Kellens, Jean - Langues Et Religions Indo-européennes

Embed Size (px)

Citation preview

  • Langues et religions indo-iraniennes

    M. Jean KELLENS, professeur

    COURS : Promenade dans les Yasts la lumire de travaux rcents (suite)Les Yasts 5 Anahita, 9 Druuaspa, 15 Vaiiu et 17 Asw i tudis cette anne

    nont pas fait lobjet de rexamens nouveaux, du moins qui fussent publiquementaccessibles. La rdition du Yast 15 par Stig Wikander (Vayu, Leipzig 1941) estancienne et vieillie, quoiquelle fourmille de remarques qui mritent la considra-tion la plus soigneuse ; celles du Yast 5 par Norbert Oettinger (Mnchen 1983)et du Yast 9 par Sara Circassia (Ravenna 1999) sont pour linstant ltat detravail acadmique. Ces Yasts ont cependant fait lobjet, ces dernires annes,de nombreuses tudes de dtail dont limportance exige la critique et la synthse*.

    1. Les catalogues de sacrifiants

    Les Yasts 5, 9, 15 et 17 ont en commun dtre partiellement consacrs dresser la liste des hros du pass qui ont sacrifi la divinit titulaire delhymne. Eva Tichy ( Indoiranische Hymnen 93-94, in Hymnen der alter Weltim Kulturvergleich, Orbis Biblicus et Orientalis 131, 1994, 79-95) a dfini ceschme rhtorique comme Adorantenkatalog , une expression que je luiemprunte avec enthousiasme, mais en conservant au verbe yaz toute sa spcificittechnique, donc en substituant sacrifiant adorateur . Chaque cataloguecomporte la mme teneur informative : il dit qui a sacrifi, dans quel ordre, o,comment, dans quel but et avec quel rsultat. Mais ct de ce point communvident, il faut relever demble une srie de divergences :

    1. Les personnalits divines dont le Yast comporte un catalogue de sacrifiantssont trs diversement connotes. Vaiiu est un dieu hrit du pass indo-iranien.

    * Les renvois, invitablement frquents, aux travaux dArthur Christensen obissent aux conventionssuivantes. Chr. I : Le premier homme et le premier roi dans lhistoire lgendaire des Iraniens, vol. I,Stockholm 1917 ; Chr. II : id., vol. II, Leiden 1934 ; Chr. III : Les Kayanides, Kbenhavn 1932 ;Chr. IV : Le premier chapitre du Vendidad et lhistoire primitive des tribus iraniennes, Kbenhavn1943. Je remercie Norbert Oettinger et Sara Circassia davoir mis leur travail ma disposition.

  • JEAN KELLENS722

    Lentit allgorique Asw i porte un nom que nous lisons dans les Gathas, mais sanspouvoir discerner avec certitude si labstraction est dj personnifie. Anahita etDruuaspa ont en commun, outre leur sexe, de ntre dsigne ni par leur nom,ni par un titre 1, mais par leur(s) pithte(s) privilgie(s), et dentretenir depossibles connexions cosmologiques (Anahita avec la voie lacte et Druuaspaavec ltoile polaire). Par ailleurs, les deux divinits sont dune importance ds-quilibre. Alors quAnahita est une vedette du panthon mazden partir delAvesta rcent, Druuaspa, sans son Yast et la mention subsquente du Siroza,ne serait connue que par deux monnaies kouchanes, o elle a chang de sexe,et une attestation dans les supplments au S ayest ne- S ayest (Kotwal, Supplemen-tary Texts to the S ayest ne-S ayest, 1969, 23), comparativement documentes parle rituel domestique vdique du Dhruvasvakalpa.

    On ne peut non plus tablir un rapport ferme entre ces divinits et les fonctionstraditionnelles. Anahita et Asw i sont certes des desses fcondantes, quoique laseconde soit aussi membre du cortge de Mira et exerce, en tant que sur dela daena, une fonction eschatologique. Pourtant, toutes les demandes qui leursont adresses, mises part celles qui relvent de la priptie personnelle (commecelle de Pauruua et de Yoista dans le Yast 5), sont exclusivement de natureguerrire ou religieuse. Notre information sur Druuaspa est trop limite pour quenous puissions lui assigner quelque fonction que ce soit et si Vaiiu passe pourle prototype le plus brutal du dieu guerrier, cela est tout entier induit de donnescomparatives indiennes. Selon son Yast, il est le seul des quatre divinits enquestion qui des femmes sacrifient (Yt 15.32 et 39), et dans le but de trouverun mari et de pouvoir engendrer (Yt 15.39). Rien de tout cela ne fait sens a priori.

    2. Les Yasts catalogue de sacrifiants ont t introduits de manire distinctedans le processus de canonisation. Il est possible que le Yast 17 Asw i ait textrait date ancienne du texte consacr au xvarEnah qui nous est connu sousla forme du Yast 19 (Kellens, JA 284. 1, 1996, 89), mais cela reste une conjectureet il est possible que le morceau retranch ait reu des additions destines lamplifier, dont le catalogue des sacrifiants. Le Yast Anahita ne figure pasdans la liste canonique de Yasna 1-7, mais bien dans celle du Visprad 1-2(ibidem 97). Par contre, aucun passage de lAvesta ne tmoigne de lexistence detextes sacrificiels consacrs nominalement Vaiiu et Druuaspa. En corollaire, sice nest Asw i, ces divinits nont avec les jours du mois que le rapport secondairedfini par leur place dans le corpus des Yasts et entrin par le Siroza (Anahita :les eaux, Druuaspa : lme de la vache, Vaiiu : le vent et raman-).

    1. Sur cette absence de titre, voir Kellens, Panthon de lAvesta ancien, 1994, 22-23. Anahita est unnom de convention, parfaitement anachronique, en fait la troisime et dernire des pithtes qui, dfautde nom, servent dsigner la desse. Je pense que le vrai nom d Anahita est ap- au singulier, donc laRivire par excellence, par opposition ap- au pluriel, les eaux comme lment. Lhypothse de h-avance par Pirart (in Syntaxe des langues indo-iraniennes anciennes, 1997, 156-159) parat absurde,mais uniquement du fait de sonorits qui nous semblent incongrues, car elle repose sur lobservationexacte que deux pronoms enclitiques ne peuvent se succder comme ils semblent le faire dans Yt 5.1etc. yazaesa me hm et Yt 5.129 mst z me hm.

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 723

    3. Trois catalogues de sacrifiants ont la mme importance proportionnelle danslconomie de leur Yast respectif : ils reprsentent peu prs la moiti delhymne, un peu plus dans le Yast 15 Vaiiu (strophes 2 41 sur les 57), unpeu moins dans le Yast 17 Asw i (strophes 23 52 sur les 61), assez exactementdans le Yast 5 (strophes 16 51 et 97 118 sur les 133, en faisant abstractionde la liste des sacrifiants secondaires de 52 83). Par contre, le catalogue duYast 9 Druuaspa constitue lui seul la matire mme de lhymne (33 strophes),qui na doriginal que ses deux strophes dintroduction.

    4. Chaque catalogue de sacrifiants est insr dans un cadre rhtorique diffrent.Pour ne plus parler du Yast 9, le catalogue du Yast 15 Vaiiu ouvre lhymneet est suivi par une namastuti (42-52) 2, puis un frasna o le dieu pose sesexigences rituelles (53-57) 3 ; celui du Yast 17 Asw i est encadr par le rcit dedeux mythes, celui de la confrontation entre Asw i et Zaraustra (6-22) et la traquede la desse par les enfants impubres des clans Tura et Naotara, ce dernier rcittant exemplatif de lexclusion des indsirables (53-61)3. Non seulement le Yast5 Anahita est plus long et plus complexe que les autres (il ne sert rien pourlinstant de chercher tablir sa structure prcise), mais il a ceci de particulierque sa formule dintroduction est fonde sur la 2e sing. opt. prs. yazaesa sacri-fie ! et non sur la 1re plur. ind. prs. yazamaide nous sacrifions . Il sagitdonc fondamentalement dun texte de type frasna et il y a de bonnes raisons decroire quun frasna formulant des ordres loptatif prsent tait dfini par leterme data- texte prescriptif . Le Yast 5 relve donc dun genre rhtoriquetout fait spcial : cest un data consistant en linjonction sacrifier 4.

    5. Il faut insister sur le fait que les quatre catalogues ne sont pas identiques,mais se rpartissent en trois variantes : celle du Yast 5, celle du Yast 15 et celledes Yasts 9-17, ces deux derniers textes ne diffrant que par la description dela manire dont la divinit ragit au sacrifice qui lui est offert 5. Chaque listementionne imprativement le protagoniste, le lieu et le type de sacrifice, mais ily a des diffrences. La liste des sacrifiants est variable et plus ou moins dtaille,la localisation du sacrifice peut changer de concert avec lvnement qui lainspir et le Yast 15 ne mentionne quune seule manire sacrificielle, qui lui estpropre. Le catalogue du Yast 5 est certes le plus long et il a ceci de particulierquil est ouvert des hros secondaires, compagnons de ceux qui constituentlossature de la liste, mais il ne faut pas pour cela le considrer dmesurment

    2. Ce genre rhtorique, encore attest dans le Yast 1, fait lobjet dune tude paratre de Panaino.3. Les motifs exigences rituelles et exclusion des indsirables ont t dfinis par Skjaerv

    (Sprache 36, 1994, 213-225).4. Le Videvdad rpond presque tout entier au genre data, qui entre dans la composition de son titre

    (vdaeuua- data-). Lexistence de textes data sacrificiels me parat confirme la fois par Yt 10.119mirEm yazaesa, fragment dun type identique celui du Yast 5, et par linscription Perspolis h deXerxs, qui associe clairement la notion de data et linjonction optative sacrifier (49-50 avana datapardiy... auramazdam yadaisa). ric Pirart a fait la mme observation ( paratre), mais en tire desconclusions que je ne puis partager.

    5. Asw i semble prise dune agitation frntique pour satisfaire le sacrifiant (pairi. tacat~

    pairi. jasat~

    ).

  • JEAN KELLENS724

    comme un tmoin privilgi. Les deux autres variantes lui apportent des compl-ments utiles et parfois dcisifs (comme Yt 9-17 propos de Yima). Partant, ilnest pas pertinent a priori de dfinir les Yast 9 et 17 comme des compilationstardives ds lors que leur matriel formulaire nest pas visiblement emprunt un texte connu et est dune grammaire ni plus ni moins valide que celle desautres variantes.

    Nous devons comparer sur un pied dgalit les trois variantes du catalogueet les rapporter dautres textes relatifs lhistoire mythique de lIran, principale-ment le cur du Yast 19 au xvarEnah (25-44 et 70-87) et le dbut du Hom Stom(Y 9.3-15), accessoirement quelques strophes du Yast 13 (9-104 et 130-138) etlA frn- Zardust. Ainsi pouvons-nous esprer mieux comprendre ce que les cata-logues de sacrifiants disent dune triple histoire, celle du genre humain, celle delentit territoriale iranienne et, peut-tre, celle du sacrifice.

    2. De si nombreux premiers hommes

    Daprs le Yast 19 et les catalogues de sacrifiants, trois personnages successifsreprsentent le type du premier homme : Haosiianha, Urupi azinauuanw t (voquseulement par Yt 15.11) et Yima. Il faut leur adjoindre, en amont, Gaiia marEtan,mentionn dans quelques vocations de frauuasw is (Y 13.7, Y 26.5, 10, Y 67.2,Y 68.22, Vr 21.2, Yt 13.87, 145), et les jumeaux Masiia-Masiianag, inattests,mais dont le nom est orthographi la manire avestique dans les livres pehlevis.Il faut encore ajouter un outsider au statut comparatif imposant, Vuuanvhanw t,qui nest connu que pour tre le pre de Yima (Y 9.4). Lampleur de ce groupedes origines pose des problmes complexes qui tiennent tant aux lacunes dessources quaux difficults de linterprtation du mythe.

    LAvesta tait le lien gnalogique qui devrait logiquement exister entre lestrois sacrifiants et la tradition pehlevie prsente sur ce point des divergencesconsidrables. Hosang (Haosiianha) est le rejeton incestueux de Masiia-Masiia-nag, directement ou via une (Syamag-Nasag) ou deux (Syamag-Nasag, puis Fra-vag-Fravagen) autres unions gmellaires (Chr. I 110-113). Taxmorub (Urupiazinauuanw t) est prsent comme le frre, tantt de Vvangan (Vuuanvhanw t), tanttde Yam (Yima) (Chr. I 135), et Vvangan descendrait de Hosang, lui aussidirectement ou via un (Jangad) ou deux (Jangad, puis Ajangad) intermdiairesobscurs (Chr. II 78-80).

    Comme la comparaison indo-iranienne ne peut sappuyer que sur lquivalencede deux noms, Vivasvant : Vuuanvhanw t et Yama : Yima, ce foisonnement nins-pire pas confiance et Christensen, en une simplification radicale, a pu conclureavec toutes les apparences de la vraisemblance que, dans ltat ancien du mythe,Yama : Yima tait le seul vritable premier homme (Chr. II 32-62). Voire. En1957, le linguiste Karl Hoffmann a publi un article, Martanw dw a und Gayomart,qui est rest son unique contribution la mythologie comparative et qui auraitpu bouleverser notre comprhension du mythe indo-iranien des origines humaines

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 725

    sil ntait rest tonnamment mconnu (MSS 11, 1957, 85-103 = Aufs. 422-438, version anglaise dans German Scholars on India, vol. II, 1976, 100-117 =Aufs. 715-732).

    Plusieurs textes vdiques en prose font le rcit suivant de la naissance desdieux A dityas. Aditi, la mre des dieux, cuit une bouillie de riz pour les dieux(qui, logiquement, sont donc des dieux prexistants ses fils, comme les Vasuset les Rudras). Elle mange ce quil en reste et engendre deux jumeaux, Dhataret Aryaman. Aprs des oprations identiques, elle engendre, la premire fois,Mitra et Varunw a, la seconde, Amw sa et Bhaga. Aditi se dit alors que si elle aobtenu des jumeaux en mangeant le reste, elle obtiendrait mieux encore eninaugurant le plat. Or ceci est une faute. Cest une faute rituelle, si la bouillie acette fonction, car le sacrifiant ne peut manger avant les dieux, et cest aussiune faute domestique, car la femme ne peut manger avant lhomme. Pourtant,cela marche. Les deux nouveaux ftus sont si prometteurs que les A dityas djns prennent peur et provoquent lavortement de leur mre. Lun des deuxembryons se met demble debout, rempli dune vitalit inoue : ce sera Indra,le grand dieu guerrier. Mais lautre tombe par terre sous la forme dun ufmort (mr

    tam anw dw am) et cest de lui que natront les hommes fils de lufmort (martandw a-). RS 10.72.8-9 fait allusion ce mythe : Aditi eut huit filsns de son corps. Elle rejoignit les dieux avec sept dentre eux, mais jeta dect luf mort. Aditi rejoignit avec ses sept fils la gnration divine, mais lufmort, elle labandonna pour la reproduction et pour la mort (praja yai mr

    tyave). Puis les vnements se compliquent. Aditi demande ses fils de sauver leurmalheureux frre. Ils le transforment en une vritable divinit, Vivasvant, quidevra toutefois leur rendre le sacrifice et leur faire don de sa descendance. Cehuitime A ditya pouse Saranw yu, fille du dieu forgeron Tvasw tw ar, et engendre avecelle deux nouveaux jumeaux, Yama et sa sur Yam. Aprs quoi, lasse desrapports conjugaux, Saranw yu cre une forme fminine son image, que Vivasvantfconde et qui produit Manu, pre direct de lhumanit mortelle. Pourtant, cestYama qui sera le premier vivre une destine humaine complte, cest--dire subir finalement la mort, quil aurait dlibrment choisie, selon RS 10.13.4, pour lamour des dieux et de la descendance (devbhyahw kam ... praja yaikam), cest--dire afin de pouvoir sacrifier et se reproduire.

    Nous sommes prsent en mesure de mieux cerner le problme des premiershommes avestiques. Selon le mythe indo-iranien, lhomme est fils et frre desdieux, mais, la suite dun incident de parcours (un avortement en Inde), il setrouve soumis une mortalit quil porte inscrite dans son nom, Martanw dw a ouGaiia marEtan. La capacit de sacrifier et de se reproduire, qui lui choit enchange, est la fois un devoir de sujtion envers les dieux et un espoir desalut. Le fait que la comparaison indo-iranienne nest pas rduite la successionVivasvant : Vuuanvhanw t-Yama : Yima dvoile brusquement le simplisme delhypothse de Christensen. Nous connaissons en ralit les deux extrmitsdune histoire qui sest complexifie diffremment de part et dautre de lIndus :

  • JEAN KELLENS726

    Martanw dw a : Gaiia marEtan et Yama : Yima 6, entre lesquels Vivasvant : Vuuanv-hanw t sinsre en demeurant une nigme, car il est un dieu au rapport incertainavec Martanw dw a en Inde, un homme (masw iia-) dorigine obscure en Iran.

    Nous ne connaissons pas vraiment les causes que la pense iranienne attribue la mortalit humaine, car lAvesta nen parle pas et les textes pehlevis ras-sembls par Christensen (I 13-30) sexpriment de telle sorte quon ne comprendpas bien si elle rsulte dun plan divin, dune agression dmoniaque ou des deux la fois (le plan prvoyant lagression). Une concordance textuelle, dapparenceinnocente, entre le Veda et lAvesta nous permet dapporter une prcision, dumoins pour ltat commun du mythe. RS 1.5.6. fait rfrence en ces termes lanaissance extraordinaire dIndra : tvam sutasya ptaye sadyo vr

    ddho ajayathahw ;indra jyaisw twhyaya sukrato pour boire le jus-press, tu es n grand tout de suite, Indra, pour obtenir ltat de plus g, toi qui a une bonne efficacit. Indraest n avec toute sa taille, si bien que, quoique n le dernier, il est devenu lande ses frres et a obtenu le privilge de boire le soma. Or, une ide analogueest exprime dans la strophe gthique 31.8 at

    ~

    a mEnh paouruum mazdayazum stoi mananha je pense par la pense que tu es lan, Mazda, quoiquetu sois le cadet. On peut en infrer que, dans le mythe indo-iranien, la mortalithumaine apparaissait comme la contrepartie de la force qui assurait la prdomi-nance dun dieu sur les autres, Indra en Inde, Ahura Mazda en Iran. Ainsi, une poque ancienne que seule la comparaison permet dentrevoir, la mythologietait dj investie par la thologie.

    Lossature prhistorique du mythe, constitue par le trio Gaiia marEtan,Vuuanvhanw t et Yima, tait donc dj toffe lpoque avestique. On comprendque si lIran ne retient, de la parent de lhomme avec les dieux, que le rapportpre/mre-fils et introduit dans la srie des premiers hommes le couple jumeauMasya-Masyanag, cela va de pair avec son idologie de linceste. Lhumanitest issue de trois engendrements successifs qui rpondent aux trois types possiblesdinceste. Lunion du grand dieu O hrmazd (Ahura Mazda) et de sa fille Spandar-mat (SpEnw ta A rmaiti), qui est la terre, produit Gayomard (Gaiia marEtan). LorsqueGayomard meurt, son sperme tombe terre et fconde sa mre Spandarmat. A`cet endroit nat, sur une tige de rhubarbe, le couple Masya-Masyanag, jumeauxsiamois qui se diffrencient sexuellement lge de la nubilit et dont lunionest lorigine de lhumanit. Cependant, cela nexplique pas tout. Pourquoi letroisime inceste na-t-il pas t attribu Yima et comment rendre compte desfigures de Haosiianha et de Urupi azinauuanw t ? Avant dinvoquer une prtendueaversion zoroastrienne pour Yima et des dveloppements romanesques gra-tuits, il faudrait mieux comprendre le mythe essentiel et droutant de Yima.

    6. Ces deux personnages ne font pas double emploi si on fait la distinction entre prototype delhumanit et premier homme (Hartman, Gayomart, 1953, 27-37).

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 727

    3. Le mythe de Yima.

    Trois prtendues vidences doivent tre tenues en suspens si on veut discernerles articulations du mythe de Yima :

    1. Yima est un roi. Le caractre royal de Yima, tenu pour une vidence parChristensen (Chr. III passim) aussi bien que par Dumzil (Mythe et pope II,1971, 239-374), est la projection dautres niveaux chronologiques ou le produitdune smantique imprcise. Que le type du premier homme se confonde nces-sairement avec celui du premier roi dans les mythologies indo-europennesanciennes est une ide qui demanderait tre vrifie et cest luvre mme delpope persane que de prsenter lhistoire mythique de lIran comme une chro-nique dynastique, ce quelle nest pas lorigine. Considrer le mot xvarEnah-comme lexpression de la gloire royale est anachronique et xsara- comme celledu pouvoir royal radicalement faux 7.

    2. Yima a commis une faute qui anantit son uvre dimmortalit et cause sapropre fin. Cette ide est fonde sur la concordance entre la seule strophegthique qui fasse rfrence Yima (Y 32.8) et le passage du Yast 19 (34-38)mentionnant la triple faute provoquant la triple fuite du xvarEnah. Or, ces deuxtmoignages sont profondment dissemblables. La faute des Gths est appeleaenah-, un mot dont les attestations rcentes sont rsiduelles (Y 65.11 et le prs.dnom. aenanha- de Y 9.29), et la strophe prsente trop de difficults pour quenous puissions comprendre en quoi cette faute a consist (Kellens-Pirart, TVAIII, 1991, 86 sq.). Les trois fautes du Yast 19 ont un rapport explicite avec lemensonge, mais il se pourrait quelles naient cr quune contrarit passagre(cet annuaire 1997-1998, 745-747). Il est troublant que le long rcit circonstancique le Videvdad 2 fait de luvre de Yima ne comporte aucun motif peccami-neux.

    3. Le mythe de Yima est composite et incohrent. Ses deux pisodes constitu-tifs, linstauration de limmortalit et la construction du vara, constituent desmotifs universels (lge dor, le dluge), mais aussi incompatibles. Dumzil critadmirablement : Comme les auteurs de comdies ou de romans qui, dunedition lautre, renversent le sens de la dernire priptie, rsolvent bien une intrigue qui, dabord, finissait mal , lAvesta ajuste en somme deuxconceptions difficilement conciliables du rgne de Yima (op. cit., 246 sq.).Mais mfions-nous : il reste voir si on na pas renonc trop vite trouver uneinterprtation compatible.

    7. Lquivalence de lpithte fondamentale de Yima, xsaeta-, avec scr. ksw aita-, dit de Soma, et satraduction par Herrscher ont t proposes par Geldner (Studien zum Avesta, 1882, 124) unepoque o on pensait que le prsent ksw ayati tre matre de drivait de la mme racine ksw i que ksw ti habiter (ainsi Grassman et Whitney). Wikander, qui nous devons la version moderne de cetteinterprtation (Studia Linguistica 5, 1951, 89-94), reconnat trs honntement que ni le rapprochementavec sogd xsy seigneur , ni celui avec v.-p. axsaina- de couleur mate nont une autorit tymolo-gique dcisive. Si nous laissons parler les textes, il est tentant de considrer simplement que si Yimaest xsaeta- clatant comme le soleil, cest parce quil lui ressemble (huuarE.darEsa-).

  • JEAN KELLENS728

    En dpit de quelques nigmes et de quelques lacunes une faute et unjumeau pareillement introuvables , Yima est de loin le hros avestique dontnous connaissons le mieux lhistoire, bien mieux que celle de Zaraustra. Nousle devons au deuxime chapitre du Videvdad qui est ce mythe ce que le karde6 du Yt 8 (10-34) est au mythe de Tistriia : une narration explicite dans le stylefrasna (cet annuaire 1998-1999, 697 et 703). Et, quelques dcouvertes rcentesayant permis dlucider certains pisodes, la collation des diverses sources aves-tiques nous met en mesure de distinguer nettement les phases successives deluvre de Yima :

    1. La nature humaine. Yima, comme dj son pre, est pleinement un homme(masw iia-). La comparaison des donnes vdiques et avestiques rcentes ne livredonc aucun accs un tat du mythe o *Yama serait le dieu des morts, commeFussman en a fait lhypothse sur la base des donnes dardes et kafires (JA1977, 21-68). Mais cela ne signifie pas que cette variante na pas exist.

    2. Llection divine. Yima est un personnage dune importance singulire dansle mythe iranien des origines. Comme Zaraustra et deux autres hros seulement,il doit sa naissance un pressurage effectu par son pre (Y 9.4) 8 et, commeZaraustra seul, Ahura Mazda en fait linterlocuteur de ses frasna entretiens (V 2. 1-2). Je ne dirais plus, comme je lai fait nagure (AI 23 : OrientaliaDuchesne-Guillemin, 1984, 281), que Yima et Zaraustra sont rivaux etparents , ni que le premier est le prcurseur grandiose et failli du second.Avant de parler de rivalit improbable et de faillite relative , il fautrelever que leur statut privilgi de confident dAhura Mazda tient aux analogiesde leur rle historique : eux seuls parmi les hros du pass ont fait uvredimmortalit, mais une poque, dans un esprit et selon des techniques diff-rentes.

    3. Le projet rejet. Yima refuse dinstaurer la daena, comme le lui proposeAhura Mazda. Malheureusement, les termes de la proposition dAhura Mazda etceux du refus de Yima ne sont parfaitement ni identifiables, ni comprhensibles(cet annuaire 1997-1998, 760 n. 39). Quoi quil en soit, lpisode est rellementdconcertant. Pourquoi Ahura Mazda souhaite-t-il instaurer la daena alors quelhumanit est encore rduite quelques individus ? Pourquoi, ensuite, renonce-t-il son plan avec tant de dsinvolture et de bonne grce en proposant immdia-tement un autre projet ? 9 Il faut voir, cependant, quune logique contraste unit

    8. Le texte ne permet malheureusement pas de prciser si la gnration somique a facilit la gnra-tion sexue ou sy est substitue.

    9. Une grande part de la difficult rside bien entendu dans le mot daena- lui-mme, auquel onattribue traditionnellement deux sens en apparence htroclites : religion et me-prgrinante . Maconviction est que, dans le cas o le mot ne dsigne pas de faon immdiate lme fminine qui serunit lme masculine du dfunt, il dsigne le secteur de la religion qui permet de raliser cetterunion. Quand jcris instaurer la daena , jentends donc instaurer les pratiques sociales (mariageincestueux) et cultuelles (sacrifice dun type particulier) qui assurent la runion des deux mes.

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 729

    les deux projets successifs. Refuser la daena, cest dune certaine manire refuserde mourir.

    4. Le projet accept. Ahura Mazda propose un projet de substitution : Multi-plie mes tres-vivants, fais grandir mes tres-vivants, accepte dtre le protecteurde mes tres-vivants (V 2.4.). Il sagit donc de pourvoir les espces vivantesdes processus biologiques de croissance (vard) et de reproduction qui les multi-plieront (frad). Ce programme de dveloppement du monde vivant contraste lvidence avec celui de la daena, puisquil implique un excdent de la reproduc-tion sur la mort et une diffrentiation croissante des individus qui conduit labandon des incestes et, tout particulirement, des incestes gmellaires qui ontproduit les gnrations humaines jusqu Yima lui-mme. Yima accepte cettemission en reprenant les termes dAhura Mazda, mais il y inclut, comme silsagissait dun projet personnel, linstauration de limmortalit : Tant quejexercerai mon pouvoir, il ny aura ni vent froid ni vent chaud, ni souffranceni destruction (V 2.5.). Or, ce dessein ne cadre pas avec celui dAhura Mazda :il exige que le cycle biologique se fige un moment donn (pour lhomme, cesera quinze ans) et Yima exprimentera dans les faits lincompatibilit entrela reproduction et limmortalit. Le refus de mourir et le projet dimmortalitauraient-ils t sa faute fondamentale ?

    5. Les outils de Yima. Pour accomplir son projet, Yima use du xsara. V 2.7nous dit avec la clart la plus explicite en quoi consiste ce pouvoir. Ce nestnullement le pouvoir royal, mais la force magique qui mane des deux instru-ments que lui confie Ahura Mazda, la baguette (astra-) et le cor (sura-) 10. Unefois que ces deux outils de ptre lui ont t remis, V 2.7 constate : yimo astibErEe xsaraiia voici Yima en possession des deux xsara . Loptatif prt-rital itratif de Y 9.5 yauuata xsaiioit

    ~

    ... yimo tout le temps que Yima a usde son pouvoir confirme que le pouvoir de Yima consiste en un acte qui peuttre rpt.

    Lefficacit de ce xsara est soutenue par le sacrifice aux divinits quvo-quent les catalogues de sacrifiants. Par contre, la possession du xvarEnah force-dabondance nest pas la cause, mais la consquence du pouvoir de Yima.Yt 19.31 enseigne avec prcision que le xvarEnah a t son apanage pendantle long temps o il usa de son pouvoir (darEEmcit

    ~

    aipi zruuanEm yat~

    xsaiiata)et permet ainsi de comprendre que le superlatif xvarEnanvhastEmo zatana

    m ...

    masw iianam que Y 9.4 et Yt 15.16 appliquent Yima est de nuance temporelle.

    Yima est celui des hommes ns jusqualors qui disposa le plus longtemps duxvarEnah , cest--dire plus longtemps que Haosiianha et Urupi azinauuanw t.

    10. Notre comprhension de lpisode a t bouleverse par lidentification de cet instrument :Duchesne-Guillemin, Comptes rendus des sances de lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres de1979, 1980, 539-549, daprs Tafazzoli, cit p. 541 n. 3. Puis Kellens, VA, 1984, 309-311 et AI 23 =Orientalia Duchesne-Guillemin, 1984, 269-272.

  • JEAN KELLENS730

    6. Premire opration : faire comme les prdcesseurs. Selon Yt 5.26 (voiraussi Yt 19.31), Yima fait dabord Anahita la mme demande que Haosiianha :exercer le contrle suprme (upEmEm xsarEm) sur les tres malfiques, savoirles dmons et leurs fidles (daeuuana

    m masw iiana

    mca), les sorciers et les sorcires

    (yaam pairikana

    mca) et les trois varits de prtres maudits (sara

    m kaoiia

    m

    karafnamca) 11. Yima commence donc par faire ce quont fait ses prdcesseurs,

    mais partiellement. Il faut relever comme un fait hautement significatif quil nedemande pas tuer ses adversaires. Comme jy ai insist (cet annuaire 1997-1998, p. 759), les ouvriers de limmortalit (Yima, Zaraustra, le saosiianw t final),et eux seuls, ne tuent pas. Et des trois, Yima est le plus innocent : le saosiianw tfait tournoyer une arme et Zaraustra jette des pierres.

    7. Deuxime opration : frustrer les dmons. Selon Yt 5.26 et Yt 19.32, aulieu de tuer les dmons, Yima leur enlve la jouissance de six biens, numrsdeux par deux istisca saokaca, fsaonisca va

    aca, ra

    fsca frasastisca, cest--

    dire, selon moi, la qute et la lueur (la lumire du feu rituel et le reprage dusacrifice quelle permet), le petit et le gros btail, lassouvissement rituel etlnonc solennel des qualits (cet annuaire 1997-1998, p. 760 n. 8). La cohrencede la srie exigerait que le petit et le gros btail reprsentent les victimes delimmolation, mais la variante formulaire de Yt 9. 9-10 fait une autre suggestion,que nous allons examiner.

    8. Troisime opration : instaurer limmortalit. La plupart de nos sourcesdcrivent cette opration en la distribuant dans le triptyque btail et hommesnon soumis la destruction, eaux et plantes non soumises la scheresse,nourriture inpuisable alors mme quon la mange (Y 9.4, Yt 15.16, Yt 19.32),ou en numrant les absences constitutives de ce quon a appel un ge dor(vent froid et vend chaud, vieillesse et mort, jalousie instigue par les dmons)(Y 9.5 Yt 15.16 Yt 19.33 V 2.5). Mais le tmoignage essentiel est celui de lavariante formulaire de Yt 9.9-10, qui fond les donnes de la deuxime et de latroisime opration : 9. dazdi me vanvhi sEuuiste druuaspe tat

    ~

    aiiaptEm yaaazEm fsaoni va

    a auua.barani auui mazda damabiio yaa azEm amErExtm

    auua.barani auui mazda damabiio 10. uta azEm apa.barani uua suEmca tar-snEmca haca mazda damabiio uta azEm apa. barani uua zaouruua

    mca mErE-

    iiumca haca mazda damabiio uta azEm apa. barani uua garEmEmca vatEmaotEmca haca mazda damabiio hazanrEm aibi. gamana

    m 9. Accorde-moi ce

    succs, bonne et trs opulente Druuaspa, que japporte le petit et le grosbtail dans les instaurations de Mazda, que japporte lindestructibilit dans lesinstaurations de Mazda, 10. que jemporte la soif et la faim des instaurations deMazda, que jemporte la vieillesse et la mort des instaurations de Mazda, quejemporte le vent chaud et le vent froid des instaurations de Mazda, (tout cela)

    11. vspanam daxiiuna

    m, qui suit directement xsarEm et occupe la place dvolue paiti bumm

    haptaiiiam dans Yt 19.31, doit tre gnitif subjectif de xsarEm par opposition aux gnitifs objectifs

    daeuuanam etc. Il y a ubhayaprapti.

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 731

    pour mille ans. Yima rend les vivants immortels en procdant selon un doublemouvement : il emporte ce qui tait et il apporte ce qui ntait pas. Il fait doncuvre de dmiurge en corrigeant lordre divin. Il introduit dans celui-ci, aveclaide du dieu lui-mme, il est vrai, la possession du btail et de limmortalit,il en retranche la faim et la soif, la vieillesse et la mort, le vent froid et le ventchaud. Accessoirement, il faut en conclure que le btail tait en possession desdmons, titre de richesse ou de victimes virtuelles, avant que Yima en fassedes tres-vivants dAhura Mazda (me/te gaea V 2. 4-5) et la proprit deshommes. On peut lgitimement penser que ce double mouvement contraire,emmener et amener, est lui aussi provoqu par lusage des deux outils de Yima,le premier par la baguette centrifuge et le second par le cor centripte. On voitque lpithte huua

    a- aux beaux troupeaux accorde systmatiquement

    Yima nest pas vaine, mais se rfre ce qui est la constance mme de sonuvre. Yima est non seulement le ptre danimaux si nombreux quil peut sepermettre des hcatombes, il lest aussi des richesses et des bnfices rituels desdmons, de la mort et de limmortalit, de la terre quil va agrandir, des astresdont il dcorera le vara et des vivants dlite quil sauvera de lhiver.

    9. Limpossible immortalit. A` trois reprises aprs trois cents ans, Yima devraagrandir la terre devenue trop petite en la conduisant avec la baguette commesil sagissait dun troupeau. LIran a donc mis en scne de manire romanesqueun schme conceptuel sur lequel les Indiens ont eux aussi spcul, au tmoignagede RS 10. 72.9, qui prsente Martanw dw a abandonn pour la reproduction et pourla mort (praja yai mr

    tyave). Yima exprimente, par les faits dune situationdont il est lauteur, lincompatibilit entre la reproduction et limmortalit.

    Il est possible que la triple faute de Yima (Yt 19. 34-38) soit en rapport avecla triple extension de la terre, comme la suggr Panaino (Kratylos 42, 1997,70), et elle a peut-tre consist, dans la confrontation avec la difficult, soup-onner Ahura Mazda de mensonge (cet annuaire 1997-1998, p. 746). Et si Yimaa commis une seule faute fatale, il est possible quelle ait t inscrite dans unprojet qui lui tait personnel, conduisait limpasse et avait pour consquenceinluctable, comme nous allons voir, lintrusion du dmoniaque dans le mondematriel.

    Cest ici quil faut noter que les pithtes traditionnelles de Yima, exhaustive-ment rassembles dans Y 9.4 12, sont frquemment connotation solaire. Ainsisrra- et xsaeta-, certes, mais, plus prcisment, huuarE. darEsa-, qui la dtermi-nation par le gnitif masw iiana

    m confre une valeur de superlatif dans une expres-

    sion quil faut comprendre comme le seul homme qui ait eu lapparence dusoleil. La nature solaire de Yima est peut-tre le leg estomp de son pre

    12. auruua- est irrductiblement incomprhensible. La traduction usuelle par rapide reproduitune conjecture du traducteur pehlevi fonde sur lhomonymie approximative, mais tymologiquementincompatible, avec auruuanw t-. Lhypothse plus ancienne de Geldner (KZ 28, 1887, 189-190) est sansvaleur.

  • JEAN KELLENS732

    Vuuanvhanw t / Vivasvant, mais elle rsulte surtout, dans lconomie du mytheavestique, de la manire dont Yima sy prend pour agrandir la terre : il se dirigeavec elle vers les lumires, midi, en empruntant le chemin du soleil (V 2. 10,14 et 18 raoca a upa rapia

    m hu paiti aanEm). Le pasteur de la terre a bel

    et bien pris la forme et la place du soleil pour amplifier sa trajectoire dest ensud, de sorte que la terre se trouvt la fin deux fois plus grande quau dbut.

    10. Deux runions. Quelque temps aprs le troisime largissement de la terre,Ahura Mazda convoque lassemble (hanw jamanEm fra + bar) des dieuxariens et Yima celle des hommes les meilleurs (V 2.20). Ces deux rassem-blements fondent une danhu idale appele airiiana- vaejah- vanhuiia daitiiaiia ,littralement tourbillon iranien de la (rivire) bonne et adquate , o viventavec les dieux les humains dlite qui peupleront le vara et donneront naissance la nation iranienne. Mais il leur faudra aussi affronter le grand hiver, qui metfin limmortalit de Yima.

    11. Le grand hiver et la construction du vara. A` lissue des deux runions,Ahura Mazda annonce Yima quun grand hiver va fondre sur la terre et dcimerles espces vivantes (V 2. 21-24). Cet hiver est certes une fabrication dAnraMainiiu, une instauration des dmons comme le dit explicitement V 1.2, mais ila ceci de positif quil va dtruire ce quil y a de mauvais dans le monde matriel(V 2.22 ahum astuuanw tEm aEm). La caverne artificielle 13 que Yima construitselon la technique des potiers est destine abriter les exemplaires les plusgrands, les meilleurs et les plus beaux des espces vivantes (V 2.35). Au-delde la priptie, le grand hiver et lentreprise qui y remdie ont une fonctioneugnique. La multiplication et la diversification des vivants, que limmortalitde Yima avait permises, ont eu pour effet dintroduire de mauvaises choses dansle monde matriel, constituant pour celui-ci le temps du mlange. Le mlangeperdurera aprs le grand hiver, mais, du moins, les vivants du vara et, donc, lesanctres des Iraniens seront dpourvus des tares physiques et mentales dfiniescomme marques dAnra Mainiiu (V 2.37). Cette puret originelle devra treremmore dans le sacrifice, qui exige lexclusion de certains indsirables (parexemple Yt 5.92).

    12. Tout recommence. LAvesta nous laisse dans lignorance de ce quil advintde Yima aprs lultime service rendu linstauration divine et au genre humain.Tout au plus donne-t-il entendre quil ne sest pas install dans le vara. Lessources pehlevies enseignent quil mena, durant un sicle, une existence pnibleet menace, avant que ses ennemis le dcouvrent et le mettent mort. Neconcluons pas trop vite que cette dchance finale est leffet de la fameuse faute.Peut-tre Yima partagea-t-il tout naturellement la misre du monde ployant souslhiver et infest par les dmons. Trois sources seulement, le Bundahisn, laRivayat pehlevie jointe au Dadestan- deng et le Jamasp Namag (Chr. II 21 et

    13. Car nous savons prsent que le vara- (= scr. vala-) nest pas un enclos, mais une caverne(Hauschild, MI0 7, 1959, 25 n. 40, puis Gershevitch, in Memorial de Menasce, 1974, 66-69).

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 733

    28-29) mentionnent la sur jumelle de Yima, Yamag. Cest par elles seules quenous savons quil y eut bien un quivalent iranien de lindienne Yami et queYima, durant son dernier sicle lamentable, redcouvrit avec elle les plaisirs etles bienfaits de lamour incestueux/gmellaire.

    Nous voici en mesure daffiner la comparaison entre le mythe indien et lemythe iranien. Il faut admettre que les donnes du mythe indien sont primaires : lorigine, *Yama tait bien le premier homme, le premier mort et le premieroccupant du paradis 14. Trop de dtails du mythe iranien apparaissent comme lesmotifs dvis de cette reprsentation pour quil en aille autrement : le cor, laconstruction du vara et le rassemblement dans lAiriiana Vaejah (avec la concor-dance lexicale scr. samw gamana- : av. hanw jamana-) doivent bien correspondre,respectivement, au pipeau qui annonce lheure de la mort, la fondation duparadis et laccueil des mes. Le mythe iranien est donc innovant. Mais ce quifonde linnovation, ce nest ni lincohrence, ni linversion du rapport avec lamort, cest linversion chronologique des pisodes. Yima est le constructeur duparadis avant dtre le premier homme. Avec le vara, Yima construit le paradisde la premire poque du trimillnium, qui fut caractrise par limmortalitavant de sombrer dans lhiver. Puis, sunissant sa sur jumelle, il est loriginedes hommes de la seconde poque, qui sachve avec linstauration de limmorta-lit mentale par Zaraustra.

    Dans cette optique, on sexplique assez bien les nuances qui ont t apportesaux rles hrits de Yima. Il ne pouvait tre le tout premier homme de lapremire poque du trimillnium. Lentreprise de multiplication et de diversifica-tion des tres-vivants ntait possible que si ces derniers se trouvaient dj ennombre suffisant pour se ramifier. Haosiianha et Urupi azinauuanw t doivent peut-tre lexistence cette ncessit. Yima ne pouvait tre non plus, avec sa surjumelle, lunique source de lhumanit de la deuxime poque. La diversificationdes vivants et le mlange avec le mal qui en est le corollaire sont des donnesdfinitives qui dterminent les dbuts mmes de la deuxime poque. Lhumanitqui va peupler le monde en attendant Zaraustra a au moins une triple origine :Yima sans doute, mais aussi ses compagnons de lAiriiana Vaejah, dont, coupsr, raetaona et KErEsaspa, et, peut-tre, quelques vads du vara. Ds lors,linceste gmellaire de Yima nest pas lacte ncessaire au deuxime commence-ment, mais la remmoration du premier et lanticipation du xvedodah, qui serala condition de la deuxime immortalit.

    Par ailleurs, il est vident que le vara nest pas un paradis comme on lentenddordinaire. Ceux qui le peuplent nont pas connu la mort : leur tat nest paslme, mais le germe (taoxman-). Ils nappartiennent pas au pass, mais lave-nir : le vara nest pas la destination ultime de leur existence, mais la base do

    14. Occupant est le mot le plus neutre. A` lorigine, *Yama est peut-tre le constructeur du paradis(Kellens, in Languages and Cultures ... in Honor of Edgar C. Polom, 1988, 332), mais non coup srlexplorateur du chemin qui y mne (Kellens, JA 283.1, 1995, 48-49).

  • JEAN KELLENS734

    ils surgiront le moment venu. Pourtant, le contraste nest pas fondamental avecle paradis dont Zaraustra livrera laccs. Les htes de celui-ci sont certes denature essentiellement mentale, mais ils y ont t engendrs par lunion duuruuan et de la daena et ils en jailliront en tant que saosiianw ts quand le quatrimetrimillnium sera rvolu.

    Le vieux mythe indo-iranien a donc t boulevers dans une vise spculativefonde sur la reprsentation que les Iraniens avaient de leur origine. Celle-ci seprsente comme un long processus de trois mille ans qui mne de Gaiia MarEtan,prototype du genre humain, Zaraustra, auteur de limmortalit que peuventesprer les hommes daujourdhui. Le pass et le futur sont ponctus par troisessais dimmortalit (cet annuaire 1997-1998, 759-764) auxquels correspondenttrois types particuliers de paradis : le vara, la maison dAhura Mazda et, enfin,la terre elle-mme rendue aux corps dfinitivement immortels. Linnovationsemble bien avoir eu pour moteur la doctrine des millnaires et une reprsentationcomplexe et singulire de limmortalit.

    4. Le nouveau dbut.

    Des deux hros raetaona et KErEsaspa, nous savons quils sont contemporainsde Yima, daprs Yt 19. 36-38, mais plus jeunes que lui, daprs Y 9. 7-10 (cetannuaire 1997-1998, 747-8). Ce sont eux qui, dans lpreuve, sauveront les tres-vivants rests lextrieur du vara. La description de leur personnalit et de leuruvre sordonne en un jeu subtil de ressemblances et de contrastes.

    1. En principe, les deux hros sont dune importance gale, puisquils doiventpareillement la naissance un pressurage de haoma (Y 9. 7, 10) et sont aptes saisir le xvarEnah fuyant Yima (Yt 19. 36-38). Mais leur figure naura pas lemme destin. raetaona sinstallera pesamment, la suite de Yima, dans lasuccession des rois dIran, tandis quon retiendra surtout de KErEsaspa lactionque, rveill de sa dormition, il mnera la fin des temps (dj, implicitement,Yt 13. 61,131). LAvesta traite diffremment des deux personnages. raetaonaest mentionn dans tous les catalogues de sacrifiants par une formule identique(Yt 5.34 Yt 9.14 Yt 15.24) qui, lextension finale concernant Sanhauuac etArEnauuac mise part, figure aussi dans Y 9.8 et dans Yt 19.37. KErEsaspanapparat que dans les catalogues du Yt 5 (37-39) et du Yt 15 (27-29), maistous les passages qui parlent de lui sont diffrents, y compris Y 9. 10-11 et Yt19. 38-44, ce dernier si disproportionn quil apparat, selon le mot de Humbach(Zamyad Yast, 1998, 115), comme une vritable digression.

    2. Cest leffet de la diversification des vivants, raetaona et KErEsaspa sontles premiers hros avestiques socialiss. Le premier est prsent comme lenfantdun clan, selon une formule dont la variante sans ellipse figure dans Yt 15.23et Yt 19.31 : vso puro aiianois vso suraiia raetaono raetaona, chefprsomptif du clan opulent des fils dA iia. KErEsaspa nest explicitementassoci aucun cercle dappartenance sociale, mais lui-mme (Yt 13. 61, 136)

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 735

    et son pre rita (Y 9.10) portent un nom qui sapplique dvidence unensemble social plus vaste que la ligne : sama- noirtre .

    3. Si raetaona et KErEsaspa sont lun et lautre sura- opulent par leurorigine (pour raetaona, voir ci-dessus, pour KErEsaspa, voir Y 9.10 rito ...sEuuisto), la puissance spcifique du premier est la capacit de rsistance (Yt19.36 vErErauuan- : vErErauuastEma-), celle du second la force suprieure (Yt 19.38 ura- : aojista-). Il est tout de mme saisissant que KErEsaspa, dansla strophe immdiatement conscutive, soit par de la mme qualit que ladver-saire de raetaona, Azi Dahaka (Yt 19.37 et sim. azm dahakEm ... as.aojanhEmdaeuum drujim ... ya

    m as.aojastEma

    m drujim). De tels dtails ne peuvent tre

    indiffrents, mais que signifie celui-ci ? Il faut aussi relever le lien particulier etinsistant tabli entre KErEsaspa et la virilit par lpithte systmatiquenaire.manah- (Y 9.11, Yt 5.37, Yt 15.27, Yt 19.38, 44) et lassociation avec ladesse mineure nairiia- ha

    m.vErEiti- (Yt 19.38-39). Mais la rection des verbes

    man penser et var envelopper sur quelque chose qui soit de nature virileest trop mal documente pour que nous saisissions la porte exacte de ces appella-tions.

    4. Le champ daction des deux hros se situe aux limites du monde connu.raetaona agit dans les confins, au bord de la Ranha, locan du bout du monde(Yt 5.61-63) ou dans une contre appele varEna caru.gaosa (Yt 5.33, Yt 9.13,Yt 15.23), qui, selon V1.17, prsente des marques hors normes et non ira-niennes . KErEsaspa fait de mme (Yt 15.27 au dfluent de la Ranha ) ou agit dans laltitude (Y 9.10 uparo.kairiia-), altitude qui peut tre modeste, sicest le dos du serpent cornu (Y 9.11, Yt 19.40), ou formidable, si cest la merVouru.kasw a, le rservoir cleste des eaux (Yt 5.38).

    5. Si les deux hommes ont en commun de tuer des serpents ou, si on veut,des dragons (azi-), raetaona dbarrasse le monde dun seul adversaire, maismajeur, Azi Dahaka, tandis que KErEsaspa fait figure de tueur en srie, ce quisemble lui avoir t reproch (Nyberg, in Oriental Studies Pavry, 1933, 338 =A1 7, 1975, 381).

    6. Dans un cas comme dans lautre, le lien avec la gmellit nest pas rompu,mais il sestompe et se dpouille de sexualit incestueuse. raetaona reprend son compte les deux amantes dAzi Dahaka, les surs jumelles Sanhauuac etArEnauuac (Yt 5.34, Yt 9.14, Yt 15.24), surs de Yima selon les sources pehle-vies (Chr. II 51 n. 6 et 50). KErEsaspa est lui-mme jumeau, mais dun frre.

    7. Fruits du temps du mlange, les deux hros ont des unions sexuellestroubles. Sanhauuac et ArEnauuac ne sont pas dmoniaques, mais elles ont tcontamines par leur amant, ce qui, selon le Shahname, requiert une purification(Mohl, Livre de Feridoun et de Minoutchehr, 1924, 56). KErEsaspa sunit unepairika sorcire (V 1.9), qui nest peut-tre autre que la grande pairikaenleve son adversaire Pitaona (Yt 19.41).

  • JEAN KELLENS736

    5. La localisation du sacrifice

    Presque tous les sacrifiants organisent leur crmonie dans une rgion dmentnomme, de telle sorte que les catalogues paraissent composer une gographiehistorique du trimillnium. Mais si on veut en dcouvrir la clef, il faut aupralable carter une difficult grammaticale qui na gure retenu lattention : ladiversit foisonnante des constructions qui expriment cette localisation. Il nexistepas moins de quatorze possibilits :

    1. la localisation ne fait vritablement dfaut que pour Urupi azinauuanw t(Yt 15.11). Mais voir n 13.

    2. dans deux cas, loccasion du sacrifice est substitue au lieu. Ainsi Jamaspa :Yt 5.68 yat

    ~

    spaEm pairi.auuaenat~

    durat~

    aiianw tEm rasmaoiio quand il eut vularme venir de loin en rangs de bataille. Tusa offre Anahita le sacrificedurgence des guerriers : Yt 5.53 raaestaro barEsaesu paiti aspana

    m (comme)

    les guerriers chaque fois quil faut saisir la crinire des chevaux (sur cetteexpression, voir cet annuaire 1998-1999, 691). Puis il affronte ses adversairesupa duuarEm ... apano.tEmEm kanhaiia la porte la plus accessible de Kanha (Kellens, JA 284.1, 1996, 44).

    3. la situation dlicate de Pauruua exclut lorganisation immdiate dune cr-monie : Yt 5.61 yat

    ~

    dim usca uzduuanaiiat

    ~

    ... raetaono lorsque raetaona lefit monter dans les airs . Le sacrifice promis est localis, mais non dans ladpendance du verbe yaz : Yt 5.63 hazanrEm te azEm zaorana

    m ... barani auui

    apEm yam ranha

    m japporterai mille libations pour toi vers la rivire Ranha .

    4. le locatif seul est rserv aux sacrifices dAhura Mazda (Yt 5.17 Yt 15.2)et de Zaraustra (Yt 5.104 Yt 9.25 = Yt 17.45), qui ont pareillement lieu airiienevaejahi vanhuiia daitiiaiia dans le tourbillon iranien de la rivire bonne (et)adquate . Voir toutefois n 6 et 14.

    5. upa + accusatif est de loin la construction la plus frquente : upa taerEmharaiia (Haosiianha : Yt 15.7), upa kuuirinw tEm duzitEm (Azi Dahaka : Yt 15.19)upa varEnEm caru.gaosEm (raetaona : Yt 9.13 = Yt 17.33, Yt 15.23), upaguEm apazarEm ranhaiia (KErEsaspa : Yt 15.27) 15, upa spaeititEm razurEmupa vmaim razuraiia (Auruuasara : Yt 15.31), upa duuarEm ... apano.tEmEmkanhaiia (les Vaesakas : Yt 5.57), upa ... apa

    m napatEm (Asw auuazdah : Yt 5.72),

    upa apEm vtanvhaitm (Vistauru : Yt 5.76), upa zraiio vouru.kasw Em (ArEjat~

    .aspa :Yt 5.116). Voir aussi n 8.

    6. upa + locatif, attest deux fois, est suspect. Quoiquelle soit usuelle ensanscrit vdique, cette construction est trs pauvrement reprsente dans lAvesta.On ne trouve, en dehors des catalogues, que Y 10.17 upa darEzahu dans lesliens et Yt 12. 18-19 yatcit

    ~

    ahi rasnuuo ... upa aoaesu ranhaiia ... yat~

    cit~

    ahi

    15. guEm serait-il simplement la mutilation de *gufrEm ? Ce serait alors au dfluent (le plus)profond de la Ranha .

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 737

    ... upa sanake ranhaiia 16, o on est tent de reconnatre un emploi de upa + ah(scr. upa + as atteindre se construit avec laccusatif et cest ainsi que letexte continue : 20. yat

    ~

    cit~

    ahi ... upa karanEm anha zEmo ... 21. yat~

    cit~

    ahi ...upa vmaim anha zEmo). Les trois attestations de upa upa.bdi haraiia (Hao-siianha) 17 sont troubles : la prposition upa est omise par P13 K19 L18 W2 K12dans Yt 5.21, par P13 L18 K12 O3 dans Yt 9.3 et H3 donne lintressante leonupapabda dans Yt 17.24. Or, la suppression de upa, qui pourrait tre un bgaie-ment, restaure loctosyllabe lorsquil y a adjonction de bErEzo suivi de loctosylla-bique srraiia mazdaataiia (Yt 9.3 = Yt 17.24 et Ml 2 dans Yt 5.21). Quant upa varEnaesu caru.gaosaesu (raetaona : Yt 5.33), o upa dtruit aussiloctosyllabe, il a peut-tre t influenc par la variante upa varEnEm caru.gao-sEm prsente dans la tradition manuscrite 18.

    7. pasne + gnitif : pasne varois pisinanho (KErEsaspa : Yt 5.37), pasne varoiscaecastahe (Haosrauuah : Yt 5.49 Yt 9.21 = Yt 17.41), pasne apo daitiiaiia(Vstaspa : Yt 9.29 = Yt 17.49, Zairi.vairi : Yt 5.12). Bartholomae (AIW 885)explique pasna- par (s)pas voir , donc quand il fut en vue de... , mais, laconstruction ntant atteste quavec des hydronymes, il est tentant de renoncer cette tymologie, qui pose la difficile question du traitement de *k devant n,au bnfice de lhypothse contextuelle sur la rive de ... .

    8. pasne + accusatif, de pasne apEm frazdanaom (Vstaspa : Yt 5.108), estune aberration. Substitution de pasne upa par confusion formulaire ?

    9. paiti + locatif : (hanw kaine paiti anha zEmo (Franrasiian : Yt 5.41), barEzistepaiti barEzahi haraiiio paiti barEzaiia (Haoma : Yt 9.17 = Yt 17.39). Le secondpaiti ne rgit pas le gnitif, mais un nouveau barEzahi sous-entendu : sur laplus haute des hauteurs, (cest--dire) sur (celle) de la haute Harait .

    10. paiti + ablatif. hukairiiat~

    paiti barEzanhat~

    (Yima : Yt 5.25) tant illusoire(voir n 13), il reste ErEzifiiat

    ~

    paiti garoit~

    (Kauui Usan : Yt 5.45). paiti + ablatifa le sens bien rpertori de depuis le sommet de ... (AIW 824 milieu).

    11. paiti + datif, de barois danhauue (Azi dahaka : Yt 5.29), est isol etaberrant (aussi AIW 824), mais ne peut tre limin. On a parfois limpressionquil existe une syntaxe daivique.

    12. auui + accusatif : auui spaeitins razura (Auruuasara : Yt 15.31), vso auuinaotarana

    m (Hutaosa : Yt 15.35). Cette construction qui exprime thoriquement

    le lieu de direction est encore atteste dans la rection de yaz par Yt 10.8 yim[= mirEm] yazEnw te danhupataiio ... auui haenaiia xruuisiieitis auui ha

    m. yanw ta

    16. upa aoaesu ranhaiia est mentionn comme appellation de pays dans V 1.19.17. Jai propos de lire +upa.bde, de upa.bda-, daprs J10 upa.bade dans Yt 5.21 (NRA, 1974, 375).18. La variante au locatif pluriel de F1, contre celle de laccusatif singulier de J10, a t pingle

    par Wikander (Vayu 56), qui fait remarquer juste titre que la variation formulaire exclut que varEna-caru.gaosa- soit un nom de pays. Je propose de comprendre varEna = scr. varnw a comme peuple,gens , donc le peuple quatre oreilles ou les gens quatre oreilles dun pays justement qualifide araiia- hors normes (V 1.17).

  • JEAN KELLENS738

    rasmaoiio. Or, Humbach a bien vu que cette phrase ntait comprhensible quesi on la rapportait Yt 10.48 aat

    ~

    yat~

    miro frauuazaite auui haenaiia xruuisiieitisauui ha

    m.yanw ta rasmaoiio, donc les chefs de nation sacrifient Mira (pour

    quil vole) vers les bandes sanguinaires, vers les deux (chefs) qui saffrontenten rangs de bataille (in Neue Methodologie, 1974, pp. 85-87). auui introduitdonc un complment libre de yaz, au sens sacrifier telle divinit (acc.) pourquelle vienne vers (auui + acc.) . Il en va de mme dans les deux phrases quinous retiennent, tant bien entendu que la divinit est cense venir l o setrouve le sacrifiant : (pour que Vaiiu vienne) vers les forts blanches (Yt 15.31),vers les clans naotarides (Yt 15.35) .

    13. haca + ablatif est exclusif de Yima : hukairiiat~

    haca barEzanhat~

    dans Yt9.8 = Yt 17.28 et Yt 15.15. Il faut y associer Yt 5.25, o, contre F1 paiti, J 10K 12 et Ml 2 lisent aussi haca. haca + ablatif tant lantonyme de auui +accusatif, il est probable que Yima sacrifie aux divinits pour quelles viennentdu mont aux sangliers . Cette hypothse est confirme, dans le cas dAnahita,par les passages qui nous la prsentent venant vers le fidle depuis les montagneso, selon Bundahisn 12.2.5, elle prend sa source (Yt 5.96 hukairm barEzEm ...yahmat

    ~

    me haca frazgaaite arEduui ; indirectement Y 65.3). Dans le cadre decette interprtation, le sacrifice de Yima nest pas localis. Ceci ne constitue pasun argument dfavorable : il apparat alors que la localisation de Haosiianhavaut, par ellipse de persistance, pour ses deux successeurs, Urupi azinauuanw t(n 1) et Yima. Les premiers hommes nont pas quitt les abords de la Hara.

    14. Laccusatif seul de paitipE duuaepE ranhaiia (Yoista : Yt 5.81) est dautantplus incomprhensible que duuaepa-, sil correspond bien scr. dvpa- le ,devrait tre neutre. tant donn la variation frquente entre les signes E et e enposition finale (Kellens, in Papers in honor of Robert S.P. Beekes, 1998, 132),on peut faire la conjecture dun locatif singulier xpaitipe xduuaepe dans llequi affronte le courant de la Ranha .

    La gographie des catalogues de sacrifiants ne mentionne aucun de ces pays(Sogdiane, Bactriane ...) dont lexistence est atteste par dautres sources. Seslieux de prdilection sont idaux et imprgns de fantasmagorie. Ils se situenthors du monde (la mer Vouru.kasw a, avec ses baies Pisinah et Caecasta 19, la fortblanche et le dieu Apa

    m Napat), en marquent les limites (le mont Hara et le

    fleuve Ranha) ou sestompent dans des confins abnormes (VarEna caru.gaosa).Lun est considr comme le pays primordial, rel, mais inaccessible (AiriianaVaejah), dautres sont des endroits dmoniaques (le pays du castor, le Kuuirinw tainaccessible, la fente dans la terre) ou lgendaires (Kanha) dont nous ne savonsrien. Seul le fleuve aux joncs (Vtanvhait) peut appartenir la ralit ordi-naire. Une chose est sre : cette gographie, avec quelque subtil dfaut, estcirculaire. Elle va de lAiriiana Vaejah lAiriiana Vaejah, avant de schapper

    19. Puisque les adversaires que KErEsaspa et Haosrauuah affrontent ces endroits, respectivementGanw darEa et Franrasiian, sont connus pour hanter les eaux de la mer Vouru.kasw a.

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 739

    vers la mer Vouru.kasw a (Yt 5), du pimont de la Hara lAiriiana Vaejah, quisont contigus, voire identiques (Yt 9), ou du pimont de la Hara la maison deVstaspa qui, dans une autre variante, sacrifie dans lAiriiana Vaejah (Yt 15).Traduite en histoire, pour ne pas sencombrer de nuances, elle va du dieu instau-rateur ou de son premier homme au confident singulier qui clture le trimill-nium. Cette vision est de lordre du mythe. Le seul texte de thorie gographiquecontenu dans lAvesta est V1 avec, dans une certaine mesure, Yt 8.2 et Yt 10.14.

    6. Digression sur la gographie du Videvdad 1

    La liste des pays de V1, laccusatif et avec leurs caractristiques ventuelles,est la suivante : 1. airiianEm vaejo (2), 2. gaum/gaom, suo.saiianEm (4),3. mourum, surEm asw auuanEm (5), 4. baxm, sura

    m ErEo.drafsa

    m (6),

    5. nisaim, yim anw tarE mourumca baxmca (7), 6. haroiium, vis.harEzanEm (8),7. vaekErEtEm, duzako.saiianEm (9), 8. uruua

    m, pouru...vastra

    m (10), 9. XnEnw tEm,

    vEhrkano.saiianEm (11), 10. haraxvaitm, srram ErEo.drafsa

    m (12), 11. haetu-

    manw tEm, raeuuanw tEm xvarEnanvhanw tEm (13), 12. raam, rizanw tum (15), 13. cax-

    rEm, surEm asw auuanEm (16), 14. varEnEm, caru.gaosEm (17), 15. yo haptahEnw du (18), 16. upa aoaesu ranhaiia (19). Dans les tudes qui lui ont tconsacres autour de 1940, cette liste tait le plus souvent considre comme untmoignage historique stipulant les tapes de la mission zoroastrienne (Nyberg,Religionen Irans, 1938, 313-327), du culte de Vaiiu (Wikander, pp. 202-207) oude lexpansion iranienne (Christensen IV) et, plus rcemment, Gnoli semblevouloir concilier Nyberg et Christensen (Zoroasters Time and Homeland, 1980,59). Dans cette perspective, le problme essentiel paraissait lidentification despays mentionns et celle-ci a t force tout prix, avec des arguments parfoislamentables, souvent arbitraires, toujours dduits dune thse a priori sur le berceau du zoroastrisme , nord-occidental selon les uns, oriental selon lesautres. Cette dmarche est le corollaire vident de la conception que lon avaitalors du texte avestique : une pave incohrente, maintes fois dsarticule etcolmate, mais dont la substance livrait plus dhistoire que de mythologie 20. Ilserait aberrant que nous poursuivions lanalyse dans cette perspective historique-ment connote et que nous avons tous, en traitant dautres questions, abandonne.

    Une approche plus humble et dnue dintention apodictique consisterait, dunepart, entretenir un certain scepticisme sur les possibilits didentification,dautre part, poser en thorie que cest le sens du texte qui devrait nous livrerle principe de lnumration et non linverse. Ds lors quil est dmontr que

    20. Cette conception est, comme on sait, la colonne vertbrale des travaux de Christensen. Soncaractre pernicieux se manifeste pleinement dans la manire dont Benveniste (BSOS 7, 1933, 271)considre le grand hiver qui afflige lAiriiana Vaejah : puisque quun pays afflig dun tel climat nepeut logiquement tre le meilleur en premier lieu des pays , la notice de V1.3 ne peut tre quuneinterpolation (arsacide) insoucieuse du contexte. Benveniste laisse ainsi chapper une information depremire grandeur dont lapproche mythologique, ft-elle dvoye, fait une vidence : lhiver du Videv-dad 1 est le mme que celui du Videvdad 2 (Mol, JA 1951, 288).

  • JEAN KELLENS740

    les toponymes iraniens sont voyageurs 21, il faut admettre que linstabilit peutaffecter tous ceux qui ne sont pas srement et exactement situs grce dautressources. Par ailleurs, on ne peut ignorer ce quimplique lvidente constructiondu texte en miroir : le premier et le dernier pays sont accabls du mme flau,un hiver dmoniaque et aberrant, la Margiane (3) et Caxra (13) sont pareillementsurEm asw auuanEm opulent et soutenant lAgencement , la Bactriane (4) etlArachosie (10) srra

    m ErEo.drafsa

    m belle, la bannire verticale 22.

    La clture surEm asw auuanEm isole en tte de liste lAiriiana Vaejah et Gava,qui est soit une partie de la Sogdiane, soit une contre limitrophe de la Sogdiane(aussi Yt 10.14), pays idaux et prestigieux, dans lordre de la gographie, parleur situation dans le coin nord-est du monde iranien, au contact du point delaurore, dans lordre du mythe, par leur rle dans la lgende des origines. Ellerejette du monde iranien les trois derniers pays, que caractrisent des traitsabnormes (araiia- : hommes quatre oreilles ou sans tte, chaleur hors saison,hiver permanent) et une population dominante (aiistar-, de aii + ah ?) noniranienne. La clture srra

    m ErEo.drafsa

    m isole en fin de liste la Drangiane,

    dont les attributs sont ceux-l mmes qui motivent le sacrifice rendu aux dieuxdes Yasts (la richesse et la force-dabondance), et deux pays dont lun, Raa,pourrait tre la Mdie.

    Les limites du monde iranien dcrit par V1 vont donc de lAiriiana Vaejah Caxra et, si nous nous en tenons aux pays dment identifis, de la Sogdiane la Drangiane. Il apparat ainsi que lnumration se dveloppe selon un axe nord-est sud-ouest en procdant rgulirement des balayages vers le nord, de tellesorte quelle donne limpression de progresser vers louest en une successiondarcs de cercle concentriques nord-sud de plus en plus vastes (comme la juste-ment relev Humbach, in Bulletin of the Iranian Culture Foundation I2, 1973,49-50). En extrapolant, on situera lAiriiana Vaejah au nord-est de la Sogdiane,cest--dire, selon le mythe, au pied du mont de laurore, trs exactement ce pimont de la Hara dont parlent les catalogues des sacrifiants, selon lagographie, dans quelques contre de lHindoukoush suffisamment inaccessibleet mystrieuse pour quon y puisse situer lassemble des dieux et la rservesalvatrice du vara. A` lautre extrmit, Raa serait logiquement la Mdie etCaxra la Perse.

    La gographie de V1 ne nous apprend rien sur lorigine de quoi que ce soit.Il faut la prendre telle quelle se prsente : elle donne lordre dinstauration despays par Ahura Mazda. Nous avons affaire un texte didologie gographiquequi ordonne les pays iraniens au long dun axe sacr qui va du point de laurore la Drangiane, o se concentre le xvarEnah collect par la lumire et leau (cet

    21. Voir, en dernier lieu, le bel article de Bernard propos de VarEna = Aornos (Topoi 6.2, 1996,475-530).

    22. Christensen (IV 37 et 48) singnie rompre partiellement la similitude de ces sries pithtiquessur la base de la traduction pehlevie.

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 741

    annuaire 1997-1998, 741-742). Cet axe est sacr, justement, parce quil seconfond avec le chemin du soleil dans sa progression matinale et celui deseaux, des sources du Haetumanw t/Hilmand au lac Ka

    saoiia/Hamun 23. Dans cette

    perspective, la spcificit de lAiriiana Vaejah et de Gava est aussi dappartenir un autre bassin hydrographique, celui de la Vanvh Daitiia, cest--dire lOxus.

    Deux remarques, titre dhypothses vagues :1. Raa et Caxra surviennent, entre deux cltures, comme une extension secon-

    daire de la liste. V1 conserverait-il ainsi le tmoignage dune poque o, auxyeux des auteurs de textes avestiques, la Drangiane figurait aux marges occiden-tales du monde iranien ?

    2. La seule exception perceptible lordre est-ouest est la prsance de laMargiane sur la Bactriane et Nisaya. Sil y a eu souci de mettre ce pays, auprix dune inexactitude, en contact direct avec lAiriiana Vaejah et Gava, nesexpliquerait-il pas par le chauvinisme de ceux qui avaient lavestique pour dia-lecte ?

    Quoi quil en soit, les chapitres 1 et 2 ont parfaitement leur place dans lcono-mie du Videvdad. Ils exposent, le premier, lorigine historico-gographique, lesecond, lorigine historique des flaux et des tares dmoniaques dont il faut,selon les recettes du reste du livre, se dbarrasser.

    7. Le mode sacrificiel

    La question des modes sacrificiels ne se pose que pour les catalogues du Yast5 et du Yt 9-17. Les sacrifiants du Yast 15 procdent dune manire strotypepropre ce texte : zaranaene paiti gatuuo zaranaene paiti fraspaiti zaranaenepaiti upastErEtat

    ~

    paiti barEsmEn pErEnEbiio paiti yzaraiiat~

    biio sur une estradedore, sur un coussin dor, sur un tapis dor, en dployant le faisceau et enfaisant couler les paumes. Si on met part le sacrifice de Haoma, qui nestpas spcifi (Yt 9.17 = Yt 17.37), et trois sacrifices durgence rendus par deshros secondaires 24, les deux autres variantes semblent supposer deux modes

    23. Cette vise est confirme par lhydrographie de Yt 8.2 (cet annuaire 1998-1999, 698 n. 20),qui montre Tistriia illuminant de ses rayons, successivement, apEmca leau (la rivire cleste Ana-hita), vanvhmca la bonne (la Vanvhi Daitiia, elliptiquement), gEusca na

    ma mazdaatEm le nom

    que Mazda a donn la vache (jeu de mot sotrique sur Gava), kauuaemca xvarEno le xvarEnahdes kavis (en rapport avec le bassin du Haetumanw t), frauuasw mca zaraustrahe la frauuasw i de Zara-ustra (en rapport avec le lac Ka

    saoiia). Par contre, le regard de Mira, dans Yt 10.14, sen tient, sur

    une ligne est-ouest, aux rgions septentrionales. Le combattant antidmoniaque surveille naturellement lalimite menaante du monde.

    24. Tusa (Yt 5.53) offre le sacrifice des guerriers subitement confronts lennemi (cet annuaire1998-1999, 691). Pauruua (Yt 5.61-63), en position critique, ne peut faire quune promesse. Vistauru(Yt 5.76-77), accul par ses ennemis au bord dune rivire infranchissable, prononce une satyakriya. Ilest intressant de relever que celle-ci, dfinie comme arsuxa- texte prononc de manire rectiligne ,est dite asw a conforme lAgencement : justification prcieuse alors qu Anahita ne peut remdier la situation quen entravant le cours des eaux, cest--dire en suspendant exceptionnellement et momenta-nment lordre naturel des choses.

  • JEAN KELLENS742

    sacrificiels dune frquence trs ingale. Seuls Ahura Mazda (Yt 5.17) et Zara-ustra (Yt 5.104, Yt 9.25 = Yt 17.45) sacrifient la divinit (yaz + acc.) lamanire actuelle de lAvesta rcent : haoma yo gauua barEsmana hizuuodanhanha ma

    raca vacaca siiaoanaca zaorabiiasca arsuxaeibiiasca vazE-

    biio avec le haoma ml de lait, avec le faisceau, avec comptence de lalangue, avec la pense-formule, le mot et le geste, avec des libations et destextes prononcs de manire rectiligne. Tous les autres, en apparence, assortis-sent leur sacrifice (pareillement yaz + acc.) dune hcatombe, selon Geldner :satEm aspana

    m arsna

    m hazanrEm gauua

    m baeuuarE anumaiiana

    m cent talons,

    mille bovins, dix mille moutons. Or, il y a ici une difficult que Haudry a perue en 1977 (Emploi des cas en

    vdique 349) : le verbe yaj/yaz ne se construit jamais en double accusatif, lesecond tant celui des mots dsignant les offrandes, pour lesquels linstrumentalest normalement requis. Huit ans plus tard, Johanna Narten (MSS 45 (FestgabeHoffmann), 1985, 173-175 = Kleine Schriften 299-230) a montr quil ne conve-nait pas de chercher justifier lexception syntaxique, car la tradition manuscritedonnait massivement lavantage satEe ... hazanrEe sur satEm ... hazanrEm,baeuuarE pouvant tre considr comme hors dclinaison. La solution apportemanque cependant de vraisemblance : les thmes sataiia- et hazanraiia- concur-rents de sata- et hazanra- sont inconnus par ailleurs et leur interprtation commelocatifs du prix de victoire donne au sacrifice un but supplmentaire distinct delaiiapta demand par le sacrifiant. Aucune autre solution ne se prsente, maisje me demande si satEe et hazanrEe nont pas t substitus *sate et *hazanrepar prdilection pour la graphie finale fortement stylise -Ee. Et, tant qu postulerdes locatifs, je leur accorderais plutt une valeur de temps elliptique lorsquelon offre cent talons..., lors de la crmonie o lon offre cent talons ... . Ily aurait donc, de toute manire, hcatombe.

    Quelle distinction recouvre donc celle entre hcatombe et crmonie laves-tique ? Ce ne peut tre celle entre le sacrifice des guerriers et le sacrifice deceux qui ne sont pas guerriers, comme le pensait Darmesteter (ZA II 370 n.21) : ni Yima ni Yoista ne sont des guerriers. Ce nest pas non plus celle entresacrifice paen et sacrifice rform : Vstaspa et Zairi.vairi officient aprsZaraustra. Tous les sacrifices des catalogues sont des sacrifices de demande.Chaque sacrifiant sans exception demande (jad) russir quelque chose (aiiapta-).La seule diffrence vidente est que la demande de ceux qui ne font pas dhca-tombe concerne la daena. Telle est sans doute la distinction qui rgle le jeu : lademande implique la daena ou elle ne limplique pas, et le zoroastrisme nefait rien laffaire.

    Mais tout nest pas clair ici non plus. La demande dAhura Mazda et deZaraustra est de convaincre (causatif hac : hacaiia-) quelquun (accusatif) defaire telle chose (datif) concernant la daena (datif daenaiiai). Quel est le sensexact des verbes man, vac et varz combins avec le prverbe anu, dont lesdrivs en -ti- constituent les datifs rgis, et comment leur rapporter le datif

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 743

    daenaiiai ? La variante de Y 8.7 haxsaiia ... fratEma

    nmananamca ... anha

    daenaiia anumataiiaeca anuxtaiiaeca anuuarstaiiaeca dmontre que daenaiiaiest substitu au gnitif daenaiia , en vertu dune grammaire tardive ou par simplefaute. Ce gnitif ne sexplique dans lconomie de la phrase que si il dterminelobjet interne sous-entendu de anumatEe / anumataiiaeca etc. (voir RS 6.52.1na tad ... anu manye, et 7.38.6 anu tan no ja spatir mamsisw twa, RS 10.68.10ananukr

    tyam ... cakara et 10.112.5 ananukr

    tya ... cakartha). Il faut donccomprendre : convaincre un tel de reproduire dans sa pense (la pense) de ladaena, de reproduire dans ses mots (les mots) de la daena, de reproduire dansses gestes (les gestes) de la daena.

    Tous les Yasts commencent par une injonction sacrifier quune grande partiede leur dveloppement vise justifier. Du point de vue rhtorique, cette justifica-tion peut prendre deux formes : le catalogue des sacrifiants, comme la justementrelev Tichy (loc. cit. 93-94), mais aussi la double plainte du dieu loptatifparfait telle quon lobserve dans les Yasts 8 et 10 (cet annuaire 1998-1999,696-697). Ces deux schmes mettent en contraste violent les textes o ils inter-viennent. Dune part, une justification positive, qui donne le pass en exemple un prsent jamais explicitement voqu et fait du Yast une longue narrationpousant strictement le cours du temps ; dautre part, une justification ngative,qui condamne les manquements du pass pour contraindre le prsent la rpara-tion 25 et se trouve installe au cur du Yast, pivot massif autour duquel gravitentdes motifs dsordonns et purement descriptifs (cest du moins lapparence). Ilest peu probable que ce clivage rvle, comme jen ai fait lhypothse jadis(AI 17 = tudes mithriaques, 1978, 268-269), deux strates chronologiquementdistinctes dans le corps des dieux de lAvesta rcent : si on peut, certainsgards, considrer Anahita comme une divinit nouvelle, il nen va pas de mmedAsw i. La diffrence a plus srement pour ressort la finalit du sacrifice. Lesacrifice des catalogues est un sacrifice de demande dont le hros attend lepouvoir daccomplir lacte qui fondera son importance dans lhistoire dumonde 26, le sacrifice des Yasts 8 et 10 est un sacrifice de renforcement (sur lanotion, Panaino, East and West 36, 1986, 271-278) cens donner au dieu lavolont et la force daccomplir ce qui est sa fonction 27. Cela ne signifie pas tout fait que chaque modle sacrificiel soit exclusif dun certain type de divinit.Mira, par exemple, peut tre la cible dun sacrifice de demande (Yt 10.8 et11). Par contre, il nest pas sr quil simpose de renforcer Anahita, Druuaspa,Vaiiu ou Asw i, qui nont pas dadversaire catgoriel affronter de manire rcur-rente, comme Tistriia (Apaosa) et Mira (Aesma). En corollaire, les deux types

    25. Laquelle sexprime, entre autres, dans linsistance mise dsigner les dieux par le titre de yazata digne du sacrifice , qui fait dfaut dans les Yasts catalogue.

    26. Cest toujours le sacrifiant qui passe laction, la divinit nintervenant personnellement quepour rpondre un appel au secours ponctuel (Pauruua et Vistauru), lequel nest pas appuy dunehcatombe, ft-ce en promesse.

    27. Lappropriation des vertus du dieu constitue une troisime finalit sacrificielle, mais elle nesemble permise qu Zaraustra (Yt 14.28-29 etc., Yt 16, 6-7 etc.).

  • JEAN KELLENS744

    de divinits entretiennent un rapport diffrent avec le temps. Mme si les hommesdaujourdhui leur doivent le sacrifice, les dieux des catalogues sont ceux quiont permis leurs sacrifiants de sauver lhumanit durant la phase de formation(jusqu Yima) et la phase de crise (jusqu Zaraustra) qui constituent le troi-sime trimillnium. Les mcanismes dont Tistriia et Mira assurent la mainte-nance, respectivement le cycle de la pluie et les phases de la lumire, nont tmis en place quune fois le chemin des eaux reconquis par les kavis et ceux delau-del ouverts par Zaraustra. Mira et Tistriia sont les dieux de notre trimill-nium, ce qui explique la plainte quils formulent lirrel du pass, donnant dplorer que les hommes ne se soient pas adresss eux plus tt. Ainsi, lesdieux sans titre des catalogues sont avant tout les dieux du pass, les dieuxyazatas sont essentiellement les dieux du prsent. Ce qui ne veut pas dire que lesdeux types de justification sacrificielle ne constituent pas aussi la rhabilitationpolmique du sacrifice nominal d aux divinits autres que Ahura Mazda, commejai cherch le montrer dans Le panthon de lAvesta Ancien (1994).

    8. Lhistoire bgaie

    LAvesta ne livre que peu dinformations sur la seconde partie du trimillnium.De lintervalle entre raetaona et le premier kavi, nous ne connaissons que deuxnoms avec leur patronyme : Manuscira fils dAiriiu et Uzauua fils de Tumaspa(Yt 13.131). A` propos des kavis eux-mmes, nous avons droit lnumrationde leur nom et de leurs qualits communes (Yt 19.71-72) et nous sommes enmesure de discerner une certaine insistance sur la figure de Kavi Usan, distingupar Yt 5.45, mais la vritable information ne commence quavec Haosrauuah.Cette parcimonie est partage par lensemble des sources ultrieures et Christen-sen (III 104-106) a pu penser que les quelques motifs lgendaires rapports parcelles-ci taient soit transplants de lhistoire de Yima, soit emprunts descontes ordinaires, donnant ainsi limpression que des fils de raetaona KaviUsan, lhistoire bgayait. Voire. Et si ces balbutiements taient constitutifs dunehistoire qui, aprs Yima, se remet en marche avec des rats et, avant Zaraustra,peine dcouvrir les voies de la deuxime immortalit ? Faisons le compte.

    1. Un nouvel essai avort dinstauration de la daena ? Le jumeau de KErE-saspa, Uruuaxsaiia, porte un nom qui ne sexplique raisonnablement que par laracine uruuaj traduisant le cheminement eschatologique. Y 9.10 lui attribue unescience rhtorico-religieuse anachronique : il professe une doctrine (t

    ~

    kaesa-) etnonce voix haute les textes-prescriptifs (dato.raz(a)-). Selon Yt 15.28, il esttu par un homme dont le nom, hitaspa-, est lexact antonyme de celui deVstaspa et explique quil na pas dtel, donc, selon une symbolique possible,quil nest pas arriv au bout du voyage eschatologique.

    2. Kay Kavad (Kauuata) nest gure connu que pour une trange rglementa-tion alimentaire : il interdit lusage du vin, puis seulement son abus (Dumzil,Mythe et pope II, 1971, 221-223). Or, comme la montr rcemment Humbach

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 745

    (in Second North American Gatha Conference, 1996, 76-78), le Denkard 9.31.12attribue Yam (Yima) une telle rglementation mesure concernant lalimenta-tion carne. Que ceci soit ou non mettre en rapport avec la difficile strophegthique 32.8, on conoit aisment que certains aspects contradictoires de luvredimmortalit aient pu susciter la discussion : comment manger volont alorsque ce quon mange est en principe imprissable ? La rponse originale ceproblme se lit, selon moi, dans Y 9.4 et Yt 19.32 : les portions de nourriturene diminuent pas lorsque lon mange, donc le dgt est minimal (in BeitrgeForssman, 1999, 115-117).

    3. Kavi Usan demande Anahita exactement la mme chose que les premiershommes : le contrle sur le monde dmoniaque (Yt 5.45). Ce trait est illustr,dans la littrature ultrieure, par lemprisonnement des dmons et leur mise auxtravaux forcs (Chr. III 74).

    4. Beaucoup de hros mettent en uvre des moyens dsordonns ou inadquatspour obtenir limmortalit ou pour atteindre lau-del. Dans le premier cas, ilsagit de restaurer le temps de Yima, dans le second, danticiper sur luvre deZaraustra. raetaona rde aux bords du monde, quil cherche peut-tre trans-gresser (Yt 5.61 : veut-il franchir la Ranha en se dbarrassant du Charon mazdencomme Oblix dun lgionnaire romain ?) 28. Comme Yima et raetaona (Chr.III 75), Kavi Usan fut un temps immortel (V 2.6 PZ). Selon les sources ult-rieures, il possdait le pouvoir de rajeunir et de ressusciter qui il voulait (impor-tante analyse de Dumzil, op. cit. 186-196) et mit au point des vhicules pourmonter au ciel (ibid. 181-182). Kay Xosro (Haosrauuah) quitte volontairementle pouvoir et sloigne pour disparatre dans la montagne enneige (Chr. III 117).

    5. La domination sur laxe sacr. Tandis que Yima a pu emprunter le chemindu soleil pour offrir un sursis son uvre, ses successeurs sefforcent de contr-ler progressivement le chemin des eaux (ce qui prcise certaines remarques dePirart, Kayan Yasn, 1992, 58 n.83 et JA 284.1, 1996, 13). La pluie nouvelle (no varisnh) que fait tomber Uzav (Uzauua) peut tre interprte soit comme lertablissement du climat mettant fin, sauf pour lAiriiana Vaejah, au grand hiver,soit comme la riposte aux agressions dAfrasyab (Franrasiian) contre les eaux(Darmesteter, ZA II 400 n. 19) 29. Les deux seules choses que nous connaissionsde Kay Kavad (Kauuata) sont en rapport avec les eaux : enfant, il est trouvexpos sur une rivire (Chr. III 62) et, devenu roi, il rglemente lusage dunaliment liquide (ci-dessus). Lhomonymie entre le nom dun kavi et celui dunbassin de la mer Vouru. kaswa est approximative dans le cas de pisinah- : pisinah-,parfaite dans celui de haosrauuah-. Mais luvre dcisive sera accomplie parHaosrauuah et Vstaspa.

    28. Pour une autre interprtation rcente, voir Oettinger, IIJ 31, 1988, 299-300.29. Serait-ce la nauua afs de V 21.3 ?

  • JEAN KELLENS746

    6. Les sept chteaux de Kay Us (Kavi Usan ; Chr. III 74-75), le palais sou-terrain de Franrasiian (Yt 5.41 hanw kana- ; Chr. III 87-89) et la citadelle Kanha(Yt 5.53 et 57 ; Chr. III 82-85) sont des copies du vara de Yima.

    7. raetaona et KErEsaspa ne sont pas sans rapport avec linceste. Le premierse serait uni ses filles et ses petites-filles (Darmesteter, ZA I 131 n. 15) etlanctre du second aurait engendr six paires de jumeaux incestueux (Chr.III 67). Par contre, leur rapport personnel avec la gmellit sestompe (ci-dessus).La sexualit gmellaire/incestueuse disparat du thtre du monde avec le premierkavi (Kavad : Kauuata), enfant n de parents inconnus (Chr. III 71), puis maridune femme qui a refus linceste avec son pre (Chr. III 72). Premire cons-quence, la diffrenciation sociale samplifie. rExsa, contemporain de Manusci-ra, est le premier personnage dsign comme airiia- et son exploit darcherassure un territoire ceux avec qui il partage cette dfinition sociale (Yt 8.6 et37). airiia- dsigne explicitement le cercle dappartenance sociale le plus vaste,la nation (daxiiu-), partir de Haosrauuah (Yt 5.54 etc.). Seconde consquence,le mlange avec le dmoniaque saccentue. De raetaona (Chr. III 75) au kaviSiiauuarsan, aucun hros nest parfaitement blanc et leur ennemi tous, Franra-siian lui-mme, nest pas entirement noir (Chr. III 86-90) 30. Le renoncementaux incestes gmellaires et aux incestes tout court produit des mariages au plusloin, compromettants ou les deux la fois, comme lorsque Tahmasp (Tumaspa)pouse la fille du sorcier dAfrasyab (Darmesteter, ZA III 400 n. 18). La dialec-tique entre mariage au plus prs et mariage au plus loin atteint sa tensionmaximale avec lpisode de Sudabeh. Selon le Shahname, Kay Us (Kavi Usan)ramne du Ymen Sudabeh, une femme qui lui a sauv la vie. Celle-ci sprenddu fils de Kay Us, Kay Siyavuxs (Siiauuarsan), puis, conduite, laccuse davoircherch la sduire. Siyavuxs sexile chez lennemi par excellence, Afrasyab(Franrasiian), et pouse sa fille, dont il aura un fils, Kay Xosro (Haosrauuah).Il sera assassin par son beau-pre et finalement veng par son fils. Faut-ilreconnatre ici une histoire universelle dont les variantes sont la femme de Puti-phar, Phdre et, lamour partag mis part, Tristan et Yseult (Chr. III 110-112),ou le motif indo-iranien de lannulation des pouvoirs durant une gnration parla faute dune femme (Dumzil, op. cit. 209-212) ? Remarquons avant tout queles reprsentations matrimoniales iraniennes donnent ce rcit une rsonancetoute particulire. Le mariage avec une trangre radicale provoque une occasiondinceste (attnu, il est vrai, avec une concubine du pre) qui, repousse, devientla cause dun autre mariage au plus loin, de surcrot compromettant, de lannula-tion des pouvoirs du fils et, finalement, de sa mort. En consquence ultime detout cela, le premier hros entirement positif de lhistoire iranienne des origines,Haosrauuah, est entirement libr de sa gnalogie, comme son trisaeul, maisautrement : orphelin de son pre, tranger son grand-pre paternel, meurtrier

    30. Mais il na pas t dtenteur du xvarEnah comme on la cru jusqu tout rcemment (voirHumbach, Zamyad Yast, 1998, 165-167).

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 747

    de son grand-pre maternel et ne transmettant rien son propre fils. Le bienfaitnational commence par une catastrophe familiale, mais ne sera complet, commenous allons voir, que lorsque les stratgies matrimoniales seront ressources.

    Ainsi, sous lapparence dincessantes rptitions, les choses ont volu. Unrapport spcifique avec leau est instaur, le climat est rtabli, beaucoup de hrosaspirent une immortalit qui ne prennise pas leur tat matriel, mais requiertun dpart vers ailleurs, et, pour le meilleur ou le pire, ils contractent des alliancesmatrimoniales de plus en plus lointaines, jusqu ce que la situation gnalogiquedu dernier dentre eux se trouve abolie, dans le mme temps o ceux dont ilpartage lorigine (airiia-) accdent au statut de nation.

    9. Les trois derniers hros

    Le Yast 5 fait une longue interruption entre Haosrauuah et Zaraustra, donnant penser que celui-ci appartient une autre poque. Cette impression est formelle-ment dmentie par le Yast 19, qui considre comme un tout le temps des neufkavis et de leur compagnon (cet annuaire 1997-1998, 747-748 et 752). La gna-logie du Bundahisn (Chr. III 70) ninsre quune gnration entre Xosro etVistasp et encore cet intervalle doit-il tre tempr du fait que Vistasp descenddune branche cadette 31. Supposer, comme le fait Christensen (III 34), unepriode de 150 ans entre Haosrauuah et Vstaspa ne repose sur rien, sinon surle pur dsir de faire la distinction entre histoire lgendaire et histoire tout court.Par contre, rien ne contrarie lide que les neuf kavis et leur compagnon partici-pent dun seul et mme mythe.

    A` cause de la pauvret ou de lobscurit des sources, le dtail des priptieset les interactions des membres du trio Haosrauuah-Zaraustra-Vstaspa nouschappent en grande partie. Nous ne voyons pas bien comment sest droul lecombat final que Haosrauuah livre Franrasiian sur la rive du bassin Caecasta(Yt 5.49 Yt 9.21 = Yt 17.41) et dans la fort qui le borde (Yt 15.31-32), car lamise en parallle de Yt 5.50 et de Yt 19.77 ne fait pas apparatre une syntaxeintelligible (les tentatives de Gershevitch, in Mmorial De Menasce, 1974, 60-66, et de Humbach, Zamyad Yast, 1998, 150-152, si intressantes soient-elles,ne sont pas dcisives). Nous comprenons cependant que la mer Vouru. kasw a estdbarrasse de son encombrant baigneur (Yt 19.55-64). Le chemin cleste deseaux est libr.

    Vstaspa a pour adversaires spcifiques les X iiaonas et leurs champions (Yt5.109 Yt 9.31-32 = Yt 17.50-51 Yt 19.87). Il volue sur le chemin terrestre deseaux, de la rivire Frazdanauua (Yt 5.108), qui se trouve dans le Sstan (Bartholo-

    31. Cet arbre gnalogique rvle lvidence que le titre de kavi ne se transmet pas de maniredynastique. Du troisime au sixime, les kavis sont frres, le septime a pour caractristique essentiellede navoir jamais rgn et Xosro ne transmet pas le titre son fils (cette dernire anomalie est la seulequi pourrait sexpliquer de manire simple : lusurpation du pouvoir par Vstaspa). Ce serait une bientrange dynastie si cen tait une.

  • JEAN KELLENS748

    mae, AIW 1005, et Humbach, op. cit. 68), la Vanvh Daitiia (Yt 9.29 = Yt17.49), ou vice-versa. Selon le sens de son itinraire, que nous ne pouvonsdterminer, il croise ou accompagne la route de Zaraustra, qui commence sacarrire dans lAiriiana Vaejah et la poursuit dans les eaux du lac Ka

    saoiia (cet

    annuaire 1997-1998, 762). Les eaux sont prsent libres sur la terre commeau ciel.

    Les deux derniers kavis font contraste par leur nom. Le nom de Haosrauuahest une rfrence la bonne rcitation (haosrauuanha-), qui est, avec la srnit de lme (huruniia-), une des deux qualits essentielles de la vie ici-bas (Kellens, in Mlanges Gignoux, 1995, 157-158 ; sur le nom mme, Humbach,op. cit. 137) ; celui de Vstaspa voque le dtelage de celui qui, au bout delultime prgrination, a atteint lau-del 32.

    Le rle historique de Haosrauuah est dfini par lexpression arsa airiianam

    daxiiunam xsarai hanw kErEmo haosrauua (Yt 5.49 Yt 9.21 = Yt 17.41 Yt 15.32).

    Linterprtation de xsarai hanw kErEmo comme Befestiger des Reiches (Bar-tholomae, AIW 1770) ne se recommande pas, car elle est purement contextuelleet nglige le fait que xsarai est un datif. Selon toute apparence, hanw kErEma-exerce la mme rection que scr. sam + kar amnager acc. en vue de dat. ,donc pourvoir acc. de dat. (e.g. RS 3.2.10 samw sm [= Agni] akr

    nw van ...tjase), laccusatif tant sous-entendu par persistance de airiiana

    m daxiiuna

    m.

    Donc : Le taureau des nations iraniennes, Haosrauuah, a muni (les nationsiraniennes) du xsara . Reli au pass par les vertus du taureau, si rpandudans lonomastique de ses anctres (les kavis Arsan Taureau , Biiarsan Deuxtaureaux et Siiauuarsan Taureau noir ), Haosrauuah a eu pour tche spci-fique de pourvoir les nations iraniennes, dont cest la premire manifestationhistorique, de lexercice dun xsara dont il na plus t question depuis Yima.Reste savoir de quel type de pouvoir il sagit cette fois-ci. Nous allons y venir.

    Le destin eschatologique de Vstaspa fait lobjet de Yt 5.98 : yim aiito maz-daiiasna histEnw ta barEsmo.zasta ta

    m yazEnw ta huuouua nho ta

    m yazEnw ta naotai-

    riia nho stm jaiiianw ta huuouuo asu.aspm naotaire mosu pascaeta huuouuostm baon sEuuista mosu pascaeta naotaire vstaspo a nha

    m daxiiuna

    m asu.aspo-

    tEmo bauuat~

    Les mazdens se tinrent debout autour delle (Anahita) le faisceau la main, les Huuouuas lui sacrifirent et les Naotairiias lui sacrifirent, lesHuuouuas en demandant lsti et les Naotairiias la vitesse des chevaux. Aussittaprs, les Huuouuas devinrent ... ; aussitt aprs, Vstaspa le Naotairiia fut lepremier de ces nations avoir des chevaux rapides. Lopposition entre le butrituel des Huuouuas et celui des Naotairiias nous chappe malheureusement en

    32. Le symbolisme eschatologique du dtelage est indo-iranien : e.g. RS 3.54. 19-20 : ma yama dasma d ava jhipo nahw ... svasty a gr

    hbhya a vasa a vimocanat Fais en sorte de ne pas nous frustrer(du bnfice) de ce voyage ... (Amne-nous) en scurit jusqu la maison, jusquau relais, jusquaudtelage (Renou, EVP 17, 94).

  • LANGUES ET RELIGIONS INDO-IRANIENNES 749

    mme temps que le sens de sti- 33, mais il est du moins clair que la vitessedes chevaux (asu.aspiia-) consentie aux Naotairiias doit tre comprise commela capacit daccomplir au mieux le voyage eschatologique (cet annuaire 1998-1999, 694, propos de Yt 10.3). Ds lors, le superlatif appliqu Vstaspa estde nuance temporelle. Ce passage est aussi le seul de tout lAvesta qui dfinisseexplicitement lappartenance sociale de Vstaspa (Chr. III 23-25, 94). Il fait partiedes naotairiia- fils du meuglant et il est donc exact quun lien de familleexiste entre lui et son pouse Hutaosa (A yadgar i Zareran 68 ud an hutos -mxvah ud zan Hutaosa qui est ma sur et mon pouse ). Le premier hommequi ait accd limmortalit dans lau-del renoue avec la pratique de linceste,selon les exigences de la daena xvaetuuadaa qui contracte mariage dans laligne (Y 12.9).

    10. Les trois dernires strophes du Yast 5

    Aprs avoir eu la vision de la desse, le chantre clture le Yast 5 en prononanttrois paragraphes sans quivalent dans le reste de lAvesta :

    Yt 5.130 aat~

    vanvhi ia sEuuiste arEduu sure anahite auuat~

    aiiaptEm yasamiyaa azEm huuafrito a masa xsara niuuanani b as.pacina stui.baxEra fraoat

    ~

    .

    aspa xvanat~

    .ca