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Julie ou la Nouvelle Héloïse est un roman épistolaire de Jean-Jacques Rousseau paru en 1761 chez Marc-Michel Rey à Amsterdam . Maintes fois réédité, il a été l'un des plus grands succès de librairie de la fin duXVIII e siècle , révélant ainsi la place faite à la sensibilité au temps des Lumières . Intitulé à l’origine Lettres de deux amans, Habitans d'une petite ville au pied des Alpes, La Nouvelle Héloïses’inspire de l’histoire d’Héloïse et de Pierre Abélard , de plus de vingt ans son aîné, où la passion amoureuse est dépassée pour céder la place à la renonciation sublimée. En dépit du genre romanesque sous lequel se présente La Nouvelle Héloïse, l’œuvre baigne dans une théorie philosophique où Rousseau explore les valeurs morales d’autonomie et d’authenticité pour accorder la préférence à l’éthique de l’authenticité contre les principes moraux rationnels : n’accomplir ce qu’exige la société que conformément à ses propres « principes secrets » et aux sentiments qui constituent l’identité profonde. Intrigue[modifier | modifier le code ] La Nouvelle Héloïse relate la passion amoureuse entre Julie d’Étange, une jeune noble, et son précepteur, Saint-Preux, un homme d’origine humble. Après avoir tenté de s’en défendre, ce dernier va tomber sous le charme de sa jeune élève. Saint-Preux et Julie vont alors s’aimer dans le décor du lac Léman , mais leur différence de classe sociale les force à garder leur relation secrète. En raison des conventions sociales qui empêchent cet amour de s’exprimer au grand jour, Saint-Preux quitte la Suisse pour Paris et Londres d’où il va écrire à Julie. Les deux personnages vont alors échanger de nombreuses lettres et billets amoureux délibératifs, cherchant une réponse au dilemme que leur pose leur amour et à la situation catastrophique qu’elle engendre, jusqu’à ce que la famille d’Étange, ayant découvert cette relation, persuade Julie d’épouser un autre homme, le vieux M. de Wolmar. Lorsque Saint-Preux rentre, des années plus tard, Julie a déjà choisi d’honorer ses vœux matrimoniaux et de remplir ses devoirs d’épouse et de mère. Incapable pourtant d’oublier Saint-Preux, Julie décide, par loyauté, d’avouer cet amour à son mari.

Julie Ou La Nouvelle Héloïse

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Julie ou la Nouvelle Hloseest unroman pistolairedeJean-Jacques Rousseauparu en1761chez Marc-Michel Rey Amsterdam. Maintes fois rdit, il a t l'un des plus grands succs de librairie de la fin duxviiiesicle, rvlant ainsi la place faite la sensibilit au temps desLumires.Intitul lorigineLettres de deux amans, Habitans d'une petite ville au pied des Alpes,La Nouvelle Hlosesinspire de lhistoire dHloseet dePierre Ablard, de plus de vingt ans son an, o la passion amoureuse est dpasse pour cder la place la renonciation sublime.En dpit du genreromanesquesous lequel se prsenteLa Nouvelle Hlose, luvre baigne dans une thorie philosophique o Rousseau explore les valeurs morales dautonomie et dauthenticit pour accorder la prfrence lthique de lauthenticit contre les principes moraux rationnels: naccomplir ce quexige la socit que conformment ses propres principes secrets et aux sentiments qui constituent lidentit profonde.Intrigue[modifier|modifier le code]La Nouvelle Hloserelate la passion amoureuse entre Julie dtange, une jeune noble, et son prcepteur, Saint-Preux, un homme dorigine humble. Aprs avoir tent de sen dfendre, ce dernier va tomber sous le charme de sa jeune lve. Saint-Preux et Julie vont alors saimer dans le dcor dulac Lman, mais leur diffrence de classe sociale les force garder leur relation secrte. En raison des conventions sociales qui empchent cet amour de sexprimer au grand jour, Saint-Preux quitte la Suisse pour Paris et Londres do il va crire Julie. Les deux personnages vont alors changer de nombreuses lettres et billets amoureux dlibratifs, cherchant une rponse au dilemme que leur pose leur amour et la situation catastrophique quelle engendre, jusqu ce que la famille dtange, ayant dcouvert cette relation, persuade Julie dpouser un autre homme, le vieux M. de Wolmar. Lorsque Saint-Preux rentre, des annes plus tard, Julie a dj choisi dhonorer ses vux matrimoniaux et de remplir ses devoirs dpouse et de mre. Incapable pourtant doublier Saint-Preux, Julie dcide, par loyaut, davouer cet amour son mari.Analyse[modifier|modifier le code]Emblme duroman sensible,la Nouvelle Hloseconstitue un prototype du mouvement littraireprromantiquedont on retrouve les caractristiques: exaltation des sentiments; plainte des personnages qui se plaisent dans cette complainte.Personnages[modifier|modifier le code] Julie dtange, jeune noble. Amoureuse de son prcepteur Saint-Preux, elle aura une liaison avec lui avant dy mettre fin par un mariage de raison avec un vieil ami de son pre. Claire, cousine de Julie, amie insparable de Julie quelle rejoindra Clarensaprs son mariage. Saint-Preux, prcepteur de Julie dont il finira par tomber amoureux. Baron dtange, pre de Julie. Noble suisse, ancienmercenaireautoritaire et emport, il mettra une opposition inflexible au mariage entre sa fille et Saint-Preux. Baronne dtange, mre de Julie, tentera en vain de flchir son mari. Milord douard Bomston, lord anglais qui deviendra le meilleur ami de Saint-Preux et son soutien le plus sr. M. de Wolmar, compagnon darmes du baron dtange qui lui a promis la main de sa fille aprs quil lui a sauv la vie.Rsum[modifier|modifier le code]

Premire partie[modifier|modifier le code]Saint-Preux crit plusieurs lettres Julie dans lesquelles il lui avoue son amour. Aprs avoir jou la froideur celle-ci finit par lui avouer quelle partage ce sentiment. Elle crit, pour la supplier de revenir suivre les leons de ce prcepteur auprs delle, sa cousine Claire qui comprend tout et tremble pour Julie. De platonique, la relation entre Saint-Preux et Julie prend un tour physique avec le baiser chang dans le bosquet en prsence de Claire. Saint-Preux effectue un premier voyage en Valais la demande de Julie qui craint que leur relation ne soit dcouverte. Mis par le baron dtange en demeure daccepter un salaire ou de cesser ses leons, Saint-Preux quitte sa place et sinstalle de lautre ct du lac lman o il sabandonne tous les effets de sa passion. Julie tombe malade, mais le baron dtange ne veut pas entendre parler mariage et la fiance M. de Wolmar. Julie devient la matresse de Saint-Preux. Les remords, qui suivent cette chute, sont apaiss par Claire et Saint-Preux qui dmontrent Julie la responsabilit de la socit dont les prjugs empchent cet amour. Un dpart en voyage des parents de Julie offrait aux deux amants une perspective de se voir librement chez Claire qui ne se ralise pas lorsque Saint-Preux doit, son tour, sabsenter. Milord douard, dont Saint-Preux avait fait la connaissance lors de son voyage dans leValais, rend visite Julie et Saint-Preux. Il leur fait dcouvrir la musique italienne mais manque de se battre en duel avec Saint-Preux aprs que celui-ci a dcouvert quil nest pas insensible aux charmes de Julie. Aprs avoir renonc au duel, Milord douard propose Saint-Preux de se faire le champion de sa cause auprs du baron dtange, mais ce dernier ne veut rien entendre. Aprs une explication avec sa fille, il la frappe et la blesse au visage. Bien quil se soit rconcili avec elle, le pre de Julie exige une sparation dfinitive et Saint-Preux doit quitterClarens.

Deuxime partie[modifier|modifier le code]

En exil, Saint-Preux sabandonne au dsespoir: milord douard crit Claire quil est pass de la lthargie une sombre fureur. Milord douard offre un asile aux deux amants dans le duch dYorkou les sages lois anglaises leur permettront de se marier. Julie refuse afin de ne pas couvrir ses parentsde douleur et dopprobretandis que Claire avait rsolu de rester avec elle quelle que soit sa dcision. Tentant de se reprendre, Saint-Preux dcide dentrer dans le monde. Julie met en garde Saint-Preux, qui lui rpond en dpeignant la vie parisienne, ses habitudes, ses murs conjugales, son thtre et les Parisiennes de faon ngative. Julie rpond en faisant la part entre Paris et la France. Lenvoi dun portrait delle dclenche des transports chez son amant. Saint-Preux rend compte Claire de lopraet de la musique franaise en reprenant les termes de laQuerelle des Bouffons. Saint-Preux trompe Julie par erreur lorsque de jeunes libertins layant men chez uneprostituequi pose la femme de colonel, il se rveille, aprs stre enivr (galement par erreur) dans son lit. Julie rpond en lui apprenant que sa mre a probablement dcouvert les lettres que lui a envoyes Saint-Preux.Troisime partie[modifier|modifier le code]La baronne tombe malade et Claire conjure Saint-Preux de renoncer Julie. La baronne meurt, laissant Julie persuade quelle est responsable de la mort de sa mre en dpit du caractre fort ancien de sa maladie. Le baron dtange rappelle sa promesse de mariage avec Wolmar Julie qui lui rpond quelle a promis Saint-Preux de ne jamais pouser un autre que lui. Le baron dtange somme brutalement Saint-Preux de rendre sa parole Julie. Saint-Preux sexcute et tout est fini entre eux. Julie tombe gravement malade. Saint-Preux se prcipite son chevet. En embrassant la main de Julie, Saint-Preux a galement contract lapetite vrolemais cestlinoculationde lamouret il en rchappe. Julie et Saint-Preux songent ladultre, mais celle-ci traverse une crise religieuse qui la convainc de renoncer Saint-Preux et de se soumettre la volont de ses parents. Julie pouse Wolmar et entreprend de dnoncer lesvains sophismesphilosophiques qui ont failli causer leur perte. Elle demande Saint-Preux de lautoriser rvler le secret de leurs amours passes. Saint-Preux est fort loin de partager la srnit de Julie et lui demande de nen rien faire, lui demandant si elle est heureuse. Julie lui rpond quelle lest condition que Saint-Preux ne cesse de laimer en frre et de loin. Elle lui brosse un tableau de sa vie conjugale inscrit sous le signe de la modration, y compris dans les sentiments que se portent les poux. Elle a dfinitivement tir un trait sur le pass et fait le serment de ne pas se remarier si elle devient veuve. Elle conclut en lui demandant de ne plus lui crire en se contentant de communiquer, dans les occasions importantes, par lintermdiaire de Claire. Saint-Preux sombre dans le dsespoir et songe au suicide. Il renonce cette ide aprs stre laiss convaincre par largumentation de Milord douard. Il fera, au lieu de cela, le tour du monde.

Quatrime partie[modifier|modifier le code]

Julie na pas eu de nouvelles de Saint-Preux, parti faire le tour du monde, depuis quatre ans. Menant sa vie selon son plan de modration, elle devrait, avec sa vie paisible, son mari modle, ses deux charmants enfants, tre heureuse, mais le bonheur nest pas au rendez-vous. Julie continue dprouver des remords vis--vis de Wolmar au sujet de sa relation passe avec Saint-Preux. Enfin, les raisonnements philosophiques et les plans moraux ont chou lui faire oublier Saint-Preux. Elle crit Claire et lui demande de venir sinstaller avec elle Clarens. Cest prcisment le moment o Saint-Preux rapparat avec une lettre adresse Claire o il lui apprend quil a termin son voyage autour du monde et que, en chemin vers lItalieavec Milord douard, il va passer la voir. Il demande galement revoir Julie, assurant que son amour pour elle est dsormais de nature vertueuse. Wolmar, qui Julie a fini par confesser sa liaison passe, crit Saint-Preux pour lassurer de son amiti et linviter Clarens. Arriv Clarens, Saint-Preux est saisi dune intense motion la vue de son pays natal. Chez Wolmar et Julie, il dcouvre une vie o la sagesse des occupants leur permet de vivre frugalement dans la paix, linnocence et le bonheur. Les serviteurs sont bien traits, on leur permet de danser et Julie danse mme avec eux. Les matres de Clarens ont, quant eux, conu un jardin anglais appel llyse qui est comme un bout du monde trois pas du chteau. Julie explique Claire la conduite de M. de Wolmar vis--vis de Saint-Preux: ignorant la passion, il la pouse par inclination pour lui viter de se dshonorer vis--vis des autres et delle-mme. Il prfre rgler1lamour entre Julie et Saint-Preux plutt que de tenter de lanantir, persuad que cest de la jeune fille qutait Julie et non de la femme qu'elle est devenue que Saint-Preux est amoureux. Il est tellement persuad de cette ide quil projette mme dtablir dfinitivement Saint-Preux Clarens en linstituant le prcepteur de ses enfants. Pendant une absence de M. de Wolmar de quelques jours, Saint-Preux et Julie font sur le lac une promenade qui manque pourtant de mettre leur vertu mal.Cinquime partie[modifier|modifier le code]Aprs avoir entendu la dmonstration de Wolmar, Saint-Preux se dclare convaincu et prt entendre le secret du bonheur au chteau de Clarens: Wolmar cherche le bonheur dans les plaisirs simples dune existence rustique paisible et retire o la vraie richesse rside non dans laccumulation des biens mais dans une aisance modre. Les Wolmar sont prospres parce que, selon des principes proches de ceux desphysiocrates, ils vivent enautarcie. Sains, honntes et simples, les plaisirs quon prouve Clarens y sont ceux de la vie champtre, car la vie citadine ne vaut rien aux vertus. Les enfants sont duqus selon les principes qui se retrouvent un an plus tard dans lmile: plutt que de raisonner avec les enfants, il faut leur imposer le principe de la ncessit que la nature impose lhomme et utiliser le principe de lintrt pour faire obir lenfant. Julie regrette nanmoins que M. de Wolmar soit athe. Sourd aux raisonnements de sa femme et ceux de Saint-Preux, il ne veut pas non plus la tromper en feignant des sentiments qui ne seraient pas les siens. Larrive de Claire Clarens pour nen plus partir dclenche lallgresse dbordante de ses habitants. Lpoque des vendanges est une nouvelle occasion de dessiner le tableau de lidylle rustique Clarens. Le renoncement pse cependant Saint-Preux qui parvient grand peine faire prvaloir la raison et la volont sur les sentiments quil continue de porter Julie. Arriv son tour Clarens, Milord douard emmne Saint-Preux en Italie. Retrouvant la chambre quil a occupe lors de son premier voyage en Valais, Saint-Preux est submerg par lmotion et la nostalgie. Ayant rv dans la nuit que Julie est morte, il retourne Clarens dont il sloigne, rassur, ds quil a entendu la voix de Julie et de Claire. Julie affirme Claire que ce quelle prend pour de la compassion et de lamiti envers Saint-Preux est en ralit de lamour et lengage lpouser.Sixime partie[modifier|modifier le code]

Claire rpond Julie quelle aime Saint-Preux sans laimer. Ses sentiments pour lui sont plus que de lamiti, mais sans tre de lamour et, quand elle le voit, ce quelle pourrait ressentir pour lui svanouit. Quant Saint-Preux, il ressent pour elle une affection mle de tendresse mais ce nest pas de lamour non plus. Il ne peut donc tre question de mariage. Quant Milord douard, il hsite entre pouser une aristocrate au caractre emport et une ancienne courtisane qui fut sa matresse. Le dilemme est dnou par lentre opportune au couvent de cette dernire. Claire crit une longue lettre sur Genve o sont analyses les murs des Genevois qui sont dpeints comme francs, gnreux, cultivs et leurs femmes gracieuses et sensibles quoiqu'elles aient tendance se dgnrer en prenant les Franaises pour modle. Julie revient la charge avec sa proposition de mariage entre Claire et Saint-Preux, mais ce dernier refuse galement. En fait, il sestime guri de lamour. Julie tombe de plus en plus dans le mysticisme, mais se dfend de devenir une dvote, mme si elle continue de regretter lathisme de Wolmar. Une catastrophe survient alors que Julie a saut leau pour sauver son fils Marcellin aprs quil est tomb dans le lac: tombe malade, Julie a fini par succomber et est morte avec une trs grande srnit dme aprs avoir fait une profession de foi qui tourne la thse en thologie, ce qui ne laisse pas de surprendre dans la bouche dune mourante. Elle a mme trouv la force, entre ses mditations sur la vie et la mort, dcrire une lettre Saint-Preux que lui envoie Wolmar. Cette lettre rvle Saint-Preux que Julie navait jamais cess de laimer:Je me suis longtemps fait illusion. [] Vous mavez crue gurie, et jai cru ltre.Louvrage se conclut sur une lettre de Claire Saint-Preux o elle lui avoue son tour:Jai eu de lamour pour vous, je lavoue; peut-tre en ai-je encore, peut-tre en aurai-je toujours, mais cela ne change rien laffaire car il ne saurait tre question, pour elle, de commettre lindignit et la lchet dpouser Saint-Preux. Elle conclut en prdisant sa propre mort avant peu.Rception[modifier|modifier le code]Avec au moins 70 ditions avant1800,La Nouvelle Hlosea peut-tre t louvrage raliser les meilleures ventes auxviiiesicle2. La demande tait telle que, ne pouvant imprimer suffisamment dexemplaires du roman, les diteurs se mirent le louer la journe et mme lheure. En dpit du clair aveu de paternit de Rousseau dans sa prface,jai travaill moi-mme ce livre, et je ne men cache pas, une bonne partie du lectorat choisit dignorer cette ralit pour sidentifier aux personnages et crire des lettres enflammes Rousseau lui demandant de leurs nouvelles.La Nouvelle Hlosea t mise lIndexen 18063.LeVoyage du Commodore Ansoncomme ressort de lintrigue[modifier|modifier le code]

.LeVoyage du Commodore Anson, qui avait connu un grand retentissement une douzaine dannes auparavant, fut utilis par Rousseau pour amplifier son intrigue en lui donnant une dimension plantaire, introduire un voyage bien plus pique que le classique tour enItalie(voire enGrce) quaccompliront les hros romantiques, illustrer enfin le mythe naissant du bon sauvage. La relation officielle du voyage dAnson, rdige par son chapelain qui avait collationn les journaux de bord des officiers, avait t publie en 1748 et avait connu un grand succs tant dans les milieux maritimes que littraires, et des traductions en franais et en allemand avaient accru sa diffusion.Pour sparer Saint-Preux de Julie, marie M. de Wolmar, un homme bon et digne, Milord Edouard Bornston a pens faire engager le jeune homme dans ltat-major de son ami George Anson: laguerre de l'oreille de Jenkinsest dclare entre lAngleterreet lEspagne, et le capitaine Anson vient dtre nommCommodore, chef dune escadre charge daller harceler les Espagnols dans lePacifique. Dailleurs Saint-Preux a de srieuses connaissances engnie militaire, il pourra les accroitre en examinant les forteresses trangres, et se rendre utile en cas de sige dune ville espagnole:Lima(et mmeManille) faisaient partie des objectifs ( vrai dire utopiques) de lexpdition.Il est question, lui crit Milord Edouard, dune entreprise grande, belle, et telle que bien des ges nen voient pas de semblableSaint-Preux accepte, rejoint Portsmouth, et dcrit les prparatifs de lembarquement Jean-Jacques Rousseau, qui en fait de ports na vu avant 1761 (date de parution deJulie ou la nouvelle Hlose) queGenve,LausanneetVenisesait emporter le lecteur:Jentends le signal et les cris des matelots, je vois frachir le vent et dployer les voiles. Il faut monter bord, il faut partir. Mer vaste, mer immense, qui doit peut-tre mengloutir dans ton sein, puiss-je retrouver sur tes flots le calme qui fuit mon cur agit.Partie (trop tard) en septembre 1740, doublant lecap Horn la mauvaise saison, arrivant exsangue aux les Juan-Fernandez, lescadre dAnson croise ensuite sur les ctes du Prou, met sac la petite ville ctire dePata, monte en vain la garde pendant un mois au large dAcapulcoen attendant leGalion de Manille, puis se lance dans la traverse dEst en Ouest du Pacifique. Seul le vaisseau-amiral, leCenturion, arrive Macaoaprs une escale providentielle sur une petitele paradisiaqueet quasi-dserte de larchipel des Mariannes: lledeTinian. En laissant entendre aux autorits quil dsire rentrer directement en Angleterre, Anson obtient du gouverneur de Canton que son navire soit rpar (il faisait eau au point de menacer de couler), et rapprovisionn. Mais quand il reprend la mer, cest pour aller se mettre encore une fois lafft du galion de Manille, au large des ctes des Philippines.Utilisant son crasante puissance de feu, Anson capture le galion lissue dun combat bref, mais meurtrier pour les Espagnols. Il revient Canton avec sa prise, obtient nouveau dtre rapprovisionn, et, sur sonCenturionsurcharg de butin, repart vers lOuest, passe par ledtroit de la Sondeet lecap de Bonne-Esprance, et est accueilli triomphalement en Angleterre en juin 1744.Saint-Preux revient donc Clarens, lui qui ne tenait plus la vie, et alors quil ny eut que 188 rescaps sur les 2000 hommes qui prirent la mer quatre ans plus tt Il dcrit ainsi son voyage Mme dOrbe (IVepartie, lettre 3):Ma cousine, jai pass quatre fois la ligne, jai parcouru les deux hmisphres, jai vu les quatre parties du monde Jai fait le tour entier du globe. Jai beaucoup souffert, jai vu souffrir davantage. Que dinfortuns jai vu mourir!.Jai travers paisiblement, ajoute-t-il, les mers orageuses qui sont sous le cercle arctique: pendant les trois mois pouvantables que durrent le passage du Horn, lescadre dAnson perdit prs des deux-tiers de ses marins

Le dpart de Saint-Preux.Suit le point de vue de Rousseau sur les diffrentes terres touches par son hros, et il rappelle les thmes favoris de lcrivain:Jai vu dabord lAmrique mridionale, ce vaste continent que le manque de fer a soumis aux Europens, et dont ils ont fait un dsert pour sassurer lempire Jai sjourn trois mois dans une ile (il sagit de Juan-Fernandez) dserte et dlicieuse, douce et touchante image de lantique beaut de la nature, et qui semble confine au bout du monde pour y servir dasile linnocence et lamour perscuts; mais lavide Europen suit son humeur farouche en empchant lindien paisible dy habiter, et se rend justice en ne lhabitant pas lui-mme Jai surgi dans une seconde le dserte (Tinian), plus inconnue, plus charmante encore que la premire, o le plus cruel accident (alors que Anson et la majeure partie de lquipage se reposent terre, le Centurion rompt son cble dancre et est emport au large) faillit nous confiner pour jamais. Je fus le seul peut-tre quun exil si doux npouvanta pointJean-Jacques Rousseau.Rousseau, par la plume de Saint-Preux exprime aussi son horreur de la guerre:Jai vu lincendie affreux dune ville (la bourgade ctire de Pata, au Nord du Prou) entire sans rsistance et sans dfenseurs. Tel est le droit de la guerre parmi les peuples savants, humains et polis de lEurope: on ne se borne pas faire son ennemi tout le mal dont on peut tirer profit, mais on compte pour un profit tout le mal quon peut lui faire en pure perte Jai vu dans le vaste Ocan, o il devrat tre si doux des hommes den rencontrer dautres, deux grands vaisseaux se chercher, se trouver, sattaquer, se battre avec fureur, comme si cet espace immense et t trop petit pour chacun deux. Je les ai vus vomir lun contre lautre le fer et les flammes. Dans un combat assez court, jai vu limage de lenfer; jai entendu les cris de joie des vainqueurs couvrir les plaintes des blesss et les gmissements des mourants. Jai reu en rougissant ma part dun immense butin.Jean-Jacques Rousseau.Saint-Preux relve aussi en quelques phrases les particularits des peuples quil a ctoys, tant europens quasiatiques. Ainsi, pour les Britanniques (mais Rousseau navait pas encore travers laManche):Jai vu dans mes compagnons de voyage un peuple intrpide et fier, dont lexemple et la libert rtabliraient mes yeux lhonneur de mon espce, pour lequel la douleur et la mort ne sont rien, et qui ne craint au monde que la faim et lennui.Mais Saint-Preux, mri par ses aventures,noir comme un More, marqu de petite vrole4, lavariolequil a dailleurs contracte avant son dpart au contact de Julie malade, est encore plus sduisant, et la fatalit guette.La nature sera sa consolatrice. Mais quand Saint-Preux crit Milord Edouard5:La campagne, la retraite, le repos, la saison, la vaste plaine deau (le lac Lman) qui soffre mes yeux, le sauvage aspect des montagnes, tout me rappelle ici ma dlicieuse le de Tinian,Rousseau se doute-t-il en 1760 que cinq ou six ans plus tard, auteur dun admirable roman sensible pour les uns et responsable honni de brlots anti-sociaux pour les autres il sera heureux de se rfugier sur la petitele Saint-Pierre, au milieu dulac de Bienne?