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Ce texte a été rédigé dans la médiathèque Pierre Amalric d'Albi de septembre 2011 à avril 2012, lors de 13 séances. Ont participé, entre autres : Julie Lobello Donguy ; Gg ; Gil Stroh ; Christian CANTY ; Laureitalia ; Pascale Descarpentrie-Vandeville ; Hirainez116 ; Hervé Jubert... Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait fortuite. De même, nous déclinons toute responsabilité quant aux effets secondaires non souhaités voire gênants que ce texte pourrait avoir sur le lecteur (tachychardie, perte des repères, envie irrépressible de choux, syndrome de personnalités multiples...) C'est dit. JOURNAL D'UN CONDAMNÉ À MORT INTERNET EN PRISON… UNE RÉVOLUTION ? Depuis le 6 octobre, l’accès internet a été établi dans la prison de *** pour suivre les recommandations parlementaires du rapport sur l’humanisation des prisons. Le premier à y avoir accès est le condamné à mort *** qui exprimera ses dernières volontés dans son blog jusqu’au printemps prochain. Ce jeune homme jugé il y a déjà un an pour ce crime horrible qui a marqué nos mémoires a bénéficié de la bienveillance du personnel pénitencier. Il attendait avec impatience l’ouverture de cette fenêtre sur le monde pour pouvoir retrouver sa dignité, en attendant une hypothétique révision de son procès. S.B

journal d'un condamné à mort - Hervé Jubert | site officiel d'un condamne a mort.pdf · I La cacophonie Mon Rapport psychiatrique concernant le détenu n° ***** /1 Rappel des

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Ce texte a été rédigé dans la médiathèque Pierre Amalric d'Albi de septembre 2011 à avril 2012, lors de 13 séances.

Ont participé, entre autres :

Julie Lobello Donguy ; Gg ; Gil Stroh ; Christian CANTY ; Laureitalia ; Pascale Descarpentrie-Vandeville ; Hirainez116 ; Hervé Jubert...

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait fortuite.

De même, nous déclinons toute responsabilité quant aux effets secondaires non souhaités voire gênants que ce texte pourrait avoir sur le lecteur (tachychardie, perte des repères, envie irrépressible de choux, syndrome de personnalités multiples...)

C'est dit.

JOURNAL D'UN CONDAMNÉ À MORT

INTERNET EN PRISON… UNE RÉVOLUTION ?

Depuis le 6 octobre, l’accès internet a été établi dans la prison de *** pour suivre les recommandations parlementaires du rapport sur l’humanisation des prisons. Le premier à y avoir accès est le condamné à mort *** qui exprimera ses dernières volontés dans son blog jusqu’au printemps prochain. Ce jeune homme jugé il y a déjà un an pour ce crime horrible qui a marqué nos mémoires a bénéficié de la bienveillance du personnel pénitencier. Il attendait avec impatience l’ouverture de cette fenêtre sur le monde pour pouvoir retrouver sa dignité, en attendant une hypothétique révision de son procès.

S.B

I

La cacophonie

Mon Rapport psychiatrique concernant le détenu n° ****** /1

Rappel des faits :

Le détenu n°******, convaincu de meurtre et condamné à mort par le tribunal de ****** souffre du syndrome de personnalités multiples.

Sa culpabilité ne pouvant être remise en doute et le Législateur désirant appliquer la peine prononcée dans le respect des droits du condamné (cf. article 48-3 du Nouveau code de procédure criminelle), nous avons été chargés de déterminer sous quel profil le meurtrier avait porté le coup fatal à la victime ******.

En accord avec les autorités pénitentiaires, nous avons lancé l’expérience baptisée « Journal d’un condamné à mort. » Le détenu a régulièrement accès à un blog, qu’il nourrit selon son inspiration, en toute liberté.

Au vu de sa production, nous pouvons affirmer que son syndrome est plus complexe que nous l’envisagions de prime abord. Nous, experts, l’avions quantifié à trois personnalités distinctes lors du procès d’Assises. Il semblerait qu’il y en ait au moins six.

Les voix suivantes, récurrentes et clairement différenciées se sont dégagées de son écriture. Par commodité nous leur donnerons des pseudos correspondant à l’alphabet radio :

- Anatole

Articles : Mon p’tit chez moi

Mode d’expression : première personne du singulier, langage

parlé, familier, voire grossier.

Alpha souffre d’amnésie et se considère innocent. Il parle de ses enfants et de Dino, son gardien attitré.

- Joseph

Articles : Au parloir

Mode d’expression : descriptif, romanesque, [enflammé ?]

Joseph nous intrigue à plus d’un titre. Il se lit comme un roman. Il se met en scène dans le parloir. Il se projette dans un personnage que nous baptiserons « la compagne. » Le discours de Joseph, face à elle, est incohérent : il a tué la fillette dont parle Gaston, ou plusieurs personnes non identifiées, ou des jeunes filles correspondant au même physique qu’il aurait piégées. Des fantômes hantent ses nuits.

La veste (élément tangible) apparaît.

Joseph parle de pulsions de mort et sexuelles. Il se définit comme un prédateur. Il aurait tué dix femmes « naïves et ingénues. »

- Henri

Article : Rêve

Mode d’expression : première personne du singulier

Henri est confus, tant dans ses souvenirs que dans son identité sexuelle.

Parle de flammes, d’odeur de pourriture, de blanc, de chaînes.

Personnalité à surveiller de près.

- Raoul

Article : Pourquoi suis-je en prison ?

Mode d’expression : première personne du singulier, langage

direct

Personnalité éphémère et improbable.

Improbable car brève comme un feu de paille. (En psychiatrie, nous parlons de résurgence comportementale spontanée).

Personnage de 13 ans, alcoolique et pyromane. Il aurait tué un professeur (monsieur Bouché) en mettant le feu à sa voiture sur le parking du collège. Noter le retour des flammes.

- Victor

Article : La mort et variations

Mode d’expression : exposé et première personne du singulier

Victor se confronte à ce qui l’attend, la Mort, dans une démonstration truffée de citations. Il flirte dans certains passages avec l’écriture automatique. Le détenu aurait-il été philosophe ou enseignant dans sa vie antérieure ?

-Torino

Article : Pourquoi je suis en prison ?

Descendant direct des Borgia, tue à la Belladone. Susceptible et impulsif.

Conclusion provisoire :

Nous rappelons aux Autorités que nous ne savons encore rien du détenu n°***** qui, non content de souffrir du syndrome de Pers.-Mut. n’a toujours pas été identifié.

Certains éléments présents dans ces « confessions » pourraient jeter une lumière sur son histoire.

Nous recommandons la continuation de l’expérience.

Fait à ***** le 16 novembre 2012

P/o *******

Mon p'tit chez moi (Anatole s’exprime)

Je me réveille. Matin blême, cerveau embrumé, un rayon de lumière m’éblouit ; où suis-je?Sous moi le matelas inconfortable me meurtrit le dos. Du coup, je m’assieds sur le lit. Face à moi un mur, couvert de graffitis qui entourent une sorte de fenêtre d’où vient la lumière blême du matin. Grisâtre comme tout ici. Une étagère et une table occupent le reste du mur. Une odeur aseptisée monte du coin toilettes.Derrière la porte, me parviennent des bruits de voix indistinctes. Quel est cet endroit? Qui sont ces gens? Dehors, dedans? Besoin d’eau.L’eau : tiède. Je tente de me réveiller en passant cette eau sur mon visage qui espérait la fraîcheur.

La cellule est petite, j’ai à peine la place de me tourner, de la porte au lit du lit à la fenêtre je tourne en rond. Au travers de la porte me viennent les bruits des gamelles du café, enfin de la pisse de rat qu’ils appellent café ici. Heureusement j’ai pu échanger des cigarettes contre des barres de céréales, car le pain rassis bof bof pour déjeuner. Taulard peut être mais j’ai gardé des goûts de luxe.

Assis j’attends que le judas s’ouvre pour laisser passer le bol et la cuiller. Je garde le pain pour Minie , ma compagne de cellule, une petite souris grise qui vient chaque matin chercher sa croûte de pain et prendre de mes nouvelles. Je l’aime bien la bestiole, la seule qui ne me juge pas et qui ne m’emmerde pas avec des raisonnements comme le baveux ou le curé qui voulait sauver mon âme hier au parloir.

Ils me fatiguent tous ces cons. J’en peux plus d’être en cage, dans ces murs gris dans le bruit continuel sans intimité réelle tout est surveillé, et pourtant j’ai tué personne moi ou bien je m’en souviens plus.

Minie arrive comme si elle suivait le chariot à travers les murs de cellule en cellule, et si elle me trompait si elle acceptait des croûtes d’autres mains que les miennes? La salope je vais la crever si je l’apprends.

Je sais pas ce qui se passe dans ma tête tout se mélange, avec ce qu’il me donnent comme médocs y a des jours ou j’ai de la purée dans la tête, de la purée de chou et en plus j’ai jamais aimé les choux, qu’en j’en croisais un je lui foutais un coup de pied, j’aime pas les choux.

Le judas s’ouvre, je reconnais l’oeil qui s’y colle, c’est le fou aujourd’hui, il me regarde toujours avant d’ouvrir la trappe comme si j’allais le mordre, Quoique! c’est pas l’envie qui me manque

- Fesses de lièvre va, fais passer le café, tu rigoleras après.

- Fais pas le mariole sinon je te renverse le bol, eh résidu de caniveau!

Sympa les échanges matinaux, vous ne trouvez pas ? Ça vous met en forme pour la journée.

-Tiens Minie voila ta croûte.

La souris grimpe sur mon chausson puis sur mon pantalon monte par ma chemise, se pose sur mon bras. Ses vibrisses me chatouillent la joue. C’est le seul contact amical dans ma vie en ce moment. Je lui donne sa croûte, elle la prend entre ses dents et dévale ma chemise, saute par terre et file dans le trou sous la table. Je suis seul de nouveau je bois la lavasse. La journée commence.

Journée de merde tiens ! En plus il doit pleuvoir,

ça sent l’humidité ou c’est encore la tinette du voisin d’au-dessus qui fuit et qui tache le plafond de mon modeste palace. J’en parlerais à mon assurance, s’il me laisse sortir un jour.

Pourquoi suis-je en prison ? (Raoul enfant s’exprime)

N’importe quoi, j’étais bourré le jour où j’ai écrit ça ou quoi (je tiens pas encore très bien l’alcool j’ai que 13ans…) ?

Moi, mon truc c’est de créer des jolies flammes, en plus la matière organique leur donne une jolie couleur. Après c’est pas ma faute si c’est tombé sur Mr Bouché (vous vous rappelez, mon prof qui me harcèle). Le con il dormait dans sa voiture à côté du collège, une Mercedes FLAMBANT neuve (haha je suis trop drôle^^), tu parles une aussi belle caisse ça m’a tout de suite donné envie ! Il venait de se faire larguer ou j’sais pas trop quoi en tout cas il avait pris des somnifères, il a rien senti…ou presque ; ça me dégoûte en plus, le mec il m’en a trop fait baver et moi je lui procure une mort douce !! Je suis trop gentil. Bon, c’est pas ce qu’ont pensé les enquêteurs et cet idiot de médecin légiste, qui a analysé les dents du gros, a trouvé des couronnes en OR (il se prenait pour qui celui-là ?) et quelques autres dents qui lui ont donné l’identité de la ”victime” (genre c’est lui la victime, ça me fait marrer, ça se voit qu’ils sont pas en heures de colle avec moi ceux-là :@). Ils m’ont trouvé grâce à mon briquet spécial Eminem, ils m’ont dit que j’étais un délinquant juvénile et ils m’ont accusé de l’avoir fait exprès ! Comme si c’était mon genre, moi j’agis à l’instinct, et j’aime les jolies flammes, c’est tout. Ou pas…

Pourquoi je suis en prison ? (Torino s’exprime)

Je suis innocent c’est vrai, je n’ai tué personne, me suis contenté de l’EMPOISONNER. Théoriquement parlant, le poison l’a tué, c’est lui qui devrait être en prison.

Moi, digne descendant de la famille Borgia, ai envoyé mon meilleur assassin, Mister Belladone, punir cet homme pour asseoir mon pouvoir, et aussi parce qu’il menaçait ma vie afin d’accéder à mon trésor ! Ah ah ah ! Accessoirement, j’ai aussi envoyé Belladone, digne d’un caméléon, directement dans son estomac via une tarte à la myrtille.

Rapidement, la culpabilité de Mister Belladone a été détectée, et je ne sais pas quelle torture ils ont utilisée, mais il a parlé et ils sont remontés jusqu’à moi.

Au parloir (Joseph s’exprime)

Debout devant le lourd portail gris elle attendait l’ouverture lui permettant l’accès au parloir. Cette attente était toujours une épreuve depuis trois ans. Depuis trois ans il était incarcéré pour un meurtre qu’il n’avait pas commis, elle en était certaine. Les jurés l’avaient condamné à mort et depuis, les visites s’effectuaient de manière encore plus draconienne.

Enfin le parloir… Elle est assise sur une petite chaise inconfortable : devant elle, une vitre épaisse derrière laquelle il apparaît vêtu de la tenue informe du condamné à mort. Elle le regarde, lui sourit, sourire auquel il peine à répondre, les yeux perdus. Il s’assied face à elle, la regarde, peine à fixer son regard

sur le sien, absent. Elle tente de l’accrocher, ne veut pas qu’il baisse les bras. Depuis sa condamnation, le contact charnel leur est interdit. Elle voudrait l’embrasser, lui insuffler sa force. Elle respire un grand coup. Peu de temps leur est accordé.

- Bonjour, je t’ai amené le soleil aujourd’hui.

Il la fixe enfin, droit dans les yeux, un sourire ironique aux lèvres.

- Le soleil, quel soleil ? Celui des néons de ma cellule, allumés jour et nuit, nuit et jour… Il n’y a plus dorénavant qu’un astre dans ma vie. Celui de ta présence qui me réchauffe le coeur. Je dois t’avouer quelque chose de terrible avant de mourir…

- Non ! Tu ne vas pas mourir, je me bats pour que tu ne meures pas, tes parents se battent, ton comité de soutien continue d’agir, personne ne baisse les bras ! Tu n’as pas le droit d’abdiquer, sois fort, reste fort comme tu l’as été jusqu’à présent je t’en prie! Je sais que tu es là parce que tu as voulu me protéger. Je ne peux l’oublier…

- Non ! Je n’ai pas voulu te protéger. J’ai menti, oui, j’ai menti à tout le monde. J’ai tué, je les ai tués, tous, un par un. Je ne veux plus qu’ils viennent hanter mes nuits. Alors, je les ai éliminés…

Elle le regarde incrédule, atterrée : fou, il devient fou!

- Mais de qui parles-tu ? Tu es accusé d’avoir violé, puis étranglé cette petite fille, la nuit où nous nous étions donné rendez-vous…

- Quelle petite fille ! Je te dis que je les ai tous tués. Tu comprends, toutes les nuits, ils me tirent par les pieds en me hurlant : avoue, allez avoue que c’est toi ! On a les preuves de ton crime, ton emploi du temps, ton alibi, tout est faux ! Tu n’y échapperas pas à ta condamnation à mort. Je n’en peux plus de les entendre, ma tête éclate. Qu’on en finisse et vite…

Elle le regarde, accablée. Que peut-elle lui dire, comment l’exhorter à garder courage ? Que sait-elle de cet univers carcéral au juste ? Elle est libre de ses mouvements. Elle voudrait prendre sa place pour ne plus voir ces yeux de mort-vivant. Elle ne trouve plus ses mots, cherche fébrile, ne pas perdre de temps ; pas de temps à perdre, pas de temps à perdre, pas de …

- Je t’aime si fort, tu le sais que je donnerais jusqu’à mon dernier souffle pour te sortir de là.

- Que dis-tu là ! Tu restes libre non ?

Libre ! La révolte lui monte au coeur. Comment peut-il prétendre qu’elle est libre ! Pas un jour, pas une nuit depuis ces trois ans, où elle ressasse en boucle ce cauchemar. Leur histoire, leur vie a basculé depuis ce jour où le corps sans vie de cette petite fille a été retrouvé, à quelques centaines de mètres à peine de leur lieu de rendez-vous. Un rendez-vous amoureux secret. Elle était mineure à l’époque, juste à quelques mois de sa majorité mais il n’empêche. Ses parents étant très stricts, elle ne voulait pas provoquer de tensions familiales qui n’auraient pas manqué de surgir s’ils avaient été informés de sa relation avec A. Ce dernier n’était guère plus âgé qu’elle. Ce soir-là, elle avait prétexté une rencontre avec sa meilleure amie, qui était dans le secret de leur liaison. Et elle avait couru le coeur léger à l’idée de ces quelques heures, vers son amoureux.

Ils se sentaient si bien ensemble qu’ils en avaient oublié l’heure et c’est très vite qu’ils s’étaient mis sur le chemin du retour. A. s’était aperçu de l’oubli de sa veste en arrivant devant la maison de sa belle et avait fait demi-tour pour la récupérer. Le lendemain, au petit déjeuner, elle avait appris avec stupeur par la radio son arrestation. Que s’était-il donc passé ? A. lui avait avoué avoir menti aux enquêteurs pour la protéger face au scandale. Ses

déclarations mises à mal par la vérification de son faux alibi l’avaient institué coupable sans hésitation. Pourtant les recherches d’ADN n’avaient rien donné et cela aurait dû inciter les enquêteurs à réorienter leurs investigations. Cela n’avait pas été le cas au grand dam de ses parents, de ses amis et des comités de soutien rapidement formés après sa condamnation.

Elle s’était spontanément présentée à la police, avait tout avoué à ses parents, qui devant la gravité de la situation n’avaient élevé aucun reproche à leur fille. Malgré son témoignage, la machine à broyer judiciaire ne s’était pas arrêtée.

Chaque jour était une lutte de tous les instants pour tenter de l’extirper de ces griffes implacables. Elle ne pourrait revivre que le jour où il franchirait la porte de cette prison, libre…

Tout en revivant ce long chemin, elle fixa son regard sur le sien, l’accrocha et lui dit :

- Si tu crois que tu vas te débarrasser de moi comme cela, n’y compte pas. Nous sommes liés que tu le veuilles ou non et tu n’en as pas fini avec moi…

Il lui adressa enfin un sourire, un sourire d’enfant confiant.

Il la regardait d’un air angélique. Elle le défendait bec et ongles d’un meurtre qu’il n’avait pas commis. Non, il aurait été incapable d’ôter la vie à un petit ange. Par contre, il avait pris un plaisir sadique à voir mourir ces jeunes filles après les avoir piégées. Il continuait à la regarder en souriant… Il faudrait bien qu’il lui avoue un jour, qu’elle était prévue sur cette liste lugubre. Elle devait la vie sauve à ce malheureux concours de circonstances qui l’avait envoyé en prison, le privant de son dessein machiavélique. Il rageait de ne pas avoir vu aboutir ce projet funeste. Elle le contemplait confiante, naïve et crédule. Ils les aimaient ainsi :

ingénues, fraîches et innocentes.

Lorsqu’il avait commencé à sentir ces pulsions de mort, c’était peu après sa première expérience amoureuse ou plutôt sexuelle car seul le désir entrait en ligne de compte dans la relation nouée avec la jeune fille qui l’accompagnait ce jour-là. Elle était fraîche mais plus délurée que lui, timide et sans expérience. Il ne savait comment s’y prendre avec elle et elle avait fini par rire de son incapacité à mener à bien cette intimité amoureuse. Elle riait, lui disait que cela n’était pas grave. Mais ce rire l’avait profondément, irrémédiablement blessé, résonnait encore dans sa tête, pour toujours. Depuis, il traînait cette impuissance comme un boulet. Il menait chaque conquête avec ardeur, passion, convaincant et convaincu. Chaque scène se répétait. Il les allongeait doucement, délicatement, tourmentait leurs sens. Rien ne montait en lui, que la sève de la vengeance qui lui pénétrait doucement le cerveau tel un élixir. Puis, l’excitation de ce corps offert à son apogée, il saisissait doucement la fine lame qu’il cachait soigneusement et visant précisément le coeur, plantait l’arme fermement, jouissant des derniers soubresauts de sa victime qui n’avait pas le temps de sentir la vie s’enfuir.

Il ne savait pas combien il en avait tué au juste. Cinq, dix, peut-être plus ? La prudence lui imposait de laisser du temps entre chaque victime, le temps de changer de région, de visage, d’identité. Cela lui avait plutôt réussi jusqu’à cette nuit où cette petite fille avait disparu. Il ne savait pourquoi, cette nuit-là, il n’avait pas pu aller jusqu’au terme de son macabre projet de tuer. Il ne savait pourquoi au juste mais il avait décidé d’épargner sa compagne… Jusqu’à la prochaine fois. Un éclair de lucidité lui traversa l’esprit, cet esprit qu’il maîtrisait difficilement. Il lui semblait posséder un magma informe à la place du cerveau. S’il réchappait de ce cauchemar, il était bon pour l’asile psychiatrique.

Avait-il vraiment tué ses anciennes amantes, ou était-ce encore de ces trous qui l’envahissaient de plus en plus. En avait-il seulement tué une seule ? Dans le brouillard de ses pensées, il lui semblait que oui, mais il n’était pas sûr…

Elle lui dit au revoir comme à l’accoutumée, en lui envoyant un baiser de ses lèvres, jointes en forme de coeur, sortit du sas du parloir, puis franchit le lourd portail de la prison qui se referma avec un bruit sinistre. À cet instant, un sentiment de malaise la rattrapa, elle ne se sentait pas bien, avait envie de vomir. Il avait voulu lui avouer quelque chose qu’elle l’avait empêché de dire, elle le regrettait maintenant. Elle avait, pour la première fois, aperçu quelque chose qui la dérangeait dans ses yeux. Une lueur de prédateur dans un regard jusqu’alors amoureux et bienveillant, du moins lui semblait-il. Elle était brusquement troublée. Qu’avait-il voulu lui dire ?

Ces années de lutte pour le sortir de là l’épuisaient, mais la galvanisaient aussi et elle ne renoncerait pas à l’extirper de ce bourbier. La condamnation avait été prononcée mais le recours en grâce pas encore demandé. Elle se fit la réflexion qu’elle ne savait de lui que ce qu’il avait bien voulu lui montrer tous ces mois où elle l’avait fréquenté avant son incarcération.

Rêve (Henri s’exprime)

“Froid – Frissons – Un cri – Que s’est-il passé ? J’ai peur, une larme pointe, le froid perce ma peur. Au-delà, une onde de paix , un ciel d’acier, mais bleu, bleu comme des yeux, comme une onde sans heurt, pure. Moi, je suis là, les poignets attachés par des fils invisibles.

Je suis qui ? Manu ? Dominique ? Hélène ?

Mal partout, mal au dos, à la tête. Au loin une musique s’élève, douce. Tout a pourtant explosé tout à l’heure, dans une grande flamme rouge, des odeurs de pourriture parviennent à mes narines brûlantes. Une musique s’élève, mais je ne comprends pas. Peur, peur de comprendre, mais quoi ? Comprendre quoi ? Qu’est-ce que je fais ici ? Qui m’a mis ici ? Je suis dans le sommeil ; depuis quand ? Je rêve ? Non, oui … comment sortir de là ? Il faut en finir …

Je me sens libéré d’un poids, mais ce poids aurait aussi bien pu être de la faim que de la culpabilité que je n’aurais pas su faire la différence, c’est bête n’est-ce pas ?

Des chaînes sont tombées, j’entends encore l’écho du choc avec ce qui pourrait être le sol mais que je ne saurais situer. Le tintement des maillons qui se tordent dans leur chute, essayant de se séparer ou peut-être de rester ensemble.

Il faisait noir autour de moi, je me suis cru aveugle, maintenant il fait blanc. Comme dans du lait, ou peut être de la farine, à moins que ça ne ressemble plus à un nuage. Jamais, jamais, jamais, jamais . Je ne veux plus jamais retourner dans ce noir.

Je suis heureux. Après tout je l’ai toujours été !”

C’est le rêve que j’ai fait il y a de cela 3 jours, et étrangement je m’en souviens parfaitement.

Face à soi-même (Joseph s’exprime)

Allongé sur le dos, un bras replié derrière la tête, il fixait les néons du plafond allumés en permanence. Il avait réclamé, en vain, un

masque de protection pour ses yeux fatigués. On lui avait répondu qu’il n’en avait plus pour très longtemps à supporter cette lumière et que non, décidément, il n’était pas question d’accéder à cette requête de petit confort. On ne sait jamais, il aurait pu avoir l’idée de se suicider avec ce masque. Le désespoir pouvait décupler l’imagination quelquefois…

Ces derniers temps, il avait pas mal déliré, s’accusant de tous les meurtres engendrés par les accusés de tous poils incarcérés dans cette prison. Petite fille, jeunes filles, lame affûtée, tout se mélangeait douloureusement dans sa pauvre tête dans une paranoïa incontrôlable le laissant sans force, vidé de toute substance vive. Il n’était plus qu’un mort-vivant et se prenait à souhaiter que tout aille très vite maintenant. Il n’espérait même plus la révision de son procès que réclamaient sans relâche son comité de soutien, sa compagne, ses parents. Leur argument phare était l’absence de son ADN relevé sur le lieu du crime. Ils réclamaient de nouvelles expertises plus poussées.

Il sentait au plus profond de lui-même, malgré ses délires, qu’il n’était pas ce monstre dépeint lors du procès. Il se savait innocent, incapable de tuer une mouche, même pour sauver sa vie. Cette idée le fit éclater de rire. Vraiment ? Incapable de tuer une mouche même pour sauver sa vie ? Il fit une moue dubitative.

“Allez, sois honnête vis-à-vis de cette pauvre mouche qui s’imagine que tu vas lui laisser la vie sauve par esprit de chevalerie. Bien sûr que tu l’écraserais sans remords ou que tu la balaierais d’une chiquenaude sans hésitation. Ne te fais pas plus grand que tu ne l’es”.

Oui, mais si cette mouche bien particulière était la réincarnation d’un proche ? Tout changeait à cette perspective, la vision de l’insecte prenant une autre dimension. Il s’imaginait converser

avec l’insecte, celui-ci lui répondant par des “bzzzzzzzzzzzzz” frénétiques. Il fût pris d’un fou rire bienfaisant pendant quelques minutes lorsqu’il avisa une petite ombre au plafond, juste à côté du néon. Une mouche ! Comment diable avait-elle pu entrer dans la cellule. Seule une bouche d’aération permettait de revivifier l’air de ce cube aussi froid qu’un tombeau. Il fixait la bestiole, incrédule.Celle-ci amorçait de petits mouvements et se rapprochait avec des “bzzzzzzzzzzzzzzz” discrets. Maintenant posée près de sa tête, elle le fixait de ses yeux à facettes et semblait attendre une réaction de sa part. Son rire s’était éteint et il ne savait que faire : lui parler ou l’écraser ? Et si elle se trouvait là pour une raison bien précise ? Peut-être était-ce une mouche très particulière, télécommandée, envoyée dans un but bien précis ? Oui, mais lequel. Un rire féroce et tonitruant le saisit tout à coup, presque dément. Là vraiment, il perdait définitivement la “boule” : une mouche extra terrestre…

“Pourquoi ris-tu ainsi, trouves-tu ta situation enviable ? ” demanda une voix fluette tremblotante dans un bruissement ininterrompu de “bzzzzzzzzzzzz”. Il tomba de son lit, de plus en plus hilare, hoquetant, se roulant à terre. La mouche parlait, elle lui faisait la morale, le morigénait. Jamais il n’aurait imaginé pouvoir encore rire de la sorte, d’aussi bon coeur…

Plus elle lui parlait plus il riait, plus il riait plus elle lui parlait. Il était heureux de cette crise de fou rire, peut-être le dernier qu’il lui serait donné avant son exécution. Ce mot lui fit retrouver brusquement la raison et il s’arrêta net.

“Ah ! Tout de même ! Je désespérais te voir retrouver ton sérieux ! A-t-on idée de s’esclaffer de la sorte !” fit la mouche.

Il la regardait, hébété. Dans quelle dimension était-il arrivé pour entendre une voix à travers cet insecte… Les yeux à facettes le

fixaient… Que devait-il faire ?

Au milieu de ce fatras de pensées, il se souvint qu’on l’appelait le tueur au Playmobil car la victime avait le visage couvert d’un masque représentant un personnage de la célèbre marque de jouets. Il aurait voulu maquiller son crime en brûlant le visage de sa victime et en le couvrant de ce masque. Il l’aurait tuée en lui injectant une forte dose de Belladone, lui aurait fait une injection de bulle d’air dans une veine du coude. Ridicule ! Enfantillages !… Il n’avait aucune connaissance médicale, éprouvait une peur bleue à la vue d’une seringue et de toute façon il avait toujours préféré les Legos et les Mecano. Alors le masque du Playmobil, cela le faisait bien rire. Enfin, pas tant que ça puisque ce jouet allait le conduire à l’exécution capitale dans peu de temps…

La mouche le fixait, tranquillement à sa toilette, passant soigneusement ses pattes sur ses ailes translucides ses yeux à facettes lui renvoyant sa propre image : celle d’un pauvre type que l’on pouvait à peine qualifier d’être humain à présent. Elle l’interpella brusquement, l’extirpant de ses pensées .

“Alors, tu ne ris plus ? As-tu pensé à ce que tu veux que l’on fasse de ton corps après ta mort ? Je sais, cette question est abrupte, mais j’aime bien aller au vif du sujet sans fioriture. Seras-tu enterré, incinéré, légueras-tu ton corps à la science ? Ce geste serait beau et noble, non ? Je vois d’ici les titres de journaux : “Un condamné à mort offre son corps à la science pour racheter sa conscience”. Il n’est pas beau ce titre. Moi, je le trouve accrocheur…”

Je regarde l’insecte, interloqué. Qui me l’envoie, que me veut-elle ? L’envie de rire m’a quitté, ou plutôt je ris jaune maintenant. Mon corps à la science ! Un tremblement nerveux entre le rire et le sanglot me secoue. Mon corps à la science : pour ce qu’il en

reste ! Maigre à faire peur, depuis que j’ai déclenché cette anorexie mentale qui m’empêche d’avaler la moindre bouchée, l’enveloppe n’est pas jolie à regarder, alors l’intérieur … Même mon âme se réduit à peau de chagrin ! Je lui réponds sarcastique :

“Non, pas de legs à la science, je vais demander à être jeté dans une décharge à ciel ouvert, comme cela tu pourras venir me danser sur le corps avec tes congénères jusqu’à ce que je ne sois plus qu’un pauvre asticot infâme et dégoûtant ! Qu’en penses-tu ?

La mouche me regarda avec une avidité soudaine et me sourit, découvrant deux rangées de dents magnifiques. Une mouche avec des dents ! Je réalisai à peine l’incongruité de cette évidence burlesque, absurde.

Elle me questionna encore :

“Tu n’as vraiment pas deviné qui je suis ?”

Je la regardais attentivement espérant un éclair de lucidité. Comme toutes les mouches, elle était noire. Noire ! Je la regardai, terrifié, n’osant la nommer. Elle vit que je savais…

“Oui, mon grand, je vois que tu m’as identifié, enfin. Il t’en a fallu du temps, tu as le cerveau un peu ralenti, excuse-moi de cette offense…”

La Faucheuse ! Oui, c’était elle.

Ma découverte me laissa sans voix. J’entendis la clé cliqueter doucement et vis Dino, mon gardien attitré entra, cherchant visiblement la discrétion. Je le regardai intrigué. Que me voulait-il à cette heure inhabituelle ?

II

L'enquête

Merci (arrivée sur les lieux)

ENQUETE PRELIMINAIRE

MEURTRE

Le jeudi ***** 20** à trois heures dix minutes du matin.

Nous soussignés, chef de brigade Cruchot et gendarme Lampion nous sommes rendus suite à un appel anonyme sur la départementale ****************reliant ****** et*** ** et avons constaté les faits suivants:

- Une Clio bleue nuit, immatriculée 7982 TG 81, à l’arrêt, en travers de la route, les deux portières côté passager ouvertes. De la portière avant gauche, un corps de sexe féminin allongé sur le siège avant passager droit , portant un casque de playmobil le visage brûlé.

Aucune trace de coup apparent.

L’habitation la plus proche (la ferme Borde haute) est distante de 800 mètres. Les occupants, Monsieur et Madame *******, agriculteurs, interrogés par le gendarme Lampion ont déclaré ne rien avoir entendu durant la nuit. Par contre ils ont constaté le vol d’un engin agricole (une vendangeuse) dont nous avons donné le signalement.

La cellule d’investigation scientifique du SRPJ de ************* a été avisée et est arrivée sur les lieux à quatre heures du matin.

Concernant l’appel anonyme qui a été enregistré, il a été passé avec le téléphone portable de la victime. Le correspondant avait quitté les lieux. Nous le soupçonnons d’avoir volé l’engin sus-cité.

À ******, le ***** 20** à quatre heures quinze, nous n’avons rien à changer, à ajouter ou à retrancher. Nous persistons et signons.

Merci (rapport d’autopsie)

De la victime ***** déposée à l’institut médico-légal de ******

Autopsie réalisée par Georges T. Murderer

La victime est de sexe féminin. Elle est âgée approximativement de 35 ans.

On peut observer une brûlure au premier degré sur le visage réalisée post-mortem (dilatation des vaisseaux sanguins réagissant négativement au test de Schlomber)

Cause de la mort: Injection d’une bulle d’air dans la veine médiane du coude, qui est remonté au cerveau, son trajet certainement facilité par une forte prise d’aspirine, causant une privation d’oxygène à celui-ci. Mais ce n’est pas ce qui l’a tué, le meurtrier, sans doute impatient, lui a administré une très forte dose de Belladone.

Interrogatoire de Mr Bouché :

professeur de mathématiques

-Quels sont vos nom et prénoms ?

Bouché Alfred Aristide Isidore. Je sais, vous devez être jaloux, c’est souvent le cas chez les pauvres Patrick, Marcel ou Georges…Vous, vous devez vous appeler Léonard. Ne me répondez pas, j’en suis sûr : j’ai le flair pour ça, figurez-vous !

-Âge et profession ?

54 ans, 25 ans d’enseignement. Professeur de mathématiques, ou du moins ce qu’il en reste…

-Vous avez été cité dans le cadre d’une procédure criminelle par le dénommé…

-Ai-je le droit de garder le silence ?

-Vous n’êtes pas ici en tant qu’accusé, vous êtes donc libre de vos faits et gestes.

-Allez droit au fait, je n’ai pas que ça à faire, je ne sais pas si vous êtes au courant mais la jeunesse de la France est en décrépitude !

-Bon…Mr****** vous a tu…euh nommé dans son blog

-Quoi ? Son quoi ? J’espère avoir mal entendu ! Un condamné a accès à internet ? Pauvre France !

-Bon passons. Il vous a nommé et vous l’auriez eu comme élève, en 4e alors qu’il avait 13ans.

-Vous êtes drôles vous ! 4ème de quelle année ? Vous me prenez pour le guide Michelin ?

-Je ne vous prends pour rien du tout. Je vais vous montrer une photo de cette personne maintenant plus âgée. J’aimerais que vous la regardiez et que vous me disiez si vous le reconnaissez, oui ou non ?

-Oh, je sais pas… Je me fais vieux vous savez…Ces yeux

chafouins pourraient me dire quelque chose…Vous n’auriez pas quelque chose à manger ?

-Je vous fais apporter un café. Mais j’aimerais vraiment que vous répondiez. Après calcul, il se trouve que c’était en 19**-19**. Vous rappelez vous de quelque chose cette année-là ?

-Ah, la Bretagne…l’air frais, la pluie qui cingle le visage…

-La Bretagne ? Vraiment ? Très intéressant ça Monsieur. Que vous rappelez-vous d’autre ?

-Qui vous a dit que c’était cette année-là ? Qui vous dit que ce n’est pas là où je pars en vacances pour Noël ? Parce que là, vous devez faire partie de ces malotrus qui pensent que nous, les garants de l’éducation française, avons trop de vacances, et vous essayez de m’en prendre ! Mais ça ne se passera pas comme ça, je vous préviens !

-Monsieur, s’il vous plaît, nous sommes dans une enquête criminelle. Nous ne faisons pas ça pour vous embêter, mais pour faire passer aux aveux un criminel qui a tué une femme en lui injectant de la belladone, une bulle d’air dans le sang, et en lui brûlant le visage. C’est plus clair maintenant ? Ou vous voulez que j’appelle mon supérieur ?

-Enfin, mon jeune ami, ne vous fâchez pas. Je n’aime pas particulièrement les femmes, mais je vais vous dire ce dont je me souviens : cette année-là fait effectivement partie de mes ”années Bretagne”. J’y suis resté de 19** à 19**, et je n’ai là-bas que des bons souvenirs, excepté un : un petit imbécile avait brûlé ma nouvelle voiture le 15 décembre 19**, la seule Mercedes que j’ai pu acheter, avec mon salaire de misère…

-Une Mercedes ?? Vraiment ??

-Non, je vous raconte n’importe quoi depuis tout à l’heure !

-Comment ?

-Vous me tapez sur les nerfs, jeune homme ! Finissons-en, enfin !

-Reprenons. Votre Mercedes a été brûlée en 19** par un de vos élèves.

-Qui vous a dit que c’était un de mes élèves ?

-Euh…c’est pas le cas ?

-Si, mais ce n’est pas une raison pour affirmer quand on ne sait pas. Je crois que c’est typique de votre génération. Ce Raoul, ou Robert, avait aussi affirmé que ma femme m’avait quitté…

-Raoul ???? Vous avez dit Raoul ???

-Je crois que vous devriez aller chez l’ORL, mon biquet.

-J’ai des vérifications à faire, restez-là !

-Et vous voulez que j’aille où, exactement ? Et mon café, il s’est perdu ?

Clac !! (le gendarme Lampion claque la porte, sans répondre).

III

La confusion en guise de fuite

Et si j’étais elle ! (Henri s’exprime)

Pourquoi ? Je me surprends a avoir un langage inhabituel, ce n’est pas moi, qui m’habite ? Ces mots, ces couleurs, le rouge, le noir, le blanc…Cette foule autour de moi, un théâtre antique, non, plus grand encore…. ce blanc . C’est à cause de Manolo, ce raseteur condamné pour trafic avec tous les manadiers de Camargue qui s’est retrouvé dans la même cellule que moi, toutes les images me sont revenues quand il m’a montré ses photos, ce costume blanc et cette cocarde rouge. Le voilà, là devant moi, allez c’est le moment, je vais tout lui dire. Il a du mal a comprendre lui aussi, tout de blanc vêtu, il me questionne, tout s’emmêle, part dans tous les sens, comment organiser tout ça. Revenons au début, cette foule qui s’exclame dès que le rouge apparaît, ce rouge vif qui coule sur le sable avant de disparaître. Je suis là, je la tiens dans la main, dans un moment je vais devoir lui lancer, elle ne sera pas la seule, il en aura des dizaines , des centaines, un tapis recouvrira le sable une fois que cette masse noire sera immobile face à son meurtrier, tout de lumière vêtu. Il a fait ça pour moi, il sait que j’aime, il connaît ma fascination pour ce moment, cette mort m’est dédiée, incroyable. Il tue pour moi, j’aime le voir face à ce noir avec toutes ces dorures, ce rose qui débute la courbe de son corps. C’est fou de se rendre compte du plaisir que c’est de donner la mort.

Rêve ou amnésie ? (Henri s’exprime)

Condamné à mort. Le couperet est tombé. De présumé coupable, j’espérais devenir présumé innocent, retrouver la liberté.

J’ai menti. Oui, j’ai menti… Mais que celui ou celle qui n’a jamais menti me jette la première pierre. Oui, j’ai menti. Pouvais-je exposer celle que j’aime à l’opprobre de sa famille ? Oui, j’ai menti pour la protéger. Elle m’a pressé de dire la vérité, qu’elle assumerait, ferait face.

Trop tard ! La machine infernale n’a cessé de me broyer depuis, individu insignifiant, fétu de paille balayé. Deux ans pour en arriver là et cette fillette que l’on m’accuse d’avoir violée, étranglée. Un cauchemar dont je vais me réveiller, non ? Je rirai à gorge déployée, je rirai aux éclats comme un gosse soulagé d’échapper aux conséquences d’une grosse bêtise.

Ses cheveux longs encadrent son petit visage régulier éclairé de deux grands yeux éclatants de vie; une fossette au menton lui donne l’air espiègle d’une enfant heureuse de vivre. Elle tient un chaton dans ses mains, le lève à portée de ciel, mordant la vie à pleines dents. Les images défilent, les jurés, la salle, tous écoutent, regardent, baissent les yeux, les relèvent, regardent l’accusé, incrédules, accusateurs, blêmes.

Je baisse la tête, pantin désarticulé. L’ai-je tuée ? Est-ce moi ce monstre que l’on décrit, dénué d’âme et de sentiments, sans pitié pour cette jeune vie ? NON !… Ce n’est pas moi, je vous le jure. J’ai menti, oui, j’ai menti, mais elle vous l’a dit que j’étais avec elle, que cela ne devait pas se savoir de ses parents, sa famille. Elle est mineure. Elle vous l’a dit, rougissante, que perdus dans la nature, nous avions ce rendez-vous d’amoureux. Elle vous l’a dit que, surpris par le temps, nous sommes partis précipitamment et que c’est sans doute lors de ce départ précipité que j’ai égaré cette

veste que l’on a retrouvée. Cette veste, pièce à conviction de ma culpabilité évidente, flagrante, puisque découverte à quelques centaines de mètres du lieu du crime.

Pendant que nous nous aimions, une petite fille était ensevelie sous la terre, inerte, morte, froide si froide. La lune brillait haut dans le ciel et nous éclairait doucement, tendrement. Les bruissements nocturnes des animaux, le vent, les arbres nous racontaient la nuit. La vie s’animait en nous ardemment tandis qu’elle se retirait d’elle.

Dans ma veste, mes papiers; un jeu d’enfant pour remonter jusqu’à moi, m’inculper, coupable, forcément coupable; le doute n’est pas permis.

Condamné à mort… Le corps baignant de sueur sous la lumière glauque allumée en permanence, je m’agite, murmure des mots incohérents les paupières fermées.

Trois hommes en blanc entrent, me saisissent, je hurle, me dresse haletant sur ma couche. Un cauchemar, ce n’était qu’un cauchemar.

Condamné à mort. Je suis condamné à mort, mais pas pour le meurtre d’une petite fille, j’ai oublié la raison de ma condamnation. Je suis coupable de parricide, non, de fratricide, non du massacre de ma famille, non. Je ne suis coupable de rien, je ne sais plus, j’ai oublié, amnésique. Amnésique, vraiment ?…Mais de quoi m’accuse t-on ? Pourquoi veulent-ils m’exécuter ?

AMI de MAI (Victor s’exprime)

Mot : contumace ! Tout commença rue Pan par une dispute

stupide dans des décors de cordes au mitan du matin. Repus de mes peurs pures, j’entre terne, crétinisé de sincérité. Des cascades en saccades de tonnerre ornèrent les bouts obtus de tentes pas nettes, veules et velues sous la lice du ciel. Il faut tasser les astres, usiner les ruines, évaser l’averse, mettre un terme à l’entraide dentaire, aux rentes ternes, aux sept pets, aux trois rôtis.

Mon arme rame sur la mare ivoire de la voirie.

Lové sur un vélo volé, j’ai dû attirer le traître au trentième étirement. Imaginer la migraine dans les plis du slip. Mon crâne rance fait un écran nacré afin de ne pas évacuer mon cerveau mais breveter la vertèbre du démon du monde. Tuile utile ? Être pute, peut-être ou père têtu.

Mascarade camarades ! Bien, mal égale minable légale !

Je fais un genre de règne sur ma taule autel et l’éloge de ma geôle. Comme un revenant vénérant des gars gras, j’essore les rosées pâles des Alpes et patine inapte loin du lino et des langues de lagunes. Un cor traîne un contraire de mélodies démolies sur la rive ivre des glaciers graciles. Ses notes osent des bouts obtus aux sonorités d’ostensoir. Il dilate le détail de ma peine épine, la reliant au ralenti à une nue par un rap. L’ermite mérite l’aigle agile et le milan malin. Art de rat !

Cette peine de mort c’est ton demi-père, ton épiderme. Merci le crime ! Cette antichambre me branchait déjà. Ô le réel calcul racé dans ma cellule carcérale.

Condamné ? Donc amen ! et ne rien nier.

En prison, prions !

Ouf je suis fou ! Mourir enfin, moi infirme noir mou “mais on n’allume pas une chandelle à la flamme d’un bûcher.”

Rapport psychiatrique concernant le détenu n° ****** /2

Durant cette période, les personnalités multiples du condamné se sont cristallisées autour de la figure dominante de Henri, dont les principales caractéristiques sont les suivantes :- Il est toujours sexuellement confus- Il entretient un dialogue fictif avec lui-même, ou un autre, ou la mort- Henri parle d’une victime chimérique (fillette violée, étranglée). Mais des éléments réels apparaissent dans son récit : la veste trouvée sur les lieux du crime (pièce à conviction n°****) ; la petite amie, mineure au moment des faits ; son temps d’emprisonnement (2 ans)Henri est une figure instable, transversale, cauchemardesque.Il semblerait d’ailleurs qu’Henri ait trouvé sa limite. Lors de sa dernière session d’écriture, le condamné a laissé la parole à Victor, celui qui, des six, joue le plus sur les mots.Encore un moyen de s’évader, de faire un bras d’honneur au système carcéral, d’explorer ses propres failles via une écriture quasi automatique ?Nous recommandons à nouveau la poursuite de cette expérience unique dans les annales psychanalitico judiciaires.

IV

Retour sur Terre

j’aime/j’aime pas

j’aime :

- Ma maman

- Les canards

- Le chocolat

- Ouvrir ma fenêtre lorsqu’il fait -4 dehors

- Me foutre de la gueule des gardiens

- Mettre “putain con” comme un point à la fin de mes phrases

- Éventrer mon boudin pour reconstituer le meurtre du cochon

- Cueillir des framboises

- La petite musique de la SNCF pour se faire pardonner de leur retard

- Bouquiner

- L’accent du québécois qui essaie de parler chinois

- Le nombre d’or

- Charlie Chaplin et Kaamelott

- Le rap

-Les jolies flammes

- jouer aux playmobils

J’aime pas :

- Les retards SNCF

- Les cons qui me piquent mes idées brillantes (j’ai inventé la poudre mais le brevet à été déposé avant moi par un mec qui a lu par-dessus mon épaule)

- Les fraises

- Lully, cet homo qui voulait se taper Louis XIV

- L’orange (ça rappelle les carottes et j’ai toujours peur d’avoir les fesses roses après)

- Mon prof de Maths de 4e : Mr Bouché

- Miro

- L’inspecteur qui m’a coffré (il louchait et essayait de me regarder méchamment, ça me fait rire)

- Les choux

- Les gens violents

- Les écolos ou les membres des assoces humanitaires qui te harcèlent pour donner un bout de pain à un orphelin

- Justin Bieber

la journée type d’un condamné (Anatole s’exprime)

7h00 : la sonnerie de l’alarme m’arrache à mes rêves. je me lève, je vais pisser. Je suis devant ce miroir de merde qui me déforme la gueule. Je suis laid, je ne sais même plus si c’est moi, si je suis moi…….je prends ce peigne crasseux, comme chaque matin, pour tenter de me rendre supportable, disons regardable.

7h30 : “le petit déjeuner est servi, monsieur”. Tu parles, du café pisseux, lyophilisé, du pain de la veille, des biscottes rances, et aujourd’hui, c’est sans sucre. Bon pour la ligne.

8h00 : je me recouche, de toute façon, j’ai que ça à foutre….je dois attendre 10h pour la promenade, et encore, si je la ramène pas d’ici là, sans quoi j’attendrai demain. Je relis pour la énième fois Le désert des tartares….

10h00 : j’enfile le sweat humide de DROGO et me prépare à l’assaut. Dino m’ouvre la cellule. J’avance d’un pas et me range derrière les autres.

10H10 : je fais la ronde, “tape tape petites mains, tourne tourne petit moulin, petit moulin a bien tourné, petites mains a bien tapé”, mes enfants me manquent, le manque crée du vertige dans cette arène dépassionnée, déshumanisée.

11H : fin des rondeaux, je remonte dans la forteresse déserte. Attendre encore jusqu’au repas, pisser, lire, pioncer, siffler, fumer, je prend le peigne crasseux que je repasse dans mes cheveux, rare contact sensuel sur mon cuir chevelu

11H45 : j’entends le bruit des serrures que DinoM ouvre névrotiquement pour apporter le plateau préparé par des taulards en mal d’activités : betteraves, paëlla, yaourt, baguette, ni trop chaud, ni trop froid, ni bon ni mauvais, ni fade, ni relevé, nini…

12H30 : fin du festin, je lave mes couverts et la table à l’eau de javel fournie par le service, la prison a horreur des miettes, des petits , des faibles, des pauvres

13H30 : je peux aller à la bibliothèque, échanger mon désert contre Zonzon de Alain GUYARD, ou faire du Taïchi pour rester zen, ou atelier d’écriture, “hors les murs” est publié une fois par an, j’y écris parfois, avec les autres détenus, ensemble.

15H : je pars à la muscu dans la salle, avec le prof payé pour ça, ça défoule, pendant ce temps le cerveau arrête de tourner, je crois, où il continue, mais je ne sens rien.

17H : douche froide dans les vestiaires de la salle, et retour dans la cellule numéro 162, faudra que je pense à acheter du savon Dove quand je recevrai un peu d’oseille, pisser, lire, pioncer, fumer,

18H45 : j’entends le bruit des serrures que DinoM…soupe, salade verte, brandade de morue, banane, pour tenir toute une nuit, jusqu’à l’alarme.

L’eau à la bouche (Anatole s’exprime)

À midi Dino vient me dire que le dirlo veut me voir dans son bureau. Va encore falloir que je me trimbale dans les couloirs j’ai pas envie de marcher aujourd’hui, mal aux pieds souvenir de mes années de restau, toujours debout à servir les clients à courir d’un étage à l’autre. et qu'est-ce qu’il me veut encore le chef. Je rumine tout ça en mangeant le rata du jour, daube de chameau au vrai sable du Sahara et en guise de vin nouveau la piquette du jour.

Dino est venu, le dirlo a causé.

Résultat il me demande de gamberger à mon dernier repas, mourir oui mais avec l’estomac plein; ils pensent à tout dans cette tôle !

Des souvenirs me reviennent du temps où j’étais jeune, je bossais chez Garrouste, un super resto à l’époque à Argeles à côté de Lourdes. Tiens je vais leur demander l’oreiller de la belle aurore, vous savez pas ce que c’est?

C’était la recette du chef de Léonce le cuistot du resto. Une fine gueule et un fana de jules Gouffé, un cuisinier du temps d’il y a

longtemps. Il faisait ça une fois par an et tout ce que la région comptait d’huile se pressait a la porte de Garrouste pour se faire péter la panse le dimanche des rameaux.

J’étais minot et apprenti et bien traité par Léonce, il m’aimait bien et me demandait de l’aider. Je me souviens encore de la recette. il va en chier le bourru de la tôle !

Pour commencer il faut une oie de guinée 7, 8 kg, plumer vider flamber, réserver le foie, la farcir d’un perdreau ou d’un faisan, farci lui même d’une caille, farcie d’un poussin, farci d’un oeuf de grive, farci d’une olive. Ca c’est le principe tout est dans la préparation,

Léonce disposait chaque élément sur son établi de travail et oeuvrait patiemment chaque oiseau, moi je devais les flamber après les avoir plumés je les passais lentement à la flamme du fourneau et je tournais et retournais la bestiole avec l’odeur des plumes qui grillaient dont la vapeur m’entrait dans les narines, la flamme l’odeur tout me ravissait. Par moment je la sens encore flotter dans mes rêves, des rêves de feu de grillade de chair qui cuit….

Puis Léonce préparait les sauces avec lesquelles il enduisait chaque oiseau avant le de farcir, chaque sauce était différente, l’ensemble donnait un gout fabuleux au plat. Moi après le service j’en avais toujours une part qui m’attendait, et Léonce me demandait chaque fois mon avis, si c’était meilleur que l’an dernier ou si le thym ou le laurier ressortait bien dans le perdreau ou le faisan ?

Voilà ce que je vais demander au cuistot, un oreiller et même je lui dirais que je sais la recette et que je la ferais avec lui et que j’irais chercher les herbes au jardin comme avant et que ……. Je sais plus, tout se brouille, le feu, les plumes les couteaux dans ma main

qui suis-je…

Rapport psychiatrique concernant le détenu n° ****** /3

Nouveau phénomène de cristallisation. Cette fois, la personnalité d’Anatole étouffe les autres. De plus, les centres d’intérêt sont matérialistes (déroulement d’une journée, dernier repas du condamné.)

L’approche de l’échéance fatale en serait-elle la cause ?

V

L'animal social

On nous écrit de l’autre côté du mur (Anatole s’exprime)

Ce matin au déjeuner minie arrive comme d’habitude, saute sur mes genoux et après avoir grignoter za croute de pain elle se met sur le dos 4 fers en l’air. Machinalement je lui gratouille le ventre . Sous mes doigt je sens une plaque dure, je baisse les yeux et je vois qu’elle a collée au ventre une sorte de pochette souple qui contient une plaque carrée de quelques millimétres. J’extrais l’objet, c’est une carte mini sd pour le téléphone portable et autres gadgets du genre. J’en ai pas de téléphone mais mon lecteur mp3 les lit ces cartes. je glisse la carte dans l’appareil et un texte apparaît.

Slut je suis ton voisin de cabane. Si tu veux plus renvoie la souris avec ton texte.

Ok je veux bien tapais-je

je re-glisse la carte dans la souris qui saute de mes genoux et file . Cinq minute après elle revient, re courte re carte et :

Je suis Fil j’étais fildeferiste dans un cirque , j’ai un plan pour se baré d’ici ça te branche?

Oui je m’ennuie à mourir!

la souris repart revient

j’étais conto et fildeferiste au cirque Plumar, je sais me fofiler dans un trou de souri et me carrapattter comme une araignée, je suis nin aussi. Il m’ont mis en tole car il disent que j’ai tué la fille

de la famme a barbe, mais s’est pas vraé elle s’est tirée avec l’home tronc en vélo. mais sa les arange de ma cuser.

la sourie je lai draisser pour fere plin de chose elle va tiré un file de soi des barot de ma fenaitre à la cheminé en fasse je pourré tirer une corde et venir te chercher au fet tu paise combien car si s’est plus de sang kilo ça fera pas

75 kg à peu près mais c’est un peu casse gueule ton truc mais après tout mourir ici ou dehors, et pour le mur?

je sais faire comme les araigné qui marche au plafon alors le mur je m’en fous je te lencerè une corde pour que tu pase dessu.

Tu veux faire ça quan?

babar cé la souri, elle me ramaine du fil je fais la corde, j’en ai trois maitre il en faut vin mais sa va vite dan un moi jé fini et on se barre

Moi dans un moi je serais parti mais entre 4 planches t’as pas plus rapide?

ah té condamé a morre? moi aussi mé s’est pour den plu lontant que ma mere elle ma condamé a vivre alors jai du tant encorre. dailleurs ma mere elle est partie ossi avec le donteur de pusse quan javai 4 an sé lu qui ma apri a dresser les souri et panse a done du fromage a babar sinon elle fatigue et veu plu travailer

me fatigue le nain il est dingue aussi m’en fous de sa mère!

c’est pas un plan sérieux mais ça fait toujours un copain à qui causer.

“Tiens mini babar voila du carburant pour courir dans les murs, t’as de la chance toi de galoper ou tu veux.”

une heure après la souris revient chargée d’un autre message du “nin”

On se voi à la recre dans une heur je te dirè tou sur ma mere et mon pere je lé pas connu a tout

ouais c’est ça à toute

Consigner

mardi 29 novembre

Ai rencontré le représentant en don d’organes, ce jour. Longuement. Premier entretien préparatoire, a-t-il annoncé pour introduire son exposé. Jovial, clins d’œil, mots d’esprit, érudit. Plaisant à écouter. Très plaisant.

Comme moi-même, individu composé d’organes. Il les remettra vraisemblablement à la science. Peut-être pas tous, mais sans guère me tromper, je peux supputer qu’il a d’ores et déjà effectué quelques placements juteux. Le don du cœur par exemple, très recherché le don du cœur a-t-il précisé. ” Valeur proche de l’or. A l’heure actuelle, notre meilleur retour sur investissement. Terriblement tendance, avec la hausse exponentielle des maladies cardio-vasculaires. Trouve preneur sur tous les continents, indépendamment de l’ethnie ou de la couleur. Bien évidemment, le cœur doit être irréprochable. Pour ce faire, un certain nombre de tests vous seront proposés pour vérifier ensemble la qualité premier choix de votre organe”. Cœur. J’entendais écrou. Je voyais l’écrou s’agiter dans la poitrine du passionné. Un trou dans le cœur. Les mots invitent au lyrisme.

Cette avalanche composite d’éléments corporels, un régal pour qui apprécie le voyage. Le voyage intérieur, s’entend.

Ai remarqué qu’il maîtrisait adéquatement sa gestuelle. J’en

conviens aisément qu’il opère une veille de chaque instant sur son patrimoine personnel. Je le soupçonne pour autant de connaître un penchant naturel mal assumé pour la couardise. Petit bras. Genre don de sperme. Peu de risque, caractère réversible, production renouvelée. Don de soi qui, somme toute, n’affecte que modérément l’intégrité corporelle.

Mercredi 30 novembre

Inventaire. Voilà ce qu’il me faut désormais entreprendre si j’inscris l’option don d’organes dans mon contrat post-mortem. Inventaire de mes organes. Les bons, les mauvais, ceux que je souhaite donner, ceux-là que je préfère conserver. Question attachement sentimental. Je ne me vois pas me défaire de ma vésicule biliaire. Elle et moi avons tout traversé. Ma douloureuse. Elle ne s’est pas gênée pour se faire sentir, pointe sur le côté, engorgement, crampe, calculs.

Mais, elle me faisait vivre. Davantage, elle me faisait exister. Quand elle se manifestait, je me reconnaissais. C’était bien moi, j’étais moi. Elle était avec moi le jour où j’ai commis le forfait qui me conduit ici. Elle m’a toujours assuré une présence indéfectible, fidèle, comme pour solidement arrimer la confiance en mes choix. Heureusement, elle était là. Sans quoi, plus d’une fois, le doute m’aurait paralysé, j’aurais multiplié les erreurs impardonnables. Organe numéro 1 : vésicule biliaire. Don : refusé.

Mardi 6 décembre

Il est revenu, le représentant en don d’organes. Il court, il court, messieurs, mesdames. Photographies à l’appui, il m’a dévoilé le corps d’un donneur après usage, tel qu’il est rendu aux familles. Afin que je constate par moi-même du résultat visuel. Nous pensons aux vivants, a-t-il commenté. En aucun cas, les proches ne subissent l’outrage d’un corps éventré. Les parts manquantes

sont remplacées par des prothèses synthétiques. Seuls les pansements, pour masquer les cicatrices, subsistent. Nous maintenons ce rendu visible en hommage au choix courageux effectué par le donneur – et ses proches en cas de codécision. Le pansement agit comme le lieu de mémoire envers l’acte héroïque. Afin qu’ils n’oublient pas, laisse-t-il en suspend, bien que dévastés par la douleur de la perte.

Il enchaîne, visiblement habitué à contenir la mort dans des limites raisonnables. Je vous invite à participer à un jeu-concours, destiné à faire bénéficier vos proches d’un séjour d’une semaine (valable pour quatre personnes), à choisir parmi les offres proposées dans le catalogue de la maison et, ce, dans un délai exceptionnellement prolongé de neuf mois suivant votre disparition. Vous avez le temps d’y réfléchir, le bulletin peut être rempli jusqu’à vingt-quatre heures avant le terme.

Rapport psychiatrique concernant le détenu n° ****** /4

Anatole conserve d’abord la main pour cette quatrième session d’écriture. Mais le condamné, auparavant replié sur lui-même, ses cauchemars et les personnalités qui l’habitent, s’ouvre à l’Autre.

Témoin, ce texte hallucinatoire où il échange avec le nain Fil. (À ce propos, les autorités pénitentiaires n’ont pas répondu à notre demande : ce détenu existe-t-il, oui ou non ?)

Témoin cette décorporalisation au travers du texte Consigner.

Témoin, le premier témoignage de Dino, gardien attaché au condamné, invité dans l’expérience.

Le sujet progresse plus vite que nous l’espérions. Expérience à

prolonger absolument.

VI

Raoul repéré

merci (l’appel anonyme)

2h30 du matin :

- Police-secours, à votre écoute.

[voix masculine, plutôt jeune]

- Allô ?

- Police-secours, parlez je vous prie.

- Y a un mort !

- Conservez votre calme. Quelle est votre identité ?

- On s’en fout de mon identité ! J’vous dis qu’y a un mort, putain !

- Où êtes-vous ?

- En pleine cambrousse. J’suis paumé.

- Avec quel téléphone appelez-vous ?

- Avec un portable, c’te question !

- Restez en ligne. Nous allons vous localiser.

[musique d'attente durant trente secondes : les noces funèbres de Diana par Elton John]

- Monsieur ?

- C’est pas trop tôt, putain !

- Nous vous avons enfin trouvé, nous arrivons, ne bougez pas, on aura besoin de votre témoignage.

- C’est ça, vous croyez vraiment que je vais rester là à me geler les couilles ? Non mais vous êtes vraiment cons, je sais pas pourquoi je vous ai appelé, je le sais bien en plus que tous les poulets sont des branleurs et des cas soc’.

[tonalité]

- Monsieur ? Monsieur ? (en aparté : merde il a raccroché ce petit con !)

Communiqué de la ligue “Tranchons-net” pour une exécution immédiate du condamné *****

Depuis X mois nous attendons le passage à exécution du condamné ****** , détenu à la prison de Seysses pour l’horrible crime qu’il a reconnu sans tergiverser. Ne rentrons pas dans le jeu de la pitié, il est grand temps de l’accompagner au bout du couloir. Le gardien Dino préposé à l’affûtage de la guillotine nous a signalé que tout est prêt depuis déjà 2 mois. Pourquoi l’administration pénitentiaire prend-elle son temps en laissant le condamné vivre sa vie de telle sorte (accès internet, relaxation,lecture, animal de compagnie…)? Nous ne sommes plus là pour jouer au Playmobil malgré la période festive dans laquelle nous entrons. L’heure de la sentence a sonné : la ligue “Tranchons-net” exige que le condamné puisse le plus rapidement possible poser sa tête sur le métal froid pour arriver à sa fin. Le fer est chaud depuis bien longtemps, cessons de le battre. Arrêtons là cette fantaisie qui nuit à la réputation de la justice. La décision a été prise, le couperet doit tomber

VII

Écrits posthumes

T moral ! La mort : rat mol

LA MORT et variations : réflexions d’un con damné (sic)Dans cette anti-chambre, la mort se trouve placée entre la vie terrestre et la vie éternelle, si tant est que cette dernière existe, bien entendu. Je précise tout de suite que je n’évoque pas forcément la vie éternelle des chrétiens et des muslims mais que je fais plutôt référence à la survie de l’Homme dans ses oeuvres. Il y aurait donc, déjà, dans cette affirmation un admirable et passionnant sujet de controverse si ce postulat était faux ou vrai.

« Nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-même » affirme KANT et je me garde bien d’oublier que mes certitudes ne sont que provisoires. Je sais que mon univers s’est bâti sur un cimetière d’idées fausses et de théories dépassées. De même, celles que je vis aujourd’hui ne sont là que dans l’attente que de meilleures viennent les supplanter. D’ailleurs, je sais bien que le contraire d’une vérité n’est pas forcément une erreur et qu’il m’arrive aussi, par erreur, d’avoir raison. La vérité n’est la propriété de personne souligne Pierre HADOT et de citer SÉNÈQUE « Il viendra un temps où notre ignorance de faits si évidents fera l’étonnement de la postérité » ce que nos contemporains feraient bien de méditer.

Et de ce fait, la mort ne coupe plus la vie comme le fait la Parque Atropos avec le fil de l’existence. Au contraire, la mort n’est que ce qui va dévider la vie autrement, en un autre lieu, dans une autre sorte de vie, avec un autre visage et qui est la vraie vie à laquelle

le mort est rendu. Cette vie-là devient persistance et résurgence. « La mort met fin aux êtres en tant qu’ils sont vivants. Elle ne les élimine pas, elle les reconduit en tant qu’êtres » écrit Jean-Christophe BAILLY. Alors, je deviens un être partant, alors je deviens un être portant et non pas un être revenant mais en partance dans l’être autrement que vivant. C’est pour cela que j’ouvre maintenant mes yeux et ma bouche. Aux Marquises, on dit « Tau tino ite repo » . Mon corps est dans la terre. Mais ce repos, là-bas, est vu comme quelque chose de lumineux comme une clarté translucide, proche de la lumière nocturne et lunaire entre les feuillages de la forêt des îles.Cependant, au milieu de cette anti-chambre, je perçois autrement la mort. J’arrive à supprimer la peine de mort, pas la sentence, pas celle du jugement que beaucoup trop d’hommes encore estiment irremplaçable, mais le chagrin, la peine… la peine de (la) mort. Je peux dorénavant regarder la mort sans crainte avec un miroir pour ne pas mourir. Ainsi, Persée, aidé du bouclier en or poli d’Athéna, regarda Gorgô la Méduse afin de la tuer sans risques pour lui. Cela rend l’effrayant supportable. Dès lors, nous pouvons approcher notre finitude dans sa finition car le corps fait à l’âme un voile affirme PÉTRARQUE. Il est son voilement, sa surface, son apparence, son dehors et non pas un écran, ni un bouclier, ni un masque, encore moins un vernis ou une carapace. On quitte simplement les eaux de vie et le trépas, qui n’est pas la mort, permet un accostage sur la rive de l’autre vie : la mort. De même, pour atteindre la nature, l’essence des connaissances qui ne s’étalent pas au grand jour, il faut passer sous la surface et descendre dans le puits car elle est là, au fond, en attente, profondément comme un bijou qui scintille.

Cette anti-chambre m’introduit donc à la mort permanente, pivot entre la vie éternelle et terrestre. Alors, je deviens un moyeu

irradiant vers l’extérieur. Je deviens la juste mesure : rôle accablant !Ma mort va correspondre à l’éternel retour vers l’originel, autophagie de l’Ouroboros, car nous passons ce temps en rotation, en révolution, à décrire des cercles, des courbes, des spirales, des hélicoïdes. Cette anti-chambre paraît être l’ouverture d’un passage et un passage où un épais rideau s’écarte en-voûtant mon corps et mon esprit comme une arche, me plaçant ainsi sous la voûte, celle des étoiles. Dans ce couloir ça coule et là où ça coule c’est un couloir. Ça coule, ça colle, s’écoule, s’écroule et s’accole, décolle.Je vais alors me glisser, me couler dans ce passage où tout coule : le couloir, ce glissoir. Je passerai sous les portes comme l’eau. Mais j’ai du mal à avancer avec les bottes remplies d’eau. C’est lourd, balourd. Il y a à peine d’amour dans cette pomme d’amour. Si je la croque, entendrai-je l’appel d’amour ou l’appel de mort ?

Aujourd’hui, tous les mots que je ne lui avais pas dits et qui ne demandaient qu’à fleurir, jaillir et croître, sont devenus les fleurs du silence. Je marche doucement vers elle comme on va vers une source, une fontaine, vers un puits, car je sais que j’y vais. Néanmoins, je suis en béance d’être et sa perte m’a arraché la vie au pied-de-biche. Peut-être un jour serons-nous à nouveau ensemble mais ailleurs dans une nouvelle chair.

Cette réincarnation ne sera plus alors la négation de la mort mais la négation du décès, comme arrêt définitif ou provisoire d’un flux appelé force de vie. Le visible ne servira plus qu’à évoquer l’invisible sous la voûte étoilée à la fois sombre et lumineuse : this darkness visible.

Avant que je la supprime nous étions fondus dans l’autre comme des larmes sous la pluie, comme la pluie sur la rivière, comme la rivière dans la mer, comme la mer sous le soleil, comme le soleil au-dessus des nuages, elle et moi comme une mosaïque noire et

blanche.

Je la portais en moi comme l’eau la soif, comme une femme un enfant, fruit sublime de nos étreintes inachevées. Après la vague, je la gardais contre moi comme un étendard en berne.

Ensemble nos ombres disparaissaient.

Comme chez les targui, je vais demander à boire un troisième verre de thé, un sirop de thé, suave, céleste et délicat comme la mort qui peut nous prendre à tout moment. Elle est un peu comme une chance, un refuge, une issue pour autre chose, un abordage sur une rive et donc un commencement. L’eau chaude n’oublie pas qu’elle a été froide.

J’ai enfin compris qu’il n’y a rien à enseigner et rien à apprendre. Il faut seulement aller à l’essentiel.

Et me reviens en mémoire cette poésie très ancienne de Muhammad u‘li al-Awzali :

« Douleurs et tourments de ce monde ne sont rien :

Plus amère que le laurier-rose, la mort est le plus grand.

N’avez-vous jamais vu les épreuves de celui qu’elle attend ?

Il se tourne, il se tord, dans la lumière et dans la nuit,

Livide, le regard vague et l’œil qui se révulse.

Tu éclaires le monde et son issue dernière, ô Mort,

Puisque, inévitablement, tu me prendras. En terre je descendrai,

Et mes os s’anéantiront et s’anéantiront les yeux qui contemplaient

Les êtres chers, et s’anéantira le pied qui me menait à eux.

Putréfaction. Mais sous la voûte céleste, je renaîtrai en l’Étoile. »

Je tresse un pis fin ! Juin est nef prise ! Je strie neuf pins ! Je suis enfin prêt !

Dino, Gardien-chef de la section condamné à mort de la prison

Ce matin le directeur m’a appeléDino c’est le moment de faire valoir tes qualités, le condamné de ta section y passe dans deux jours, enfin! tu vas donc vérifier la machine et t’assurer qu’elle est en état, depuis le temps qu’elle n’a pas servi.Oui Chef à vos ordres.

Me voilà à descendre dans les sous-sols de la prison m’occuper de la machine, ma passion secrète, la veuve!Ma veuve.

J’ai pas de femme moi, alors, elle m’en tient lieu, c’est ma passion, mon seul objet d’attention dans ma chienne de vie.

Il y a longtemps j’étais un petit gamin en culottes courtes et mon père était maître coutelier à Thiers, il m’a enseigné l’amour de l’acier, celui qui brille et qui tranche, au fil parfait.

Du coup comme j’ai pas pu suivre sa voie à cause de mon frère qui était le préféré de mon père, c’est lui qui a eu l’usine et les secrets de fabrication. Moi il m’est resté la bonne volonté et la colère contre lui, quelque chose de bien coupant quand j’y songe. Du coup le dirlo m’a attribué l’entretien de la machine, ma copine!Elle est installée au sous sol devant la grande porte qui sert à la sortir les jours de fête!

Je passe un chiffon sur le socle et je cire les bois.

Je vérifie qu’aucun ver ne vient grignoter le chêne massif de son châssis, je lui passe la main comme si je caressais les cuisses d’une femme et je remonte lentement vers le haut là ou c’est intéressant, là où c’est bon. La Lame. Objet de tous mes soins, centre de mes attentions. Cent fois j’y passe la douce pierre d’Arkansas, la plus fine, celle qui affine le fil avec une incomparable douceur, cette pierre qui fait chanter l’acier et tire des ronronnement de plaisir à la structure?Certains jours je colle mon oreille au bois et j’entends le chuintement de la lame qui coulisse dans ses rainures, ah ça glisse, j’ai mis du lubrifiant à base de fine graisse de porc, de la vapeur de graisse presque, l’écume de couenne, le meilleur pour ma chérie.Et que personne n’y touche même pas Marco le bourreau et ses sales aides qui viennent y mettre leurs sales mains qu’ils ne se sont même pas lavés les dégueulasses.D’ailleurs y a que lui qui me comprend, il m’a donné l’ancienne lame de ma veuve, je l’ai mise sur ma cheminée à la maison et tous les soirs en rentrant je lui passe un chiffon doux dessus et une fois par semaine je la graisse amoureusement, pas une piqûre de rouille, seul un coin est ébréché par le prédécesseur de Marco. Il a voulu s’amuser avec et couper un cou de porc. Une infamie, d’ailleurs la lame s’est coincée dans les os et l’acier s’est ébréché sur un millimètre dans un coin.

Voilà elle est parfaite, je l’essaierai tout à l’heure j’ai amené une courge longue, pas de la vulgaire viande d’ailleurs j’en mange même pas de la bidoche, un légume noble la courge puis ça fait le même bruit qu’en vrai quand la lame tombe, c’est ma petite musique privée à moi un jour je m’en ferais un enregistrement tiens. Puis j’imagine qui pourrait être sous la lame, mon frère, la Janine qui m’a abusé. Ou le nain avec sa tête de playmobil, ça doit

être rigolo ça de couper un playmobil mais ça doit abîmer la lame aussi. Ou tous ces gauchistes contre la peine de mort? et mon plaisir alors.je vérifie aussi le panier, je l’ai refait moi même avec du bon osier j’ai dit au chef que j’allais jeter le vieux mais je l’ai gardé, il y a encore des traces dedans, puis avec la lame il va bien ça fait un ensemble comme qui dirait.Ah zut le bip sonne dans ma poche faut que je remonte.À bientôt ma belle, dans deux jours tu verras le soleil se lever, c’est beau un lever de soleil tu sais.

Rapport psychiatrique concernant le détenu n° ****** /5

Nous, psychologues, avons eu connaissance du communiqué de Tranchons-net qui s’impatiente au sujet d’une certaine exécution à venir.

Sachez que vous ne décapiterez pas un homme mais une hydre. Ou plutôt Cerbère.

Trois têtes sortent du lot ces derniers jours. Celle de Raoul qui parle de sa famille, celle de Joseph et celle de Victor. Nous gageons qu’Anatole, Henri et Torino ont encore des choses à nous apprendre.

Le condamné, déconstruit, se reconstruit. Nonobstant le fait que ses diverses personnalités éclairent son crime sous des éclairages que nous ne soupçonnions pas, nous demandons, intimons, sollicitons l’attention des pouvoirs publics pour que l’expérience perdure.

VIII

Le barnum de la mort

Jeu-concours

Mercredi 7 décembre

Le bulletin de participation au concours “don de soi 2012″ est tout simplement divin. Je dois avouer que le contenu supplante l’originalité naïve à laquelle se prête mon commerce de ventes en ligne !

Un dossier complet, où se distinguera une forte valeur ajoutée créative, est à composer. Le jury portera une attention particulière au sens du dialogue, l’articulation rythmée, la crédibilité des personnages et l’originalité des situations. Seront récompensés la puissance, l’audace, et le cataclysme sensoriel produit par les parti-pris esthétiques. Restriction : nulle proposition ne versera dans le pathos. Faites-nous rire !

Fiche 1 : rédiger le mot du condamné

Fiche 2 : mettre en scène un forfait à l’aide d’une maquette. Restitution conseillée sous forme de photographies.

Fiche 3 : inventer les souhaits gastronomiques que pourrait connaître le condamné pour son dernier repas

Fiche 4 : identité du participant, terme (connu ou présumé), nom et coordonnées des bénéficiaires

Résultats du sondage télévisé

Après le sondage par SMS effectué par la chaîne FranceCanal, le sort du condamné ***** a été décidé par les téléspectateurs : MEURS 55%, VIS 45%. Conclusion : il sera tué dans l’heure.

Ligue des Coupons-Court (ex tranchons net)

DISCOURS POUR GALVANISER LA TROUPE

Chers amis !

Ça y est, le grand jour est arrivé ! L’exécution va enfin avoir lieu. C’est un grand moment que nous attendions tous avec joie et impatience.Je souhaite que nous soyons tous prêts pour ce grand moment tant espéré. Aussi,comme je vous devine tout excités et fébriles,je vous propose, afin de vous détendre, quelques agapes avant de nous rendre sur le lieu de l’exécution.

Vous trouverez de quoi vous sustenter et en plus avec humour. Il y aura au menu :

− du fromage de tête

− des cous de canard confis

− de la tête de veau

− des cailles en sarcophage ?

− des légumes coupés fins et courts

− du fromage déjà tranché

− des religieuses, sacristains, Pets de nones

− du Pousse-Rapière, de l’Eau de vie, de la Mort Subite

Profitons de ce moment pour faire la fête entre nous. Qui sait de quoi sera fait demain ?

Dzing.

Pensées diverses et variées avant qu’on ne la lui coupe

Quelle est la meilleure manière de mourir ?

Électrocution ? Hydrocution ? Accident ? Pendaison ?

Arrêt du coeur ?

Elle est bonne celle-là.

On ne meurt pas toujours d’un arrêt du coeur ?

Décapitation ?

Décapitation…Paraît que le cerveau mouline encore cinq secondes après le dzing fatal. Cinq putains de secondes. Purée, comme le temps doit paraître long.Qu’est qu’on fait en cinq secondes ?

Un.Deux.Trois.Quatre.Cinq.On avale une bouchée de viande un peu dure après l’avoir mastiquée avec soin.

On s’arrête à un stop et on repart.

On plonge pour toucher le fonds d’une piscine municipale.On monte un escalier de quinze marches au pas de course.On boit deux gorgées de bière.

On prend une taffe et on recrache la fumée.

Cinq secondes.

J’ai lu quèque part que le diable avait une minute dans sa besace. La minute du diable qu’on l’appelle. Se sont pas cassés pour la baptiser. Il en ferait ce qu’il voudrait le moment venu. Du coup, il la garde précieusement. Pour régler son compte à son créateur ?

C’est douze fois plus que mes cinq pauvres petites secondes.Je suis vraiment dans la merde.En plus, va falloir que je dise un truc bath avant qu’on me coupe la chique.

Saint-Audiard, montre-moi la lumière !

En salle d’exécution

“Couloir.Première à droite.

Nous y sommes.

Depuis trois quarts d'heure, en salle d’exécution, s’affairaient les agents. De l’autre côté de la vitre, se tenait le personnel médical, un représentant des forces de l’ordre, la famille de la victime, les parents, la tante, la soeur.

À son entrée, Philippe Péan, société Don pour la vie, salua l’assemblée en présence.

“Que des têtes connues, je m’en réjouis !

“Gaubert, Léon. Fidèles à votre devoir.“Comme je le déclare, vous êtes les maîtres de la situation. Me voilà assuré de la qualité de l’action lorsque vous opérez. Disposez-vous aujourd’hui de la quantité nécessaire de bromure de pancuronium ? En qualité de grand exécutant, faisons-nous affaire avec Dino ?

On lui répondait positivement.

“Parfait, parfait, parfait”.

Il se tourna vers les visages défaits. La famille. Il connaissait parfaitement la situation. Spectateurs novices, habités par l’ambiguïté : voir, ne pas voir ; se satisfaire de la réparation, être coupable de l’exécution. La gêne une fois de plus était palpable. Il fallait agir vite, rendre la scène familière. De telle sorte qu’au moment de sa mise en oeuvre, ils y assistent en habitué.“Mesdames, monsieur, Philippe Péan, société Don pour la vie.

Dire l’anecdote.

“La fois précédente, nous avons connu quelques désagréments. Liés à la grève des transports. La livraison du bromure n’a pu être effectuée en temps et en heure. Et nous avons manqué. Or c’est un produit incontournable du protocole, nous avons dû retarder l’opération.“Vous êtes la famille de la victime, je présume ? Je me présente : je suis en charge de la matière corporelle du condamné, je suis ici aujourd’hui pour m’assurer du respect des bonnes conditions de l’opération, je suis le garant d’une collecte irréprochable des organes.Il déroulait son exposé.

“Vous-a-t’on expliqué le déroulé ? Non ?

“Une fois l’exécution terminée, mon équipe – qui attend dans le

hall d’accueil – fait son entrée dans la salle et pratique le prélèvement. Ceci dans un temps limité, quarante minutes tout au plus. Les organes sont déposés dans les malles frigorifiques prévues à cet effet. Mon équipe repart directement en direction de l’hôpital. Moi-même, je traite les dernières clauses afférentes au contrat, je m’assure auprès du personnel des lieux du bon transfert de mon client dans nos locaux afin que le corps puisse recevoir les derniers traitements esthétiques contractuels. C’est à notre office que les proches de mon client se rendront afin de lui rendre l’ultime adieu. Nous organiserons également la cérémonie du défunt ainsi que la destinée du corps conformément aux dispositions stipulées.“Voyez-vous la table matelassée avec les sangles ?Il s’adressait à des visages vides. Il connaissait cette disparition du langage. Dans son métier, il pouvait tout à son aise mettre ses mots à lui. Il reprit :“Dans un peu moins de dix minutes, mon client sera installé sur cette table et sanglé par les deux agents présents, les meilleurs de l’établissement. Vous les voyez préparer les produits, toutes les préparations sont effectuées en doublon. Ceci pour tendre vers le risque zéro de l’événement perturbateur : manipulation maladroite, produit inactif, délai d’action allongé. Les produits vont être déposés sur cette table, au sein de la pièce où nous nous trouvons. Le grand Dino agira d’ici même. L’établissement suit le protocole moderne adopté depuis 1977 et composé de cinq étapes, absolument codifiées. Le procédé est très simple : à chaque étape, une injection.

À ce moment là de son exposé, il s’arrêtait et prenait le temps de rechercher l’assentiment de son auditoire. Comme aujourd’hui, l’auditoire apaisé, le lui donnait, les visages hochaient vers le bas, consciencieux, engagé à lui assurer qu’ils comprenaient.

“Les deux premiers produits calment le corps et l’esprit de mon client. Le produit numéro trois permet d’éviter des mélanges fâcheux entre les solutions injectées. Le quatrième et le cinquième produit engagent le départ effectif de mon client.

Philippe invita la famille à appréhender le travail des techniciens à travers la vitre.

Dino entra en salle.

Philippe commenta l’instant qui, lui le savait, ouvrait la scène à venir : “Il a l’air en excellente forme. Un professionnel dont la réputation au sein de la maison n’est plus à faire.

Les visages reprenaient de la couleur.

“Il est temps que mon client soit traité.Il fut amené. Un corps en blouse. Debout, déjà allongé, bientôt totalement sanglé. Les deux techniciens travaillaient vite, Philippe appréciait la précision des gestes et le ballet des mains sur le vert des sangles, le vert de la blouse, le vert de la table matelassée.Il regarda les visages. En adhérence absolue avec la paroi de verre, les yeux ne clignaient plus. Ils étaient prêts.La pose des cathéters était terminée.“Mon client ne verra donc pas Dino procéder aux injections. En revanche, les deux techniciens demeurent en salle pour valider les contrôles prévus à chacune des étapes.Le silence fut réclamé. Dino débutait son office. La voix enregistrée s’enclencha : “Nous procédons à la fermeture des rideaux”. La bonne transmission des communications par retour d’oreillettes avec les techniciens de salle fut testée. “La durée de l’opération est de vingt-cinq minutes”.

Les visages n’écoutaient plus, “validez”, “bromure”, “validez”, “contrôle”, mécanique, répétée, la voix enregistrée scanda le

processus.

“Nous procédons à l’ouverture des rideaux”.

Lamentable

Nous, spécialistes de la psychologie criminelle, condamnons fermement la décision qui vient d’être prise par le ministère de la Justice. Confier la décision finale à un jury télévisé était, parfaitement indécent et contraire à la convention de Genève.Nous nous désolidarisons de cet acte inique.Nous ne vous saluons pas.

IX

Prenons les choses en mains

Dino vous salue bien

05h30

Ce matin on exécute! ça tranche ça coupe! je fredonne le tango des Boucher de la Villette, ça donne du coeur à l’ouvrage.Notre protégé a reçu la visite de Philippe Péan, Monsieur dons d’organes, qui lui a implanté un truc dans le gras de la cuisse. Histoire d’assurer le traçage de la viande. Je t’en foutrais, moi, du traçage…Au moment de descendre préparer la machine le dirlo m’appelle : “Dino pas la veuve, c’est trop salissant ! ça sera la piqûre. Désolé, ordre du ministre, le bourreau est annulé, c’est la seringue automatique”Quelle insulte! Nom de Dieu y vont voir de quoi je suis capable.Je descends à la cave où est la veuve, je démonte la lame je la mets au fond du panier, je pousse le tout dans l’ascenseur et au premier étage je planque le tout au fond d’un couloir.

6h

Ils doivent être réunis dans la pièce autour du lit d’exécution.Un saut dans mon placard pour prendre le matos et je rentre dans la pièce. J’y balance une grenade lacrymogène. Vite je me mets le masque sur le pif et le temps qu’ils s’y retrouvent, je passe dans la pièce vitrée où est le condamné, je coupe les courroies, je ramène le panier j’y tasse le bonhomme je lui fais une injection pour pas qu’il m’emmerde et en route vers la sortie. le fourgon est à cul prêt pour livrer le corps à la morgue, mais changement de

programme, c’est moi qui l’emmène. Où ?

Dans la ferme d’un copain dans la campagne, une ruine perdue ou personne ne le trouvera.Je charge le panier , je saute sur le siège et en route. Véhicule de la pénitentiaire, je branche le pin-pon, les voitures giclent devant moi, je suis à 120 dans les rues, le pied !

Ah ils ont voulu me priver de la seule raison qui me gardait dans ma fonction de gardien-chef!Ben l’exécution c’est moi qui vais la faire, coupable ou pas je m’en fous, la chance de ma vie.Je me planque, demain j’appelle les poteaux, le cercle des “tranchons.net”, et les fanas de pièces détachées, les revendeurs en tout genre, là je vais me faire de la thune! Et on se fait une exécution aux ptits oignons. Grand feu la veuve dressée la lame en place et c’est moi qui vais lâcher la lame!

Si mon papa me voyait il serait fier de son fils!Après je me tire loin en Afrique ou ailleurs je louerais la veuve, elle fera partie du voyage, y aura toujours un dictateur pour m’embaucher.

Une heure après je suis sur les petites routes j’arrive à la ferme, dans la grange je cache le camion.Je sors le client du panier, il est encore dans les vapes, j’avais bien fait de remplacer leur saloperie de produit par l’anesthésique fourni par le nain. Un malin celui-là.Je ficelle le bonhomme avant de l’enfermer dans la cochonière voisine.

Demain sera fête.

Piège infernal…

Après le cliquetis des clés, la tête hirsute de Dino apparut. Il mit le doigt sur la bouche, m’invitant au silence. Silencieux, je n’avais aucun mal à le rester, pétrifié par la peur. Dans ce silence poisseux, la Faucheuse ne cessait de bourdonner dans un frénétique ballet d’ailes : la danse de la mort ! Il me semblait qu’elle avait grossi et je la voyais de la taille d’une cigale… Dino ferma doucement la porte.

- Alors, me dit-il doucereusement, comment te sens-tu à l’approche du grand voyage ? Bien, détendu ?

L’incongruité de sa phrase ne m’apparaissait même plus comme telle, occupé que j’étais à suivre les mouvements de cette maudite mouche ! Allait-elle cesser ce vacarme qui emplissait toute la cellule !Elle s’approcha de Dino, se posa sur son épaule et il me sembla qu’un échange suspect s’établissait entre eux.

- Bzzzzz, ne se doute de rien, me sembla-t-il entendre.

- Tant mieux, répondit Dino en inclinant la tête vers elle.

Plus rien ne m’étonnait et ce dialogue surréaliste me paraissait à présent naturel.

Dino s’avança vers moi, me montra un sac qu’il tenait à la main.

- J’ai récupéré ton sac et tes effets personnels. Nous avons peu de temps pour agir et je te prie de ne pas me poser de questions. Tu vas me suivre en te faisant plus discret et silencieux qu’une ombre…

Je faillis éclater de rire à ce mot. Il parlait à un mort-vivant qui n’était déjà plus que l’ombre de lui-même. Que lui fallait-il de plus! Mais qu’entendait-il par là : le suivre…

Je le regardais, interrogateur.

- Oui, je sais, tu te demandes ce que tout cela signifie. Tout simplement que nous allons partir d’ici tout de suite, j’ai décidé de t’aider à t’évader. J’ai un plan en béton, il ne peut pas échouer. Et de toute façon, tu n’as plus rien à perdre, non ?

Je le regardai ébahi. M’évader ! Il ne manquait plus que cela ! Ce déjanté allait bousculer le programme établi par l’administration pénitentiaire déjà surchargée. Ne se rendait-il pas compte qu’il allait les fâcher très sérieusement avec ses idées saugrenues ?

Je me contentais d’un petit sourire narquois. Je reprenais goût à la vie. On allait enfin s’amuser !

- Allons y dis-je d’un seul coup déterminé.

La Faucheuse échangea un coup d’oeil avec Dino. La partie leur semblait facile, trop facile. Dino poussa un gros soupir, il s’étonnait de cette docilité, me connaissait sous un jour plus méfiant.

- Tu ne me demandes pas pourquoi je fais ça pour toi ? Pourquoi je prends ces risques qui ruinent ma carrière de fidèle serviteur de l’ordre et la justice ?

- Tu m’as dit en entrant, que nous avions peu de temps. Tu me raconteras ça plus tard, non ? Je suis sûr que tu penses en agissant ainsi à mon indiscutable innocence, que cette innocence ne peut être plus longtemps bafouée, que cet acte de bravoure va peut-être permettre d’établir cette innocence. Assez parlé ! Partons, je te suis.

La fuite de la prison fut presque un jeu d’enfant. Dotée du modernisme le plus sophistiqué, la surveillance de ce lieu d’incarcération fonctionnait essentiellement par caméra la nuit et seule une toute petite poignée de gardiens se répartissait la garde.

Dino, naturellement, expliqua aux rares ombres en uniformes que nous croisâmes une histoire qui visiblement les satisfaisait puisque nous passions sans encombre les différents sas.

Je fus surpris de me retrouver près de la voiture de Dino. Celui-ci paraissait soudain plus fébrile.

- Dépose ton sac dans le coffre et monte vite ! m’intima-t-il.

Je m’exécutai. En ouvrant le coffre, une drôle de machine en pièces détachées m’intrigua. Je posai mon sac et m’engouffrai dans le véhicule.

Dino démarra prestement. Je m’installai confortablement et ouvris des yeux exorbités. La mouche nous avait suivis et s’était nonchalamment posée sur l’épaule du gardien de prison. Je la regardais, fasciné.

- Tu croyais te débarrasser de moi aussi facilement ? me dit-elle en grimaçant. Ses yeux à facettes brillaient de mille feux tant elle semblait joyeuse de cette mauvaise farce qu’elle me faisait.

Détournant la tête pour chasser cette vision, mes yeux se posèrent sur une nouvelle incongruité : la souris Minnie ! Celle-ci grimpait le long du siège de Dino pour s’installer sur son épaule à côté de la mouche. Elles se mirent à “blablater” sans plus s’occuper de moi. Dino conduisait dans un silence religieux, l’oeil fixé sur la route, les mâchoires serrées. Je le voyais de temps à autre jeter un regard inquiet dans le rétroviseur central. Derrière nous, des phares semblaient nous suivre, nous poursuivre…

La Faucheuse et la souris Minnie jacassaient bruyamment et s’esclaffaient en commentant cette bonne farce commise au nez et à la barbe de l’administration pénitentiaire. Dino mit un terme à leurs palabres :

- Suffit vous deux ! Impossible de se concentrer sur la route et de

semer ces sangsues, vous faites un bruit infernal !

Un ange passa, les deux bestioles se taisaient enfin. Je décidai pour l’heure de ne plus me poser des questions.

Dino bifurqua à un croisement en pleine forêt et à la faveur des arbres de plus en plus serrés, s’attacha à semer nos poursuivants. Il s’arrêta brutalement dans une petite clairière et éteignit aussitôt les phares. Sa manoeuvre avait réussi : les voitures dans un puissant vacarme passèrent à proximité sans nous voir et s’éloignèrent. Dino attendit quelques instants et reprenant la route en sens inverse, prit une petite route serpentant entre les arbres. Je le vis sourire et se tournant vers moi, il m’apostropha :

- On les a bien eus, non ?

Je l’observai songeur. Sur le siège arrière, la mouche Faucheuse et Minnie la Souris pouffaient de rire tout en me regardant. Qu’est-ce que cela signifiait ?Dino stoppa bientôt devant une maison forestière à l’allure plutôt lugubre. Un frisson me parcourut et tout à coup l’aventure ne m’amusait plus, mais alors plus du tout. Dino me regarda l’air affable et satisfait :

- Nous voici rendus, viens nous allons nous restaurer avant les festivités…

À ces mots, la Faucheuse et Minnie se renversèrent les pattes en l’air, de plus en plus hilares. Elles commençaient à m’agacer prodigieusement ces deux-là et ne perdaient rien à attendre. Je saurais m’occuper d’elles le moment venu.

Dino ouvrit la porte prestement et l’intérieur me glaça le sang. Des têtes naturalisées aux yeux fixes et vitreux partout : des biches, des cerfs, des renards, des sangliers… Les murs en étaient tapissés. Dino surprit mon effroi et me rassura :

- Ne te laisse pas impressionner : mon père était un mordu de la chasse. Et pour rendre hommage à ses proies, il avait à coeur de les décapiter soigneusement à l’aide d’une guillotine qu’il conservait soigneusement.Ben oui, il était bourreau au service de l’Etat et du bien public. Donc je disais qu’il les décapitait et les empaillait. Et voilà le travail !Médusé, je songeai à cette drôle de machine entraperçue dans le coffre de la voiture : une guillotine ! Voilà ce que c’était. Je me sentis tout mou et flageolant de l’intérieur. Mon intuition flairait quelque guet-apens sordide et je me jetai sur Dino. Plus prompt que moi, il m’assomma d’un coup sur la tête. Je m’écroulai à moitié inconscient tandis qu’il me ligotait prestement. Il me glissa prestement un flacon entre les dents. Je sentis un liquide amer couler dans ma gorge. Je sombrai dans le néant…

*

**

*

- Alors je vois que tu as franchi le pas ? Tu ne dis rien ? Ça t’épate hein ? Ça m’a fait pareil moi aussi au tout début, je ne savais plus où j’étais !

- Pourquoi tu penses que je ne sais pas où je suis ? et d’abord t’es qui toi ? je ne reconnais pas ta voix, montre-toi à moi, apparaît-moi que je sache à qui j’ai affaire ?

- T’en fais pas, tu vas voir, ça peut aller vite pour toi. C’est important pour toi de savoir à qui tu as affaire ? je n’ai pourtant pas eu cette impression depuis que je te suis ou que je te poursuis, c’est selon. À voir ta réaction tu ne t’en es pas rendu compte

La pensée de notre ami brinqueballe sur un mode arythmique selon les caprices du conducteur qui s’amuse à éviter les ornières

inattendues (rappelons-nous que Dieu seul sait pourquoi la route est si accidentée)et les brusques coups de volant gauche-droite.- Tu refuses de te montrer ? Approches !

- Mais je suis là, tout près, je crois plutôt que c’est toi qui refuses de me voir

- mais pas du tout

- Ben alors quoi, tu attends peut être que ce soit moi qui t’ouvre les yeux, qu’est ce qu’il a fichu ton psy pendant 9 mois, il ne t’a pas prévenu qu’il n’y a pas que des fantômes dans le placard ? Au fond de toi, tu sais bien que tous les morts ne sont pas morts

- Que veux-tu dire enfin ?

- Il y a des morts qui peuvent rester vivant si le travail n’est pas achevé

- Mais c’est quoi ce travail ?

Une forme informe (eh oui tout peut arriver) oblige à un freinage intempestif. C’est à n’y rien comprendre. Sur un panneau délabré une inscription encore lisible conseille de passer son chemin. Inutile de traîner plus longtemps : on repart.

- Mais c’est quoi ce travail ?

- N’oublie pas que tu es dans les coulisses d’un autre monde, tu n’es protégé de rien ni du secret ni du silence. Que le voile se lève ou que le rideau tombe, tu verras bientôt, c’est absolument pareil, nul besoin d’annonce. Ici le facteur ne sonne pas, ni tambour ni trompette. Sur la scène, la seule ombre au tableau est la clarté

- À quel usage de la langue veux-tu me soumettre ? Je te parle et tu fais la sourde oreille à me répondre ainsi. Je te cherche et tu me confonds avec un placard rempli de fantômes, de morts, de morts-vivants. D’où me parles-tu ?

- D’un lieu où le silence est religieux, où les anges passent, où les minutes sont éternité, où le temps d’arrêt ne connaît pas la liberté conditionnelle ni la grâce ni le déliement

- Je ne comprends rien à ta langue que je vais finir par te faire délier si tu continues ainsi à te jouer de moi, nom de Dieu !

- Lier est du même pouvoir que délier, ton esprit est en proie à une trop forte émotion, tu ne peux te délivrer de ton délire. À la nuit, tombera peut-être l’heure de ta délivrance. Tu ne dis rien ? Tu restes coi, muet comme une tombe : tu as jeté ta langue aux chiens ?

- Arrêtes, si tu crois que je n’ai pas compris que tu essaies de m’entortiller avec des paroles fumeuses, tu joues à Dieu ou au Diable ?

- Ronflez moins fort, me crache Dino.

Puits d’ombres. Noir. On roule ou on est à l'arrêt ? La sinuosité de la route amène à une sensation d’infini. Le décor change, de grandes vagues se dessinent progressivement, insidieusement. Des plans se superposent et grossissent grossissent grossissent. Une irrépressible envie de s’échapper commande notre ami endormi de sortir de cet état mais impossible de répondre à cette commande qui s’avèrerait salvatrice. Un sentiment d’effroi manque le réveiller et le sortir de cette torpeur psychotique. Le flux continu.

- Ni Dieu ni Diable mais pas de fumée sans feu, tu n’es pas obligé de rester au bord du rivage des flammes, celles là même qui t’ont procuré ta première jouissance (jubilation), rappelle-toi maintenant qu’elles peuvent avoir un retour

- Tu prends beaucoup de peine à semer dans mon esprit trouble et confusion

- Tu peux t’affranchir des flammes éternelles et ne pas rester sur

les grilles, ici tu peux être à la fois à la surface telle une entité comme au tréfonds de tes tourments

- Totales absurdités, ton langage est un rébus, tu me fais penser à mon psy, finissons-en, montre-toi enfin !

- Tu ne sais plus qui tu es ni à qui tu appartiens, il n’y a pas que ton mental qui t’échappe. Écoute ce qui va arriver en toi. Ton enveloppe te lâche. Tu es à deux doigts de disparaître. Seul ton esprit peut y résister. N’oublie pas que tout le mystère est dans l’âme.

*

**

*

- AAAHHHhhhhhhhh Nonnnnnnnnnn pas ça, nooooonnnnn c’est trop, trop, trop, non, pas ça, Maaaaaaammmmmmaaaaaaaaaannnnnnnnnnnn, non, non Dino tu peux pas me faire ça tout seul.

Notre ami se réveille, il observe que le temps a passé. C’est celui du crépuscule. La voiture est à l'arrêt. Dino l’engage à dormir encore et lui tend une flasque en lui disant : buvez ça mon ami.

*

**

*

- Vous revoilà encore une fois. Décidément…

- Tu appelles ta mère parce que tu as peur de souffrir et tu gardes en toi l’illusion de retourner dans son ventre, bien au chaud, tranquille comme si tout baignait ?Et moi alors tu t’es jamais demandé si j’avais envie de retourner

quelque part où je me sentirai en sécurité, aimé et reconnu pour le travail de plusieurs générations ? Et toi tu crois que tchac comme ça je vais te laisser t’échapper rien que parce qu’une bande de connards n’a plus le sens des valeurs ?

- Moi : bon maintenant ça suffit, va falloir que ça s’arrête, ce n’est plus tenable, on repend tout du début.

Coup de théâtre nos cinq personnages lèvent le masque et n’obéissent plus qu’à un seul

-LUI : directement à Henri

Henri, tes humeurs ectoplasmiques me foutent le turlon, tes doutes sur ta propre existence j’vais t’leur faire un sort avant que t’aies compris quoi que ce soit. Mon chéri s’il te plaît et encore meilleur s’te plaît pas j’vais régler le problème de tes angoisses matutinales.Est-ce que le groupe est d’accord avec moi ?

- Anatole : assis en équilibre sur le dossier de sa chaise, yeux exorbités par un délire chronique est pris brusquement de trémulations incontrôlées. Il tombe lourdement au sol, une douce mélodie filtre de sa bouche à peine entre ouverte. OUT

- Joseph : paniqué à la vue de cette chute inexpliquée inexplicable croit voir un malin s’en échapper. Il crie alors au “djinn’ du désert qui l’a certainement possédé lors de son dernier voyage en terre saharienne. Malheur à celui qui a vu le malin qui doit à nouveau capturer un corps. OUT

- LUI : c’est quoi ce cirque, c’est pas une quelconque vapeur venue d’ailleurs qui va foutre le bordel dans ma vie

- Victor pour se protéger de la malédiction annoncée sans être vraiment annoncée déchire sa chemise et s’enturbanne la tête et cou, s’assurant d’une protection hermétique de tous ses orifices.

Les précautions prises ne suffisent pas. Le djinn est plus malin et rapide que le mental de Victor qui succombe à un état de transe. Le nombril est une porte du dessert pour le djinn. OUT

-Le djinn qui n’est pas à son premier coup décès ressort illico. On peut observer une légère traînée ocre qui encercle subitement Torino arcbouté en équilibre fragile sur ses 2 jambes.

Il règne dans la pièce un sentiment de déperdition, une atmosphère étouffante. Un vent de panique envahit Torino. Scène évoquant une tempête de sable.Torino est plus coriace qu’il n’y paraît

- LUI est furieux et compte bien en finir rapidement. L’empoisonnement au djinn finira par ravager le bricoleur de belladona. Enfin OUT

- LUI reste seul (ou croit rester seul) en piste, le souffle coupé

Il (se sent) est tout à fait au bout, à l’extrême, au terme d’un temps, au terme d’un espace. Peut-être les derniers moments de sa vie. Ce qu’il ressent n’est pas de l’ordre du plaisir. Non ce n’est pas un plaisir extrême ! Cela ressemblerait plutôt à une douleur extrême, d’une intensité extrême, logée aux confins d’un désir étourdissant, indicible, celui de rester en vie.

Raoul s'impatiente sur sa chaise, se dandine comme un vers de terre

- Y’a pas de quoi s’emmerder et inutile de respecter les fondamentaux démocratiques. À redistribuer les cartes autant éviter la mauvaise pioche, faute de l’âme !Ouaf ouaf Henri tu déteins sur moi et j’aime pas ça du tout.

À présent il se sent en contact, ensemble avec lui-même, mais quelque chose lui dit que ce n’est pas gagné. Que va-t-il en ressortir, va-t-il s’en sortir, où cela va-t-il l’amener ? . Les images ont défilé les unes après les autres sur cette scène. Rêve,

cauchemar, confidence, révélation, révolution ? C’est de toute façon du grand chambardement.

*

**

*

Dino s'activait pendant que Raoul écrasait. Ses rêves étaient agités, apparemment.

- Dors, mon petit, dors, j’ai besoin de calme pour monter la Veuve. Tu mérites ce qu’il y a de mieux et je la veux pour toi étincelante, ruisselante de lumière à l’autel de ce moment précieux. Ton départ vers l’enfer !Dino parlait tout en s’affairant, les deux bestioles bavaient d’excitation. Enfin, l’instant tant attendu arrivait ; elles en jouissaient sans retenue sautillant dans une espèce de danse macabre autour de leur prisonnier.Je m’éveillai douloureusement, englouti dans un brouillard qui peinait à s’estomper. Dino se releva, triomphant :

- Hourra ! Elle est montée, hurla-t-il.Ce grognement sauvage me tira tout à fait de mes pensées cotonneuses et je retrouvai pleinement mes sens en découvrant la guillotine fièrement dressée ! Dino jubilait. - Regarde mon gars. Avec une lame pareille, un vrai bijou, ce sera du travail soigné ! Un travail d’orfèvre. Qu’en dis-tu ? Tu devrais être fier et reconnaissant du soin que j’ai apporté à te préparer une aussi belle fin…

Raoul regarda ce fou et son cerveau moulina fébrilement. L’issue paraissait inéluctable et fatale mais il lui fallait gagner du temps pour tenter de s’échapper. Le plus important était de convaincre Dino de le détacher. Après il aviserait…

X

N'oublions pas les personnages secondaires

Partir pour raler ou ?

Ouah mais il est dingue de m’secouer comme sa, normal il sé pa que je suis là! Punaise il fait tounoir, ah un filet de lumiaire, mais j’suis encore dans le sac et ça roule…Revenons au toudébu, ils sont venus le cherché dans la cellule et ce couillon de Dino a pri le sacado Décat. du condamné en me jetant dessus troi fringues, une père de pompe et son razoir….,bien fée pour moi, javais ka pas etre la, pourkoi gé voulu me plenqué dan ce sac…jcroillai kaprès jallai me retrouvé dans la poubelle extérieur et hop!!! a moi la bella vita, comme à l’époque du gran Cirque Plumar! AH mes je rève….c kan m’aime la belle vie, on nez en cavale Dino, ouam et l’autre…mais il sé barré, c pas possible, c koi c’bordel, le Dino qui condui comme un malade et l’autre a coté tranquil alors ka cet heure si y devrai plus avoir la tête sur les époles. Et c koi ce truc glacial à coté de moi, oh non la lame, c bon gé conpri, il a pri la lame et y sé tiré avec le condané, il a bazardé le sac dan le coffre avec ma p’tite personne dedan et m v’là en cavale avec sé 2 taré. Sa ma fé du bien de refaire ces exersix come o bon vieu tant. Se plier en 15 pour parètre le plu petiot possible juska tenir dans un étui de téléphone portable, j’me croillais plus capable di arriver, sa fesai lontan que javai pas essaillé, je sui pa tro movai encore pour un vieu fildefériste contorsioniste. Y ma fallu du tan pour trouvé cette planke, and now, ladies and gentleman, a moi la libertad, reste plus ka réussir à sortir de ce coffre. avec ma petite taille j’vais pouvoir me glissé sur le siège arrière, attendre ke le choffar se calme, parceke là c un peu du gran nainporte quoi. De toute

fasson, j’vai pas resté avec eux, cé tro riské, y von pas sang sortir kome sa, sa va pa être possible et pi partir pour raler ou ?

Javais con pris ki sortirai en kit de cette tôle, y zattendai les morsseaux les recupérateurs d’or-gane et l’autre est là tout entier devant mes yeux.Par contre javé mi ma minie avec moi mais elle a du ressortir du sac, dommage j’laimai bien cette petite souris, elle a du avoir peur kan elle ma vu ossi petite kelle, c loin d’hêtre con une souri!

Sur la piste des pièces attachées

Philippe Péan n’en revenait pas.

Vide. Salle vide. Il s’étouffa, se retourna, vrilla à nouveau sur lui-même, le corps de son protégé n’était plus là, fit volte-face, regarda l’équipe, refit un tour complet sur lui-même, perçut l’absence de Dino.Et comprit.

Il enchaîna. Rapide. On ne connaissait pas Philippe Péan sous toutes ses facettes. Dix-sept années de pratique d’art martial. Sous son gras, le carreau de sa chemisette, il savait être prompt, félin, instinctif. Il s’engouffra dans le couloir, traversa la maison. Etait déjà au volant de son véhicule. Brancha la sonde, le GPS. Quelques secondes. “Merveilleux implant technologique”. L’écran afficha le point lumineux. Action !

XI

Un climax apéritif

Fin de Dino

Les Tranchons Net sont réunis dans la cour en cercle autour de la veuve remontée avec amour par Dino vin et alcool forts circulent à la ronde en attendant l’arrivée du condamné.Costumé avec une vague ressemblance avec leurs semblables d’outre-Atlantique affublés de tuniques de couleur avariée et de chapeaux cabossés, ils ont en tout cas l’allure de vrais pochards.

Dans la cochonière, Dino est en grande conversation avec le Raoul.

-Dis tu veux bien mettre le costume la chemise blanche et le pantalon noir, “c’est ceux de Blanchard, le dernier à qui j’ai coupé la tête!

Vêtements que Dino a mis de côté, des reliques en quelques sortes.

Raoul :

-Si je mets ces fringues pourries , tu me détaches les mains et tu me laisses fumer un dernier cigare, et boire un dernier verre de la bouteille que tu as là. Je te jure, je tenterais rien!

- Ok je te fais confiance.

Dino en bave les yeux à moitié sortis de la tête et la langue pendante, il bave d’excitation et perd son contrôle. Sa main tremble en allumant le cigare du condamné et il a du mal à sortir le couteau pour couper les liens qui lui immobilisent les mains.

Ce dont Raoul met à profit.

Sitôt libre, au moment ou Dino se penche pour prendre la bouteille à terre,de ses deux poings réunis il assomme le gardien, le déshabille le fagote dans la tenue du condamné un sac sur la tête pour parfaire l’illusion.

Ils sortent, salués par des hourras avinés. Des mains fébriles s’empressent de saisir le condamné Dino le placent sur la veuve et au moment de tirer sur la chaîne qui va libérer le couteau, Raoul le condamné, le vrai, tire sur le démarreur, fait ronfler le moteur de la voiture et disparaît dans la nuit.

Le couteau tombe !

- Repose en paix Dino.

Trancher ou être tranché

Les participants se mirent à la file sur les ordres de Mme la présidente de l’association des Tranchons-Net. Chacun put recueillir un souvenir de cette soirée. Le secrétaire tenait le registre des donations,et d’une écriture appliquée notait le morceau et le nom du bénéficiaire. Respect oblige le fils du parrain fut servi en premier, question de fraîcheur en vue d’une hypothétique transplantation son rein fut mis dans la glacière qui avait servi à la bière. C’est celle où il restait le plus de glace!

Jojo le rein gauche.

Marinette l’oreille gauche

Philibert la main droite.

-Personne ne veut une omoplate? il en reste une encore!

Mme la présidente fait l’article sans s’apercevoir qu’en fait elle fourguait à l’encan les morceaux du vice-président !

Fil a de la ressource

Super j’ai pu enfin sauté de ce maudit coffre de bagnole, en prime j’ai piqué un vieux téléphone portable qui traînait sur la plage arrière…., il fait même correcteur d’orthographe, ça peut toujours servir parce qu’avec mon niveau -10 que j’avais avec Mme Bouché, prof de Français pour les enfants nomades du Cirque, j’ai toujours eu un peu du mal. Parait que son mari était prof de Math, s’il était aussi spécial que sa femme, doit pas y avoir que des bons matheux de cette génération, c’était un drôle de couple! Je sais pas si sont toujours ensemble ces deux-là parce qu’avec sa passion pour les voitures à la con. M’enfin ça c’était quand j’étais jeune….maintenant j’ai plus qu’à cavaler et me barrer d’ici avant que les 2 autres me récupèrent. Et tous ces malades complètement avinés que je viens de voir que faisaient-ils au juste, j’ai pas rêvé , il se partageait bien de la bidoche. J’me casse. Ça craint trop dans le coin pour les p’tits gabarits dans mon genre.

L’oeil du professionnel

En roue libre, il enchaînait, il enchaînait, “tourner à droite”, “attention serrer à gauche”. La puce était toujours active, il enchaînait, il enchaînait. Virages et giratoires. Zone périurbaine, nationale rase, vallon pelé. Il arriva. Arrêt sec dans une cour. Un attroupement. Il s’approcha.

Quel carnage. De la chair effilée, des viscères, des peaux découpées. Lui-même ne parvenait à distinguer les morceaux. Le sang qu’on n’avait même pas pris la peine de recueillir séparément. Un gâchis.

Professionnel, Philippe sort une loupe. Dans l’exercice normal de ses fonctions, outil nécessaire à l’inspection minutieuse de certaines parties prélevées. Ici, il entame une vérification des restes. Sort son contrat, reprend la liste des organes vendus. Amas après amas, il retourne les chairs, les roule sous ses doigts, tâte ce qui peut être encore repris. Un gâchis. Un vieux s’approche de lui. Il poursuit son affaire, il a un business à faire tourner, des objectifs à maintenir. Lui, Philippe, représentant premier du grand ouest. Un bonus en fin d’année jalousé. Lui, Philippe. Il examine ce bout de peau. Suffisamment vaste et intact. Il ne retrouve pas les caractéristiques mentionnées.Il examine, relis, les notes, la peau. Ce n’est pas son protégé, ce n’est pas son client.

Il se tourne vers le vieux :

- Vous connaissiez cette personne ?

- C’est Raoul

- Ce n’est pas Raoul

- C’est Raoul

- Je vous confirme que ce n’est pas Raoul. Je me présente, Philippe Péan, société Don pour la vie, représentant en dons d’organes. Raoul était mon client, un contrat était signé, je devais collecter soixante-cinq pour cent de son contenu corporel. Toutes ses caractéristiques physiques sont notées ici. Je vous confirme après examen de ce bout de peau que ce corps n’est pas celui de Raoul.

GDF

Je m’présente Gaspard de Fontenoy caïd, parisien ex marseillais. Au parfum depuis trente piges, j’ai commencé avec Dédé de Paname, mon parrain en quelques sorte lui; il m’a affranchi au niveau des gisquettes, des embrouilles à la Seita et au turf. J’ai développé, je fais dans l’organe, c’est plus juteux foie rein coeur poumons oeil, roubignolles ou main gauche y a qu’a demander. Les croque-morts c’est dans la poche, une bière et le contrat est posé. De la chair fraîche sur la France c’est moi le caïd. GDF qu’on m’appelle, ça fait des années que j’attends qu’on sache greffer les boyaux, le mien il est trop long ou trop mou, d’où le nom, GDF, trop de gaz!

Bref je cherche des morceaux pour alimenter mon commerce, et j’apprends que Dino s’est fait buter que le Raoul court avec mes morceaux à moi. Y a pas, faut toujours faire le boulot soi-même, déléguer c’est des engasstes!Donc me voilà sur site en face de moi ya le gugusse de la société “don pour la vie” mais il est dans le coaltar vu le le Raoul s’est barré avec la puce et les morceaux.

- Tu sais ou s’est barré le client, le Raoul ?

- Tu gaves paulo j’en ai rien a secouer de ton baratin, on est en affaire, file-moi les coordonnées j’en veux pas plus mais magne la rousse va débarquer fissa!

- Avec ta machine à trouver les puces ça doit être facile de le tracer le colis alors allume ta télé et trace. Magne j’entends les pinpons.

- Tant pis ya plus le temps, je sors le calibre je flingue le benêt

d’une bastos en pleine poire et je me tire avec l’ordi le mulot et le traceur, j’en sais assez il est repéré, Pudubec dans la cambrousse bretonne.

Mais que fait la police ?

Rapport de la police des polices sur l’étrange cas de Raoul et de Dino

- Heure 0 : évasion du condamné avec la complicité du gardien-chef Dino. Disparition du prévenu Fil.- H + 1 : Déclenchement du plan Vigi-Qui-Gratte- H + 2 : Direction Ariège ; piste barbue sur recommandation indic 23 ; plateau de Beilles- H + 9 : Mauvaise piste ; deuxième piste possible : GDF ; voiture tracée et repérée (Merko verte de 76 immatriculée dans le 39, repérée dans le Tarn)- H + 11 : Scène de crime au lieu-dit : la ferme des Bouffyes ; traces de sang ; guillotine ; pièces anatomiques + cadavre inconnu + voiture cramée ; appel à équipe scientifique- H + 12 : Grève surprise de l’intersyndicale des criminologues occitans- H + 24 : Piste perdue.

XII

Retour à la Nature

Notre Raoul à l’abri, qu’il croit

Notre condamné était parti se cacher dans sa Bretagne natale, quelque part au milieu des terres le village de Pudubec, serait un bon endroit pour disparaître, se refaire une vie, devenir une ombre. Il avait eu chaud.

Quelques mois plus tard, les événements de sa disparition qui avaient fait les grands titres de la presse locale remplacée par les chiens écrasés habituels Raoul put ressortir de sa cache bretonne et reprendre sa place dans le monde.

Grâce à la prévoyance de Dino qui avait laissé dans la voiture l’argent de sa fuite , il put vivre quelques temps tranquille sans aucun souci financier.

Lettre de Mr Bouche

“C’est la fin de notre journal, vous retrouvez C***** L***** pour la météo.Oh Mon Dieu ! On vient de nous annoncer la mort de la ministre de l’Éducation nationale, Mme R*******. Son corps a été retrouvé aux environs du village Puedubec, qui se trouve sur le chemin de la grande ville de Brest. Son visage était brûlé, caché par une tête de Playmobil, et il y avait dans son sang de la belladone et une bulle d’air. Sans vouloir faire de lien, cela rappelle quand même fortement le meurtre du tueur machiavélique qui s’est échappé avant-hier de la prison de ***** où il devait être

exécuté, grâce à la complicité d’un gardien. Or, il se trouve que le village Puedubec est son village natal : nous invitons donc tous les Bretons à se méfier les uns des autres. Merci de votre compréhension, à demain pour un reportage spécial sur ce condamné. En attendant, allez voir son blog !”

C’est le début d’une lettre que j’ai reçue hier, de la part de Monsieur Bouché, mon prof de maths de 4e. Au début, j’ai pas compris comment il savait que j’étais planqué dans la cave de mes vieux, alors que même les poulets ils s’en doutent pas. Mais j’ai vite compris en voyant la suite, et surtout les photos qu’il m’a faites passer par clé USB. C’est un truc de taré, vous allez voir je vous mets la suite :

“Tu vois Raoul, tout le monde croit que c’est toi. Et ça m’arrange bien, vu que c’est moi. La première femme, je ne la connaissais pas. Toi oui par contre, petit coquin ! Je te piste depuis de longues années maintenant, depuis que tu as brûlé la seule voiture qui ai jamais compté dans ma vie, ma Mercedes… Si tu en doutes, regarde donc les photos que je t’ai jointes : tu y verras tous les gens que tu connais, et toi par-dessus tout. J’ai posé sur les photos, j’espère que tu me reconnaîtras ! Je t’ai donc suivi ce soir-là, afin de te piéger. Heureusement pour moi tu es toujours aussi intelligent : alors qu’une voiture déguisée en buisson se garait derrière toi, tu as décidé de partir à la recherche d’un arbre pour uriner dessus. J’ai toujours admiré ton esprit si maniaque. Comme les arbres ne couraient pas la rue dans ce coin de campagne, j’ai eu tout le temps de tuer la pauvre femme qui t’accompagnait, mais comme j’avais peur que tu reviennes, je n’ai pas attendu que la belladone fasse son effet dévastateur, et j’ai préféré terminer rapidement cette tâche assez malsaine en brûlant son visage. J’ai rajouté la bulle d’air pour le côté scientifique, et la tête de Playmobil pour être sûr de te faire tomber. On ne dirait pas que je

suis un génie quand on me voit, mais finalement toutes ces années de pistage n’auront pas servi à rien !! Mon génie s’est encore manifesté ici : dès que je t’ai vu t’enfuir (j’étais aux premières loges ce jour-là), je t’ai suivi – et sache que je te suivrais jusqu’à m’être assuré que tu ne sois plus de ce monde. Et sitôt que j’ai compris que tu retournais sur le lieu de ton premier crime, j’ai attiré la ministre de l’Éducation nationale dans le village sordide qui sert à ta famille de domicile, et mon coup s’est arrangé encore plus simplement que le précédent. J’y ai donc pris un plaisir d’autant plus élevé que cette femme, je voulais VRAIMENT sa mort ! Non seulement c’était une femme, en plus elle avait dix Mercedes avec chauffeurs, et pour couronner le tout, elle voulait enlever la géométrie dans l’espace du programme de 2nde. Quelle idiote ! Comment vont donc se débrouiller les terminales avec les nombres complexes, déjà que pour leur cerveau ramolli de jeunesse viciée c’était compliqué ! Heureusement que je suis là, sinon où irait la France ?

Bien à toi,

Memento mori (j’ai toujours rêvé de dire ça ….)P. Bouché

PS : même si je pense que tu n’aurais jamais le courage de sortir de ta cave pour me dénoncer, tu peux toujours montrer cette lettre et les photos qui vont avec à la police, personne ne te croira : tout le monde sait que tu es un fou, menteur qui plus est, mais avec toutefois des compétences élevées en informatique…”

Et alors, faut absolument que je vous parle des photos jointes avec !

Les premières, c’était des clichés sur lesquels on voyait des photos de ma famille accrochées sur un mur (Vous allez comprendre). Flippant. Surtout quand j’ai vu les photos de mes cousins morts

y’a 5 et 8 ans !

Mais alors, les 36 dernières, IMPRESSIONNANTES ! C’est toutes les mêmes presque ; on voit une pièce vide avec une tapisserie immonde, avant de se rendre compte que c’est pas de la tapisserie mais des photos. De moi. Y’en a même sur le sol et le plafond ! Au centre de la pièce, en plein milieu de la lumière de la seule fenêtre de la piaule, y’a un fauteuil, et un truc qui ressemble à un cadavre dedans. Ouais, Mr.Bouché quoi. Le plus bizarre ? J’hésite franchement entre la pièce elle-même ou les poses glauques que le pauvre taré prend. Ouais, la seule différence entre ces 36 tofs, c’est sa position ! Un coup on dirait Jerry des Totally Spies, Docteur Gang d’Inspecteur Gadget ou carrément un mafieu…Si je suis étonné par le fait que ce soit lui le meurtrier ? J’étais déjà pas sûr que ce soit moi alors ….

Le film de ma vie (celle de Bouché)

Extrait du journal intime de Bouché.

« Bouché : (en préparant un bouquet de Belladone et une tarte)

Mon génie entre de nouveau en oeuvre, avec ce plan diabolique. (Rire diabolique) Je vais punir ces gens qui ont mis au monde un tueur de Mercedes tel que Raoul ! À cause d’eux je suis obligé de me déplacer dans un buisson ambulant. Pauvre de moi…

Bouché se dirige vers la maison déguisé en dieu celte. Il sonne. C’est le père du condamné qui lui ouvre. Il arbore des énormes moustaches broussailleuses qui lui descendent jusqu’aux clavicules et un casque viking en plastique. Heureusement, notre

brave Bouché sait à quel phénomène il a affaire, il garde son calme et son air bienveillant.

Père :

Qu’est-ce tu m’veux ?

Bouché : (d’un air pompeux)

Ô mon plus fidèle croyant, incline-toi devant ton dieu Taranis qui te fait l’honneur de venir boire le thé et manger une tarte à la myrtille préparée avec amour par ton dieu lui-même pour te récompenser toi et ta famille de tes sacrifices de souris tous les jours de chaque année de ta vie de servitude envers sa toute-puissance!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!

Père : (Pars en courant)

Veuillez pardonner mon zèle, je m’en vais de ce pas chercher mon fouet pour me flageller en punissions de ma lèse-majesté, mon outrecuidance impardonnable.

Bouché :

Après 20 coups de fouet, je t’accorderai , dans ma grande miséricorde, mon pardon, Ô humble serviteur.

Le père se fouette en psalmodiant; La mère arrive, typée italienne – Monica Bellucci.

Père :

Incline-toi, femme, devant l’honneur que Taranis nous fait de sa visite.

Bouché :

Ô dame, je vous ai apporté un bouquet de Belladone. Je sais que vous êtes une adepte des Borgia.

Mère :

Oh Mamma mia! Che bella ! Grazie mille ô il mio dio !!

Bouché (en trépignant) :

Bon on la mange cette tarte ? … Le dieu s’impatiente !!

Mère :

Bambini !! A tavola !!

Les jumeaux dévalent les escaliers comme des bourrins.

Jumeau 1 :

T’es folle ou quoi ? Pourquoi tu nous appelles comme ça ?

Jumeau 2 :

C’est clair combien de fois on te l’a dit ? Et pourquoi on mange ?

Bouché :

Car je suis un dieu et que vous devez manger ma tarte aux myrtilles !!

Jumeau 1 :

C’est ça t’es bourré ou quoi toi ?

Jumeau 2 :

Peut-être qu’il a fumé !

Père (brandissant son fouet) :

Enfants indignes !! Comment osez-vous !! Je vais vous fouetter si vous ne vous asseyez pas tout de suite !!

Bouché :

Mangez tous un morceau de tarte en même temps ! Moi je ne peux manger car cela m’est interdit par la Charte des Dieux que j’ai

acceptée en obtenant mon grade il y a 4 milliards d’années !!

Tout le monde mange une part de la tarte, et tombe raide.

Bouché descend à la cave chercher Raoul.

Bouché :

Raoul !! Montre-toi !! C'est celui grâce à qui tu as survécu jusque là, tu sais, celui qui t'as appris les équations !!

Raoul se cache derrière un playmobil géant de pompier, barbouillé de feutre.

Bouché, plein de courage, avance vers ce grotesque avatar :

Tu peux toujours te cacher, je sais que tu es là, toujours aussi maléfique, et cette fois je vais vraiment venger Mercedes !!

Torino, essayant de sortir de derrière le playmobil :

Oh, vous êtes génial, comment avez-vous fait pour que ma mère, que je croyais digne descendante des Borgia, ne reconnaisse pas le bouquet de belladone ? Elle m'a déçu, et c'est pourquoi je vous prie de croire à mon entière dévotion envers vous pour m'avoir ouvert les yeux et débarrasser de tous ces idiots qui ne croyaient pas en mon trésor !

Raoul :

Ta gueule Torino, tu me c***** les c****** putain !!

Bouché :

Ah, je vois que vous n'avez pas changé : une fois vous parlez comme dans un livre, et l'autre vous jurez comme un charretier.

Bouché, armant héroïquement son tromblon, décide de passer aux choses sérieuses. Cette arme de mauvaise qualité lui tire dans le pied. Toujours aussi lâche et opportuniste, Raoul l'assomme avec

le playmobil et s'en va en courant. Bouché tombe à terre, inconscient.

Raoul :

Putain, faut que je trouve un moyen de me débarrasser de ce gros con, il est complètement dingo.

Raoul passe sans s'arrêter devant les corps de sa famille et part se cacher, encore une fois lâche.

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Voilà, j'ai écrit ce texte dans mon camion à la nuit tombée, après avoir réussi à me relever et à me traîner jusque ici sans voir aucune trace de Raoul, et je me suis enfermé avec Choupette pour dormir. Je ne sais pas ce qu'elle a mangé mais ça commence à sentir le chou...

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Voici les derniers mots d'Alfred Aristide Isidore Bouché, professeur de mathématiques, meurtrier en série, rancunier notoire. Il rendit son dernier souffle dans la nuit du tant au tant, dans son camion, en compagnie de Choupette. Son corps fut retrouvé dans le fossé, à un jet de pierre de la cour. Que s'était-il passé ?

Si toi aussi, cher lecteur, tu t'interroges, je vais éclairer ta lanterne.

Raoul, en sortant de la cave, vit trois choses : le camion, le tapir accroché au pare-chocs arrière, une pyramide de choux fermentés.

Il eut peut-être la seule idée géniale de son existence.

Il nourrit le tapir avec les choux fermentés.

Il boucha les aérations du camion.

Il se cacha encore, ce lâche, en attendant le résultat.

Bouché sortit de la cave avec la bosse des maths, pestant, jurant, appelant Torino en vain.

Raoul réussit à bâillonner cette dangereuse partie de lui-même.

Bouché s'enferma dans son camion. La nuit tombait. Il finit de rédiger son journal intime pour la postérité. Et il s'endormit avec son tapir.

Choux + tapir + choux fermentés + espace confiné + prof de maths = flatulences d'ongulé et mort par asphyxie.

Raoul, sortit de sa cachette, enfin, le lâche. Il se débarrassa du corps, prit le volant du camion et s'éloigna en compagnie de Choupette de ces lieux maudits et chargés de désespoir.

Raoul venait de tirer un trait sur son passé. Une nouvelle vie commençait.

Raoul et Choupette

Bouché liquidé, à moi enfin la liberté... Vite, quitter ces lieux cauchemardesques ; un petit bruit me fit sursauter ! Des petits grognements furtifs comme des petits sanglots... Mais qu'était-ce donc ? Un animal ressemblant vaguement à un cochon doté d'un groin démesuré. Le tapir de Bouché. Je l'appelai : "tsttttttt, tsttttttt, petit, petit, viens vers moi...allez viens". L'animal se retourna.

Il m'observait de ces petits yeux et il me semblait voir couler des larmes, de vraies larmes. Je glissai vers lui, tentant de ne pas

l'effaroucher ; il ne semblait pas vouloir fuir. Posant une main doucement sur le pelage rêche de son dos, je remontai vers le cou. Mes doigts accrochèrent ce qui ressemblait à un collier au bout duquel se balançait un petit médaillon. Toujours avec d'infinies précautions, j'approchai encore plus près afin d'y lire l'inscription : "Choupette" et au dos : "Bouché, tél : 05 ** ** ** **".

"C'est bon, tu sais qui je suis maintenant, enlève tes sales pattes de mon cou, on n'a pas gardé les iguanes ensemble" articula Choupette. Allons bon, cette absurdité n'était donc pas encore finie ! Encore un animal s'exprimant comme un humain ! Non, franchement j'en avais ras la casquette de toutes ces salades. Est-ce qu'un jour je retrouverai la "normalité" rassurante avec des gens "normaux", des animaux "normaux", une vie "normale" ? Mais qu'était au juste une vie normale, des gens normaux, des animaux normaux.

"NORMAL !!!!!!!!!!" criai-je à Choupette. "Je veux redevenir NORMAL, tu comprends ?"

"Hé là, doucement. Ne me hurle pas dans les oreilles. Tu crois que moi, un maïpouri, qui suis un animal de l'Amazonie, je trouve "normal" de me retrouver chez les gaulois, au fin fond d'un village d'irréductibles ? Non, ce n'est pas normal ; je devrais batifoler avec mes congénères dans la jungle amazonienne et tous mes copains à poils et à plumes. Qui me permettra un jour de retrouver ma terre natale ?" se plaignit Choupette.

Cette plainte me remua le coeur.

"Moi" dis-je presque malgré moi. "Allons bon, je n'avais pas encore eu mon compte de problèmes que j'allai encore me mettre dans le pétrin..."

"C'est moi qui vais te ramener chez toi. Ecoute, il y a un parc animalier non loin d'ici. Je t'y conduis et peut-être qu'il sera possible que tu retrouves non pas ta terre d'origine, faut pas rêver ! Mais peut-être y retrouveras-tu tes semblables dans un lieu aménagé comme la jungle. Hein, qu'en dis-tu ; elle n'est pas merveilleuse ma trouvaille ?"

Choupette ne pleurait plus et me regarda avec des yeux énamourés. Un vrai regard humain.

"Allez ouste ! Grimpe dans le camion de feu M.Bouché ; tu me raconteras ton histoire en route."

Choupette ne se fit pas prier, grimpa côté passager, attacha sa ceinture et s'affubla de lunettes de soleil genre "ray ban". Devant mon air ahuri, elle me lança.

"Ben quoi, je suis sensible des yeux ; tu n'as donc jamais vu de tapir avec des lunettes ? Tu viens de quelle planète ! Il faut sortir de temps en temps. Allez ! Roule Raoul."

Après tout ce que j'avais vécu ces dernières années, plus rien n'aurais dû m'étonner, et pourtant. Choupette, très en verve, se mit à me raconter sa vie et comment elle était arrivée entre les mains de M.Bouché. Ce dernier, parmi ses multiples activités légales ou occultes, trafiquait ; du trafic d'animaux exotiques. Choupette faisait partie d'un lot d'animaux en provenance de Guyane. Des orpailleurs clandestins l'avaient livrée à des trafiquants chargés d'alimenter un réseau vers l'Europe via la France après avoir abattu sa mère. Avec elle, sapajous,singes atèles, singes hurleurs, saïmiris, composaient la famille singes au côté de mygales, aras, papillons morphos, bref un gigantesque trafic juteux. M.Bouché avait craqué pour elle, encore bébé, en la découvrant au milieu de ce lot cosmopolite et l'avait adoptée. Il en était tellement dingue que sa femme l'avait quitté pour non accomplissement répété du

devoir conjugal... M. Bouché n'en avait cure ; cela faisait longtemps qu'il n'aimait plus sa femme et la voir partir l'avait plutôt réjoui ! Choupette lui remplissait le coeur ! Il haïssait tellement les humains... Choupette était la fille qu'il n'avait jamais eue et il l'emmenait partout ; elle était de toutes les fêtes.

"Voilà, tu connais mon histoire ; elle n'est pas banale ! A toi à présent de me raconter..." lança Choupette.

Je n'avais pas du tout, mais alors pas du tout envie de raconter mes multiples vies intérieures et les ennuis que cela me valait...

"Oh moi tu sais... Ma vie est toute simple ordinaire, tellement ordinaire, qu'il n'y a strictement rien à dire ; je m'appelle Raoul, c'est tout ce que je peux te dire d'intéressant."

Choupette n'insista pas, son attention déjà accaparée par le panneau annonçant la proximité du parc animalier. Elle se mit à chanter à tue-tête, un chant créole :

"Guyane, Guyane, Guyane mo pei, mo cheri, Guyane a mo pei natal, A la mo nombri planté, mo pé ké janmin blié to.

Minme si oune jou mo alé a Paris, Minme si oune jou mo alé en Itali, Minme si oune jou mo alé a Tahiti, Mo ké toujou viré.

Lo mo sonjé mo bon bouyon wara, Lo mo sonjé mo kolombo ti djol, Lo mo sonjé mo bon ti kalalou, mo ké toujou viré. Lalalalalaaaaaaaaaaaa..."

J'avais les oreilles cassées en franchissant le portail du parc, Choupette chantait faux...

XIII

Une fin très fine

Pépère et Presse-Purée

Les responsables du parc animalier acceptèrent d'héberger Choupette. Les semaines, les mois passèrent. Un jour, Raoul revint voir le tapir qui, d'une certaine manière, lui avait sauvé la vie. En ce jour ensoleillé, il roulait vers Sigean. Sur la route du grand sud, aux accents de grand large, Raoul fredonnait les classiques de Charles Trenet, "La mer qu'on voit danser, le long des golfes clairs, a des reflets d'argent, la mèèèèèèèrrrrrrrrrr lalalalala". Il était content. Il avait toujours voulu voir les éléphants de près Raoul. A l'entrée du parc de Sigean, quelques individus en semi-liberté n'attendaient que lui.

Ce que le condamné ne savait pas, ni d'ailleurs grand monde dans ce parc, c'est que le pré des éléphants jouxtait l'enclos des crocodiles, et qu'un "pacte animal" entre l'éléphant et le vieux croco de la ménagerie avait été "conclu par le soigneur et les bêtes :)

Un des éléphants surnommé affectueusement Presse-Purée (par le soigneur qui n'était autre que notre ami Fil ; il avait trouvé ce travail après avoir bien profité de sa nouvelle liberté ; comme quoi, il y a de ces coïncidences...) écrasait de ses grosses pattes les quartiers de viande avariée que Fil fatigué de manier le broyeur destinait à Pépère le croco édenté.

Or l'éléphant, vieux cabochard réagissait à certaines personnes. Autant avec les enfants et les grand-mères il devenait presque câlin, autant avec les hommes il devenait souvent ronchon et les menaçait de sa trompe. Peut-être le souvenir d'un dompteur maladroit, tyrannique ou trop bête ou trop blanc ?

Dans un état quasiment hypnotique notre Raoul, subjugué par la masse imposante de l'animal et de ce vieux rêve enfin à portée de main ne se méfia pas de la trompe avenante et prêta son flanc à notre Presse-Purée. Raoul avança vers lui comme un enfant attendri, un brin ramolli, tout réflexe aboli. Il contourna le pachyderme, admira sa monumentalité. Il ne remarqua pas le taon qui vrombit dans les parages, s'attaqua au postérieur de Presse-Purée, planta son dard profond. L'éléphant, surpris, s'assit.

Il n'y eut pas un cri. Juste un craquement et des projections molles.

Raoul n'était plus mais il n'avait pas souffert.

Fil, découvrant le massacre, agit avec beaucoup de sang-froid. Il en avait vu d'autres.

Il confia les restes humains vaguement reconnaissables à Pépère le Croco qui bâilla de plaisir à la vue de ce goûter imprévu.

Ainsi finit Raoul écrasé par Presse-Purée et boulotté par Pépère.

Love, exciting and new

On the road again. A long trip. La France, ses autoroutes, ses péages, les départementales, les bornes jaune, kilomètre zéro. Tout le monde descend, respire l'air marin mon boyau mou, de l'oxygène méditerranéenne qui ventile la tripe.

Je cherchais longtemps la camionnette déguisée en buisson. Je voulais faire la peau à cet homme qui avait volé la vie de mon fils. Mais je perdis sa trace. Moi, Gaspard de Fontenoy, celui qui ne lâche rien, échouais dans cette traque sans pitié.

Cela précipita mon coming-out existentiel. Finie la pègre, bye-bye caïds. Revenons aux joies simples de la vie. Je me mis à aimer les animaux alors qu'avant, je les appréciais plats et morts, mariés au bitume.

Les zoos, les parcs, les jungles, les animaleries devinrent mes endroits préférés. Que cherchais-je ? Sigean me l'apprit. Ah, Sigean !

Un tapir m'attendait près du comptoir d'accueil. Le regardant dans les yeux, je tombais amoureux. Aussitôt, sans faire ni une ni deux, j'assommais le type qui le surveillait (un nain) avec la crosse de mon flingue et repartis avec lui. Enfin, elle. Car c'est une femelle.

GDF, vieille peau nostalgique jusqu'au slip. J'ai trouvé mon tapir d'exception.

Love,

exciting and new,

come aboard,

we're waiting you !

Le mot de la fin

A tous les baratineurs, les enrouleurs de mots, les déjantés de la coucourde

qu’ils soyent de Paname ou de la cambrousse ou d’ailleurs encore

ci gisent nos errances de la jactance, nos embrouilles grammaticales

n’en déplaise au censeurs et autres gardes chiourme de la syntaxe

macchabées, malfrats , déjantés de toute nature,

nains et tapirs, trépassés ou bien encore en vie

Acta est fabula

écrits vains

hic jacet