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Kernos (1994) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Carine Van Liefferinge La théurgie : outil de restructuration dans le De mysteriis de Jamblique ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Carine Van Liefferinge, « La théurgie : outil de restructuration dans le De mysteriis de Jamblique », Kernos [En ligne], 7 | 1994, mis en ligne le 20 avril 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : http://kernos.revues.org/1108 ; DOI : 10.4000/kernos.1108 Éditeur : Centre International d’Etude de la religion grecque antique http://kernos.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://kernos.revues.org/1108 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Tous droits réservés

Kernos 1108 7 Van Liefferinge La theurgie outil de restructuration dans le De Mysteriis de Jamblique

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  • Kernos7 (1994)Varia

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    Carine VanLiefferinge

    La thurgie: outil de restructurationdans le De mysteriis de Jamblique................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniqueCarine VanLiefferinge, La thurgie: outil de restructuration dans le De mysteriis de Jamblique, Kernos [Enligne], 7|1994, mis en ligne le 20 avril 2011, consult le 11 octobre 2012. URL: http://kernos.revues.org/1108;DOI: 10.4000/kernos.1108

    diteur : Centre International dEtude de la religion grecque antiquehttp://kernos.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://kernos.revues.org/1108Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

  • Kernos, 7 (1994), p. 207-217.

    LA THURGIE, OUTIL DE RESTRUCTURATION

    DANS LE DE MYSTERIIS DE JAMBLIQUE

    De la lecture de l'tude que Robert Turcan a rcemment consacreaux cultes orientaux dans le monde romain1, il ressort que le termesyncrtisme dsigne au singulier un tat de chaos, de confusion, demelting-pot, pour reprendre sa propre expression, d un mlange decultes provenant de l'introduction en masse des cultes orientaux dans lepaganisme grco-romain. Au pluriel, ce terme s'applique aux effortsqui ont t faits, en des sens parfois divers, afin d'y mettre de l'ordre etde la cohrence.

    Jamblique et son De Mysteriis correspondent bien ces deuxapproches. N Chalcis en Syrie dans la deuxime moiti du Ille siclede notre re, Jamblique est bien un auteur d'origine orientale, ce quiexplique en partie la place de l'Orient dans son uvre. Cela n'empchepas son rattachement au noplatonisme. Sa dfense de la tradition et duculte grecs en font aussi et surtout un penseur grec. Ce double aspect adj t soulign par M.P. Nilsson qui le replace dans le contextehistorique de la fusion entre Grce et Orient au moment du triomphe duchristianisme2. Du reste, mme s'il n'a pas t rang dans la polmiqueanti-chrtienne3, Jamblique est parfaitement conscient de la confusionqui rgne dans le paganisme et de l'impulsion que ce dsordre assure auchristianisme montant. On dcle dans le De Mysteriis une allusionaux Chrtiens montrant qu'il a l'intention de leur opposer n silencemprisant, ce qui constitue un moyen de lutte non ngligeable4. Enfin,

    R. TURCAN, Les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, 1992 (1re dition1989).

    2

    3

    4

    M.P. NILSSON, Geschichte der griechischen Religion, II 2, Munich, 1961, p. 454.

    P. DE LABRIOLLE, La r,action paenne, Paris, 1934.

    De Myst., III, 31 (179, 13 - 180, 3) : C'est donc en vain que tu introduisl'opinion des athes qui pensent que toute la mantique vient du mauvaisdmon; car ils ne sont pas dignes d'tre mentionns dans les questionsthologiques, et en mme temps ils ignorent la distinction entre vrit etmensonge, nourris depuis le dbut dans les tnbres, et ils ne peuvent jamaisreconnatre les principes d'o tout cela procde".

  • 208 c . VAN LIEFFERINGE

    ce double aspect grco-oriental apparat encore dans le fait qu'il se metdans la peau d'un prtre gyptien pour rpondre Porphyre.

    Le titre complet donn au trait de Jamblique est le De MysteriisAegyptiorum5. Il faut cependant remarquer que l'gypte n'apparatgrosso modo que dans les derniers livres d'un ouvrage qui mle deslments de sagesse chaldenne, de thologie gyptienne, de philosophieplatonicienne, des allusions l'hermtisme, l'orphisme et auxmystres6. Il correspond donc trs bien la premire dfinition deR. Turcan du terme syncrtisme.

    Comme on sait, l'ouvrage de Jamblique se prsente comme unerponse aux embarrassantes questions de Porphyre dans sa Lettre Anbon. Cette lettre est souvent prsente comme une attaque contre lathurgie et la rponse de Jamblique comme la dfense de celle-ci. Or,dans la Lettre Anbon telle qu'elle a t reconstitue, les termes8EOupy(a et 8EOUpy6s n'apparaissent que dans les extraits reconstitus partir du trait de Jamblique7. Rien ne prouve avec certitude qu'ils aientt utiliss par Porphyre lui-mme. C'est fort probablement Jambliquequi s'est servi de la thurgie pour rpondre aux questions de Porphyrequi concernent le culte grec traditionnel. Le but de cette communicationest d'clairer la faon dont Jamblique utilisa la thurgie, d'une part pourjustifier le culte grec et d'autre part, pour tablir une cohrence entrecultes grecs et orientaux. Pour rendre plus clair mon expos, je vaissparer les influences grecques et orientales chez Jamblique.

    Le culte grec dans le De Mysteriis

    Si l'on met part les derniers chapitres consacrs au symbolisme dela religion gyptienne, c'est bien le culte grec traditionnel qui fait l'objetessentiel du De Mysteriis : le chapitre III qui occupe lui seul pas loind'un tiers du trait tout entier est exclusivement consacr la divina-tion, certes sous ses formes les plus diverses, mais aussi sous son jour leplus traditionnel puisqu'on y trouve des extraits consacrs aux grandsoracles comme l'oracle de Delphes. Le chapitre V, remarquable lui

    5

    6

    7

    Ce titre est en ralit celui que lui ont attribu les premiers traducteurs (voir lanotice dans l'dition des Belles Lettres d'douard des Places, p. 6-7).

    Cette incohrence n'a pas manqu d'tre souligne: Sa fidlit des pratiquesdivergentes rend sa cohrence problmatique (J. TROUILLARD, L'Un et l'meselon Proclus, Paris, 1972, p. 173).

    AR. SODANO, Lettera ad Anebo, Naples, 1958.

  • LA THURGIE DANS LE DE MY8TERIl8 DE JAMBLIQUE 209

    aussi par sa longueur, a trait au sacrifice et la prire dans le sacrifice.Si l'on veut bien se rappeler que Platon dans les Lois affirmait que pourl'homme de bien, sacrifier aux dieux et communiquer avec eux par desprires, des offrandes et tout le culte divin, c'est ce qu'il y a de plus beau,de meilleur et de plus efficace en vue de la batitude8, peut-trepensera-t-on qu'en leur consacrant la plus large part de son ouvrage,Jamblique reste dans la ligne de son matre spirituel. Et si l'on veutbien considrer qu'en composant le De Mysteriis, il a voulu entre-prendre une immense uvre de rcupration, on comprendra sa volontde n'oublier aucune forme de culte permettant chacun de trouver cellequi lui correspond, une poque o l'efficacit des rites tait particuli-rement mise en doute (oracles errons, inefficacit des sacrifices et desprires).

    Dans le reste du trait, Jamblique tente d'apporter des rponses desquestions qui furent dj celles de tous les sceptiques grecs. Celle quirevient comme un leitmotiv est la suivante: comment se fait-il que lesdieux, lors des rites, se laissent commander par les hommes? End'autres termes, les hommes exercent-ils par les rites une contrainte surles dieux? La rponse fera la diffrence entre rites et magie, donc entrethurgie et magie. En effet, pour rsoudre les deux grands problmes del'inefficacit des rites et de la contrainte exerce sur les dieux lors desrites, c'est la thurgie que Jamblique fait appel. Il lui donne la dfini-tion suivante: C'est l'accomplissement des actions ineffables etaccomplies divinement au-del de toute intellection, ainsi que lepouvoir des symboles penss seulement par les dieux qui oprent l'unionthurgique9. Deux mots-clef dans cet extrait: actions ({ pya) etsymboles (aull~oa) Les rites sont donc des symboles que les hommes necomprennent plus. Dans un autre extrait, Jamblique dit que l'aspect dela thurgie tout entire est double: d'une part, elle est amene par deshommes, ce qui garde notre place naturelle dans le tout; de l'autre,s'appuyant sur les symboles divins, elle s'lve par eux jusqu'aux tressuprieurs auxquels elle s'unit... Elle voque juste titre et commesuprieures les puissances du tout, en tant que l'vocateur est un homme,et en mme temps se range leur ct, puisqu'elle revt pour ainsi direpar les symboles ineffables la tenue hiratique des dieux10. Ce texte est

    8 PLATON, Lois, N, 716d.

    9 De Myst., II, 11 (96, 17 - 97, 2).

    10 De Myst., N, 2 (184,1-13).

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    essentiel, car il rvle que par les symboles, le divin s'entretient avec ledivin: il n'y a donc pas de contrainte.

    Dans ce cas, peut-on se demander, pourquoi les rites sont-ils ineffi-caces? En fait, il faut en respecter les rgles, l'ordre, la hirarchie desdieux, tre pur, sinon on appelle soi les dmons pervers. Or, cela n'estpossible que par l'action des thurges qui sont seuls possder cettepratique. Bref, il faut faire appel ces spcialistes en uvres divines(rites).

    Pour sauver le culte grec, Jamblique fait ainsi des thurges uneinstance qui pourrait bien constituer un clerg paen et il fait de lathurgie, en tant que symbolisme actif, le dnominateur communautour duquel il rorganise toutes les composantes disparates, incom-prises et inefficaces du culte. Envisageons maintenant la place occupepar les cultes orientaux dans le De Mysteriis.

    L'Orient dans le De Mysteriis.

    Tout d'abord l'gypte.

    Jamblique reconnat d'emble qu'il puise dans les enseignementsdes prophtes de l'gypte pour rsoudre certaines questions Il. Dans lemme chapitre, les allusions Herms et aux stles d'Herms sontfrquentes. Il est inutile de rappeler l'identification entre Herms et ledieu gyptien Thoth, dieu de l'loquence, que l'gypte est la patried'Herms Trismgiste, l'gyptien par excellence 12 et que toute unetradition rattachait Pythagore et Platon l'hermtisme gyptien13 .L'assimilation entre Thoth et Herms est trs ancienne 14 . A.J.Festugire remarque qu' peine les Grecs furent-ils entrs en contact

    Il De Myst. , l, 1 (1, 4 - 2, 9).

    12 A.J. FESTUGIRE, Une source hermtique de Porphyre: l'gyptien du Deabstinentia (lI, 47), in REG, 49 (1936), a montr que dans le De abstinentia,Porphyre, condamnant la consommation de viandes animales, en prend pourgarant l'gyptien, c'est--dire le mythique Herms Trismgiste.

    13 De Myst. , l, 2 (5, 15 - 6,2) : Mais si tu proposes quelque question philosophique,nous la dterminerons pour toi elle aussi selon les antiques stles d'Herms, quePlaton dj auparavant et Pythagore avaient scrutes pour constituer leurphilosophie.

    14 On sait que l'intrt des Grecs pour l'gypte remonte au moins Hrodote. AJ.FESTUGIRE, La rvlation d'Herms Trismgiste, l, Paris, 1986 (rimpressionde la 2e dition de 1950), p. 69-70.

  • LA THURGIE DANS LE DE MY8TERl18 DE JAMBLIQUE 211

    avec l'gypte que leur besoin de comprendre leur fit chercher des qui-valences entre les divinits gyptiennes et leurs propres dieux15.

    Donc, en faisant appel l'gypte dans un ouvrage visant dfendrela tradition grecque, Jamblique n'innove pas mais se raccroche uneancienne tradition: on sait, en effet, la valeur accorde l'anciennetdans toute la tradition platonicienne. S'il y a vraiment innovation dansla dmarche de Jamblique, c'est, on le verra, dans l'insertion de lathurgie comme moyen d'articuler la connexion entre la Grce etl'Orient. Quant la question de la valeur accorde ce qui est le plusancien, on y trouve des lments essentiels dans l'usage de la figured'Herms. Faire appel Herms, c'est aussi se fonder sur les crits lesplus anciens' puisqu'il est l'inventeur de l'criture: telles sont les stlessur lesquelles il aurait grav sa science l6. On peroit ici la volont deJamblique de trouver dans des crits prestigieux les justifications d'unereligion grecque qui combat une religion qui, elle, a sa bible. En asso-ciant la Grce l'gypte, il donne la Grce une littrature sacre17 etconfre son trait prestige et autorit l8.

    Par ailleurs, Jamblique retient aussi la notion d'Herms-Iogos I9 :il en fait le seigneur du langage. Il place ainsi' son trait sous l'gided'un prophte ancien, parole de Dieu, digne de concurrencer le nouveaulogos des Chrtiens.

    On trouve encore l'gypte dans d'autres endroits de son uvre,notamment dans le chapitre consacr aux sacrifices. Restant dans sonrle de prtre gyptien, Jamblique explique l'influence de la sympathieuniverselle dans les sacrifices, savoir comment des lmentsnaturels veillent la divinit. Mme s'il considre cela comme unecause auxiliaire du sacrifice - la vritable cause devant tre recherchedans l'amiti entre crateur et monde cr -, il y voit nanmoins une

    15 AJ. FESTUGIRE, ib. , p. 69

    16 AJ. FESTUGIRE, ib., p. 74-75.

    17 De Myst., VIII, 4 (265, 15 . 266, 1) : (les crits qui circulent sous le nomd'Herms) ont t traduits de l'gyptien par des hommes qui n'taient pas sansconnatre la philosophie.

    18 D'autres auteurs ont effectu semblable dmarche avant lui. Au Ile sicle denotre re, des ouvrages grecs prtendent s'tre inspirs des stles d'Herms.AJ. Festugire (op. cit. p. 76) cite le cas d'une compilation astrologique en versproduite sous le nom de Manthon.

    19 De Myst., l, 1 (1, 3) : 8s 6 TWV 6Ywv ~Y!1wv,' Ep!11S'

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    cause ncessaire. La croyance gyptienne en la sympathie universellelui sert une fois encore de caution.

    Mais c'est surtout le symbolisme de la religion gyptienne qui vientsoutenir cette grande ide qui sous-tend son trait, savoir que le rite,critiqu et incompris son poque, doit tre considr comme unsymbole. C'est un symbole en acte: on entrevoit ds lors le rle de lathurgie tel qu'on le trouve dans la dfinition que j'ai retenue plushaut20.

    Le culte des gyptiens comporte des menacesl On y menace soitd'branler le ciel, soit de rvler les mystres d'Isis, soit de dvoiler lesecret d'Abydos ou d'arrter la barque d'Osiris ou de livrer Typhon lesmembres pars de ce dieu ou de commettre quelque action du mmegenre21. Pour Jamblique, ces menaces sont en ralit profres contredes dmons et non contre des dieux: en effet, les gyptiens, qui mlentaux symboles divins les paroles adresses aux dmons, parfois usentaussi de menaces22.

    partir du livre VII, ce ne sont plus des allusions ponctuelles lathologie symbolique des gyptiens, mais un long expos qui partd'exemples de symboles (le limon, le lotus, la barque, le zodiaque23 )pour en arriver la question plus difficile de la langue dans laquelle ilconvient de s'adresser aux dieux24. Cette langue doit se manifestercomme dnue de signification. C'est par le symbolisme que Jamblique,contre Porphyre, en justifie l'emploi: C'est, dit-il, le caractresymbolique intellectuel et divin de la ressemblance divine qu'il fautsupposer dans les noms25. L'importance de l'gypte est nettementsouligne par Jamblique: comme les Assyriens, les gyptiens sont unpeuple sacr, leur langue est apte aux rites, il y a donc prdominance desnoms barbares sur les noms grecs. Et prcisment voici pourquoi

    20 Cf. supra.

    21 De Myst. , VI, 5 (245, 15 - 246, 3). L'explication de ces symboles est donne pard. des Places dans son dition du De Mysteriis, p. 186-187, note 2: Le secretd'Abydos est le vrai tombeau d'Osiris, arrter la barque d'Osiris serait arrter lesoleil; Typhon avait enferm Osiris vivant dans un cercueil, puis retrouv cecercueil cach par Isis et dcoup le corps en quatorze morceaux.

    22 De Myst., VI, 7 (249, 6 - 250, 8).

    23 De Myst., VII, 2 et 3 (250, 13 - 254, 11).

    24 De Myst., VII, 4 (254,15-16).

    25 De Myst., VII, 4 (255, 9-11).

  • LA THURGIE DANS LE DE MY8TER1l8 DE JAMBLIQUE 213

    maintenant tout a perdu de son efficacit, les noms et la vertu desprires, c'est qu'ils ne cessent de changer par le got d'innover et latmrit des Hellnes26: tels sont l'aveu d'chec et l'explication decelui-ci selon Jamblique.

    Enfin, l'origine des lois sur les rites, Jamblique place encore lesgyptiens; leurs enseignements ont t runis dans les critsd'Herms. Mais les gyptiens ne proposent pas que des considrationsthoriques: ils recommandent aussi de monter par la thurgiehiratique jusqu'aux rgions les plus leves, jusqu'au dieu etdmiurge27. Ainsi se mlent la thurgie et l'gypte. Rien d'tonnant cela puisque la thurgie recommande de s'lever par les symboles28.Est-ce dire, comme AJ. Festugire, que Jamblique considre implici-tement les gyptiens comme les fondateurs de la thurgie29 ? En ralit,Jamblique n'est pas trs explicite sur l'origine de la thurgie. Les mots8EOUpy6s et 8Eoupy(a sont introduits dans son trait sans avoir fait l'objetd'un expos systmatique pralable. Nulle part il n'attribue l'origine dela thurgie l'auteur prsum des Oracles Chaldaques, Julien leThurge30. Tout au plus voque-t-il les Chaldens et les gyptienscomme peuples garants, par leur anciennet, de la vrit de ses propos.Alors, que la thurgie soit d'origine gyptienne ou chaldenne, quelleimportance, pourvu qu'elle mane d'un peuple ancien et sacr?

    ct des gyptiens, on trouve galement les Chaldens: dsignent-ils les deux Juliens, thurges chaldens vivant sous Marc-Aurle, outout simplement des astrologues, comme c'est souvent le cas?

    La deuxime hypothse s'applique plus que vraisemblablement auxconsidrations de Jamblique sur l'astrologie dans le livre IX du trait.Celles-ci apparaissent comme une parenthse dans laquelle l'auteurentreprend nanmoins de revaloriser l'astrologie, comme tant unescience livre par les dieux aux hommes, mais dans laquelle avec leprogrs du temps se mle beaucoup d'humain, ce qui rduit le caractre

    26 De Myst. , VII, 5 (259, 5-9).

    27 De Myst., VIII, 4 (267, 7-10).

    28 Voir l'extrait cit la note 11.

    29 A J. FESTUGIRE, La rvlation d'Herms Trismgiste, III, p. 236, note 3.

    30 Voir plus loin.

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    divin de la connaissance31. Comme preuve de la vrit de cettescience, Jamblique avanceles observations des phnomnes clestesconserves travers les ges chez les Chaldens et chez nous (lesgyptiens)>>32. Une fois de plus, anciennet et origine orientale donnentdu crdit une pratique battue en brche.

    Les prophtes chaldens cits ailleurs33 seraient, selon HansLewy34, Julien le Chalden et son fils Julien le Thurge. Certes, il estfait mention des thurges dans les lignes qui suivent immdiatement.Cependant, son propos semble attribu des contemporains: Je terapporterai le propos que j'ai entendu un jour, quand des prophteschaldens le disaient35.

    Ce propos consiste en ceci: les pervers ou ceux qui accomplissent lesrites sans en respecter la rgle attirent, par connaturalit, les dmonspervers appels VTt8EOL : l est l'origine du mal. La thorie des dmonspervers qui permet Jamblique de justifier notamment les checs dansles rites fait ainsi partie d'une sagesse rvle puisqu'il s'agit de proposde prophtes. Les paroles prononces ou crites par le prophte sont desparoles divines; la sagesse qu'il enseigne lui a t rvle, elle vientdirectement de Dieu lui-mme36.

    Si Jamblique ne cite nulle part explicitement les fameux OraclesChaldaques, leur influence se marque cependant nettement danscertains extraits. On consultera ce sujet la notice introductive d1msl'dition du De Mysteriis d'douard des Places qui relve les expres-sions chaldaques comme vuywYll (remonte de l'me), por(os(vrombissement s'appliquant au son mis par le TIVEUIlU quand ils'approche de l'me). Ceux qui s'empressent vers le feu voquent lesdeux tres suprieurs appels dans les Oracles Premier et Second Feux.L'interdiction de changer les noms barbares rappelle le prcepte desOracles Chaldaques >V6IlUTU ~ap~upu Il11TIOT' alJs37.

    31 De Myst., IX, 4 (277,16-18).

    32 De Myst. , IX, 4 (278, 7-9).

    33 De Myst., III, 31 (176,1-2).

    34 H. LEWY, Chaldaean Oracles and Theurgy, (Recherches d'archologie, dephilologie et d'histoire, 13), Le Caire, p. 273, note 53.

    35 De Myst., III, 31 (176, 13 - 178, 1).

    36 AJ. FESTUGIRE, op. cit., l, p. 318.

    37 Pour les rfrences, voir la notice introductive d'd. des Places, p. 17-19.

  • LA THURGIE DANS LE DE MY8TERIl8 DE JAMBLIQUE 215

    Mais dans les Oracles Chaldaques, il y a surtout les uuv61l~aTa etles uu~~oa dont il est tant question dans l'approche de la thurgie parJamblique: Car l'intellect paternel a sem les symboles travers lemonde, dit l'Oracle38. Il ne s'agit pas ici de savoir ce qu'taient cessymboles pour les auteurs des Oracles, mais plutt de savoir dans quelsens Jamblique les a rcuprs. Outre les extraits cits plus haut proposde la thurgie du De Mysteriis, on lit encore que les noms sacrs desdieux et autres symboles (uuve~~aTa) divins qui font monter vers lesdieux peuvent mettre l'esprit en contact avec eux39, que les supplica-tions hiratiques ont t envoyes par les dieux mmes aux hommes,qu'elles sont les symboles (UUVe~~aTa) des dieux mmes et ne sontconnues que d'eux40, que (le culte) comporte des signes (Ve~~aTa)admirables vu qu'ils ont t envoys ici-bas par le dmiurge et pre detous les tres et que grce eux, l'indicible s'exprime en symboles(uu~~oa) mystrieux41.

    Ce symbolisme par lequel Jamblique justifie l'incomprhensionface aux rites est incontestablement inspir de la thurgie propre auxOracles Chaldaques.

    Outre les gyptiens et les Chaldens, l'Orient apparat encore dansle chapitre consacr la divination. Jamblique y dcrit l'tat du prtrepossd par le dieu: c'est la divination par enthousiasme. Pourillustrer ce phnomne, il mentionne la prtresse de Castabala, enCilicie, capable, lorsqu'elle est possde par le dieu, de marcher travers le feu42. La desse syro-anatolienne Kubaba qui avait sontemple Castabala doit tre identifie la desse Cybb ou Cyble dontil est inutile de rappeler l'importance qu'a pris le culte dans l'empireromain. D'aprs une communication d'Andr Dupont-Sommer, il estpossible de suivre l'histoire de cette desse depuis le XVIIIe sicle avant

    38 Oracles Chaldaques, fr. 108 (des Places).

    39 De Myst., 1,12 (42,15-17).

    40 De Myst., 1,15 (48, 5-8).

    41 De Myst., l, 21 (65, 6-9).

    42 De Myst., III, 4 (110, 14-16). d. des Places ajoute en note (p. 104, note 1) letmoignage de STRABON, XII 2, 7 ce sujet:

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    notre re partir de tmoignages orientaux43 . Ceci montre bien queJamblique ne choisit pas ses exemples au hasard mais s'attache ceuxdont la trs grande anciennet prte foi.

    Selon E.R. Dodds, l'exemple de cette prtresse vient illustrer unebranche de la thurgie qu'il appelle la transe mdiumnique44, quiavait pour but d'incarner passagrement la prsence d'un dieu dans untre humain et qui se distinguait des oracles officiels par le fait que lapossession du medium par le dieu se faisait sur la supplication, voire lacontrainte de l'agent. Or, comme je l'ai dj soulign, Jamblique nietoute contrainte dans l'acte thurgique. L'influence de la thurgie peutnanmoins se retrouver dans l'emploi du terme chaldaque XTUW, lemedium tant le vhicule du dieu qui l'inspire45.

    En voil assez pour la part de l'Orient dans l'ouvrage de Jamblique.Venons-en aux conclusions.

    Conclusions

    Nous venons de voir la part de l'Orient et de la Grce chez. Jamblique. Le premier, par son prestige, son anciennet et le caractresacr de ses peuples, sert principalement la sauvegarde de la seconde.

    L'lment que Jamblique utilise afin d'assurer la cohsion entre lesdeux est le symbolisme, non le symbolisme en parole, mais le symbo-lisme en acte. Tout acte rituel est symbolique. Ces symboles, donc cesrites, ont t communiqus aux hommes par les dieux: c'est le lieupropre de la thurgie qui signifie tymologiquement acte divin.

    En faisant de la thurgie, vue sous cet angle, un moyen de revalori-ser tout le rite grec et un instrument de cohrence entre celui-ci et lescultes orientaux, Jamblique lui donne une orientation et un statut diff-rents de ceux qu'elle avait l'origine.

    Le terme eEoupy6s apparat pour la premire fois - et une seule fois -dans des textes qui passent pour une rvlation d'origine orientale, savoir les Oracles Chaldaques. Que leur origine soit rellementchaldenne ou qu'il s'agisse d'une littrature impute des sagesmsopotamiens, le titre est en tout cas rvlateur d'une sensibilit des

    43 A DUPONT-SOMMER, Une inscription aramenne indite de Cilicie et la desseKubaba, in CRAI (1961), p. 19.

    44 E.R. DODDs, Les Grecs et l'irrationnel, Paris, p. 296.

    45 De Myst. , III, 4 (109, 13)

  • LA THURGIE DANS LE DE MY8TERII8 DE JAMBLIQUE 217

    paens vis--vis de l'exotisme. Ces crits sont attribus Julien leThurge qui vivait sous Marc-Aurle, fils d'un Julien dit leChalden46. Leur contenu est, comme il se doit des oracles, particuli-rement obscur et soulve encore bien des interrogations. Il atteste sansdoute l'existence d'une sorte de culte des mystres du feu prsentant descaractristiques communes aux cultes mystres, savoir qu'il taitnaturellement rserv des initis, c'est--dire aux thurges opposs autroupeau vou la fatalit47. Ce culte a pour but le salut de l'me dusort fatal>,48, et il se fonde sur des textes rvls (les orphiques aussiavaient leur bible).

    Malgr leur caractre obscur, les Oracles Chaldaques exposent unedoctrine tendance platonicienne; le bref commentaire de FranzCumont leur sujet reste toujours valable: la suite de Platon, dit-il,les thurges chaldens opposaient nettement le monde intelligible desIdes au monde sensible des apparences: ils avaient donc de l'universune conception dualiste. Au sommet de leur panthon, ils plaaientl'Intellect, qu'ils appelaient aussi le Pre... L'me humaine, d'essencedivine, tincelle du Feu originel, descendant par un acte de sa volontles degrs de l'chelle des tres, est venue s'enfermer dans la gele d'uncorps... Quand elle se sera dpouille de toutes les enveloppes mat-rielles dont elle s'tait charge, l'me bienheureuse sera accueillie dansle sein paternel du Dieu suprme49. Il n'est donc pas tonnant que cesoracles aient attir l'attention des noplatoniciens qui purent lesexploiter afin de sacraliser leur doctrine. Jamblique y a trouv un outilde restructuration d'un paganisme confus et sur le dclin.

    Carine VAN LIEFFERINGEUniversit libre de BruxellesAv. Franklin Roosevelt, 50B - 1050 BRUXELLES

    46 Cf. Souda, s.v.' IoutQVOS

    47 Oracles Chaldaques, fr. 153 (des Places).

    48 lb., fr. 130 (des PIllces).

    49 Fr. CUMNT, Lux perpetua, Paris, 1949, p. 363-364.