Journée du Patrimoine, 16 septembre 2012 L D’H DE S D ...« Un homme s’endort ; […] à mesure que le sommeil gagne, sa pensée se colore et prend corps, c’est là le rêve,

Léon d’Hervey de Saint-Denys (1822 - O1878 - 1892). Entre science et rêve, un patrimoine révélé

Journée du Patrimoine, 16 septembre 2012

Le marquis d’Hervey de Saint-Denys, élu membre ordinaire de l’Académie

des Inscriptions et Belles-Lettres (AIBL) en 1878, est un personnage singulier de la

fin du XIXe siècle. Comme sinologue, il s’est consacré à l’étude de la langue et de la

littérature chinoises dans le souci de faire connaître du grand public une civilisation

encore mal connue à son époque. Sous le couvert de l’anonymat, il s’est aussi

illustré dans la mystérieuse science de l’onirologie, où il s’est montré l’un des

pionniers de l’exploration des arcanes du rêve.

LÉON D’HERVEY DE SAINT-DENYS

(1822 - AIBL 1878 - 1892)

Entre science et rêve

Un patrimoine révélé

Portrait en habit par Eugène Pirou

(Bibliothèque de l’Institut, 4°AA257*)



2

LE SINOLOGUE ET L’ACADÉMICIEN

Celui que l’illustre sinologue Stanislas Julien (1799 - AIBL 1833 - 1873) avait

désigné comme son successeur se distingue tout d’abord par la grande diversité de

ses sujets d’étude qui le conduisent du théâtre espagnol à l’histoire de Naples au

XVIIe siècle, puis à l’étude de la Chine à laquelle il se consacre avec la même

ampleur d’intérêts. Il aborde tous les aspects de la civilisation chinoise depuis la

littérature classique jusqu’à l’agriculture et l’élevage. Si son œuvre peut paraître

désormais dépassée du point de vue scientifique, elle a néanmoins constitué une

contribution non négligeable aux études chinoises et ses traductions d’une élégance

remarquable sont encore éditées aujourd’hui pour leur grande valeur littéraire.

Hervey de Saint-Denys veilla sans discontinuer à diffuser la connaissance de

la culture chinoise auprès du plus grand nombre et se montra très présent dans les

relations diplomatiques alors délicates avec la Chine. Il fut ainsi l’un des rares à

prendre position pour la paix dans son ouvrage La Chine devant l’Europe qui parut

en 1859 dans le contexte des guerres de l’opium. Homme de lettres et homme du

monde, Hervey de Saint-Denys reste pour la postérité une figure importante et

représentative de la seconde moitié du XIXe siècle.

Le pavillon du Japon et de la Chine à l’Exposition universelle de 1867.



3

Après le refus de la Chine de participer à l’Exposition universelle de 1867,

Hervey de Saint-Denys prit en charge l’organisation de l’exposition chinoise qu’il

finança entièrement. Cette exposition marqua les esprits en raison de la construction

de pavillons éphémères reproduisant les architectures caractéristiques des civilisa-

tions qu’ils représentaient. Le pavillon dévolu aux civilisations chinoises et japo-

naises réunissait un pavillon principal, un débit de thé ainsi qu’un théâtre où étaient

joués des pièces et des airs populaires chinois qui connurent un grand succès.

Estampage chinois provenant de la mission Dutreuil

de Rhins et Grenard de 1892, détail. (Bibliothèque

de l’Institut, Objet d’art 62, n°12 )



4

La carrière du marquis ne fut toutefois pas exempte de remous, puisqu’il fut

victime de calomnies particulièrement virulentes, dont il a su se défendre avec force

et habileté. En témoigne sa réponse au libelle publié sous le nom de Léon Bertin

sous lequel se cache Paul Perny, rival malheureux lors de l’élection au Collège de

France à la chaire de langues et littératures chinoises et tartares-mandchoues : il n’y

dénonce pas l’auteur, mais se contente de l’ironique épigraphe :

« La passion de l’envie est comme un grain de sable dans l’œil », tiré d’un

recueil de proverbes chinois recueillis et publiés par Paul Perny.

Élu membre de l’Académie en 1878, Hervey de Saint-Denys en devint le

Président en 1888 ainsi que celui de l’Institut de France. Ses interventions et

communications publiées dans les Comptes rendus des Séances de l’Académie des

Inscriptions (CRAI) témoignent du rôle très important qu’il joua dans la marche de

la Maison. Unique sinologue de la Compagnie durant plusieurs années, il présida à

l’attribution du prix Stanislas Julien et fut, Quai de Conti, le plus actif relais des

missions et des découvertes faites en Chine.

L’ONIROLOGUE

« Un homme s’endort ; […] à mesure que le sommeil gagne, sa pensée se

colore et prend corps, c’est là le rêve, et le rêve est la forme de la pensée durant le

sommeil » (Les Rêves, p.150)

Hervey de Saint-Denys se distingua également par sa fantaisie dans son sens

le plus élevé. Il fut l’auteur d’un très curieux ouvrage, Les Rêves et les moyens de les

diriger, paru anonymement en 1867 aux éditions Amyot, orné d’une couverture et

d’un frontispice richement illustrés. Cet ouvrage, aujourd’hui devenu très rare,

s’avère d’une extraordinaire richesse. Après avoir établi qu’il n’existe pas de

sommeil sans rêves, Hervey de Saint-Denys s’y fonde sur sa propre expérience pour

analyser les facultés qui régissent les rêves, comme la mémoire et l’imagination qui

génère notamment les association d’idées, et pour décrire la faculté « d’avoir

conscience en dormant de [sa] situation véritable » que l’on appelle aussi le rêve

lucide.

Afin d’illustrer le phénomène de l’enchaînement rapide des réminiscences

durant le rêve, il fait appel à la gravure L’Apocalypse du Ballet tirée d’Un autre

monde (Paris, H. Fournier, 1844) de Grandville qui « avait le sentiment de ces

mutations capricieuses, quand son crayon nous montrait une série graduée de

silhouettes commençant par celle d’une danseuse et finissant par celle d’une bobine

aux mouvements furieux » (Les Rêves, p. 43).



5

Grandville, J.J., « L’Apocalypse du ballet », in Un autre monde, Paris, 1844. (Bibliothèque de

l’Institut, 4 Pierre 155)



6

On lui doit aussi des expérimentations très innovantes sur le conditionnement

des sens permettant d’influencer directement le sujet de son rêve, une prémisse à

l’expérience de Pavlov. Le détail tiré du frontispice est l’illustration d’un rêve qu’il a

provoqué en faisant verser sur son oreiller durant son sommeil, quelques gouttes de

deux parfums liés à deux souvenirs distincts : l’un évoquant un séjour à la campagne

dans le Vivarais, l’autre lui rappelant l’époque où il travaillait dans l’atelier du

peintre Paul Delaroche. En voici le convaincant résultat :

« Je me crois dans la salle à manger de l’habitation vivaraise, dînant avec la famille

de mon hôte réunie à la mienne. Tout à coup, la porte s’ouvre, et l’on annonce M.

D…[Delaroche], le peintre qui fut mon maître. Il arrive en compagnie d’une jeune

fille absolument nue, que je reconnais pour l’un des plus beaux modèles que nous

ayons eus jadis à l’atelier. M. D… raconte que la voiture dans laquelle ils voya-

geaient de concert a versé, qu’ils viennent demander l’hospitalité, etc. » (Les Rêves,

p. 381)

Frontispice, détail, in Les Rêves, Paris, 1867. (Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, 54424)



7

« TRAJECTOIRES DU RÊVE »

Entre science et art, le rêve est un domaine où se rencontrent les préoccupations

des membres des cinq Académies. En 1851, l’Académie des Sciences morales et po-

litiques lance un concours sur le thème : « Du sommeil envisagé du point de vue

psychologique ». C’est précisément cette initiative académique qui poussera Hervey

de Saint-Denys à entreprendre la rédaction d’un livre sur un thème qui le passionne

depuis son adolescence.

Si la rareté de l’ouvrage d’Hervey a été un frein à la diffusion de ses idées –

Freud n’aurait pas réussi à se le procurer lors de la rédaction de son Interprétation

des rêves (1900) – l’on peut voir dans l’engouement du début du XXe siècle pour le

rêve dans les domaines de la psychanalyse, de la philosophie, de l’art ou de la littéra-

ture, l’héritage de l’onirologue. Si certains décèlent dans la prose ciselée de Marcel

Proust la trace de certaines de ses idées, André Breton accorde à Hervey les pre-

mières lignes des Vases communicants parus en 1932, plaçant ainsi le surréalisme

dans sa droite succession. Hervey de Saint-Denys s’inscrit dans une très longue li-

gnée de savants et d’artistes qui partagent une fascination commune pour le rêve et

qui ont consacré une partie de leur œuvre à son interprétation. Trop nombreux pour

être tous nommés ici, on peut citer parmi eux les académiciens Gustave Moreau et

Henri Bergson. De nos jours, les travaux de Michel Jouvet, neurobiologiste et

membre de l’Académie des Sciences, témoignent à la fois des extraordinaires pro-

grès accomplis et de l’ampleur du domaine encore à explorer.

Un autre membre de l’Académie des Ins-

criptions, Alfred Maury (1817 - AIBL 1857 -

1892), dont les études de médecine lui ins-

pirent un ouvrage intitulé Le Sommeil et les

Rêves (1861), insiste sur les aspects physio-

logiques de la question, s’opposant ainsi

radicalement à d’Hervey de Saint-Denys.

On lui doit notamment le célèbre rêve de la

guillotine démontrant la rapidité d’un songe

provoqué par la chute de la flèche de son lit

sur son cou.

Portrait d’Alfred Maury par Eugène Pirou

(Bibliothèque de l’Institut, 4°AA257*)



8

Les articles des CRAI et du Journal des Savants sont à lire

et à télécharger gratuitement sur le site

www.persee.fr

Vous pouvez retrouver toutes les informations

sur les travaux et les publications de l’Académie sur son site

www.aibl.fr

Quelques références en ligne sur www.persee.fr :

D'Hervey de Saint-Denys, L., « Sur le pays connu des anciens Chinois sous le

nom de Fou-sang, et de quelques documents inédits pouvant servir à l'identifier » in

Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1875,

fasc. 4, p. 319-335.

D'Hervey de Saint-Denys, L., « Sur une notice de M. August Strindberg concer-

nant les relations de la Suède avec la Chine et les pays tartares, depuis le milieu du

XVIIe siècle jusqu'à nos jours » in CRAI, 1879, fasc. 2, p. 137-140.

D'Hervey de Saint-Denys, L., « L'Annam ou Tong-King et la Cochinchine, au

point de vue historique et philologique » in CRAI, 1885, fasc. 4, p. 360-367.

Bertrand, A., « Paroles prononcées par le Président de l'Académie à l'occasion de

la mort de M. le marquis d'Hervey-Saint-Denys » in CRAI, 1892, fasc. 6, p. 392-397.

Bibliographie sélective :

D’Hervey de Saint-Denys, L., Les Rêves et les moyens de les diriger, vol. 1, réédi-

tion intégrale ; vol. 2, O. de Luppé, A. Pino, R. Ripert, B. Schwartz, D’Hervey de

Saint-Denys (1892-1992), Célébration du centenaire de sa mort avec la collaboration

du Collège de France, Oniros, 1995.

Poésies de l’époque des Thang, traduction du chinois et notes par le marquis

d'Hervey de Saint-Denys, précédées de L'art poétique et la prosodie chez les Chinois

[1862], Paris, Ivrea, 2007.

Six nouvelles, traduites pour la première fois du chinois par le marquis d'Hervey

de Saint-Denys [1892], édition établie par A. Pino, Paris, Bleu de Chine, 1999.

L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres adresse ses plus

vifs remerciements à la Bibliothèque de l’Institut ainsi qu’à

la Bibliothèque Interuniversitaire de Santé pour le prêt de son exemplaire

de la première édition des Rêves et les moyens de les diriger.

http://www.persee.fr

http://www.aibl.fr

http://www.persee.fr

Documents

Journée du Patrimoine, 16 septembre 2012 L D’H DE S D ...« Un homme s’endort ; […] à mesure que le sommeil gagne, sa pensée se colore et prend corps, c’est là le rêve,