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Postdoctorat du LABEX Structuration des Mondes Sociaux L’enveloppement du monde. Recherche Spatiale, Réseaux, Globalité Jérôme Lamy -2013- L’objectif matriciel de mon projet de recherche est d’envisager la recherche spatiale sous l’angle des pratiques d’information et de communication. Il s’agit de mener une analyse approfondie des productions et des circulations de l’information spatiale lato sensu, des données brutes recueillies par un satellite à l’image publiée dans un quotidien, des modes de gouvernement de la recherche à la marchandisation des compétences spatiales. L’analyse des pratiques informationnelles et communicationnelles vient croiser un questionnement général autour des notions de réseau et de globalité. La première renvoie aux formes de connexions les plus variées ; figure désormais classique des sciences sociales, le réseau signale également un certain façonnement du monde. Il en va de même pour la globalité, concept large qui amalgame des positions épistémologiques et des raisonnements politiques performatifs (les discours sur la mondialisation). La méthodologie générale du programme repose sur une démarche régressive, qui vise à saisir deux ordres de temporalités : la temporalité anthropologique (dans l’enquête la plus précise auprès des acteurs) rend compte des formes sociales actuelles, des contingences qui les modèlent et des mouvements d’écumes qui les transforment ; elle repère également des pratiques ancrées, des discours plus anciens ; la temporalité relative à l’histoire permet quant à elle de reconstituer les recouvrements successifs d’activité, l’abandon partielle de repères sociaux et culturelles, la perpétuation de discours détachés de leur contexte générateur. L’aire temporelle du programme est donc délimitée par les ethnographies contemporaines et, en amont, par la recherche archivistique.

Jérôme Lamy Postdoctorat du LABEX Structuration des Mondes Sociaux

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Postdoctorat du LABEX Structuration des Mondes Sociaux

L’enveloppement du monde. Recherche Spatiale, Réseaux, Globalité

Jérôme Lamy-2013-

L’objectif matriciel de mon projet de recherche est d’envisager la recherche spatiale sous l’angle des pratiques d’information et de communication. Il s’agit de mener une analyse approfondie des productions et des circulations de l’information spatiale lato sensu, des données brutes recueillies par un satellite à l’image publiée dans un quotidien, des modes de gouvernement de la recherche à la marchandisation des compétences spatiales. L’analyse des pratiques informationnelles et communicationnelles vient croiser un questionnement général autour des notions de réseau et de globalité. La première renvoie aux formes de connexions les plus variées ; figure désormais classique des sciences sociales, le réseau signale également un certain façonnement du monde. Il en va de même pour la globalité, concept large qui amalgame des positions épistémologiques et des raisonnements politiques performatifs (les discours sur la mondialisation). La méthodologie générale du programme repose sur une démarche régressive, qui vise à saisir deux ordres de temporalités : la temporalité anthropologique (dans l’enquête la plus précise auprès des acteurs) rend compte des formes sociales actuelles, des contingences qui les modèlent et des mouvements d’écumes qui les transforment ; elle repère également des pratiques ancrées, des discours plus anciens ; la temporalité relative à l’histoire permet quant à elle de reconstituer les recouvrements successifs d’activité, l’abandon partielle de repères sociaux et culturelles, la perpétuation de discours détachés de leur contexte générateur. L’aire temporelle du programme est donc délimitée par les ethnographies contemporaines et, en amont, par la recherche archivistique. Les récentes amodiations budgétaires dans le domaine spatial ont considérablement renouvelé les conditions de recherche (j’envisageais dans ma proposition de recherche en octobre de suivre le projet ExoMars, dont le financement n’est aujourd’hui plus assuré, j’ai donc modifié l’approche empirique afin de fournir des restitutions rapidement). Le terrain que je compte explorer est apparu récemment comme un projet clé de l’Union Européenne dans lequel la France est très largement impliquée. Je vais donc baser mon analyse des pratiques informationnelles et communicationnelles sur le suivi longitudinale d’un « système de systèmes d’observation » de la Terre, le Global Monitoring for Environment and Security (GMES). Ce programme combine des

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instruments d’observation satellitaires et in situ (stations au sol, mesures en mer, etc.), en plus de « services » conçus pour exploiter les données collectées : surveillance des populations, analyse des données environnementales, contrôle du climat. Le spectre des pratiques spatiales est large ; ces dernières s’appuient sur des dispositifs satellitaires déjà existants et des plateformes en cours d’élaboration. Le programme est placé sous la double autorité technoscientifique de l’Agence Spatiale Européenne et de l’Agence Européenne pour l’Environnement ; il est entré dans sa phase « opérationnelle » en 2012 et doit désormais remplir sa vocation d’aide à l’« implémentation » des politiques communautaires en matière de surveillance de l’environnement et de la sécurité. Ce projet articule donc les trois grandes lignes d’interrogation de mon projet : les spécificités d’une recherche spatiale construite par et pour les instances politiques, le souci d’un maillage de surveillance globale, et la mise en réseaux des données et des infrastructures. Dans cette triple perspective, j’entreprends, à partir de janvier et, au moins, jusqu’au mois d’avril 2013, une ethnographie des différentes structures dans lesquelles circulent des données informationnelles et des flux de communication susceptibles de nourrir l’analyse de ce « système des systèmes » qu’est GMES : commission européenne (à l’occasion de la Space Conference de Bruxelles, les 29 et 30 janvier prochain), bureau GMES (également à Bruxelles), responsables de l’ESA (à Paris) et du CNES (à Paris et à Toulouse) en charge du projet. Les entretiens, les observations participantes et le recueil d’archives permettront de saisir sur le vif et en situation les enjeux des dispositifs de communication et d’information dans l’organisation de la recherche spatiale. L’une des spécificités des activités scientifiques dans le domaine de l’espace est l’organisation et l’orientation des activités de R&D et de R&T, selon des registres et modèles de management incluant le « facteur temps ». L’analyse rétrospective et in statu nascendi des études préliminaires « amont » réalisées dans la « phase 0 »  des missions de la R&T, en plus du suivi des ajustements en phase « pré-opérationnelles » des services satellite en cours d’opération livrent des informations sur la réalisation des systèmes techniques. Je suivrai principalement la conception de la constellation de satellites « sentinelle » du GMES (le premier, sentinelle 1, « doit » être lancé en 2013). Les spécifications techniques des systèmes satellite (composition de la charge utile, type de capteur, orbite…), leur mode d’opérativité (continuité de service, flux de data…), l’expérience des missions accomplies (réussies ou pas), l’investissement financier que celles-ci supposent, la division du travail entre les différents groupes professionnels impliqués (chercheurs, ingénieurs, techniciens, attachés à des organismes publics ou privés) : tout cela délimite un espace communicationnel des possibles pour le projet en cours. Ces conditions d’élaboration, si elles rappellent d’autres domaines de la R&T et du management de la recherche industrielle, signalent des particularités du design spatial qu’il me faudra identifier au fil de l’enquête. Les ingénieurs et chercheurs sont sans cesse appelés à l’ordre de la « démonstration », de « l’espace à n années », qui constitue un

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horizon temporel des pratiques. À peine une technique est-elle « démontrée » et opérationnelle qu’il est temps d’en concevoir une nouvelle, ce que révèle la mise en place des plateformes « sentinelle » et l’opération des satellites utilisés pour la « démo » des services GMES. Ici, l’information et la communication sont des fils conducteurs précieux pour suivre les modes d’articulation des scientifiques, des ingénieurs, des techniciens, des acteurs politiques et des agents administratifs. Le temps des techniques semble un temps perpétuel que des amodiations ou des innovations viennent réitérer à intervalles réguliers. Cet « encapsulement » de la temporalité instrumentale s’articule, se heurte et/ou s’associe à d’autres temporalités : le temps gestionnaire qui envisage l’inflation horaire comme une dissipation injustifiée des crédits, le temps scientifique, qui envisage des expérimentations sur le long terme, dispersées entre différents projet, le temps politique qui vise à une certaine efficacité du mandat remis aux agences et aux commanditaires, le temps médiatique, qui fabrique des événements-balises dans un flux d’informations massif. Ce kaléidoscope temporel ne forme qu’une première approche du chrono-dispositif dans lequel se trouve GMES. Ce que je souhaite ainsi interroger, ce sont les modalités de communication et d’information des pratiques spatiales (lato sensu) : d’une part, les modes de conceptualisation et de cadrage organisationnel ; d’autre part, les « durées socialement attendues » des pratiques de R&T, des projets, des programmes et des services opérationnels. Entre les deux, un horizon temporel dilaté ou rétracté par les acteurs au grès de leurs attentes et/ou de leurs exigences. Quelles sont les ressorts pratiques de ce temps négocié à partir d’une matrice temporelle multiforme ? Peut-on repérer des acteurs particulièrement prégnants dans l’agencement et la commensurabilité des temporalités concurrentes ? In fine, c’est la question centrale du terme d’un projet spatial que nous explorerons dans cet article : quand et comment se referme le registre des temps participant à la modélisation des systèmes techniques ? Est-ce dans cette articulation des différents temps projetés que se construit le design sociopolitique de GMES ? Comment les outils et les dispositifs informationnels et communicationnels participent de cette clôture d’un projet sur lui-même ?