Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

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  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

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    Revue Philosophique de Louvain

    Approches de Hegel (suite et fin)Joseph Moreau

    Citer ce document Cite this document :

    Moreau Joseph. Approches de Hegel (suite et fin). In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 80, n46, 1982.

    pp. 191-224;

    doi : 10.3406/phlou.1982.6183

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183

    Document gnr le 25/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1982.6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1982.6183http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_46_6183http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
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    Rsum

    La vogue de la philosophie hglienne vient de ce qu'elle rpond une exigence d'absolu, inhrente

    la pense mtaphysique, en mme temps qu'elle rejette la transcendance ontologique, qui rpugne

    la mentalit positiviste. Rien ne saurait tre au del de l'espace et du temps, et il n'est d'autre absolu

    que les ralisations de l'esprit dans l'exprience et dans l'histoire. La description de telles ralisations

    fait l'objet de la Phnomnologie de l'Esprit; mais pour reconnatre dans ce progrs historique la

    manifestation de l'absolu, il faut une rflexion capable de saisir dans l'exprience et dans l'histoire

    l'effet d'une ncessit rationnelle, la ralisation d'une exigence pure de la raison, d'o rsulte la

    rationalit du rel. La Phnomnologie de l'Esprit requiert donc comme fondement une Logique, qui ne

    se rduit pas une thorie du raisonnement formel, qui ne consiste pas non plus dans une critique de

    la connaissance, examinant les conditions de l'accord entre la pense et son objet, mais qui s'exerce

    dans une construction systmatique, par laquelle l'esprit produit lui-mme son objet mesure qu'il

    prend conscience de lui-mme, des exigences de la raison.

    C'est de Spinoza que Hegel a reu cette conception de la philosophie comme systme, de la logique

    comme exprience de la puissance native de l'entendement; mais il reproche obstinment

    Spinoza de n'avoir pas su montrer comment de la considration de l'tre abstrait ou substance la

    pense s'lve ncessairement la conscience de soi, la notion de l'tre comme sujet ou esprit. Cedpassement de l'latisme s'accomplit cependant, estime Hegel, dans la dialectique platonicienne, o

    l'opposition de Ytre et du non-tre est surmonte au moyen des relations du mme et de Vautre; ce

    qui chappe toutefois Hegel, c'est que cette dialectique des genres suprmes, par o se dterminent

    les objets de l'entendement, est subordonne dans le platonisme une construction ontologique, qui

    se rfre une exigence absolue, qui requiert un principe inconditionn, l'activit d'un Intellect

    transcendant.

    Dans la synthse noplatonicienne, l'esprit ou l'Intellect n'est pas l'absolu, la premire hypostase; mais

    c'est par sa conversion vers l'Un ou Premier principe qu'il se constitue en mme temps que l'Univers

    intelligible ; et la Nature ou le monde sensible est drive de lui, comme troisime hypostase. Dans Y

    Encyclopdie hglienne, au contraire, la Nature est l'extriorisation de l'Ide, du logos abstrait, et

    c'est par le retour soi de l'Ide que l'Esprit se constitue progressivement, est reconquis sur la Nature.

    L'hglianisme apparat donc comme un noplatonisme renvers, qui pourrait se rsumer en ces

    termes: l'tre abstrait, l'objet le plus gnral de la pense, peut tre tenu pour l'absolu prsent notre

    esprit, mais non reconnu comme tel ; et c'est seulement quand nous aurons pris conscience de lui qu'il

    sera lui-mme rellement et pour soi, sujet conscient, Esprit absolu ou Dieu. Mais n'est-ce pas l une

    proposition aberrante {ein ungereimter Satz, et dit Kant), la conclusion d'une dialectique qui renonce

    la conversion primordiale, et qui veut aller l'absolu la tte en bas? troisime hypostase. Dans Y

    Encyclopdie hglienne, au contraire, la Nature est l'extriorisation de l'Ide, du logos abstrait, et

    c'est par le retour soi de l'Ide que l'Esprit se constitue progressivement, est reconquis sur la Nature.

    L'hglianisme apparat donc comme un noplatonisme renvers, qui pourrait se rsumer en ces

    termes: l'tre abstrait, l'objet le plus gnral de la pense, peut tre tenu pour l'absolu prsent notre

    esprit, mais non reconnu comme tel ; et c'est seulement quand nous aurons pris conscience de lui qu'il

    sera lui-mme rellement et pour soi, sujet conscient, Esprit absolu ou Dieu. Mais n'est-ce pas l uneproposition aberrante {ein ungereimter Satz, et dit Kant), la conclusion d'une dialectique qui renonce

    la conversion primordiale, et qui veut aller l'absolu la tte en bas?

    Abstract

    The fame of hegelian philosophy arises from the fact that it yields to a demand for absoluteness,

    inherent to metaphysical thought, while rejecting ontological transcendance, as abhorrent to modern

    positive mind. There is no being beyond space and time, nothing absolute, if not the realizations of

    mind in experience and history. These progressive realizations are described in the Phenomenology of

    Mind; but if we are to recognise them as manifestations of the absolute, a sort of reflection is needed

    by which experience and history are seen as the effects of rational necessity, according with the

    requirements of pure thought, so as to grant the full rationality of being. The Phenomenology of Mind

    claims to be founded in a sort of Logic, which is neither reduced to formal reasoning, nor amounts to a

    critical examination of cognitive truth, testing conformity between thought and its object, but which aims

    at a systematic construction, whereby the mind produces its own object, while becoming aware of the

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    It is from Spinoza that Hegel borrowed the view of philosophy as systematic thought and of logic as exertion

    of the native power of understanding; but he is obstinate in reproaching Spinoza for having not shown the

    way by which thought necessarily arises from the conception of abstract being or substance to self-

    consciousness, that is to the notion of being as subject or mind. The overcoming of eleatism, however, is

    obtained, according to Hegel, in Platonic dialectics, where the opposition between being and not-being is

    bridged by means of relations, such as same and other; but what Hegel has failed to remark, is that the

    dialectic of summa genera, by which objects are determined before the understanding, is subordinated by

    Plato to an ontological construction which refers to an absolute claim, which requires an unconditioned

    principle, implied with the activity of transcendant Intellect.

    In the neoplatonic synthesis, the Intellect or Mind is not the Absolute, the prime hypostasis ; but it is only by

    conversion towards the absolute One, or the First principle, that Intellect instates itself and the intelligibles

    objects; Nature or sensible world is derived from it, and is a third hypostasis. On the contrary, in the

    hegelian Encyclopaedia, Nature is the outwardness of the Idea, the exterior reflection of abstract logos, and

    it is only while the Idea comes back to itself, that Mind progressivly arises, whereas Nature is overcomed.

    Hegelianism appears then as an inversion of neoplatonism, which might be summed up in these words:

    abstract being, that is the most general object of thought, may be equated with the absolute as present in

    some way to our mind, but not recognised as such; it is only when we become aware of it that it comes itself

    to real being, as a subject conscious of himself, as God or the absolute Mind. This aberrant proposition

    (ungereimter Satz, as Kant would say) is the conclusion of a sort of dialectic which renounces the primordialconversion, pointing yet towards absolute, but walking topsy turvy. intelligibles objects; Nature or sensible

    world is derived from it, and is a third hypostasis. On the contrary, in the hegelian Encyclopaedia, Nature is

    the outwardness of the Idea, the exterior reflection of abstract logos, and it is only while the Idea comes

    back to itself, that Mind progressivly arises, whereas Nature is overcomed.

    Hegelianism appears then as an inversion of neoplatonism, which might be summed up in these words:

    abstract being, that is the most general object of thought, may be equated with the absolute as present in

    some way to our mind, but not recognised as such; it is only when we become aware of it that it comes itself

    to real being, as a subject conscious of himself, as God or the absolute Mind. This aberrant proposition

    (ungereimter Satz, as Kant would say) is the conclusion of a sort of dialectic which renounces the primordial

    conversion, pointing yet towards absolute, but walking topsy turvy.

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    Approche

    de

    Hegel

    (suite et

    fin)*

    III. Logique et dialectique

    La

    logique n'est

    pas chez

    Hegel ce que la

    tradition aristotlicienne

    dsigne

    sous le nom 'Organon, d'instrument

    de

    la connaissance, si l'on

    entend

    par

    l

    une

    discipline

    pralable

    la

    science

    et

    lui

    procurant

    une

    mthode; elle

    n'est

    pas

    non

    plus, comme la Logique transcendentale

    de

    Kant, une critique de

    la facult

    de connatre, destine

    en

    tablir

    la

    validit et

    en

    marquer les

    limites

    x . La mthode est pour lui, comme

    pour Spinoza, immanente

    la connaissance et

    se

    tire d'une rflexion sur

    la

    connaissance, sur

    la

    vrit

    dj connue et

    qui porte en

    elle-mme

    sa

    marque2;

    c'est une rflexion

    applique dgager de l'exprience de

    la

    connaissance,

    de

    la

    considration de ses dmarches,

    la

    ncessit qui

    rgle

    leur

    progrs

    et garantit

    leur valeur3.

    C'est que la

    connaissance

    ne

    consiste

    pas

    pour

    Hegel

    dans

    la

    conqute d'une

    ralit distincte

    de

    l'esprit;

    la

    vrit n'est

    pas

    adquation

    de

    la

    pense et

    de

    l'tre considrs

    comme opposs l'un l'autre, mais

    appropriation

    par

    la

    pense de

    la

    totalit

    de son

    tre.

    Ce

    n'est

    qu'aux degrs

    intermdiaires, entre

    l'immdiatet de

    la

    sensation

    et la

    plnitude

    du savoir absolu, que

    s'opposent le sujet

    et

    l'objet de la connaissance4 ;

    dans

    le savoir absolu,

    la

    * Cf. Revue philosophique

    de Louvain, fvrier

    1982, pp. 5-34.

    1 Hegel, Phn.

    de

    l'Esprit, Introduction,

    dbut;

    Encyclopdie

    (3e

    d., 1830)

    Introduction,

    10 et Concept prliminaire, Addition

    au ^41,1

    (Trad.

    B.

    Bourgeois, p. 496-498

    et

    la

    note).

    2 Spinoza, De Emendatione

    Intellectus,

    S

    35-36:

    ad

    certitudinem

    ventatis

    nullo

    alio

    signo sit opus

    quam

    veram habere ideam...

    Cum

    itaque ventas nullo egeat

    signo...,

    hinc

    sequitur

    quod vera non

    est

    methodus signum quaerere ventatis post acquisitionem

    idearum,

    sed

    quod vera methodus

    est

    via ut ipsa

    ventas...

    aut

    ideae...

    debito

    ordine

    quaerantur.

    3 Ibid.,

    38: Unde colligitur methodum nihil aliud esse

    nisi cognitionem

    reflexivam...

    Unde

    illa bona

    ent

    methodus, quae ostendit quomodo mens dirigenda sit ad

    datae

    verae

    ideae normam. Cf.

    Id.,

    thique, II

    43,

    scol.

    (ci-dessous,

    n. 89).

    * Cf. Phn.

    de

    l'Esprit, I: La certitude sensible, et VIII: Le savoir absolu.

    Pareillement,

    dans l'anstotlisme, la

    sensation, en

    tant qu'immdiate, est infaillible, et cet gard

    comparable

    Fintellection;

    ces deux niveaux extrmes de la connaissance,

    il

    y a

    adquation

    de l'objet et du sujet, du sensible et du sentant, de

    l'intelligible

    et de l'intellect,

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    192 Joseph M oreau

    totalit

    de

    l'tre est

    comprise

    dans l'unit d'un systme o

    s'exprime

    l'esprit

    absolu.

    Ce systme se

    constitue

    donc par l'activit pure

    de

    l'esprit

    s'efforant

    de s'actualiser pleinement : ce qui revient dire

    que

    le savoir

    philosophique se

    constitue

    entirement a priori,

    sans

    rien

    devoir

    emprunter l'exprience, mais partir de principes qui

    rendent

    raison

    du

    contenu

    de l'exprience. Une

    telle ambition

    carte sans

    doute

    les

    mthodes

    du savoir empirique,

    les rgles de

    la logique

    inductive; mais

    elle ne peut se contenter

    cependant de celles de

    la logique formelle. La

    logique

    immanente au

    savoir est une logique

    a

    priori,

    mais non

    proprement

    deductive, car

    la raison

    y

    est invite

    se donner

    elle-mme

    un

    contenu; c'est une logique qui n'est pas seulement, suivant l'expression

    de Kant,

    un canon du jugement, une

    rgle

    pour les oprations

    de

    l'entendement, mais

    ce

    qu'il appelle,

    en un

    sens qui

    n'est

    plus celui de

    l'aristotlisme,

    un

    organon

    de la connaissance, une logique qui demande

    la

    raison de produire elle-mme

    la connaissance, sans faire appel

    l'exprience, voire

    en franchissant

    ses limites. Un tel usage, regard par

    Kant comme

    un

    abus

    du

    raisonnement,

    est

    dsign chez

    lui

    sous

    le

    nom

    de

    dialectique5.

    1 . La dialectique hglienne et ses

    antcdents

    L'histoire de

    la philosophie

    pouvait offrir Hegel maints exemples

    d'une

    pareille

    entreprise, faisant appel une mthode dite

    galement

    dialectique.

    Pour bien saisir

    la

    signification de

    ce

    terme,

    dont

    Hegel a

    vulgaris

    l'usage, il

    convient de revenir

    la

    division aristotlicienne de

    la

    logique en deux parties:

    Y Analytique

    et la Dialectique.

    Cette division

    est

    reprise par Kant qui

    n'en retient pas exactement

    le sens : l'Analytique est

    identifie par lui avec la

    logique

    formelle, et la

    Dialectique

    est

    caractrise

    d'une

    manire qui ne se

    relie

    pas sans dtour au sens aristotlicien.

    Pour

    Aristote,

    l'analytique

    est

    la

    thorie

    de

    la

    dmonstration,

    du

    raisonnement dans son

    usage scientifique, s

    'appliquant

    prouver des

    conclusions

    partir

    de prmisses

    vraies et certaines6; la

    dialectique,

    c'est

    qui ne se

    distinguent

    l'un

    de

    l'autre

    qu'en puissance;

    il en va autrement

    aux

    niveaux

    intermdiaires de l'imagination et de l'opinion.

    Cf.

    Aristote,

    De anima,

    III 8, 431 b 22-23,

    cit par S.

    Thomas,

    Summa theoi,

    I

    14, 2; Arist., Mtaph, IV 5, 1010 b

    2-3,

    voqu encore

    Summa theol.,

    I

    17,2, et S. Thom. in

    De

    anima III,

    lect.

    4, n 632. Voir notre ouvrage:

    De

    la

    connaissance selon S. Th. d'Aq., p. 61, n. 1; p. 73, n. 25-26.

    5 Kant, Logique transcendentale, Introduction, III-I V (B 85-88).

    6 Aristote,

    Anal, post.,

    I

    2,71

    b

    18-24; Topiques, I 1,100 a 27-29.

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    Approche

    de Hegel 193

    l exercice

    du

    raisonnement

    dans

    son usage non scientifique,

    appliqu

    produire non

    la

    science, mais

    Xopinion,

    en

    partant

    de prmisses

    admises

    par

    un

    auditoire

    (usage

    rhtorique)'

    ',

    ou

    mettre

    en

    question

    des

    opinions, les

    prouver

    dans la discussion (usage peiras tique ou

    critique),

    sans

    pouvoir

    en fournir

    la

    preuve. La dialectique apparat ainsi comme

    un art

    formel de raisonner indpendant de

    la connaissance des choses,

    comme

    une logique gnrale extrieure

    toute science

    particulire8.

    Comment

    donc a-t-elle pu tre regarde comme

    un

    organon ou

    instrument

    de

    la connaissance, comme la mthode du

    savoir

    suprme, capable

    de dpasser les donnes de l'exprience, le savoir mtaphysique?

    Pour comprendre

    le

    rle accord ainsi

    la

    dialectique, il

    faut

    considrer

    que

    sous

    sa

    forme

    initiale,

    comme

    art

    du

    dialogue,

    de

    la

    discussion dialogue, elle tait

    utilise

    par Socrate comme la mthode

    propre rsoudre les

    contestations

    concernant les

    valeurs.

    Pour

    cela,

    la

    dialectique, art du raisonnement formel, devait faire

    appel

    une exigence

    qui se dcouvre

    seulement dans

    l'intriorit de

    la

    conscience,

    et

    qui

    est le

    principe de toute valeur9. D'un tel principe, ou

    Ide du

    Bien, Platon a

    voulu faire

    aussi

    la

    raison de

    tout ce

    qui

    existe, et en

    particulier de l'ordre

    du monde10: les

    hypothses mathmatiques,

    partir

    desquelles la

    science astronomique, et plus gnralement la

    physique,

    explique les

    mouvements

    clestes

    et

    les phnomnes de

    la

    nature,

    la

    rflexion

    philosophique

    veut

    en

    rendre compte a priori, en

    montrant en elles

    les

    conditions

    requises pour l unit

    parfaite

    du

    Tout.

    Ainsi se superpose

    la

    reprsentation scientifique du

    monde

    une

    mtaphysique cosmique,

    une

    cosmologie

    rationnelle, une

    ontologie

    finaliste.

    Celle-ci

    est

    labore par

    une dialectique qui comporte

    deux

    mouvements

    inverses;

    l'un ascendant,

    par

    lequel la rflexion

    critique, s'exerant sur les hypothses de

    la

    science,

    remonte

    au

    principe

    inconditionn;

    l'autre descendant,

    qui

    part du

    principe

    absolu,

    de l'exigence

    d'unification du

    Tout,

    pour dterminer

    les

    conditions

    effectives

    de

    sa

    ralisation,

    calculer

    les

    justes

    proportions

    que

    l'on

    observe dans

    la

    structure de l'Univers

    *

    l .

    Platon a donc donn l'exemple

    d'une

    dialectique applique

    la

    constitution a priori

    d'un systme

    du monde;

    pour cela la

    dialectique fait

    7 Id.,

    Top.,

    I

    1,100 a 29-30; b

    21-23;

    Rhtorique,

    I

    1,1335 a 24-29; 2,1335 b 25-33.

    8 Id.,

    Top., IX (Rf. soph.) 11,172 a

    21-35.

    9 Platon, Euthyphron, 7

    b-d;

    Gorgias, 472

    bc. Cf.

    notre ouvrage:

    Le

    sens du

    platonisme, p.

    94,

    177-178, 181-182.

    10

    Id.,

    Phdon,

    99

    c.

    11 Cf.

    Le

    sens du platonisme, p.

    181-186.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    7/37

    194 Joseph Moreau

    appel

    un principe

    transcendant aux

    rgles formelles

    de

    la

    logique,

    un

    principe

    de

    caractre axiologique, impliquant

    un

    fondement thologique.

    Or Hegel, qui se

    rfre

    cependant Platon, rpudie un tel principe; c'est

    qu'il considre

    un

    autre aspect de

    la

    dialectique platonicienne, non pas

    celle de

    la

    Rpublique, qui

    trouve son

    application

    dans la cosmologie du

    Time ou l'ontologie

    du Philbe, mais celle

    du Sophiste ou

    du

    Parmnide,

    qui

    s'apparente

    une logique transcendentale, qui est une tude des

    conditions de possibilit de

    la connaissance.

    La dialectique

    est invoque dans

    le Sophiste en vue de rfuter celui

    qui nie

    la

    possibilit de

    l'erreur; or l'erreur ne serait

    impossible

    que

    si

    la

    connaissance tait apprhension immdiate de l'tre;

    en ce

    cas, de mme

    que l'tre

    est

    ou

    n'est pas,

    de mme on sait ou

    on

    ne sait

    pas: pas

    d'intermdiaire

    entre

    le

    savoir et

    l'ignorance12.

    Ce

    qui

    est

    exclu

    par

    l,

    c'est donc Yopinion, susceptible d'tre vraie ou fausse, mais aussi

    la

    rflexion

    que cette ambigut suscite, et le

    jugement

    dont elle provoque

    l'exercice. Si donc

    l'on

    veut rfuter

    la thse sophistique

    de l'impossibilit

    de l'erreur, il convient

    d'abord

    de

    mettre en

    lumire la

    fonction

    primordiale

    du

    jugement,

    en montrant que la connaissance n'est pas

    immdiate,

    qu'elle

    ne s'obtient

    que

    par la mdiation du jugement; et c'est

    la dialectique,

    en

    tant que raisonnement abstrait et dans sa fonction

    critique,

    qu'il appartiendra de

    montrer la

    possibilit

    du

    jugement, d'en

    rechercher

    les

    conditions.

    11

    ressort

    de

    la discussion entreprise

    cette

    fin dans le

    Sophiste

    que le

    jugement

    repose sur la distinction du mme et

    de Vautre,

    qu'il

    met

    en

    uvre

    les relations

    primordiales

    de Yidentit et

    de

    la

    diffrence.

    Dire que

    A est A implique

    que

    A n'est pas B;

    mais

    A ne peut tre

    distingu de B

    que si tous les deux sont compris dans l'unit

    de Y

    tre en gnral171.

    Dans

    Yunit

    de l'tre, il y a

    donc une

    diversit, faute de laquelle on

    ne

    saurait

    dfinir des

    objets

    distincts,

    ni noncer

    aucune relation; l'unit

    de Y

    tre,

    son identit

    lui-mme,

    n'exclut

    pas la

    diversit de Y autre. L'tre

    ne

    se

    prte

    au

    discours,

    ne devient objet

    de

    connaissance,

    que

    parce

    qu'il

    n'est

    pas l'Un

    sans

    fissure des lates,

    mais parce qu'il

    est travers par

    Y autre,

    qui est son oppos, le non-tre1*.

    La dialectique

    du

    Sophiste,

    procdant par concepts

    abstraits,

    met

    en

    lumire

    le

    rle de

    la

    mdiation,

    par o est

    rendue possible

    la

    connaissance; elle semble prfigurer ainsi la dialectique

    hglienne.

    Elle en est

    12 Cf. Platon,

    Sophiste,

    236 e-237 a; Thtte, 187 e-188 d.

    13

    Cf.

    Sophiste,

    257

    d-258

    a,

    et notre

    livre:

    Ralisme et

    idalisme

    chez Platon, p. 48.

    '* Sophiste,

    254 d-259 b, rsum dans

    Le

    sens du platonisme, p. 217-225.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    8/37

    Approche

    de Hegel

    195

    cependant,

    quoi

    qu'en

    ait

    pu

    penser

    Hegel, formellement

    et

    essentiellement distincte, et n'a

    pu

    lui

    fournir

    qu'un

    matriel

    de concepts

    et

    de

    relations

    logiques

    (tre,

    non-tre, identit

    ,'

    diffrence),

    car

    la

    dialectique

    des

    genres

    suprmes apparat

    chez Platon comme une logique trans-

    cendentale,

    qui remonte de

    Y

    exprience de

    la connaissance,

    de

    la rflexion

    sur l'exercice

    du jugement,

    ses conditions

    de possibilit15;

    elle ne

    prtend pas montrer

    a

    priori la

    gense de

    la connaissance, la ncessit

    de

    son dveloppement progressif et de

    la

    ralisation

    de

    son contenu.

    Un

    tel

    but

    ne

    saurait tre atteint que

    par

    cette dialectique descendante qui

    prend

    son principe dans l'Ide du Bien, comprise

    dans

    l'Intellect absolu,

    cause

    premire

    de l'ordre de l'Univers,

    et

    sans

    lequel

    l'intelligence qui

    est en

    nous

    serait

    inexplicable15.

    Le projet hglien

    de

    constituer entirement a priori le systme du

    savoir,

    et

    qui revient demander

    la

    logique de produire elle-mme

    le

    contenu de

    la

    connaissance,

    est la

    tche suprme attribue

    traditionnellement

    la

    dialectique,

    et

    o Kant

    dnonce un

    usage

    abusif

    de

    la

    logique.

    Ce

    n'est

    du moins qu'en

    faisant appel

    un principe thologique

    que

    peut

    tre

    remplie

    cette

    tche.

    Ce principe peut se justifier d'ailleurs au terme

    d'une dialectique ascendante, par une rflexion sur la notion

    de

    possible,

    o

    est

    implique une

    rfrence

    un

    principe absolu. C'est ainsi

    qu'Aristote,

    par

    la

    dialectique

    de

    la

    puissance

    et

    de l'acte,

    s'lve

    la

    conception de l'tre

    absolu,

    de

    la

    substance

    immatrielle, Acte

    pur,

    qui

    ralise p leinement son essence, Intellect qui se

    pense

    lui-mme et suprme

    Intelligible, en

    qui l'tre

    concide

    avec la

    pense17.

    C'est

    un

    tel principe,

    dit Aristote,

    qu'est suspendu l'Univers

    et la

    Nature entire18;

    et c'est

    partir d'un

    tel

    principe

    que les

    systmes

    thologiques,

    de

    Platon

    Leibniz, ont

    procd

    a

    priori

    la

    construction

    de

    l'Univers. Hegel, l'exemple

    de

    Fichte et

    de

    Schelling, veut passer

    outre l'interdiction de Kant et

    constituer

    a priori le systme total

    du

    savoir;

    mais

    il

    refuse

    le

    principe

    thologique,

    qui

    rpond

    seulement

    pour

    lui

    une intuition

    confuse, d'o

    l'on

    ne saurait dgager

    le contenu

    articul du

    savoir. Il reproche Schelling,

    qui

    avait

    eu

    cependant

    le

    mrite

    de

    mettre

    en

    lumire

    que

    la Substance

    spinoziste

    est

    en

    mme

    temps sujet,

    la fois esprit et

    nature,

    d'avoir laiss dans

    l'indtermination

    15 Sophiste,

    254

    d: nyiata...

    tjv yevwv. Cf.

    Le sens

    du

    platonisme, p.

    215-216.

    6

    Cf.

    Philbe,

    30

    a-d, et

    ci-dessous,

    n. 83-84 et 100-101.

    17 Cf. nos Remarques sur l'ontologie aristotlicienne, dans Revue philosophique de

    Louvain,

    1977, p.

    600-605.

    18

    Aristote,

    Mtaph., A

    7,1072 b

    13-14.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    9/37

    196 Joseph Moreau

    le concept

    de

    l'absolu19; et il n'admettrait pas

    non

    plus, sous le

    nom de

    Science intuitive,

    une

    vision synoptique de l'ordre

    ternel des

    choses,

    des

    essences distingues

    hirarchiquement dans l'Intellect

    divin.

    Le savoir

    a

    priori

    et

    total,

    dont

    la

    Phnomnologie

    de

    l'Esprit

    nous

    dcrit la

    gense

    et

    le dveloppement, ne repose

    pas

    sur la

    contemplation

    d'un monde

    intelligible,

    d'une organisation transcendante; il ne tire son

    origine

    que

    des rapports qui drivent

    de

    la

    position

    des

    concepts

    les plus

    gnraux,

    les genres

    suprmes

    de Platon.

    L'absolu n'est pas originairement

    l'Intellect

    pur dans son identit avec l'Intelligible;

    cette

    identification

    ne

    s'effectue

    pour Hegel

    qu'au terme du

    dveloppement de

    la

    connaissance;

    l'absolu ne peut tre pour lui

    qu'un

    rsultat, issu

    du

    progrs

    mme de

    la

    connaissance20. Le

    savoir

    absolu ne tire son origine et la ncessit

    de

    son

    progrs

    que

    des

    abstractions de

    la

    logique,

    de

    concepts

    gnraux

    hypostasis

    en

    un Logos abstrait, dtach du

    sujet de

    la connaissance, et

    qui en conditionnerait

    cependant l'activit21.

    Dans

    cette

    primaut du

    Logos

    abstrait, rig en

    norme

    et

    origine de

    la

    pense,

    alors

    qu'il

    est

    inconcevable

    sans

    elle,

    ne faut-il pas reconnatre

    une ptition

    de

    principe,

    une priorit

    accorde

    la

    possibilit

    tenue pour le fondement

    mme

    de

    la

    ralit,

    la condition suffisante

    de

    son actualisation? La position

    hglienne

    quivaut au

    renversement

    du

    point de vue

    classique,

    exprim

    dans

    l'adage aristotlicien :

    la

    puissance ne saurait tre ontologiquement

    antrieure

    l'acte22.

    2. Le dveloppement de

    la

    logique

    hglienne

    C'est dans la logique pure,

    dans

    l'objet le

    plus gnral de

    la

    pense,

    dtach abstraitement de l'activit de

    la

    pense,

    que

    Hegel veut trouver

    le

    principe

    de cette

    activit,

    qui s'exerce

    dans la

    connaissance

    et

    qui

    tend

    19 Voir la premire

    partie

    de

    cette

    tude, notes 43-45.

    20 Cf.

    Ibid., n. 82. Cette vision

    de

    l'absolu

    comme devenir

    se rclame

    parfois

    chez

    Hegel

    de

    l'analogie

    avec l'existence

    de

    l'tre

    vivant, dont

    l'essence

    s'exprime

    travers

    une

    succession de

    formes,

    dans le dveloppement progressif d'un germe, aboutissant la

    formation de l'organisme adulte, ainsi

    qu'

    la maturation d'un germe, point de dpart

    d'une autre existence (Cf.

    La

    raison dans l'histoire, p. 58 Hoffm.)

    Or cette

    analogie,

    dj

    mise en lumire par Aristote, conduit une

    conception

    cyclique de l'existence, qui ne

    peut trouver son

    principe

    que dans

    la

    transcendance

    absolue.

    Voir notre article cit

    prcdemment (n.

    17),

    p.

    603-605.

    21 Cf. G. Gentile, La

    Riforma

    dlia dialettica hegeliana,

    2

    d., 1923, p. 1-74

    et

    209-

    240,

    rsumes dans

    Id., Introduzione

    alla filosofla,

    2e d., 1952, p. 24-26 (traduites

    dans le

    recueil de Textes choisis de Gentile runis sous le titre: L'esprit,

    la

    vrit et l'histoire, Paris,

    Aubier, 1962, p. 28-29).

    22

    Aristote, Mtaph.,

    0

    8,1050 b 3-4: nptepov

    tfj

    oaia evepyeux Suvueco.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    10/37

    Approche

    de

    Hegel 1

    97

    la

    constitution

    a priori d'un

    savoir

    absolu et total. L'objet le plus

    gnral

    que

    puisse concevoir

    la

    pense, c'est Ytre en

    gnral,

    exempt de toute

    dtermination particulire,

    et

    dont

    la

    reprsentation

    est

    vide de

    tout

    contenu.

    Mais, a-t-on souvent observ,

    Ytre

    ainsi

    conu,

    absolument

    indtermin, n'est rien; il est, par consquent,

    identique

    au

    non-tre.

    Dans cette identit

    de

    l'tre avec sa ngation, son oppos, Hegel voit le

    principe

    d'une

    nouvelle logique, au

    regard

    de laquelle l'tre

    n'est

    pas

    immuable

    en son

    identit, mais porte

    en lui le

    devenir, inclut

    le

    passage de

    l tant au

    non-tant, le

    changement ou l'existence dans

    le

    temps. La

    premire dmarche

    de

    la logique hglienne, c'est le dpassement

    de

    l'opposition

    de

    l'tre et

    du non-tre,

    la rpudiation

    de

    l'tre absolument

    immuable,

    toujours

    le

    mme

    en son

    ternit

    ;

    il

    doit

    faire

    place

    l'tre

    sans

    cesse

    autre,

    au mouvement de l'histoire23.

    Une

    rvolution aussi profonde

    dans les principes

    mmes de

    la pense

    philosophique, de l'ontologie

    et

    de

    la gnosologie, et

    particulirement

    propre

    exalter les esprits fascins par le spectacle des rvolutions,

    doit

    tre examine avec soin si

    l'on

    en veut apprcier justement le sens

    et la

    porte. L'identit de l'tre

    et

    du

    non-tre,

    dont Hegel fait

    le principe

    d'une logique

    de

    la contradiction, d'o rsulte une dialectique du

    mouvement, repose sur des

    considrations d'usage commun,

    mais qui

    ont

    pu

    tre

    interprtes autrement.

    Dans

    l'aristotlisme,

    la

    matire,

    prive

    de toute dtermination, tait

    un

    aspect du non-tre; mais

    Y

    Un

    absolu

    des

    noplatoniciens,

    le

    Premier

    principe, antrieur

    l'tre

    et

    la

    pense,

    chappait

    galement

    toute dtermination, et n'tait

    aucun

    tre;

    cependant,

    ce nant au del de l'tre, cet abme insondable des

    thologies ngatives, ne

    pouvait

    tre confondu avec l'infinit

    du

    non-tre,

    s exprimant dans

    l'indtermination de

    la

    matire24. Si

    l'on

    prend garde

    discerner

    ces

    deux

    niveaux, l'indtermination de l'tre

    abstrait ne

    conduit

    pas

    l'identification

    des opposs,

    mais suggre

    la

    distinction de

    deux

    sortes d'infini, l'infinit

    de

    la matire, qui est la

    possibilit de

    tous les

    tres, qui les contient

    tous

    virtuellement, et l'infinit

    de

    l'Un absolu, qui

    est

    la

    puissance productrice de tous les tres, o ils sont tous contenus

    minemment, comme

    dans

    la

    source25.

    Grce cette

    distinction,

    23

    Hegel, La

    Thorie de

    l'tre,

    premire

    partie de La Science

    de la

    Logique

    (voir

    ci-

    dessous, n. 27), et plus particulirement dans la

    3e

    dition de Y

    Encyclopdie,

    86-88, et

    additions.

    24

    Plotin, Ennades, V 3,

    15

    (33):

    o yp > r\ vkr\ uvuei Xyexai. Cf. notre

    ouvrage: Plotin ou la

    gloire...,

    p. 78-84.

    25

    L'expression est de Leibniz, Monadoiogie,

    68,

    mais

    voque Plotin, Enn., VI

    9,5

    (36-37): 7niyf|v tgv

    pierrov...

    kc vauiv yevv>aav x

    vra.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    11/37

    198 Joseph Moreau

    l indtermination de l'tre dnote

    la

    conscience sa

    corrlation, d'une

    part, avec un horizon infini o

    se

    dterminent

    tous les

    objets, et

    sa

    rfrence, d'autre part, une exigence absolue sur laquelle se rglent

    toutes les dterminations effectues par

    la

    pense25. C'est donc par

    un

    abus de

    l'abstraction qu'est esquive,

    chez

    Hegel, une analyse qui nous

    dcouvre d'un ct l'infini

    du

    possible,

    de

    l'autre la

    transcendance

    d'une

    norme qui

    atteste la dpendance

    de l'esprit fini l'gard

    d'un

    absolu qui

    le dpasse. C'est

    faute de cette analyse qu'il

    en

    vient demander

    une

    logique

    abstraite

    d'expliquer la

    gense

    et le devenir

    de

    l'esprit,

    son

    progrs

    vers

    un

    absolu qui

    n'est

    pas

    son origine,

    mais o il tend comme

    un rsultat.

    Vtre,

    le

    non-tre

    et

    le

    devenir,

    considrs

    dans leur universalit

    indtermine,

    ne

    sont

    cependant

    pour Hegel que des reprsentations

    immdiates, qui n'enveloppent aucune connaissance

    distincte;

    pour

    passer de l'abstraction pure des objets dfinis de pense, il faut

    que soit

    nie

    cette universalit indtermine;

    autrement

    dit, il faut

    que

    l'tre

    reoive des

    dterminations

    particulires, par o il

    se

    dlivre

    de

    la

    contamination du non-tre et

    de la contradiction

    du

    changement. La

    premire

    de ces

    dterminations est

    celle

    par o l'tre est diversifi

    qualitativement;

    puis apparat

    la quantit,

    qui

    dnote dans la qualit un

    reste d'indtermination, le plus et le

    moins,

    indtermination

    qui

    est nie

    son

    tour

    par

    la

    mesure.

    Telles

    sont,

    selon Hegel,

    les

    premires

    dterminations

    de

    l'tre

    en gnral,

    les catgories

    de

    l'tre,

    tudies

    dans la

    premire

    partie de

    la

    Logique21

    Mais ces dterminations les plus gnrales ne

    suffisent

    pas

    la

    connaissance,

    la

    satisfaction de

    l'entendement,

    qui

    requiert

    des objets

    26

    Cette double relation fondamentale, dgage de nos tudes

    d'histoire

    de la

    philosophie, est

    mise

    en

    lumire dans nos

    ouvrages thoriques: La conscience

    et l'tre

    (1958),

    L'horizon des

    esprits (1950), Le Dieu

    des philosophes

    (1969).

    27

    La Science

    de

    la Logique

    (Wissenschaft

    der Logik) a

    t

    publie d'abord

    Nuremberg en

    1

    8

    1

    2

    parut

    le

    1

    volume

    de

    la

    Logique

    objective,

    qui contenait

    la Thorie

    de

    l'tre;

    en 1813 parut le deuxime volume, consacr la Thorie de l'essence; en 1816 parut

    la Logique subjective ou la Thorie du concept. C'est la division de l'ouvrage en trois parties

    qui est retenue dans YEncyclopdie des

    Sciences

    philosophiques,

    dont

    le

    premier

    cycle est un

    abrg de

    la Science

    de la

    Logique.

    La premire

    dition en a

    t donne

    en 1

    8

    1

    7

    ;

    la

    seconde,

    plus ample, en 1827,

    et

    la troisime en

    1830. Cet ensemble

    a

    t traduit

    par B. Bourgeois,

    sous

    le titre

    G.W.F. Hegel,

    Encyclopdie

    des sciences philosophiques,

    I La

    Science de la

    Logique.

    Sauf

    indication

    contraire, c'est

    cette

    prsentation de la logique hglienne que

    nons

    nous

    rfrons dans la suite. Chacune

    de

    ces ditions comporte,

    aprs

    une Introduction

    gnrale

    l'Encyclopdie,

    l'expos d'un

    Concept

    prliminaire (

    VorbegrifJ) de

    la Science

    de

    la

    Logique, puis successivement

    trois parties

    (Thorie

    de

    l'tre,

    de

    l'essence,

    du

    concept); ces

    parties

    sont

    dsignes sous le

    nom de

    sections dans les ditions

    de 1827

    et

    de 1830.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    12/37

    Approche de Hegel 199

    parfaitement distincts et dfinis immuablement dans leur

    essence.

    V

    essence,

    par o

    un

    tre est ce

    qu'il

    est,

    et n'est

    pas autre chose, est seule

    capable

    d'offrir

    la connaissance

    un

    objet vrai:

    La

    vrit

    de

    l'tre,

    dit

    Hegel, c'est l'essence28. Or, l'essence d'un tre

    n'est

    identique

    elle-

    mme qu'en se distinguant de

    ce

    qui

    n'est

    pas

    elle ; son

    identit

    repose

    sur

    sa diffrence; elle

    est donc

    constitue de

    relations,

    qui s'opposent l'tre

    en tant qu'immdiat. La

    logique de

    l'essence suppose donc

    d'abord

    la

    distinction

    de

    la

    vrit

    et

    de Y

    tre; elle nous introduit ainsi l'idalisme et

    fait consister

    la

    vrit

    dans la

    relation29. L'tre

    n'est

    saisi

    dans

    sa vrit,

    dans son

    essence, que

    pour autant

    qu'il

    est

    ni

    en

    tant

    que donn

    immdiat;

    ce donn

    n'est pas cependant aboli, mais

    rduit

    au

    rang

    d'apparence.

    Or

    cette

    opposition

    de

    la

    vrit

    et

    de

    l'apparence, ou

    encore

    de Ytre

    et du phnomne, doit tre

    surmonte

    son tour dans l unit

    de

    Ytre

    rel, qui

    runit

    en

    soi

    l'tre et le phnomne, et en qui seul

    Y

    essence

    vient

    Yexistence30. Ce qui est rejet ici,

    en

    ce second

    moment de

    la

    logique de l'essence, c'est

    la

    version ontologique de

    l'idalisme, la

    transcendance de

    l'ide

    la

    ralit,

    la

    ralisation de l'essence

    en

    dehors de

    l'existence,

    la

    sparation de l'ide

    et

    de

    la

    chose, de

    la forme et

    de

    la

    matire. L'essence, comme le

    voulait Aristote, n'a

    aucune ralit en

    dehors de

    ses manifestations31;

    mais

    (ce qui va plus

    loin

    que la requte

    d'Aristote)

    l'essence

    passe

    tout

    entire

    dans

    ses

    manifestations il

    n'y

    a

    pas d'intriorit ni d'arrire-monde, ce qui parat exclure le spiritualisme

    mtaphysique, ainsi

    que le

    thisme32.

    28

    Die Wahrheit

    des

    Seins ist

    das

    Wesen. Cette formule clbre apparat pour

    la

    premire

    fois

    dans

    la

    Thorie de

    l'essence

    de

    1813.

    On

    en

    trouve l'cho dans

    le ^

    64 de

    l'Encyclopdie

    (1817),

    et le * 112 (1830).

    29

    Encyclopdie.

    La

    Thorie de l'essence, ^

    66-72

    (1817) tt 115-120 (1830).

    30

    Ibid., ^ 75-83,

    91-94

    (1817); ^ 123-134, 142-145 (1830).

    31 Aristote,

    Mtaphysique,

    A

    9,991

    b

    1

    : vaxov evai

    x^pi

    T1V oaiav ko o f\

    ooia.

    32

    La thorie de l'essence

    &

    81

    (1817),

    S 131 (1830) et Addition.

    C'est pourquoi

    l'essence

    n'est

    pas

    derrire

    l'apparition ou au

    del d'elle;

    mais

    du

    fait

    que

    c'est

    l'essence

    qui

    existe, l'existence est

    apparition. On

    peut voquer

    ce

    propos

    ces

    vers

    de Goethe, cits

    par

    un diteur

    de la

    Phnomnologie de

    l'Esprit (Hoffmeister) dans son

    Introduction, p.

    vu :

    Der Schein, was

    ist er,

    dem

    das Wesen

    fehlt?

    Das Wesen, wr'es, wenn

    es

    nicht erschiene?

    L'apparence, qu'est-elle,

    s'il

    y

    manque

    l'essence? L'essence, serait-elle,

    s'il

    n'y

    avait

    point

    d'apparition? Cf. aussi & 89 (1817), fc 140 (1830), o

    Hegel

    rfute un pote

    pour

    qui

    Y intriorit

    de

    la

    Nature

    s'oppose Yextriorit

    de son

    corce; c'est

    ce mme pote que

    Goethe

    impatient rpondait:

    La

    nature

    n'a

    ni noyau, ni corce; elle est tout d'un seul

    coup.

    Natur hat

    weder Kern

    noch Schale,

    Ailes

    ist sie

    mit einem Maie

    (Gedichte,

    2ter

    Teil;

    Gott und Welf.

    Allerdings,

    Dem

    Physiker)

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    13/37

    200 Joseph

    Moreau

    Hegel professe nanmoins le dessein de franchir,

    malgr

    l'interdiction de Kant, les bornes de la connaissance

    empirique, d'accder

    la

    connaissance rationnelle pure,

    la

    mtaphysique,

    en

    revalorisant

    l'argument ontologique,

    l'infrence

    de

    la pense

    l'tre33. Dans la

    logique

    de

    l'essence, il examine particulirement les

    catgories de

    la

    substance, de

    la

    cause, de

    Y

    action

    rciproque,

    qui taient considres par

    Kant comme des

    catgories de

    la relation, dont l'usage est

    rgl

    par les

    Analogies de l'exprience^. Ces catgories sont pour Kant des concepts

    purs

    de l'entendement; mais ils ne

    permettent aucune

    connaissance, si

    ce

    n'est en

    s'appliquant

    la dtermination des phnomnes35.

    Or

    Hegel

    voudrait

    rserver

    le nom

    de

    concepts

    ces notions purement rationnelles

    que

    Kant

    appelle les ides

    de

    la

    raison,

    et au moyen desquelles elle

    s'efforce

    de

    concevoir

    des

    objets transcendants,

    rpondant

    l'exigence

    d'un savoir absolu,des

    objets

    dont la ralit s'impose

    in onditionnellement

    notre

    pense, mais qui ne sauraient tre donns dans

    aucune

    exprience, celle-ci ne

    se

    prtant

    qu'aux dterminations toujours

    relatives

    de

    l'entendement. C'est ainsi que la raison

    forme ncessairement

    l'ide

    du

    moi,

    du

    sujet universel de

    la pense,

    l'ide

    du

    monde, de

    la totalit

    des

    objets de

    l'exprience, l'ide

    de

    Dieu,

    de

    l'tre absolu, qui comprend

    toutes choses

    dans

    sa souveraine perfection36. Or, ces

    trois ides

    sont

    prcisment

    pour Hegel

    l'exemple mme

    du concept, grce

    auquel

    l universalit

    des

    objets

    est

    comprise

    dans

    l'unit du

    sujet, autrement

    dit

    par lequel

    la

    connaissance du Tout

    est

    ramene la conscience de soi37.

    Dans

    une

    pareille vue

    est exclue la

    chose

    en soi, l'impossible fiction

    d'un

    inconnaissable, et

    Dieu, l'objet suprme de

    la

    pense,

    quivaut

    l'absolue

    ralit;

    et

    tous les objets de

    la connaissance tant

    unifis

    dans la

    conscience

    de

    soi, leur

    totalit

    s'articule en une

    hirarchie

    de concepts

    particuliers; l'objectivit n'apparat

    pas

    seulement comme

    l'effet

    de

    dterminations

    relatives ; les concepts sont des universaux, constitus

    de

    relations organiquement unifies et comprises

    dans

    l'unit d'un systme,

    dans

    une

    hirarchie

    de

    genres

    et

    d'espces,

    dont

    chacune

    est

    un

    universel

    concret38.

    33

    Voir la premire partie de

    cette tude,

    n. 77.

    34

    La thorie de l'essence, ^ 150-157 (1830).

    35

    Kant, Anal, transe. (2< d.), fc 27.

    36

    Id.,

    Dial,

    transe, I

    3:

    Systme

    des Ides transcendentales

    (B

    390-396).

    37

    Cf. Phn.

    de l'Esprit,

    VI

    B

    II a 1

    b,

    p.

    389 Hoffmeister, o

    il est

    expliqu que

    le

    concept absolu signifie que le savoir et

    objet du savoir, cela revient au mme.

    38

    Voir, dans

    V

    Encyclopdie, la

    Thorie

    du concept, spcialement S 1

    13 (1817),

    164

    (1830), o Hegel,

    aprs

    avoir dclar que le concept, c'est le

    concret

    tous

    gards

    (das

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    14/37

    Approche de Hegel

    201

    Ce

    que

    Hegel veut nous montrer dans la

    logique

    du concept (la

    troisime partie

    de

    la

    Science

    de logique),

    c'est

    que la

    connaissance

    ne

    peut

    s'achever que dans

    l unit

    d'un

    systme. Si

    l'on

    renonce

    cette

    unification, ou si on lui refuse, avec Kant, une porte

    relle,

    si on

    ne

    lui

    accorde

    qu'une

    valeur

    symbolique39,

    on consent

    alors

    une restriction

    des pouvoirs

    de

    l'esprit. La

    logique,

    dans la succession

    de ses

    trois

    parties

    (logique de

    Ytre,

    de Yessence, du

    concept), s'applique

    marquer

    les

    tapes

    de l'dification du

    systme; mais l'avancement

    de

    sa

    construction

    correspond une lvation du niveau de

    la connaissance,

    impliquant

    des

    degrs de

    l'ascension spirituelle.

    Dans

    le dveloppement

    de

    la

    connaissance en

    gnral, on

    peut,

    selon Hegel,

    distinguer trois grands

    moments;

    1

    le

    moment

    abstrait, constitu

    par

    des

    dterminations

    stables

    de

    l'entendement,

    suivant

    les

    catgories de

    Ytre,

    et aboutissant la

    reprsentation mathmatique;

    2

    le moment dialectique, o les

    dterminations

    de

    l'entendement, s'appliquant

    la

    dfinition

    de Yessence,

    s'opposent entre

    elles,

    donnant

    ainsi

    lieu au changement, au passage de

    l'une l'autre suivant des

    lois dynamiques,

    propres

    la science

    physique:

    3 le

    moment

    spculatif, o les oppositions sont surmontes dans l unit

    organique

    du

    Tout, au moyen des concepts de

    la

    pense

    mtaphysique40

    Cette

    rhabilitation

    hglienne de

    la mtaphysique est inspire

    de

    Kant

    lui-mme,

    et

    peut

    se

    rclamer

    de

    l'exemple

    de

    la Dialectique

    transcenden-

    tale. Aux yeux

    de Kant, lorsque

    la

    raison, mue par

    son exigence

    d'inconditionn,

    veut tirer

    d'elle-mme

    des connaissances qui dpassent

    l'exprience,

    lorsqu'elle veut indment

    faire de

    la

    logique

    un

    organon de

    la connaissance, elle se

    heurte

    alors des

    contradictions,

    suscite des

    paralogismes, produit des conceptions illusoires. Cet usage dialectique

    du

    raisonnement

    ne conduit pas

    seulement,

    comme l'avait not

    Aristote,

    aux

    incertitudes

    de

    Y

    opinion, il

    engendre

    Y

    llusion transcendentale*1 . Mais

    pour dissiper

    cette illusion, on

    ne peut avoir recours

    toutefois

    qu'au

    raisonnement

    pur, c'est--dire

    encore la dialectique, considre cette

    fois dans

    son usage critique (ou peirastique); c'est ainsi qu'

    la

    dialectique

    spontane et

    illusoire Kant oppose

    la dialectique

    transcendentale*2 Mais

    schlechthin

    Konkrete),

    s'attache

    expliquer et carter l'opinion

    courante

    qui regarde le

    concept

    comme

    quelque chose d'abstrait. Du concret

    tous

    gards

    (le concept),

    il

    distingue

    aussi le

    concret

    absolument

    {das Absolut-Konkrete), qui est l'Esprit.

    39

    Cf. plus

    bas,

    note 42.

    40 La Science

    de la

    Logique.

    Concept

    prliminaire,

    13 (1817),

    8 79

    (1830).

    41

    Kant,

    Dial, transe, Introduction

    I

    (B 349-354).

    42 Id., Logique transe, Introduction IV (B 88): Dial, transe, Introd.,

    II

    C fin (B 365-

    366).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    15/37

    202 Joseph Moreau

    au cours de ses

    analyses critiques, il lui faut mettre en

    lumire

    tout ce

    qu'il

    y

    a de ncessaire

    dans la dialectique spontane;

    les

    ides

    transcendantes sont des

    productions ncessaires de

    la

    raison,

    des notions

    qui

    lui

    sont

    essentielles

    et

    rpondent une exigence absolue, qui

    ne peut

    tre

    dnue de toute

    valeur.

    Kant reconnat ainsi aux

    ides

    de

    la

    raison,

    dfaut d'un rle

    constitutif,

    de

    dtermination

    des objets de

    la

    connaissance ,

    un rle rgulateur,

    dcouvrant

    la

    finalit

    et l'organisation

    de

    l'Univers, contribuant

    l'laboration d'une philosophie

    du

    comme si43.

    Hegel se propose

    de

    rhabiliter cette fonction suprme

    de

    la raison,

    de

    lui

    rendre une signification et une porte absolue, en reliant le concept

    du

    Tout

    et

    ses

    articulations ncessaires

    l'unit

    de

    la

    conscience

    de soi.

    IV. Les

    cycles

    du

    savoir

    La logique hglienne,

    dont

    nous venons de

    parcourir

    rapidement

    les

    tapes, satisfait-elle

    la

    requte implique

    dans le

    projet du systme?

    Russit-elle

    nous montrer la ncessit

    du dveloppement

    progressif

    de

    la connaissance,

    tel qu'il

    est

    dcrit

    dans

    la Phnomnologie de

    l'Esprit,

    justifier ainsi la prtention hglienne

    de

    saisir l'absolu

    travers sa

    ralisation

    dans l'histoire,

    autoriser

    la

    conclusion qui le regarde comme

    le rsultat d'une

    auto-ralisation progressive?44 A ces questions

    touchant

    les

    capacits

    de

    la

    logique, il

    n'est

    pas

    possible

    d'apporter

    une

    rponse sommaire, c'est--dire

    sans avoir approfondi le

    dessein

    et

    dcel

    les artifices de

    la

    pense

    hglienne.

    La logique,

    en effet,

    sans se

    rduire

    pour Hegel

    l'art formel

    du

    raisonnement,

    n'en

    est pas

    moins

    dfinie par

    lui comme une science abstraite, o la connaissance est envisage dans sa

    structure,

    ses

    conditions

    transcendentales, ses

    exigences pures, et

    non

    dans

    son contenu objectif.

    La logique,

    dit-il, est

    la

    science

    de

    l'Ide pure,

    c'est--dire de l'Ide

    dans

    l'lment

    abstrait

    de

    la

    pense45.

    Elle

    nous

    apprend

    distinguer

    entre

    l'tre et l'essence,

    entre

    l'essence et

    l'existence4

    entre

    l'apparence et la

    ralit,

    entre

    les reprsentations

    de l'entendement

    et

    les concepts de

    la raison;

    mais elle

    ne

    s'lve pas l'actualit

    du

    concept,

    la

    comprhension effective du rel.

    Elle

    explique par quelles

    mdiations, par

    quelle suite

    de dterminations progressivement encha-

    *3

    Id.,

    Appendice

    la

    Dial, transe:

    De

    l'usage rgulateur des ides

    de

    la raison pure

    (B 672);

    pour l'emploi du

    comme

    si

    (als

    ob), cf.

    Du

    but

    final

    de

    la

    dialectique naturelle de

    la

    raison humaine (B 700,

    706,

    713-714,

    716

    etc.).

    *4 Voir la premire

    partie

    de cette tude, n.

    82.

    45

    Encyclopdie. La

    Science de la Logique. Concept

    prliminaire,

    12

    (1817) ^

    19

    (1830).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    16/37

    Approche de Hegel 203

    nes,

    la pense procde des notions les plus

    gnrales,

    des

    concepts

    les

    plus

    abstraits, rpondant

    une intuition immdiate, jusqu'au concept

    suprme,

    celui

    de

    la

    totalit

    unifie,

    dans

    lequel s'accomplit

    le

    savoir

    absolu. Suppos ce savoir accompli,

    la

    logique nous

    en

    dcouvre les

    conditions;

    mais

    suffit-elle,

    science abstraite,

    la

    constitution

    effective

    du savoir?

    Et surtout peut-elle nous

    garantir son accomplissement

    absolu, tenu pour

    un

    rsultat

    ncessaire?

    Ces interrogations nous

    obligent

    considrer la logique sous un

    autre

    aspect,

    celui

    de

    l'usage auquel la philosophie

    de

    Hegel la

    destine.

    Si

    la

    logique,

    entendue

    au sens strict, en tant que science abstraite, ne peut

    tre

    l'quivalent

    de

    la

    connaissance

    des

    objets, Hegel n'en

    voit

    pas moins

    en

    elle,

    contrairement

    Kant,

    Yorganon

    de

    la connaissance,

    c'est

    --dire

    la mthode

    immanente

    du

    savoir rationnel,

    capable

    de produire

    lui-

    mme

    son

    objet.

    Considre

    sous

    cet

    aspect,

    la logique n'est pas un

    instrument

    de

    connaissance

    extrieur

    la

    science; elle est

    l'me

    du

    savoir

    rationnel46.

    Comment

    la logique, si elle

    n'est

    qu'une science abstraite,

    peut-elle

    remplir

    ce rle? C'est condition que, de par sa spontanit

    rationnelle et la

    ncessit qui en

    dcoule, le

    logos

    abstrait en

    quelque

    sorte

    se

    redouble; autrement

    dit,

    il faut

    que

    la srie des formes logiques,

    l'ordre rationnel des catgories, se

    projette sur un fond d'objectivit, dans

    un horizon

    de

    conscience,

    afin

    d'tre

    rcupr

    ensuite

    dans

    Y

    unit

    d'une

    conscience.

    L'ordre logique des raisons se

    reflte

    ainsi

    dans

    le

    champ

    de

    l'exprience; c'est pour cela que notre raison se reconnat dans l'ordre

    de

    la

    nature,

    et que le savoir

    peut se constituer a priori. La thorie

    du savoir

    ne tient donc pas tout entire dans la logique

    abstraite;

    le

    systme

    hglien ne

    parvient

    son

    achvement

    dans le savoir absolu, adquat

    l'esprit absolu,

    qu'aprs

    le parcours

    de

    trois cycles superposs,

    celui de

    la

    Logique,

    celui de

    la Nature et celui

    de

    l'Esprit47.

    De

    la

    runion de ces

    trois

    cycles se compose

    Y

    Encyclopdie des

    Sciences philosophiques;

    entre

    eux,

    il

    y

    a correspondance

    exacte;

    ils se

    refltent

    mutuellement, de

    sorte

    qu'en

    chacun d'eux on

    discerne les

    trois

    moments:

    abstrait,

    dialectique, spculatif**; mais

    ce qui est

    surtout

    remarquable, c'est que le passage d'un cycle au suivant s'effectue

    galement par

    un

    processus dialectique. Pour passer

    du

    logos abstrait au

    46 Ibid., La Thorie

    du concept, 8

    191 (1817), S

    243

    (1830). La

    mthode

    est de cette

    manire

    non pas forme

    extrieure, mais l'me et le concept

    du contenu

    lui-mme.

    47

    Ibid.,

    Concept

    prliminaire, fc 11 (1817), fc 18 (1830).

    48

    Voir la

    division

    de

    chacune

    des parties de

    V Encyclopdie (1830):

    de la

    Logique, S

    83; de la Philosophie de la Nature, 5?

    282;

    de

    la

    Philosophie de l'Esprit,

    &

    385.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    17/37

    204 Joseph Moreau

    rgne de

    la Nature, il faut que Vide

    pure

    sorte pour ainsi

    dire d'elle-

    mme,

    qu'elle se

    rpande dans l'extriorit,

    qui

    est la

    ngation de

    son

    identit elle-mme; c'est ainsi qu'elle se fait Nature.

    La

    philosophie

    de

    la

    Nature,

    dit

    Hegel, c'est

    la

    science de l'Ide en son tre autre49. Le

    systme

    de

    la science

    ou Encyclopdie s'achve

    par la philosophie

    de

    l'Esprit,

    dans

    laquelle l'Ide,

    aprs

    s'tre rpandue

    hors d'elle-mme,

    fait

    retour

    soi,

    et

    o les objets

    extrieurs

    sont

    rintgrs dans la

    conscience

    de soi50.

    Ce processus d'extriorisation

    et

    de retour

    soi

    voque

    invinciblement celui de

    la

    procession

    et

    de

    la

    conversion

    dans la

    mtaphysique

    noplatonicienne, tel

    point que

    les interprtes de

    celle-ci

    se laissent

    parfois

    garer

    par

    la mode

    hglienne51. Mais

    dans le

    contexte de

    V

    Encyclopdie,

    ce

    processus

    est-il

    apte

    remplir

    sa

    fonction,

    c'est--dire

    rendre

    compte

    de

    Vapparition

    de

    la

    conscience

    et

    de

    V accomplissement

    ncessaire

    du

    savoir absolu? Dans

    la

    synthse noplatonicienne,

    un

    tel

    savoir

    s'accomplit au niveau

    de

    la seconde

    hypostase, de

    l'Intellect

    premier, adquat au Tout

    intelligible,

    l'Univers des Ides, des

    essences

    ternelles, o

    rside

    la ralit absolue, la

    plnitude de

    l'tre, et la

    constitution de

    ce

    savoir

    suppose

    que

    l'Un absolu, antrieur l'tre et

    la pense, a dbord

    de

    lui-mme,

    s'est rpandu dans la diversit; puis,

    avec l'arrt de ce mouvement de

    procession,

    la

    diversit mane de l'Un

    s'est retourne

    vers

    lui, et

    c'est

    dans

    cette

    conversion

    que

    se

    constituent

    corrlativement les Intelligibles et l'Intellect, les tres vritables et la

    connaissance vraie et parfaite52.

    Or,

    dans le

    dveloppement de V Encyclopdie hglienne,

    le

    savoir

    absolu ne s'actualise

    qu'au troisime moment

    (le moment spculatif) du

    troisime cycle,

    celui de

    la

    Philosophie de l'Esprit; il prsuppose

    donc

    les

    moments

    antrieurs

    de

    ce

    mme cycle,

    et

    d'abord le

    premier, le

    moment

    abstrait,

    celui de

    Vesprit subjectif, o se produit l'apparition

    de

    la

    conscience53. Dans la

    procession noplatonicienne, au

    contraire, la

    conscience

    n'apparat qu'aprs la

    constitution de

    l'Intellect;

    elle

    se

    manifeste particulirement

    dans l'me, c'est--dire au

    niveau

    de

    la

    49

    Loc.

    cit.

    prcdemment, n.

    47.

    50

    lbid.

    51

    Cf.

    P. Hadot,

    tre,

    vie, pense

    chez

    Plotin

    et avant

    Plotin,

    in Les Sources de Plotin

    (Entretiens

    de

    la Fondation Hardt,

    V),

    p.

    107 sq. L'tre

    est

    conu comme

    un

    acte

    d'auto-

    position

    en

    trois

    moments:

    simple position de soi, puis sortie de soi,

    enfin retour

    soi.

    52 Plotin, Enn., V 2,1 (8-12). Cf. Plotin ou la gloire...,

    p.

    96-98.

    53

    Encyclopdie, 3e

    partie:

    La

    Philosophie de l'Esprit, Ie section, L'esprit

    subjectif,

    B

    413 et suiv., dans la

    3e dition (1830).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    18/37

    Approche

    de

    Hegel 205

    troisime hypostase54.

    Cette

    interversion

    ne

    doit

    pas nous surprendre,

    car

    la drivation des hypostases n'est pas un

    processus

    temporel,

    mais

    l'expression

    d'une

    subordination

    ternelle; ainsi

    la

    gense

    de

    l'me,

    o

    apparat

    la

    conscience,

    est

    subordonne

    la

    constitution de l'Intellect,

    o

    s'actualise le savoir absolu; de mme,

    la perfection

    de

    la connaissance,

    l'adquation de

    l'Intellect et

    de l'Intelligible, dont les

    fonctions distinctes

    concident

    dans

    la

    vrit,

    prsuppose

    la

    transcendance de

    l'Un

    absolu,

    antrieur

    la distinction

    de

    la

    pense

    et

    de

    l'tre.

    1 . La

    gnalogie de

    la conscience

    Ce en quoi Hegel

    se rapproche du

    noplatonisme, c'est

    qu'il

    recherche

    son

    tour

    l'origine

    de

    la

    distinction

    de

    la

    pense et

    de

    l'tre,

    apparue en mme

    temps

    que

    la conscience;

    mais cette

    distinction ne

    prsuppose pas

    chez

    lui l'actualit

    d'un

    savoir

    absolu, dj

    ralis

    dans

    un Intellect transcendant, ni la

    transcendance

    absolue

    de

    l'Un; la vie

    de

    l'esprit, l'activit de

    la

    conscience,

    ne

    dpend pas selon lui de sa

    conversion vers l'absolu, lequel ne peut tre pour lui

    que

    le rsultat

    progressif

    de cette activit,

    son

    aboutissement ncessaire. Mais, si

    l'on

    carte l'Un absolu

    et

    sa transcendance, o trouver l'origine de cette

    activit,

    le principe

    de son

    progrs et la

    sanction de

    son rsultat?

    Le

    processus

    dialectique

    par

    lequel

    l'Ide

    pure

    se

    rpand

    hors

    de

    soi,

    s'exprime

    dans la Nature

    avant de

    revenir

    soi,

    de

    faire

    rentrer la Nature

    dans

    l'Esprit,

    ce mouvement

    qui soutient

    l'essor

    de

    YEncyclopdie

    ne

    russit

    donc pas mieux que le cheminement de

    la

    logique abstraite

    rsoudre les difficults

    que

    soulve le projet

    hglien;

    la

    superposition

    des

    cycles

    ne

    fait

    que

    rpter

    la

    succession

    des

    moments:

    abstrait,

    dialectique,

    spculatif, et

    l'nigme demeure de concevoir comment de

    Vide

    pure,

    de l'intuition immdiate ou notion abstraite de l'tre, peut

    surgir l'activit dialectique qui

    engendre

    les formes

    successives de

    la

    conscience,

    jusqu'

    son

    triomphe

    spculatif

    dans

    le

    savoir

    absolu.

    Cette

    gnalogie

    de

    la

    conscience

    nous

    tait

    dcrite dans la Phnomnologie

    de

    l'Esprit;

    elle est reprise dans la

    Philosophie de l'Esprit, troisime cycle de

    VEncyclopdie; mais la succession des formes

    de

    la conscience est

    considre cette

    fois

    dans un cadre logique,

    dans le dveloppement

    de

    Y

    esprit subjectif, moment abstrait

    de

    ce cycle55. Dans

    la

    Phnomnologie

    s* Sur

    ce

    point, voir les textes cits et comments dans Plotin ou la gloire..., p.

    164-

    169.

    Encyclopdie, 3e

    partie, lre

    section, 8

    387

    (3e

    dition).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    19/37

    206 Joseph Moreau

    de l'Esprit, elle apparaissait comme

    un

    progrs dynamique, une suite de

    dmarches de

    l'activit spirituelle, suscitant des oppositions

    (sujet-objet,

    certitude-vrit,

    objectivit-ralit)

    pour

    ensuite les surmonter;

    dans

    l'laboration finale

    du

    systme, elle

    doit s'imposer comme

    une exigence

    abstraite; la dialectique,

    qui

    apparaissait comme le ressort

    de

    l'activit

    spirituelle, est

    assujettie maintenant

    la

    ncessit logique qui

    en rgit la

    gense et le dveloppement. Si

    l'on

    veut valuer

    la

    distance

    du

    systme

    hglien

    la

    synthse noplatonicienne, il faut considrer que

    dans la

    hirarchie des hypostases l'Intellect est antrieur la Nature,

    tandis que

    dans

    YEncyclopdie l'Esprit

    doit

    se reconqurir

    sur la Nature par

    une

    conversion qui est un retour

    soi de l'Ide;

    dans le noplatonisme, au

    contraire, la conversion est un retour

    de

    l'me,

    de

    la

    conscience,

    vers

    l'Intellect,

    et

    primordialement

    de

    l'Intellect

    vers

    sa

    source,

    vers

    l'Un

    absolu, qui est au del

    de

    l'Ide, au del

    de

    l'tre, et dont

    la

    vie

    de

    l'esprit

    est une

    manation. Il

    n'est

    rien de pareil

    dans le systme

    hglien, dont

    le

    point de

    dpart, l'Ide pure, n'est

    que

    l'tre abstrait et vide; ce qui

    revient

    substituer

    l'Un absolu, transcendant

    l'tre, principe

    de l'tre

    et

    de

    la

    pense, l'tre

    inerte des lates56.

    Il

    nous faut examiner nanmoins quels

    buts

    se

    propose

    d'atteindre

    cette logique

    de

    l'Ide pure, cette

    dtermination

    des structures

    de

    l'tre

    abstrait,

    quels procds elle met

    en

    uvre, quels

    rsultats

    elle peut

    aboutir;

    ses

    insuccs

    et

    ses

    lacunes

    nous

    aideront

    en

    dgager

    le

    sens,

    en mesurer

    la valeur. Il nous a sembl

    que

    l'intention philosophique de

    Hegel,

    c'est

    de conduire son achvement

    le systme kantien

    de

    la

    connaissance,

    en

    liminant l'inconnaissable

    chose

    en soi, ainsi que

    l'autolimitation fichtenne

    du

    moi

    par

    le non-moi, afin de

    permettre

    la

    conscience

    de

    soi

    de

    s'galer la totalit

    de

    l'tre.

    C'tait l

    refuser le

    point de dpart de

    la

    gnosologie kantienne,

    pour

    laquelle il n'y a pas de

    connaissance qui

    ne

    se

    rfre une ralit extrieure

    au

    sujet

    connaissant;

    la connaissance

    est le propre d'un

    sujet born,

    d'une

    conscience

    finie,

    mais

    ouverte

    sur un

    horizon

    infini,

    ouverture

    qui

    nous

    atteste

    la

    transcendance

    de

    l'tre. Notre intellect, dont l'activit conditionne

    l'objectivit de

    la connaissance,

    sa

    validit universelle et

    sa consistance

    ncessaire,

    ne

    peut se donner lui-mme son objet57. Une telle prmisse

    gnosologique

    ne permet pas l'exclusion

    de

    la

    chose en soi,

    d'un

    au-del

    de

    l'objet

    de

    la

    connaissance58;

    et si

    l'on veut, comme Hegel, rejeter

    cet

    56

    Encyclopdie,

    La thorie de l'tre (1830), * 86.

    57 Kant, Anal, transe, 2e d., I

    2,

    2e sect., fc 21 (B 145).

    58

    Cf. Encyclopdie. La Science

    de

    la Logique.

    Concept

    prliminaire (1817)

    33.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    20/37

    Approche

    de

    Hegel 207

    au-del, il

    n'en

    reste pas moins que, dans la mesure o la connaissance

    requiert l'opposition

    de

    l'objet et d'un sujet,

    autrement dit la

    distinction

    de

    la

    pense

    et

    de

    l'tre,

    il

    faudra chercher

    l'intrieur

    mme de

    la

    connaissance l'origine de cette distinction.

    Pour

    parvenir

    cette

    fin,

    pour rendre

    compte

    de

    l'origine et

    du

    progrs

    de

    la connaissance, Hegel ne part pas comme Kant

    de

    la

    rfrence ncessaire de

    la connaissance

    l'tre,

    mais de

    la considration

    de

    Ytre

    en gnral,

    l'tat de

    prsence immdiate, o il ne se distingue

    pas encore de

    la

    pense. Considr ce moment initial, il

    est

    aussi bien

    pense pure que

    donne

    simple

    et

    immdiate59, il

    est

    exempt de toute

    dtermination, et par l

    mme indiscernable du nant; de cette

    identit

    de

    l'tre

    et

    du non-tre

    rsulte

    le devenir,

    dont

    les

    premires

    dterminations

    (qualit, quantit,

    mesure)

    seront dsignes comme les catgories

    de

    l'tre60.

    Mais ces dterminations

    ne

    dpassent pas le niveau de

    la

    reprsentation abstraite, mathmatique; si une

    telle reprsentation

    suppose implicitement la

    pense, celle-ci

    ne

    manifeste

    pas

    encore sa

    prsence; ce

    n'est

    qu'aux moments ultrieurs

    du

    dveloppement

    logique

    qu'on verra

    dans

    l'indtermination premire de l'tre apparatre

    la

    conscience,

    la

    dissociation de

    la

    pense et de l'tre

    et

    l'effort de

    la

    pense

    pour

    rcuprer

    l'tre dans

    le

    concept, organe

    du

    savoir absolu.

    En

    ce premier

    moment

    du

    dveloppement

    logique,

    moment abstrait,

    caractris comme

    logique

    de

    l'tre,

    les moments

    ultrieurs, auxquels

    correspondent

    l'avnement

    et le progrs

    de

    l'esprit,

    trouvent,

    au

    dire de

    Hegel,

    leur fondement (Grund)61; n'entendons point par

    l

    leur origine

    absolue; l'absolu

    ne

    peut

    tre

    qu'un

    rsultat, le

    dveloppement

    accompli.

    L'tre abstrait, d'o la pense merge comme d'un fond indtermin,

    n'est pas l'Un

    transcendant de

    la

    mtaphysique

    noplatonicienne, la

    source

    minente

    des

    tres et la

    puissance productrice

    infinie62.-

    Il

    et

    59

    Ibid., La

    Thorie de

    l'tre,

    39

    (1817); *

    86

    (1830).

    60

    Ibid.,

    ^

    40-41,

    52-50

    (1817);

    ^

    87-88,

    99-107

    (1830).

    61 Le fondement est considr par Hegel

    (Ibid., La

    thorie de

    l'essence,

    $ 74 (1817) et

    la

    note

    de B. Bourgeois, p. 222 de sa traduction)

    avec

    Yidentit et la diffrence, comme une

    fonction de

    l'essence, c'est--dire

    une pure dtermination de la rflexion

    (Ibid.,

    66 et 67 ;

    115-116,

    122 dans

    la 3e d.

    1830).

    Si

    donc

    les

    catgories

    de

    l'tre

    peuvent tre

    regardes

    comme

    fondement

    des

    dterminations

    ultrieures de la pense, telles que l'essence et le

    concept,

    c'est en

    ce

    sens qu'elles procurent la

    rflexion

    des raisons (Grnde) pour

    s'expliquer

    V

    apparition de

    la conscience

    et

    le

    progrs du savoir ;

    mais

    ces raisons explicatives

    relvent

    de

    la

    dialectique abstraite, de

    la Logique

    pure, et

    ne sauraient s'identifier

    aux

    principes

    absolus du

    devenir.

    62 Plotin, Enn., III 8, 10

    (1-2): Svctut

    tv tuxvtcov. VI 9,5

    (37) jniyriv

    twv

    piatcov.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    21/37

    208

    Joseph Moreau

    dpendu

    de

    Hegel

    de

    ne

    pas confondre dlibrment l'tre et le

    non-tre,

    dans son

    impatience de faire exister

    la

    contradiction

    et s'couler le

    devenir; il et

    alors

    distingu entre Y infini au del de toute

    dtermination

    l'absolu

    transcendant

    tous

    les

    tres,

    et

    la

    possibilit

    indfinie

    de

    la

    matire

    indigente, susceptible

    de recevoir n'importe

    quelle

    dtermination; et

    de

    cette opposition

    primordiale

    il et vu surgir,

    non

    la

    mobilit

    indiffrente

    du

    devenir,

    mais l'aspiration de

    l'tre imparfait,

    incompltement dtermin, vers

    la perfection

    absolue63. Ainsi et apparu

    dans

    l'tre indtermin cette

    distinction

    de l'tre

    et

    de

    la

    pense, requise

    par

    l'activit de

    la connaissance,

    sans risque de subordonner

    celle-ci

    un

    en-soi

    inconnaissable.

    Faute

    de cette

    conversion initiale vers l'Un absolu, par laquelle se

    dessine,

    en

    dehors de

    toute

    rfrence

    Y

    en-soi, la

    dualit

    de

    la

    pense

    et

    de

    l'tre, ce

    n'est

    qu'au second

    moment du

    dveloppement

    de

    la logique,

    qui n'est plus le moment abstrait de l'tre, mais le moment dialectique de

    l'essence, que l'on peut

    apercevoir

    l'avnement

    de

    la conscience. C'est

    au

    niveau de Y essence

    que

    l'tre se dcouvre

    dans

    sa vrit,

    dfinie

    au moyen

    de

    relations, par opposition

    la donne

    immdiate, relgue

    au rang

    d'apparence ou

    de phnomne6*.

    C'est dans cette ngation

    de

    l'tre

    immdiat, non

    pas

    aboli, mais

    retenu

    (aufgehoben)

    comme

    non

    vrai, que

    s'affirme l'activit

    de

    la

    pense. C'est ce

    moment

    dialectique du

    dveloppement

    de

    la logique qu'apparat la

    conscience,

    la

    manifestation

    premire de

    l'esprit,

    dont

    l'activit

    essentielle consiste

    dans la

    ngation,

    et

    dont

    le

    fondement rside, selon Hegel,

    dans la

    contradiction65. Mais cette

    fois

    encore

    fondement n'est

    pas

    l'quivalent

    d'origine; de

    la

    contradiction, on concdera que peut dcouler le devenir,

    mais non

    l'activit

    spirituelle.

    Des contradictions

    qui

    dchirent l'exprience d'un sujet fini

    peut surgir l'effort pour les surmonter; mais encore faut-il

    que

    l'esprit

    soit

    dj

    l. La

    tentative

    de Hegel de faire de

    la

    contradiction

    l'origine

    de

    la

    pense,

    et

    plus gnralement de trouver

    dans

    les dterminations

    63

    Cette aspiration, qui

    tend

    vers l'intellection, est

    dsigne chez Plotin

    par le terme

    cpecn

    (Enn., V 3,1

    1

    (1-12);

    VI 7,16

    (13-16). Dj Anstote caractrisait la matire par son

    aspiration

    naturelle la

    forme

    (Phys.,

    I

    9,192

    a 18-19):

    t

    5 7t(puKv (piea9ai kc

    pyeaai ato (se. yaGo) Kat tt|v auxo

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    22/37

    Approche

    de Hegel 209

    abstraites

    de

    la logique le

    fondement

    des

    activits

    de

    l'esprit considres

    dans leur

    dveloppement

    progressif,

    comme

    une suite

    de

    moments

    ncessaires

    dans

    la

    ralisation

    du

    savoir

    absolu,

    cette

    ambition

    de

    faire

    tenir

    dans le systme l'activit

    mme

    par laquelle

    il se constitue,

    et

    de

    faire apparatre comme

    un rsultat

    l'exigence absolue d'o

    procde le

    systme, est une ambition

    qui recouvre

    une ptition

    de principe.

    2. L'accomplissement

    du

    savoir

    absolu

    Si c'est

    en

    son moment dialectique, au niveau

    de

    l'essence, que

    la

    logique abstraite ou science de

    l'Ide

    pure dcouvre,

    faute

    de

    pouvoir

    l'engendrer, l'opposition de

    l'objet et du

    sujet,

    la

    distinction de

    la

    pense

    et

    de

    l'tre,

    c'est

    au

    moment

    spculatif qu'elle s'applique

    montrer

    dans

    le

    Concept

    la condition

    de l'accomplissement de

    la connaissance dans le

    savoir

    absolu. Ce qui caractrise cette figure suprme

    de

    l'esprit, c'est

    qu'en elle s'unifie la diversit des

    objets de

    la connaissance, en

    mme

    temps

    qu'est surmonte

    la

    dualit

    de

    l'tre

    et

    de

    la

    pense

    dans

    l unit du

    Tout

    la

    diversit

    s'organise en

    systme,

    et

    cette organisation se

    pose

    non

    comme

    un

    objet devant

    la

    pense, mais comme

    la

    ralisation mme

    du

    penser, comme l'absolu, la fois tre et esprit66 Cette

    identit

    de

    l'esprit

    et

    de

    l'tre,

    cette

    concidence

    de

    l'intelligible et

    de

    l'Intellect est un thme

    constant

    de

    la

    mtaphysique

    traditionnelle,

    des

    origines

    jusqu'

    la

    seconde hypostase de

    Plotin67; la

    nouveaut, ou

    l'inconsquence

    de

    l'hglianisme, c'est

    de faire de cette identit,

    non un

    prsuppos

    qui

    renvoie une exigence absolue6*, mais seulement un rsultat.

    Que

    le savoir absolu,

    la

    vrit totale,

    ne

    soit

    que

    progressivement

    conquise,

    travers

    le dveloppement

    de

    Xesprit subjectif et

    de

    ses

    manifestations objectives

    dans l'histoire,

    cela n'autorise pas rduire

    ce

    progrs

    un

    processus

    naturel

    ou historique, ni proclamer

    son

    accomplissement

    ncessaire

    partir d'une logique abstraite. On

    ne

    saurait

    rendre

    compte

    du

    dveloppement

    de

    la

    connaissance,

    tel

    qu'il

    est

    dcrit

    dans la

    Phnomnologie de V

    Esprit,

    montrer

    le

    caractre rationnel

    de ses dmarches

    et leur

    assigner une finalit absolue

    dans le

    vrai,

    sans

    66

    Voir Encyclopdie. La Logique

    du concept,

    notamment $ 1

    63

    (1817)

    ou 213(1

    830),

    o l'ide

    est

    dfinie comme Y

    unit

    absolue du

    concept et

    de

    l'objectivit, puis ^ 185-186 (ou

    236-237), o le concept est considr comme

    Y

    Ide

    absolue, l'Ide se

    pensant elle-mme.

    67 Plotin, Enn., V

    1,8 (17)

    cite

    le

    mot de

    Parmnide:

    t yp

    at

    voev

    ativ kc

    evai, et

    il

    voque

    (Ibid.,

    3,5 (22-23) celui d'Aristote Mtaph., A 9,1072 b 21 : totv vo

    KC VOT|TV.

    68

    Plotin,

    Enn.,

    III 8,9 (1-13); V 1,4 (27-29). Cf. Plotin ou la

    gloire...,

    p.

    68.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel-2

    23/37

    210

    Joseph

    Moreau

    requrir, sous-jacente

    aux phnomnes de

    l'esprit, une activit radicale

    qui les suscite,

    et

    au del des

    objets de

    la

    pense,

    des dterminations

    abstraites de

    la

    logique, l'exigence transcendante qui

    commande

    les

    oprations de

    la

    pense. La ngation, l'acte par

    lequel la pense

    se

    dtache

    de l'tre

    immdiat et donne accs

    la logique

    de l'essence, au

    dveloppement

    de

    la connaissance, ne

    serait

    pas

    lui-mme

    possible

    sans rfrence

    cette exigence absolue qui se dcouvre au plus profond

    de

    notre

    intriorit et

    qui

    est au sommet de la

    spiritualit69.

    La ngation, qui

    selon

    Hegel donne l'essor au progrs de

    la

    pense, ne se conoit pas sans une

    conversion

    vers l'absolu

    transcendant

    l'tre

    et la

    pense. Le sujet

    ne

    saurait prendre conscience

    de

    soi dans le cogito,

    se

    tenir

    distance

    des

    objets,

    mettre en question leur

    vrit, s'engager

    dans l'entreprise du

    doute, procder

    la

    rduction

    phnomnologique,

    s'il

    ne

    prenait

    appui

    sur une exigence absolue qui

    s'exprime

    dans l'ide

    du vrai,

    d'une

    perfection idale

    de

    la connaissance, ide dont la

    prsence

    notre pense

    nous rvle la transcendance de l'esprit infini70. C'est par cette dmarche

    reflexive que

    Descartes

    remonte

    de

    la

    conscience de soi

    dans le cogito

    l'intuition transcendante: Deus

    est11.

    La voie suivie par Hegel est tout

    oppose;

    l'affirmation

    de

    l'tre

    absolu n'est pas pour lui un point

    de

    dpart, mais une conclusion

    laquelle

    on

    ne

    parvie