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JOSEPH KOSUTH

Joseph Kosuth - Livre 1 - Texte

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Livre 1 - Joseph Kosuth Livre sur le travail de l'artiste Joseph Kosuth. Uniquement composé de texte.

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OEUVRE

Parce qu'il voit dans l'œuvre d'art le but esthétique comme exercice esthé-tique, non comme art à proprement parler, Kosuth va vouloir séparer l'es-thétique ( jugement de la perception du monde en général ) de l'Art. « Art as art » devient plus ou moins la devise de cet ar-tiste qui utilisera la littéralité de ses œuvres pour tenter de penser les choses de ma-nière objective, les pièces souvent tautolo-giques nous disent qu'elles ne pourraient être autrement que comment elles sont : Five Words In Orange Neon se compose de cinq néons orange et nous indique de ne pas regarder autre chose que ce que l'on voit, en évitant toute interprétation pourtant tentée ici.

Le but de son travail est de « produire du sens» , même s’il faut pour cela bannir l’aspect esthétique de l’œuvre. Se basant sur une tautologie : « L’art est la définition de l’art « , il affirme que l’art est langage, que l’art relève du domaine des idées, qu’il n’a rien à voir avec l’esthétique ou le goût. Il parle de « propositions artistiques» plutôt que d’ «œuvres» . Pour lui, Une œuvre d’art est une présentation de l’intention de l’ar-tiste : si celui-ci déclare que cette œuvre d’art-ci est de l’art, cela signifie que c’est une définition de l’art .

Parmi ses œuvres les plus célèbres, la série One and three 1965 qui apparaît comme une première investigation. Cette œuvre se compose d'un objet, de sa repro-duction photographique à l'échelle 1 et de sa définition du dictionnaire, et consiste à ce que l'acheteur peut faire la photogra-phie lui-même de la chaise du centre d'art dans lequel l'œuvre serait exposée. Ce n'est donc pas, par exemple pour One and three chairs, pas la chaise, la photo ou la définition en tant que tel qui importe, mais

comment tout cela joue ensemble. En quoi l'objet concret n'est qu'une occurrence d'un concept, tout comme un objet d'art n'est qu'une occurrence du concept d'art. C'est également une pièce qui ne dépend pas de sa matérialisation puisqu'elle se décline avec un chapeau, un extincteur, une vitre… Quel que soit l'objet c'est l'idée qui per-siste. Pour la seconde investigation, Kosuth se passe de l'objet et n'utilisera que la défi-nition pure, tirée en blanc sur fond noir en utilisant un dictionnaire des idées et des notions. Il réduit l'œuvre à une enquête sur sa propre nature et nous interroge sur nos attentes d'une œuvre d'art : est ce qu'une œuvre à besoin de la biographie ( heu-reuse ou malheureuse ) de l'artiste pour exister ? En 1991, il a réalisé pour la ville de Figeac une sculpture commémorative de Champollion, Ex Libris, dite La Place des écritures, dans le cadre des célébrations du bicentenaire de la naissance du « père de l’égyptologie « : il s’agit de l’agrandisse-ment au sol de la pierre de Rosette, qui se déroule ainsi dans l’espace public, et sur laquelle on peut marcher : là encore il reste fidèle à ce principe de tautologie, même si l’œuvre présentée répond à tous les critères esthétiques que le moindre passant pourrait formuler !»

Joseph Kosuth ne discute pas sur la beauté de l'art : il veut enlever la concep-tion de beauté et d'esthétique dans l'art. Avec ses œuvre-définitions, il cherche à se rapprocher au plus près de la réali-té, car pour lui, on use l'art pour dissimu-ler l'art, d'où le retour à la définition, à l'idée, au concept.

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PHILOSOPHIE ET SCIENCE

Kosuth part de deux faits. A— La philosophie traditionnelle

est parvenue à sa fin. La philosophie du XIXe siècle représentée par Hegel s'est inté-ressée au non-dit. Elle conduit à une forme d'histoire de la philosophie, où il n'y a plus rien à dire. Le XXe siècle est une époque marquée par la « fin de la philosophie » au sens où la philosophie se résout dans une forme de linguistique analytique qui ne considère au contraire que du dit et ne voit dans le non-dit que de l'indicible. L'homme de science ne croit plus à la philosophie.

B— La « fin de la philosophie » au XXe siècle est contemporaine d'un « commencement de l'art » lorsque Marcel Duchamp présente ses premiers ready made. C'est le point de départ de l'art conceptuel. « Le ready-made fit de l’art une question de fonction. Cette transfor-mation – ce passage de l’apparence à la conception – marquera le début de l’art moderne et de l’Art conceptuel. Tout l’art après Duchamp est conceptuel. » Kosuth doit ainsi démontrer qu'il n'y a pas d'art avant le début de l'art conceptuel et que l'art conceptuel prend la relève de la phi-losophie en se mettant à l'écart de la phi-losophie. ( L'art conceptuel correspondrait ainsi au stade de la linguistique analytique et au dépassement de la philosophie et de la religion dans la science comme science du langage. )

Kosuth établit une distinction entre « l'esthétique » et l'art. Il part, au point de vue historique, d'une opposition entre l'art conceptuel et « l'art formaliste ». Les repré-sentants de l'art conceptuel sont Donald Judd, Sol Le Witt, Ad Reinhardt; les repré-sentants de l'art formaliste sont Kenneth

Noland, Jules Olitsky, Morris Louis et d'autres. ( Ces derniers sont considérés d'un niveau médiocre mais ils sont soutenus par la critique ( par l'esthétique ), en par-ticulier par Clement Greenberg. ) En réa-lité, tout l'art antérieur à Marcel Duchamp y compris « l'art moderne » relève de l'esthé-tique et du formalisme. L'esthétique consi-dère un ensemble de critères formels, qui relèvent finalement du beau et du jugement de goût et de la fonction décorative ainsi que de « jugements sur la perception du monde en général ». On a pris « l'habitude » d'associer l'esthétique avec l'art, mais c'est une erreur. L'art est distinct de l'esthé-tique, car l'esthétique ne s'interroge pas sur l'art. Elle n'apporte aucune connaissance à ce sujet. L'art ne consiste pas en critères formels, mais il suffit de nommer quelque chose art pour que ce soit de l'art. « Etre artiste aujourd'hui signifie s'interroger sur l'entité art ». N'importe quel objet peut de-venir art à partir du moment où il est placé dans le contexte de l'art. L'œuvre d'art est alors une proposition concernant l'art. Il faut que l'objet ait quelque chose à dire au point de vue du langage de l'art pour être de l'art. En ce sens, même les chefs d'œuvre du cubisme, qui ont pu être de l'art à un moment donné, n'en sont plus s'ils ont perdu leur fonction artistique. L'art dépend d'un contexte artistique. Il faut être informé du concept d'art pour comprendre une forme d'art.

Kosuth s'appuie sur la distinction éta-blie par Alfred Jules Ayer entre l'analytique et le synthétique. La proposition analytique est indépendante de toute présupposition empirique et ne concerne pas les objets ni leur propriétés formelles. La proposition est synthétique lorsqu'elle est déterminée par des faits de l'expérience. L'œuvre d'art cor-respond à une proposition analytique dans laquelle on dit que l'art est l'art, « l'art est la définition de l'art ». On ne se préoccupe pas

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des propriétés formelles des œuvres, mais seulement de l'art au point de vue concep-tuel. L'art est en ce sens une tautologie et entretient en ce sens un rapport avec la lo-gique et les mathématiques pour se distin-guer radicalement de la philosophie et de la religion, lesquelles parlent des « besoins spirituels de l'homme » et de ce qui se trouve « au-delà de la physique".

ART CONCEPTUEL

L’Art conceptuel n’est pas un mouvement structuré, ni même une tendance uni-voque. Il concerne plutôt des artistes qui ont pour première exigence d’analyser ce qui permet à l’art d’être art, analyse qui elle-même se conduit selon deux grandes orien-tations.

D’une part, avec un artiste comme Sol LeWitt, suivi de Dan Graham, l’Art concep-tuel reçoit une acception large, fondée sur l’affirmation de la primauté de l’idée sur la réalisation. En conséquence, tout un pan de l’histoire de l’art peut être qualifié de « conceptuel », depuis le 15e siècle avec l’appartenance de la peinture aux arts li-béraux où le travail de l’esprit tient la plus grande part : l’art est « cosa mentale » avait écrit Léonard de Vinci. En somme, tout ar-tiste qui privilégie le « disegno », la concep-tion par le biais du dessin, participe de l’Art conceptuel.

Pour Sol LeWitt, tout le chemi-nement intel lectuel du projet ( gri -bouillis, esquisses, dessins, repentirs, mo-dèles, études, pensées, conversations ) a plus de valeur que l’objet présenté. « La couleur, la surface, et la forme ne font qu’accentuer les aspects physiques de l’œuvre. Tout ce qui attire l’attention sur le physique d’une œuvre nuit à la compré-hension. »

D’autre part, une acception restreinte de l’Art conceptuel est circonscrite par Joseph Kosuth ou le groupe d’origine an-glaise Art & Language à travers la revue du même nom. Il s’agit de limiter le travail de l’artiste à la production de définitions de l’art, de répondre à la question « Qu’est-ce que l’art ? » par les moyens de la logique ( Cf. texte de référence de Kosuth ). A la primauté de l’idée, se substitue ici celle de l’exigence tautologique : définir l’art et rien que l’art sans se contredire. Le but de cette restriction de l’activité artistique est de refuser toute visée métaphysique, jugée comme incertaine, pour n’évoluer que dans le domaine du fini, assurément viable. Outre Joseph Kosuth et Art & Lan-guage, de nombreux artistes ont contri-bué à cette recherche, notamment Robert Barry, On Kawara, Lawrence Weiner aux Etats-Unis, Victor Burgin en Grande-Bre-tagne, Bernar Venet et Daniel Buren en France, et ont assuré son développement international.

En résumé, la divergence des deux interprétations dépend de ce que l’on entend par « conceptuel » : l’idée ou la tautologie. Cependant, si cette distinction peut sembler subtile, on ne peut en négliger les implications : à travers l’opposition des deux orientations de l’Art conceptuel, c’est le choix de l’infini ou du fini qui est en jeu.

Bien que remettant en cause l’objet et sa production, l’Art conceptuel n’a cepen-dant jamais pu se passer de réalisations formelles qui se matérialisent le plus sou-vent par la photographie ou l’édition de livres et de catalogues, mais aussi de dia-grammes, de schémas, de plans, de fichiers et d’installations diverses.La spécificité de l’Art conceptuel est parfois difficile à cerner tant par la diversité des démarches artistiques que par l’ampleur de son influence sur différentes tendances contemporaines qui prouve sa vitalité.

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Cette pièce fait partie des Proto-in-vestigations, série de travaux qui annonce l’avènement de l’Art conceptuel. Rappe-lant les Philosophical Investigations de Wittgenstein que Joseph Kosuth cite fré-quemment, cet intitulé a été choisi rétros-pectivement par l’artiste, en fonction de son programme de recherche ultérieur : the First Investigations, the Second… qui s’acheminent vers une réflexion de plus en plus abstraite. Les Proto-investigations désignent en réalité une série d’œuvres conçues dès 1965, mais restées à l’état de notes : « Je ne disposais tout simplement pas de l’argent nécessaire, à cet âge, pour fabriquer des œuvres, et, franchement, il n’y avait pas lieu de le faire, alors que je n’avais pas d’espoir tangible de pouvoir les présenter, et aussi compte tenu de la nature du travail".

Dans One and Three Chairs, un objet réel, une chaise quelconque, est choisi parmi les objets d’usage courant les plus anonymes. Il est placé contre une ci-maise, entre sa photographie – son image reproduite par un procédé mécanique – et sa définition rapportée d’un dictionnaire anglais ( ou bilingue en fonction du lieu d’exposition ). L’ensemble est la triple re-présentation d’une même chose sans qu’il y ait une répétition formelle. Ce qui est mul-tiplié d’une partie à l’autre de l’œuvre, ce n’est pas la chaise réelle, encore trop par-ticulière malgré sa neutralité, ni la photo-graphie qui ne représente que son image du point de vue du spectateur, ni enfin sa définition qui envisage tous les cas réperto-riés de l’emploi du mot « chaise » mais né-glige de fait celui de la chaise réelle et de son image. Il s’agit dans les trois cas d’un degré distinct de la réalité de l’objet. Tous trois désignent, par leur association, une quatrième chaise, idéale et invisible dont le concept se trouve ainsi suggéré, bien plus que défini. Là où défaille l’objet, inter-

vient l’image, et là où celle-ci à son tour dé-faille, apparaît le langage, lui-même insuf-fisant mais déjà relayé par l’objet.

Cette proposition artistique a un coté très « aseptisé », dépersonnalisé. Nous pourrions la comparer à une fiche d’iden-tité judiciaire, parcque cette installation à un aspect très bureaucratique ( archéo-logique, même, comme une fiche objet destinve aux générations futures ) de clas-sement certainement engendré par le fait qu’elle ait été arraché de tout contexte spa-tio-temporel, de toute narrativité.

Kosuth dit lui_même « mon travail actuel traite des multiples aspects d’une idée de quelque chose ». Mais, comme tout spectateur novice, nous tombons dans le piège de l’interêt pour l’objet chaise. C’est à dire que nous pouvons nous poser énor-mément de questions à propos de l’objet exposé, comme :Pourquoi a-t-il choisi cette chaise ?Pourquoi personne n’est assis sur celle-ci ?Pourquoi est-elle complètement décontextualisée ?Est-ce une chaise spé-cialement créée pour cette installation ou a-t-elle appartenu à queqlu’un ?Pourquoi avoir choisi une chaise en bois ?Doit-on y reconnaître une référence à l’art chrétien à travers le fait que l’auteur ait choisi de représenter ce siège trois fois comme la sainte trinité comme l’explosion, la divi-sion d’une seule et même personne ?

Nous pouvons penser que Kosuth nous laisse toute la part d’interprétation et que nous pouvons tout imaginer.

Cepandant, lorsque nous découvrons l’existance de « Glass, one and three » et « One and three box », nous nous aperce-vons que l’objet n’a aucune espèce d’im-portance, c’est l’idée de division du sens d’un seul et même objet qui est essentiel.

Le spectateur perd tous ses moyens devant une telle œuvre car il ne doit pas l’observer de la même manière qu’une œuvre « traditionnelle », bidimensionelle

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et narrative, elle ne correspond à aucune tradition ancrée dans la mémoire collec-tive.

Nous avons finalement beaucoup d’informations sur cette chaise mais ce ne sont que des informations purement techniques et formelles, « artisanales » presque. Le reste « appartient » au spec-tateur et est de l’ordre de l’interprétation personnelle, si une interprétation per-sonnelle est envisageable. Selon Laurent Wolf, Kostuh ferait le constat du dérègle-ment des relations entre la réalité et sa représentation, et ce depuis la seconde guerre mondiale et l’influence grandis-sante des images et de leur pouvoir de per-suasion.

Il établis toute une théorie à propos de cette chaise, faisant des corrélations entre l’œuvre de Kosuth et la crise de chaise vide, avec l’ONU, l’URSS ; l’installation faisant référence à cela.

Cette théorie prouve bien que nous sommes libre de l’interpréter comme on l’entend, selon nos propres références socio politico culturelles, mais Wolf semble s’être fait piégé en n’ayant pas compris le sens de l’œuvre, puisqu’il s’intéresse à la chaise et sa symbolique. Kosuth a du choisir une chaise comme il aurait pris un balais. Au début de sa carrière il exécuta d’ailleur des peintures achromatiques car le noir, le blanc et le gris seraient des teintes rtansculturelles ; c’est-à-dire que les cou-leurs feraient nécessairement référence plus ou moins implicitement à une symbolique religieuse, culturelle, sociale, ect...Selon Kosuth lui-même, ce qui est intéressant dans « One and three chair » c’est que l’on puisse modifier le lieu, l’objet, la photo, sans modi-fier la nature de l’œuvre, la voloné de l’ar-tiste. On peut donc proposer une œuvre d’art qui est l’idée de l’œuvre d’art, la réali-sation plastique d’un concept.

INFLUENCES

Nous pouvons voir une influence des surréalistes et peut être plus par-ticulièrement de « Ceci n’est pas une pipe » de René Magritte dans les années trentes, mettant en garde contre le pou-voir des images, nous précisant que la représentation de l aréalité n’est pas la réalité elle même. L’influence de Dada est bien entendu essentielle à travers les jeux créés autour des mots, de la typogra-phie et des lettrages comme « Une nuit d’échec gras », 1920, de Tristan Tzara, ou « L’œil cacodylate » de Francis Picabia, en 1921, et leur célèbres cadavres exquis.

L’un des artistes qui a le plus marqué Kosuth est Ad Reinhardt, le précurseur de l’art conceptuel avec ses « ultimate pain-ting », quasi monochrome, plus proche de l’œuvre de Malevitch que de l’expres-sionnisme abstrait. Reinhardt insista sur la notin de la tautologie artistique : il dit « l’art c’est l’art en tant qu’art et tout le reste est tout le reste».

C’est à partir de son travail que Kosuth a réellement développé sa pratique artistique. L’influence des théories linguis-tiques de Wittgenstein, essentiellement les « investigations philosophiques », est également claire. Selon lui, le seul usage correct du langage est d’exprimer des choses concrètes et perceptibles, il rejette l’enseignement philosophique parce-qu’il cherche à démontrer des notions abstraites. Précisons toutefois, qu’à la fin de sa carrière, il contredira totalement cette théorie.Kosuth reprendrait, égale-ment, la théorie d’Alberti, expliquant et théorisant l’idée qu’une œuvre est avant tout cosa mentale, c’est-à-dire qu’elle est d’abord un concept ou une idée avant d’être une réalisation, un objet d’art. Pour mieux comprendre cette œuvre et étayer

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nos propos, nous citerons Taraboukine qui nous dit que « le contenu de l’œuvre d’art se compose de deux éléments : l’idée et la forme. En matière d’art, il est impossible de penser une représentation sans son conte-nu, il ne peut y avoir d’œuvre dépourvue de contenu. Le contenu de l’art est l’dée investie dans une forme artistiquement maî-trisée».Peut-être pouvons nous reconnaître les prémices de cet art conceptuel dans des œuvres antérieures à celles de « Duchamp » avec le tableau de Paul Bihaud « Combat de nègres dans un tunnel », 1882, un mono-chrome noir, ou « Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige », 1883, un monochrome blanc.

Sans le titre, l’œuvre n’est rien, il nous est éclaire, nous donne le sens de l’œuvre. C’est de la dérision de l’hu-mour, le détournement des grands genres.

Cette œuvre marque une rupture avec la pratique picturale antérieure et un passage vers l’art contemporain. C’est une œuvre de constat, de questionnement sur l’essence de l’art, sur son rôle.

Kosuth propose une nouvelle manière d’aborder l’art. Il laisse toute la part d’in-terprétation au spectateur et cherche éga-lement à le destabiliser.

Selon quelques théoriciens, l’art conceptuel marquerait la fin de la pein-ture. Il semblerait qu’elle marque bien plus q’une fin, le début d’une nouvelle ère et peut-être d’un nouveau dispositif qui s’ajouterait à celui de l’objet tableau. Car si la peinture a perdu sa place éminente, il n’empêche que de nombreux artistes restent fidèles à cette techinique et à ce mode de représentation. Même s’il est essentiel de préciser que pour Kosuth le répertoire formel de la peinture était épuisé, que la pratique picturale était re-dondante, qu’elle était même condamnée parce que se préoccupant trop de valeurs esthétiques formelles.

Pour Kosuth l’art est une tautolo-gie, l’œuvre d’art est une proposition de définition de l’art. La fin des années cin-quantes et le début des années soixante ont vu naître un nouvel arbre généalogique ar-tistique que l’on peut placer sous la banière du terme très généraliste ( et finalement très vague ) qu’est l’art conceptuel, comme les suppor ts sur face, F luxus, Dan Graham, Eva Hesse, Joseph Beuys, Roman Opalka...

Puisqu’à partir du moment du moment où des artistes remettent en question la notion d’art, nous pouvons parler d’art conceptuel.

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Il cite Freud : une image ou une idée refoulée peut émerger à la conscience seu-lement si elle est niée. K voudrait signaler qu’il y a autre chose derrière ces mots…Lacan : barrer est une opération primaire de l’inconscient.

Seconde investigation en 1968 : il uti-lise des supports d’information publics tels les panneaux d’affichage pour diffuser des textes auto-référentiels. Par exemple, dans les rues de Genève en 1979 : « ce texte ( tel une publicité, un instrument, une fenêtre ) participe à un ensemble plus vaste, imper-ceptible, qui vous y relie. Sa présence ici ( de même que la vôtre ) semble naturelle. A l’instar d’autre réclame, ce texte s’annonce lui-même, tout en feignant de s’adresser à vous. Sa signification en tant qu’instrument est hypothétique, sinon vide. Comme par une fenêtre, il faut voir à travers pour qu’il fonctionne mais, si vous êtes conscients que c’est une fenêtre, vous ne devez pas voir à travers. » ( la « fenêtre» fait penser à Alberti : le tableau est la fenêtre à partir de laquelle on contemple l’histoire, ici la fenêtre est bouchée ).Cette oeuvre se trouve dans la mouvance d’une volonté de s’emparer des supports d’information publics pour en dévoiler le caractère auto-ritaire des messages diffusés. Faire appa-raître l’aliénation des consommateurs à ces messages. Televisions delivers people de Richard Serra en 1973, est proche du message de Kosuth : sous fond d’une petite musique d’ambiance ( un peu de musique de salle d’attente, ou d’attente télépho-nique ) défilent des phrases telles « vous êtes le produit de la tv , c’est le consomma-teur qui est consommé» , vous êtes le pro-duit final …

D’autres artistes, tel Lawrence Weiner ont utilisé les affiches dans les espaces pu-blics, à côté d’un travail de galerie : ceci montre l’attention portée par les artistes conceptuels au cadre socio-politique et

historique dans lequel ils se situent. Volon-té d’agir dans ces champs. Réaction au concept moderniste d’un art enfermé au musée. En décembre 1966: Homes for America de Dan Graham, paru dans Arts Magazine : critique du minimalisme à partir de l’architecture modulaire. Il juxta-pose photos et textes. A travers un moyen de diffusion pop, la reproduction photo était une sorte de » ready-made jetable» dit B. Buchloh.

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Jospeh Kosuth en a réalisées beau-coup. Dont une permanente au musée Champollion de Figeac, où il a fait faire une sorte de tirage agrandi de la pierre de Rosette qui est ainsi présenté par terre devant le musée. Une en ce moment au Louvre. Plan de Art After Philosophy : dis-tinction entre esthétique et art, critique du formalisme, puis Kosuth exprime sa posi-tion : l’art équivaut à une proposition ana-lytique. Kosuth expose sa théorie en un plan systématique.

LA FIN DE LA PHILOSOPHIE

Art After Philosphy est un titre ambi-guë : l’art après la philo ou l’art d’après la philosophie, c’est à dire qui s’en inspi-rerait ? L’expression « la fin de la philoso-phie et le commencement de l’art « , em-ployée dans la première partie, clarifie sa position. L’art après la philosophie, dans le sens où l’art ne serait plus dépendant de la philosophie, s’en serait affranchi.

En cela le philosophe analytique A. Danto a une position nettement antago-niste à celle de Kosuth lorsqu’il dit en 1993 que l’art est devenu de la philosophie.

-Dans Art After Philosphy, Kosuth tente tout d’abord de dresser une sorte de généalogie de l’art conceptuel : « La philo traditionnelle presque par définition s’est préoccupée du non-dit. Les philosophes de la linguistique analytique se concentrent exclusivement sur le dit : le non-dit est non-dit parce qu’il est indicible». paraphrase ici Wittgenstein. L’influence de Hegel fut telle qu’aujourd’hui les philosophes ne sont plus que des historiens de la philoso-phie, des bibliothécaires de la Vérité pour ainsi dire. C’est comme si il n ‘y avait plus rien à dire. « et assurément, une fois qu’on

a réalisé les implications de la pensée de Wittgenstein, de celle qu’il a influencée et de celle qui lui a précédé, on ne peut prendre au sérieux la philosophie euro-péenne.»

Kosuth exprime ici que la philoso-phie analytique est l’aboutissement de la philosophie traditionnelle, elle en a pris le relais. Hegel prévoyait la fin de l’histoire comme la fin de sa philosophie, la philo-sophie dialectique. De surcroît c’est même la philosophie européenne dans son entier qu’il vise : la philo analytique US vient lui succéder. Nous sommes dans une nouvelle ère. ( une telle proclamation n’est-elle pas un geste fasciste ? ).

Il parle aussi d’ irréalité de la philo d’aujourd’hui . Le passage qui suit confirme ce qu’il dit plus haut : « nul besoin de démontrer ici que le monde, tel que le 20e siècle le perçoit, diffère radicalement de celui du siècle précédent. Est-il donc possible que l’homme ait en effet tant appris et que son intelligence soit devenue telle, qu’ilne puisse plus croire aux raison-nements de la philo traditionnelle ? Qu’il en sache trop sur le monde pour pouvoir tirer ce genre de conclusions ? »

Le XXe siècle a inauguré une époque que l’on pourrait appeler « la fin de la phi-losophie et le commencement de l’art» . ce que j’entends par là n’est pas à prendre au pied de la lettre bien sûr, il s’agissait plutôt d’une « tendance» actuelle. On peut cer-tainement considérer la philo linguistique comme héritière de l’empirisme, seule-ment, c’est une philo à une seule vitesse. De même, l’art avant Duchamp présente sans doute une condition d’art seulement ses autres fonctions ou raisons d’être sont si prégnantes que sa capacité à fonctionner clairement comme art limite drastiquement sa propre condition d’art, au point que ce n’est plus que de l’art qu’a minima. critique du lien historique entre art et esthétique par

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Kosuth : L’assujettissement esthétique de l’art avant Duchamp. l’esthétique ici porte sur les opinions relatives à la perception du monde en général « l’art avant Duchamp ne présentait qu’une condition d’art, il était assujetti à tort à l’esthétique parce que, nous dit-il, l’art n’a rien à voir avec l’esthétique. Il vise ici l’esthétique du point de vue kantien du jugement de goût. L’art était dépendant de ce jugement.» Par le passé, l’un des deux axes de la fonction de l’art était sa valeur décorative. Aussi toute branche de la philosophie qui traitait du « beau « , et donc du goût, se devait par la même occasion de débattre de l’art. c’est de cette attitude qu’est née l’idée selon la-quelle il existerait un lien conceptuel entre art et esthétique, ce qui est faux. « critique en deux temps de Kosuth :

1—la philo analytique a succé-dé à la philo traditionnelle.

2—l’art n’est purement de l’art que depuis Duchamp parce qu’il s’est enfin affranchi de l’esthétique.

Selon Hegel :La réflexion sur l’art im-plique la fin de l’art, au sens où cette fin est un dépassement de l’élément sensible vers la pensée pure et libre. Ce dépassement doit se réaliser selon Hegel dans la religion et la philosophie. Kosuth, lui, s’arrête à l’art. Il n’envisage pas quoi que ce soit au-delà de l’art.

Pourquoi ? Parce que comme il le dit plus loin « l’art est une proposition analytique « et se doit d’être tautolo-gique : il est autosuffisant. Alors que chez Hegel, l’art n’est qu’ « une étape de tran-sition» ( A. Danto ), un moyen pour que la pensée libre aboutisse à la pleine connais-sance d’elle-même. Ainsi, à la différence de Hegel où la fin de l’art ( et de l’histoire ) coïncide avec l’avènement de la connais-sance absolue, une pensée libre et plei-nement consciente d’elle-même, Kosuth ne nous parle pas de la pensée. Comme

si l’art était un objet autonome et que tout s’arrêtait là. L’art est tautologique, auto-ré-férent, tourné sur lui-même : il est la fin de sa fin. L’avènement de l’art se trouve dans la philosophie de l’art selon A. Danto.

Pour Danto : après Duchamp, l’art est devenue philosophie. Il ne remet pas en question le fait que l’art avant Duchamp ait été ou non de l’art. Il dit que la philoso-phie est l’aboutissement de l’art. Kosuth & Danto, tous les deux hégéliens dans le sens où ils veulent absolument soit une fin de la philosophie soit une fin de l’art! Il faut en finir avec soit l’un soit l’autre. Danto dans « L’assujettissement philosophique de l’art»: « La mission historique de l’art est de rendre la philosophie possible, après quoi il n’aura plus de mission historique dans le grand mouvement cosmo- histo-rique. La formidable vision philosophique de l’histoire proposée par Hegel trouve – presque- une confirmation étonnante dans l’oeuvre de Duchamp, qui pose la ques-tion de la nature philosophique de l’art : cela implique que l’art est déjà une forme vivante de philosophie, et qu’il s’est main-tenant acquitté de sa mission spirituelle en révélant l’essence philosophique qui constitue son noyau. La tâche peut dès lors être confiée à la philosophie proprement dite, qui est armée pour venir directement et définitivement à bout de la question de sa propre nature. Ainsi l’art trouve-t-il enfin son accomplissement et son aboutisse-ment dans la philosophie de l’art. « L’art s’achève avec l’avènement de sa propre philosophie.» La philosophie de l’art dont parle Danto est à distinguer de « l’esthé-tique» comme jugement de goût kantien à laquelle se référait Kosuth. La philosophie de l’art vise au dépassement de l’élément sensible vers la pensée pure et libre. L’art étant pour Hegel une objectivation de la conscience par laquelle elle se manifeste à elle-même.

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La fin de la philosophie tradition-nelle se trouve dans la philosophie analy-tique, celle-ci ouvre une nouvelle ère.

Le XXe s a inauguré une époque que l’on pourrait appeler « la fin de la philo-sophie et le commencement de l’art « ce que j’entends par là n’est pas à prendre au pied de la lettre bien sûr, il s’agissait plutôt d’une « tendance actuelle» Ceci est juste une formule choc . Il n’explique pas en quoi la philosophie serait morte, ni en quoi la philosophie analytique serait la seule valable.

Or Kosuth disait plus haut que la phi-losophie analytique était la succession de la philosophie traditionnelle, il disait qu’une philosophie avait pris la place de l’autre. Pas que la philosophie avait dis-paru.

Si l’on s’attachait à prendre au pied de la lettre l’expression de Kosuth, on pourrait en déduire alternativement que Soit ce qu’il appelle philosophie analy-tique n’est pas de la philosophie mais de l’art, puisqu’il dit qu’elle a remplacé la phi-losophie traditionnelle. Ce ne serait que de la rhétorique. Dans ce cas l’art serait vraiment l’ « avènement de la philoso-phie», pour renverser la formule de Danto.

Soit que la philosophie analytique a remplacé l’art. Cette deuxième hypo-thèse serait valable au regard de l’œuvre de Kosuth, puisqu’il définit l’art comme une proposition analytique, cad un art qui traiterait exclusivement de la défini-tion de l’art. Danto justifie la fin de l’art par le fait que, dans l’art contemporain, « les objets s’approchent du point zéro à mesure que leur théorie s’approche de l’infini : « Le grand drame de l’histoire, qui dans la philosophie de l’esprit de Hegel est une divine comédie de l’esprit, peut prendre fin dans un moment final d’éveil de soi, l’éveil consistant en lui-même. L’im-portance historique de l’art réside dans le

fait qu’il rend possible la philosophie de l’art et la dote de son importance. Si main-tenant nous abordons l’art du passé récent en ces termes grandioses, il est vrai, nous voyons quelque chose dont l’existence en tant qu’art dépend de plus en plus de la théorie, si bien que celle-ci n’est pas exté-rieure au monde qu’elle cherche à com-prendre, et qu’en comprenant son objet elle doit se comprendre elle-même. Mais les productions récentes présentent encore une autre caractéristique, à savoir que les objets s’approchent du point zéro à mesure que leur théorie s’approche de l’infini, de sorte que virtuellement tout ce qui reste enfin est la théorie, l’art s’étant volatilisé dans l’éblouissement de la pure pensée à propos de lui-même et ne subsistant plus en quelque sorte que comme l’objet de sa propre conscience théorique. »

Danto ne parle à aucun moment des artistes conceptuels. Les noms de Kosuth, Wiener ou Graham entre autres ne sont cités à aucun moment, bien que son essai ait été écrit en 1993! Soit presque 30 ans après les débuts de l’art conceptuel.Il se contente de rester très vague. Il ne pro-pose aucune analyse d’œuvres d’artistes contemporains. Ce qui ne permet pas de cerner ce qu’il entend par « théorie « par exemple lorsqu’il en parle.

La plupart des artistes conceptuels tel Wiener ou Barry ont formulé des énon-cés écrits qui n’étaient non pas consi-dérés comme théoriques mais comme artistiques. Ils se sont beaucoup nourris de la philosophie de l’époque et ont écrit des texte théoriques pour expliquer leur pratique, comme l’ont fait les artistes de tous temps. Beaucoup d’entre eux se sont intéressés au structuralisme, à la linguis-tique, la sémiotique, ou la philosophie analytique pour Kosuth.

Nombreux ont d’ailleurs fait des études de philosophie. Ils ont pour la plu-

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part une activité d’écriture théorique mais leur oeuvre « plastique» , bien qu’elle uti-lise le langage comme matériau, est à dif-férencier d’une oeuvre théorique. Les seuls à considérer une oeuvre théorique comme une oeuvre d’art sont Art & Langage et Kosuth.Puisque l’art est pour eux la défini-tion de l’art. Ce qui est une appréhension évidemment très restrictive.

Joseph Kosuth dit que la philosophie n’existe plus et que la seule chose qu’il reste est l’art.

Quoique cette formule ait été écrite pour le plaisir d’écrire une formule choc. De l’autre côté, Danto dit que l’art n’existe plus parce qu’il a trouvé son avè-nement dans la philosophie de l’art. L’art est devenu une pensée pure, il est main-tenant immatériel. Mais Danto ne se pro-nonce pas sur la différence entre» pensée « tout court, qui n’est pas nécessairement une pensée philosophique de l’art et « pensée théorique» , philosophique. Il n’en parle pas alors qu’elle pourrait être essen-tielle quant à la distinction entre art et phi-losophie. La fin de l’art se trouverait ainsi soit dans l’art soit dans la philosophie. En aucun cas elle ne se trouverait dans les deux à la fois. Chacun tente de donner une justification à sa théorie sans jamais réus-sir à la démontrer pleinement.

Le point de vue de Lawrence Weiner quant au rapport entre esthétique et art est plus heureux : Interview avec Robert C. Morgan ( dans Having Been Said, Law-rence Weiner, writings & interviews, 1968-2003, p102 ).

LW — « on ne peut pas sous-traire l’esthétique à l’art. L’art est essen-tiellement l’utilisation de l’esthétique, soit à des fins métaphoriques, soit à des fins purement matérialistes. Parler d’art sans parler d’esthétique signifie que vous ne parlez pas d’art.

RM — c’est intéressant que vous

disiez cela, puisqu’un des essais de Kosuth dans

les années 1960 identifiait l’esthé-tique comme une préoccupation purement moderne.

LW — Oui, mais c’est parce que c’était une personne qui n’avait aucune éducation. Il est toujours à peu près comme ça aujourd’hui. Dans la plupart des dépar-tements de philosophie, et quel que soit leur mérite, vous remarquerez que l’esthé-tique et l’éthique sont traités de manière synonyme. On ne peut pas retirer l’esthé-tique et l’éthique de la société contempo-raine. Si vous le faites, vous devenez aca-démique, et ainsi vous ne fonctionnez plus comme un artiste. Un artiste est quelqu’un qui utilise les recherches de l’académie pour une sorte de présentation esthé-tique. » Barnett Newman a dit que « l’es-thétique est à l’artiste ce que l’ornithologie est aux oiseaux».

A la différence de Weiner, il n’importait pas tant à Newman que l’artiste agisse comme « dialecticien de la culture», selon l’expression de Weiner. Enfin pour quelqu’un qui a tout de même pas mal réfléchi à la question du sublime ( sa fameuse expression ) «the sublime is now» ainsi que ses peintures le montrent de manière trop évidente , cette déclaration devait être une boutade. Main-tenant que ces points de vue quant à la fin de la philosophie ou la fin de l’art on été confrontés, revenons au texte de Kosuth. Il a écrit cet essai, comme il le dit, pour per-mettre à autrui de comprendre sa propre démarche et d’ éclaircir la compréhension du terme « art conceptuel»

Il expose sa théorie selon laquelle l’art se doit d’être une définition de l’art en passant par une critique de l’art formaliste puis en s’appuyant sur l’héritage des ar-tistes qui l’ont influencé .

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Malgré sa critique de la philosophie traditionnelle au début d’Art After Philo-sophy, Kosuth ne peut pas s’empêcher de construire son essai selon un plan en trois parties : il n’échappe pas au raisonnement systématique.

LA DÉFINITION DE L’ART SELON JOSEPH KOSUTH

1er critère— l’art doit interro-ger la nature de l’art ( sinon ce n’est pas de l’art ). l’art formaliste est selon Kosuth un art sans idée artistique. « l’art forma-liste, c’est l’avant-garde de la décora-tion», c’est un art lié à un jugement de goût et « Greenberg est par dessus tout le cri-tique du goût». La définition de l’art selon l’art et la critique formalistes se base sur des critères morphologiques, des consi-dérations de forme. La critique formaliste n’est rien d’autre qu’une analyse des attri-buts physiques des objets donnés dont il se trouve qu’ils existent dans un contexte morphologique. L’art formaliste n’est de l’art qu’en vertu de sa ressemblance avec des oeuvres antérieures. C’est un art sans esprit. Ou pour reprendre la formule lapi-daire de Lucy Lippard à propos des pein-tures de Jules Olitski : « c’est de la musique d’ascenseur pour les yeux.»

Le plus grand reproche que Kosuth adresse aux formalistes, c’est qu’ils n’in-terrogent jamais la nature de l’art : « être un artiste aujourd’hui, c’est interroger la nature de l’art. Lorsqu’on interroge la nature de la peinture, on n’interroge pas la nature de l’art. Quand un artiste admet la peinture ( ou la sculpture ), il admet toute la tradition qui va avec. «

Selon Kosuth, la peinture ne peut pas interroger la nature de l’art, parce qu’elle

est trop ancrée dans la tradition. Elle est dépassée de par sa nature même. Interro-ger la nature de la peinture de l’intérieur même de la pratique picturale ne serait pas de l’art… Arguments contre Kosuth : 2e cri-tère— En 1947, Dubuffet dit : « une pein-ture aussi j’aime que ça soit à la limite de n’être plus une peinture. C’est à l’instant de disparaître que le signe chante…» Robert Barry, conceptuel ( mais dialectique ), parle de « peindre un tableau qui n’en est pas un». …Mais selon Kosuth, ce ne serait pas interroger la nature de l’art. Plus loin, Kosuth dit : «Après Duchamp, on peut mesurer la « valeur» de chaque artiste en se demandant jusqu’où il a interrogé l’art ; ce qui revient à se demander « qu’a-t- il ajouté à la conception de l’art ?( … ). La substance même de l’art estprofondément liée à la création de nouvelle proposi-tions. « L’art doit être contextuel et doit être un commentaire sur l’art : la fusion d’une interprétation de Duchamp, Reinhardt et Judd dans l’œuvre de Kosuth. L’art doit être contextuel : Duchamp et Judd

Ce qu’il retient de Duchamp et de Judd, c’est le caractère contextuel de l’œuvre d’art. Une œuvre d’art est une chose présentée dans le contexte artis-tique. C’est la seule condition qui fait d’elle une œuvre d’art.

L’œuvre de Duchamp : Kosuth en a une lecture restrictive. En fait, il ne s’inté-resse qu’à la déclaration artistique, la nomination. Il réduit le modèle du ready-made à une simple proposition analy-tique. ( il ne s’intéresse pas au caractère même des objets utilisés par Duchamp et ce qu’ils véhiculent: une pissotière pour Fontaine par ex ) B Buchloh : » ( … ) ainsi Art&Language et Kosuth, en 1969, mettent en avant la « proposition analytique « in-hérente à chaque ready-made, à savoir, « ceci est une oeuvre d’art» , par-dessus tous les autres aspects qu’implique le

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modèle du ready-made ( sa logique struc-turelle, son caractère d’objet utilitaire et de bien de consommation produit indus-triellement et en grande série, et sa dépen-dance par rapport au contexte qui lui af-fecte un sens ). « Kosuth et Art & Language se réfèrent aussi à l’exemple d’esthétique déclarative de R. Rauschenberg en suiveur de Duchamp ( « c’est un portrait d’Iris Clert si je dis qu’il en est ainsi» ).

Ceci rejoint la position de Judd, le 3e artiste par lequel il dit avoir été influencé : « si quelqu’un appelle ça de l’art, c’est de l’art». chez Judd, l’utilisation de la boîte ou du cube illustre tout à fait notre affirma-tion précédente selon laquelle un objet n’est de l’art qu’à condition d’être situé dans le contexte de l’art « Judd est anti-européen, ce que semble aussi être Kosuth quant à ce qu’il dit de la philosophie euro-péenne. L’influence de Reinhardt : l’art doit être tautologique.

Sa formule « Art as art» montre une conception close de l’art. Reinhardt : « je n’ai jamais été d’accord avec Duchamp ni n’ai aimé quoi que ce soit de lui. Il faut choi-sir entre Duchamp et Mondrian». -La for-mule « art as idea as idea» ,de Kosuth, est la fusion de « art as art» de Reinhardt avec la répartie de Duchamp : « toute mon oeuvre d’avant le Nu était le la pein-ture visuelle. Puis j’en vins à l’idée…». Il l’exprime ici : « Nous pouvons en déduire qu’une oeuvre d’art est une sorte de propo-sition présentée dans le contexte artistique comme un commentaire sur l’art. Il est en-suite possible d’aller plus loin en analysant les différents types de « propositions». puis : les oeuvres d’art sont des propositions analytiques( … )En effet, il est quasi impos-sible de débattre de la question de l’art en termes généraux sans s’exprimer par tauto-logies . il cite Alfred Ayer : il n’y a pas de propositions empiriques absolument cer-taines. Seules les tautologies peuvent l’être.

Tautologie : montrer ce que l’on sait déjà, ce qui est certain. C’est une position qui est réactionnaire pour un artiste, et po-sitiviste. La plupart des artistes au cours de histoire de l’art ont tendu à aller vers l’in-connu. Robert Barry : «Je tente de peindre ce que je ne connais pas. Il me paraît

ennuyeux de peindre ce qui annonce ce que je sais déjà…»

Kosuth a dit que « les oeuvres d’art qui tentent de nous dire quelque chose sur le monde sont vouées à l’échec…l’ab-sence de réalité en art est exactement la réalité de l’art». the 6th investigation. Une telle déclaration révèle avec évidence à quel point Kosuth est loin de la démarche des artistes conceptuels dialectiques tels Wiener, Graham, Barry, Huebler…

Pour Weiner , l’art doit toujours garder un lien avec le réel. Ses énon-cés lancent par écrit des actions toujours réalisables matériellement dans la réa-lité. Même s’ils n’ont pas besoin d’être réalisés pour faire l’œuvre, puisque la phrase écrite suffit à elle seule. On a pas besoin de lancer une balle dans les chutes du Niagara pour constituer l’œuvre, l’écrit suffit. Mais on peut le faire.

Dan Graham : son travail part d’une réalité historique et sociale. Il a un rapport évident avec la réalité. Par ex : Homes For America, 1966. La position de Kosuth se révèle conservatrice en refusant de recon-naître tout lien entre la réalité et l’art. Il conserve ainsi la position des moder-nistes, qu’il avait critiqués du point de vue du formalisme.

Voici ce qu’en dit B. Buchloh dans son essai De l’esthétique d’administra-tion à la critique institutionnelle en 1989 : Ainsi, tout en affirmant remplacer le for-malisme de Greenberg et de Fried, il pro-cédait à une mise à jour de l’entreprise d’autoréflexivité moderniste et il stabili-sait la notion de pratique artistique désin-

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téressée et autonome « Buchloh ajoute que Kosuth plaidait» précisément pour la continuation et le développement de l’héritage positiviste du modernisme avec ce qui devait lui sembler, à l’époque, les moyens les plus radicaux et les plus avan-cés de cette tradition, à savoir la philoso-phie du langage et le positivisme logique de Wittgenstein ( il proclame haut et fort cette continuité dans la 1ère partie d’Art After Philosophy, quand il écrit « il est certain que la philo linguistique peut être l’héritière de l’empirisme…» Buchloh sou-ligne encore que Kosuth, par le simple fait de vouloir dresser une généalogie de l’art conceptuel au début d’Art After Philosophy, se contredit lorsqu’il clame que l’oeuvre d’art ne peut rien dire du monde. Kosuth dit en effet déjà quelque chose , si ce n’est du monde, du moins du monde de l’art, remarque Buchloh. « Une partie considérable d’Art After Philosophy s’efforce de construire et d’élaborer une généalogie de l’art conceptuel, en soi et de soi-même un projet historique ( ainsi, « tout l’art ( après Duchamp ) est concep-tuel ( par nature ), parce que l’art n’existe que conceptuellement. Cette construction d’une lignée contextualise et historicise déjà en nous disant quelque chose sur le monde de l’art, à tout le moins ; c’est dire qu’elle opère, sans le vouloir, comme une proposition synthétique ( même si c’est seulement à l’intérieur des conventions d’un langage en particulier ) et qu’elle dénie par là même la pureté et la possibili-té d’autonomie d’une production artistique qui fonctionnerait comme la simple propo-sition analytique à l’intérieur du système de langage de l’art.

Kosuth ne parvient pas non plus à exprimer sa position autrement que par un plan en trois parties, nous l’avons souligné plus haut. Quelques autres points sur les-quels il est en opposition radicale avec les

artistes conceptuels dialectiques. Kosuth — «il est nécessaire, pour

pouvoir apprécier et comprendre l’art contemporain, d’être préalablement in-formé sur le concept d’art ainsi que sur les concepts propre à un artiste ». Kosuth dit qu’il s’intéresse aux relations entre les rela-tions.

Weiner dit que l’art traite des rela-tions que les êtres humains entretiennent aux objets.

Kosuth — « l’art n’existe que pour lui-même , il n’est pas utile : faux selon Weiner. Il dit que l’artiste a un rôle social dans la société. Il doit être actif au sein même de la culture. Weiner dit que le mot d’ artiste est une appellation conve-nable pour ce qu’il fait, il ajoute qu’il se considère comme un « dialecticien de la culture». Une chose qui le rapproche de certains des conceptuels dialectiques : la raison pour laquelle il en est arrivé à l’uti-lisation du langage pour des œuvres d’art plastique. Ils trouvaient que le langage était une manière de transmettre quelque chose qui soit universel et général. C’était leur manière de réagir face au dévelop-pement de la société de consommation. « Dire plus avec moins» , c’est ainsi que Lucy Lippard avait qualifié la démarche des ar-tistes conceptuels. ( à la différence des mi-nimalistes qui disaient « moins c’est plus».

Kosuth — « Le monde entier est offert aux regards, et le monde entier peut du fond de son canapé regarder l’homme marcher sur la lune. On ne peut bien sûr attendre ni de l’art ni des objets de la peinture et de la sculpture qu’ils riva-lisent avec ce genre d’expérience. « Des peintres aussi ont su répondre à ces faits : Richter, Buren… ont très bien su agir aussi. Selon leur sensibilité .

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Joseph Kosuth a étudié de 1955 à 1962 au Toledo Museum School of Arts, en 1963 au Cleveland Art Institute et de 1965 à 1967 à la School of Visual Arts de New York. En 1965, il expose son œuvre One and Three Chairs qui fait de lui l'un des fondateurs de l'art conceptuel.En 1968, il est sélectionné par Marcel Duchamp pour une bourse de la Fondation Cassandra.En 1969, il est rédacteur du journal Art and Language et travaille avec le groupe artis-tique du même nom. En 1972, il participe à la Documenta 5 à Cassel avec le projet Index 0001.En 1971 et 1972, il étudie l'anthropologie et la philosophie à la New School for Social Research de New York.Kosuth a enseigné à la Hochschule für Bildende Künste de Hambourg, à l'Aca-démie des Beaux-Arts de Stuttgart ( 1991-1997 ), à la Kunstakademie de Munich ( 2001-2006 ). Il enseigne actuellement à l'Istituto Universitario di Architettura de Venise. En 1993 est nommé Chevalier des Arts et Lettres par le gouvernement fran-çais. En 2007, il inaugure une installation permanente, un néon rouge, au Flux Labo-ratory, en Suisse, pour laquelle il choisit une phrase de Jean-Jacques Rousseau: « Les affections de nos âmes, ainsi que les modifications de nos corps, y sont dans un flux perpétuel".En 2010, il est invité par le Musée du Louvre pour réaliser une créa-tion in situ : il écrit au néon des phrases inspirées de Nietzsche sur les murs du Louvre médiéval.

« J’ai peu à peu considéré le langage comme un matériau légitime. Une partie de son attrait s’explique par le fait qu’il est si contraire à l’art de l’époque, qu’il me parais-sait très personnel. J’avais l’impression d’y être arrivé comme à une solution personnelle à des problèmes artistiques personnels. »

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