47
LA LITTERATURE ET SES AVATARS Discrédits, déformations et réhabilitations dans l'histoire de la littérature Actes des cinquièmes yournées rémoises 23- 27 novembre 1989 organisées par le Centre de Recherche sur la littérature du Moyen Age et de la Renaissance de l'Université de Reims sous la direction de YVONNE BELLENGER ÉDITIONS AUX AMATEURS DE LIVRES 1991 DIFFUSION : KLINCKSIECK 11, rue de Lille, 75007 PARIS

Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA LITTERATURE ET SES AVATARS

Discrédits, déformations etréhabilitations

dans l'histoire de la littérature

Actes des cinquièmes yournées rémoises 23-27 novembre 1989

organisées par le Centre de Recherchesur la littérature du Moyen Age et de la Renaissance

de l'Université de Reims

sous la direction de

YVONNE BELLENGER

ÉDITIONSAUX AMATEURS DE LIVRES

1991DIFFUSION : KLINCKSIECK11, rue de Lille, 75007 PARIS

Page 2: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

Jean-Pierre NERAUDAU(Université de Reims)

La présence d'Ovide aux xvie et xviie siècles ou la survie du prince de poésie

Prétendre traiter, en quelques pages, de la présence d'Ovide aux xvie

et xviie siècles relèverait d'une impudente gageure, si elles n'étaient précédées de quelques réserves de modestie. Il ne peut être question ici que de mettre en évidence un fait culturel du reste connu et d'en donner quelques éléments d'explication. L'omniprésence d'Ovide dans les arts, et en particulier dans la littérature, n'est pas à démontrer. Le sujet, en effet, a été souvent abordé, mais il l'a été de deux façons qui sombrent dans la même insuffisance. Soit il est éclaté en une multitude d'articles pointillistes dont il faudrait faire la synthèse1, soit il est traité dans son ensemble, mais, alors, suivant un mouvement diachronique qui, par le vertige qu'il provoque, donne l'illusion provisoire que des litanies de dates et de noms remplacent l'analyse2. Il faudrait, au lieu d'une accumulation de données, définir une synthèse évolutive, enrichie de comparaisons multiples et précises. Mais sur ce sujet idéal pèsent un certain nombre de réalités qui le condamnent peut-être à n'être jamais qu'un idéal, tant elles semblent dépasser aujourd'hui nos possibilités. Il faudrait avoir la culture des gens des xvie et xvne siècles pour se retrou-

1. Par exemple, A. Baïche, «Le réalisme de Ronsard. Deux imitations, dans les « Hymnes » d'Ovide et d'Apollonios et Virgile », dans Ovide en France dans la Renaissance, Cahiers de l'Europe classique et néo-latine. Publication de l'Université de Toulouse-Le-Mirail, 1981, p. 40-58; id. «Ovide chez Agrippa d'Aubigné», ibid. p. 79-122; H. Lamarque, « L'imitation d'Ovide dans Γ« Adieu à la Pologne » de Ph. Desportes », ibid. p. 59-77.

2. Par exemple G. Pansa, Ovidio nel medievo e nella tradizione popolare, Sulmore, 1924; Ν. Lascu, «La fortuna di Ovidio dal Rinascimento ai tempi nostri», dans Studi Ovidiani, Rome, 1959, p. 79-112 ; Ovid renewed, Ovidian Influences on Literature and Art from the Middle Ages to the twentieth Century, ed. by Ch. Martindale, Cambridge Univer-sity Presse, 1988. On trouvera des orientations précieuses et une bibliographie suggestive dans L.P. Wilkinson, Ovid recalled, Cambridge, 1955, p. 366 et suiv., et dans S. Viarre, Ovide, essai de lecture poétique, Paris, Les Belles-Lettres, 1976, p. 117-137 et p. 162-164.

Page 3: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

14 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

Page 4: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

ver dans l'imbrication des sources qui alimentaient alors la création artistique3.

Ovide, même quand il est à l'évidence la source principale d'un texte ou d'une œuvre d'art, n'en est pas toujours, en est rarement, la source unique4. Inversement, quand il semble absolument absent d'un projet artistique, il peut cependant être présent dans sa réalisation5. C'est dire que la présence d'Ovide — ou de tout autre poète antique — dans les siècles modernes ne peut se repérer seulement dans les index. Ce n'est pas même dans les textes dont il est la source évidente que son influence est la plus prégnante.

C'est au contraire dans ceux où, sur un thème qu'il n'a pas traité, les auteurs, nourris de lui, introduisent une certaine manière de voir le monde, une rhétorique des sentiments, ou encore une poétique qui vient de lui. Il n'est pas très difficile de suivre la postérité d'un motif et d'en noter les avatars. Ce n'est pas non plus inutile, dans la mesure où le travail opéré par les imitateurs sur un texte donné met en lumière les modalités de sa transformation et permet de se forger quelques outils pour aborder l'autre tâche, infiniment plus délicate, qui est la recherche de la présence de l'auteur antique dans le processus complexe de l'imitation. Si l'on ajoute qu'il est difficile de déterminer pour tel ou tel auteur s'il inspire des poètes antiques directement, ou s'il passe par le truchement d'une traduction, souvent, pour ces époques, une belle infidèle, ou encore d'un auteur italien, voire espagnol.

Il est une autre difficulté qui n'est pas spécifique à Ovide mais où il est plus que tout autre impliqué. La fortune et les vicissitudes d'une bonne part de son œuvre ne peuvent être dissociées de celles de la mythologie, et ne peuvent donc être étudfées sans que soit évoqué le débat qui oppose à la fable mythologique le christianisme ou le rationalisme. L'étude littéraire est largement débordée par les implications idéologiques dont elle est un phénomène parmi d'autres. Il y a là un risque permanent de tomber dans les défauts proches de ceux que j'ai signalés plus haut. Que l'on s'en tienne à une étude pointue de l'influence d'Ovide sur tel auteur, et l'on fera œuvre de myope. Qu'on intègre une étude de détail au vaste panorama idéologique, et il faudra une loupe pour repérer le sujet, comme il en faudrait, une pour interpréter, sur certains

3. Voir sur ce point S. Fraisse qui énonce en ces termes une sorte de malédiction :« Au XVIe siècle, une étude de sources n'est jamais close », L'Influence de Lucrèce en France au xvr" siècle, Paris, Nizet, 1962. C'est encore vrai au xvne siècle.

4. -Par exemple, quand La Fontaine raconte l'histoire d'Adonis, il s'inspire d'Ovide, mais son texte comporte plusieurs réminiscences de Virgile.

5. Voir P.M. Martin, Sources ovidiennes dans Fénelon, « Télémaque», dans Colloque Présence d'Ovide, Paris, Les Belles-Lettres, 1982, p. 353-373.

Page 5: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVP ET XVIIe SIÈCLES 15

Page 6: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

tableaux classiques, la scène mythologique ou religieuse perdue devant un vaste paysage6.

Alors que faire ? Baisser les bras et clore le propos ? Ce n'est natu-rellement pas le parti que j'ai choisi. Le sujet est difficile, sans doute impossible à épuiser, mais il force la curiosité, car s'il est compréhensible qu'Ovide soit présent, il est étonnant qu'il le soit plus que les poètes tenus pour plus prestigieux que lui, Homère et Virgile. Ce n'est pas lui, en effet, mais Virgile qui guide Dante jusqu'aux abords du Paradis. Parmi les poètes du Parnasse que Raphaël peint dans les années 1508-1511 pour la Chambre de la Signature, ce n'est pas lui qui est le plus proche d'Apollon, mais d'abord Homère dont les yeux sans regard sont levés vers le même ciel que celui du dieu, puis Virgile et Dante, qui échangent un regard de connivence. Ovide est éloigné ; un doigt sur la bouche, le visage tourmenté, il est environné de poètes italiens, Pétrarque, Boccace, l'Arioste, Tebaldeo, et encore Sannazaro dont Y Arcadia doit autant à Théocrite et à Virgile qu'à lui-même. Et cependant, au xvne siècle, Homère, victime de l'interdit de l'enseignement du grec prononcé par la Sorbonne en 1527, est plus connu par l'intermédiaire d'Ovide que directement. En 1638, pour célébrer la naissance de Louis XIV, c'est à la quatrième églogue de Virgile que Campanella emprunte ses accents prophétiques7, faute de trouver chez Ovide le même acte de foi envers un enfant providentiel, et pourtant les thèmes mythologiques qui illustreront le pouvoir de Louis XIV viennent presque exclusivement des Métamorphoses.

Les chiffres témoignent de cette primauté : il y eut entre 1490 et 1610 quelque trois cents éditions et rééditions partielles ou totales des œuvres d'Ovide, pour une centaine d'éditions de Virgile. Et le rapport est le même pour les traductions8. La comparaison avec les éditions

6. Je pense à certains tableaux du Lorrain inspirés d'Ovide comme Céphale et Procris réunis par Diane (Grande-Bretagne, col. privée) ; Paysage avec la nymphe Egèrie pleurant Numa (Naples, Museo di Capodimonte) ; Marine avec l'enlèvement d'Europe (Windsor, col. de la Reine). Ces tableaux sont reproduits et commentés dans le catalogue Claude Gellée dit Le Lorrain, Ministère de la culture, éd. de la R.M.N., 1983, n° 46 ; 48 bis et 49.

7. L'églogue en latin pour la naissance du Dauphin est publiée dans Tutte le opere di Tomaso Campanella, a cura di Luigi Firpo, Arnaldo editore, 1954 ; elle est traduite dans {'Imitation et amplification de l'églogue faite en latin par le Père Campanella sur la naissance de Monseigneur le Dauphin, 1638, s.l ni auteur.

8. Sur le nombre des éditions, voir les listes de la «Biographie Michaud» et le commentaire qu'en donne R. Beyer, Les Elégiaques latins dans la « Biographie Michaud » (1811-1828), dans l'Élégie romaine. Enracinement - Thèmes - Diffusion, Actes du colloque international... tenu à Mulhouse, Bulletin de la Faculté des lettres de Mulhouse, éd. Ophrys, Paris, 1980, p. 277-281 ; H. Lamarque, «L'Édition des œuvres d'Ovide dans la Renaissance française», dans Ovide en France dans la Renaissance, op. cit., p. 13-40. Dans la même période, pour Horace, dont la fortune n'est pas négligeable, on dénombre environ quatre-vingt-dix éditions, sur ce point, voir J. Marmier, Horace en France au XVIIe

siècle, Paris, 1962.

Page 7: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

16 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

Page 8: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

d'Homère accuse un déséquilibre encore plus grand9. Au xvne siècle, la production se ralentit, mais de grandes traductions scandent l'histoire littéraire, celles de Nicolas Renouard, en 1606, de Thomas Corneille, en 1669, de Benserade, en 1676, pour ne citer que les plus célèbres et qui sont toutes des traductions des Métamorphoses.

Il ne suffit donc pas de montrer comment Ovide est présent partout, il faut encore se demander pourquoi lui, de préférence aux deux autres. Voilà une question qui peut orienter les études de détail et mettre leur fragmentation au service d'une enquête générale. Elle exige aussi une réflexion approfondie sur une œuvre qui a pu inspirer des auteurs représentant des esthétiques différentes, voire opposées, dans la pratique de genres aussi divers que l'épopée, la tragédie ou le sonnet. Des poètes de la Pléiade à Racine, en passant par Saint-Amant et Théophile de Viau, de Titien à Mignard, en passant par le Bernin, Ovide est reconnu comme modèle par les « classiques » comme par les «baroques». La diversité même de son œuvre explique sans doute que chacun puisse y trouver la source qui lui convient, quand elle lui convient, et qu'il puisse, lui, être toujours présent, quand changent les esthétiques. Du reste, ses œuvres ont été diversement présentes, selon les époques. Ainsi les Fastes, salués par Politien comme le livre le plus beau de l'illustre poète (illius uatis liber pulcherrimus) n'eurent pas aux xvie et xvne siècle le prestige qu'annonçait ce bel hommage. Le succès des œuvres erotiques fut variable, avec toutefois la permanence d'une préférence pour les Héroïdes. En revanche, celui des Métamorphoses ne se démentit pas, et plaça l'œuvre au premier rang des sources d'inspiration des deux siècles.

Malgré la diversité des points de vue que nécessite l'abord d'un tel sujet, il est possible de tenter une synthèse en cherchant à préciser dans quels domaines se manifeste la présence d'Ovide. Pour cette enquête, les modes de transmission de la mythologie définis par J. Seznec offrent un exemple méthodologique commode où s'intègre bien le devenir des œuvres ovidiennes10. Elles ont été lues aux xvie et xvne siècles suivant les traditions physique et encyclopédique, morale, voire spirituelle, et historique transmises par le Moyen Age. Il est entendu que ces lectures ne sont pas parallèles et qu'elles peuvent se cumuler. J'y ajouterai une autre lecture qui semble s'imposer ici, la lecture poétique qui domine les autres et les unifie.

9. Voir sur ce point N. Hepp. Homère en France au xvir siècle, Paris, Klincksieck,1968, p. 11 et suiv. ; 789 et suiv.

10. J. Seznec, La survivance des dieux antiques (Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l'humanisme et l'art de la renaissance), Paris, Flammarion, 1980 (Ie éd. Londres, 1940).

Page 9: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES 17

Page 10: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

Au vme siècle, Théodulfe écrivait à propos des Métamorphoses qu'il s'y trouvait, cachées sous le voile de l'affabulation, de très nombreuses vérités11. De cette certitude procèdent les deux premières lectures des œuvres d'Ovide et tout particulièrement des Métamorphoses. Jusqu'au xvne siècle y compris, toutes les voies du dévoilement furent suivies, même par les alchimistes. Du Moyen Age à Regius qui commente les Métamorphoses, en 1496, jusqu'à Baudoin qui donne, en 1627, son Explication des Fables, il n'y a aucune solution de continuité12. Cette lecture, il est vrai, avait été réanimée par la découverte des Hieroglyphica d'Horus Apollo qui suscita un regain d'intérêt pour les lectures allégoriques de la fable, et d'Ovide en particulier. Les Métamorphoses continuèrent donc d'être lues dans cette optique et ne souffrirent aucun discrédit du succès des Hieroglyphica ni de celui que remporta, dès sa parution, le Songe de Poliphile, dont elles inspirèrent bien des images symboliques13. Bien au contraire, dans l'effervescence inventrice qui multiplie la créalion d'emblèmes et de devises, Ovide tint une place remarquable, et cela jusqu'en plein règne du Roi-Soleil.

On cherchait dans les Métamorphoses une définition du monde. Les livres I et XI, la cosmogonie liminale et le discours final de Pythagore, légitimaient cette quête. Elle était séculaire et avait été poursuivie encore dans le courant du XVe siècle par des poètes chrétiens qui voulaient concilier les enseignements du paganisme et ceux de la Bible14. Plus païen est le pressentiment d'une contiguïté universelle que Léonard de Vinci trouva dans le discours de Pythagore15. Paracelse et Giordano Bruno y découvrirent un animisme assez confusément exprimé qui, par l'intermédiaire de Vanini, vint irriguer l'imaginaire des libertins français. C'est vrai de Théophile de Viau qui, malgré ses prises de position contre la fable mythologique, ne manque pas d'emprunter aux Métamorphoses et aux Héroïdes des figures mythiques qui, loin d'être les « fantômes vains » ou les « fabuleux ombrages » légués par la « sotte anti-

11. Plurima sub falso tegmine vera latent, cité par J. Seznec, p. 86-88.12. L'édition sortit à Paris et fut régulièrement reprise à Lyon jusqu'en 1524. Le com-

mentateur, de son vrai nom Raphaël Maffei, était professeur de rhétorique. L'édition de Baudoin parue chez Pierre Chevalier, Paris, porte comme titre : Mythologie ou explication des fables, édition nouvelle illustrée de sommaires sur chaque livre et de figures en taille-douce.

13. Hypnerotomachia Poliphili, éd. Princeps, chez Aide Manuce, 1499 ; trad. fr. Dis-cours du songe de Poliphile, J. Kerver, 1546 ; Hypnerotomachia Poliphili, edizione critica e commento a cura di Giovanni Pozzi e Lucia A. Ciapponi, Padoue, 1964 ; Le songe de Po-liphile, réimp. de l'éd. de 1883, Slatkine Genève, 1981.

14. Par exemple dans les œuvres de G. Pontano ; voir sur ce point, S. Viarre, « Punta-no et la tradition païenne du récit cosmogonique dans le prologue du « De Laudibus diui-nis», dans Congrès international d'études néo-latines. Tours, 1976, p. 139-152.

15. Sur ce point, voir A. Chastel, op. cit., (plus bas à la n. 19), p. 414 et suiv.

Page 11: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

18 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

Page 12: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

quite » qu'il dénonce de ci de là, sont des représentations de substances et de principes réellement divins16. C'est vrai aussi de Saint-Amant chez qui la métamorphose est un mode de représentation de la condition humaine, plus complexe sans doute qu'il ne le laisse penser lui-même, quand il écrit: «Je n'ai pris de lui [Ovide] que le sujet tout simple, lequel j'ai, conduit et manié selon ma fantaisie»17.

L'étrange physique qu'expose Pythagore chez Ovide est un patchwork qui réunit, sans vraiment les concilier, Heraclite, Empedocle, Lucrèce et les stoïciens18. La Renaissance florentine, dans son premier élan, chercha de semblables synthèses. J'ai dit l'admiration qu'avait Politien pour les Fastes. En 1488, il leur consacra un cours en même temps qu'à Homère et à Virgile. C'est là qu'il trouva le tableau des âges du monde qui semblait le modèle du nouus annus dont il rêvait alors, et l'évocation du règne de Vénus que Botticelli transposa dans le Printemps et dans la Naissance de Vénus qui lui faisait pendant19. C'était, en même temps qu'une sacralisation de la génération spirituelle de la beauté, une réflexion sur la dualité de l'amour, à la fois lubricité et grâce, qui conciliait Platon et Ovide, le Timée et les Fastes.

Ce rêve du premier humanisme fit long feu. Et les Fastes furent supplantés par les Métamorphoses qui proposent du monde une vision poétique, donnant à la nature une vie propre qui déborde profusément de correspondances secrètes. Bien que, dans le livre XV, Pythagore fît mal le lien entre la physique et la métaphysique qui y occupe une place restreinte, la lecture que firent de son exposé les siècles suivants opérait la montée de l'une ou l'autre. On croyait que le pythagorisme était une philosophie du symbole20, on cherchait donc des symboles dans ce qu'Ovide faisait dire à Pythagore, et plus largement dans tout ce que disait Ovide.

16. C'est particulièrement clair dans les Odes de la Maison de Sylvie ; voir sur ce point, C. Rizza, « Place et fonction de la mythologie dans l'univers poétique de Théophile de Viau» dans La Mythologie au xvif siècle. Actes du 11e colloque du CMR 17, Marseille, 1982, p. 255-264, et M.-T. Hipp, «La Maison de Sylvie, ou de l'usage de la Fable», dans les Travaux de Littérature (Publication de l'ADIREL), II, 1989, p. 91-111.

17. Saint-Amant, Œuvres, I, p. 23-24; voir J. Bailbé, «La Mythologie chez Saint-Amant », dans La Mythologie au xvif siècle, op. cit., p. 245-254, et « Saint-Amant philoso-phe», dans les Cahiers de Littérature, op. cit., p. 113-124.

18. Voir J.-P. Néraudau, Ovide, ou les dissidences du poète, Paris, Les Inter Univer-sitaires, 1989, p. 80 et suiv.

19. Sur la Renaissance florentine, voir A. Chastel, Art et humanisme à Florence, au temps de Laurent le Magnifique, Paris, PUF, 1959 (3e éd. augmentée, 1982). C'est au livre V des Fastes que Politien empruntera l'essentiel des thèmes poétiques de la renouatio tem-porum ; pour le règne de Vénus, voir aussi Horace, Odes, I, 30.

20. Voir par exemple Rabelais : « vous convient... rompre l'os et sugcer la substanti-ficque mouelle - c'est-à-dire ce que j'entends par ces symboles Pythagoricques... » (Préface de Gargantua).

Page 13: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVP ET XVIIe SIÈCLES 19

Page 14: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

La même démarche pouvait mener à une lecture morale. Elle avait atteint son point extrême avec VOvide moralisé21. Les excès de liberté qu'il se permettait envers le texte appelaient une réaction22. Le xvie siècle donc fit tomber les hardes moralisantes dont les Anciens et surtout Ovide étaient affublés. Redécouverte dans son authenticité, l'œuvre d'Ovide garda des profondeurs que le passé lui avait prêtées une particulière épaisseur. Elle résista aux critiques qui l'assaillaient en attaquant la mythologie. Ovide avait été tout particulièrement condamné par le concile de Trente, mais en pure perte, puisque même les Jésuites continuaient de peupler de ses histoires merveilleuses la mémoire des jeunes gens. Du reste, la présence de la mythologie dans la culture d'un peuple chrétien, si elle semblait encore incongrue à Bossuet, ne l'était pas aux yeux de tout le monde. Les mythographes avaient assez montré comment la première pouvait être une esquisse servant de propédeutique à la seconde, ou une manière détournée de signifier des vérités morales compatibles avec l'enseignement chrétien. Une telle justification enlevait aussi de leur validité aux critiques faites à la mythologie au nom de la vraisemblance, malgré l'apport que leur offrit le cartésianisme.

La raison et la religion voulaient que l'on cessât de lire Ovide, l'imagination défendait ses droits au rêve, d'autant que cette imagination, quand il la fécondait, était créatrice d'un monde différent, onirique en même temps que confusément vraisemblable. C'est dans cette perspective que s'inscrit la lecture historique. Elle procède, elle aussi, de l'idée que la mythologie est l'expression poétique d'une vérité dissimulée qui pouvait passer de l'intemporalité mythique à la temporalité vécue, suivant à l'inverse le cheminement de sa genèse telle qu'Evhémère l'avait définie. Les hommes de haut mérite devenaient des dieux, et les dieux descendaient de leur empyrée pour s'incarner en des princes qui avaient accompli, pour les rejoindre, une partie du chemin, ascensionnel celui-là. Cette exaltante démarche relève assurément de l'imaginaire, mais Ovide n'enseignait-il pas que l'imaginaire était aussi réel que le réel, voire plus ? Et que, pour effacer la césure qu'un cartésianisme prosaïque allait installer entre ces deux domaines, il y avait l'art, non seulement la littérature, mais aussi la peinture et la sculpture.

Dès lors les grands de ce monde s'attachèrent à signifier par des images leur grandeur plus qu'humaine. Dès les premiers moments de la Renaissance, ils firent orner leurs demeures de frises et de tableaux qui

21. L'Ovide moralisé, Poème du commencement du XIVe siècle, publié d'après tous les manuscrits connus par C. De Boer, Amsterdam, 1938.

22. Voir par exemple Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso en sa métamorphose... Lyon, Denys de Harsy pour Romain Morin, 1532 où se manifeste un retour à la lettre du texte. Rabelais se fit l'interprète de cette réaction dans la Préface de Gargantua (je) «décrète icelles (les allégories) aussi peu avoir esté songées d'Homère que d'Ovide en ses Métamorphoses les sacrements de l'Évangile».

Page 15: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

20 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

Page 16: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

transposaient les textes d'Ovide. Les Fastes offraient les thèmes de la joie dionysiaque qui court sur les murs des premières villas et des châteaux qui furent décorés au début du mouvement humaniste23, mais ce sont surtout les Métamorphoses, avec leur répertoire inépuisable de belles histoires, qui vont envahir les murs et les plafonds des grandes demeures, cernées de jardins organisés, selon le modèle du Songe de Poliphile, en parcours initiatiques ponctués de statues et de bassins historiés. La liste serait longue des palazzi italiens et des palais ou châteaux français des xvie et xvne siècles dont les salles, décorées de tapisseries ou de grandes compositions picturales, et les jardins, parsemés de bassins et de fabriques, racontaient, comme de grands livres d'images, des histoires merveilleuses. L'histoire, sacrée ou profane, en fournissait quelques-unes, les cycles italiens, à la fois romanesques et épiques, comme YOrlando de l'Arioste ou la Jérusalem du Tasse, en fournissaient d'autres, plus nombreuses, Ovide, enfin, offrait la plus grande part du répertoire. De cette primauté témoigne le cardinal Mazarin qui répondit au peintre Romanelli qui lui proposait des sujets tirés de l'histoire romaine qu'il préférait des scènes des Métamorphoses parce qu'elles étaient plus gaies et plus conformes au génie français. Dans le même temps, le Louvre, les Tuileries, Saint-Germain étaient décorés de scènes ovidiennes, comme le seront plus tard Saint-Cloud et Versailles24. Partout Ovide, interprété par Simon Vouet, Le Brun, Le Sueur, Houasse et d'autres, entoure la vie des grands d'un univers merveilleux, comme magiquement transfiguré.

Ces jardins et ces châteaux sont conçus pour être le cadre de grandes fêtes qui sont elles aussi organisées selon un système sémantique qui emprunte l'essentiel de ses éléments à la mythologie, c'est-à-dire, la plu-part du temps, à Ovide. Quelques grands thèmes revenaient régulièrement, et quelques grandes figures, les grands héros civilisateurs en particulier, comme Jason, dont la monarchie d'Espagne faisait un de ses symboles, Hercule, dont un cardinal d'Esté portait le nom comme prénom et qui était revendiqué comme modèle par les rois de France, des Valois à Louis XIV, Apollon, enfin et surtout, qui triomphera dans les premières années du règne personnel de Louis XIV. Ovide était le principal fournisseur et des thèmes et de l'imagerie. Les villes recouraient aussi à lui, quand elles voulaient offrir aux souverains ou aux grands qui les traversaient des fêtes qui leur disaient leur soumission et leur liesse.

23. Voir A. Chastel, op. cit. sp. p. 168 et suiv.24. Bibliographie et commentaires dans J.-P. Néraudau, L'Olympe du Roi-Soleil,

Mythologie et idéologie royale au grand Siècle, Paris, Les Belles-Lettres, 1986 ; A. Merot, « Décors pour le Louvre de Louis xiv : La mythologie politique à la fin de la Fronde (1653-1660)», dans La monarchie absolutiste et l histoire en France, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, I, 1987, p. 113-137.

Page 17: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES 21

Page 18: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

Les rois faisaient de même quand ils célébraient, à l'occasion d'une nais-sance ou d'un mariage, la fécondité et l'avenir de leur race.

Les fêtes et leur cadre architectural faisaient vivre la mythologie. Elles n'étaient pas un divertissement, mais une œuvre de recréation du réel, qui, refait par la poésie, s'inscrivait dans l'imaginaire des spectateurs et haussait les grands jusqu'au seuil de la divinité. Ces fêtes comportaient en général des ballets de cour, dont les arguments tirés pour l'essentiel de la fable mythologique permettaient une interprétation allégorique. C'est dans ce contexte de célébration princière que naquit un genre nouveau, qu'on appellera plus tard l'opéra. Pour les noces de Marie de Médicis et du roi Henri IV, Peri fit jouer une Dafne, qui est la première manifestation de ce genre. Son histoire, en France, est longue, puisque c'est en 1673 seulement qu'il s'imposera avec Cadmus et Hermione de Lully sur un livret de Quinault. Ce genre, dont les Modernes salueront la nouveauté, avait absorbé le ballet de cour, la pastorale et la tragédie à machines. Ovide monta donc sur la scène lyrique et servit de caution à la définition d'un étrange concept, le merveilleux vraisembla-

i ble25. L'emploi des machines était justifié par le simple fait qu'ellesétaient postulées par les récits. La fable ovidienne servit de support à cette ultime satisfaction concédée au goût que garda le siècle pour le merveilleux.

La présence d'Ovide dans les décors de la vie princière révèle un des charmes les plus grands de son art. La Rome augustéenne était un extraordinaire musée, et Ovide, sans cesse, dans ses récits, décrit des œuvres d'art, explicitement — sous forme d'ekphrasis — ou implicite-ment. Plusieurs de ses descriptions peuvent aujourd'hui être confrontées aux peintures découvertes à Pompei, sans qu'il soit toujours possible de décider qui de la peinture ou de la poésie a inspiré l'autre. Or le plus remarquable est qu'en l'absence de ces œuvres inconnues aux xvie et XVIIe

siècles, le texte, tant il suscite la vision, ait été illustré d'images ou ait inspiré des statues et des tableaux qui ont parfois avec les œuvres enfouies de singulières ressemblances. Pendant les deux siècles, le dialogue entre le texte et l'image qui l'illustre s'élabore au fil des éditions, donnant, pour finir, une manière d'autonomie à l'image26. Mais le dialogue peut s'épanouir dans la devise dont le texte qui en est l'âme et

25. Voir sur ce point Ph. Sellier, «Une catégorie-clé de l'esthétique classique: «le merveilleux vraisemblable», dans La Mythologie au XVIIe siècle (CMR 17), op. cit., p. 43-48.

26. Voir G. Amielle, «Traduction picturale et traduction littéraire des «Métamor-phoses» d'Ovide, en France, à la Renaissance, dans Bulletin de l'Ass. G. Budé, n° 3, oct. 1989, p. 280-293.

Page 19: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

22 JEAN-PIERRE NERAUDAU

Page 20: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

l'illustration le corps sont mis en une étroite collaboration qui approfondit le sens et multiplie les effets de polysémie. Le père Ménestrier, expert en la matière, disait encore, après 1676, que la traduction des Métamorphoses en rondeaux par Benserade permettrait de fabriquer autant que devises qu'il y avait de rondeaux. Nous saisissons là un aspect de la puissance poétique d'Ovide. Il donnait le plus précieux exemple de l'association entre l'écrit et le figuré et permettait de mettre en œuvre le précepte utpicturapoesis qui, placé sous l'autorité d'Horace qui ne l'avait jamais édicté, faisait de la peinture et, plus largement, de l'image, une poésie muette27. Ovide avait fait la démonstration que la poésie pouvait être la transposition écrite d'une peinture ou d'une sculpture.

Il est autre un aspect de son talent poétique qui justifie l'attention de la postérité, c'est le mode même de création de ses Métamorphoses. Le travail rhétorique y est manifeste et la réflexion sur les tropes d'une créativité étonnamment moderne28. On peut expliquer chaque méta-morphose par un jeu sur la comparaison. Les personnages, au moment ultime où ils vont changer de forme, sont physiquement ou psychologi-quement semblables à l'être qu'ils vont devenir. La chute du mot de comparaison les fait passer d'un état à l'autre, sur le plan métaphorique où l'apparence fugitive devient similitude pérenne. C'est ainsi que le monde ovidien est un corpus d'histoires qui le poétisent, c'est-à-dire le créent et suppléent à son silence, et qui révèlent les profondeurs de l'être humain en fouaillant ses secrets. Il est dans ces conditions impossible qu'une citation des Métamorphoses soit réduite, selon l'expression de Malherbe, à l'un de ces oripeaux relégués dans un grenier où la poésie irait chercher un ornatus fané.

C'est presque impossible aussi d'une citation prise dans les Amours ou dans les Héroïdes, et cela pour une autre raison qui vaut aussi pour les Métamorphoses. Les œuvres dites «erotiques» ont été fort bien connues au xvie siècle. Mais là encore, pour des poètes dont l'esthétique n'était pas en rupture avec la tradition antique, l'emprunt ne pouvait se limiter à Yornatus. Ovide a exploré les mille et une facettes de l'amour, tant dans les Amours, les Héroïdes et les Remèdes de l'amour que dans les Métamorphoses, qui sont parfois considérées comme une épopée de l'amour29. L'Art d'aimer eut un succès moindre, parce qu'il y règne un

27. Horace, Epître aux Pisons (dite Art poétique), vers 362. La comparaison, reprise d'Aristote, (Poétique, 1, 1447 a ; 2, 1448 a ; 1454 et 1460 b) porte sur la mimésis, commune aux deux arts. La tradition en a fait un dogme. Voir Ch. Batteux, Les Beaux-Arts réduits à un même principe, Paris, Durand, 1746, à lire maintenant dans l'édition critique de J.-R. Mantion, Paris, Aux Amateurs de livres, 1989.

28. Ovide illutre fort bien par exemple les analyses de P. Ricœur, dans La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975.

29. En particulier par Brooks Otis, Ovid as an epic Poet, Cambridge, 1965.

Page 21: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVP ET XVIP SIÈCLES 23

Page 22: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

libertinage avoué jugé, peut-être à juste titre, superficiel, or ce n'est pas le superficiel que les poètes demandaient à Ovide, mais cette justesse dans l'analyse des passions dont on a pu mesurer encore l'influence dans les tragédies de Racine30. En ce domaine, les Héroïdes ont eu une fortune durable, car elles offraient un modèle stylistique purement galant, sans les abîmes infinis révélés par les Métamorphoses. Elles permettaient aussi de jouer sur les genres et de donner la parole aux héroïnes — parfois aux héros — de l'épopée en leur rendant une humanité que le grandissement épique estompait ou dénaturait.

Ainsi Ovide offrait un double intérêt, d'ordre psychologique d'une part, et d'ordre littéraire. Son œuvre est à la fois une réalisation et une réflexion sur les moyens de cette réalisation. S'il a tant marqué la postérité de ses analyses, c'est qu'il les a faites en associant continuellement des remarques tirées de l'expérience à des modèles mythiques que sa verve narratrice a transformés en esquisses de tragédies, de comédies, voire de romans. Quel que soit le color de ses récits, ils manifestent toujours une étroite parenté entre le* monde humain et l'univers mythologique. Cette confusion de deux domaines hétérogènes transfigure le monde, et c'est en cela qu'elle a séduit les poètes. Chez Ovide, et aussi chez Ronsard, comme chez La Fontaine, la passion de Vénus pour Adonis est immédiatement reconnue comme une passion humaine; inversement toute passion humaine trouve son réfèrent dans un modèle mythologique qui hausse sa précarité à l'universalité et transcende sa banalité. Dans l'univers transformé en un recueil d'histoires exemplaires, les mésaventures humaines cessent d'être des accidents pour devenir des répétitions d'un modèle primordial. Que la mythologie descende s'incarner ou que la condition humaine s'élève jusqu'à la poésie de l'éternité, on n'en peut décider. Et peu importe, car ce double mouvement se stabilise en un monde intermédiaire dont les poètes sont les chantres et les gardiens. Et de ce monde, où l'âme accède, la sensualité n'est pas bannie. Y amener la femme aimée est une tentation qu'ont tous les poètes.

Pour mettre en place ce monde de l'intermédiaire, le poète concilie la rhétorique et la poétique et apporte ainsi un exemple d'écriture à la fois contrôlée et illimitée. Prendre les tropes et les mener jusqu'au terme de leur virtualité, c'est une recette de bon élève des rhéteurs. Mais il en est d'elle comme des bonnes recettes de cuisine ; on peut suivre minutieusement Apicius ou Brillât-Savarin sans jamais parvenir à la saveur irremplaçable d'un mets unique. Ovide donne ses recettes et y ajoute l'assaisonnement de son ingenium. Tout a l'air simple dans son écriture, et pourtant il est inimitable, sauf par des poètes doués du

30. G. May, D'Ovide à Racine, Paris, PUF-New Haven, Yale Univ. Press, 1949.

Page 23: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

24 JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

Page 24: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

même ingenium que lui, et qui ont percé le secret de son art. Il fut donc un professeur de style, dès le Moyen Age et jusqu'au XVIIe siècle. Il enseignait d'abord ce que sont les genres, comment un poète pouvait être élégiaque, épique, lyrique, satirique même31, comment il pouvait être sobre ici et là d'une indomptable prolixité. Il avait lui-même traité plusieurs sujets sur des modes différents, montrant comment le color choisi entraînait des variations subtiles32. Enfin il était un grand maître de l'imitation, ayant refait dans ses Métamorphoses non seulement une Iliade et une Enéide, mais encore des tragédies, comme YHécube d'Euripide33.

La vogue d'Ovide subit cependant des vicissitudes dues à des causes diverses. Déjà les poètes de la Pléiade34 retenaient leur pas devant le seuil auquel il les conduisait. Quelques inquiétudes les tourmentaient, celle de l'insincérité que risque d'entraîner l'usage d'un réfèrent menacé de devenir un lieu commun, celle de l'obscurité aussi et de l'élitisme qui peuvent tourner au pédantisme, celle enfin, sur un autre plan, de l'invraisemblance. Il avait lui-même connu ces affres de la sincérité, quand, de son exil lointain, il écrivait les Tristes et les Pontiques en vers élégiaques qui lui avaient longtemps servi à exprimer l'insincérité. La mutation des thèmes de l'élégie en cris du cœur est une des plus belles leçons de ces poèmes. Elle fut entendue par les poètes qui eurent à vivre l'exil ou une manière d'exil, tels Du Bellay et Desportes. Restaient les artifices de la poésie amoureuse. Les poètes anciens qui avaient chanté leurs amours dans des formes et sur des thèmes mondains et artificiels, pouvaient-ils être appelés à cautionner une poésie qui se croyait de la sincérité ?

Pour Ovide, victime de cette inquiétude qu'il suscitait peut-être plus que tout autre, il souffrit aussi "d'une désaffection particulière, à la fin du xvie siècle, quand les créateurs, confrontés à une histoire devenue trop douloureuse, ne se reconnaissaient pas dans ses élégances. Montaigne en témoigne qui écrit : «Je diray encore cecy, ou hardiment ou témérai-rement, que cette vieille âme poisante ne se laise plus chatouiller non seulement à l'Arioste, mais encores au bon Ovide, sa facilité et ses inventions, qui m'ont ravy autresfois, à peine m'entretiennent-elles à cette heure»35.

31. Essentiellement dans Vlbis, inspiré de Callimaque et qui est un long cri de haine à rencontre d'un traître.

32. L'histoire de Céphale et de Procris est racontée dans VArt d'aimer (III, 685-746) et dans les Métaphores (VII, 1-452), il en avait fait de plus une tragédie (aujourd'hui per-due).

33. Métamorphoses, XIII, 399-575.34. G. Demerson, La Mythologie classique dans l'œuvre lyrique de la «Pléiade»,

Genève, Droz, 1972.35. Essais, II, 10, Des livres.

Page 25: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES 25

Page 26: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

Au XVIIe siècle, cette image d'un «bon Ovide» est provisoirement écartée, grâce à la présence du poète dans la mise en place idéologique du pouvoir royal. Les espérances messianiques que suscitait Louis XIV firent croire qu'allait revenir le temps merveilleux de la fête païenne. Pour La Fontaine encore, Ovide est à la fois l'intercesseur entre le poète et la réflexion sur l'amour, et le guide d'une recréation poétique du monde. Avec Adonis et les récits des filles de Mynée, il poursuit une définition des tourments de l'amour par l'intermédiaire de la fable ovi-dienne. Mais les récits des filles de Mynée sont comme un adieu à ce discours mythologique. Ces trois jeunes filles qui refusent de reconnaître la divinité de Bacchus sont punies d'une terrible métamorphose :

Il n'eut pas dit, qu'on vit trois monstres au plancher, Ailés, noirs et velus, en un coin s'attacher.

Et la morale tombe, désinvolte :Chômons : c'est faire assez qu'aller de temple en temple Rendre à chaque immortel les vœux qui lui sont dus ; Les jours donnés aux dieux ne sont jamais perdus.

Nous voilà bien loin, avec ce texte publié en 1685, du monde enchanté de VAdonis et du Songe de Vaux où transparaît la nostalgie d'une manière de faire vivre la mythologie qui semble condamnée et, avec elle, un genre poétique, pour ne pas dire la poésie. Dès VAdonis, La Fontaine dit ses craintes :

On est tellement rebuté des poèmes à présent que j'ai toujours craint que celui-ci ne reçût un mauvais accueil.

Et commence le poème par l'aveu que les grands genres lui sont interdits.C'est une recusatio. Ovide en avait fait une semblable au début des

Amours, comme l'avaient fait avant lui Virgile, Horace, Tibulle, Properce. Les questions posées ici par La Fontaine sont d'ordre littéraire. La poésie qu'il craint condamnée est faite pour l'agrément des loisirs, limitée dans sa longueur et sa finalité pour plaire sans ennuyer. Récrivant le récit des Métamorphoses, après Ronsard et Marino dont il avait peut-être lu Y Adone en italien ou en traduction, il montre comment toute poésie est une uariatio sur une histoire connue et revendique comme originalité le traitement et l'écriture d'un genre qu'il appelle «poème héroïque» et qui s'apparente à l'idylle. Offert en 1658 à Fouquet, ce poème est de peu antérieur à la mise en œuvre du Songe de Vaux.

Dans ce poème qui nimbe d'onirisme le château que Fouquet fait bâtir, La Fontaine donne pour commencer une évocation du palais du Sommeil décrit par Ovide, continue par la description d'un univers enchanteur que poétise toute la mythologie ovidienne. Mais là encore

Page 27: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

26 JEAN-PIERRE NERAUDAU

Page 28: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

est perceptible une nostalgie du passé qui s'exprime dans la référence à trois précédents, le Songe de Poliphile, le Roman de la Rose et le Songe de Scipion. Comme son ami Huet, La Fontaine pensait que la poésie avait pour mission de donner l'intuition de l'âge d'or. Il le voyait comme un univers peuplé de Naïades et d'Hamadryades, de Faunes et de Satyres, hanté par Eros dont les caprices pouvaient être aimables ou tragiques, selon qu'on s'y donnait ou non avec passion, en somme les Métamorphoses d'Ovide apaisées par les Bucoliques de Virgile. Il ne cédait pas aux tentations du furor baroque qui avait tourmenté ses pré-décesseurs inspirés des folles envolées dont Ovide donnait aussi l'exem-ple, ni aux outrances de la préciosité dont il pouvait aussi nourrir les subtilités. Une élégance mondaine tempérait les élans et les tourments de la mythologie ovidienne. Autour de Fouquet héroïsé pouvait renaître le temps où les dieux et les héros vivaient dans le commerce des hommes.

Or un âge d'or s'annonçait. Pour le poète il commençait mal, puisque son protecteur Fouquet fut arrêté quelques mois après le début du règne personnel de Louis XIV. Mais à Versailles, le roi parut faire renaître le paradis mythologique de Vaux et renouer avec la tradition qui, remontant au Songe de Poliphile, avait présidé au décor intérieur et extérieur des demeures seigneuriales. L'importance toute particulière d'Ovide à Versailles, dans les jardins surtout, est bien connue. Elle est manifeste dans le bassin de Latone qui révèle le destin de l'humanité, quand elle méconnaît la puissance apollinienne. Les sculpteurs ont suivi à la lettre le texte d'Ovide36 et ont installé l'horreur au centre du parc. La bestialité qui menace les hommes est évitable si tout le monde reconnaît la métamorphose qui fait du roi un héros ou un dieu. Par une conjuration de tous les arts la métaphore du Roi-Soleil est réalisée : elle est incarnée par le roi lui-même dans les ballets où il interprète les rôles d'Hercule ou d'Apollon. La mise en œuvre de ce discours à la gloire du souverain sembla faire revivre l'exaltation de la Renaissance.

Jusqu'en 1670, les récits des Métamorphoses sont employés à signi-fier la grandeur du roi. La fable antique semble, pendant une dizaine d'années, retrouver toute sa force créatrice, bien au-delà de la gaieté dont parlait Mazarin et du goût romanesque. C'est le miracle primordial du mariage de l'eau et du feu qui est célébré et perpétuellement renouvelé dans la demeure du Roi-Soleil. L'image baroque, si présente par exemple dans l'œuvre de Saint-Amant, y est revivifiée tant par sa transcription plastique que par la force du message politique qu'elle illustre. Après 1670, quand le roi n'a plus besoin de fonder son pouvoir, la fable lui semble un détour inutile pour l'exprimer. Il dépasse tous les héros de

36. Métamorphoses, VI, 313-381.

Page 29: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES 27

Page 30: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

l'Antiquité, il est devenu lui-même le réfèrent et toute comparaison qui ne part pas de lui pour revenir à lui est considérée comme une atteinte à sa grandeur unique et inimitable. La mythologie ovidienne n'a plus rien à dire dans ce contexte ; elle offre désormais un répertoire d'images décoratives et charmantes, comme celles qui ornent le grand Trianon. De créatrice, elle est devenue ornementale37.

Cependant l'état d'esprit ancien résistait. Alors que le discours mythologique cessait de signifier la grandeur royale, il restait porteur de sens pour les nobles à qui, du reste, le roi l'abandonnait désormais volontiers, comme une défroque dédorée. C'est ainsi qu'en 1679 P. Mignard peignit pour le Grand Condé un tableau longuement intitulé : Le roi Céphée et la reine Cassiopèe remercient Persée d'avoir délivré leur fille Andromède. Abandonnant la tradition qui, depuis Titien, faisait d'Andromède le sujet du tableau, il centre le sien sur Persée et lui donne de ce fait une évidente signification politique. Ce héros dont un roi couronné baise la main, pour le remercier d'avoir sauvé sa fille, ressemble bien au Grand Condé dont le roi pourrait aussi baiser la main, s'il consentait à oublier la Fronde pour ne se souvenir que de Rocroi38.

Mais ce discours est plus allégorique que créateur, et il est fané. La Fontaine fait encore quelques efforts pour sauver sa vision poétique du monde. Sollicité d'écrire un livret d'opéra, il donna une Daphne que Lully refusa, trouvant que c'était une pastorale qui manquait de grandeur et n'était pas digne de la gloire du roi. Dans la Lettre à Monsieur de Niert sur l'opéra que le dépit lui inspira. La Fontaine découvre que le nouveau genre apprécié de Louis XIV est un adieu à la pastorale et à l'âge d'or auxquels sont préférés les envols de l'imagination emportée sur les ailes du sublime. Racine, à son tour sollicité, et Boileau à qui il demanda de l'aider, choisirent pour sujet Phaéton. Ils ne purent ni l'un ni l'autre venir à bout de l'entreprise, c'est Quinault qui la mena à bien. Du reste, il ne puisa pas chez Ovide le sujet de tous ses opéras, mais il emprunta aussi à Euripide, au Tasse et à l'Arioste.

En 1704, Le cardinal d'Estrées donna une fête, pour célébrer la naissance du duc de Bretagne. Le palais abbatial de Saint-Germain-des-Près avait été transformé en palais du Soleil, selon les indications

37. Sur Ovide au XVIIe siècle, voir H. Bardon, « Sur l'influence d'Ovide en France au xviie siècle », dans Atti del Convegno ovidiano, Rome, 1959, II, p. 69-85 ; id. « Ovide et le baroque », dans Ovidiana, Paris, 1958, p. 75 et suiv. Sur Ovide et Louis XIV, voir H. Bar-don, «Ovide et le Grand Roi», dans Les Études classiques, 1957, p. 401-416 ; R.P. Guil-lou, Versailles, ou le palais du soleil, Paris, Pion, 1963; J.-P. Néraudau, «Ovide au château de Versailles, sous Louis XIV», dans Colloque Présence d'Ovide, Paris, Les Belles-Lettres, 1982, p. 323-343; id., L'Olympe du Roi-Soleil, op. cit..

38. Ce tableau vient d'entrer dans les collections du Louvre ; voir Le peintre, le roi, le héros, catalogue publié dans la col. Les Dossiers du Département des peintures, éd. de la R.M.N. 1990.

Page 31: Jean-Pierre NERAUDAU - La Présence d'Ovide Aux Xvie Et Xviie Siècles

JEAN-PIERRE NÉRAUDAU

d'Ovide. Les spectateurs, virent ensemble quatre soleils, le roi, le dauphin, le duc de Bourgogne et son fils nouveau-né, le duc de Bretagne. A la fin, le palais s'embrasa et disparut en fumerolles. Ce discours anachronique qui se détruit lui-même est à l'image du destin d'Ovide. En cette fin de règne, le temps de la fable est passé, on est entré dans le temps de l'histoire. Le siècle ne se dit plus en termes transhistoriques, il ne se pense plus comme l'aboutissement d'une histoire, mais comme un commencement. La Renaissance qui semblait se poursuivre au début du règne s'acheva réellement dans les années 1670. Ovide, dernier survivant de la grande tradition païenne s'abîma avec elle.

Ovide a donc été présent pendant les xvie et xviie siècles grâce aux multiples aspects de son œuvre. On pourra parler à son propos d'avatars dans le sens donné fautivement à ce mot, si l'on considère qu'après une longue période de gloire il a connu un certain discrédit. Mais, pour ce qui est de sa présence, elle n'est pas un avatar au sens premier du terme. Ce poète du changement avait prévu à la fin des Métamorphoses qu'il échapperait seul à l'universelle mutation. Plus on croit le transformer, plus on le reconstruit tel qu'en lui-même. Poète proteiforme, il n'est jamais tant lui-même qu'en étant métamorphosé.

Son inventaire du monde, et l'exploration de la parole et de sa magie créatrice qui en est inséparable participèrent aux espérances de la Renaissance, aux fureurs du baroque et restèrent au cœur de l'âge dit classique comme le seul grain de folie que le siècle pouvait se permettre, sous le couvert de la culture antique. Si, en apparence, il cessa d'être essentiel pour devenir ornemental, dans la réalité la fantaisie qu'il servait était plus essentielle à la survie de l'âge classique qu'il n'y paraissait. Il offrait un mode d'expression brillant et séduisant des passions les plus troubles et les plus enfouies. Il enseignait par son sujet même et par son écriture comment la beauté naissait de la souffrance et qu'il n'est pus de belle fleur au monde qui ne soit née d'une larme ou d'une goutte de sang. Au-delà de la mutation permanente qu'il décrit, il y a cette permanence immuable de l'alchimie poétique qui opère la transmutation suprême de la matière en esprit, de la laideur en beauté. Ce pouvait être une image de la fonction des rois, de celle, en tout cas, que Louis XIV s'était donnée.

Ses talents particuliers expliquent certes son influence, mais ne suf-fisent pas à justifier qu'il l'emporta sur Homère et surtout sur Virgile. Il y eut deux siècles pendant lesquels Virgile et Homère furent tenus pour les plus grands, et pendant lesquels ce fut Ovide qui fut le plus présent, C'est qu'en l'ace des malheurs, au lieu d'offrir, comme Virgile, une leçon de contention et de grandeur, il donne des ailes a l'imagination pour qu'elle s'envole dans un univers recomposé qui est a la fois un

LA PRÉSENCE D'OVIDE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES 29

refuge, hors des médiocrités et des cruautés du réel, donc négativement défini, et un jardin mystérieux où les allées s'écartent de la droite ligne et conduisent à des bosquets où se réalise le miracle de la vie. Ce pouvait être une image des jardins royaux ; ce fut en tout cas celle des jardins de Louis XIV.

Son influence tient pour finir à la similitude qui existe entre lui, héritier de la culture grecque, ne croyant plus aux mythes et aux dieux qu'il mettait en scène, contemporain d'un souverain qui promettait l'âge d'or au terme des guerres civiles, et les gens des xvie et XVIIe siècles, contemporains des guerres de religion, puis de la Fronde, héritiers d'une culture qui leur racontait d'étranges et troublantes histoires de dieux perdus dans la nuit de l'intemporalité. Sans doute correspondait-il, comme le disait Mazarin, au génie français, fait de gravité et d'élégance, de pudeur et d'esprit. Ce génie, cultivé par le xvie siècle, éclaire une grande partie du xvne. C'est celui de La Fontaine. Après 1670, il perd de sa légèreté et se réfugie sur la scène lyrique où pour quelques années, le temps que vivent Lully et Quinault, il sauve les valeurs mondaines qui avaient été celles du xvie siècle et de la préciosité. Ovide fut un artisan de cette survie. Il fut emporté dans les années 1680 par les assauts de la religion, ou de la bigoterie. En face d'elle, il faut bien le reconnaître, il était désarmé, lui qui finit relégué au fond de l'univers romain, victime d'un ordre moral qui, tout païen qu'il fût, ressemblait d'assez près à celui où sombra la fin du grand règne.

28