Karl Rahner - Théologie et spiritualité de la pastorale paroissiale. Nouv. Rev. Théol. 1979

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  • Thologie et spiritualitde la pastorale paroissiale

    Le sujet que j'ai traiter : thologie et spiritualit de la pasto-rale , a t fix par les organisateurs de cette session. Il doit servird'introduction l'ensemble de la session. La tche est difficile :je m'y mets avec crainte et tremblement. Il ne s'agira vraimentque d'une ouverture, qui s'en tiendra aux gnralits et aux prin-cipes. Ce qui importe, le concret, le pratique, d'autres devront ledire. La prsente introduction pourra seulement rappeler chacunce qu'il sait ou devrait savoir.

    En outre, ces gnralits seront exposes par quelqu'un qui nepeut se flatter d'tre un cur, si convaincu soit-il que l'essence del'Eglise se vrifie principalement au niveau de la paroisse et d'autresformes de vie ecclsiale. La rflexion du thologien sur la foi etla prdication de l'Eglise n'a qu'une fonction seconde, quoiqueindispensable, face cette prdication et aux prdicateurs.

    Sans rien enlever l'importance de la thorie, la pratique n'estpas simplement la mise en application de la thorie ; au contraire,la thorie, en ce qu'elle a d'ultime, de plnier et de dcisif, dcouled'une pratique qui ne se laisse jamais entirement rattraper parla rflexion. Quand on y songe, on comprend mieux que le thori-cien ne saurait faire face aux praticiens dans un esprit de suprioritet de suffisance. C'est en toute modestie qu'il leur propose lesressources de sa thorie, avec l'espoir qu'ils y trouvent de quoinourrir leur pratique.

    J'ai donc traiter deux questions : la thologie de la pastoraleet la spiritualit de la pastorale. Pour ce qui est de la thologiede la pastorale (paroissiale), elle comporte au moins deux accep-tions que je me propose d'analyser l'une et l'autre. La thologiede la pastorale vise d'abord la signification thologique de la pasto-rale et du service pastoral propre la paroisse, ainsi que la qualitchrtienne de l'action des^pasteurs, tant entendu que les pasteurssont autre chose que des fonctionnaires et des managers. Thologiede la pastorale, cela consiste aussi se demander si le pasteur doittre un thologien pour bien remplir sa mission, comment il peutle demeurer, pourquoi et comment il doit y avoir place, dans saV1P dp nastplir nmir un fraxrail t\\c^r\\e\nrfne> rrmiro

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    et approfondi, pour un contact maintenu avec la science thologi-que. Quant la spiritualit de la pastorale, on verra plus loin cequ'on peut entendre l-dessous.

    I. THEOLOGIE DE LA PASTORALE

    II existe, de fait, une thologie de la pastorale dans le premierdes sens du mot. La paroisse, et donc aussi le cur qui la dirige,ne dsignent pas simplement des ralits de la socit civile. Il y al un contenu religieux, doctrinal, spirituel, que seule la foi chr-tienne permet de livrer et de saisir.

    1. La paroisse, ralit de f o iL'Eglise, dans sa ralit une et globale, est de l'ordre de la foi ;

    elle n'est pas une organisation sociale profane qui aurait la parti-cularit de servir une fin surnaturelle accessible la seule foi. Or,cette Eglise, ralit de foi, s'inscrit incontestablement dans l'espace.S'il en va bien ainsi, il sera vrai de soutenir qu' l'intrieur d'unetelle Eglise la paroisse participe au caractre territorial de la ralitde foi qu'est l'Eglise. Dans la conception catholique de la foi,l'Eglise, dans son ensemble, est bien une Eglise une, mais sur lemode piscopal, c'est--dire qu'elle s'inscrit dans l'espace.

    La constitution territoriale de l'Eglise est videmment d'abordune donne empirique et profane. Mais cette donne est elle-mmeintgre dans le mystre de l'Eglise, union des hommes dans leSaint-Esprit et dans la confession de Jsus-Christ comme Fils deDieu, crucifi et ressuscit, intervention salutaire, et sans retour,de Dieu dans l'paisseur de l'histoire. Or le mystre de l'Eglise,sacrement du salut du monde, s'accomplit dans le temps et l'es-pace ; il est de structure territoriale. L'Eglise ne s'identifie paspurement et simplement la prsence de l'Esprit de Dieu, gale-ment rpandu sur toute chair pour tre la dynamique la plus intimedes hommes et de leur histoire. L'essence de l'Eglise consiste bienplutt en ce que cette prsence de l'Esprit, cache sans qu'on puissela nier pour autant, se manifeste sur le mode historique, sacramentel,social, incarn. C'est prcisment cette mdiation de l'incarnationet du sacrement qui, sans confusion ni sparation, permet de tou-cher une fois pour toutes, dans l'histoire, la prsence de l'Espritde Dieu dans le monde.

    2. Le caractre territorial de l'Eglise

    Ainsi donc, l'Eglise, sacrement du salut du monde, a un carac-tre incontestablement territorial. Ou, en voyant les choses d'en bas,

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    le caractre territorial de l'Eglise en sa ralit sociale participe saqualit de mystre, un peu comme l'eau du baptme est bien del'eau, mais une eau qui, au baptme, devient le signe effectif etefficace de la grce accorde l'homme.

    Les choses seront encore plus claires en voquant l'Eucharistie.Elle est le lieu le plus actuel et le plus radical o l'Eglise s'accom-plit sacramentellement comme communion de grce des hommesen Dieu. L'Eglise se ralise dans l'Eucharistie. Elle se ralise enun endroit, dans une communaut locale qui est normalement et deprfrence, mme si ce n'est pas absolument ncessaire, la commu-naut paroissiale. On comprend alors que dans le Nouveau Testa-ment, et surtout chez saint Paul, l'Eglise apparaisse d'abord commeEglise locale, osons le dire : comme Eglise paroissiale, dans lamesure o il n'y avait pas encore, l'poque, de diffrence entrecommunaut piscopale et communaut paroissiale. Il peut sansdoute exister des communauts eucharistiques qui ne sont pas desparoisses au sens canonique actuel, des paroisses personnelles quin'ont pas premire vue de caractre territorial, des communautsde base qui ne relvent pas directement de l'initiative et de l'autoritd'une paroisse, des communauts monastiques, etc.

    Maintenant, de quelque faon qu'on clbre l'Eucharistie, il fautse runir en un lieu. Et toute clbration lgitime de l'Eucharistieen quelque lieu suppose une relation un vque local, ou toutle moins un rapport, explicite ou non, au Pape, lequel a son sige Rome et non pas n'importe o. Nulle part, on le voit, et jusquedans sa plus haute actualisation, le caractre territorial de l'Eglisene saurait tre gomm. Et l o il se ralise de la faon la plussimple et la plus normale, c'est dans la communaut paroissiale,c'est--dire dans la communaut fonde sur une donne premire,et qui ne se laisse jamais totalement vacuer, le vivre ensemble,la proximit topographique. Il est certes possible aux hommes deformer des communauts et des socits sur d'autres bases, maiscette donne de dpart fait partie intgrante de l'existence humaineet se trouve assume dans l'Eucharistie ( la faon dont la matireest incorpore l'acte sacramentel du fait de son unit avec lagrce sacramentelle). C'est ainsi que la communaut paroissialeparticipe la structure territoriale essentielle l'Eglise, car lie sa nature sociale, historique, incarne.

    3. Ralit spirituelle et objet d'exprienceLa paroisse n'est pas qu'une division administrative d'une socit

    religieuse la manire d'un district de police l'intrieur d'un Etat.Elle est une ralit spirituelle o l'homme peut et doit faire l'ex-prience aue son tre tout entier, dans sa dimension soatiale et

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    cosmique aussi bien que temporelle, est sanctifi, pntr de lagrce ainsi rendue visible du Dieu de saintet.

    L'affirmation thologique de la puissance spirituelle du vivre en-semble ne s'nonce pas simplement l'indicatif. Elle dsigne unimpratif. De mme que, pour baptiser, on est tenu de fournir del'eau, l'Eglise doit avoir le souci de relations de voisinage si elleveut clbrer l'Eucharistie et devenir ainsi pleinement, dans l'his-toire et dans la socit, sacrement du salut du monde.

    Par voisinage, je n'entends pas seulement un fait physique etgographique, mais le phnomne proprement humain d'une com-munion entre voisins dans la justice et l'amour, si bien que cetteralit humaine sera prise dans la clbration eucharistique. C'est cette ralit authentiquement humaine que s'applique la tchequi dcoule de notre thse thologique sur la qualit spirituelle dela paroisse territoriale. Cette tche, on s'y adonnera notamment travers les autres fonctions qui dfinissent une paroisse, sansvouloir dire par l que ces fonctions ne seraient que des moyenspour former une communaut territoriale qui sera le substrat humainde la communaut eucharistique. Ce qui est vrai, c'est que toutesles autres fonctions d'une paroisse en tant que telle (ducationreligieuse des enfants, formation religieuse des adultes, activitsdiaconales et caritatives, etc.) contribuent dvelopper les relationsde voisinage au sens pleinement humain du mot, et mme formerune communaut rellement spirituelle. Nouvelle raison de les esti-mer et de les cultiver.

    4. Promouvoir la communaut humaine dans le profaneII s'agit par consquent, dans toute la mesure du possible, de

    tisser des relations de voisinage, ce qui conduit dborder le champcirconscrit par les tches et les fonctions spcifiquement pastorales.L'engagement de la paroisse et du cur peut et doit s'tendre laralit profane du voisinage.

    Quand une paroisse et un cur font leur possible pour trans-former un regroupement de hasard en une communaut d'hommesqui vivent fraternellement ensemble, dj au plan profane, qui seconnaissent, qui font cause commune, dans la confiance et l'entraide,ils contribuent par le fait mme crer les conditions pour que seconstitue, autour de l'Eucharistie, une vritable communaut spiri-tuelle dans la commune louange de Dieu, la commune confessionde l'attente du Seigneur qui vient, dans l'unit de l'Esprit Saint.La messe ne sera pas alors le rassemblement d'individus isols quichercheraient, comme dans un magasin, satisfaire leurs besoinsprivs. Il arrive encore que des curs de campagne rencontrentleurs paysans au bistrot, aprs la messe : pourquoi ne pas voir

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    dans cette coutume, l o elle a gard son sens, une consquencede l'obligation spirituelle qui se relie notre position thologique ?

    En cherchant, comme nous l'avons fait jusqu'ici, valuer laqualit thologique de la communaut chrtienne locale, de la pa-roisse territoriale, sur la base de la clbration eucharistique, nousne prconisons nullement de rduire la thologie de la paroisse aucultuel ; nous voulions seulement montrer le plus simplement pos-sible que la communaut territoriale a une qualit thologique.Puisque les autres fonctions de la paroisse, loin d'tre seulementdes moyens au service de l'assemble eucharistique, ont une signifi-cation thologique originale, et que, d'autre part, il leur faut plusou moins ncessairement une base locale, il s'attache par l mme la paroisse un caractre thologique et spirituel. Elle n'est passimplement une ralit profane inluctable ; elle se trouve intgre,en sa condition territoriale, dans le mystre de l'Eglise.

    II. LA PLACE DE LA THEOLOGIE DANS LA PASTORALE PAROISSIALE

    La thologie de la pastorale, nous l'avons annonc au dbut,peut encore prendre un autre sens. Dans ce deuxime sens, l'ex-pression signifie tout simplement que la thologie a sa place etson sens dans la pastorale et qu'elle doit les garder. Ce que visela pastorale paroissiale, c'est d'abord de raliser, par la parole et lesacrement, un tre chrtien communautaire. Et d'aider chacun mener personnellement une existence chrtienne. Car le chrtienne saurait exister chrtiennement hors de l'Eglise et donc horsd'une communaut. Sans qu'il perde pour autant son individualitdans quelque collectivisme profane ou religieux.

    1. Primat de la pratique pastorale sur la rflexion thologiqueDans cette mission de ralisation chrtienne par la parole et le

    sacrement, dans la communaut aussi bien que dans l'existenceindividuelle, il y a donc autre chose et plus que dans la thologie.La thologie, mme si elle nat d'une pratique chrtienne et y faitretour, n'est jamais que la rflexion thorique et scientifique surun donn qui la prcde. Le pasteur n'est donc pas proprementparler un thologien professionnel et n'a pas l'tre, si l'on dsignepar l un travail rflexif d'ordre scientifique.

    Quand on saisit correctement le rapport juste entre la thorieet la pratique, quand on tient compte, par exemple, du rapportjuste qui existe, y compris dans le catholicisme, entre vque etthologien, on ne saurait se reprsenter le rapport entre pasteuret thologien sur le modle du dtaillant et du producteur, comme

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    si le pasteur distribuait simplement au consommateur les articlesproduits dans la grosse entreprise de la thologie.

    Il y a un primat de la prdication sur la thologie scientifiquedes professionnels, qu'elle ne se contente pas purement et simple-ment de monnayer et de diffuser. Faire de la thologie, c'est r-flchir sur un objet qui est fourni par l'Eglise dans sa prdicationet dans sa liturgie.

    2. La rflexion, lment constitutif de la pratique

    Si vrai que tout cela puisse tre, si important par les consquen-ces qui en dcoulent pour la pastorale et que je ne puis envisagerici dans le dtail, il n'en reste pas moins vrai que la thologie ausens propre, la thologie scientifique, a sa place et sa significationen pastorale. Et d'abord il n'est pas de pratique, pas d'acte de lapersonne, de la socit et de l'Eglise qui aille sans quelque r-flexion. Ce moment constitutif de toute pratique, on ne saurait l'enliminer sans dtruire la pratique elle-mme. La pratique et lathorie ne sont pas identiques, mais elles ne se juxtaposent pasnon plus comme deux domaines spars et parfaitement indpen-dants l'un de l'autre. Ne serait-ce qu'en raison de ce rapport trsoriginal entre thorie et pratique, la rflexion qui s'attache plusprcisment cela s'appelle la thologie au moment de rflexionqui fait partie intgrante de toute pratique ne peut rester indiff-rente la pratique.

    3. Un rapport positif la thologie pour l'amour des hommes

    Le pasteur doit avoir un rapport positif la thologie propre-ment dite car, y regarder de prs, celle-ci n'est pas absente desa prdication. Et puis, mme si l'exprience de la prdication ren-ferme plus que ce que la thologie scientifique, dans son approchehistorique, systmatique et rflexive, saura jamais en apprhenderet en objectiver, la thologie n'en aide pas moins le pasteur saisirplus nettement et exprimer plus purement ce qu'il prche.

    S'y ajoutent les exigences poses la thologie scientifique parla situation faite de nos jours la prdication. Le pasteur n'estpas un ritualiste, un prestidigitateur ou un magicien du verbe quipourrait, sans autre souci, tabler sur l'efficacit automatique de for-mules traditionnelles et de rites sacrs. Il doit s'appliquer susciterchez le bnficiaire de son labeur pastoral les conditions existen-tielles requises pour une rception authentiquement humaine et chr-tienne des ralits de salut offertes aux hommes par le ministrede la parole et du sacrement. Or son public n'est pas uniquementcompos de gens simples qui, ports par un milieu chrtien homo-

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    gne, font globalement confiance l'autorit du spcialiste con-sacr sans discuter ce qu'il dit. Son public comporte des hommescultivs qui vivent au milieu des tensions et des contradictionsd'un monde scularis et qui ne tiennent pas de leur cur, toutuniment, leur conception du monde. Il compte aussi des chrtiensen recherche ou qui sont en crise de la foi.

    Comment un cur pourrait-il annoncer l'Evangile et le messagede l'Eglise de tels hommes avec quelque chance de succs s'ilne garde pas le contact avec la thologie contemporaine qui essaied'accueillir les requtes critiques de notre temps l'adresse duchristianisme et d'y faire face ? Comment un cur pourrait-il hon-ntement remplir sa mission d'interprte de l'Ecriture Sainte s'iln'est pas plus ou moins en tat d'appliquer les mthodes de l'ex-gse actuelle et de prendre acte des rsultats de la science bibliquecontemporaine ? Comment, dfaut de connaissances approfondiesdans cette science, les homlies du cur seraient-elles autre choseque l'expos de ses pieuses opinions subjectives qu'il tale l'occa-sion d'un texte biblique ? Comment, devant des fidles cultivs ounon, un cur pourrait-il faire la distinction entre ce qu'il y a derellement obligatoire dans le contenu de la foi et les interprta-tions, traditionnelles peut-tre, mais contingentes, de la mme foi,pour ne pas imposer l'homme d'aujourd'hui, au nom de la foi,un fardeau qu'il n'a pas porter et qu'il est peut-tre incapablede porter, comment le faire si l'on ne s'intresse pas dans une cer-taine mesure la thologie contemporaine, soucieuse de telles dis-tinctions ? Comment enfin, sans contact activement maintenu avecle travail thologique de notre temps, le cur saura-t-il, dans saprdication, par-del les formulations traditionnelles du catchisme,entretenir, enrichir et modifier le langage, l'horizon intellectuel etles voies d'accs adapts notre poque ?

    4. Revues, publications, contact avec des thologiens

    Pris entre son travail et ses possibilits intellectuelles et spiri-tuelles qui ne sont pas illimites, le cur moyen ne peut videm-ment tablir et maintenir qu'un contact limit avec la thologiemoderne. Il n'est que trop vrai : la thologie scientifique ne seproccupe pas assez de livrer ses questions et ses rsultats de faonque le pasteur puisse en tirer profit. Cela ne change rien au faitque le pasteur doit lui aussi faire de la thologie et rester en contactavec la thologie actuelle.

    Il devrait s'intresser aux nouveauts thologiques, en faire uneslection judicieuse, s'appuyant sur des avis autoriss, et se rserversans relche du temps pour la lecture, sous peine d'en rester ceonil a anriric antrofnic ot ro f-ravaill^r ^orrn>}}^me*-nl' 'SVOF uno

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    thologie dsute, ou de retomber, dans sa prdication, au niveauthologique et spirituel d'une foi d'enfant, de la foi nave qui taitla sienne avant des tudes thologiques bientt mises au rebut,aprs l'ordination, car inutilisables.

    Au nom de sa mission, le pasteur doit rellement mettre profitles possibilits de formation permanente qui lui sont offertes l'heure actuelle par des cours, sessions de recyclage, etc. Les con-frences de doyenn et les autres runions devraient tre plus quede sympathiques rencontres entre collgues ou des conseils d'ad-ministrateurs de la pastorale. Elles devraient prvoir un temps detravail thologique et de formation continue. Il faudrait galementavoir le courage, l o c'est possible, de prparer ensemble unsermon par une tude de thologie biblique sur un texte.

    Les revues thologiques ne seraient pas constamment menacesde disparatre par manque d'amateurs si le clerg les achetait etles lisait. Bref, la thologie de la pastorale annonce par mon titreimplique que la thologie est et doit rester une composante indis-pensable de la pastorale.

    III. SPIRITUALITE DE LA PASTORALE PAROISSIALE

    Nous en arrivons dans notre expos la partie consacre laspiritualit de la pastorale paroissiale. Etant donn l'ampleur et ladifficult de ce second thme, il va de soi qu'on devra s'arrter un petit nombre de remarques choisies un peu arbitrairement.D'autant que la spiritualit du ministre paroissial contient natu-rellement tout ce qui tait partie de la spiritualit chrtienne engnral : il est hors de question de la prsenter ici dans toute sonampleur et toute sa profondeur.

    1. Paroisse et communaut de base

    Une rflexion prliminaire d'ordre gnral permettra de mieuxdiscerner les thmes particuliers qui peuvent faire partie de l'en-semble intitul spiritualit de la pastorale paroissiale. On pourraitl'noncer sous forme de thse : la spiritualit du ministre en tantque tel doit tre la spiritualit d'une communaut de base et de sonquipe animatrice.

    Partons des communauts de base. Il en existe de tout style.Je ne puis songer en faire ici un portrait ou une classification.Elles ont leur raison d'tre. Elles se distinguent des paroisses ausens pastoral et canonique qu'on reconnat aujourd'hui ce terme.Il n'y a pas lieu d'en exposer maintenant la signification, la justifi-cation et les limites.

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    Nous partons galement, sans la discuter, de la conviction que,face aux communauts de base les plus varies, les paroisses gar-dent un sens irremplaable et qu'elles le garderont dans un procheavenir. Elles ne sont pas simplement des vestiges d'poques pasto-rales rvolues ou des circonscriptions administratives de grandesEglises piscopales. Elles sont, en un endroit donn, elles demeu-rent ou elles doivent devenir de vritables communauts chrtiennestelles que nous en avons trac plus haut l'esquisse thologique.

    Tout cela bien considr, il reste vrai que communauts de baseet paroisses, de par leur nature toutes deux, ne se trouvent passimplement juxtaposes ; elles se compntrent et se conditionnenten quelque sorte les unes les autres. En d'autres termes, si la pa-roisse est plus et doit tre plus que la division administrative dequelque Eglise piscopale, si elle est vraiment, ou si elle doit devenirune communaut chrtienne dans toutes les dimensions de l'exis-tence chrtienne et dans son rassemblement autour de l'Eucha-ristie et ce sur la base d'une proximit la fois locale et authenti-quement humaine alors la paroisse comprend en elle-mme,comme son cur et son noyau le plus dense, ce qu'on pourrait bienappeler une communaut de base.

    Ce n'est pas sans raison qu'on applique galement la paroissel'expression de noyau communautaire. Une paroisse, aujourd'hui,ne peut qu'avoir des portes ouvertes ; elle n'a pas le droit de ngligerles chrtiens en recherche, ces hommes qui entretiennent avec lechristianisme et l'Eglise une relation partielle et conditionnelle ;elle ne doit pas devenir le ghetto d'une poigne de pieux fidlesd'un milieu social bien limit et dtermin, sectaires et petits bour-geois, l'abri des vents de la culture, de la socit et de la politi-que. D'un autre ct, une paroisse relle et vivante ne peut pass'adosser, de nos jours, la seule puissance et aux services de lagrande Eglise piscopale : elle tient tout autant par en bas, par labase, grce la foi de chrtiens convaincus, grce leur sens, spiri-tuel plus que folklorique, de l'Eglise et leur engagement dans lacommunaut. Elle constitue ainsi elle-mme et forme en son seinquelque chose comme une communaut de base. Dans ces condi-tions, la thse nonce tout l'heure devient facile comprendre :la spiritualit d'une paroisse, de sa pastorale et de ses pasteurs,est actuellement, entendez-le au sens large et non pas exclusif, laspiritualit d'une communaut de base.

    Nous n'avons pos ainsi que le cadre fort lche et incomplet opeut s'articuler le problme de la spiritualit d'une paroisse, de lapastorale paroissiale et des pasteurs. D'autant que par pastoraleparoissiale et pasteurs, je ne vise pas la fonction du seul cur, mais

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    de tous ceux qui, ensemble, se consacrent professionnellement et plein temps ce ministre. Quoi qu'il en soit et sous rserve d'uncertain arbitraire dans le choix, nous pouvons nous demander prsent quels traits caractriseront la spiritualit de la pastoraleparoissiale et des pasteurs, si elle doit bien tre la spiritualit d'unecommunaut de base, d'un noyau communautaire et de ses ani-mateurs.

    Pour rpondre, trs partiellement bien sr, cette question, nousavancerons deux mots-cls qui se trouvent en rapport d'unit dia-lectique : la solitude de la foi, et la communaut fraternelle de foi.Voil nommes, avec toutes les rserves mentionnes, les caractris-tiques de la spiritualit du ministre l'heure actuelle. Que faut-ilentendre par l ?

    2. L'preuve de la foiJe parlerai d'abord de la solitude de la foi chez ceux qui ont

    animer la pastorale en paroisse. En soi, la vertu de foi relevaitdepuis toujours de la responsabilit personnelle, de la dcision etde la libert de chacun. La dcision de foi, c'est prcisment cedont on pouvait, moins encore que de tout le reste dans la vie,se dcharger sur d'autres gens, sur d'autres instances ou d'autresraisons antrieures une telle dcision. Cependant la foi du parti-culier tait jadis porte par un milieu chrtien homogne englobantla socit profane et civile ; il suffisait de croire ce que croyait peuprs tout le monde, du moins au niveau public et du langage cou-rant : tout se passait, ou presque, comme si l'individu tait d-charg, tout juste en matire religieuse, du fardeau inalinable dela responsabilit, de la dcision de croire envers et contre tout,d'esprer contre toute esprance, d'aimer sans retour. Il n'en vaplus de mme. Aujourd'hui, la foi chrtienne demande tre vcue,toujours neuf, dans un monde scularis, sur fond d'athisme,dans un contexte de rationalit technique pour qui toute proposi-tion injustifiable devant le tribunal de cette rationalit est, d'em-ble, dnue de sens ou appartient, pour parler avec Wittgenstein, une mystique qui n'appelle que le silence.

    La situation prsente requiert et exige, beaucoup plus radicale-ment qu'autrefois, l'engagement personnel de chacun dans sa dci-sion de foi. Ce qu'il faut donc la spiritualit moderne du chrtienen gnral et plus forte raison des responsables de la pastorale,reprsentants officiels du christianisme, c'est le courage de la dci-sion solitaire contre-courant de l'opinion publique, un courageanalogue celui des martyrs des premiers sicles chrtiens, le cou-rage de la dcision de foi, laquelle tire sa force d'elle-mme etn'nttc^ni nns 1(> soutien ri'unf annrnhatinn niihlinup.

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    La solitude de la conscience individuelle du croyant ne tiendraitpas si elle n'avait son ct positif. Elle vit en effet d'une exp-rience toute personnelle de Dieu et de son Esprit. On a dit que lechrtien de l'avenir sera un mystique, ou ne sera pas. La propositionest tout fait exacte si, par mystique, on entend, non pas desphnomnes tranges, parapsychologiques, mais une authentiqueexprience de Dieu au cur de l'existence. Selon l'Ecriture et ladoctrine bien comprise de l'Eglise, la conviction de foi, la dcisionde foi ne dpend au bout du compte ni d'un enseignement doctrinalpropos de l'extrieur et appuy sur quelque organisme civil oureligieux, ni de l'argumentation rationnelle de quelque thologiefondamentale : elle repose sur l'exprience de Dieu, de son Esprit,de sa libert une exprience qui jaillit du plus intime de l'exis-tence humaine et qui s'y donne profondment connatre, mmesi elle chappe la rflexion et une formulation objective. Laprsence de l'Esprit n'est pas quelque chose dont nous aurionsconnaissance du dehors par un enseignement doctrinal : elle estlivre dans une exprience intrieure.

    Le chrtien peut faire l'exprience personnelle de Dieu et de sagrce libratrice dans la prire silencieuse ; dans la dcision priseau plus profond de la conscience, quand personne n'est plus lpour vous applaudir ; dans l'esprance sans borne qui peut se passerde toute assurance particulire et valuable ; dans la dception fon-cire de la vie et l'impuissance devant la mort, admises et acceptes ;dans la nuit des sens et de l'esprit, comme disaient les mystiques.Une seule condition : accepter les expriences que je viens d'indi-quer, ne pas les esquiver sous le poids d'une angoisse finalementcoupable, mme si de telles expriences de Dieu et de sa grce ensa pure transcendance, par-del toute ralit particulire, devaientchapper l'interprtation et l'tiquetage thologique.

    C'est ce niveau d'exprience religieuse, radicale, solitaire, quele chrtien doit vivre aujourd'hui. Il doit la faire, cette exprience,toujours plus nettement, et l'assimiler toujours mieux dans unelibert radicale. C'est alors que l'enseignement thologique puis l'Ecriture et la doctrine de l'Eglise acquiert sa pleine crdibilitet son impact existentiel.

    Cette solitude dans la libert, avec son versant ngatif de l'in-dpendance par rapport l'opinion publique moyenne et son ver-sant positif d'une disponibilit l'exprience de Dieu et de sonSaint-Esprit, caractrise singulirement la spiritualit de ceux quireprsentent ce christianisme-l en paroisse.

    Le cur et ses collaborateurs ne sauraient tre des fonctionnairesou des managers qui reprsenteraient une grandeur sociale, nommeEglise, nantie de son idologie spcifique, et qui la dfendraient

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    face d'autres en lui faisant de la publicit. Ils doivent tre deshommes qui ont tait l'exprience personnelle et bien vivante del'Esprit. Ils n'ont pas besoin, la vrit, d'en parler quoiquesaint Paul, finalement, l'ait fait lui aussi. Ce qu'il faut en toutehypothse, c'est que leur annonce du message objectif de l'Evangileet de l'Eglise soit garantie et illumine par leur exprience del'Esprit. Pour le dire en toute simplicit, les curs doivent tre deshommes spirituels. C'est vident, c'est vite dit, et c'est pourtant cequi leur est demand de plus difficile. Quand un cur y parvient,tout le reste devient facile faire. A l'heure o l'insuccs apparentde son action et ses dceptions de pasteur le rejettent dans la soli-tude et l'abandon, l'exprience de l'Esprit sera en dfinitive pourlui l'preuve mystique de la nuit dserte et nue o il rencontre dansle silence le mystre de Dieu qui l'accueille. Un mystre qui vousenveloppe, qui vous offre une ultime consolation, si amre soit-elle,et la libert suprme, supposer que vous ayez toujours mieuxappris vous exposer, dans l'isolement et l'abandon total, lamystrieuse exprience de Dieu. La solitude, au sens que je viensd'voquer gros traits, voil une premire caractristique de laspiritualit d'une pastorale au prsent.

    3. Communaut fraternelle et exprience de l'EspritEn unit dialectique avec cette premire caractristique, il en est

    une seconde : la communaut fraternelle o peut se vivre la mmeexprience essentielle de l'Esprit. J'ai l en vue un phnomnequ'on commence percevoir de plus en plus nettement ces der-niers temps et dont nous autres, les anciens, nous ne pouvons parlerqu'avec hsitation et prudence en attendant la suite. Il me sembleque nous, les anciens, nous n'avons pas fait l'exprience, jadis,de ce que dsigne ce phnomne, ou alors tout au plus doseinfinitsimale. Par toute notre origine et notre formation, noustions spirituellement des individualistes, mme si nous avons remplide bon cur l'obligation objective, et toute naturelle, de la liturgiecommune.

    Il n'est que de jeter un coup d'il sur le pass de l'Eglise et desa vie. On saisit aussitt que l'exprience de l'Esprit, que la mysti-que se comprenait et se vivait tout naturellement comme uneralit purement individuelle qui ne regardait personne d'autre. Odonc pensait-on une commune exprience de l'Esprit, o en avait-on le dsir et la ralit ? C'est pourtant l l'vnement de la pre-mire Pentecte qui ne devait srement pas tre la rencontre dehasard d'un groupe de mystiques individualistes, mais bien l'exp-rience de l'Esprit par une communaut en tant que telle. Evidem-ment, une exprience de ce genre ne peut ni ne veut dcharger et

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    dispenser le chrtien de la solitude qui s'attache la dcision radi-cale de foi, tant entendu qu'individualit et communaut ne sontpas des termes qui feraient nombre ou qui pourraient se substituerl'un l'autre.

    On ne veut pas dire pour autant qu'une exprience de l'Espritest impensable a priori dans une petite communaut en tant quetelle, mme si nous, les ans du clerg, nous l'avons peu faite, oupas du tout, mme si nous avons encore moins cherch pratiquerquelque chose comme cela. Pourquoi n'existerait-il pas quelquechose de ce genre ? Pourquoi exclure que parmi les chrtiens etdans le clerg, des jeunes puissent trouver plus facilement accs une commune exprience de l'Esprit ? Pourquoi cela ne serait-ilpas, aujourd'hui et demain, plus ralisable et plus ncessaire qu'hier ?Pourquoi n'arriverait-il pas entre chrtiens que des ralits commela consultation rciproque, la communication sur le mode spcifi-quement humain et pas seulement technique, les processus de dyna-mique de groupe soient saisis, levs et sanctifis par une communeexprience de l'Esprit de Dieu et constituent alors une communautvritablement fraternelle dans l'Esprit Saint ?

    Ce qui est dcisif, ce n'est quand mme pas que cela s'accompagnede circonstances extravagantes, d'allure quasiment parapsychologi-que, telles que nous en connaissons peut-tre dans des cerclesamricains enthousiastes du mouvement pentectiste. On n'a pasbesoin de parler en langues ; il n'est pas ncessaire de rechercherdes gurisons par imposition des mains. Mais si l'on n'est pas, oupeu, port sur de telles choses, il n'est pas encore dit qu'il ne puissepas du tout exister quelque chose comme une exprience commu-nautaire de l'Esprit. Pourquoi ne pourrait-il y avoir au niveau com-munautaire un discernement authentiquement spirituel des esprits ?

    Pourquoi la prire au Saint-Esprit, au dbut d'une sance deconseil paroissial ou d'une quipe pastorale, n'est-elle en fait etdans la pratique qu'un pieux rite d'ouverture, aprs quoi les chosesse poursuivent en discussions purement rationnelles comme dansn'importe quelle runion profane, dans le style de n'importe quelconseil de gestion ? Tout cela, nous les ans, nous ne pouvons quele suggrer comme question, trs modestement, en nous critiquantnous-mmes. Mais le jeune clerg, mon avis, devrait pressentir cet gard dans l'Eglise et dans le ministre des possibilits quisont loin d'tre puises. Et il devrait tendre, avec prudence etcourage tout ensemble, les exprimenter et les raliser.

    Une quipe pastorale ne pourrait-elle pas devenir peu peu unequipe spirituelle, une communaut fraternellement spirituelle vivantd'une mme spiritualit au sens prcis du mot, ou tchant patiem-ment et courageusement d'y arriver ? Te ne me risauerai oas

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    proposer des recettes pour prciser comment cela pourrait se passer.Il n'en existe pas moins, je pense, des pierres d'attente et des voiesd'accs une spiritualit de type communautaire. Mme s'il fautcommencer, patiemment, par les dceler et les tester. Mme s'ilreste tenter la transposition critique de phnomnes qui relventde la dynamique de groupe et leur intgration dans un cadre propre-ment spirituel. Mme s'il est vrai, enfin, que la prire communeet la commune lecture de l'Ecriture, en tant que rite extrieur etqu'tude exgtique de groupe, ne font pas encore un processusspirituel. Emettons seulement en toute modestie l'hypothse qu'l'avenir un avenir qui a dj commenc une quipe pastoraledeviendra obligatoirement une communaut spirituelle dote d'unespiritualit communautaire, si elle veut tre vraiment la hauteurde sa tche dans la pastorale.

    D-8 Mnchen 22 Karl RAHNER, S.J.Kaulbachstrasse 31 a