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Kawa V et le ByAwt de Taharqa : quelques aspects de l’idéologie royale nubienne. Par Roberto B. Gozzoli Une traduction et un commentaire de Kawa V, la stèle de l’inondation de l’an 6 de Taharqa. Une identification des 4 présages (augures) dans la partie centrale du texte est fournie, et la pertinence idéologique de la mère royale et de la sœur royale dans le concept nubien de la royauté sont également étudiées. Paru dans The Journal of Egyptian Archaeology 95 (2009), 235-48. Publié par THE EGYPT EXPLORATION SOCIETY Londres

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Kawa V et le ByAwt de Taharqa : quelques aspects de l’idéologie royale nubienne.

Par Roberto B. Gozzoli

Une traduction et un commentaire de Kawa V, la stèle de l’inondation de l’an 6 de Taharqa. Une identification des 4 présages (augures) dans la partie centrale du texte est fournie, et la pertinence idéologique de la mère royale et de la sœur royale dans le concept nubien de la royauté sont également étudiées.

Paru dans

The Journal of Egyptian Archaeology 95 (2009), 235-48.

Publié par THE EGYPT EXPLORATION SOCIETY Londres

Introduction

La stèle de l’an 6 de Taharqa, mentionnant les « quatre merveilles », a été trouvée dans l’avant-cour du Temple T à Kawa. L’inscription est la version complète d’un texte également transmis partiellement par d’autres copies provenant de Tanis, Coptos et Matanieh. (Ny Carlsberg Glyphoyek Copenhague, AE.I.N; 1712). L’original, brisé en fragments, est dans le magasin du Musée, une réplique est exposée. Elle a été découverte par l’Oxford Expedition durant la campagne 1930-31 : F. Li; Griffith, « Excavations at Kawa, 1930-1931 », SNR 14 (1931), 88-89 pour la découverte de l’inscription, et M. F. L. Macadam, The Temple of Kawa, II : History and Archaeology of the Site (Londres, 1955), pls. Xlvii-viii. F. LI. Griffith, « A Stela of Tirhaqa, from Kawa, Dongola Province, Sudan », dans Mélanges Maspero, I/1 : Orient Ancien (MIFAO 66/1; Le Caire, 1935), 430-2, puis M.F.L. Macadam, The Temples of Kawa, I : The Inscriptions (Londres, 1949), 22-32 et pls. 9-10 fournissent les premières éditions. Voir également J. Leclant et J. Yoyotte, « Notes d’histoire et de civilisation éthiopiennes : à propos d’un ouvrage récent », BIFAO 52 (1952), 22-4, et A. Rainey, « Taharqa and Syntax », Tel Aviv 3 (1976), 38-41pour une étude grammaticale de la ligne 15. Voir T. Eide, T. Hägg, R.H. Pierce, et L. Török (eds), Fontes Historiae Nubiorum : Textual Sources for the Eighy of the Mid-Fifth century BC (Bergen, 1994), 144-55 (ci-après FHN), et R.K. Ritner, The Libyan Anarchy : Inscriptions from Egypt’s Third Intermediate Period (WAW 21; Atlanta, 2009), 539-45 pour des traductions anglaises et K. Dallibor, Taharqo_Pharao and Kusch (ACHET A6; Berlin, 2005), 58-61 pour une traduction allemande. Pour la copie provenant de Tanis, Le Caire CG 37488, voir J. Leclant et J. Yoyotte, « Nouveaux documents relatifs à l’an VI de Taharqa », Kémi 10 (1949), 28-42; de Matanieh, Le Caire CG 38269, A. Weigall, « Report on Some Objects Recently Found in Seback and Other Diggings », ASAE 8 (1907), 40-1, 44, qui cite par erreur Edfou comme lieu de découverte. Pour Coptos, Le Caire CG 48440, et Matanieh respectivement, voir V. Vikentiev, La haute crue du Nil et l’averse de l’an 6 du roi Taharqa (Recueil de Travaux publiés par la Faculté des Lettres, Université Egyptienne 4; Le Caire, 1930), 1-8. Les deux textes répètent la première moitié du texte donné par Kawa V. Voir Macadam, Temples of Kawa I, 24-26 pour un texte synoptique, et Leclant et Yoyotte, BIFAO 52, 17. Voir maintenant K. Jansen-Winkeln, Inschriften der Spätzeit, III : Die 25. Dynastie (Wiesbaden, 2009), 135-8 (Kawa), 54-5 (Tanis), 61-3 (Coptos), 121-3 (Matanieh). Une discussion plus longue des textes de Taharqa a été donnée dans R.B. Gozzoli, The Writing of History in Ancient Egypt during the First Millenium BC (1070-180 BC) : Trends and Perspectives (GHE 5; Londres 2006), 67-82.

Introduction

Kawa V a une scène double (fig. 1) dans la lunette, sous le disque solaire ailé « Celui de Behedet, le Grand Dieu, Seigneur du Ciel ». Sur la droite : « Amon-Rê, Seigneur des Trônes du Double Pays, xwi-nfrtm Ra, le fils de Rê, de son corps, Taharqa, toute vie donnée comme Rê pour toujours ». Le roi porte la calotte dite koushite, avec le double uraeus sur le front, des rubans, et l’amulette d’Amon à tête de bélier. (Voir E. Russmann, The Representation of the King in the XXVth Dynasty , MRE3; Bruxelles, 1974, 25-6 et 28-33 pour l’amulette et la calotte koushite. Dans L. Török, Thr Royal Crowns of Kush : A study in Middle Nile Valley Regalia and Iconography in the Ist Millenia BC et AD. CMAA 18=BAR IS 338; Oxford, 1987, 4-11, cette coiffe est classifiée comme étant du type A I). Il est suivi par la mère royale, Abalo, secouant le sistre vers son père « puisse-t-elle avoir vie donnée ». La colonne centrale contient le discours du dieu (Pour Abalo et d’autres attestations, voir A. Lohwasser, Die königlichen Frauen in antiken Reich von Kusch : 25. Dynastie bis zur Zeit des Nastasen (Meroitica 19; Wiesbaden, 2001), 34-41 (Q. 25-36), 142). « Paroles prononcées : je t’ai donné la vie, tout pouvoir, toute santé, tout bonheur, comme Rê pour toujours ». La scène a son équivalent reflété sur la gauche, avec le roi offrant le pain et sa mère secouant le sistre en face d’Amon de Germaten.

La lunette de Kawa diffère de celles de Coptos et Matanieh. Celle de Coptos a le roi offrant un champ à une déité, dont le portrait est perdu. Le dieu –probablement Min- est accompagné par une autre déité masculine –probablement Horus- qui est suivi par le portrait complet d’Isis. La lunette de Matanieh montre une scène double avec le pharaon offrant un champ au dieu anthropomorphe Hemen, Seigneur de Hefet. La lunette de l’inscription de Tanis est complètement manquante (Suivant la reconstitution de la version de Tanis donnée par Leclant et Yoyotte, Kémi 10, pl. iii, un très petit fragment avec les épithètes initiales du roi est tout ce qui survit de tout le coté A).

La traduction .(1) Année 6 (a), sous la Majesté de l’Horus qAi-xaw, les Deux Dames qAi-xaw, l’Horus d’Or xw-tAwy, le Roi de Haute

et Basse Egypte, xwi-nfrtm Ra (b) fils de Rê, Taharqa (c), vivant pour toujours, aimé de Maat, à qui Amon a donné Maat, puisse-t-il vivre pour toujours. Comme Sa Majesté est celui qui aime le dieu, (2) il passe le jour et repose la nuit en cherchant ce qui est utile aux dieux (d), construisant leurs temples tombés en ruine (e), donnant naissance à leurs statues comme aux temps primordiaux (f), construisant leurs magasins, dotant (3) les autels, leur présentant des offrandes de tout produit, fabriquant leurs tables d’offrandes en or fin, argent, cuivre. Maintenant, le cœur de Sa Majesté est satisfait à faire ce qui leur est bénéfique chaque jour (g). Ce pays est inondé à son époque et c’était au temps du Seigneur de l’univers, chaque homme dormant jusqu’à l’aube (h) sans dire du tout « Oh, aurais-je ». Maat est introduite dans tous les pays; Isefet est plaquée au sol (i). (5) Des augures (j) se sont produits à l’époque de Sa Majesté durant la 6ème année de son apparition; quelque chose de semblable n’a jamais été vu depuis les temps anciens (littéralement le temps des Anciens) (k). Son père Amon-Rê l’aime grandement (l). Sa Majesté (6) a demandé l’inondation à son père Amon-Rê Seigneur du Double Pays en vue d’éviter que la famine n’arrive en son époque (m). Regarde, tout ce qui vient de la bouche de Sa Majesté, son père Amon le fait arriver immédiatement. Comme le temps de l’inondation (7) du Nil venait, elle a été en crue grandement chaque jour et a fait ainsi durant de nombreux jours. L’inondation était de une coudée par jour; elle a pénétré les collines du Pays du Sud et a recouvert le monticule du Pays du Nord (n). Le Pays était comme le Noun, une (eau) inerte, (8) la terre ne se distinguait pas du fleuve. Elle a eu une crue de 21 coudées et 2,5 doigts au quai de Thèbes. Sa Majesté a fait qu’on lui amène les annales des ancêtres, en vue de voir si une inondation (similaire) était arrivée en leur temps (o). Rien de similaire n’y a été trouvé (p). (9) Maintenant, la pluie était dans Ta-Sety et rendait scintillantes les collines dans leur totalité. Tout homme de Ta-Sety a été inondé avec tout. L’Egypte était dans une belle fête, adorant Sa Majesté. Le cœur de Sa Majesté était heureux plus que tout au sujet de ce que (10) le père Amon avait fait, faisant faire des dotations à tous les dieux (q). Sa Majesté dit : « Père Amon-Rê, Seigneur des Trônes du Double Pays, tu as fait ces quatre beaux présages pour moi en une année, durant la 6ème année de mon apparition en tant que roi (r). Rien de similaire n’avait été fait (11) depuis les temps de ceux qui étaient avant (ceux des temps anciens). L’inondation était comme un qui saisit le bétail (s). Elle a inondé ce pays dans toute sa longueur. Rien de tel n’a été trouvé dans les écrits des temps des Anciens. Aucun n’a dit, « j’ai entendu de mon père » (t). Elle a rendu (12) le pays bon dans sa totalité, tué les insectes et les serpents qui y étaient, a interdit que les sauterelles y dévorent, et n’a pas laissé les vents du sud la voler. (13) J’ai récolté la moisson dans les greniers, en quantité inconnue, avec l’orge de Haute et Basse Egypte, et toute semence qui pousse à la surface de la terre.

La traduction Je suis venu de Ta-Sety parmi les frères du roi que Sa Majesté a amenés (14) en provenance de cet endroit (u). J’étais

avec lui; il m’aimait plus que tous ses frères, plus que tous ses enfants. Je fus distingué d’eux par Sa Majesté; les cœurs des gens-pat me servaient et l’amour de moi était devant tous les hommes. (15) J’au reçu la couronne à Memphis après que le faucon se soit élevé au ciel (v). Mon père Amon a placé toutes les terres et les pays étrangers sous mes sandales; la terre au sud de Retebou-Kabet, la terre au sud de Ka-(16)Hehes, à l’est où Rê se lève, à l’ouest de l’endroit où il se couche. Ma mère était dans Sa-Sety, la sœur du roi pleine d’amour, la mère du roi Abalo, puisse-t-elle avoir vie donnée (w). Maintenant, (17) j’étais loin d’elle comme une recrue âgée de 20 ans, tandis que j’allais avec Sa Majesté vers le Pays du Nord (x). Alors elle vint en descendant le courant pour me voir (18) après une longue période d’années. Elle me trouva après que je sois apparu dans le trône d’Horus, ayant accepté la couronne de Rê, ayant uni les Deux Dames sur ma tête, tous les dieux comme protection de mon corps. Elle était extrêmement joyeuse (19) après qu’elle ait vu la beauté de Sa Majesté, juste comme Isis a vu son fils Horus apparaissant sur le trône de (son) père Osiris, après qu’il ait été un enfant au milieu du nid de Chemnis (y). (20) La Haute et la Basse Egypte, tous les pays étrangers se courbaient vers la mère du roi. Ils étaient dans une très grande jubilation, leurs grands et leurs petits. Ils criaient vers la mère du roi (21) disant « Isis, comme Horus l’a reçue, était comme cette mère après qu’elle ait rejoint son fils, le roi de Haute et Basse Egypte Taharqa, puisse-t-il vivre pour toujours, aimé des dieux. Puisses-tu être vivant pour toujours comme ton père Amon l’a ordonné, (22) dieu excellent qui aime celui qui l’aime, qui sait qui est loyal envers lui (z), ayant fait rester sa mère en paix, après qu’elle ait vu la beauté qu’il a faite pour toi. O roi puissant, puisses-tu vivre, et être en santé, comme le vivant Horus pour sa mère Isis. Tu es celui apparaissant sur le trône d’Horus pour le temps éternel et le temps infini. (aa)

Commentaire. (a)  Voir P. Der Manuelian, Living in the Past : Studies in Archaism of the Egyptian Twenty-sixth Dynasty (SiE;

Londres, 1994), 328 n. 126, pour le nombre cardinal dans les dates. La 6ème année de Taharqa peut être datée entre le 12 février 685 et le 11 février 684 du calendrier grégorien, mais voir également L. Depuydt, « On the Consistency of the Wandering Year as Backbone of Egyptian Chronology », JARCE 32 (1995), 52-3.

(b)  Les versions de Matanieh et, avec quelques vides, de Coptaos introduisent une longue série d’épithètes devant le nom personnel du roi : nTr nfr sA Imn-Ra tit Axt nt Itm prt wabt prt xnt.f qmA.n rsy-inb.f nfrw.f ms.n Mwt nbt pt wa nTry pr m Haw nTr (pour pr m Haw nTr, voir N.-C. Grimal, Les termes de la propagande royale égyptienne de la XIXème dynastie à la conquête d’Alexandre (MAIBL 6; Paris, 1986), 101 nn. 252-3) bity nn xpr mity.f dmD.n PsDt r rnn.f r snq.f r xnn.f iT tAw waf pDwt psDt nsw bity Hr-TmA-a nb tAwy nb ir xt « Le beau dieu, fils d’Amon-Rê, image splendide d’Atoum, la semence pure qui est sortie en face de lui, dont la beauté a été créée par celui qui-est-au-sud-de-son-mur, à qui Mout maîtresse du ciel a donné naissance, le seul divin, celui qui vient de la chair divine, un roi dont l’égal n’apparaît pas. L’Ennéade s’est assemblée pour l’élever, l’allaiter et l’élever, qui saisit le Double Pays, qui soumet les Neuf Arcs, le roi de Haute et basse Egypte, Horus au bras puissant, Seigneur du double Pays, Seigneur du rituel ».

(c)  Pour les noms de Taharqa, voir J. von Beckerath, Handbuch der ägyptischen Königsnamen (2 et rev. Ed.; MÄS 49; Mainz, 1999), 208-9, et L. Török, The Kingdom of Kush : Handbook of the Napatan-Meroitic Civilzation (HdO I/31; Leiden, 1997), 201 Tableau B.

(d)  wrS.f m hrw sDr.f m grH Hr HH sxwt n nTrw. Grimal, Les termes de la propagande royale, 523-4 nn. 383-4 note que cette phrase renvoie à l’époque de Ramses III, voir KRI V, 292.2-3; J. van Dijk, « The Luxor Building of Ramses III », GM 33 (1979), 19-27 : Hr HH(t) spw mnxw r ir(t).w m WAst Axwt.

(e)  Hr qd rA-prw[.sn] mrH. Voir Grimal, Les termes de la propagande royale, 530 et n. 418 pour l’emphase particulière des textes royaux nubiens sur la restauration des temples ruinés.

(f)  Hr ms sSmw.sn mi sp tpy, Grimal, Les termes de la propagande royale, 104 n. 268 souligne que msi nTrw, avec la signification « donner naissance aux (statues) des dieux » est utilisée à partir de Ramses II, quand le culte des statues royales avait son développement majeur, cf. G. Posener, De la divinité du pharaon (Cahiers de la Société Asiatique 15; Paris 1960), 19.

(g)  is gr http ib n Hm.f m irt n.sn Axwt ra nb. Grimal, Les termes de la propagande royale, 523-4, n. 382 donne le parallèle de Hérihor (KRI VI, 727. 15-16 = Epigraphic Survey, The Temple of Khonsu, II : Scenes and Inscriptions in the Court and the First Hypostyle Hall (OIP 103; Chicago, 1981), 143 A) : anx nTr nfr qny Hr rs HH Ax n ms sw « Puisse le parfait donner vie, étant capable et vigilant, qui cherche ce qui est bénéfique à celui qui lui a donné naissance ». La stèle en albâtre de Séthi I (KRI I, 39.6) peut également être mentionnée : nsw mnx ir Axwt n it(.f) « roi excellent, celui qui fait ce qui est bénéfique pour son père ».

Commentaire. (h) Le même thème apparaît dans la stèle Kawa VIII d’Anlamani, lignes 20-1, Ny Carlsberg Glyphotek AE.I.N 1709,

Copenhague; voir Macadam, temples of Kawa I, 44-50 et pls. 15-6, ainsi que FHN I, 216-28 et Lohwasser, Königlichen Frauen, 278; wnn tA pn rSw m hAw[.f] (21) n Dd H[An].i r-s(y) s nb Ssp n xAstyw bdSw m rk.f n aA n mr s it.f Imn « ce pays était joyeux à son époque, aucun disant « Que je puisse avoir », chaque homme dormant jusqu’à l’aube. Il n’y avait aucun habitant rebelle du désert à son époque, son père Amon l’aimait tant ». La stèle d’Anlamani rend explicite la relation entre le dieu et le roi, car tout ce que le roi reçoit provient de l’amour divin.

(i) Une telle idéologie dérivée des des modèles du nouvel Empire trouve son prologue le plus ancien dans le monologue du dieu créateur (Chapitre 1130), A. de Buck, The Egyptian Coffin texts, VII, OIP 87; Chicago, 1961), 462d-464f, voir également R.O. Faulkner, The Ancient Coffin Texts, III (Westminster, 1978), 167-9 et E. Otto, « Zur Komposition von Coffin Texts Spell 1130 » dans J. Assmann, E. Feucht, et R. Grieshammer, Fragen an die altägyptische Literatur : Studien zum Gedenken an Eberhard Otto (Wiesbaden, 1977), 1-18. Pour le roi comme celui qui maintient l’ordre cosmique, voir P. Derchain, « Le rôle du roi d’Egypte dans le maintien de l’ordre cosmique », dans L. de Husch, P. Derchain, A. Finet, E. Janssens, J. Pirenne, H. Plard, J.G. Préaux, L. Rocher, et R. Rocher, Le Pouvoir et le Sacré (Annales du centre d’Etude des religions I; Bruxelles, 1962), 61-73. D. B. Redford, Pharaonic King-Lists, Annals and Day-Books (SSEA Publications 4; Missisauga, 1986), 260-75 donne des exemples datant depuis Sésostris I jusqu’à la Chronique du Prince Osorkon. Des concepts similaires se retrouvent dans la stèle plus récente du Prince Khaliout, datée du règne d’Aspelta, lignes 15-20, voir M.B. Reisner, « Inscribed Monuments from Gebel Barkal, Part 4 : The Stela of Prince Khaliut », ZÄS 70 (1934), 35-46 et FHN I, 268-76 : « Comme les dieux et les hommes ont de la chance, que depuis que Sa majesté est apparue, elle a cherché ce qui est bénéfique. Il a agi pour chaque dieu et chaque déesse, façonnant leur image, installant leurs lieux d’offrandes, construisant leurs sanctuaires, approvisionnant leurs temples de chaque bonne chose, multipliant leurs tables d’offrandes avec l’or, l’argent et le cuivre, établissant pour eux des offrandes divines, donnant des offrandes d’invocation aux âmes, construisant des tombes pour ceux qui n’ont pas de tombes, honorant les images des Suivants d’Horus comme le monument de son ka, plaçant son fils sur son siège. Il a donné le souffle à chaque narine, donnant vie aux pats et aux rekhyt. Aucune mauvaise pensée ne demeure avec lui à son époque. Il a fait des plans excellents dans ce pays, comme Horus l’avait fait après qu’il soit apparu sur le trône de son père Osiris. Il t’a donne Maat, que tu aimes. Puisse-t-il faire que ton cœur gagne ses faveurs chaque jour ».

Commentaire. (j) Macadam, Temples of Kawa I, 27 rend bAyt par « merveille », suivi par Leclant et Yoyotte dans leur étude de Kawa I,

BIFAO 52, 22; et plus récemment, par A.K. Vinogradov, « Snakes » in the Field (A Comment on Kawa V, lines 11-13, SEAP 11 (1992), 31; id., « The Year of the « Four Goodly Wonders » Under King Taharqa », dans C. Eyre (ed.), Seventh International Congress of Egyptologists (Cambridge, 3-9 September 1995). Abstracts of Papers (Oxford, 1995), 194-5, et Török, Kingdom of Kush, 282. Que le terme avait la signification plus spécifique d’oracle a été souligné par Posener, « Aménémopé 21, 13 et bjAj.t au sens d’oracle », ZÄS 90 (1963), 98-102. Plus récemment, E. Graefe, Untersuchungen zur Wortfamilie bjA (Cologne, 1971, 118-19 interprète correctement le byAwt sous l’en-tête plus générale de « Zeichen, augure », donnant des exemples antérieurs. Il note également qu’un des byAwt (Graefe, Wortfamilie bjA, 214 n. 37) peut être considéré comme le couronnement du roi, faisant référence à l’inscription d’Irike Ammanote (Kawa IX, col. 212), Macadam, Temples of Kawa I, 50-67 et pls. 17-26; voir également FHN II, 400-20, et A.K. Vinogradov, « In Search of Kawa IX », dans D. Welsby (ed.), Recent researches in Kushite History and Archaeology : Proceedings of the 8th International Conference for meroitic Studies (BMOP 131; Londres, 1999), 305-11. L’interprétation de Graefe a été suivie par I. Shirun-Grumach, Offenbaeung, Orakel und Königsnovelle (ÄAT 24; Wiesbaden, 1993), 20-2, et M. Römer, Gottes und Priesterherrschaft in Ägypten am Ende des neuen Reiches : Ein religionsgeschichtliches Phänomen und seine sozialen Grundlagen (ÄAT 21; Wiesbaden, 1994), 148-50. Suivant Graefe, je préfère l’interprétation neutre comme augure ou signe.

(k) Pour des passages similaires, voir également U. Luft, « Seit der Zeit Gottes », StudAeg 2 (1976), 58-60; U. Luft, Beiträge zur Historisierung der Götterwelt und Mysthenschreibung = StudAeg 4 (1978), 155-66.

(l) On peut également trouver une expression similaire dans Anlamani Kawa VIII, ligne 21, disant : n aA mr s(w) it.f Imn « son père Amon l’aime tant ». Dans Kawa V de Taharqa, cependant, l’amour du dieu fait partie d’un cercle d’amour, qui est présent dans la seconde partie du texte.

(m) Eviter la famine pour son peuple est un des préceptes royaux, voir Grimal, Les termes de la propagande royale, 234-7.

Commentaire. (n) Comme l’ont observé Ventre Pacha, « Crues modernes et crues anciennes du Nil », ZÄS 34 (1896), 100, C.

Traunecker, « Les rites de l’eau à Karnak d’après les textes de la rampe de Taharqa », BIFAO 72 (1972), 198-99, et plus récemment, R. Said, The River Nile : Geology, Hydrology and Utilisation (Oxford, 1993), 152 et fig. 2.24, le Nil durant l’année 6 de Taharqa a atteint le niveau le plus haut connu de l’antiquité. Le second le plus élevé est enregistré dans le graffito d’Osorkon III en provenance de Louxor, publié par G. Daressy, « Une inondation à Thèbes sous le règne d’Osorkon II », RT 18 (1896), 181-6; G. Daressy, « Notes et remarques », RT 20 (1898), 80; id., « La crue du Nil de l’an XXIX d’Amasis », ASAE 23 (1923), 47-8. Les dangers d’une inondation élevée n’étaient pas complètement oubliés par Taharqa; deux stèles datées de sa troisième année de règne racontent des restaurations faites aux murs de clôture de Djeme : Le Caire JE 36410, H. Carter et G. Maspero, « Report of Work Done in Upper Egypt (1902-1903) », ASAE 4 (1903), 178-80, lignes 2-6; Oxford, Ashmolean Museum 1941.1132, H. Gauthier, « Les stèles de l’an III de Taharqa de Médinet-Habou », ASAE 18 (1919), 190, et cf. J. Leclant, Recherches sur les monuments thébains de la XXVème dynastie dite éthiopienne (BdE 36; Le Caire, 1965), 154, 346-7. Dans une de ses inscriptions provenant du temple de Mout à Karnak, le maire Montouemhat se glorifie du travail de restauration qu’il a ordonné après une inondation destructrice, [….] sw m inr HD nfr rwD r xsf wAw n itrw Hr.s m iw.f [….] en beau grès blanc, en vue d’en écarter la vague du fleuve quand elle vient; voir J. Leclant, Montouemhat, quatrième prophète d’Amon, prince de la ville (BdE 35; Le Caire 1961), 215, 219.

(o) rdi.n Hm.f inn.tw n.f gnwt nt tp(yw)-a, « Sa Majesté avait les annales des ancêtres qui lui avaient été amenées » (ligne 8). Sur gnwt, voir D. B. Redford, « The Meaning and use of the Term gnwt, Annales », dans F. Junge (ed), Studien zu Sprache and Religion Ägyptens (Göttingen, 1984), I, 327-41, id., Pharaonic King-Lists, 65-96, 84 (pour la stèle de Tanis de Taharqa), S. Schott, Bücher und Biblioteken in alyen Ägypten (Wiesbaden, 1990), 379-81. P. Vernus, Essai sur la conscience de l’histoire dans l’Egypte pharaonique (BEHE SHP 332; Paris, 1995), 88 note que la tradition écrite est utilisée par Taharqa en vue d’appuyer sa déclaration.

(p) Cf. Vernus, Essai sur la conscience de l’histoire, 88 pour le passage. (q) La version de Coptos se termine ici, avec une clause ajoutée : ir.f di anx Dd wAs nb xaw Hr st Hr mi Ra Dt. La

version de Manatieh à la place a deux lignes fragmentaires supplémentaires, qui disent : (18) [….] m sA.f […] nbt xr.f […] nbt xr.f wAs nb<t> (19) [….] xa m nsw bity […] Dt. « Comme son fils…toute chose venant de lui…chaque….en son nom, tout pouvoir….sur son apparition en tant que roi de Haute et Basse Egypte….pour toujours ».

(r) Kawa IX, col. 21, a : byAt nfr iry n.i it.i [Imn n] Abd […] prt sw 19 nt xa.i m nsw « la belle merveille que mon père a faite pour moi durant le mois […] peret, le jour 19 de mon apparition en tant que roi ».

(s) L’inondation est vue seulement sous son aspect positif; voir macadam, Temples of Kawa I, 30 n. 31. on peut trouver l’inondation en tant que saisisseur de bétail également dans l’inscription de taharqa en provenance de Karnak, publiée par D.B. Redford, « Taharqa in Western Asia and Libya », Eretz-Israel 24 (1993), 188*-91* (fig. I, ligne 14) : Hap iw m iTt kAw iw rnpwt aSAt m Ab « L’inondation est venue comme un saisisseur de bétail, bien que durant de nombreuses années en désuétude ».

(t) La copie de Tanis démarre ici, ayant des différences graphiques minimes.

Commentaire. (u) Je suis d’accord avec D. O’Connor, Ancient Nubia : Egypt’s Rival in Africa (Philadelphie, 1993), 75 et Lohwasser,

Königlichen Frauen, 232, 241-2, et id. « Queenship in Kush : Status, Role and Ideology of Royal Women », JARCE 38 (2001), 65, que le terme snw nswt incluait un groupe de successeurs potentiels au trône, et parmi qui un successeur fut choisi. En lui-même sn signifie non seulement frère, mais également neveu, cousin, ou oncle, cf. U. Verhoeven, « Amun Zwischen 25 Männern und Zwzi Frauen. Bemerkungen zur Inthronisationsrele des Aspelta », dans W. Clarysse, A. Schoors, et H. Wilems (ed.), Egyptian Religion : The Last Thousand Years, Studies Dedicated to the Memory of Jan Quaegebeur (OLA 84-85; Leuven, 1998), II, 1494 et Lohwasser, Königlichen Frauen, 232, 241. Les frères royaux en tant que groupe de personnes revendiquant le trône apparaissent également sur la stèle de Nastasen, maintenant Berlin 2268, voir H. Schäfer, Die aethiopische Konigsinschriften des Berliner Museums : Regierungsbericht des Konigs Nastasen, des Grgners des Kambyses (Leipzig, 1901); Urk III, 137-52; FHN II, 471-94; C. Peust, Das Napatische : Ein ägyptischer Dialekt aus dem Nubien des späten ersten vorchistlichen Jahrtausends (MzÄS 3; Göttingen, 1999), 34-35, 58-64; C.L. Sargent, The Napatan Royal Inscriptions : Egyptian in Nubia (Thèse de PhD, Université de Yale; New Haven, 2004), 380-422. Ce texte dit (ligne 5) : di.i aS.w snw nty iw wn m B-r-wA-t Dr « J’avais tous les frères royaux qui étaient dans Meroe convoqués ». La stèle d’Anlamani (Kawa VIII) a un passage similaire (lignes 22-24) : « Maintenant la mère du roi Nasalsa, puisse-t-elle vivre éternellement, était parmi les sœurs royales. La mère royale, douce d’amour, était la maîtresse de toutes les épouses. Sa Majesté a envoyé des compagnons en vue de l’amener. Elle a trouvé son fils apparaissant comme Horus sur son trône. Elle était très joyeuse après qu’elle ait vu la beauté de Sa Majesté ». A la fois L. Török, The Image of the Ordered World in Ancient Nubian Art : The Construction of the Kushite Mind, 800 BC-300 AD (PdÄ 19; Leiden, 2002), 405, et Lohwasser, Königlichen Frauen, 252, considèrent la venue de la mère royale comme l’acte de conclusion du cycle de montée sur le trône. Pour Török, Kingdom of Kush, 235, les sœurs royales qui étaient devenues des joueuses de sistre obtenaient un tel rôle comme étant choisies pour être les mères du futur roi.

(v) Le roi en tant que faucon est également présent dans la stèle de l’élection d’Aspelta, lignes 2-3, N.C. Grimal, Quatre stèles napatéennes au Musée du caire : JE 48863-48866 (MIFAO 106; Le Caire, 1981), 212-35 et pls iv-vii : « Après que le faucon se soit installé sur son trône »; cf. Grimal, Les termes de la propagande royale, 73, n. 141, mais il apparaît également dans Kawa IX, col. 4 : « après que le faucon soit allé au ciel ». Ce passage conduit Macadam, Temples of Kawa I, 19 à suggérer l’hypothèse d’une corégence de 6 ans entre Shebitqa et Taharqa.

(w) Le père de Taharqa n’est pas connu. La stèle de Nitocris dit qu’Amenirdis, la fille de Taharqa, a été adoptée par sa sœur Shepenouepet.

Commentaire. (x) La venue de Taharqa en Egypte a été habituellement datée de 701 BC, en référence à Taharqa à la bataille

d’Eltekeh dans 2 Rois 18-19, Isaïe 36-37, 2 Chroniques 32; voir F.J. Yurqo, « Sennacherib’s Third Campaign and the Coregency of Shabaka and Shebitku », Serapis 6 (1980), 222-4. Cette vision est défiée par R. Morkot, The Black Pharaohs : Egypt’s Nubian rulers (Londres, 2000), 226, qui préfère dater la venue de Taharqa en Egypte de la fin ou du milieu des années 690. L’inscription de Sargon II en provenance de Tang-i Var spécifie juste que Shebitqa était le pharaon impliqué dans la bataille d’Eltekeh, mais n’ajoute aucun témoignage de la participation de Taharqa à la bataille : publié par G. Frame, « The Inscription of Sargon II at Tangi-i Var », Or 68 (1999), 31-57, et voir D.B. Redford, « A Note on the Chronology of Dybasty 25 and the Inscription of Sargon II at tang-i Var », Or 68 (1999), 58-60; D. Kahn, « The Inscription of Sargon II at Tang-i Var and the Chronology of Dynasty 25 », Or 70 (2001), 1-18; J. von Beckerath, « Zur XXV Dybastie », SAK 29 (2001), 1-6.

(y) Une phrase similaire ^pparaît dans Kawa IX, colonnes 34-35 : « Amon est son père, Mout est sa mère, il est vraiment Horus ». Voir Török, Kingdom of Kush, 225; id. Image of the Ordered World, 405 pour l’association mythologique d’Isis et Horus dans le concept nubien de royauté, une idée également répétée par J.W. Yellin, « Egyptian Religion and its Ongoing Impact on the Formation of the Napatan State. A Contribution to Laszlo Török’s Main Paper : The Emergence of the Kingdom of Kush and her Myth of the State in the first Millenium BC », CRIPEL 17 (1995), 254-55.

(z) Pour la réciprocité entre dieu et roi, voir S. Morenz, « Erwählung zwischen Gott und König in Ägypten », dans E. Blumenthal et S. Hermann (eds), Religion und Geschichte des alten Ägypten : Gesammelte Aufsätze (Cologne, 1975), 122.

(aa) Comme noté par Török, Image of the Ordered World, 405, le texte a une circularité dans la narration des évènements. Après la date initiale, le narrateur mentionne la jeunesse du roi (701 BC), son couronnement (690 BC), avec l’eulogie finale ramenant à la date initiale.

Les quatre augures. Les byAwt démontrent que Taharqa est plus favorisé que tous les rois avant lui. Le niveau d’inondation sans précédent

est vu seulement sous ses aspects positifs, en contraste ouvert avec l’appel à l’aide du graffito d’Osorkon III presque un siècle plus tôt. Quand l’inondation atteignait des niveaux jamais attestés auparavant, l’évènement extraordinaire est cité comme preuve que Taharqa était aimé par le dieu comme aucun avant lui (5).

La partie centrale de la stèle est incontestablement le discours de Taharqa des lignes 10-21, la description des quatre byAwt, qui sont un manifeste politique de Taharqa. Dans sa publication de Kawa V, Macadam a argumenté que :

.1. Taharqa a été associé au trône par Shebitqa alors qu’il avait 20 ans; il a été régent jusqu’à la 6ème année, quand Shebitqa est mort et que Taharqa est devenu le seul souverain, Kawa V étant le texte le plus ancien de son règne seul. Dans ce contexte, la mention du couronnement de Taharqa dans la stèle datée de l’an 6 doit être prise en considération.

.2. Les quatre augures sont : l’inondation, la pluie torrentielle en Nubie, le couronnement de Taharqa, et la visite d’Abala à son fils (6).

Dans leur étude en 1952 de la publication de Macadam, Leclant et Yoyotte ont considéré que les byAwt de Kawa V consistent en une bonne moisson, avec l’inondation et la pluie n’entraînant aucun dommage (7).

Leur interprétation dépend du rejet de la théorie de Macadam, et en particulier Taharqa corégent de Shebitqa durant 6 ans (8).

(5) Cf. Gozzoli, Visiting of History, 72-5. .(6) Macadam, Temples of Kawa I, 18-19; et Graefe, Wortfamilie bjA-, 119. .(7) Leclant et Yoyotte, BIFAO 52, 23 : « L’application du terme biAt, expression de portée très générale, à des fastes

de la vie agricole s’expliquerait d’autant mieux si l’an 6 du règne, marqué par une récolte abondante, suivant une inondation et une pluviosité remarquables (elles-mêmes données comme biAt : V, 5=C [Coptos] 8-9=M [Matanieh] 9, venait, comme on l’a supposé, après plusieurs années de Nil bas, et si, par surcroît, l’énorme crue n’a causé aucun des dégâts auxquels on aurait pu s’attendre ».

.(8) Leclant et Yoyotte, BIFAO 52, 24. Après eux, G. Schmidt, « Das Jahr des Regierungsantritts König Taharqas », Kush 6 (1958), 121-ç; W. Murnane, Ancient Egyptian Corgencies (SAOC 40; Chicago, 1977), 190-4; D. Kahn, « Was There a Co-Regency in the 25th Dynasty? », MittSAG 17 (2àà-), 140 parmi de nombreux autres.

Les quatre augures. Le fait que Macadam avait tort dans ses implications chronologiques concernant la corégence de Taharqa a été noté

de nombreuses fois, mais le rejet de sa théorie a également impliqué un rejet de son identification des 4 augures, habituellement identifiés avec la riche moisson dérivée de l’inondation (9). Parmi les études récentes, seuls Vinogradov et Assmann semblent dévier des visions des autres scientifiques; le premier souligne l’importance de la pluie en Nubie, et le dernier la pertinence de la mère royale venant voir son fils (10).

.(9) K.A. Kitchen, The Third Intermediate period in Egypt (1100-650 BC) (2ème édition, Warrminster, 1986), 388-9 dit : « Durant sa sixième année (685 BC), l’Egypte a souffert d’une inondation du Nil remarquablement haute, excédant même celle de la 3ème année d’Osorkon III presqu’un siècle plus tôt; la Nubie, en conséquence, avait la pluie. Deux textes du niveau du Nil sur le quai de Karnak attestent de sa hauteur extrême. Cependant, ce désastre apparent d’une sur-crue du Nil qui a envahi le pays fut suivi par une bénédiction, selon Taharqa. Amon lui donna « quatre merveilles », une bénédiction à quatre plis, après la grande crue, de bonnes récoltes partout, la destruction des rongeurs et de la vermine, l’évitement de l’avidité des sauterelles, et l’évitement du vent du sud anéantissant les récoltes –ainsi, en conséquence, Taharqa et l’Egypte ont bénéficié d’une moisson exceptionnelle ». La même vision est suivie par K.H. Priese, « Zur Sprache der ägyptischen Inschriften der Könige von Kusch », ZÄS 98 (1972), 120; Murnane, Ancient Egyptian Coregencies, 192, ainsi que Török, FHN I, 157; Török, Image of the Oedered World, 404; Morkot, The Black Pharaohs, 231; Dallibor, Taharqo, 68-9.

.(10) Vinogradov; dans Eyre (ed), Seventh ICE Abstracts, 194-5, et J. Assmann, The Mind of Egypt (New York, 2002), 362.

Les quatre augures. souligne l’importance de la pluie en Nubie, et le dernier la pertinence de la mère royale venant voir son fils (10). En identifiant la liste des divers byAwt, j’ai en vue qu’il y a une incompréhension substantielle à la base de toutes ces

interprétations. A part l’inondation, un autre byAt est certainement la pluie. La pluie est parfois décrite comme un Nil céleste (Hapy m pt), et est une autre facette de la création (11).

La connexion spéciale entre l’inondation et la pluie est confirmée dans d’autres textes royaux nubiens. Dans l’inscription de Taharqa provenant de la cour péristyle à Karnak, le roi fait référence à l’inondation et à la pluie comme prodiges de la part du dieu (colonnes 9-10) : « Une grande inondation à mon époque, rends le ciel chargé pour moi, abondant [en pluie] » (12) Egalement la connexion entre la pluie et l’inondation comme faveur divine apparaît dans la stèle postérieure d’Anlamani (Kawa VIII, ligne 26 : « Accorde-moi une grande inondation, bonne en moisson, une grande crue sans trouble en elle ». Et les deux éléments sont également présents dans les Annales de Harsiotef (lignes 11-13) : « Je te donne la couronne du pays de Nubie. Je te donne les quatre coins du pays dans sa totalité. Je te donne la bonne eau; je te donne un ciel de bonne pluie » (13).

.(11) Vikentiev, La haute crue du Nil, 51-2; A.P. Zivie, « Regen », LÄV, 204, et A. Roccati, « Lessico metereologico », dans Junge (ed), Studien zu Sprache, I, 345. Dans des textes égyptiens antérieurs, l’apparition de la pluie comme manifestation de la volonté divine est confinée à l’extérieur de la frontière égyptienne, voir l’inscription de Montouhotep IV n° 191 provenant du Wadi Hammamat : J. Couyat et P. Montet, Les inscriptions hiéroglyphiques et hiératiques du Ouâdi Hammamat (MIFAO 34; Le Caire, 1912), 97-8 et pl. xxxvi; Shirun-Grumach, Offenbarung, 8-12 pour translitération et traduction du texte, mentionnant également des études antérieures. Dans cet exemple, la pluie aide au succès de l’expédition royale, remplissant le puits, et donnant de l’eau à la force d’expédition. Dans la stèle du Premier Mariage de Ramses II (KRI II, 233-56), le dieu Seth est renversé avec les Hittites et donc ne fait pas venir la pluie (KRI II 245.13-246.1-3), cf. J.F. Borghouts, « Divine Intervention in Ancient Egypt and its Manifestation (bAw) », dans R.J. Demarée et J.J. Janssen (eds), Gleanings from Deir-le-Medîna (EU I; Leiden, 1982), 13, id., « The First Hittite Marriage Record, Seth and the Climate », dans Mélanges Adolphe Gutbub (Montpellier, 1984), 13-15.

.(12) Voir P. Vernus, « Inscriptions de la troisième période intermédiaire (I) », BIFAO 75 (1975), 29-31; FHN I, 181-8.

.(13) Grimal, Quatre stèles napatéennes, 40-61 et pls. X-xxv; FHN II, 437-57; Peust, Napatische, 24-33, 53-7.

Les quatre augures. La pluie en tant que signe divin interne a continué à être exploité durant la période saïte ultérieure, comme sur la stèle

de Daphne (14). Le même concept est répété dans Hérodote, Livre III, 10 : « durant le règne de son successeur Psammétique (Psammétique III), un évènement sans parallèle s’est produit –la pluie est tombée à Thèbes, une chose que les hommes de cette cité disent ne s’être jamais produite auparavant, ou ne s’est jamais produite jusqu’à ce jour. Normalement, en Haute Egypte aucune pluie ne tombe; mais en cette occasion, elle l’a fait- une averse légère (15). Puisque Psammétique III est prêt pour la bataille contre Cambyse, la pluie au-dessus de Thèbes démontre que Psammétique est oint par le dieu comme souverain légitime de l’Egypte (16).

Ainsi, l’inondation et la pluie sont les deux premières augures. Les deux autres byAwt peuvent être établies en prenant en considération Kawa V dans le groupe dressé par Taharqa à Kawa, et Kawa IV devient pertinente dans ce contexte (17). Dans le prélude historique de Kawa IV, décrivant taharqa en train de visiter le temple, le prince l’a trouvé complètement recouvert par le sable. La partie importante démarre après que Taharqa a été couronné comme roi :

.(14) Voir W.M.F. Petrie, Tanis, II (EEF 4; Londres, 1888), 107-8; G. Posener, « A propos de la Pluie Miraculeuse », dans RPLHA 25 (1951), 162-3; id., « L’or de Punt », dans E. Endesfelder, K.H. Priese, W.F. Reineke, et S. Wenig (eds), Ägypten und Kusch (SGKAO 13; Berlin, 1977), 342; A. Lloyd, « Once More Hammamat Inscription 191 », JEA 61 (1975), 54-5; D. Meeks, « Locating Punt », dans D. O’Connor et S. Quirke (eds), Mysterious Lands (Londres, 2003), 70-1, pour une récente traduction anglaise et un commentaire. Comparez également avec M.H. Wiener et J.P. Allen, éSeparate Lives : The Ahmose Tempest Stela and the Thera Eruption », JNES 57 (1998), 1-28.

.(15) Hérodote, The Histories, traduit par A. De Sélencourt et revu par J. Marincola (Londres, 2003), 173.

.(16) Török, Image of the Ordered World, 404, faisant référence à Grimal, Les termes de la propagande royale, 264-70, 506-8, déclare : ‘L’évènement historique de la crue inhabituelle et de la chute de pluie est incarné dans le cadre conceptuel d’une manifestation de la légitimité du roi ».

.(17) Autre que Macadam, Temples of Kawa I, 14-21 et pls. 7-8, le passage a été étudié par A.K. Vinogradov, « [...] Their Brother, the Chieftain, The Son of Re, Alara […] », CRIPEL 20 (1999), 91 et K. Jansen-Winkeln, « Alara und Taharqa : Zur Geschichte des nubischen Königshauses », Or 72 (2003), 142-3. Pour le texte, voir maintenant Jansen-Winkeln, Inschriften der Spätzeit III, 138-41, et Ritner, Libyan Anarchy, 535-9.

Les quatre augures. Kawa IV.

(15) Ce dieu était en ce lieu; ce que la pluie avait fait n’était pas connu. C’est lui (c’est-à-dire le dieu) qui protégeait ce temple jusqu’à mon apparition comme roi. (16) Il connaissait celui qui aurait fait un monument, car je suis son fils, qu’il a engendré (18). Les mères de ma mère lui furent assignées (17) par leur frère aîné, le fils de Rê, Alara, justifié, disant (19) : Ce dieu qui connaît celui qui lui est loyal, le rapide, qui vient vers celui qui l’appelle, (18) puisses-tu compter sur l’utérus de mes parents pour moi (20), et puisses-tu établir leurs enfants sur terre. Puisses-tu agir pour eux comme tu a s agi pour moi, et laisse-les obtenir ce qui est (19) bon. Il a écouté ses mots nous concernant; il m’a élevé en tant que roi, comme il lui avait dit. Comme il est bon d’agir pour celui qui agit, (20) quand le cœur de celui qui agit pour lui est satisfait (21). Ils disent à Sa Majesté : Toutes tes paroles sont vraies, car tu es son fils qui embellit son monument.

Les quatre augures. (15) Ce dieu était en ce lieu; ce que la pluie avait fait n’était pas connu. C’est lui (c’est-à-dire le dieu) qui protégeait ce

temple jusqu’à mon apparition comme roi. (16) Il connaissait celui qui aurait fait un monument, car je suis son fils, qu’il a engendré (18). Les mères de ma mère lui furent assignées (17) par leur frère aîné, le fils de Rê, Alara, justifié, disant (19) : Ce dieu qui connaît celui qui lui est loyal, le rapide, qui vient vers celui qui l’appelle, (18) puisses-tu compter sur l’utérus de mes parents pour moi (20), et puisses-tu établir leurs enfants sur terre. Puisses-tu agir pour eux comme tu a s agi pour moi, et laisse-les obtenir ce qui est (19) bon. Il a écouté ses mots nous concernant; il m’a élevé en tant que roi, comme il lui avait dit. Comme il est bon d’agir pour celui qui agit, (20) quand le cœur de celui qui agit pour lui est satisfait (21). Ils disent à Sa Majesté : Toutes tes paroles sont vraies, car tu es son fils qui embellit son monument.

.(18) Je suis ici l’interprétation de Jansen-Winkeln, Or 72, 145 n. 4, contre Macadam, Temples of Kawa I, 20 n. 36.

.(19) J’accepte ici J.J. Clère, révision de Macadam, temples of Kawa I, BiOr 8 (1951), 179, Vinogradov, CRIPEL 20, 85-6, et Jansen-Winkeln, Or 72, 146, n. 5, qui interprète wr comme « ancien », au lieu de « chef » comme donné par Macadam, Temples of Kawa I, 22, également suivi par Holton Pierce, FHN I, 141.

.(20) Voir jansen-Wilkeln, Or 72, 147 n. 7 pour la signification de gsiw comme parent, et cf. Wb V, 195.26-9.

.(21) Pour le passage, voir J. Assmann, Maat : Gerechtigkeit und Unsterblichkeit im Alten Ägypten (Munich, 1995), 65-6, qui le considère comme une discussion de la solidarité entre le dieu et le pharaon.

Les quatre augures. Kawa VI est en substance un complément de Kawa IV, offrant même un certain nombre de détails historiques (22) : (21) Sa Majesté (c’est-à-dire Taharqa) a fait (2é) ceci car il aimait grandement son père Amon-Rê, Seigneur de

Gem(pa)aton, parce qu’il savait qu’il (le roi) était favorisé dans son cœur, le rapide, qui vient à celui qui l’appelle, car l’augure (byAt) qu’il a faite <pour> sa mère dans l’utérus avant <qu’elle> ait donné naissance. La mère de sa mère lui a été assignée par son frère aîné, le Fils de Rê Alara, (23) justifié, disant : O dieu bénéfique, le rapide, qui vient à celui qui l’appelle, puisses-tu chercher ma sœur-épouse pour moi, née avec moi d’un même utérus. Tu as agi pour elle comme tu l’as fait pour celui qui a agi pour toi, comme une augure, non préméditée, et non méprisée par les gens réfléchis (23). Puisses-tu mettre un arrêt à celui qui a comploté le mal contre moi, (24) après que tu m’aies élevé comme roi. Puisses-tu agir de même pour ma sœur, (24) comme tu as honoré ses enfants dans ce pays. Puisses-tu le laisser obtenir la prospérité et l’apparition en tant que roi comme tu l’as fait pour moi. Il a écouté tout ce qu’il a dit, il n’a pas détourné son oreille de ses mots. Il a nommé pour lui son fils, son double, le Fils de Rê, Taharqa, puisse-t-il vivre éternellement, <comme> roi (25) […] pour commémorer son nom, pour embellir ses monuments, pour maintenir ses statues, pour inscrire son nom sur le temple, pour rappeler les noms de ses grand-mères, pour établir des offrandes funéraires pour elles, et pour leur donner de nombreux prêtres funéraires, riches en toutes choses. Puisse-t-il recevoir toute vie, comme Rê, éternellement.

.(22) Voir Macadam, Temples of Kawa I, 32-40, et pls. 11-12; FHN I, 164-76; Vinogradov, CRIPEL 20, 91; Jansen-Winkeln, Or 72, 143-5; id., Inschriften der Spätzeit III, 138-41; et Ritner, Libyan Anarchy, 545-52.

.(23) Jansen, Winkeln, Or 72, 144, traduit : « Mögest du für sie handeln, wie du gehandelt hast fur den, der für dich handelt, in einen Wunder, das niemand geahnt hatte und auf das nicht gebaut worden war von Vorausplanenden (?). M. Gilula, « Egyptian nHt=nahte copte=« croire », JNES 36 (1977), 296, faisant référence à une suggestion de K. Baer, traduit : « une merveille qui n’était pas dans les cœurs des hommes et non crue par d’autres », en contradiction partielle avec l’interprétation de Macadam : « une merveille non préméditée et non inventée par des comploteurs », cf. Macadam, Temples of Kawa I, 40 nn. 84-5. L. Török, « The Emergence of the Kingdom of Kush », CRIPEL 17 (1995), 214 et id. The Image of the Ordered World, 51, croit que Pabatma était la sœur royale mentionnée ici, une opinion également suivie par verhoeven, dans Clarysse, Schoors, et Willems (eds), Egyptian Religion II, 1496.

.(24) J’accepte ici Clère, BiOr 8, 179, et l’interprétation de Jansen-Winkeln que snt signifie également épouse, contre R. Morkot, « Kingship and Kinship in the Empire of Kush », dans Wenig (ed.), Studien zum antiken Sudan : Akten der 7. Internationalen Tagung für meroitischen Forschungen vom 14. bis 19. September 1992 in Gosen/bei Berlin (Meroitica 15; Wiesbaden, 1999), 213.

Les quatre augures. Kawa VI.

Les quatre augures. Kawa IV et Kawa VI clarifient les conséquences de l’engagement d’Alara avec le dieu. Comme roi fondateur de la

dynastie, il établissait que sa sœur-épouse serait consacrée à Amon (25). La situation Sitz in Leben de l’alliance d’Alara est ce qui est pertinent ici : Alara est confirmé comme roi, comme l’oracle déclare formellement ses droits contre l’autre candidat. Mais Alara a offert également sa propre sœur pour être la prêtresse du dieu.

Le passé et le futur sont liés par la sœur d’Alara, peut-être la grand-mère de Taharqa (26). Quand Alara offre sa sœur, ainsi que toute future femme de la maison royale nubienne au dieu, le dieu en retour doit promettre que les descendants de sa sœur règneront sur la Nubie (27). Mais le rôle de la sœur royale est fondamental, car le dieu Amon s’unit à elle. Le concept de naissance divine –bien connu à partir d’exemples égyptiens- était également présent en Nubie : le fait que les sœurs royales dans leur rôle de prêtresses du dieu étaient particulièrement vénérées dérive également de leur importance en tant que véhicule de légitimité (28). Comme le roi agissait en tant qu’incarnation terrestre du dieu, il répétait l’union mystique avec sa sœur. Ainsi, tout enfant provenant de cette union était un fils divin. La même action, répétée par la succession des rois nubiens, aurait donné naissance à une série de descendance royale, les snww nsw, avec une génération empiétant sur la suivante (29).

.(25) Comme noté par Jansen-Winkeln, Or 72, 152, Alara assume le rôle du fondateur. Török, CRIPEL 17, 214, définit le pacte stipulé par Alara avec Amon comme le moment de la conversion de la dynastie de Kourrou à la religion d’Amon-Rê.

.(26) S. Wenig, « Pabatma –Pekereslo- Pekar-tror. Ein Beitrag zur Frühgeschichte der Kuschiten », dans D. Apelt, E. Endesfelder, et S. Wenig (eds), Studia in honorem Fritz Hintze (Meroitica 12; Berlin, 1990), 344; Török, CRIPEL 17, 214, Török, Kingdom of Kush, 125, et Lohwasser, Königlichen Frauen, 174-5 croient que Pabatma pourrait être la sœur d’Alara et l’épouse de Kashta.

.(27) Avec l’alliance entre Amon et Alara, la déité devient la garantie de la royauté nubienne; cf. Török, CRIPEL 17, 214. L. TÖrök, « On the Foundations of the Kingship Ideology in the Empire of kush », dans Wenig (ed.), Studien zum antiken Sudan, 280 considère la légitimité du roi souverain à travers les ancêtres féminins comme complémentaire de la Gottessohnschaft et des règles de succession patriarcale.

.(28) Pour cet aspect, voir C.E. Sander-Hansen, Das Gottesweib des Amun (Historik-filologiske Skrifter I/I; Copenhague, 1940), 16-17; H. Brunner, Die Geburt des Gottkönigs (ÄA 10; Wiesbaden, 1986).

.(29) Voir D. Kahn, « The Royal Succession in the 25th Dynasty », MittSAG 16 (2005), 146-52 pour une étude récente.

Les quatre augures. L’alliance entre le dieu et le roi Alara a été déclarée quelques fois dans des inscriptions royales nubiennes après le

règne de Taharqa. Autre que dans Kawa IV et VI, Pi(ankh(y-Alara est présent dans la stèle de Nastasen (ligne 8) : « C’est le jardin dans lequel le roi Piankhy-Alara a grandi ». Piankhy-Alara est également mentionné sans le même texte (lignes 14-16) : « Amon de Napata étant avec moi, m’écoutait, mes discours. Il m’a donné, Amon de Napata, mon bon père, la royauté du Pays de l’Arc, la couronne du roi Harsiotef et la puissance du roi Pi(ankh)y-Alara » (30). Ces références dénotent la pertinence qu’un tel lien avait avec le passé pour une légitimité d’un roi nubien. La référence à Alara n’est pas la seule cependant car Kashta apparaît également dans Kawa IX (lignes 53-4) : « Sa [Majesté lui] dit : Accorde-moi une longue vie sur terre, et donne-moi comme tu l’as fait pour le roi Alara [justifié] ». A nouveau à la ligne 116 : « Je te donne [chaque] pays, [sud, nord], ouest, et [est]. Je te donne comme j’ai [donné] au roi [Kashta, justifié] » (31).

Le fait que Kawa IV et VI parlent de la reconstruction du temple T à Gematen au moins 4 ans après que les premiers travaux aient démarré peut sembler étrange, car Kawa III décrit des donations et activités dans ce temple à partir de la seconde année de règne (32). Cette bizarrerie devient plus compréhensible quand le concept de réciprocité entre Taharqa et son dieu est introduit. Au mépris total de la séquence chronologique, Taharqa explique son chagrin pour l’état dilapidé du temple, couronnement et reconstruction du sanctuaire faisant tous partie de l’échange réciproque entre le roi et le dieu. C’est cette réciprocité qui introduit l’augure de l’époque d’Alara (33). La séquence chronologique est correcte, mais des évènements séparés par des années l’un de l’autre sont résumés dans une narration rationalisée. Le modèle fait également partie de la stèle Kawa V.

.(30) Török, Image of the Ordered World, 361 n. 127 croit que Piye est utilisé comme une forme de titre royal, comme César durant l’Empire Romain.

.(31) Comme noté par Jansen-Winkeln, Or 72, 106, la référence à Kashta pourrait avoir été créée à cause du fait que ce roi fut le premier à prendre le contrôle de l’Egypte.

.(32) Voir Macadam, Kawa I, 4-14, et pls. 5,6.

.(33) Török, Image of the Ordered World, 401 reconstitue les évènements dans une telle séquence : 701 (Taharqa en tant que recrue), 690 (couronnement de Taharqa), 701 (visite de Taharqa au temple),

780-760 (alliance d’Alara avec le dieu), 690 (début des activités de construction), 685 (description des travaux achevés).

Les quatre augures. Quand on les voit de concert avec les signes de Kawa V, les passages provenant de Kawa IV et Kawa VI deviennent

des exemples significatifs de la connaissance supérieure du roi sur ses sujets. Comme le dit John Baines, en référence au texte connu sous le nom du « roi en tant que prêtre du soleil », « cela ne fait rien que les « âmes orientales » chantent au lever du soleil; ce qui est important c’est que le roi le sait (et les autres pas). Une telle connaissance met le roi à part, comme un connaisseur et un acteur » (34). Le roi est initié à un niveau de connaissance qui le rend égal des âmes orientales, et en conséquence détaché des mortels du commun. Le pharaon en tant que prêtre rituel unique faisait partie de l’idéologie royale de la 25ème dynastie, comme Taharqa l’a rendu clair à Karnak dans la Construction du lac sacré, où une copie de l’hymne au Roi en tant que Prêtre du soleil est présent (35).

En ce sens, Kawa IV et VI de Taharqa répètent complètement la même image du roi initié aux secrets supérieurs (36). En tant que prêtre suprême, il est capable d’avoir un contact direct avec dieu, accédant à sa connaissance secrète. Mais ceci inclut également la déclaration de ce qui était demandé par son ancêtre : en tant que partie cachée de la relation entre le roi et le dieu, Taharqa dévoile l’ancienne alliance d’Alara à ses sujets.

.(34) Voir J. Baines, « Restricted Knowledge, Hierarchy, and Decorum : modern Perceptions and ancient Institutions », JARCE 27 (1990), 22. Pour le texte, voir J. Assmann, Der König als Sonnenpriester : Ein kosmographischer Begleittext zur kultischen Sonnenhymnik in thebanischen Tempeln und Gräbern (ADAIK 7; Glückstadt, 1970), 48, 56; Assmann, Maat, 205-7; J. Assmann, Egyptian Solar religion in the New Kingdom : Re, Amun and the Crisis of polytheism, tr. A. Alcock (SiE; londres, 1995), 18-25, avec bibliographie récente et liste des copies aux pages 17-18 nn. 3-11. La pertinence du texte dans l’idéologie royale nubienne a également été notée par Verhoeven, dans Clarysse, Schoors, et Willems (eds), Egyptian Religion, II, 1492.

.(35) Texte A –le texte dit du matin- est publié par R.A. Parker, J. Leclant, et J.C. Goyon, The Edifice of Taharqa by the Sacred Lake of Karnak (BEStud 8; Providence, 1979), 31-2, 38-40 avec pls. 12C, 13, 15, et 18B, et traduit dans Assmann, Solar Religion, 18-20. Voir également M.C. Betro, I testi solari del portale di Parscerientaisu (BN2) (Saqqara 3; Pise, 1990), 38-50, où toutes les versions du texte du matin sont données. Taharqa agit comme intermédiaire entre dieu et les humains. Voir également K.M. Cooney, « The Edifice of Taharqa by the Sacred Lake : Ritual function and the Rule of the King », JARCE 37 (2000), 45-6.

.(36) Török, CRIPEL 17, 213, avait déjà remarqué l’aspect de connaissance secrète qui imprègne le groupe entier des inscriptions royales nubiennes.

Les quatre augures. Les activités de construction promues par Taharqa, visibles aux non-adeptes, révèlent ce qui était déjà proclamé dans le

passé : les origines de la dynastie royale nubienne reposent dans la descendance divine, et Taharqa était l’incarnation la plus récente. Comme l’alliance d’Alara avec Amon constituait sa reconnaissance en tant que roi et établissait la sœur royale comme le véhicule de légitimation, Kawa V répète le même schéma. Au lieu d’Alara, il y a Taharqa, le dernier dans la ligne de succession, et Abala est la sœur royale.

En l’interprétant ainsi, la succession légitime de Taharqa pour Shebitqa est la troisième augure. Les droits de Taharqa peuvent être déclarés grâce à la mère royale, dont l’arrivée est narrée immédiatement après, comme la quatrième augure. La visite de la mère royale ne consiste alors pas seulement à rejouer la légende d’Horus; elle est également son apogée idéologique (37). Dans Kawa V –ainsi que dans Nasalsa et les ancêtres royaux féminins mentionnés dans la stèle de l’Election d’Aspelta- le rôle d’Abala connecte le passé au futur et permet la transmission du pouvoir royal à son fils Taharqa, se conformant à ce qui était établi par Alara presqu’un siècle plus tôt. Sa présence au couronnement de son fils est un rappel physique que toute prétention au trône nubien passait à travers elle (38). Elle est le jeu renouvelé de cette liaison établie entre le dieu et le roi : Taharqa mentionne l’acte précédent de son ancêtre parce que les conséquences sont encore valides à sa propre époque; c’est-à-dire, le roi nubien est le dernier fruit de cette alliance.

Considérer le byAt comme élément à la fois passé et présent, justifie ma traduction comme « augure », « signe », ou même « oracle », alors que l’ancienne traduction de « merveille » devient trop générique. Kawa IV, V et VI ne parlent pas de corégences, seulement d’alliances divines et de légitimité royale. Mon interprétation confirme alors l’idée d’origine de Macadam, évidemment avec les corrections mentionnées ci-avant. Les connexions entre Amon et Taharqa peuvent également justifier les différences écrites entre Tanis et Kawa V avec leur mention des quatre augures absente des copies de Matanieh et Coptos. Dans Tanis ainsi que Gematen/Kawa, le dieu principal était Amon, avec qui Alara avait fait son pacte. Matanieh et Coptos avaient leurs propres dieux, Henen et Min, qui étaient dépeints dans la lunette. Peut-être la mention des grandes augures faites par Amon était considérée comme non appropriée dans ces deux derniers endroits.

.(37) je ne peux pas être d’accord avec Török, Image of the Ordered World, 405, qui réduit la visite de la mère royale à un rite final des cérémonies de couronnement. Avec Lohwasser, JARCE 38, 68, je vois la présence de la mère royale à la fois comme la façon dont le dieu est satisfait et comme la voie par laquelle son pouvoir est canalisé dans le roi, son fils et intermédiaire terrestre.

.(38) Pour les discours prononcés par la mère royale à l’occasion du couronnement de son fils, voir Lohwasser, JARCE 38, 68-9. Pour des femmes nubiennes royales donnant des libations en face d’Amon, voir A. Lohwasser, « Die Handlungen der Kuschitischen Königin im Götterkult », CRIPEL 17/3 (1998) 135-46.