49
 L’IDÉOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHÉMÉNIDES PAR JEAN KELLENS * 1. LA GÉN ÉALOGIE DE DARIUS La longue inscription de Behistun, qui nécessita l’invention d’un type particulier de cunéiforme, est la première inscription vieux-perse et, en même temps, le plus ancien document original qu’aient laissé les peuples de langue indo-iranienne. Darius la fit graver en 519 pour raconter son accession au trône, en la justifiant, et la répression des soulèvements qui avaient marqué la première année de son règne. Se conformant probable- ment à un modèle fourni par les rites d’hospitalité 1 , il commence par décliner son nom (Darayavau-Darius), sa qualité de roi et sa généalogie. Celle-ci est répétée. La première version est brève et conforme à l’usage accadien traditionnel (Rollinger 1998, 185): elle mentionne le père (Vi s- taspa-Hystaspe), le grand-père (Ar sama – Arsamès) et, via un patrony- mique, l’ancêtre de référence (Haxamanis  – Achémenès). La seconde suit immédiatement, mais après la première mention de l’expression récur- rente «le roi Darius dit». Elle comble l’intervalle entre le grand-père et l’ancêtre de référence en donnant les noms de l’arrière-grand-père (Ariya- ramana – Aryaramnès) et de l’arrière-arrière-grand-père (Ci spi – Teispès). Plus loin dans le récit (DB §10), Darius mentionne ses deux prédé- cesseurs, Kuru-Cyrus et Kamb>  jiya-Cambyse, leur attribue le titre de roi et en fait des membres de sa famille. Le rapport qui les unit à sa stricte  Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464 * Professeur au Collège d e France, 11, place Marcelin Berthelot, 75005 – Paris. Le présent article expose la matière d’un enseignement dispensé au Collège de France durant l’année académique 2001-200 2. 1 En répondant à la question qui demande à l’arrivant de s’identifier: en vieil-aves- tique, Y 43.7 cis ahi kahiia ahi «qui es-tu? De qui es-tu (le fils)?».

Kellens idologieReligieuseDesInscriptionsAchmnides

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Kellens 2002 ideología religiosa de las inscripciones aqueménidas

Citation preview

  • LIDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES

    PAR

    JEAN KELLENS*

    1. LA GNALOGIE DE DARIUS

    La longue inscription de Behistun, qui ncessita linvention dun typeparticulier de cuniforme, est la premire inscription vieux-perse et, enmme temps, le plus ancien document original quaient laiss les peuplesde langue indo-iranienne. Darius la fit graver en 519 pour raconter sonaccession au trne, en la justifiant, et la rpression des soulvements quiavaient marqu la premire anne de son rgne. Se conformant probable-ment un modle fourni par les rites dhospitalit1, il commence pardcliner son nom (Darayavau-Darius), sa qualit de roi et sa gnalogie.Celle-ci est rpte. La premire version est brve et conforme lusageaccadien traditionnel (Rollinger 1998, 185): elle mentionne le pre (Vis-taspa-Hystaspe), le grand-pre (Arsama Arsams) et, via un patrony-mique, lanctre de rfrence (Haxamanis Achmens). La seconde suitimmdiatement, mais aprs la premire mention de lexpression rcur-rente le roi Darius dit. Elle comble lintervalle entre le grand-pre etlanctre de rfrence en donnant les noms de larrire-grand-pre (Ariya-ramana Aryaramns) et de larrire-arrire-grand-pre (Cispi Teisps).

    Plus loin dans le rcit (DB 10), Darius mentionne ses deux prd-cesseurs, Kuru-Cyrus et Kamb>jiya-Cambyse, leur attribue le titre de roiet en fait des membres de sa famille. Le rapport qui les unit sa stricte

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

    * Professeur au Collge de France, 11, place Marcelin Berthelot, 75005 Paris. Leprsent article expose la matire dun enseignement dispens au Collge de France durantlanne acadmique 2001-2002.

    1 En rpondant la question qui demande larrivant de sidentifier: en vieil-aves-tique, Y 43.7 cis ahi kahiia ahi qui es-tu? De qui es-tu (le fils)?.

  • ligne nest pas explicite2, mais semble document par le cylindre,dcouvert Babylone en 1879, o Cyrus se prsente comme fils deCambyse, petit-fils de Cyrus, arrire-petit-fils de Teisps. La ligne deCyrus et celle de Darius auraient donc pour origine communeCispiTeisps et larbre gnalogique des Achmnides se prsenteraitcomme suit3:

    418 J. KELLENS

    2 Car duvitaparanam, dans la seconde version de la gnalogie, ne signifie pas endeux lignes (malgr Lecoq 1997, 188), mais plus ou moins aujourdhui comme autre-fois (Tichy 1983, 229-233).

    3 Il nest pas vritablement confirm par Hrodote. Sa gnalogie de Xerxs concordeen gros avec celle de Behistun (VII 11) et il naccorde Cyrus, comme ultime anctre,que son grand-pre Cyrus I (rcit du livre I). Ainsi, quoique VII 11 fasse figurer unCyrus, un Cambyse et un deuxime Teisps entre le premier Teisps et Aryaramns (voir,en dernier lieu, Rollinger 1998, 196-199), lessentiel fait dfaut: la situation pivot deTeisps, fils dAchmens. Que la confirmation paraisse suffisante ou non en ltat, elleest tout de mme sans valeur, car Hrodote a sans nul doute recueilli la version achm-nide officielle, videmment indiscute trois quarts de sicle aprs la prise du pouvoir parDarius.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

    Achmens

    Teisps

    Cyrus I Aryaramns

    Cambyse I Arsams

    Cyrus II Hystaspe

    Cambyse II Darius I+ Bardiya

    Lauthenticit historique de cette gnalogie a t rgulirement miseen doute, avec plus ou moins de fermet, entre 1880 et 1902 (voir Rol-linger 1998, 166-170). Aprs une longue clipse, le scepticisme a fait sarapparition en 1978, avec la thse de Wiesehfer. Lide gnrale estque Darius, qui justifie son accession au trne en faisant du pouvoir

  • royal lantique proprit de sa famille, a falsifi sa gnalogie en yintroduisant Teisps. Cette annexion, soit constituerait une pure fiction(Briant 1996, 122; Rollinger 1998, 184-188), soit aurait t inspire parlhomonymie fortuite entre lanctre de Cyrus et celui de Darius (Wie-sehfer 1978, 212; de Miroschedji 1985, 282). Et lintrus, si cen estun, jette invitablement la suspicion sur celui qui le prcde. Achme-ns ne serait-il pas lui aussi une invention, destine justifier les droitsde Darius la royaut (de Miroschedji 1985, 282-283; Briant 1996,122)?

    Il reste non seulement que la manipulation na pas t dmontre aveccertitude, mais aussi que les difficults suscites par lhypothse de lau-thenticit, commodment rsumes par Briant (1996, 122), ont descontours flous. Que la branche ane et la branche cadette dune mmefamille se partagent le titre de roi nest inexplicable que si ce titre estcelui du roi unique dun royaume unitaire. Cest dire que le problme esten grande partie celui du mot xsayaiya-. Le dbat des conjurs sur lesmrites respectifs de la dmocratie, de loligarchie et de la royaut per-sonnelle, rapport par Hrodote, suggre que Darius navait pas unelgitimit suprieure celle de ses compagnons. Cela nest vrai que si lercit tout entier nest pas une invention littraire hellnique et, de toutemanire, la question de savoir si une lgitimit dynastique est plus oumoins grande renvoie elle aussi la conception du pouvoir royal. Il estvrai que la version longue de la gnalogie transforme lidentificationinitiale de Darius en premier argument de plaidoyer, mais la manuvreninfirme pas ncessairement lauthenticit de linformation.

    Pourtant, au congrs des orientalistes de 1902 Hambourg, Andreasavait introduit dans le dbat un argument prcis: lonomastique des rois(1904, 93-97). Alors que les noms de la ligne Haxamanis Daraya-vau, lexclusion de celui de Cispi, sont de toute vidence iraniens, ceuxde la ligne Cispi Kamb>jiya napparaissent pas demble commetels et seraient en ralit lamites (nous savons aujourdhui que ce nestpas le cas). Non seulement Cyrus et Darius ne sont pas apparents, maisles Teispides et les Achmnides nappartiennent pas la mme ethnieet celle des premiers nest pas iranienne. Cette hypothse na rencontraucun cho. Immdiatement combattue par Lehmann (1904, 97-99), ellena plus jamais t envisage comme une possibilit que rarement et

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 419

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • confusment (ainsi Wiesehfer 1978, 201-202). Elle mrite cependantdtre rexamine.

    Lintervention de largument linguistique dans le dbat historiquesoulve une question de principe quil convient de commenter. Cestquil existe, en iranologie, un vieux malentendu entre les linguistes oules philologues et les historiens ou les historiens des religions. Les pre-miers, quelques exceptions prs, se refusent contester les hypothseshistoriques dominantes, mme lorsquils auraient de bonnes raisons de lefaire. Les seconds sous-estiment la force probante des indices linguis-tiques parce quils relveraient dune mthode ressentie comme acroba-tique et scabreuse: ltymologie. Or, cette ide est lhritage anachro-nique du conflit qui opposa, au XIXe s., les partisans de la mthodetraditionnelle, qui entendaient interprter lAvesta au moyen de la tradi-tion religieuse qui le prolonge, et ceux de la mthode vdisante, qui pri-vilgiaient la comparaison avec les textes indiens du Veda. La rductionde lanalyse linguistique ltymologie est une manipulation polmiquequi fut systmatiquement pratique par les traditionalistes. Il faut relire, titre dexemple, comment Darmesteter rcuse lautorit des quiva-lences lexicales vdico-avestiques les plus videntes pour la raison queltymologie serait impuissante donner ces hypothses un caractrede certitude et de ncessit (ZA I 1892, XXXI XXXII). Les rusestactiques du vieux dbat sont devenues un aspect durable de nos tudeset ont t adoptes par des savants qui ne sont pas toujours bienconscients de leur origine et de leur relative inadquation thorique.Ainsi, Rollinger dfinit les arguments dAndreas comme des etymolo-gische berlegungen (1998, 170) et, dans le domaine de lhistoire desreligions, de Jong objecte aux vdisants daujourdhui le fait que ty-mologies can contribue little to the understanding of a concept (1997,58-59).

    Ces rserves seraient entirement justifies si ctait bien dtymolo-gie quil sagissait. Mais ce nest pas le cas. Elucider un mot iranienancien, quil soit avestique ou vieux-perse, consiste identifier ses l-ments constitutifs: racine, suffixe, dsinence et, sil sagit dun compos,sa syntaxe compositionnelle. Il est vident que cette analyse est dordrepurement synchronique, donc trangre ltymologie, lorsquelle estpraticable sans quil faille sortir du cadre strict de liranien ancien. Si

    420 J. KELLENS

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • celui-ci noffre aucune possibilit didentification, la principale solution4

    consiste solliciter le sanscrit vdique et elle non plus ne relve pas deltymologie. La comparaison du vdique et de liranien ancien, qui sontdes langues approximativement contemporaines et trs troitement appa-rentes, consiste seulement oprer une trs lgre et trs banale trans-position, comme si on versait du lorrain en picard. Cest en ralit fairede la dialectologie. La difficult survient lorsquaucune explication nestdisponible dans le cadre indo-iranien. Le recours aux autres languesindo-europennes relve bien de ltymologie, car, pour tablir un rap-port entre un mot indo-iranien et un mot dun autre domaine indo-euro-pen, il faut reconstruire la forme prhistorique qui est actualise danslun et lautre et qui est donc, proprement parler, un tymon thorique.

    Lexpos qui prcde ne rend pas compte de toutes les difficults quipuissent entraver lidentification dun mot, mais il suffit expliquer quelanalyse des linguistes nest parfois dfinie comme tymologique quepour tre rvoque en doute cause de la fragilit de ses mthodes. Ilapparat, dans le cas de lonomastique achmnide, que les noms de laligne de Darius, Cispi except, appartiennent la catgorie la moinsproblmatique, celle des mots immdiatement explicables dans le seulcontexte iranien ancien. Des difficults secondaires, qui nont rien voiravec ltymologie, se prsentent dans deux situations prcises. Il estimpossible de prouver jusqu lvidence que se soient appliqus desprocds qui nont pas cours dans la composition des noms communs,comme la rduction au premier terme (noms courts: e.g. Bardiya-) oulextraction dun texte donn (noms de citation: e.g. Darayavau-). Ilest toujours hypothtique, des degrs divers, de reconstruire lecontexte qui livre la nuance smantique exacte du nom propre: parexemple, rsoudre lellipse ventuelle dun troisime terme composi-tionnellement interdit (e.g. Haxamanis-), opter entre le sens littral ou lesens mtaphorique (arsan- signifie-t-il taureau ou hros dansArsama- ?) ou tablir les reprsentations gnrales qui se refltent dans

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 421

    4 Le recours aux dialectes iraniens moyens et modernes soulve des questions tho-riques diffrentes qui nont jamais t vritablement discutes. Par exemple, traduire av.voigna- par famine daprs sogdien wgnh (sur cette question, voir Panaino, principale-ment 1991 [1993], 79 n.10), cest donner autorit lhomonymie sur le sens en renonant toute explication historique de cette homonymie. Il arrive trangement que ltymologiepar laval exclue ltymologie par lamont (bien vu par Thieme 1960, 269).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • le nom (Vistaspa- a-t-il des connotations guerrires ou eschatolo-giques?).

    A linverse, les trois noms de la ligne de Cyrus ne sexpliquent nidans le cadre iranien ancien, ni dans le cadre indo-iranien, ni mme,pour deux dentre eux, par ltymologie indo-europenne. Le fait queKuru- et Kamb>jiya- soient homonymes du nom de deux peuples attes-ts dans le monde indien, Kuru- (Mayrhofer, EWA 1992, 371) et Kam-boja- (ibid. 307), est dautant plus impressionnant que Yaska attribue ausecond un trait dialectal iranien (savati pour dire il va). Mais la cor-respondance est inutilisable ds lors quelle ne dbouche sur aucuneinterprtation linguistique. Significativement, Kamboja- a pu tre consi-dr comme un mot dorigine austro-asiatique. Par leur structure, Cispi-,qui ne peut tre lassemblage dune racine et dun suffixe rpertoris, etKamb>jiya-, trisyllabique, sont irrductibles toute analyse. Kuru- per-met effectivement une tentative tymologique: la comparaison avec lemot vdique *kava- exclusivement attest dans de rares composs, sansrapport avec un verbe productif, mais qui semble apparent la racineindo-europenne occidentale *kau- humilier, dcourager. Cette ty-mologie est phontiquement irrprochable, mais la faiblesse du matrielcomparatif et la difficult introduire le sens de ltymon dans le nompropre sans procder une contextualisation lourde et arbitraire la ren-dent singulirement fragile5. Il sagit de ce quon pourrait appeler unetymologie volontariste.

    Force est de constater que la gnalogie de Behistun associe deux sriesonomastiques fortement contrastes. Les noms de la ligne de Darius sontparfaitement et immdiatement lisibles en iranien, ceux de la ligne deCyrus sont opaques et un seul dentre eux peut, condition que lon ytienne vraiment, tre tymologis. Cest un indice dont il faut tenir compteet tirer toutes les consquences. Il tend confirmer la manipulation gna-logique visant associer fictivement les Teispides et les Achmnides,mais cest aussi en suggrant que les premiers ne sont pas des Iraniens.

    422 J. KELLENS

    5 Cet essai est fond sur le mme matriel lexical que celui qui a suggr jeune(voir Mayrhofer 1979, 24), mais en rectifie le sens original. Son auteur, Hoffmann (apudMayrhofer, KEWA III 1980, 677, daprs 1957, 59-63), comprend qui humilie (sonadversaire dans la joute oratoire), quoiqu aucun texte nassocie *kava- la pratique duverbal contest.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Cette ventualit est toujours prise en compte par Mayrhofer (1979).On lit, sous C-i-s-p-i, nicht idg. Herkunft keinesweg ausgeschlos-sen (p. 18), sous k-b-u-ji-i-y-, Vermutung eines nichtiranisches Namens(p. 23), sous ku-u-ru-u, Nichtiranischer Ursprung ist nicht principiellauszuschliessen (p. 24). Et il est tout aussi intressant de relever, pro-pos de Cispi-, la raison pour laquelle elle na pas obtenu la prfrence:Durch den iran. Ursprung der Namen seines Vaters [H-x-a-m-n-i-s]und seines Sohnes a-r-i-y-a-r-m-n wird nichtidg. Herkunft von C nichtwahrscheinlich. Cest essentiellement le postulat de lauthenticit his-torique de la gnalogie bagistanienne qui a entretenu la rserve des lin-guistes. Lhypothse de la non-iranit des Teispides nest ni une fantai-sie, ni une nouveaut, mais une alternative solidement argumente quelincomprhension relative entre linguistes et historiens a indmentaffaiblie. Les premiers devraient se convaincre que lauthenticit histo-rique de la gnalogie bagistanienne est un postulat dont on peut douter,et les seconds que lon peut douter de liranit de Cyrus parce que sonnom ne sexplique que par une tymologie dont on peut douter.

    Or, linterprtation linguistique nest pas seule en cause. Lonomastiquedes Achmnides ne contraste pas seulement avec celle des Teispides parsa lisibilit iranienne, mais aussi par sa forte imprgnation culturelle. Ledtail nest pas mince, car le nom que lon se donne, ft-il vrai ou fictif, quelqupoque de la vie quon lait reu ou adopt, est celui sous lequel onveut apparatre. Par les siens, la ligne de Darius arbore son adhsion auxschmes de pense qui fondent la conscience de soi iranienne6.

    Les noms les plus clairement connots sont bien entendu Vistaspa-aux chevaux dtels7, identique celui du neuvime et dernier kavi

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 423

    6 Skjaerv (1999, 34-36) sest rcemment attach relever les connexions que cesnoms entretiennent avec le formulaire potique indo-iranien, mais le titre de son article,Avestan Quotations in Old Persian? Literary sources of the Old Persian Inscriptions,est quelque peu biais. Il ne sagit en ralit ni de citations, ni de sources, mais de paral-lles, et non seulement avestiques, mais indo-iraniens.

    7 Linterprtation de Lecoq (1997, 4 n. 2), pour qui ce nom fait allusion lutilisationguerrire du cheval comme monture plutt que comme attelage, ne repose sur aucunedonne textuelle. Par contre, le dtelage est une mtaphore eschatologique indo-iraniennelargement atteste: e.g. RS 3.53.20 svaty 0 ghbhya 0vas0 0 vimocnat (Amne-nous)en scurit jusqu la maison, jusquau relais, jusquau dtelage, Y33.5 auuahaneapano dargo.jiiaitim a xsarm rzus pao quand on dtelle, ayant atteint lem-prise qui donne la longvit (et) les chemins directs (Kellens 2001, 748).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • de la tradition avestique, et Daraiiavau-, cit dun texte au moins simi-laire au vers gthique Y31.7 dmis a+m ya daraiia vahistm mano lefondateur (de lAgencement) grce qui la trs bonne Pense soutientlAgencement (Kellens, in Kellens et Pirart, TVA I 1988, 40-41)8.Ariyaram(a)na et Arsama- ne sont plus neutres quen apparence. Le pre-mier commence par le nom que les Iraniens se donnent eux-mmes9.Arsama- assemble le nom de la force offensive, ama-, dont lAvestarcent fait occasionnellement une allgorie divine, et le nom du taureau,qui compose celui de trois kavis (Arsan, Biiarsan, Siiauuarsan) et estlpithte spcifique dun quatrime (Yt5.22 ets arsa airiianm daxiiu-nm haosrauua). Est-ce un hasard si lvocation de Haosrauuah, cehuitime kavi qui revt une importance particulire pour les nations ira-niennes, est si bien adapte la situation dArsama, qui a la forceoffensive du taureau, entre Ariyaram(a)na et Vistaspa?

    Ainsi, les noms achmnides, dAryaramns Darius, sont modelssur le cours de lhistoire mythique de lIran, depuis la fin de limmorta-lit de Yima jusquau dbut de celle de Zaraustra. Ils voquent succes-sivement la constitution des nations airiia, les kavis taureaux, ledernier kavi et le texte gthique. Reste lanctre Haxamanis. Lassocia-tion en compos du nom de lami (haxa-) et dun driv du verbe manpenser ne fait pas un sens immdiat. Skjaerv (1999, 35) avance pru-demment que lon pourrait comprendre he who has his friends at heartpar allusion au sacrifiant bienveillant qui ne demande pas seulement desbienfaits pour lui-mme, mais aussi pour ses amis (daprs Y68.10-12,qui ne contient pas man). Il y a mieux. On observe, en vdique comme en

    424 J. KELLENS

    8 Ce nest pas le seul nom perse de citation gthique. Le nom (dintronisation) du roiArtaxsaa- (Artaxerxs) voque Y29.10 aogo data a+a xsarmca donnez par lAgence-ment la puissance et le pouvoir, celui du rebelle perse Vahyazdata- Y48.4 y da manovahiio qui rend la pense meilleure et, moins srement, ceux des deux complices deDarius Vindafarnah- (Intapherns) et Gaubaruva- (Gobryas), respectivement, Y51.18xvarn vido et Y32.14 hiiaca gaus jaidiiai mraoi quand la vache est maltraite pourtre tue.

    9 Skjaerv rapporte ce nom les connexions avestiques entre raman- et les pays airiia(Yt10.4). Ce nest pas tout fait correct, en dpit dune synonymie relative: oram(a)na-drive de ram tre tranquille et raman- dune racine ra = scr. ilyati (Narten 1968, 71-73). On doit plutt penser Yt13.95 daxiiunm yaozaitisca ramaiieiti il fait rester tran-quilles ceux des pays qui sont en trouble, daxiiu- supposant airiia- comme dans Yt10.4.Ariyaram(a)na- qui pacifie les Iraniens est prsent comme celui qui apaise les ten-sions politiques des groupes sociaux iraniens.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • avestique, que le verbe man ne rgit le nom de lami quen double accu-satif: ainsi RS 10.7.3 agnm manye skhayam et Y46.13 tmmhmaidi hus. haxaim. Haxamanis porte donc un nom elliptique, peut-tre cit de Y46.13, qui invite deviner qui il considrait comme son ami.La strophe vdique fournit probablement la rponse: le feu rituel. Si cettehypothse est exacte, Darius a chapeaut sa gnalogie remodele dunanctre ponyme dont le nom rsume lesprit du rituel mazden: celuiqui pense (que le feu est) son ami. Si ce nom nest pas rel, il est remar-quablement bien trouv. Darius avait une bonne raison dinventer Haxa-manis: attribuer aux Teispides et aux Achmnides runis un anctre derfrence dont le nom exprimt un trait fondamental de la culture reli-gieuse iranienne. Il avait aussi une bonne raison de faire en sorte queCyrus, en de fausses inscriptions, se proclamt lui-mme achmnide.

    Lhypothse ici dfendue sur la gnalogie de Behistun conforte le sc-nario des origines de lempire achmnide propos par de Miroschedji(1985, 287-306), mais avec quelques nuances. On peut admettre que le sacde Suse par Assurbanipal en 646 a t loccasion dune scission entre lehaut pays lamite, lAnsan, et le bas pays, la Susiane. Lanctre de Cyrus,Teisps, a pu accder au pouvoir sur lAnsan entre 646 et 636, ce qui cor-respond parfaitement lintervalle de 25 ou 30 ans que lon postule tho-riquement entre les gnrations. On peut aussi admettre que les mmesvnements ont procur aux Mdes une plus grande marge de manuvreet que la dislocation ultrieure du royaume assyrien leur a permis denta-mer leur expansion entre 630 et 615, alors que le royaume dAnsan taitcontenu par la reconstitution de celui de Susiane partir de 625. Cettemonte en puissance peut tre attribue, sinon Deioks, du moins Cyaxare, qui, daprs les prtentions des rebelles de Behistun, parat larfrence archtypique du nationalisme mde. On peut douter par ailleursque lexpansion des Mdes ait comport lorganisation dune monarchieunitaire (Sancisi-Weerdenburg 1988, 197-212) et la mise sous tutelle desPerses (Rollinger 1999, 127-136). Limage que Behistun donne de la rela-tion particulire entre les deux nations iraniennes sera examine plus loin.

    Il semble acquis par larchologie que le pays de Parsu(m)a, attestpar les sources assyriennes dans la seconde moiti du VIIe sicle, estgographiquement distinct et fort loign du pays Parsa que Dariusrevendique comme le sien (de Miroschedji 1985, 276-277; Rollinger

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 425

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • 1999, 115-125). Il sensuit que lon peut srieusement douter de liden-tit des toponymes, en dpit du fait quelle soit phontiquement lgitime,et cela dautant plus que le nom de Cyrus, sil nest pas iranien, ne lesrelie pas ncessairement. Du coup, lemploi de lethnonyme parsa-perse devient dlicat manier. Nous ne pouvons savoir si, avantlemploi que Darius en fait dans Behistun, il dsignait lensemble eth-nique htrogne qui peuplait lAnsan ou la seule composante iraniennedu royaume dElam. Dans le premier cas, le mot nest pas srement ira-nien, mme si, la manire du nom de Cyrus, il peut tre tymologis.Dans le second, il est probablement iranien, mais son ventuelle ind-pendance vis--vis de parsu(m)a rend hypothtique la sduisante inter-prtation de Pirart, qui en fait le driv patronymique de *parsu- cte(1995, 57-68), et rend quelque chance aux fils du cochon entrevus parSergent (1995, 204)10. La prudence invite en tout cas parler de Persesiraniens pour dsigner les anctres de Darius.

    Les Perses historiques, cest--dire daprs 522, sont bien issus declans11 qui nomadisaient depuis un temps indtermin dans le haut payslamite et qui ntaient, du point de vue ethnique, que partiellement ira-niens ou lamites. Mais le mot ethnogense propos par de Miro-schedji (1985, 295) et Rollinger (1999, 123-127) nest pas parfaitementadquat pour dfinir cette filiation. Nous sommes en train de constaterque les Perses iraniens, quelle quait t lhumilit de leur culturematrielle, taient dtenteurs dune idologie prcise et structure quifaisait deux un peuple la culture spcifique et leur confrait une forteconscience de soi. Ce qui sest produit, dans le courant du VIe sicle, cenest pas exactement la naissance dun peuple, mais liranisation pro-

    426 J. KELLENS

    10 Le nom indo-europen du porc *porko- est attest en iranien ancien (av. parsa-) etmoyen (khot. pasa). Lanimal nest pas considr pjorativement et peut tre immol(Hoffmann 1967, 33-36).

    11 La dfinition des chefs de ces clans comme aristocratie guerrire (frquent chezGnoli, le plus explicitement 1980, 181) est purement gratuite. Le mot noblesse ouaristocratie na pas de sens hors du contexte de lAncien Rgime europen et la quali-fication guerrire est induite de lacceptation aveugle de la thorie du Mnnerbund,dont Oberlies crivait rcemment (1998, 210 n. 293): Allerdings ist gerade WikandersArbeit in einem solchen Masse spekulativ, dass ihre Ergebnisse so man denn berhauptvon solchen sprechen kann nur mit usserster Vorsicht zu verwerten sind. Dune faongnrale dans nos tudes, laspect guerrier des choses est exagrment accentu. Il faut semfier de la fascination des gens de cabinet pour les trognes pe.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • gressive de toutes les ethnies de lElam, llamite comprise terme. Ilsemble que liranisation des Teispides ait t largement entame autemps de Cyrus II. Darius net certainement pas pu prtendre que celui-ci tait de sa famille si la langue ou la religion les avaient irrmdia-blement diffrencis. Des mariages avec des princesses mdes (Man-dane, Amytis) ou des filles du clan perse iranien des Pharnaspides(Cassandane) semblent avoir introduit de lonomastique iranienne dansla gnration de Cambyse II: ainsi les noms de Bardiya, si cest bien letraitement de *bdant- grand en nom court, et dAtossa, si elle napas t ainsi rebaptise lors de son mariage avec Darius. Largumentque Lehmann opposa demble Andreas (1904, 97-99) doit treretourn: il napparat pas que la ligne de Teisps soit devenue min-der rein arisch par ses mariages avec des trangres, mais au contraireque ses mariages avec des iraniennes ont contribu lassimiler.

    Le coup dtat de Darius en 522 reprsente une rupture encore plusimportante que la soulign de Miroschedji (1985, 306). Cest lvne-ment qui fait tomber le pouvoir sur tout le Proche-Orient, de la Mditer-rane lIndus, aux mains dun peuple qui appartenait pleinement aumonde culturel iranien. La famille qui la exerc tait nationaliste etbigote.

    Dans le 4 de Behistun, aprs avoir dress sa gnalogie, Dariusaffirme que sa famille (tauma-) a produit huit rois et quil est le neu-vime. Il cre ainsi un problme classique de liranologie, car aucun cal-cul simple ne fait le compte12. Limpression prvaut que ce qui fausse lejeu rside dans la manire doublement dtourne dont Darius prsenteson ascendance. Dune part, les 5 anctres en ligne directe du 2 nesont jamais dsigns comme rois, une abstention imite par Xerxs (Pf),Artaxerxs II (Ha, Hc, Sa, Sc) et Artaxerxs III (Pa), qui ne dcernentpas le titre de xsayaiya en amont de Darius13. Dautre part, Cambyseest bien qualifi de roi et, logiquement, travers lui, son pre Cyrus,mais cest plus loin dans le rcit (10) et sans que le lien qui les faitmembres de la tauma achmnide soit exactement dfini. Dans les faits,

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 427

    12 Rollinger fait lhistorique passionnant des hypothses (1998, 156-176) avant dedvelopper la sienne.

    13 Mais Artaxerxs I (PA, VS) se singularise en le rservant son pre Xerxs et enle refusant son grand-pre Darius.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Darius naccorde le titre de roi quavec une extrme parcimonie, et sansfioritures quand il ne sagit pas de lui-mme. La royaut de Cambyse estla seule explicitement reconnue, en mme temps que son champ dappli-cation est rduit un point gomtrique (ida xsayaiya roi ici!).

    Rollinger a justement soulign que deux principes imprieux devaientprsider nos conjectures. Le premier est que, Darius faisant de laroyaut laffaire de sa tauma, tout membre mentionn de sa tauma estpotentiellement un roi (1998, 178-179). Le second est quil ne faut pasprendre en compte les rois historiquement certifis, mais ceux queDarius souhaite prsenter comme tels (182-183). Ce point de vue dgageune alternative simple: dans le cadre de la gnalogie reconstruite quiassocie celle de Darius selon Behistun et celle de Cyrus selon lecylindre, il y a quelquun de trop; si on nglige Cyrus I et Cambyse I,que Darius passe sous silence, il y a quelquun de trop peu. Rollingerretient ce dernier cas de figure et soutient que le manquant est Bardiya /Gaumata, roi trop proche et trop rel pour que Darius ait pu lescamoter(187-188). Mais cela ne tient pas. Pour Darius, Gaumata nest ni unmembre de la tauma achmnide, ni un roi lgitime, mais un menteur etun usurpateur. Au bout de sa belle analyse, Rollinger a malencontreuse-ment drog au principe quil avait tabli et rendu le pas lhistoricitsur lintentionalit.

    Or, la gnalogie en deux lignes laquelle Darius nous invite croire ressemble trangement celle que le Bundahisn14 dresse des neufshros qui ont travaill lultime perfectionnement du monde, les kavis.

    Les deux gnalogies sont identiques par leur structure deuxanctres communs deux lignes , mais prsentent deux divergencesqui interdisent leur superposition. Lune est probablement carter:Manus et Ozan, qui allongent la ligne cadette et font dfaut dans la tra-dition avestique, sont sans doute des ajouts secondaires, voire une illu-sion. Ces noms, dont la lecture est incertaine cause de laccumulationdes signes multivalents (m + a + n + s et w + z + w), rappellent ceux deshros prkaviques Manuscira et Uzauua, dont ils pourraient tre le

    428 J. KELLENS

    14 Edition Anklesaria 35.28-31 et 34, 36.7; Traduction West 31.25-29, 34.7 (Christen-sen 1932, 70; Humbach 1998, 144-145 ne donne pas la gnalogie de la ligne cadette).Lordre des kavis horizontaux est repris lAvesta, le Bundahisn numrant successive-ment Ars, Byars, Pisinang et Kayus.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • driv patronymique (manus < * manusa-, form sur le nom court, etozav < *auzava-). Dans ce cas, il sagirait du rappel pralable de las-cendance antrieure aux kavis. Par rapport la gnalogie des kavis,celle des achmnides est dficitaire de deux units horizontales et exc-dentaire dune unit verticale dans chaque ligne. Le premier point nedoit pas tre sous estim: fussent-ils sans descendance significative,Arsan et Biiarsan entrent dans le compte des neuf. Quant limportancedu second, il saute aux yeux: les deux seuls rois attitrs de Behistun cor-respondent, dans lordre de succession, des personnages qui ne sontplus des kavis. Cambyse II se situe au niveau dAxrura, dont nous nesavons rien, sinon quil nhrita pas du titre de son pre, et Darius, enrevendiquant le rang de neuvime, semble usurper celui de Vistaspa,pourtant homonyme du neuvime kavi.

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 429

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

    Kay (Kauui) Kavad (Kauuata)

    Kay Abiveh (Aipi.vohu)

    Kay Kayus Kay Ars Kay Pisinang Kay Byars(Usan) (Arsan) (Pisinah) (Biiarsan)

    Kay Siiauuaxs Manus(Siiauuarsan)

    Kay Xosro Ozav(Haosrauuah)

    (Kay) Lohrasp(Auruua.aspa)

    (Axrura) Kay Vistasp(Vistaspa)

    Les similitudes et les disparits apparaissent comme leffet combindune suggestion fournie par la ralit et dune invitable concession cette mme ralit. Le nom du pre de Darius a offert lopportunit demodeler la gnalogie des Achmnides sur celle des kavis, mais ctait

  • condition doprer une certaine fusion entre le pre et le fils. Vistaspaa le nom, Darius le titre, celui de xsayaiya substitu kavi, le neu-vime rang, quil sattribue en dpit de larithmtique, et une pousednomme Atossa (Hutaosa) comme celle du kavi. Darius est unhomme fait de deux: il est la fois lui-mme et son pre. Ici rsidepeut-tre la raison profonde qui lui fait dire (DSf 12-14) que son preHystaspe et son grand-pre Arsams taient vivants lorsquil a pris lepouvoir15. Le premier est prsent comme le collaborateur efficace deson fils et la longvit du second justifie peut-tre (mais non srement,comme nous verrons) que le titre royal ait saut une gnration. Secon-dairement, Darius tait contraint de dplacer les cases occupes parArsan et Biiarsan de lordre horizontal lordre vertical. Il ne luidplaisait peut-tre pas de laisser Cambyse, incapable de conserver lepouvoir, en regard de quelquun qui ntait pas kavi. Aussi, le dcalageexpliquerait bien pourquoi Lohrasp, qui correspond Arsams, a reusecondairement, entre Avesta et Bundahisn, le titre de kay sans avoirjamais t un kavi arithmtique.

    La manipulation gnalogique de Darius sinscrit dans une oprationidologique en profondeur visant faonner la famille achmnide sur lemodle de celle qui, dans lordre du mythe, protgea lidentit nationaleet la religion iraniennes naissantes. Ce fut aussi le facteur dclenchant dela collision entre le titre de kavi et celui de xsayaiya16. De hros arch-typiques, les kavis sont devenus rois comme les xsayaiyas. Lesxsayaiyas ont transcend le statut de roi pour devenir, comme les kavis,les agents dcisifs de lhistoire du monde. En se prsentant comme leneuvime xsayaiya, Darius signifie quaprs une priode de crise vio-lente, il refonde lordre harmonieux que le neuvime kavi avait instaurdans le bois et dans le roc (Yt 19.85) en recevant la religion qui

    430 J. KELLENS

    15 Largument a t perverti par Xerxs (XPf 19-32), qui, prfr ses frres ans,justifie son accession au trne du fait que la volont divine ne se soucie pas de lordre desnaissances. Ce qui semble avoir fait problme pour Xerxs ne vaut pas pour Darius. Quilait succd aux Teispides la tte de lempire ne semble pas avoir dplu Hystaspe, quiy a activement collabor, ni sans doute Arsams, qui devait tre un grand vieillard en522.

    16 Le fait que les kavis du Veda sont occasionnellement dits ghpati ou vispti estsans relevance. Lautorit sur les deux cercles les plus restreints de lappartenance socialene fait pas un roi.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • garantit aux Iraniens limmortalit de la pense et la rsurrection ducorps.

    La gnalogie fabrique par Darius et lonomastique de la ligneachmnide tmoignent imprieusement du fait que les Perses iraniensconnaissaient, en 522 et depuis deux gnrations au moins, cette partiede lhistoire mythique o se dploie lactivit des neuf kavis. La priodedirectement prcdente, o sopre la diffrenciation ethnique, a peut-tre inspir le nom dAryaramns, si ce nest pas la personnalit du kaviHaosrauuah. Une inscription postrieure Behistun rvle plus srementque Darius connaissait les rcits relatifs lorigine des nations ira-niennes. DNA 42-47 proclame avec une certaine emphase: Alors tusauras, alors il te sera vident que la lance de lhomme perse est alle auloin, alors il te sera vident que lhomme perse a rejet lennemi loin dela Perse17. Il nest pas sr que lexpression la lance de lhomme perseest alle au loin, qui serait la seule image de tout le corpus scripturaireachmnide, soit le produit dun exceptionnel panchement potique.Elle fait irrsistiblement penser la lgende de larcher rxsa, quiobtint de lennemi tura que lespace survol par sa flche devienne leterritoire des Iraniens18. Cet pisode du dbut de lhistoire nationalemythique rxsa, contemporain de Manuscira, appartient ladeuxime gnration ethniquement diffrencie est indubitablementancien, car lAvesta y fait une allusion rpte (Yt 8.6, 37), et sembleavoir revtu une importance toute particulire pour la conscience natio-nale iranienne. Aprs avoir vaincu les Romains et restaur lintgrit deson royaume, le roi sassanide Shahbuhr I a reproduit symboliquement letir et fait graver linscription de Hajjiabad pour le faire savoir. Huitsicles plus tt, lvocation mtonymique de la lance par le fondateur delempire achmnide proprement dit rpondrait au mme souci de com-mmorer et dassimiler lacte qui permit la premire extension territo-riale iranienne. Il y aurait alors une raison idologique prcise ce queles grands rois aient rig le port de leur lance et de leur carquois enfonction aulique (explicitement DNcd) et exalt leurs qualits darcher etde lancier (DNb 42-45, XPl 47-50). Un mythe des origines faisait du voldes armes de jet limage symbolique de lappropriation de lespace.

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 431

    17 Traduction de Schmitt (2000, 30 et 32), daprs Wackernagel (1932, 29-30).18 Bien vu par Piras (2000, 101).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Les hommes qui, en 522, thorisent le pouvoir dont ils viennent desemparer connaissaient lhistoire mythique de leur peuple, du moins sapartie nationale, car celle des origines humaines ne semble faire lobjetdaucune allusion. Par contre, on ne peut savoir sils en connaissaient laversion mise en chronologie, cest--dire la doctrine des millnaires.Celle-ci, sans doute, est ancienne. Thopompe, au tmoignage de Plu-tarque, en avait t inform ves 350 et nous avons des raisons plus oumoins bonnes de penser quelle tait constitue au moins un sicle plustt19. Mais Darius nen parle pas. Il apparat seulement que le rcit deBehistun est dispos en triptyque temporel: il voque successivement lepass, le prsent et lavenir. Le premier (1-4) est reprsent par la listedes rois du pass (4 paruvam), le deuxime (5-54) par le rcit desactions de Darius et le troisime (55-59) par linterpellation des rois venir (aparam en encerclement, 55-56 et 64-65). La ncessit du mes-sage explique sans nul doute que la part du prsent soit disproportion-ne. Mais linsistance sur le fait que tout a t accompli en une seule etmme anne, si elle reproduit un type dautoclbration commun toutle Proche-Orient ancien (en dernier lieu Skjaerv 1999, 14-15), rpondpeut-tre aussi la volont de rduire la dure du prsent, dfaut de laplace qui lui est consacre.

    Cette particularit mise part, deux passages gthiques prsentent unestructure du mme type, souligne aussi par lemploi de pauruiia- et deapara-/apma-. Le premier, que nous comprenons le moins bien, est Y31.7-20 (Kellens et Pirart, TVA III 1991, 56-58). Les strophes 7 11commentent le pouvoir cosmogonique dAhura Mazda, dont elles souli-gnent, en encerclement, le caractre ancien (7 pouruiio et 11 paou-ruuim). Aprs deux strophes de transition, 14 17 interroge directementle grand dieu sur la nature des actes rituels et 18 20 dcrit les rcom-penses et les punitions quils vaudront finalement leurs auteurs (20aparm). Le second est le long interrogatoire de Y44 (Kellens et Pirart,TVA III 1991, 171-173), dont la premire partie (2-7) porte sur le

    432 J. KELLENS

    19 Selon un passage de Xanthos de Lydie conserv par Diogne Larce, sil est bienexact 1. que Zoroastre est situ 6.000 et non 600 ans avant la seconde guerre mdique, 2.que cette datation en apparence fantastique rfre non la naissance matrielle, mais laconstitution de lme prexistante (Jackson 1901, 152-154, revisit par Gnoli 2000, 67-79).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • dbut cosmogonique (2 paouruuim), la deuxime (8-11) sur la daenadu sacrifiant actuel, la troisime (12-19) sur les rcompenses et les puni-tions finales (19 apma).

    LAvesta rcent nignore pas cette structure rhtorique. Le Yast 19rpartit son histoire de la possession du xvarnah en trois phases qui cor-respondent trois trimillnaires: le xvarnah des dieux et le trimillnairedu monde immatriel (9-24), le xvarnah des kavis et le trimillnaire desorigines (25-87), le xvarnah du saosiiat qui abolira le temps (88-96)20.Les deux premires phases sont ensemble constitutives du pass, la troi-sime appartient lavenir, tandis que le prsent est illustr par les deuxparagraphes centraux (53-54) o Ahura Mazda exhorte les hommes conqurir le xvarnah et assigne en rcompense leurs efforts a+i etvrra 21.

    Darius a donc conu lexpos de Behistun selon un topos de la rhto-rique religieuse mazdenne et, dans une certaine mesure, il maintiendracet usage. Les inscriptions les plus significatives font invariablement sesuccder lvocation de la cosmogonie, la prsentation du roi et de tel outel de ses actes, la propitiation de lavenir. Cette imperturbable insertiondes faits dans une analyse ternaire du temps nimplique pas quil dispo-sait de la doctrine des millnaires, mais deux dtails invitent penserquil se rfrait celle dun temps fini, lorigine et la fin bien dter-mines. Darius a mrit le pouvoir parce quil a t capable de ragirpromptement et dcisivement lintrusion de la tromperie dans la suc-cession dynastique (13). Sa royaut, comme lOrdre cosmique22, a tfonde par lagression du mal et la riposte cette agression. Dautrepart, en se parant, quand il accde au trne, dun nom de citationgthique, il a pu vouloir imiter le saosiiat final Astuua.rta, dont lenom reproduit Y43.16 astuua a+m23. Sans doute Darius a-t-il voulu seposer avant tout en pivot de lhistoire, hritier des temps anciens et fon-dateur des temps nouveaux, comme le neuvime kavi. Mais il na pas

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 433

    20 Comme la bien vu Herrenschmidt (1998, 131-143), mais jignore si cette structureest la source de la doctrine des millnaires ou en implique dj lexistence.

    21 Kellens 1999, 749. La part du prsent parat singulirement mince, mais il est pos-sible quelle ait t tronque du texte dont on a fait le Yast 18 (Kellens 1996, 89).

    22 Sur les sources avestiques (Yt 13.53-58 et 76-78) de lebgat sassanide, lAssaut,voir Kellens 2001a, 471-474.

    23 Relev par Pirart, apud Kellens 1999, 757 n.35.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • nglig non plus de souligner ou de provoquer des analogies avec lactedes origines et celui de la fin.

    Si universel quil ait voulu dpeindre son rle, Darius ne pouvait assu-mer toute la dure cosmique. Il a eu des prdcesseurs, dont il dresse laliste pour commencer, et il aura des successeurs, quil admoneste pourfinir. Comme tout homme, il ne dispose que de son prsent. Est-ce alorsun hasard si cest en voquant le temps o il ne sera plus quil dsigneles dieux par la formule Auramazda uta aniyaha bagaha tayai hantiAhura Mazda et les autres dieux sont-toujours?24 Lexpression nerapparatra plus dans les inscriptions achmnides et pourrait tre unarchasme en voie de disparition, comme dans lAvesta rcent, mais onne peut viter de constater que le moment tait venu dopposer la situa-tion des dieux dans le temps et celle des hommes, fussent-ils rois, pourplacer luvre de ceux-ci sous la sauvegarde de lternit.

    2. LA NOTION DE ROI

    Darius na pu manipuler sa gnalogie qu deux conditions: que lafraude ne ft pas vidente et que plusieurs personnes pussent porter enmme temps le titre de xsayaiya. La premire ne fait aucune difficult,car les souvenirs oraux recueillis par un individu ne remontent ordinai-rement pas au-del de son arrire-grand-pre25. La seconde exige un exa-

    434 J. KELLENS

    24 Je rappelle que cet emploi du verbe ah tre na de valeur ni ontologique (lesdieux ont lexistence pour caractristique mme) ni contingente (tous les dieux qui peu-vent bien exister) cette dernire interprtation a suscit lhypothse que les autresdieux seraient ceux de ltranger (Gnoli 1983, 7-22). La relative tayai hanti a pour qui-valent vieil-avestique yoi hti, qui dsigne aussi les dieux, mais sans antcdent expli-cite. Cest le raccourci de la formule yoi harca htica buuaitica (reconstruite par lacombinaison de Y 45.7 et Y51.22) et en mme temps son synonyme par un effet de lasmantique du verbe ah. Celui-ci est le verbe duratif par excellence. Dans lemploi absolu lindicatif prsent, sans attribut ou complment circonstanciel qui en fixe les limites, ladure du procs devient indfinie, infinie, si bien que ceux qui sont signifie ceux quisont depuis et pour toujours (Kellens 1989, 51-64).

    25 Il y a un dtail embarrassant dans lexpos de Darius: lemploi du mot tauma-. Dedeux choses lune: ou il dsigne le plus petit cercle de lappartenance sociale, commevariante dialectale dav. xvaetu- ou nmana-, et il est impropre traduire le lien suggravec Cyrus et Cambyse, ou il nest quun synonyme approximatif de vi- et le vocabu-laire des cercles sociaux sest dlit en vieux-perse. Il ne me semble pas quil soit pos-

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • men approfondi de la notion de roi selon les Achmnides. Pour laforme, xsayaiya- est le driv la fois vident et compliqu de laracine xsa. Pour le sens, la seule vidence disponible est que le titreappartient celui qui dtient le xsaa-, autre driv de xsa. Il sagit doncde cerner les variations smantiques qui ont pu se produire dans la confi-guration forme par les trois mots xsa, xsaa- et xsayaiya-.

    A. La racine ka: xsa a produit, dans les trois dialectes indo-iraniensanciens, le mme prsent en - aa - avec degr zro du radical: scr.kya-, av. xsaiia-, v.-p. xsaya- < *ksH2 - o- (Kellens, VA 1984, 135).Laoriste thmatique xsa- < *ksH2-e/o- est propre au vieil-avestique (VA365-366), mais son optatif survit en rcent titre de prcatif (Y 60.8 xsaesa: VA 391-392).

    Le vieil-avestique oppose de manire presque systmatique, sans dis-tinction de sens, le prsent actif laoriste moyen. Seul fait exception leparticipe prsent, o la diathse distingue deux emplois particuliers. Lemoyen, comme toutes les formes personnelles du prsent actif et de lao-riste moyen se construit avec le gnitif, au sens disposer de, tre matrede: e.g. Y 31.19 xsaiiamno hizuuo vaso matre comme il veut de salangue. Lactif, accord au sujet du verbe personnel, fonctionne la manire dun auxiliaire de mode pour rendre lide de pouvoir, tre capable de: e.g. Y 43.10 parstm hiia ba xsaiis diiamauuatm la question de savoir sil est capable de te rendre agres-sif (Kellens et Pirart, TVA II 1990, 232-233)26.

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 435

    sible de le rorganiser en dcalant chacun de ses termes dun degr vers le bas, commefait Lecoq (1997, 169-171): tant la dissociation de dahyu- vieux-perse et avestique quelaccession de lensemble des peuples dits ariya au rang dentit sociale sont des hypo-thses gratuites. Dans les faits, le vieux-perse apporte un tmoignage insuffisant. Ladsignation du premier cercle napparat pas clairement et celle du troisime manque.Ceci, par ailleurs, nest pas la preuve que le schma des cercles sociaux concentriquesest exclusif de lAvesta rcent. Zimmer (1987, 315-320) na pu le proposer quenexcluant de lexamen la srie parallle xvaetu-, vrzna-, airiiaman- de lAvesta ancien.On doit lui concder que cette reprsentation de la socit nest srement ni indo-euro-penne, ni mme indo-iranienne, mais elle est bien pan-iranienne. LAvesta en attestelensemble, avec des variations dialectales internes, et le vieux-perse deux lments surquatre. Si tauma- en est un troisime, servant dsigner la famille linaire, on doit enconclure que Darius na pu falsifier sa gnalogie quau prix dune incohrence termi-nologique.

    26 Y28.7 xsaiia-ca fait difficult et nest pas srement une forme verbale (Kellens et

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Lusage de lavestique rcent prsente deux singularits. La premireest que xsa tend devenir un moyen tantum (aux explications propo-ses par VA 79, il faut ajouter le transfert depuis laoriste): des troisseules formes actives encore rpertories, lune est morphologiquementparticulire (loptatif prtrital xsaiioi de Y 9.5), les deux autres setrouvent dans le douteux Fragment Westergaard. Le participe prsentmoyen sert la fois la construction avec le gnitif et lemploicomme auxiliaire de mode (VA 336). A lopposition de voix du vieil-avestique sen est substitue une autre, innovante. Les formes activesdu participe (Yt 10.35, Yt 13.63, 78, Vyt 23) semblent signifier rendrecapable de: e.g. Yt 13.63 xsaiiato ahurahe mazd fratacin apo leseaux ont coul, elles, (les filles) dAhura Mazda qui (les) rendcapable(s) (de couler) (Kellens 2001a, 473-474 n.8). La deuxime par-ticularit est que lon observe dautres constructions que celle avec legnitif. La construction avec datif, au sens tre habilit , ne setrouve que dans V5.26 xsaiiete he ratus risum aetaheapaharste le ratu est habilit lui remettre le tiers de sa peine. Ilarrive quun mot prcise et limite le temps ou le lieu o quelquunexerce son pouvoir spcifique27, la conjonction de temps dans Y9.5yauuata xsaiioi yimo tout le temps pendant lequel Yima a exerc sonpouvoir, le locatif dans FrW 4.2 naecis xsaiia aro mainiius xvaesu damohu que le mauvais Esprit ne puisse rien dans ses propresinstaurations (qui paratrait une simple variante de la constructionavec le gnitif daprs xsaiieni hauuanm damanm azm yo ahuromazd directement prcdent si la RS nattestait aussi cette rection).Enfin, quatre passages obscurs semblent tmoigner dun emploi aveccomplment interne, soit linstrumental xsara (Yt 17.7, Vyt 47), soitlablatif xsara (Yt 15.54, Vyt 35).

    Lemploi du vdique ka: kya- (Wrterbuch de Grassmann, 366-367) est presque identique celui du vieil-avestique pour la formecomme pour le sens: la flexion est exclusivement active, y compris

    436 J. KELLENS

    Pirart, TVA III 1991, 24-25). Je rserve pour linstant les formes plurielles du participeprsent actif (Y29.2 et Y35.4).

    27 Yt19.26, 28, 31 dargmci aipi zruuanm ya xsaiiata paiti bumim haptaiiimdaeuuanm pendant le long temps o, sur la terre aux sept parts, il matrisa lesdmons combine la rection gnitive avec les prcisions de lieu et de temps.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • au participe, et la construction avec le gnitif prdomine (sens 5 deGrassmann). Lemploi absolu (sens 4 herrschen, thronen walten) estentirement illusoire. Le sens 5 doit tre restaur pour 7.64 (580). 1 kyanta rjasa. Deux participes font office dauxiliaire de mode:1.24.4 kyan namsi sisratha toi qui est en mesure deffacer lesfautes et, en phrase nominale, 3.25 (259). 3 kyan puruscandrnmobhi il est en mesure de briller profusion grce aux hom-mages. Deux constructions attestes dans lAvesta rcent sont repr-sentes et, donc, certifies originales. Le datif rgi se trouve dans 9.95(807). 5 ndras ca yt kyatha sabhagaya puisque, Indra et(Soma), vous tes capables de gnrosit, le complment de lieu dans8.19 (369). 35 kyantam m0nuan nu celui qui exerce son pouvoirparmi les hommes et dans 10.65 (891). 8 pitra tsya ynakayata les deux parents exercent leur pouvoir dans la matrice delAgencement.

    Nonobstant linnovation diathtique de lavestique rcent, le champsmantique de ka: xsa na vari ni diachroniquement, ni dialectalementen indo-iranien ancien. En vdique comme en avestique, cest un verbedont le sens, trs gnral, est disposer en matre de quelquun, dequelque chose ou dun pouvoir particulier. Linexistence effective delemploi absolu fait de sa traduction frquente par rgner, rule, herr-schen une pure spculation. Le pouvoir royal est inclus en thorie, maisjamais spcifiquement signifi. Par suite, la formule qui est seule illus-trer le verbe vieux-perse, adamsam patiyaxsayai jai t le matre deces (pays) (DNa 18-19, DSe 17-18 et XPh 16-17), na aucune forceprobante. Comment savoir si lemploi en contexte royal est une spciali-sation technique, la spcificit de la composition avec pati ou la simpleexploitation dune virtualit?

    B. La doctrine sur le sens de xsara-/ xsaa- en iranien ancien na pasvari depuis le Wrterbuch de Bartholomae (1904) jusquau Vocabu-laire des institutions indo-europennes de Benveniste (1969), qui larsume de manire limpide: Cest la fois le pouvoir et le domaine osexerce ce pouvoir, la royaut et le royaume (II 19). Trois ans plustard, Gnoli sest efforc de montrer que le sens de royaume tait, envieux-perse, exclusif et spcifique (1972, 88-97). Cette conclusion, qui a

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 437

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • t trs largement accepte28, repose sur des bases fragiles. Le seul argu-ment imposant est le caractre apparemment interchangeable de xsaa-et de dahyu- pays dans les formules parallles de DSf 9-12 (= DZc 3-4) haumai ima xsaam frabara taya vazrkam taya uvaspam umartiyamil ma remis ce xsaa qui est grand, qui a de beaux chevaux et de beauxhommes et de DPd 6-9 iyam dahyaus parsa tayam mana auramazdafrabara haya naiba uvaspa umartiya ce pays de Perse quAhura Mazdama remis et qui est beau, avec de beaux chevaux et de beauxhommes29. Le paralllisme na rien de dcisif. Non seulement il pour-rait ne confirmer que le sens alternatif de royaume admis depuis tou-jours, mais ce nest mme pas sr. En avestique ancien et rcent, ilarrive que xsara- soit dtermin par le gnitif singulier ou pluriel dedaxiiu-: Y 31.16 xsarm daxiius, Yt 5.22 etc. xsarm vispanmdaxiiunm, Yt 5.49 etc. airiianm daxiiunm xsarai. Il est donc pos-sible que lexpression de DSf soit brachylogique pour dire le pouvoir(sur le pays) qui a de beaux chevaux et de beaux hommes. Deux dtailsqui drogent au paralllisme appuient cette hypothse. Les notions dexsaa et de dahyu sont clairement distingues par leur qualification,vazrka- pour la premire, naiba- pour la seconde. Contrairement la for-mule avec dahyu, celle avec xsaa rpte le relatif, de manire superfluesi ce nest pas pour signaler la partie brachylogique de lnonc: lepouvoir qui est grand et qui (sexerce sur le pays qui) a de beaux che-vaux et de beaux hommes.

    Linexistence du sens spatial de xsara- en avestique demande uneautre valuation. Gnoli sest exprim cet gard avec une certaine pru-dence, jugeant finalement quun rexamen simposait (p. 96). Mais il estclair (p. 93) quil a parfaitement conscience que le sens de royaumenavait t postul dans lAvesta, et tout spcialement dans les Gths,que pour forcer lanalogie entre le xsara dAhura Mazda et leRoyaume de Dieu chrtien (linterprtation analogique des conceptscls du mazdisme, dj amplement pratique par Bartholomae, avait t

    438 J. KELLENS

    28 Du moins dans les annes qui ont suivi. Tant Schmitt (1991 passim, contre 1977,39) que Lecoq (1997 passim) pratiquent, dans leurs traductions, un certain clectisme.Herrenschmidt avait fait demble une importante nuance: xsaa- serait bien le royaume,mais moins conu comme espace que comme lien social (1977, 28-33).

    29 Etrangement reproduit dans les inscriptions suspectes dAryaramns et dArsams.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • systmatise par Duchesne-Guillemin dans sa traduction de 1948, laquelle Gnoli se rfre frquemment). Le rexamen souhait a t effec-tu deux ans plus tard par Provasi (1974, 89-99). Il est dvastateur: il estimprobable quune quelconque attestation de xsara- dans lAvestaancien ou rcent prsente un sens spatial30. Cette conclusion est incon-testable, mais il faut y inclure le vieux-perse. Nous navons aucune raison suffisante de traduire liranien ancien * xsara-, dans quelquedialecte ou quelque passage que ce soit, par royaume, kingdom, Knigsreich plutt que par royaut, kingship, Knigtum.

    Il reste que ce dernier sens mme est douteux. La notion de xsararevt sans nul doute une importance particulire dans la religion ira-nienne. Sa prsence dans le noyau dur des abstractions spcialises dumazdisme explique que, proportionnellement la dimension du corpus,le mot iranien soit beaucoup plus frquent que son quivalent vdiquekatr-. Nanmoins, les deux mots sont inscrits dans un rseau excep-tionnellement serr de parallles formulaires, dont Schlerath a fait lerelev soigneux ds 1960 (127-131). Deux constatations simposent lexamen. La premire est que ce conservatisme formulaire massif est lesigne que le sens du mot indien et celui du mot iranien sont rests fortproches, voire identiques. La seconde est que le sens de royaut nesimpose pas, ni mme celui de Herrschaft, qui a la faveur de Schle-rath. Le katr- / xsara- est une force que le sacrifiant confre auxdieux et que les dieux confrent nimporte lequel de leurs fidles. Onconviendra quune puissance dont lattribution entre les dieux et leshommes est rversible et qui peut tre exerce par peu prs nimportequi, y compris des membres du monde dmoniaque, peut difficilementtre comprise comme le pouvoir royal. Je ne puis faire plus que mentenir ce constat ngatif. Mon sentiment personnel est que katr- /xsara- est lun des mots indo-iraniens que nous comprenons le moinsbien. Pirart et moi (TVA II 1990, 232), sur une suggestion de Humbach(1959, II 86), en avons fait lemprise rituelle, entre autre parce que cesens est compatible avec la rversibilit (comme, dailleurs, celui deRoyaume de Dieu, dont le dfaut nest pas l, mais dans lanalogie

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 439

    30 Trois passages litigieux de lAvesta rcent (Yt5.130, Yt10.109 et Yt17.7) sont rela-tiviss par Provasi (94-95) et peuvent effectivement tre interprts de manire diverse(e.g. Kellens 2001, 749-751).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • factice). Le sacrifiant exerce lemprise sur la divinit et la divinitconcde au sacrifiant que lemprise soit exerce sur elle. Mais jai tou-jours dout, contrairement Pirart, que le champ smantique du motsarrtait l (voir TVA III 1991, 140). Jai nanmoins adhr la tra-duction systmatique de xsara- par emprise-rituelle parce que notreprincipe commun tait de refuser les polysmies de commodit et quunreste de dumzilianisme minclinait penser que le xsara tait trifonc-tionnel et que celui de premire fonction devait correspondre cela. Entout cas, le pouvoir exprim par labstrait katr- / xsara-, comme celuiexprim par le verbe dont il drive, nest que virtuellement celui du roi.En vieux-perse, nanmoins, le xsaa est bien le pouvoir qui fait lexsayaiya.

    C. Longtemps, on a interprt xsayaiya- comme le driv secondaireen - (i)a- avec vddhi dun abstrait *xsayaa- (*xsay-aa-) synonymede xsaa-31. Pendant le grand dbat sur la royaut achmnide qui aoccup la moiti des annes 70, de Gnoli (1972) Schmitt (1977), cetteanalyse a priori lgitime na pas t mise en doute. Pourtant, en 1975(313-323), Szemernyi avait propos de substituer *xsayaa-, commebase de drivation, le participe prsent xsayant-. Cette hypothse ne seheurte aucune difficult phontique relle: elle exige seulement que leparticipe prsent dune formation thmatique puisse prsenter la formerduite en t-, inhabituelle en iranien ancien, mais nanmoins attesteen avestique et, justement, par le gn. sing. xsaiiato (Yt 13.63, 78) dexsaiiat- (Kellens, VA 1984, 322). Un fait dcisif impose *xsata-comme la seule explication plausible de xsayaiya-: la racine qui a pro-duit le prsent kya-: xsaya- est une pure racine en -a- ka: xsa,comme y insiste justement Mayrhofer (EWA I 1992, 426.427), et aucundriv nominal, lexception de *xsayaa- restitu pour rendre comptede xsayaiya-, ne fait apparatre une forme concurrente en -i - kay:xsay32. Celle-ci est un rsidu de lpoque lointaine o les prsents sans-

    440 J. KELLENS

    31 Lanalyse * xsaya-tya-, propose par Herzfeld (1931, 97) et reue par Kent (1953,51), est absurde tant par la base drivation (do viendrait la longueur de la syllabe ini-tiale?) que par le suffixe (scr. -tya- na pas demploi analogue selon les relevs de Wac-kernagel et Debrunner, AIG II 2 1954, 697-700).

    32 Pour la mme raison, lhypothse qui accorde av. xsaeta-, pithte commune au

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • crits k-: ki- habiter, et kya-, de ka tre matre de, taientattribus la mme racine kay (ainsi le Wrterbuch de Grassmann etles Roots de Whitney)33. La rectification a t faite en 1889 par JohannesSchmidt, mais le nom vieux-perse du roi a contribu la survivancedune illusoire racine kay: xsay34. Lhypothse de Szemernyi a dfini-tivement exorcis ce vieux fantme.

    Il reste que Szemernyi a trait de manire imprcise le rapport dexsayaiya- avec les deux termes xsaya- et xsayant- auxquels il aurait, selonlui, t substitu comme titre royal. Ecartons xsaya- du dbat: av. xsaiia-nest en dfinitive quun hapax de Yt 13.18 (dont la syntaxe est chaotique:Malandra 1971, 171-172) et son quivalent vdique prsum kya- estdouteux, comme Szemernyi ladmet lui-mme (p. 319 n.31)35. Commepoint de dpart, il faut considrer qu lorigine, dun strict point de vuegrammatical, xsayaiya- est le driv secondaire de xsayant-. Il nen estdonc pas le synonyme, mais ladjectif driv DB 3 haca paruviyataamaxam tauma xsayaiya aha depuis longtemps, notre famille taitxsayaiya a clairement prserv lemploi adjectif et la substitution syno-nymique dun driv au mot dont il drive nest pas un phnomne linaire.Il est difficile de prciser le sens original et vague relatif au xsayantparce que toutes les attestations indo-iraniennes du participe prsentkyant: xsaiiat- en syntaxe absolue servent composer des locutions ver-bales (cest un fait mconnu de Szemernyi, qui pose simplement ruling,ruler). Toutes, sauf deux que jai tenues en rserve et qui appartiennent lAvesta ancien: le nominatif-vocatif pluriel xsaiiato de Y29.2 et laccusa-tif pluriel xsaiiatas de Y35.4 qui fonctionnent comme des noms dagentdsignant les dieux comme dtenteurs du xsara (Kellens 1994, 108-116)36.

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 441

    soleil et Yima, le sens de royal (Wikander 1951, 89-94) doit tre tenue pour incon-sistante.

    33 Il existe quatre emplois ambigus o kya- peut tre le subjonctif de k-: ki- oulindicatif de kya- (Grassmann, p. 366). A lexamen, la dernire solution ne peut treretenue que pour 8.64 (673).4 (construction usuelle avec le gnitif: kyo carain0m).

    34 Avec, il faut le prciser, les difficults phontiques inhrentes la comparaisonavec grec ktomai ou fimv (Kuiper 1931, 245-250).

    35 Y28.7 xsaiia-ca est une forme mal identifiable (voir note 27). La citation xsaiio deF5 est effectivement traduite par MLKA roi, mais ce mot isol est sans autorit.

    36 Ceci dit pour simplifier, car xsaiiat- comme dsignation des dieux nchappe pas la rversibilit dattribution dont nous avons parl. Y29.2 semble se rfrer la posses-sion dun pouvoir, Y35.4 son attribution aux hommes.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Le participe prsent comme base de drivation implique quexsayaiya- ne traduit pas un rapport avec le pouvoir, mais avec une per-sonne qui le dtient, et le seul indice textuel dont nous disposions sug-gre que cette personne est un dieu. Le roi achmnide serait dfini parson titre comme celui qui exerce parmi les hommes certaines fonctionsdivines. Par leur structure la plus gnrale, les inscriptions achmnidestmoignent du fait que cette conception correspond la ralit. La for-mule rcurrente atiy x xsayaiya le roi x dit a certes une fonctionponctuante sur laquelle lrudition moderne sest fonde pour effectuerune mise en paragraphe. Elle nen a pas moins sa signification intrin-sque: le roi parle et nonce un certain nombre denseignements indis-cutables (a est trs probablement lquivalent de scr. sas: av. sah).Autrement dit, il rpond aux questions que ses sujets pourraient lui poseret, en ce sens, atiy xsayaiya correspond mrao ahuro mazd delAvesta rcent. Le roi occupe la place du dieu qui profre la vrit danslchange verbal appel frasna interrogatoire37. Une inscription ach-mnide se prsente comme un frasna dont les questions sont implicites( linverse, le Y44 vieil-avestique est un frasna dont les rponses sontimplicites). Ce nest pas pour rien que la lecture de linscription, sousquelque forme quil faille limaginer, est appele rinterrogation (DB 56, 58, 70 pati + fra). Cest poser une nouvelle fois la question qui asuscit lnonc.

    Par ailleurs, trois convergences ponctuelles entre les fonctions du roiet celles des dieux ont t releves:

    1. Skjaerv (1999, 24-25 [texte prononc en 1994]) et moi-mme(1995, 25) avons, indpendamment lun de lautre, relev le paralllismeentre DB 8 tayasam hacama aahay xsapava raucapativa ava akuna-vayanta ce que je disais ces (nations), le jour ou la nuit, elles le fai-saient et Y57.17 vispais aiinca xsafnasca yuidiieiti hada daeuuaei-bio (Sraosa qui), tous les jours et toutes les nuits, se bat avec lesdmons. Selon Skjaerv, lide qui unit les deux passages est quil fautcouter la parole du roi pour assurer lordre politique, comme on coutelordre de dieu (sraosa-) pour assurer lordre cosmique. Jincline plutt

    442 J. KELLENS

    37 Sur ce genre rhtorique, voir Geldner 1896, 22, et Kellens 1995, 271-272.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • penser que lide dobissance est secondaire et que DB 8 vise avanttout faire savoir que, comme le dieu Sraosa, le roi ne dort pas. Il veilleet ordonne dans la nuit pour carter la Tromperie et prserver lAgence-ment pendant le temps quil est invisible.

    2. Darius (DNa 31-36) et Xerxs (XPj 30-35) prtendent pareillementavoir remis leur place (gaava nisadaya-), sur instigation divine, laterre (bumi-) ou un certain nombre de pays (dahyava) entrs en agita-tion. Lapaisement ou la rpression des turbulences politiques au niveaunational est, selon Yt13.95, du ressort des dieux Mira et Apm Napat:miro daxiiunm yaozaintis ramaiieiti apm nap daxiiunmyaozaitis niiasaite Mira apaise celles des nations qui sagitent,Apm Napat rprime celles des nations qui sagitent. Le pivot termino-logique de la convergence est lexpression du trouble politique, av.yaoza-: v-p. yauda-, littralement bouillonner (ce paralllisme, relevpar Schlerath 1968, 162, est soulign par Skjaerv 1999, 43-44).

    3. Skjaerv (1999, 50-55) a not que le roi se prsentait comme leprotecteur du bien et le punisseur du mal. On peut prciser (Kellens2000, 693) que les supplices quil inflige ses ennemis couper le nez,les oreilles et la langue, arracher un il, exposer enchan et finalementempaler correspondent assez bien ceux que Mira applique ses vic-times: Yt10.23 et 63 apa aesm bazuu aojo tum grato xsaiiamnobarahi apa padaii zauuar apa casman sukm apa gaosaii sraomalorsque tu es irrit, tu as le pouvoir de leur ter la force des bras, lagi-lit des pieds, la vue des yeux et laudition des oreilles; Yt10.48 aranarm miro.drujm aps gauuo darzaiieiti para dama varaiieiti apagaosa taosaiieiti noi pada vidaraiieiti alors, aux hommes qui ont trahiun contrat, (Mira) lie les mains dans le dos, voile les yeux, vide lesoreilles et prive les pieds de leur assise38. Le traitement que Darius etMira rservent leurs adversaires traduit la volont de faire subir auxmchants, dans cette vie, les traitements de lenfer et de supprimer lesfacults de perception et de mobilit qui permettent de gagner lau-del:

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 443

    38 Voir aussi Y9.2-29 adress Haoma: te lui lagilit des pieds, obstrue lui lesoreilles, rends sa pense indcise! Puisse-t-il ne plus pouvoir faire avancer les jambes!Puisse-t-il ne plus pouvoir tendre les mains! Puisse-t-il ne plus voir la terre de ses yeux!Puisse-t-il ne plus voir la vache de ses yeux!.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • damns et anantis hic et nunc. Si Mira incarne le contrat, il est lui-mme, en tant que gardien du contrat, incarn par ceux qui, dans lescercles concentriques de la socit, ont la tche concrte de le faire res-pecter. Le Yast 10 attribue au dieu les actes mmes de ceux qui se rcla-ment de son jugement et ont autorit pour le faire appliquer. De cettemanire, le dieu agit parmi les hommes sous forme visible, par une dl-gation prsente comme une vritable transsubstantiation. Dans leslimites de cette opration, le dieu est le roi et le roi est le dieu.

    On le voit, chacune des trois fonctions divines correspondant unefonction royale appartient Mira et aux membres de son quipecleste. Ce sont les dieux auxquels lAvesta rserve le titre de yazatadigne du sacrifice (Kellens 1994, 22-23). Ils sont tout spcialementassocis la notion de xsara 39 et ils ont pour spcificit dintervenirdans lunivers et le temps des hommes (Kellens 2000a, 127-131).Cependant, ils sont aussi dits mainiiauua arien, ce qui signifie queleur champ daction est le ciel et latmosphre. Il est donc tentant deconsidrer que le roi est leur fond de pouvoir dans lespace terrestre.Car il est vrai que la terre mazdenne nappartient quaux hommes: lesdieux ny interviennent pas, crmonie sacrificielle mise part, etZaraustra a conduit les dmons loger ailleurs (Y9.15). Cest logique-ment au pouvoir du roi dy assurer lordre. Le locatif nominal qui dter-mine parfois xsayaiya- dfinit de manire dynamique lextension de cepouvoir: il va de la Perse (parsai), qui en est le sige, la terre entire(bumiya), quil a pour ambition idale dembrasser. Ainsi, bumi- seraitbien, dune certaine manire, la dsignation de lempire (Herrenschmidt1976, 33-65, malgr Schmitt 1977, 392), mais dans le cadre trs largedes reprsentations mythologiques, non comme ralit politique et admi-nistrative. Selon toute apparence, les Perses ont cr une formation ta-tique laquelle ils nont donn dautre nom que celui qui exprime larunion de quelques-uns des cercles les plus larges de lappartenancesociale, le pluriel de dahyu-, les pays, ce en quoi leur terminologie

    444 J. KELLENS

    39 Mira est xsaiiamna- (Yt10.23, 35, 63, 108, 110; Yt10.29 xsaiiehe), mais aussixsaiiat- (Yt10.35). Il donne le xsara (Yt10.16, 65 xsaro.da-; Yt10.109 xsarm paiti+ da), mais aussi le reprend (Yt10.111 xsarm apa + bar). Sur Mira *xsarapati, voirBoyce (1990, 3-9).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • reste identique sur le fond celle de lAvesta, xsayaiya dahyunam cor-respondant daxiiunm dahupaiti-.

    Autre conclusion, il ne faut pas surestimer les liens que le titre dexsayaiya entretient avec le pass indo-europen dune part, avec lanouvelle dimension prise par le pouvoir des chefs mdes et persesdautre part. La substitution de xsayaiya- lhritier di.-e. *reg- est unphnomne dont les ressorts sont enfouis dans un pass non documentet peut-tre tout simplement illusoire. Les reprsentants de *reg- sonttrop rares et marginaux pour imposer lide dune institution prhisto-rique commune40 et ce fossile, quand on le trouve, ne permet que desspculations sur sa signification primitive. Sihler (1977, 221-246) acertes chou rompre la concordance phontique entre latin reg- etsanscrit r0j-, mais Scharfe (1985, 547-548) a su montrer quil fallait enrelativiser la porte culturelle. LAvesta, seul document iranien antrieuraux inscriptions achmnides, donne du pouvoir politique une image dela plus parfaite simplicit, tlescopique comme les cercles sociaux surlesquels il sexerce: chef de famille, chef de clan, chef de tribu, chef denation. Que les Iraniens en soient rests ou en soient venus ce schmarudimentaire, nous navons aucun moyen den dcider. Lintgration decertains dentre eux au monde politique du Proche-Orient les en a faitsortir, mais il napparat pas que ce soit la cause de la formation et de lafortune du mot xsayaiya-. Nous ignorons quel titre se donnaient, dansleur langue, Cyaxare et Cyrus. Salmanazzar III, qui prtend avoiraffront 27 rois (sarrani) mdes, semble nous dire quil nexistaitpas, en 835, de royaut mde unitaire et la gnalogie frauduleuse deDarius tmoigner du fait que, trois sicles plus tard, le titre de xsayaiyatait port par plusieurs personnes dans le mme ensemble politique.Comment tre sr que cest par maladresse narrative que Darius se parede la couronne (DB 10: voici ce que jai fait aprs que je fus devenuroi) avant mme que senclenchent les vnements qui vont le porterau pouvoir suprme (meurtre de Smerdis, expdition dEgypte, usurpa-

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 445

    40 De toute manire, la notion dinstitution indo-europenne laisse perplexe et il estsignificatif que le livre de Benveniste (1969) dont elle fait le titre est consacr toutessortes de structures conomiques et sociales, mais jamais proprement parler institution-nelles, lexception, justement, de la royaut.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • tion de Gaumata, mort de Cambyse). Tout concourt indiquer quen522, le titre de xsayaiya navait pas encore pris son essor. Il ne dsi-gnait pas le roi unique dun royaume unitaire, mais rfrait au pouvoirpartag par quelques-uns de dire les rgles et de les faire respecter dansdes espaces et des groupes sociaux dextension variable. Il na entamson ascension que pourvu des fioritures que Darius lui a apportes (listeprcise chez Herrenschmidt 1976, 37) et dont il norne que lui-mme(dans cette perspective, la limitation maximale du champ dautorit deCambyse, roi ici selon DB 10, prend toute sa signification). Lexsayaiya nest le roi que lorsquil devient le grand roi, le roi desrois, le roi des pays, le roi sur la terre41. Le titre nest pas uneinnovation dicte par lextension du pouvoir des chefs mdes et perses des ensembles gographiques et sociaux plus vastes que ltat-nation.Son origine est plus ancienne et sa mtamorphose sest accomplielorsque Darius a labor une thorie de la royaut adapte la fois sonpouvoir imprial et son appartenance ethnique iranienne.

    En tant que driv secondaire de xsayant-, xsayaiya- est ancr dansle vocabulaire technique de la thologie mazdenne. Celles-ci se repr-sente et nomme les dieux comme dous de capacit et cette capacitconsiste spcifiquement, pour certains dentre eux, intervenir dans lemonde humain, pour en protger et en faire respecter lordonnancement.Le roi achmnide est lhomme quils chargent de faire de mme lasurface de la terre. Son titre le dfinit comme participant au pouvoirdivin. Nous ne connaissons pas lextension que le mot xsayaiya- a puavoir dans les dialectes iraniens anciens. LAvesta lignore, mais il nestpas sr quil nen possde pas une variante dialectale.

    Le nom dagent sastar- dsigne un personnage dautorit, tantt bon,tantt mauvais. Toutes ses attestations positives appartiennent aux

    446 J. KELLENS

    41 Szemernyi (1975, 320-321) a justement relev que des majorations analoguestaient usuelles dans le Proche-Orient ancien, mais navaient pas inspir les Mdes et lesPerses avant Behistun. Cela tient peut-tre moins leur tat de vassalit qu la spcifi-cit institutionnelle exprime par le mot xsayaiya-. Quant lorigine mde du mot, onpeut en douter. Cette conclusion repose uniquement sur le postulat que les doublets pho-ntiques des inscriptions achmnides sexpliquent par le mlange de mots mdes etperses. Cest un postulat qui a fait carrire, mais un postulat tout de mme.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Yasts: Yt10.14, 109, 111, Yt13.18, 19, Yt14.13,37, Yt15.50, 5442. Dansquelques-uns de ces passages, le sastar est qualifi de hamo.xsara-(tous lexception de Yt10.14 et de Yt14.37) ou dtermin par le gni-tif de daxiiu- (Yt13.18, 69 et Yt15.50), de telle sorte que loctosyllabesasta dahus hamo. xsaro apparat comme une clausule formulairetraditionnelle. Elle dfinit le sastar comme un homme de pouvoir etlexerant sur le cercle de la nation. La difficult rside dans le composhamo. xsara-. Les adjectifs hama- (AIW 1773-1774) et hama- (AIW1803), qui correspondent scr. sam-, prsentent chacun deux sens. Lepremier, mme, pareil, est hrit (1h:ma-), le second, tout entier,est innovant (2h:ma-). Comme le sens hrit ne parat pas convenir danshamo.xsara-, on se fonde ordinairement sur le sens innovant pour obte-nir, au prix dune lgre manipulation smantique, au pouvoir absolu.Cette interprtation est cependant fragile, car le sens innovant est rare(Y60.12, Yt18.5, Yt19.1, N94) et, dans chaque cas, discutable. Sil aquelque ralit, on doit considrer quil sest dvelopp partir de lalocution hamahe aiin hamaii va xsapo (Y57.31, Yt8.54), dans lemme ensemble jour-nuit devenant tout le jour et toute la nuit. Dunstrict point de vue grammatical, il est recommandable de retenir le senscourant pour interprter hamo.xsara-, mais la difficult est que aumme pouvoir suppose une comparaison avec quelquun qui nest pasnomm. Et si le sastar tait, comme le xsayaiya, une personne qui par-ticipe un pouvoir dont il nest pas le premier dtenteur? Alorssastahamo.xsaro lnonciateur au pouvoir pareil ( celui de )combinerait les deux notions dnonc souverain et dexercice secon-daire du pouvoir divin et formerait avec atiy xsayaiya un parallle

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 447

    42 On ne peut cependant conclure un clivage doctrinal entre les Yasts et le reste delAvesta, car sastar- nest ngatif que sil est explicitement dsign comme tel parma+iia- (mauvais) homme, a+maoga- saboteur de lAgencement, ana+auuan- nonpartisan de lAgencement, druuat- partisan de la Druj (ce dernier dj dans lastrophe gthique Y46.1). On doit lui annexer les attestations de Yt4.3 et Yt17.59 2sasta-qulend, grausam (Bartholomae, AIW 1904, 1573), qui, la combinaison avec ma+iia-et druuat- en tmoigne, ne sont rien dautre que des emplois agrammaticaux de sastar-.De mme, hamo.xsarahe authentifie le gn. sing. Yt10.109, 111 saras-ci comme celuide sastar-, en dpit de labsence de la sifflante radicale finale (il est donc inutile dentrerdans les complications de Gershevitch 1959, 258-260, et de Pirart 1999, 58-61). Parcontre, on ne peut rien dire du gn. plur. sarm-ca, qui participe dun contexte formu-laire tout diffrent.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • prolong par sasta dahus et xsayaiya dahyunam. La relation entre letitre de sastar et celui de dahupaiti- nest document que par un pas-sage: Yt14.37, par ailleurs mal comprhensible, semble faire dudahupaiti le seigneur (ahura) des sastars (ahuro sastrnmdahupaitis). Si linformation est valide, il est lgitime de penser que letitre de sastar et, par suite, celui de xsayaiya avant Darius taient destitres subalternes, rfrant lexercice dun pouvoir plus juridique quepolitique, partag par plusieurs et soumis lautorit du dahupaiti. Ilest possible que Darius ait fond la nouvelle royaut des Perses iraniensen exaltant un titre rellement dtenu par sa famille et en le substituant,pourvu de quelques ornementations, au traditionnel *dahyupati.

    Le roi achmnide est un homme et non un dieu, puisquil le dit lui-mme (DSf 4)43 il est surprenant que lon ait pu en discuter , maisil a pour caractristique dexercer une fonction divine dans lespace ter-restre. Elle lui est dvolue par llection divine (var) et concrtise parla remise du pouvoir (xsaam fra + bar), qui rend la tche lgitime etllu capable de laccomplir. Le roi achmnide est lhomme que lesdieux ont choisi pour tre leur dlgu sur la terre.

    3. LA PLACE DE ZARAQUSTRA

    Selon Darius, lhomme qui a pris le pouvoir Cambyse est un mage.Les mages sont, dans la tradition mazdenne dpoque sassanide, dehauts dignitaires ecclsiastiques et, dans la tradition grecque partirdHrodote, les membres dune confrrie prestigieuse dont les spcula-tions se situent au confluent de la religion et de la magie. Nous pensonspouvoir reconstruire ce quils taient au temps de Behistun en combinantdeux informations dHrodote, qui, dune part, mentionne les mgoiparmi les tribus mdes (I 101) et, dautre part, rapporte la ncessitquun mage soit prsent lors des crmonies sacrificielles (I 132): une

    448 J. KELLENS

    43 Il ne peut en aller autrement alors que, selon lhistoire mythique, la filiation entreles dieux et les hommes sest trouve un jour rompue. Le dbut de Y9 raconte commentles quatre anctres virtuels de lhumanit, Yima, raetaona, Krsaspa et Zaraustra, sontns dun pressurage de haoma, si bien que chaque homme descend non pas des dieux,mais du sacrifice (Kellens 2001b, 316-322).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • tribu mde qui aurait dtenu lexclusivit de la fonction sacerdotale danscertains pays iraniens, dont au moins la Mdie et la Perse. Quelquesobscurits compromettent cependant lvidence de cette reconstruction.

    1. Le mot magu- chappe toute interprtation linguistique imm-diate, si bien quil nest pas sr quil traduise en soi un statut religieux.Le rapport souvent allgu avec v. -av. maga- (= scr. magh-), quiexprime sans aucun doute une abstraction religieuse de premire impor-tance, ne peut tre accept sans la plus vive mfiance. Non seulement lemot vieil-avestique na pas un sens assur44, mais il ne peut tre ledriv primaire dont magu- serait le driv secondaire. Les deux motsnentretiennent pas une relation directe comme magh-: maga- etmaghvan- : magauuan-. Ils ne sont au mieux que deux drivs pri-maires de la mme racine, mais elle est inconnue, et cest conditionquelle soit dispense du degr zro rgulirement requis avec le suffixe-u- qui forme des adjectifs dagent. Le mot nenseigne donc rien sur lachose et il convient de noter que, selon les principes noncs au dbut decet article, il se pourrait quil ne soit pas dorigine iranienne.

    2. Un homonyme avestique de magu- est attest dans une phrase obs-cure (Y 65.7) do merge une numration de quatre composs au datifsingulier et ayant tous pour second terme bis- qui hait, qui nuit :ha/i.bis-, mogu.bis, varzano.bis- et nafiio.bis-. Linterprtation queBenveniste a donne de ce tmoignage en 1938 est fort vieillie dans ledtail, mais sa thse centrale reste plausible: chaque premier terme tra-duit, en ordre dextension dcroissante, laffiliation aux quatre cercles delappartenance sociale. nafiia- relatif au nombril convient videm-ment dsigner le membre dune ligne familiale. Le cas de varzana-est dj beaucoup plus dlicat: il voque sans nul doute un nom du clan,vrzna- (= scr. vjna-), mais cest un mot de la terminologie vieil-avestique, et son rapport avec lui, qui se traduit par la gradation voca-lique des deux premires syllabes, ne rpond aucune formation usuelle.haxa- / ha/i- ami ne prsente jamais le sens spcifique de membrede la mme nation. Comment, ds lors, considrer lhapax mogu-? Yt

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 449

    44 Un petit progrs dans llucidation du mot a t fait avec la dcouverte de lexpres-sion parallle scr. maghm nas = v.-av. magm nas atteindre le magh-/maga- (Kel-lens et Pirart, TVA III 1992, 272).

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • 10.116, qui fixe la valeur des contrats selon la relation qui unit lescontractants, associe aussi dans lnumration haxa- et varzana-. Cetmoignage procure la prsomption raisonnable que les premiers termesde composs de Y 65.7 dfinissent, sinon lappartenance aux cerclessociaux proprement dits, du moins la participation certains rapportshumains, conomiques, sociaux, familiaux ou affectifs.

    3. Linscription de Behistun a t compose trois quarts de sicleavant le tmoignage dHrodote. En admettant que Benveniste ait raisonde penser que le mot avestique est le prototype du mot vieux-perse, onpeut lgitimement se poser la question de savoir si Darius emploiemagu- au sens de mde et prtre ou au sens avestique, auquel cas ilvoudrait dire que Gaumata tait, disons, membre de la mme tribu queles Achmnides. Cest intressant et cela naurait rien dinvraisem-blable. On dit souvent que magu- occupe, quand il sagit de Gaumata, lamme case que lethnonyme des rebelles. Ce nest pas tout fait exactet Benveniste la bien vu, quoiquavec une certaine imprcision (p. 17).La place de magu-, dans DB I36, aiva martiya magus aha Gaumatanama, correspond effectivement celle de babiruviya- babyloniendans DB I77 aiva martiya babiruviya Naditabaira nama, mais ds DBII14, la mention du nom propre et celle de lethnonyme sont irrmdia-blement inverses (type aiva martiya Fravartis nama mada). Ce dtailest impossible interprter, mais il offre une raison de douter que magu-soit une dsignation ethnique. Ce qui nous offre, ici encore, non pas lacertitude, mais la prsomption raisonnable quil en va bien ainsi, cest lelien vident de Gaumata avec la Mdie, puisque cest en Mdie queDarius le dniche et le tue.

    En rsum, nous navons pas la certitude absolue, mais seulement desraisons de penser que le mogu avestique est le participant un certaintype de rapport social, le magu vieux-perse un Mde de la tribu sacerdo-tale. Rien ne garantit que les deux mots soient quivalents plutt quho-monymes et que le premier, comme le pensait Benveniste, tmoigne dusens original. Enfin, le nom des mages et, par suite, linstitution quilsconstituent ne sont pas srement dorigine iranienne. Cest dire que lasuite de lexpos, o il est postul que le mage est un Mde et un prtre

    450 J. KELLENS

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • de tradition mazdenne, consiste dans une certaine mesure fairecomme si.

    Il importe peu notre propos que lusurpation de Gaumata soit relleou fictive. Dans le premier cas, lhomme qui prend les pays aux Teis-pides dAnsan avant de se les faire prendre son tour par les Perses ira-niens est un Mde et un prtre. Si cest bel et bien Bardiya qui a rgn,Darius a voulu le faire passer pour tel. Lpisode est de toute manirervlateur dun double conflit, national et religieux.

    Le rcit de Darius laisse percevoir que, si les Mdes et les Perses ontpareillement aspir au pouvoir sur lempire de Cyrus, leur conflit dam-bition na pas pous les stricts contours dune rivalit nationale. Lesvnements de 522-521 senclenchent de la manire suivante. Darius tueGaumata/Bardiya le 29 septembre (DB 16). Deux anciens royaumesprestigieux du Proche-Orient, lElam et la Babylonie, profitent de lacrise dynastique pour se soulever. La rvolte de Babylone commenceds le dbut doctobre (selon les sources babyloniennes). Elle exigeralintervention personnelle de Darius et trois engagements militairesimportants avant de prendre fin le 18 dcembre. Pendant ce laps detemps, lElam connat deux priodes de troubles, apparemment faciles rprimer, qui ne sont pas dates avec prcision, mais dont la premire(Aina) est mentionne avant la rvolte babylonienne, la seconde (Mar-tiya) aprs. Profitant du fait que Darius est absent du centre politique delempire et se trouve la peine en Babylonie, dautres pays entrent enrbellion. Darius en dresse la liste (DB 24), mais opre une slectiondans son rcit. Les rvoltes dAssyrie et dEgypte, comme celles desmarges iraniennes de Sattagydie et de Scythie, sont mentionnes, maisne sont ni racontes, ni comptabilises au bilan des batailles et des vain-cus. Ainsi, en filigrane du rcit en staccato, se dessine une reprsentationlinaire des vnements. Volontairement ou involontairement, Dariusfocalise lattention sur une crise centrale, prcde des facteurs qui ontfavoris son closion (Elam, Babylonie) et assortie de ses retombessecondaires (Asagartie, Margiane)45: le soulvement de la Mdie et de la

    L'IDOLOGIE RELIGIEUSE DES INSCRIPTIONS ACHMNIDES 451

    45 Seule lultime priptie, lusurpation du trne de Babylone par lArmnien Araxa(D8 49), ne fait pas partie de cet ensemble et loin sen faut, puisquelle se termine le27 novembre 521. Mais il fallait bien inscrire neuf rois flons en regard des neuf roiskavis.

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • Perse, qui relve dun conflit interne au monde iranien et nest que lasuite de laffaire Gaumata/Bardiya.

    Les usurpations de Mdie (Fravarti) et de Perse (Vahyazdata) sontsynchrones. Les oprations commencent sur les deux fronts la fin dedcembre et sachvent la mi-juillet. Mais sans doute Vahyazdatasest-il manifest le premier: il fallait que larme quil avait envoye enArachosie ft arrive pour y livrer bataille le 29 dcembre. La manirenarrative de Darius, qui procde rebelle par rebelle, chef militaire parchef militaire et bataille par bataille, obscurcit la chronologie des faits.Si on la rtablit, il apparat que Darius a t incapable dengager les op-rations avant que laffaire babylonienne ft rgle et quil a d recon-qurir de lextrieur les deux provinces centrales de lempire. Les pre-mires batailles contre Fravarti et ses partisans, celle dArmnie (31 dcembre), celle de Mdie (12 janvier) et celle de Parthie-Hyrcanie(8 mars), sont au mieux sans effet et prcdent largement linterventiondirecte de Darius en Mdie, o Fravarti est limin le 8 mai. La rpres-sion de lArmnie est mene conjointement par larme perse et les par-tisans armniens de Darius (Dadarsi) du 25 mai au 20 juin. Celle de laParthie-Hyrcanie, grce au renfort dune arme perse envoye de laMdie reconquise, sachve le 11 juillet. La lutte contre Vahyazdataobit au mme schma, mais de manire encore plus accuse. Lesbatailles dArachosie (29 dcembre et 21 fvrier) prcdent de loincelles qui seront livres en Perse (24 mai et 15 juillet). La longue ind-cision des combats tient clairement la complexit du front. La situationen Armnie est reste bloque pendant cinq mois et toute intervention enMdie impossible avant que la premire bataille de Parthie-Hyrcaniepermette de la prendre en tenailles. Par effet en retour, cest la chute dela Mdie qui a permis de dgager les forces ncessaires non seulement la normalisation de lArmnie et de la Parthie-Hyrcanie, mais aussi lareconqute de la Perse, o le premier engagement a lieu le 24 mai, 16jours aprs la victoire de Mdie et environ 6 mois aprs le dbut de lin-surrection. Au total, Darius aura t exil de Perse entre, au moins, le 13dcembre et le 15 juillet, soit environ huit mois.

    Mais nous devons nous poser une question plus radicale: que sest-ilrellement pass entre le 11 mars 522, quand Gaumata/Bardiya sedclare contre Cambyse, et le 15 juillet 521, quand la Mdie et la Perse

    452 J. KELLENS

    Journal Asiatique 290.2 (2002): 417-464

  • sont dfinitivement soumises Darius? Le meurtre de Gaumata est unvnement trangement romanesque et cryptique, dont Darius ne fait pasune bataille et qui naurait eu que sept acteurs et tmoins. On peut lgi-timement douter que Darius y ait pris part, voire quil ait effectivementeu lieu, car le deuxime faux Bardiya nest pas ncessairement plus fauxque le premier. Il est frappant que les premires batailles contre Fravartiet Vahyazdata aient eu lieu hors de Mdie et de Perse, respectivement enArmnie et en Arachosie. Il nen aurait pas t autrement sil stait agi,non de rprimer des soulvements, mais de conqurir militairement lesdeux pays depuis les marges de lempire. Les vritables rebelles de Par-thie-Hyrcanie et dArachosie ne sont-ils pas Vistaspa et le satrapeVivana, hauts dignitaires perses iraniens mis en poste par les Teispidesdans lIran oriental? Si Darius, malgr laccent mis sur la multiplicitdes rvoltes, ne raconte au fond que celles de Mdie et de Perse, ce peuttre parce quelles constituent en ralit la phase ultime de sa prise dupouvoir. Celle-ci est laboutissement dune marche de lgions depuis laBabylonie et lIran oriental et elle nest effective quaprs le 15 juillet52146. Le facteur dclenchant de la crise de 522-521 a t le renverse-ment de Cambyse par Gaumata/Bardiya. Ce ne fut pas un coup