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1 Photo: M. Kabel Journal du voyage en Allemagne du 3 février au 10 février 2013 à Dresde / Saxe Organisé par les lecteurs d’allemand Hella Straubel & Ralph Winter Avec le soutien du DAAD / Office allemand d’échanges universitaires Textes et photos réalisés par les 14 participant/e/s Photo: Michael Sommer

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Photo: M. Kabel

Journal du voyage en Allemagne

du 3 février au 10 février 2013 à Dresde / Saxe

Organisé par les lecteurs d’allemand Hella Straubel & Ralph Winter

Avec le soutien du DAAD /

Office allemand d’échanges universitaires

Textes et photos réalisés par les 14 participant/e/s

Photo: Michael Sommer

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Dimanche, 3 février : Le départ

La boutique Relay de la gare de l’Est fut le point cardinal du début de ce voyage. Nous nous y retrouvâmes à 8h45 par cette froide matinée de février, rythmée seulement par le son mélodieux des roulettes de nos quinze valises sur les pavés de la gare, remplies de pulls en laine, de dictionnaires français-allemands et de mouchoirs en tissus imbibés du parfum de maman. A la surprise générale, tout le monde fut à l’heure et, un dernier comptage effectué, un roman de gare acheté à la hâte voire au hasard dans notre Relay préféré en prévision des neuf heures de trajet et quelques victuailles bien de chez nous discrètement mises en poche pour faire face au choc gastronomique que constituerait sans aucun doute le passage du Rhin, nous nous engouffrâmes dans le train qui devait nous conduire dans ces contrées saxonnes dont nous ne savions encore rien. Après neuf heures passées dans le train et une courte halte de dix minutes à Francfort, qui furent marquées, certes par l’ennui, mais également par la découverte émerveillée de l’avancée technologique des Allemands en matière de panneaux lumineux dans les trains ainsi que par la confection de cartes de « Loup-Garou » pour occuper nos fins de soirées dresdoises, nous arrivâmes à DRESDEN HBF vers 18 heures. Les premières images de la ville, plongée dans le noir, nous semblèrent féériques ; des rangées de jeunes Allemandes faisaient leur fitness dans une salle de sport lumineuse qui semblait flotter au-dessus du sol à quelques mètres de la gare ; le froid nous saisissait jusqu’aux entrailles. Nous pénétrâmes dans un tramway dont la principale caractéristique fut qu’il n’annonçait pas, comme dans notre « capitale infâme » chère à Baudelaire, la fermeture des portes par un « BIP » (« POUET » ?) immonde et strident mais par une douce et voluptueuse mélodie, alors que défilaient sur des petits écrans les dernières nouvelles ou les dernières tendances dresdoises, qui nous rendirent le voyage agréable jusqu’à notre auberge de jeunesse, oppor-tunément située à quelques centaines de mètres de la ligne de tramway. L’auberge en ques-tion, qui portait le nom truculent et si spécifique à l’Allemagne de « SUNSHINE HOSTEL », nous sembla coquette malgré la vue sur la route, et nous eurent tôt fait de nous partager les chambres par groupes de deux ou trois. Exténués, nous n’eurent qu’à peine le temps de nous reposer dans nos chambres avant de rejoindre nos deux accompagnateurs, toujours aussi souriants et affables, pour nous rendre au centre-ville dans un restaurant condensant sous ses voûtes de pierre tout le charme et toutes les saveurs de Dresde :

Les cartes recélaient de spécialités saxes toutes plus alléchantes les unes que les autres, et dans lesquelles il serait offen-sant à l’égard du porc de ne pas recon-naître la place de choix qu’il y occupait. La bière (et le chocolat chaud de Hella) coulèrent à flots, ainsi que l’eau plate des moins courageux qui, comme chacun sait, coûte nettement moins cher que la bière outre-Rhin et qui nous est servie, il faut bien le dire, avec une pointe de mépris.

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Après avoir allègrement profité de ce cadre festif où nous purent faire davantage connaissance, et après un petit détour dans le vieille ville pour nous donner un avant-goût de la visite qui nous attendait le lendemain, nous rentrâmes à l’auberge sous la neige qui commençait à tomber et allèrent nous coucher, les jeunes dans les chambres, Hella et Ralph dans deux pièces mystères qui à ce jour n’ont toujours pas été découvertes, mais qui se trouvent à côté des sacs de linge sale. JLC

Lundi, 4 février 2013 : Visite guidée de la ville de Dresde

Nous commençons la journée sous un ciel assez peu clément avec une visite guidée à travers le centre historique de Dresde. Partout, l'empreinte du roi Auguste II, dit "le Fort" (1670-1733), et sa volonté de faire de Dresde une capitale européenne se donnent à voir. Ce roi, converti à la religion catholique pour servir ses prétentions à la couronne polonaise, inscrit dans l'architecture de sa ville son ambition pour en faire la "Florence du Nord".

Au début du XVIIIe siècle, il établit au centre de l'ancienne ville un quartier baroque à la gloire de la dynastie des Wettin, reconstruit à l'identique après la Réunification. La présence de pierres noircies n'est d'ailleurs pas, comme on pourrait le croire, due aux bombardements de l'aviation des Alliés : elle tient à la nature de la pierre (du grès) dont l'oxydation en surface produit un dépôt noir. Ainsi, les pierres les plus anciennes – et donc les pierres d'origines, lorsqu'elles ont pu être retrouvées et replacées dans les reconstructions – sont plus noires que les autres (ce qui est particulièrement visible sur la Frauenkirche dont la façade est parsemée de tâches noires (les pierres d'origine) qui contrastent avec la pâleur des pierres neuves.

Notre visite nous amène dans le palais emblématique de la ville : le Zwinger. Son nom renvoie d'abord à l'espace entre le rempart extérieur et le rempart intérieur de la ville, libéré par les travaux d'aménage-ment urbain. Il devait servir d'écrin aux noces du prince héritier. Comme dans nombre de palais de l'époque, Versailles a servi de modèle et d'émule. Les jardins sont emplis de putti et de nymphes légèrement vêtues: curieuse atmosphère par 5°C! Le Zwinger donne sur la place du théâtre, où il côtoie opéra Semper (Semperoper) et la Hof-kirche. La katholische Hofkirche (église catholique du palais) accueille la crypte des rois de Saxe. Construite pour imiter l'œuvre du Bernin au Vatican, elle s'intègre dans le paysage – la guide y tient – de par son orientation qui réagit à la courbe de l'Elbe et évite ainsi la mono-tonie de villes orthogonales. L'intérieur est d'un blanc éclatant ; au XVIIIe siècle, la population de Saxe étant essentiellement protestante, seul le roi et sa cour assistaient aux offices… Sous le Troisième Reich, la Hofkirche était un acteur de la résistance au régime nazi,

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contrairement à la Frauenkirche voisine qui, elle, fut entièrement détruite sous les bombardements alliés.

En route vers la Frauenkirche, nous passons devant la vaste frise en porcelaine représentant les souverains de la dynastie des Wettin cheminant dans l'Histoire. La frise a été épargnée par les bombardements.

Le gouvernement de la R.D.A. (D.D.R. pour les intimes) avait conservé les ruines de la Frauenkirche, non seulement pour éviter une coûteuse reconstruction, mais aussi pour servir la "mémoire antifasciste": les ruines devaient rappeler les conséquences du Troisième Reich. Après la réunification, un comité de citoyens s'est mobilisé pour reconstruire à l'identique l'édifice. La société IBM va jusqu'à créer un programme qui modélise l'église en replaçant les quelques pierres d'origine à la place exacte qu'elles occupaient auparavant …

Une pierre du dôme est laissée au sol pour témoigner de la violence de la destruction.

Nous traversons l'Elbe pour rejoindre une majestueuse statue équestre d'Auguste le Fort, dorée à l'or fin et fièrement juchée au milieu d'une place bordée d'immeubles préfabriqués dont les régimes soviétiques et consorts raffolaient. La guide nous précise que le coût du logement à Dresde revient à deux à huit euros le mètre carré, ce qui plonge le groupe (victime des loyers parisiens) dans une grande perplexité (spéculation immobilière en vue ?). En dehors du centre historique reconstruit à l'identique, Dresde offre d'énormes contrastes au visiteur : les immeubles de l'après-guerre côtoient les maigres survivances architecturales du passé.

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Visite du Residenzschloss

Après avoir mangé des Knödel dans une cantine associative, nous revenons dans le cœur his-torique de Dresde pour visiter le Residenzschloss, la demeure des princes électeurs saxons. Ce bâtiment, avec la Frauenkirche, est emblématique de la ville et de son histoire. Il est un symbole de l’autorité et de la puissance de la ville de Dresde et de ses dirigeants. Une fois équipés d’un petit boîtier et d’écouteurs nous permettant d’entendre la voix de notre guide résonner en nous, nous commençons la visite par des considérations architecturales. Comme beaucoup d’autres bâtiments de la ville, le château a connu de multiples destruc-tions et rénovations. Après la réunification, il a été l’objet d’un important projet de restaura-tion, mais aussi de modernisation, afin d’en faire un symbole de l’histoire de Dresde et de sa reconstruction. C’est donc un bâtiment composite mêlant l’ancien et le nouveau. Certaines de ses parties ont été reproduites à l’identique avec un profond souci du détail, d’autres sont légèrement plus modernes, quelques autres sont même entièrement nouvelles.

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Un premier arrêt devant une portion de mur en pierre émergeant d’un mur de ciment permet de rappeler l’histoire de la ville : il s’agit d’un mur original qui date de la construction du château au XIIe siècle, à l’époque où il n’y avait là qu’un comptoir pour faire payer la traversée de l’Elbe. Nous sortons ensuite dans la cour du château, protégée par un dôme en verre, dernier ajout architectural au château. La guide nous explique alors que, puisque Paris avait une pyramide en verre et Londres un dôme en verre, il était nécessaire que Dresde eût elle aussi une construction en verre. C’est encore l’occasion de constater le contraste entre les parties historiques du château qui ont pu être conservées et celle qui ont été reconstruites après la réunification.

Ensuite, nous nous attardons sur la seconde cour intérieure, ce qui permet de montrer l’investissement de la ville dans le château. La guide nous explique en effet qu’après avoir découvert des documents attestant l’achat d’une importante quantité de peinture verte à l’époque d’Auguste le fort, et en avoir déduit que les fenêtres étaient alors vertes, il a été décidé de refaire toutes les fenêtres pour être fidèle à l’original. Nous nous apprêtons ensuite à visiter l’intérieur du château et plus particulièrement la Grüne Gewölbe, ou Voûte verte. Il s’agit initialement d’une galerie construite par Auguste le fort pour rivaliser avec la Grande Galerie de Versailles. Elle a pour but de montrer la puissance et la richesse du prince électeur en présentant tous ses trésors, à savoir des objets précieux de toutes sortes fabriqués par les bijoutiers et artisans les plus talentueux et les plus réputés de son temps, à partir des matériaux les plus précieux. Afin de paraître encore plus riche et puissant, Auguste fait installer derrière chaque trésor un miroir, dédoublant ainsi, par une utilisation astucieuse des lois de Snell-Descartes, le nombre de ses possessions. Après la Seconde

Guerre mondiale, les forces soviétiques ont confisqué et entreposé les trésors de la Voûte verte qu’ils ont ensuite rendu à la ville de Dresde, ce qui permet aujourd’hui de contempler l’intégralité du trésor d’Auguste, en particulier sa plus belle pièce : le Diamant Vert de Dresde, le plus gros diamant vert jamais trouvé. Lors de la restauration du château, il a été décidé de faire deux Voûte : l’ancienne, reproduite exactement à l’identique, jusqu’à la teinte des miroirs, et dans laquelle sont

disposés uniquement les trésors les plus précieux et la nouvelle, conçue comme un musée

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moderne. Pour des raisons pratiques, il n’est en effet possible de faire visiter l’ancienne galerie qu’à des groupes très restreints, car les objets ne sont pas protégés par des vitres. Nous n’avons donc pas pu nous y rendre.

Après avoir pu admirer de nombreux objets en or et en ivoire dotés de mécanismes particu-lièrement sophistiqués, ainsi que de sculptures d’une précision extrême sur de plus sobres noyaux de cerises, nous concluons la visite du château par la visite de la Türkische Cammer, l’une des plus anciennes et des plus importantes collections d’art ottoman au monde, permettant d’illustrer le rôle de la Saxe dans les guerres austro-turques, ainsi que la fascina-tion exercée sur les cours des princes électeurs par la culture et l’art de l’empire ottoman.

VM

Visite de la Frauenkirche

Après la tour guidée du musée nous nous sommes rendus à la Frauenkirche, au plein centre historique de Dresde, dans toute sa gloire après la reconstruction de l’église il y a sept ans. Chaque détail du bâtiment original a été méticuleusement reproduit et, en entrant, nous étions confrontés aux couleurs rose et de bleu fade, qui, malheu-reusement, ont été de goût à l’époque de sa construction.

Il s’est avéré que le concert gratuit qu’on avait promis était en fait l’office du soir mais, vaillants comme toujours, nous nous sommes mis à chanter de bon cœur les hymnes inconnus aux mélodies impossibles à déchiffrer. Bref, ce n’était pas des spectacles musicales les plus magnifiques, mais quand même une expérience aussi intéressante qu’inattendue.

Après, un laïc a donné aux touristes assemblés une visite guidée, nous montrant les spécificités architecturales de l’église, dont seulement le retable garde quelques éléments du tissu historique – apparemment un désir explicite du groupe d’habitants et d’entreprises locaux qui avait initié la reconstruction.

SP

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Mardi, 5 février : Albertinum, Hygienemuseum et Semperoper

La journée avait commencé tôt comme tant d’autres. Elle s’annonçait longue, épuisante. Visite (non guidée !) de la Galerie Neue Meister et de la Skulpturensammlung de l’Albertinum, suivie d’un parcours du combattant au Musée de l’Hygiène. Nous irions ensuite, le ventre plein, faire une reconnaissance des lieux au Semperoper (deuxième visite, guidée cette fois-ci) où le ventre plein cette fois-ci du repas du soir, nous retournerions pour assister à la représentation d’Orlando de Händel, dont je devrais offrir une présentation sommaire (avant la séance).

Nous traînions encore des restes de fatigue sous nos talons et nous nous adaptions peu à peu au temps germanique qui nous offrait copieusement sa neige. Nous avons quitté l’auberge à dix heures peut-être.

Un peu déçus par la fermeture de la Galerie Alte Meister, la perspective de passer une matinée en compagnie d’une foule d’épigones (si glorieux fussent-ils), puis de rater un coucher de soleil tout à fait banal au profit d’un étalage de fœtus au Musée de l’Hygiène n’était pas tout à fait réjouissante : nous n’étions pas venus pour contempler le miracle de la génération et de la naissance, mais pour nous engouffrer dans l’enivrant retour du même. C’était cela même que l’ossature cadavérique et funèbre de la ville, ce tas de décombres remis en place, de lacunes restitués sur le socle de la mémoire, nous inspirait déjà le premier soir quand nous la voyions projeter sa silhouette le long des rives du fleuve. Le froid n’arrangeait pas les choses.

Pourtant, la promenade s’est déroulée dans le climat de sympathie qui avait caractérisé notre entreprise dès le départ de Paris. Dans le tram, nous parlions déjà des tableaux des Nouveaux Maîtres, dont la concavité, la vacuité de certains noms non connus de tous était palliée par l’assurance que nous donnaient les Friedrich, les Dahl, les Carus. Au snobisme de certains répondait l’incurie des autres ; à l’intérêt profond de mes proches, le grouillement retentissant de mon ventre. Après tout, ils n’étaient pas si récents que cela, lesdits maîtres, et nous réussirions sûrement à tirer de l’Albertinum, voire du Musée de l’Hygiène lui-même, un enseignement hors pair. […]

Le premier bâtiment, large et imposant, était fidèle à l’héritage d’une ville qui (comme on nous l’avait fait comprendre à grand renfort de visites guidées) avait voulu plusieurs fois s’élever au niveau des grandes capitales européennes sans jamais y parvenir tout à fait (sa dernière chute avait été tragique). Divisé en deux grandes parties, le Musée était fort accueillant. Nos balbutiements timidement germanophones y ont su

trouver leur place et nous ont conduits, en groupes séparés, à en arpenter les couloirs. Deux niveaux donc, sinon deux étages. Au rez-de-chaussée, la Skulpturensammlung, dont le

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parcours chronologique, commençant par Rodin, se clôt sur une série d’œuvres contemporaines, nous a offert plusieurs vues imposantes de cette époque trouble et inquiétante de l’histoire de l’art. Dans la Klingersaal, les tableaux accrochés au mur reflétaient leurs couleurs ternes sur le marbre incolore des représentations sculpturales ou sur l’éclat du bronze ; ainsi les Franz von Stuck et les Böckling donnaient à la salle l’air mystérieux et grave des révélations avortées et Klinger lui-même déniaisait la candide pudeur faussement attribuée aux Grecs en la martyrisant d’éclats de marbre de couleur. D’autres que moi ont pu profiter des contorsions contemporaines de cet art, et de la sagesse apparente des siècles précédentes, incarnée par une collection richissime de pièces antiques, médiévales, et d’une bonne dizaine de bustes de Goethe ou de Schiller.

En remontant l’escalier on avait accès aux très vastes salles de la collection Neue Meister. Les premiers Friedrich étaient exceptionnels ; la suite de tableaux de Dahl (dont une vue de Dresde que nous aurions l’occasion d’apercevoir en vrai quelques jours plus tard), de Carus et Heinrich débouchaient sur des salles plus modernes. Nous avons pu admirer l’organisation de l’exposition, la largeur des espaces où nous pouvions déambuler et respirer à nos aises, le nombre et la variété des tableaux. Un élément surtout primait dans cette galerie : l’abondante hétérogénéité des couleurs qui, au fur et à mesure que nous évoluions d’une pièce à l’autre, changeaient dans un flux constant mais singulièrement divers. La salle consacrée au voyage égyptien de Slevogt mérite peut-être une mention particulière par l’unité du propos, la volonté totalisante de l’entreprise, la grandeur de l’exécution. Quant aux artistes plus modernes, Otto Dix interpelle notre attention et notre sensibilité peut-être plus que tous les autres, son triptyque de la Guerre marquant le début d’un parcours déchiré entre le caractère, la caricature et l’horreur, que contient à grand-peine l’épaisseur du tracé. Un nouveau cortège de couleurs fauves (d’autres Expressionnistes, die Brücke, Baselitz) nous déposent au cœur du Spannungsfeld de Richter : des deux salles consacrées à son œuvre, la première affiche une explosion liquide, presque organique, de couleurs ; la deuxième est une grisaille photographique tout aussi exceptionnelle, crue, cruelle.

Nous avons quitté les lieux dans une impression de satisfaction plus ou moins généralisée, mais nous n’avions guère envie, pas plus qu’au réveil, d’aller goûter aux douceurs prophylactiques du deuxième musée de la journée. Nous avons à peine eu le temps de manger, et pas un moment de repos, sans quoi j’aurais pu faire mon exposé sur Händel.

Malgré l’appréhension dubitative qui s’était emparée de nous, l’Hygienemuseum nous a permis de reposer nos cerveaux et nos yeux las après l’expérience picturale et le déjeuné expédié en quelques minutes. Rien à dire de très exceptionnel à ce propos : les activités du Musée sont divertissantes, elles empruntent à la grossièreté du corps humain et à la comédie du sexe tous les éléments nécessaires à nous les rendre insupportables le temps d’une après-midi, occasion d’autant plus divertissante que nous

avons pu contempler, dans toute sa misère, la splendeur microscopique de notre organisme, et jouer à précipiter notre vieillesse, hissés sur de longues perches, affublées de lunettes

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aveuglantes et d’autres grotesqueries du même genre. Puis il a fallu aller rejoindre les autres pour aller à l’opéra.

L’exposé sur Händel était imminent. Je m’étais même armé d’un livre supplémentaire en guise de garantie, d’assurance encyclopédique. Mais la présentation n’aurait lieu que le lendemain, dans le train, après celle, excellente, de Xavier qui portait sur l’art de Richter.

Bien que l’exposé n’ait pas eu lieu, la visite de l’Opéra a été intéressante : nous nous sommes installés aux places que nous occuperions le soir même, et nous goûtions déjà aux délices de cette salle circulaire, au travail du marbre où l’on avait gravé les noms des plus grands compositeurs allemands. Ceux qui, comme moi, l’ignoraient ont pu apprendre que l’opéra national des Allemands est le Freischütz, composé par Carl Maria von Weber en 1821, avec un livret de Friedrich Kind. L’horloge, les histoires qui circulaient autrefois autour du bâtiment, le récit de sa destruction et de la récupération presque épique (et ayant trait pourtant au fait-divers) des motifs angéliques du plafond, ont comblé cette petite heure de repos improvisé. Puis on s’est dispersé, on est retourné ou non à l’auberge, a flâné le long des rives ou simplement attendu le début de la représentation.

Celle-ci a été splendide, notre ignorance en matière de musique baroque (car l’exposé, je le rappelle, n’avait pas eu lieu, ce qui nous aurait évité ces premiers instants de gêne et d’hébétude) entravant à peine la bonne intelligence de chaque acte, de chaque scène. Nous étions au premier rang, ce qui nous a permis de contempler de près l’étrange regroupement d’instruments inouïs qui peuplaient la scène : le violoncelle baroque et sa vaste caisse de résonance en bois sombre, de même que la viole d’amour ou viola-d’amore (que d’aucuns appellent viole tambourin), l’instrument dont use l’insupportable narrateur du Doktor Faustus de Mann pour assommer son lecteur. Sur la scène, l’histoire de Roland et de sa bien-aimée, une magnifique princesse chinoise, était jouée par trois jeunes femmes (dont une, qui incarnait Roland, était enrhumée), dont deux des mezzos, remplaçant des castrats, soutenues par l’impressionnante voix basse du magicien Zoroastre. La bizarrerie du goût baroque ne nous a pas choqués. Le lendemain encore, un air hypnotique nous obligeait à revivre les instants les plus poignants de la pièce, à grands coups de « Si si », « No, no », « Non voglio ». La soirée s’est terminé sur ce ton ; nous sommes rentrés tard, épuisés mais heureux, après une journée de marche, de couleurs, de froideur et de grotesque, tempérée par cette musique que, savamment, en 1733, un Allemand avait composée en italien pour le divertissement d’une cour anglaise.

RS

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Mercredi, 6 février : Meißen et la TU Dresden

Le 6 février, direction Meißen où nous devons visiter la manufacture de porcelaine et nous promener dans la vieille ville. Après un voyage en train sympathique où quelques-uns font leurs exposés devant les voyageurs surpris, nous arrivons à la manufacture dans laquelle nous avons une visite guidée : nous apprenons les différentes étapes de fabrication des tasses et autres figurines en voyant faire des artisans, puis nous visitons une exposition retraçant l’histoire de la production de la manufacture. De joyeuses anecdotes tracent un portrait de plus en plus précis d'Auguste de le Fort (Gus le Costaud pour les intimes) : pour honorer le fondateur de leur établissement, les premiers porcelainiers de Meißen employ-èrent toute leur ingéniosité à fabriquer un grande clé en porcelaine (symbole de la clé de la manufacture dont Auguste était le propriétaire) … dont le principal intérêt était de renfer-mer secrètement une bouteille de vin. Nous découvrons aussi des pièces très curieuses et … raffinées : singes habillés en valets, francs-maçons montés sur leur bouc (symbole érotique bien connu), un carlin sous le bras, gigantesques paons et vases surchargés de fleurs ou se voulant « typiquement chinois » (la scène qui y est représentée semble mettre en scène des chinois faisant bouillir un enfant dans une marmite…), sangliers, bergères, petits animaux à l’air agressif (voir figure 1) … il y en a vraiment pour tous les (mauvais) goûts ! Certaines pièces modernes nous plaisent cependant, notamment un orgue en porcelaine dont nous aurions aimé entendre jouer. Après cette visite, nous traversons les somp-tueuses boutiques les bras collés au corps (pour une fois nous étions véri-tablement soulagés d’avoir dû dépo-ser nos gros sacs au vestiaire !).

Figure 1 : Célèbre ragondin de Meißen surmonté du symbole ulmien

Puis nous partons visiter le centre-ville, sans nous attarder dans le restaurant de la manu-facture, où nous aurions pourtant pu manger dans de l’authentique porcelaine de Meißen ! En passant par les petites rues, bien qu’affamés, nous montons à l’Albrechtsburg, joli château attenant à une église de pierres noires curieuse car inachevée (on voit le ciel à travers les tours). Magnifique panorama sur la ville depuis les hauteurs (il fait très beau, voir figure 2), puis visite express (il se fait tard !) des grandes salles de l’Albrechtsburg, qui ressemblent assez aux châteaux de Bavière. Patinage artistique en pantoufles dans les salles au parquet ciré, puis nous déboulons dans les rues du centre-ville à la recherche d’un petit restaurant et d’une Bäckerei bien sûr, afin de goûter la FAMEUSE spécialité culinaire de la ville, le « Fummel », pâtisserie que Wikipedia et le dépliant de l’office du tourisme décrivent comme soufflée, fragile et surtout « amusante » (je cite). Pauvres innocents que nous étions : nous ne savions pas encore à quel point nous allions nous amuser. Après un très bon déjeuner, non sans quelque humiliation puisque l’on demande à certains leur carte d’iden-tité pour boire de la bière (ndlr : nous plaisantons bien-sûr, il est évident que les Normaliens ne boivent pas d’alcool en voyage scolaire), nous trouvons donc ce fameux « Fummel », qui

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est en fait un ersatz de pain azyme rempli de vide et tombant en miettes dès qu’on essaie de le manger. Nous sommes ainsi cruellement renvoyés à notre condition de touristes-pigeons. Heureusement, les Eierschecke et autres gâteaux sont là pour nous réconforter !

Figure 2 : Vue de Meißen obtenue au prix d'un effort physique intense

Nous reprenons le train pour Dresde, en mangeant nos gâteaux (ndlr : sans faire de miettes dans les trains publics allemands) et en écoutant un exposé très intéressant sur Gerhard Richter. Une fois rentrés nous nous rendons à la TU où la responsable du Bureau Internatio-nal nous fait visiter le campus principal de l’université et nous informe sur les procédures des échanges Erasmus avec Dresde. Nous ne pouvons finalement pas rencontrer d’étudiants, puisqu’ils sont en congés de révisions, mais nous visitons des bâtiments et apprenons quel-ques caractéristiques de l’enseignement universitaire en Allemagne.

Après cela, quartier libre jusqu’au soir où certains vont au cinéma voir le film « Hannah Arendt » de Margarethe von Trotta. Notre dîner se compose essen-tiellement des habituels mais toujours aussi délicieux Brötchen agrémentés de fromage et charcuterie et du chocolat acheté en masse au « Rewe », afin de respecter l’équilibre des gras essentiel dans la cuisine allemande. Toute la soirée, loup-garou dans le couloir – et cinéma

pour certains, avec le plaisir de pouvoir boire de la bière dans la salle de cinéma tout en contemplant (ou non) les amours d’Hannah Arendt et d’Heidegger.

LB & ML

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Jeudi, 7 février : Bautzen et Görlitz

Après un petit déjeuner pantagruélique, nous partons tous guillerets pour Bautzen, dans la neige et le froid. Bautzen ? Cela ne vous dit rien, vraiment rien ? Eh bien vous venez de prouver que vous n’êtes pas allemands ! Car pour tout Allemand qui se respecte, Bautzen, c’est naturellement la ville « au passé qui ne passe pas », ville obscure, ville de torture ... mais certes pas de villégiature !

Ainsi, nos pas empressés nous ont conduits jusqu’à l’imposante entrée de la tristement célèbre « Bautzen II », prison du Kaiser, puis du NSDAP, et enfin et surtout de la Stasi. Premier groupe français à fouler le sol de ces lieux lugubres, nous nous sommes sentis, l’espace d’un instant, comme Arm-strong posant le pied sur la Lune. Grâce à notre guide, qui avait consciencieusement préparé la visite en français (conscient de l’événement histo-rique que représente notre présence française), aucun détail n’a pu nous échapper ! Après avoir franchi l’infranchissable grille, le guide nous a priés de bien vouloir aller dans le « garach » pour visionner une vidéo portant sur l’histoire de la prison. Ensuite, nous avons pénétré dans la « salle des Oncles », pièce capitonnée qui contrairement à celle de Proust n’abritait pas de mangeurs de made-leines, mais des officiers de la Stasi dont la seule parole régissait l’ensemble du système péniten-tiaire. Notre sang s’est glacé quand nous avons appris que certains de ces « Oncles » coulaient en-core une existence paisible à Bautzen même…

Imaginez-vous à présent la vie quotidienne des prisonniers à travers une succession de cellules et d’interminables escaliers en fer. Gling gling – le guide ouvre des portes de cellules, nous en fait découvrir l’aménagement au cours du temps, blam, les portes se referment. Dans la plus ancienne cellule, on ne voyait, outre un lit, une table et une armoire, qu’une seule paillasse, le prisonnier ayant le choix de s’en servir comme couverture ou comme ma-telas … Le sommeil lui-même devient torture, la position sur le dos est réglementaire, et un système « évolué » permet au gardien d’allumer la lumière à n’importe quel moment de la nuit. Dlinglingling – le guide fait glisser sa clef sur les barreaux, produisant un bruit insuppor- table qui se répercute dans toute la prison, le but étant d’épuiser les nerfs des prisonniers.

Bref, vous l’avez compris, la torture ici est bien plus psychologique que physique. Nous avons découvert en particulier le cas d’un prisonnier hors du commun, dont l’évasion extraordi-naire et l’histoire d’amour sont dignes des plus grands romans d’aventure. Christophe (c’est-à-dire le guide) a su jusqu’à la fin de la visite tenir en haleine notre groupe de petits Français de plus en plus blêmes ! Après un bref détour du côté des cellules d’isolement, à l’intérieur conçu dans le seul but de pousser à l’extrême la souffrance des détenus, nous nous retrou-vons à l’air libre, l’esprit déjà entièrement absorbé par l’épineuse question (du latin quaes-tio, recherche, question, torture) de trouver un endroit où nous pourrons nous sustenter.

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Bautzen : Vue depuis la Ortenburg Görlitz : Untermarkt Pendant que certains visitaient la ville médiévale, d’autres ont préféré une fois de plus rendre hommage à la gastronomie allemande. Puis, nous nous dirigeons vers Görlitz, desti-nation qui suscite d’autant plus notre enthousiasme que la ville se situe sur la frontière germano-polonaise formée par la Neiße (je pense que vous n’aurez pas de peine à trouver qui est l’auteur de cette phrase). Ville à l’architecture riche et foisonnante, totalement épargnée par la guerre, Görlitz est magnifique. L’un d’entre nous demande le chemin à deux Saxons, et nous voici tous à nouveau dans une Konditorei, devant des boissons chaudes et autres pâtisseries allemandes. Et bientôt, au cri de « la Pologne, la Pologne ! » nous nous élançons pleins d’ardeur à l’assaut du pont conduisant à la terre promise. Il ne serait pas faux de dire que notre déconvenue fut à la hauteur de notre enthousiasme initial. Outre le fait que les rues étaient désertes, ce à quoi nous étions habitués, nous avons découvert des façades décrépites agrémentées de vieilles paraboles, et une formidable décharge qui nous a offert une des photos les plus marquantes de ce voyage. Nous en profitons pour féliciter Hélène aux pieds agiles, qui s’est avancée le plus loin en terre polonaise !

Görlitz/Zgorzelec : Altstadtbrücke sur la Neiße

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Nous retournons alors en Allemagne où nous errons dans les rues sombres lorsque, sou-dains, nous reconnaissons, mais est-ce bien vrai ? à travers la vitrine illuminée d’un bouqui-niste, nos lecteurs ( vitrine à laquelle nous nous collons littéralement, ce qui les a bien fait rire). De retour à l’auberge après un traditionnel passage au « Rewe », nous nous endor-mons tandis que se brouillent déjà en nous, en évocations tournoyantes et confuses, le sou-venir des façades colorées de Görlitz et bien moins colorées des geôles de la Stasi. Note des auteurs : nous controns par avance ceux qui voudraient nous accuser de plagiat en leur disant que nous savons bel et bien que l’expression « évocations tournoyantes et con-fuses » est tirée de Du côté de chez Swann de Proust et nous les prions de bien vouloir nous excuser d’avoir oublié les guillemets. BH & SJ

Vendredi, 8 février : Leipzig

La découverte de la Saxe que permet un voyage à Dresde appelait un passage à Leipzig, capitale poli-tique du Land. Une heure et demie de train suffit pour parcourir la centaine de kilomètres qui sépare les deux villes. Malgré le froid et la brume, la grande place devant la gare donne à voir, dès les premiers pas, une ville active et encore en pleine mutation, après de vastes entreprises de reconstruction : tandis que lignes de bus et tramway se croisent, les nom-breux passants longent les traces du chantier contro-versé du City-tunnel, et le regard se dirige déjà vers le centre historique, attiré par une fresque murale colorée.

À l'heure du déjeuner, les rues commerçantes sont très animées. Si les vendeurs de Currywurst rencon-trent un succès certain, les clients se pressent aussi au grand marché du centre-ville, ceint de bâtiments Renaissance tel que l'ancien Hôtel de Ville, sur la place publique historique, où se trouvaient activités administratives, marchandes, et judiciaires, en té-moignent par exemple l'ancienne balance de l'office de pesage, ou la présence des armes de la ville. Une visite de Leipzig suffit à rappeler combien musi-que et religion ont historiquement partie liée. Parmi les nombreuses formes de patrimonialisation du

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domaine musical, la Thomaskirche offre une expérience particulièrement intéressante. Adaptée et transformée au fil des époques, elle questionne les rapports en histoire, patrimoine et mémoire, pour un visiteur qui, placé face à des orgues de facture contemporaine, une structure gothique et un décor intérieur du XIXe siècle, ne peut s'empêcher de penser à Jean Sébastien Bach. Après avoir dégusté les « alouettes » de Leipzig (Leipziger Lerchen), délicieuse pâtisserie à base d'amande, nous entendons découvrir une facette de l'offre culturelle abondante que propose la ville, et portons notre choix sur le Musée Grassi.

Le nouveau bâtiment qui accueille le Musée Grassi depuis 1926 a été construit à l’est de la Johanniskirche, un peu au-delà du centre de Leipzig aujourd’hui rénové. Il nous fallut donc traverser l’Augustusplatz, ce qui nous permit d’admirer le Gewand-haus et d’entr’apercevoir sa superbe fresque « Gesang vom Leben » due à Sighard Gille. Le Musée Grassi comporte en fait trois sections : le musée des

instruments, le musée d’ethnologie (Museum für Völkerkunde) et le Musée des arts appliqués (Museum für angewandte Kunst, connu sous le nom de Kunstgewerbemuseum Leipzig lorsqu’il fut créé). Notre petit groupe se dispersa au gré des préférences de chacun ; c’est dans le musée des arts appliqués que je vous guiderai. Le bâtiment offre de vastes espaces et le musée, ré-ouvert en 2007, déploie sa collection sur un long parcours, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Nous déambulâmes donc parmi la vaisselle antique, puis des tissus. Plus loin, d’énormes serrures du Moyen Age et de la Renaissance, aux mécanismes complexes, attirèrent notre attention. Impossible également de passer à côté de la porcelaine de Meißen, aisément identifiable après notre visite à la manufacture. J’eus la fierté de voir que la porcelaine de Bourg-la-Reine côtoyait les pièces de Meißen. La présentation des collections était remarquable et la reconstitution des styles mobiliers réussie. Nous pénétrâmes notamment dans des intérieurs bourgeois de style Biedermeier. La section suivante était consacrée aux arts asiatiques. Enfin, la partie la plus riche peut être était celle intitulée « De l’Art nouveau à l’art contemporain ». Après de la vaisselle Art nouveau agrémentée de libellules, de chauve-souris et autres drôles de bêtes, après les fauteuils tubulaires de Breuer, nous pûmes découvrir … un mixeur, une télévision, des radios, et, clou de la collection, un Mac et un Ipod. Nous étions assez stupéfaits de la diversité des objets présentés. Les acquisitions ne sont plus aujourd’hui systématiques ni très fournies mais la collection telle qu’elle est présentée provient de dons et d’envois de citoyens et de fondations de Leipzig qui lui permirent de compter parmi les plus importantes d’Europe. En fin de parcours, une installation dont j’ai malheureusement oublié l’auteur nous divertit fort. Une pièce carrée plongée dans le noir, des caméras repérant notre emplacement, associées à des projecteurs, et le tour était joué : nos déplacements et mouvements sem-blaient provoquer l’apparition de motifs géométriques, floraux, stellaires et autres sur le mur, en réalité projetés par le dispositif décrit plus haut.

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Le musée des arts appliqués se révéla donc être un très bon choix, le musée des instruments étant apparemment un peu ennuyeux et celui d’ethnologie quelque peu vieilli. Nous nous retrouvâmes tous en fin d’après-midi à l’entrée du Conservatoire supérieur de Musique et de Théâtre (Hochschule für Musik und Theater « Felix Mendelssohn Bartholdy » Leipzig) fondé en 1843 par Mendelssohn lui-même. Nous fîmes un rapide tour dans cette célèbre institution. C’est dans le grand Salon que nous eûmes la chance d’écouter une amie de Hella chanter des lieder allemands et français, (Schubert, Schumann et Poulenc princi-palement) ainsi que l’air de la Reine de la nuit de Mozart. Après avoir dîné d’une pizza, plat tout à fait typique qui décidément à Leipzig concurrence les Würste en tout genre, retour à Dresde. BM & AA

Samedi, 9 février : Freiberg, une ville qui donne bonne mine ! Ce jour-là, nulle sonnerie de réveil ne retentit à l'étage que nous occupons au Sunshine Hostel. Il faut croire que la matinée de temps libre qui nous a été accordée commence pour la majorité du groupe par une petite grasse matinée... Puis, l'enthousiasme et le dynamisme refont surface, et notre petite bande s'éparpille : certains s'élancent dans Dresde en quête de librairies, tandis que d'autres vont plus modestement dans leur supermarché préféré ...

... pour repartir les poches pleines de quelques denrées allemandes à ramener en France, (Brötchen, bières locales, Spätzle, jus de cerise, Haribos in-connus, Kinder Riegel car, comme chacun sait, ces derniers sont bien meilleurs quand on les achète dans leur pays d'origine...), histoire de continuer une habitude prise pendant ce séjour : cuisiner « typisch deutsch » .

L'après-midi, Ralph nous emmène visiter les mines d'argent de Freiberg. Valentin nous fait un exposé sur la ville dans le hall de la gare. Elle est célèbre pour son importante école d'ingénieur, l'Ecole des mines de Freiberg, qui est la plus ancienne école des Sciences de la montagne encore en activité. On y a notamment fait la découvert de l'indium et du germanium, deux éléments de la table de Mendeleïev. Il nous faut marcher dans la campagne enneigée avant de parvenir à la mine, ce qui fait le bonheur des amis des pays nordiques. Une fois parvenus à la mine, nous devons enfiler des combinaisons intégrales - et ô combien élégantes ! - avec bottes, casques et lampes frontales. Notre guide nous explique les quel-ques consignes de sécurité à respecter et, après s'être assurés que personne n'était ni cardiaque, ni épileptique, ni enceinte, nous nous enfonçons par petits groupes dans les pro-fondeurs, grâce à deux ascenseurs, ressemblant à de grandes cages ... Le « voyage au centre de la terre » peut commencer.

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Depuis 1969, l'activité des mines a peu à peu cessé et se sont mis en place des projets éducatifs et touristiques, notam-ment dans les années 1990. Aussi les mines sont-elles utilisées de nos jours de manière expérimentale par les élèves des écoles d'ingénieur. Nous évoluons à la file indienne dans les boyaux tortueux de la mine, en suivant la voie ferrée. Par moment, nous ne sommes éclairés que par la lueur de nos lampes frontales. Notre guide nous

renseigne sur l'histoire géologique et technique de la mine et comme mens sana in corpore sano , l'acrobatie n'est pas exclue du programme : nous montons chacun notre tour le long d'une échelle... Nous formons désormais un groupe de mineurs aguerris !!

Nos bottes rincées, nous remontons à la surface et quittons -à regret, il faut bien l'avouer- nos costumes de mineurs. Il nous reste du temps avant de reprendre le train : sur le chemin qui nous mène à un café, le voyage prend des allures de classe de neige, les boules de neige fusant joyeusement ça et là. Dans un bar irlandais, des bières de la région pour les amateurs, des chocolats chauds et des Apfelstrudel, pour les plus gourmands, aident les apprentis mineurs à se réchauffer.

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Puis nous revenons à Dresde : Hella et Ralph nous emmènent faire un dîner d'adieux dans un restaurant bio, où un sympathique serveur nous a préparé une immense table. Alors que nous dévorons différentes spécialités, les langues et les rires vont bon train, tandis que sont évoqués les bons moments de cet agréable voyage qui touche désormais à sa fin...

HO & LP