés dans les fabriques, M an tou x rapporte que « la disc ipline étai t 

féroce, si l ’on peut appeler discipl ine le déploiement d’une brutal ité sans  

no m , et parfois d ’une cruauté raff inée qui s’asso uv issait à plaisir sur des  êtres sans défense. Le récit fameux des souffrances endurées par un ap

prent i de fabrique, Robert Bl incoe, fa i t frémir d’horreur*. A Lowdham,  

près de No tt in gh am , où il fut env oyé en 1 79 9 avec un lot d ’environ  

quatre-vingts enfants des d eux sexes , o n se con tentai t d’em ployer le fou et : 

on 1’em ploy ait , il est vrai , du m atin jusq u’au soir, n on seu lem en t po ur  

corriger les apprentis de la faute la plus légère, mais pour les stimuler au  

travail , pour les tenir éveillés lorsque la fatigue les accablait . A la fabrique  

de L itton, c ’était bien autre ch ose : le pa tron, un certain E llice N eed ha m ,  

frappait les enfants à coups de poing, à coups de pied, à coup de cravache;  

un e de ses gentillesses co ns istait à leur pincer l’oreille entre les on gle s, assez  

fort pour la traverser. Les contremaîtres étaient pires. L’un d’eux, Robert  

W oo dw ard , inven tait des tortures ingénieuses . Ce fut lu i qui im agina de  

suspendre Bl incoe par les poignets au-dessus d ’une m achine en m ou ve

ment, dont le va et vient l’obligeait à tenir ses jambes repliées; de le faire  

travail ler presqu e nu, en hiver, avec des po ids très lou rds sur les épau les; de  lui limer les dents. Le ma lheureu x ava it reçu tant de cou p s, que sa tête était 

couv erte d e plaies : po ur le soigner , on com m enç a par lui arracher les 

ch eve ux au m oy en d ’une ca lotte de p o ix. . . » (588).

A -t -on co nn u ces fabriques-camp s de con centrat ion dans notre pays? 

L’enquête de 1843 ne nous renseigne guère sur ce point . Les réponses  

ém anen t d ’ail leurs pou r la plupart de gens qui o n t intérêt à le passer sous  

s ilence. N o u s n ’avon s, du m oins p as trouvé de réci ts à « faire frémir d ’horreur ». Par con tre, ce qui frappe c ’est d ’abord u ne divergence de vu es  

à propos des mauvais trai tements éventuels inf l igés aux enfants . Selon  

l ’Académie royale de médecine, les enfants sont rarement maltraités (589) , 

mais, à côté de ce témoignage, i l y a certaines al lusions à des « punit ions » 

inf l igées aux enfants . Parlant du peu de doci l i té des enfants occupés dans  

une rubanerie, le chef de l ’établ issem ent déclare à la C ham bre d e co m

merce de Bruxelles « . . .qu’ils sont d’autant plus difficiles à corriger, qu’en  

deh ors d e la fabrique leurs paren ts on t le défaut d ’éco uter leurs plaintes et  

le p lus souvent de leur donner raison dans leur insubordinat ion, 

lor sq u ’une pu n ition leur est infligé e par l’un des ch efs d ’atelier... » (590). A

* « Robert Blincoe fut découvert, en 1822, par J. Brown, qui faisait dans les centres industriels une

enquête sur les effets moraux et sociaux du système de fabrique. Le récit de sa triste enfance fut publié en1828 dans The Lion, périodique radical dirigé par R. Carlile, et en 1832 dans The Poor Man’s Advocate.  Ilfaut reconnaître qu’il s’agit là de faits exceptionnels, rapportés par un journaliste en qui on ne peut avoir

une confiance absolue. »(588) Mantoux, o.c., pp. 435, 436.

(589) Enquête de 1843, tome 2, p. 332.

(590) Id., tome 2, p. 21.

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pr op os d es enfan ts trava illant à la m ine, le do cteur F ossion décrit le travail 

de ceux qui sont chargés d’ouvrir et de fermer les portes d’aérage et fait  

remarquer : « q uo iqu e, en g énéral , les enfan ts soien t bien traités dans n os  

houil lères, qu’i l soit expressément défendu de les frapper, i ls doivent subir  

d ’amers repro ches, d es invective^ m êm es, s’ils on t le m alheur de s ’ou blier 

un in st an t » (591).

La C om m ission m édicale du Brabant n’est pas d ’accord avec l ’A ca

dém ie de m édecine : « Si nou s n ous trou von s en désaccord av ec la C om

m ission de l ’A cad ém ie royale de m édec ine de Belgique, qui croit qu ’i l est  

rare que les ouvriers, su rtout les enfan ts, so ient m altraités par ceu x qui les 

emploient , c’est , croyons-nous, qu’el le a porté principalement ses recherches sur les ouv riers em ploy és dans les grands établissem ents industriels, et 

ceux d’une moyenne importance, en ne s’occupant que peu de ces pet i t s  

étab lissem en ts où six et huit ind ividu s se trou ven t réun is » (592).

Ce qui frappe égalem ent, c’est , une fois encor e, la tend an ce à culpa bi

l i ser les parents p lutôt que les employeurs. Tout en minimisant les fa i t s , 

M areska et H eym an les at tr ibuent plutô t aux parents travail lant en co m

pagnie de leurs enfants qu’aux employeurs eux-mêmes.« Les enfan ts, dan s les fabriqu es, so nt p lutô t sous la dép end an ce et la  

survei l lance des ouvriers, que sous cel les du maître. Ce sont eux qui les  

enga gent , les em ploient , les payen t; ce sont eux aussi qui les punissent  

lorsqu’i ls sont inattentifs ou négligents. Les correct ions se ressentent de  

l ’édu cation de ce ux qui les inf l igent : tand is que le chef se co nte nte d ’une  

ad m onit ion ou d ’une am ende, l ’ouvrier a recours aux chât im ents corp o

rels. J .-B. H ov e, âgé de dou ze ans, rattacheur, nous a déclaré, dans son  

interrogatoire, que deux fois i l a reçu des soufflets du fileur, parce qu’il  

n ’avait pas soign é les bob ines. W elt inck , Fran çois, âgé de treize ans, 

m onteur, a été battu par son com pa gn on , rat tacheur. W ett inck , A lexa n

dre, âgé de dix ans, a été également battu autrefois par son rattacheur;  

mais il ne l’est plus par celui sous lequel i l travaille actuellement.

« Les tireurs o u brosse urs d es imp rim eries, lor sq u’ils sou illen t les 

imprimés en les p l iant , ou quand i l s y font des taches, sont également  

gron dés o u frappé s. D ’après la dé po sit ion de plusieurs tireurs, ces coup s se 

do nn en t parfois avec le bâton de l ’étab li, m ais jam ais ils n ’o n t déterm iné  

d’accidents.

« S i . notre enq uête nou s a four ni la preuve que les en fants son t  

quelquefois maltrai tés , nous sommes cependant convaincus qu’ i l s le sont  

en général inf iniment moins que dans certaines fabriques de France et

(591) Id., tome 3, p. 76.(592) Id., tome 2, p. 360.

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d ’A ngleterre, si tou tefois les détai ls do nn és par quelqu es auteurs ne son t  

point exagérés (*) .

« Q ua nd un en fant reçoit des coup s, c ’est ordinairem ent de son père  

ou, de so n frère. O n sait q u ’un grand n om bre de rattacheurs travail lent  

avec leurs parents; nous en avons trouvé environ 12 % dans cette catégo

rie.

« N ou s partageons com plètem ent l’av is de M M . D ucp ét iaux e t Burg- 

graeve sur ce qu’i ls rapportent concernant les sentiments généreux qui 

an imen t no s ouvriers : « Si notre classe ouvrière, d it M . D uc pé tiau x, est  

ignorante à beaucoup d’égards, e l le possède néanmoins d’excel lentes qua

li tés et se d istingue par une grande hu m an ité». M . Burggraeve, dans son  rapport à l ’A cad ém ie, dit avec raison « que c ’est un fait con sola n t à 

rapporter , qu ’il est rare qu ’un enfant soi t m altrai té» . Q ua nt à nou s, no us  

avon s, dans nos recherches, acqu is la certi tude que no n seulem ent tou t acte 

d’oppression grave est sévèrement défendu par les maîtres , mais nous  

sommes persuadés que les ouvriers eux-mêmes ne le to léreraient pas.

« C e qui vient à l ’appu i de l ’op inion de ce s d eu x auteurs sur la  

disposi t ion des c lasses pauvres à la b ienfaisance, ce sont les exemples  no m br eu x que n ou s au rons à citer pa r la suite, d’ou vriers qui, renco ntrant  

des enfants malheureux et abandonnés, les amènent à la fabrique, et ont ,  

com m e d it M . E. Sue, l ’adm irable courage de les prendre à leur charge,  

q u oiq u ’ils aient déjà u ne fam ille no m br euse à nour rir » (593).

Un autre tém oignage , ce lui de la Co m m ission m édicale de Liège, m et  

en cause les em ployeurs au m oins autant , s inon p lus , que les parents. Après  

avoir expliqué comment les briquetiers s’associent pour al ler travail ler à  l ’étranger, la Co m m ission con t inu e : « Le chef, auqu el on d onn e le nom de  

l ivrehai’e, règn e en de sp ote. L es ouvriers o n t pris enve rs lui, ava nt la saison , 

un en gagem ent qu e l ’hon neu r o u l ’imp ossibil ité leur interdit de rompre. I l 

n ’est pas de m au vais traiteme nts q u ’i ls n ’aient à subir de sa part. La m ère  

qui, par nécessité, lui a confié sa fil le, n’est pas certaine de la voir rentrer  

pu re so us le toit pa ternel » (594). Le rapp orteur ajo ute qu e c ’éta it à tel p oin t  

que le gouvernement prussien, en 1845, décida « que les ouvriers tui l iers  

belges ne seraient doréna van t autorisés à am ener avec eux d es apprentis ou  

aides , âgés de moins de dix huit ans, que dans le cas ou ceux-ci seraient  

accompagnés de leurs parents» . L’ordonnance fut prise à la sui te de la  

condamnat ion d’un ouvrier tui l ier de la province de Liège aux travaux

*  M. Villermé rapporte, d’après l’industriel de la Champagne, journal imprimé à Reims, que, dansquelques établissements de la Normandie, le nerf de bœuf figure sur le métier au nombre des instruments

de travail, lorsque les ouvriers passent la nuit à travailler, et que les pauvres enfants, succombant ausommeil, cessent d’agir, on les éveille par tous les moyens possibles, le ne rf de bœuf compris. A Rouen, lesmêmes abus existent. Rien de semblable ne s’observe à Gand. »

(593) Id., tome 3, pp. 362, 363.(594) Id., tome 3, p. 552.

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forcés à perp étuité (sa fem m e à deux ans de prison) « po ur a voir exercé sur 

une jeune f i l le de Liège qui travail lait avec eux, des mauvais traitements , à  

la suite d esque ls el le ava it succo m bé ». Plus loin, d écrivant le sort réservé 

au x en fants q u ’on en vo ie prém aturém ent au travail : « Ils ne viven t plus, i ls végèten t : trop h eu reu x s i les m auv ais traiteme nts de leurs parents , ou de  

leurs maîtres quand i ls sont employés dans les petites industries , ne vien

ne nt pas joindre un e m isère de plus à leur m isère, un chagrin de p lus à leurs 

chagrins; une cause de plus à leur affaiblissement tant physique que  

m oral » (595).

« Il n ’a m êm e pas le m érite de la résignation »

« I ls ne viven t plus, i ls végè tent » d it la C om m ission m éd icale de  

Liège à pro po s d es enfants! M ais n ’est-ce pa s le cas des adultes égalem ent?  

Il y a, dit Bidaut, ingénieur à l’inspection des mines à Charleroi, peu de  

reproch es à adresser à la classe des ou vriers houil leurs de l ’arrond issem ent. 

« La discipline, l ’ob éissan ce p resque p assive et la résignation, son t s i bien  

dans ses habitudes, que depuis quelques années on l’a vue subir de bien  

grandes vic issi tud es , passer bru squem ent des c irconstances f inancières les 

plus heureuses à une pos i t ion comparat ivement déplorable , accepter une  

mesure (le rétablissement des livrets) que, à très grand tort, i l est vrai, elle  

con sidérait co m m e ho sti le à ses intérêts; on l ’a vue, dis-je, supp orter tou t  

cela sans q u ’au cu n acte répré hen sible ait été po sé p ar elle » (596). A près 

avo ir exp osé les causes du récent chô m ag e, Bidaut dit enco re : « . ..cep en

dan t les ho ui l leurs , d on t les ressources on t été auss i paralysées ou réduites , 

supp ortent pa t iem m ent leur détresse , en at tend ant des temps plus heureux , 

et aucun crim e ni aucun dél i t no table , n on p as just if ié , m ais pro voq ué et  

exp liqu é p ar la m isère, n ’a été révélé pa r la v oie pu blique » (597).

Le docteur Va n den B roeck va plus lo in encore, après avoir dépeint la  

tris .te s ituation, et répondant à l ’objection que les ouvriers mineurs sont  

cependant «heureux e t contents» , i l d i t : « . . .n ’ayant pas l ’ idée d’une  

condit ion meil leure, i l accepte, sans souci , cel le qui , de père en f i ls , lui est  

dév olue, et dans cet acte de p hi losop hie aveug le et pou r ains i dire instinct ive, i l n ’a p as m êm e le m érite de la r ésign ation » (598).

(595) Id., tome 3, p. 558.(596) Enquête de 1843, tome 2, p. 288. Déjà les rapporteurs de l’enquête de 1840 avaient écrit

«que la population qui s’adonne à la mise en œuvre du lin se distingue généralement par une grandedouceur dans les mœurs, une régularité louable dans ses habitudes, une loyauté qui se dément rarement,

qu’elle montre de la patience et de la résignation dans les privations, beaucoup de modestie dans les

désits... » (tome II, p. 410).(597) Enquête de 1843, Tome II, pp. 289,290. Signalons que la réponse de Bidaut à l’Enquête de

1843 a également été publiée dans les Annales des Travaux publics de Belgique, tome II.

(598) Docteur Van den Broeck, Aperçu sur l’éta t physique et moral de certaines classes ouvrières. 

Présenté à M. le ministre des Travaux publics, 1843, p. 6.

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Ce n’est, en effet, semble-t-il , pas la résignation qui caractérise l’ou

vrier da ns les trois prem iers quarts du X IX e siècle, c ’est l’ato nie. Il ne se 

résigne p as, i l subit. I l faudra un lon g travail de « m ilitants » po ur seco uer  

cette aton ie et con scientiser pro gressivem ent l’ouv rier du X IX e s iècle. Les 

volum es qui suivront cet te ( trop) long ue préface à l ’H istoire du m ou ve

ment ouvrier en Belgique le montreront .

N ou s vo ud rions s imp lemen t terminer sur une dernière c itat ion qui 

nous a toujours paru une sorte de microcosme de la s ituation au s iècle  

dernier. Situation de mépris dans laquelle se trouve placé l’ouvrier et  

suprém atie tou te d ’arrogance d on t jouit l ’em ploy eur qui va jusqu ’à exercer  

les prérogatives du Pouvoir judiciaire.

C ’est le C on seil central de salubrité publique de Brux elles qui rap

porte ce fait, à l’issue de la visite qu’il a effectuée dans une filature de  

laine :

« N o u s ne terminerons pas sans m ent ionn er une pun i tion q u’on  

inf l ige aux ouvriers qui se permettent de remplir leurs poches de laine,  

parce que la vue de l’ instrument du supplice a évei l lé en nous des senti

m ents trop pénibles . N o u s av on s vu da ns la cour de l ’établ issem ent , et , 

scellée dan s un m ur, une cha îne de fer, term inée pa r un so l ide carca n,  

auq uel on attache celui qui est pris sur le fait d ’un vo l de laine : le cou pa ble  

reste ex p osé au x regards de ses com pa gno ns de travail penda nt un laps de  

temps plus ou m oins long, et qui varie se lon q u’il tém oigne plus ou m oins  

de ho nte et de repent ir . C ette e xp os i t ion est suivie de l ’exp uls ion im m é

diate de la fabrique». (599).

(599) Enquête de 1843, tome 2, p. 547.

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Régime alimentaire des ouvriers en Belgique en 1855 selon les budgets économiques publiés par Ducpétiaux

Moyenne de la consommation annuelle par personne (l)

Pain Pommes de terre 

(ou équivalent 

en légumes, 

ou en autres 

substances)

Viande

et

lard

Beurre

et

graisse

CaféFroment

ou

épeautre

Méteil (2). Seigle

FLANDRE OCCIDENTALE

kg kg kg kg kg kg kg

Villes. Ouvriers indigents ( l re catégorie) — — 16 7 18 8 — 4,20 5

Villes. Ouvriers peu aisés (2e catégorie) 104 10 4 20 8 — 10,40 p

Villes. Ouvriers aisés (3e catégorie) 23 9 — — 23 4 22 12,50 7,50Cam pagnes. Ouvriers indigents ( l re catégorie) — — 22 1 20 0 6,10 9,50 4,20

Cam pagnes. Ouvriers peu aisés (2e catégorie) 182 — 21 3 23 6 20 ,40 12,60 10,40

FLANDRE ORIENTALE

Villes ( lre catégorie) 61 7 11 7 257 — 7,40 8,10

Villes (2e catégorie) 22 18 142 25 0 6,50 9,10 5,40

Villes. (3e catégorie) 92 — 99 25 0 14,40 14,30 10,40

Campagnes ( l re catégorie) 5 28 122 24 6 — 6,90 7,80

Cam pagnes. (2e catégorie) — 103 73 26 2 8,70 12,10 6,10

Cam pagnes. (3e catégorie) 22 50 14 6 25 2 13,05 10,40 10,40

Ouvriers employés aux travaux publics (l,re cat.) — — 17 7 36 4 — 5,20 ?

Ouvriers em ployés aux travaux publics (2e cat.) 16 7 — — 31 2 31,20 5,20 p

Ouvriers employés aux travaux publics (3e cat.) 146 — — 31 2 41 ,60 10,40 ?

ANVERS

Villes ( l re catégorie) 10,40 72,80 — 437 — 5,20 p

(3e catégorie) 31 ,20 72,80 — 49 9 10,40 10,40 10*40Camp agnes ( lre catégorie) — — 286 56 1 1,20 2 ,60 5,20

(3e catégorie) — — 26 2 78 0 20 ,80 10,40 6,24

LIMBOURG

Campagnes ( l rc catégorie) — — 20 1 40 0 — 3 6

(2e catégorie) — — 21 3 49 0 6,30 6,90 4,80

(3e catégorie) — 219 — 51 0 10,40 10,40 4

BRABANT

 Arrondissement de Bruxelles

Cam pagnes ( l re catégorie) — — 23 0 37 5 — 6,40 3,50

(2e catégorie) 30 — 222 37 6 8,80 8,06 3,90

(3e catégorie) 15 44 19 0 37 5 17,70 11,45 7,80

 Arrondissement de Louvain

Cam pagnes ( l re catégorie) — — 20 4 40 8 — 5,03 2,70

(2e catégorie) 4,50 — 19 2 381 6 ,50 8,50 4,30

(3e catégorie) 14,30 — 18 0 35 9 11 12,60 4 ,30

 Arron4issement de NivellesCampagnes ( lre catégorie) — — 27 8 327 — 5,05 4,50

(2e catégorie) 2 128 172 33 0 12 8,25 6,30

(3e catégorie) 123 14 4 46 333 24 ,40 12,80 7,95

Villes ( lre catégorie) — 20 8 — 17 7 — 2 ,60 1,60

(2e catégorie) — 21 8 — 21 8 — 2,10 1,60

(3e catégorie) 18 7 — — 146 5,20 5,20 2 ,60

HAINAUT

Ouvriers d’industrie, mines, usines, etc. (2e cat.) 183 20 23 23 3 12,50 14,60 6,80

(3e cat.) 23 2 52 — 276 13,70 15,70 8,30

Ville de M ons ( l re catégorie) — 17 7 — 73 5 ,20 5,20 5,20

(2e catégorie) 162 — — 13 0 10,40 5,20 5 ,20

(3e catégorie) 16 2 — — 13 0 20 ,80 10,40 5,20

LIEGE

Ville de Liège et environs

Ouvriers d’industrie, mines, u sines, etc. ( l re cat.) — — 18 4 26 0 4 ,50 10,40 4,50

(2e cat.) 20 2 28 — 2 10 10 13,50 5,20

(3e cat.) 23 7 — — 20 3 25 20 ,80 9,10

Cam pagnes ( l re catégorie) —   — 21 9 26 0 — 10,20 5,20

(2e catégorie) — 24 0 — 260 10,40 15,60 7,80

(3e catégorie) — 24 0 — 26 0 15,60 20 ,40 10,40

NAMUR

Villes ( lre catégorie) 131 54 — 11 4 2 2,25 3(2e catégorie) 15 6 — — 14 6 7,60 7,60 2(3e catégorie) 162 — — 23 8 14,30 8 ,30 4

Campagn es ( lre catégorie) — — 21 9 210 — 3 2(2e catégorie) 102 43 54 29 6 3,20 8,20 4(3e catégorie) 14 6 — — 219 26 10,40 7,80

LUXEMBOURGVilles et campagne s ( l re catégorie) 35 59 13 4 330 — 5,70 4,40

(2è catégorie) 35 92 12 0 32 1 4 ,30 8,60 5,40

(3e catégorie) 101 15 6 — 34 4 20 ,90 12,10 8,10

LE ROYAUME

MOYENNE GENERALE 66 47 98 31 2 9,60 9 5

(1) La consommation des enfants en bas âge est calculée à raison de deux enfants pour un adulte.

(2) Le pain de méteil est composé de moitié froment et de moitié seigle.

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Table des matières

L A PO PU L A T IO N O U V R IÈ R E E N B E L G IQ U E A U 1 9 e SIÈ C LE . 7

C hap itre 1er. Les ouvriers lin ie rs .................................................................... 15

Les types de travailleurs dans le l in .......................................................   15

Une industr ie s tagnante ......................... *.....................................................   1 7

Les b o u rgeo is con tr e les m écaniq ues ..................«.................................. 1 9

La sa l ive humaine, atout du capita l i sme commercia l ..........   ..  2 0

M ora lité , religion, ordre social , argum ents capital istes ...............   2 1

C hapitre 2 . Les ouvriers h ou il le u rs ............................................................... 2 3

Le travai l en «bande» des premiers houi l leurs ..............................   2 3

E x p lo ités par les p roprié ta ir es fo ncie rs ................................................ 2 5

L’o b st a c le de l ’ea u les so u m e t a u x m ar ch an ds ................................. 2 6

Les a sso cié s fo n t trav ailler , les ou vrie rs tr av aille n t ....................... 3 0

L’organisat ion capital iste des charbonnages est en place dès le

1 8 e siè cle ...........................................................................................................   3 2

Les ou vriers, do m estiques des « autres » .............................................   3 4

La nouvel le noblesse ................................... .............. :   ..................................   3 5

C hapitre 3 . Les ouvriers à d o m ic ile ............................................................... 4 0

Le cap italiste m archand réduit l ’art isan au rang de salarié . . . 4 0

On n’a même pas est imé nécessaire de les dénombrer...............

  4 3

Chapitre 4. Les journaliers et les domestiques ..............................   .........   4 8

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L ’O U V R I E R E ST U N O B J E T ............................................. ..............................  5 3

Chapi tre 5 . Une misère incommensurable ................................................   5 7

Le paupérism e au 1 8 e si ècle ......................................................................... 5 8Le paup érism e au 1 9 e siècle ......................................................................... 6 0

U n prem ier tém oign ag e : l ’enq uête de 1 8 4 0 sur l’industrie l inière 74

« En restant assis , ils gag nen t au tant q u ’en travail lant » . . . 75

« La classe la plus m alheu reu se est cel le qui ne m end ie pa s » . . 76

«J’en vois qui pleurent, qui désirent que cela f inisse d’une

m aniè re o u d e l’au tre» ......................................................................... 78

« Il y a des m aisons où on ne trouv e pas de li t, ce so nt des  

feu illes d ’arb res... » 7 9

Chapi tre 6 . Un témoignage es sent ie l : l ’ enquête de 1843 sur la

condi t ion ouvrière ..........................................   81

1 . T h e b e l g i a n w a y o f l i f e   ...........................................................................   ..  82

Le m enu de l’o uvrie r ........................................................................................ 8 2

La pro m otion im m obil ière : bidon vi lles et « c loaqu es im m on des » 96Un espoir de vie moins grand que sur le champ de batai l le de

W at er loo ...............................................   103

Il faut éloigner les poules de l’usine, sinon elle crèvent .............  1 0 9

« L ’ouv rier qu i ch erch e sa vie d ans le travail, y renc on tre de

nom breuses chances de maladies ou de m ort» ....................  1 1 7

Le truck System, forme de surexploitation de l’ouvrier .............  1 2 0

2 . U â g e d e V i n s o u c i a n c e a v a n t V i n v e n t i o n d e l a « p o l i t i q u e f a m i

l i a l e »   .......................................   121

Sur quatre ouv riers : un en fan t .................................................................. 121

Le déb ut de la carrière ouvrière : six ans, m ais, de préféren ce  

après la prem ière co m m union ce qui ^ i t e les « crédits

d ’heures » pou r al ler au c atéch ism e ..................................................   128

« Q uan d les travau x n e sont Q UE de do uz e heures , les enfants

ne se p la ig n en t pas de la fa tigu e ......................................................... 1 3 2L’enfant , pet i t moteur é lectrique de la machine du 19e s iècle ,  

ou jeune lam ineur « do nt la f ibre m usculaire es t pu isam m ent  

s timu lée par la crainte du da n ge r» , ou jeune houi l leur « qu ’il 

est crue llem ent uti le de faire descen dre de bo nn e heure » . . 13 8

C hap itre 7. La s ituation après un qu art de s iècle de progrès

industriel .................................• ................................... .................... 1 4 6

1 . L e s m u t a t i o n s d a n s l a p o p u l a t i o n o u v r i è r e   ................................... . . 1 4 7

« Ils éta ient m orts m ais n e s’étaien t pa s p laints » .........................   1 4 9

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M ig ra tio n p ro fe ssio n n elle à re bours ........................................................ 1 5 0

Les groupes l es p lus nombreux .........................   .......................................   1 5 2

Les ouvriers dans la gran de in dustrie ................................................... 155

2 . V e r s 1 8 6 5 , l a m i s è r e n ' a p a s r e c u l é    ........................................................ 1 5 6

Là où l’ industrie a amélioré la s ituation, c’est surtout pour les

classes aisées ..................................................................................................... 1 5 7

La situ a tion a lim enta ire s ’est détério ré e .............................................. 161

La vie du poisson trente fois plus protégée que cel le des tra

vail le urs ............................................................................................................... 1 6 6

L a «p rom ot ion im m obi lière» n ’a pas changé .................................  1 6 7

« A vec le petit carré de ch ou x s i m oralisateur. . . » ..................   ..  1 7 0

3 .  L a c o n d i t i o n d e s o u v r i è r e s d e n t e l l i è r e s   .......... .....................................   173

Ouvrières dentellières à quatre ans, mais il y a des intervalles de

repos pour apprendre des cant iques ..................................................   1 7 4

La santé est l ’ex cep tion, l ’état de m aladie la règle génér ale . . 17 8

Chapitre 8. La condit ion des ouvriers houil leurs à la vei l le de laguerr e de 1 8 7 0 .............................................................................. 1 8 0

1 . L e t r a v a i l d e s e n f a n t s d a n s l e s m i n e s   ..................................................... 1 8 0

Le congrès d’hygiène publ ique de 185 1 l ’ava it évo qu é en paral

lèle avec le travail des enfants dentelliers .....................................   1 8 0

L’Enquête de l ’Académie de médecine sur l ’emploi des femmes

d ans les tr avau x so uterr a ins des m ines ........................................... 183

Les causes .......... ; ................... ........................................................................ 1 84

L e genre de tr avail eff ectu é .................................................................... 1 8 6

Une forte mortalité infanti lë .................................................................   1 8 7

«Les plus bel les f i l les appartiennent d’abord aux maîtres

ouvriers» .........   18 8

Que faire? ...........................   1 9 0

2 .  L a s a l u b r i t é d e s c h a r b o n n a g e s s ' e s t - e l l e a m é l i o r é e ?   ....................   1 9 2

La «période de salubrité» des charbonnages ...................................   1 9 2

La réaction des Associations charbonnières à l ’enquête de l’Aca

démie ------ \ ........................................................................................................  195

U n m éd ec in de ch ar b on n ag e br ou illé av ec D esc ar tes .................. 19 8

3 .  L ' e n q u ê t e d u d é p a r t e m e n t d e s t r a v a u x p u b l i c s e n 1 8 6 9   ..........   2 0 6

Les ingén ieurs d es m ines co ntre les « exa géra tions » de l’A ca

d ém ie ................................................................................................................... 2 0 8Des magas ins patronaux, mais bains et lavoirs prat iquement

in ex is ta n ts ............................................... 2 0 9

Les influences « fâ cheu se s » et les au tres ........................................  2 1 0

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Chapitre 9. L’enquête de 1870 sur le travail des enfants ..........   ....  2 1 2

Des centaines d’enfants de moins de 8 ans , des mi l l iers de moinsde 14 ans ........................................................................................................... 2 1 4

U n n iv eau d ’instr u ction p resque nul ..................................................... 2 1 9

Les cause s du travail des enfants se lon la classe « aisé e» ------  2 2 1

Les progrès de l ’ idée de réglementation ................................................  2 2 1

L ’O U V R IE R M É PR IS É .......................................................................................   2 2 5

« L ’ouvrier est un véritable ou ti l qui s’use ou se ro m pt » ------   2 2 7

Les enfants ouvriers sont- i ls m a ltra i tés ? ...............  ................................ 2 2 8

« Il n ’a m êm e p as le m érite de la ré sign ation » ..............................   2 3 2

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D/l 976/0029/7 

 Imprimé en Belgique

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 Achevé d'imprimer le 15 décembre 1976  

sur les presses de GED1T S.A.

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