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ISSN 1225-9101 A RTS ET C ULTURE DE C ORÉE Vol.11, N° 3 Automne 2010 L’ère du téléphone intelligent en Corée

Koreana Autumn 2010 (French)

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ISSN 1225-9101

A R T S E T C U L T U R E D E C O R É E Vol.11, N° 3 Automne 2010

Vol.11, N° 3 A

utomne 2010

L’ère du téléphone intelligent en Corée

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Beautés de Corée

Le mur floral ou « hwachodam »

e « hwachodam » est un mur aux riches décors de fleurs dont plusieurs spécimens ornent palais, tem-ples bouddhiques et demeures d’époque Joseon

(1392-1910), l’un des plus remarquables se trouvant sur la face ouest du Pavillon de Jagyeongjeon, au Palais de Gyeongbokgung, qui fut construit sous cette dynastie.

Dans ce bâtiment, logeaient les membres féminins de la famille royale, notamment la reine mère que désignait le terme « daebi » signifiant « grande reine » puisqu’elle était la doyenne de la royauté. Celui d’origine fut édifié en 1865 à l’intention de la reine Sinjeong, qui avait pour fils le futur empereur Gojong (r. 1863-1907) dont le jeune âge exigea la régence du royaume par Daewongun, son père, qui donna ordre d’entreprendre les travaux. Ces der-niers furent mis en œuvre dans le cadre d’un vaste projet de reconstruction de tout l’ensemble architectural qui demeurait en piètre état depuis les invasions japonaises de 1592 à 1598. Par la suite, un incendie allait ravager le Pavillon de Jagyeongjeon et exiger d’édifier une nouvelle bâtisse en 1888.

De couleur orange, le mur floral qu’il abrite comporte l’idéogramme chinois du bonheur et de la longévité, de même qu’une multitude de motifs d’oiseaux et de fleurs. Celles du prunelier, de la pivoine et du grenadier y côtoient chrysanthèmes, pêcher céleste et bambous dont les décors sont incrustés sur de larges tuiles, auprès des caractères désignant la félicité et ornés avec une grande

richesse, autant de motifs qui devaient être propices à la longue vie et au bonheur de la souveraine, comme à ceux de toute la famille royale. En d’autres endroits particu-lièrement remarquables, des papillons représentés avec force volettent entre les fleurs multicolores sur un fond composé de tuiles. Constituées de terre cuite, ces derniè-r es surprennent par leur splendide décor bordé d’idéo-grammes et d’un entrelacs d’arabesques.

Les auteurs de ce mur floral furent d’humbles artisans qui demeurèrent anonymes malgré leur grand talent, notamment ces ma tres maçons qui taillèrent et façon-nèrent les fondements en pierre dits « jeondol » ou ces graveurs qui exécutèrent les motifs en relief. Ce sont aussi d’excellents ouvriers qui placèrent entre les pierres plâ-tre et coulis à base d’argile, de sable jaune et chaux vive, tandis que les meilleurs ma tres plâtriers furent chargés de la pose et de la fixation des motifs souhaités. Quand pri-rent fin ces différentes opérations, ce fut au tour d’artistes professionnels d’apporter la dernière touche à l’ouvrage ainsi réalisé, notamment en y peignant des motifs.

Voilà peu, les services compétents de la Ville de Séoul ont pris la décision, à l’intention du « hwachodam » de Jagyeongjeon, d’opter pour cette couleur orange qui figure d’ailleurs parmi les dix coloris emblématiques de l’agglo-mération et portera désormais l’appellation d’« orange Séoul », comme sur les taxis, qui sont appelés à l’adopter tous à l’avenir.

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© Ahn Hong-beom

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arts et Culture de Corée Vol.11, N° 3 Automne 2010

Selon l’Office coréen des statistiques, le taux d’abonnement à la téléphonie mobile dépassait cent pour cent au mois de mars dernier, ce qui représente un véritable exploit vingt-six ans à peine après l’entrée en exploitation de ce service en Corée, mais cet organisme révèle aussi que l’âge moyen des usagers est en constante diminution et que ces derniers sont toujours plus nombreux à posséder plusieurs appareils de ce type.

L’ère du téléphone intelligent en Corée8 Le téléphone portable en Corée, entre dynamisme et stress Kim Chanho

16 L’industrie du téléphone portable en Corée Cho Hyung Rae

24 L’innovation technologique coréenne en téléphonie mobile

Kim Dong-suk

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Publication trimestrielle de la Fondation de Corée2558 Nambusunhwanno, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sudwww.kf.or.kr

ÉITEUR Kim Byung-kook DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Kim Sung-yupREDACTRICE EN CHEF Choi Jung-hwaRÉVISEUR Suzanne SalinasCOMITÉ DE RÉDACTION Cho Sung-taek,Han Kyung-koo, Han Myung-hee, Jung Joong-hun, Kim Hwa-young, Kim Moon-hwan, Kim YoungnaCONCEPTION ET MISE EN PAGE Kim’s Communication AssociatesRÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Lim Sun-kunDIRECTEUR PHOTOGRAPHIQUE Kim Sam DIRECTEUR ARTISTIQUE Lee Duk-limDESIGNER Kim Su-hye

AbONNEMENTS Prix d’abonnement annuel : Corée 18 000 wonsAsie (par avion) 33 USD, autres régions (par avion) 37 USD Prix du numéro en Corée 4 500 wons

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IMPRIMÉ EN AUTOMNE 2010 PARSamsung Moonwha Printing Co.274-34, Seongsu-dong 2-ga, Seongdong-gu, Séoul, Corée du SudTél : 82-2-468-0361/5Fax : 82-2-461-6798

32 dossiers

Une découverte de Séoul par des lectures sur la vie quotidienne Gwon Hyeok Hui

38 entretien

Hwang Kap-Sun, un potier du XXIe siècle inspiré par Joseon Jung Hyung-mo

44 artisan Kim Bok-Gon

Kim Bok-Gon, un fabricant dont les instruments de musique sonnent juste | Park Hyun Sook

50 Chefs-d’œuvre

Gyeonghoeru, un élégant spécimen de l’architecture traditionnelle coréenne

Kim Bong Gon

54 Chronique artistique

Une année placée sous le signe de la commémoration Kim Moon-hwan

60 sur la sCène internationale lee se-dol

Lee Se-dol, un pionnier dans l’univers du go | Jin Jae-ho

64 esCapade haenam À Haenam, la « fin des terres » s’unit avec la mer | Kim Hyungyoon

72 Cuisine

Les aubergines farcies ou « gajiseon » | Lee Jong-Im

76 reGard eXtérieur

Un regard sur Seoul | Guillaume DOURDIN

78 vie quotidienne

La formation continue pour le troisième âge

Charles La Shure

83 aperçu de la littérature Coréenne

Lee Seung-U Le destin d’un liseur | Yi Soo-hyung

Le récit d’un liseur | Traduction : Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas

Koreana sur Internethttp://www.koreana.or.kr

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles des éditeurs de Koreana ou de la Fondation de Corée.

Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprèsdu Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol, arabe, russe, japonais et allemand.

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L’ère du téléphone intelligent en Corée

Si le téléphone portable, par les progrès technologiques dont il a bénéficié, a transformé la vie

quotidienne dans le monde entier, l’essor sans pareil qu’il a connu en Corée représente un véri-

table phénomène et afin de comprendre les raisons de cette omniprésence, il convient d’analy-

ser les différents facteurs qui se trouvent à son origine, ainsi que la place du pays au sein de la

concurrence internationale.

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Le téléphone portable en Corée, entre dynamisme et stressLes statistiques révèlent que les Coréens passent plus de temps à appeler sur leur téléphone portable qu’aucun autre peuple du monde, à savoir, par exemple, deux fois plus que les Allemands, ce qui pose la question des causes de leur extrême enthousiasme pour ce moyen de communication dont l’omniprésence participe de l’exceptionnel dynamisme de leur pays.Kim Chanho Professeur à l’Université Sungkonghoe

Kim Yong-chul Photographe

L’article de fond intitulé Ce qu’ils font de mieux, que publiait la revue US News & World Report dans son numéro daté du 18 mars 2007, s’atta-

chait à montrer que, si les États-Unis se classent au premier rang mondial par leur PIB et leur nombre de lauréats du Prix Nobel, ils ont encore beaucoup à apprendre d’autres pays. À l’appui de cette thèse, il cite notamment le Bhoutan, qui affiche le plus faible taux de tabagisme au monde, l’Allemagne et les Pays-Bas, où les cyclistes circulent en toute sécurité, ou encore le fameux sens de l’hospitalité des Afghans, mais aussi la Corée qui, aux côtés du Japon, possé-derait le plus important parc téléphonique mobile à l’échelle internationale et dont les réseaux à haut débit surpasseraient ceux des Américains.

Un indispensable outilLe parc téléphonique mobile coréen est passé d’un peu plus de quarante

millions à 47,7 millions d’appareils entre les mois de novembre 2006 et octo-bre 2009, ce dernier chiffre comprenant les différents combinés appartenant à un même usager. Sachant qu’en 1996, l’année de la commercialisation de la technologie CDMA, ils n’étaient que trois millions à en posséder, leur nom-bre a donc été multiplié par treize en l’espace d’une décennie. Dans la Corée d’aujourd’hui, où tout un chacun est constamment et partout joignable, une telle connectivité modifie profondément les modes de vie et relations entre les gens.

Lorsqu’il arrive d’oublier son appareil, des difficultés peuvent surgir dans le cadre du travail, outre que l’on éprouve la désagréable impression de se sentir coupé du monde, car cet accessoire s’avère désormais indispensable aux acti-vités quotidiennes, comme le proclame le slogan publicitaire selon lequel il se

Devant le siège de Samsung Electronics, ces panneaux publicitaires tapageurs an-noncent l’arrivée très attendue du téléphone intelligent Galaxy S.

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trouve au « centre de notre vie ». Nombreux sont ceux pour qui il est impensable d’effectuer le moindre déplacement sans se munir de ce combiné qui semble presque faire corps avec eux et, à la sortie d’un concert ou du cinéma, les spectateurs s’empressent de le rallumer pour en capter tous les appels. Nombre de ressortissants étrangers ne manquent d’ailleurs pas de souligner cette caractéristique distinctive de l’usager coréen, à l’instar de Maria, cette invitée allemande de l’émission « Ba-vardages des belles » diffusée par la chaîne télévisée KBS, qui déclarait ainsi : « Dans les cafés et restaurants, tous les clients sans exception, dès qu’ils sont assis, commencent par poser leur téléphone sur la table ! J’ai constaté avec stupéfaction que les étudiants, mais aussi les professeurs, n’hésitaient pas à répondre au téléphone pendant les cours et pendant un repas avec des amis, ces derniers ne cessent pas d’envoyer des messages tex-tuels à d’autres, ce qui s’avère vraiment gênant, voire agaçant. »

Le message textuelPar comparaison aux usagers d’autres pays, les Coréens ont

la particularité de beaucoup plus se servir de leur téléphone portable pour envoyer des SMS ou textos, seuls les Philippins

en faisant une utilisation comparable en raison de la cherté des appels. En Corée, le succès de la messagerie textuelle s’explique par d’autres facteurs dont le principal est l’alphabet « hangeul », dont la conception est bien adaptée au codage numérique. Un simple coup d’œil à un combiné coréen suffit à constater que son clavier ne comporte qu’une dizaine de caractères car, si l’écriture comprend vingt-six voyelles et consonnes dont la combinaison crée différents blocs syllabiques, il faut savoir que quelques signes élémentaires permettent de constituer des voyelles, de même que les consonnes primaires servent à la constitution d’ensembles plus complexes. Cette simplicité de formation permet de saisir les textes avec une rapidité très supérieure à celle qu’autorisent d’autres langues telles que l’anglais, comme en attestent les premiers prix que remportent souvent les Coréens à des concours de vitesse d’envoi, non en raison d’une exceptionnelle dextérité, mais des avantages inhé-rents à leur alphabet.

En outre, la pratique de la messagerie textuelle correspond bien aux besoins du mode de vie particulier des Coréens. Dans un pays où collégiens et lycéens passent le plus clair de leur temps à l’école et dans les instituts privés, après quoi il leur

1 Un partenariat entre KORAIL et KT a permis de fournir des zones d’accès Wi-Fi telles que celle-ci dans les principales gares desservies par le KTX.

2 Ce centre de « découverte » SK Telecom permet aux consommateurs d’es-sayer gratuitement des combinés portables de haute technologie offrant un grand nombre de fonctionnalités.

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faut encore faire leurs devoirs une fois rentrés à la maison, il leur reste si peu de temps libre à consacrer à leurs amis que le téléphone portable leur fournit une échappatoire salutaire. En dépit des contraintes de leur existence, ces adolescents sont en mesure d’établir de nombreux contacts avec leur entourage par l’échange discret de messages en classe, ainsi que dans leur chambre, où ils sont censés travailler dans « le plus grand silen-ce », mais peuvent ainsi communiquer à loisir avec leurs amis. Ils ne sont toutefois pas les seuls à bénéficier de telles possibili-tés, car celles-ci peuvent s’avérer très pratiques pour dialoguer avec toute autre personne que celles dont on doit subir la com-pagnie dans la vie de tous les jours.

Un usage public ou privéEn téléphonie mobile, la part des appels est globalement

supérieure à celle des messages textuels et des études statisti-ques révèlent que les Coréens passent plus de temps à appeler sur leur téléphone portable qu’aucun autre peuple du monde, à savoir, par exemple, deux fois plus que les Allemands, ce qui pose la question des causes de leur extrême enthousiasme pour ce moyen de communication dont l’omniprésence participe

de l’exceptionnel dynamisme de leur pays. Dans son ouvrage intitulé La révolution des réseaux, de ses débuts à sa fin, le professeur Sung Wook Hong, qui exerce à l’École des biotech-nologies de l’Université nationale de Séoul, dresse le constat suivant : « Le fait que radiomessageurs et téléphones portables aient joui d’une diffusion infiniment plus rapide en Corée que dans d’autres pays s’explique, en partie, par le fort besoin qu’éprouvent les Coréens de dialoguer entre eux au moyen d’équipements de communication de haute technologie, suite au brusque effondrement de la structure familiale traditionnel-le qui s’est produit au début des années quatre-vingt-dix, mais aussi parce qu’ils sont peu attachés au respect de la vie privée, comme ils le montrent notamment en communiquant très vo-lontiers leurs coordonnées téléphoniques à autrui. »

Les Coréens se sentent partie intégrante d’une société qui privilégie le collectif au détriment de l’individu et dans une telle mentalité, le sentiment d’accomplissement d’un être est subordonné à sa bonne entente avec autrui. Quand une fron-tière très floue sépare ainsi vies publique et privée, quoi de plus naturel que de donner à tous son numéro de téléphone portable. En examinant la liste des personnes qui participent

En multipliant les nouvelles applications qui facilitent l’accès à d’innombrables informations portant sur la circulation routière, les restaurants, les cinémas et différentes manifestations, le téléphone portable intelligent, dont l’extraordinaire succès ne se dément pas, participe, pour une large part, à l’amélioration de la qualité de vie des quelque vingt millions d’habitants qui peuplent Séoul et sa région, ainsi que la province voisine de Gyeonggi-do.

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à des colloques ou autres réunions à caractère professionnel, on ne peut que constater la présence de ces coordonnées en regard de leur nom car, à l’image d’une communauté rurale, la société de l’information tend à gommer les limites du domaine privé. La rapidité avec laquelle la Corée s’est industrialisée et urbanisée s’est accompagnée de l’exode rural conjugué à des déplacements de population au sein des villes. En outre, le rythme de renouvellement de la main-d’œuvre y est très élevé, puisqu’un tiers des travailleurs quittent leur entreprise dans l’année qui suit leur embauche. Une telle mobilité s’avère donc incompatible avec toute implantation durable au sein d’une communauté donnée, mais aussi avec le maintien de relations interpersonnelles suivies et, pour les individus confinés à la sphère individuelle, les autres liens se réduisent à de brèves conversations.

Dans une structure sociale aussi mouvante où il peut s’avé-rer difficile d’approfondir ses relations familiales, de voisinage, professionnelles ou scolaires, les supports de communication avec les mobiles fournissent un vaste réseau de liaisons qui per-met de s’affranchir de toute contrainte spatiale pour demeurer au contact d’autrui. La distance que l’on peut ressentir à l’égard de personnes au contact desquelles on se trouve suscite une as-piration d’autant plus forte à communiquer avec celles qui sont éloignées. En Corée, où il importe particulièrement de se créer

un réseau de relations interpersonnelles de différentes natures pour être accepté socialement, le téléphone portable fournit un support adapté à l’entretien de tels liens, la longueur du réper-toire téléphonique mis en mémoire sur un combiné étant à la mesure du tissu de relations et du niveau socioprofessionnel de son propriétaire.

Tout aussi indispensable en tant qu’accessoire d’usage quo-tidien que de moyen de communication avec autrui, le télé-phone portable peut amener ses usagers à enfreindre les limites de l’espace vital réservé à chacun. Qui n’a pas entendu d’étran-ger faire part de sa surprise en voyant des personnes coréennes mener sans retenue des conversations privées en public, dans la rue ou le métro, par exemple ? Peu soucieux de la sauvegarde de leur vie privée et de la gêne occasionnée alentour, ils pour-suivent leur dialogue, en s’exprimant et éclatant de rire comme s’ils se trouvaient à leur domicile. À cet égard, il est surprenant qu’une telle « anomalie culturelle » ait justement favorisé l’ex-ceptionnel essor du secteur coréen de la téléphonie mobile et que l’usage très libre qui est fait de celle-ci sur la voie publi-que, y compris dans les métros les plus bondés, lui ait conféré d’autant plus de valeur aux yeux des consommateurs.

Au demeurant, il en résulte aussi une plus grande ouverture d’esprit, comme en atteste le succès remporté par une associa-tion bénévole qui propose, par ce biais, des services d’interpré-tation gratuits aux étrangers de Corée. Dénommée « Before Babel Brigade (BBB) », en référence à la fameuse Tour de Babel, elle a pour vocation d’aider à résoudre les difficultés qui peu-vent survenir en raison des barrières de langue. C’est en vue de la Coupe du Monde qui allait se dérouler en Corée et au Japon, en 2002, que fut créé cet organisme comptant aujourd’hui quelque trois mille sept cents bénévoles assurant des presta-tions d’interprétation dans dix-sept langues différentes. Il suffit, pour en bénéficier, de composer sur son combiné le 1588-5644, puis de sélectionner la langue souhaitée et de présenter le problème auquel on est confronté, les membres de l’association se chargeant alors de répondre clairement à toute demande, moyennant qu’elle leur soit adressée pendant leurs horaires d’astreinte.

1 Les boutiques de téléphonie mobile se comptent désormais par milliers en Corée, car les progrès rapides de la technologie donnent constamment naissance à de nouveaux appareils.

2 C’est en 2007 que SK Telecom met en exploitation son service visiophonique, dont des vendeurs proposent ici une démonstration aux passants.

3 Au Gotham Hall de New York, une cérémonie de remise des prix clôturait la première Coupe du monde de téléphonie mobile LG, qui a vu s’affronter près de six millions de candidats représentant treize pays différents. À l’issue des épreuves éliminatoires régionales, qui se sont déroulées pendant toute une année, allait être récompensée la « Tribu des pouces » n°1, c’est-à-dire des émetteurs les plus rapides de messages textuels, et c’est l’équipe coréenne qui allait enlever ce titre, suivie de celles des États-Unis et d’Argentine.

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Si le succès des BBB coréens est aussi remarquable, contrai-rement aux initiatives analogues qui n’ont pas obtenu les mê-mes résultats dans nombre de pays, cela est précisément dû, en grande partie, à l’importance du parc téléphonique mobile, mais aussi à la bonne volonté dont font preuve les bénévoles pour secourir les nouveaux arrivants en difficulté. La raison en est que les Coréens, qui possèdent le sens de l’entraide et les compétences linguistiques nécessaires à cet effet, y voient un moyen d’apporter leur contribution à la vie en société, alors que bien des personnes souhaiteraient éviter tout dérangement. Ainsi, la téléphonie mobile s’avère constituer aussi bien un sup-port de communication personnel qu’un moyen d’assistance au public.

Un dynamisme spontanéCes applications tant publiques que privées ne font qu’ac-

croître davantage le nombre d’heures que passent les Coréens au téléphone, et ce, d’autant plus que la société de l’informa-tion favorise une rapidité de mise en relation qui convient parfaitement au caractère national. Comme le réseau internet, le téléphone portable sied à merveille à la spontanéité que pré-fèrent tout naturellement les Coréens aux longues réflexions et organisations minutieuses, mais aussi à leur esprit terre à terre et à leur inventivité.

Cet appareil présente cependant l’inconvénient d’engendrer toujours plus d’instabilité dans le quotidien de la population. Il permet en effet de modifier heures et lieux des rendez-vous autant qu’on le souhaite ou d’appeler à la dernière minute pour annuler ceux-ci, comme le font nombre de personnes. D’autres encore, après avoir convenu d’un dîner dehors, ne prennent pas la peine de choisir à l’avance le restaurant où il aura lieu et envisagent les différentes possibilités qui s’offrent à eux tout en se rendant sur le lieu du rendez-vous, ce qui ne fait que compliquer inutilement la situation. Par ses qualités pratiques, le téléphone portable crée de ce fait même une accoutumance

susceptible de provoquer le stress. Pour être certain d’être joint, on hésitera, par exemple, à éteindre son appareil, tandis qu’en l’absence de réponse à plusieurs appels, on imaginera que le demandé souhaite éviter le dialogue, car tout un chacun es-père que ses appels et messages textuels soient promptement suivis d’effet. À l’inverse, toute « atteinte aux convenances » est susceptible de provoquer malentendus et conflits, comme ces disputes qui se produisent souvent chez les jeunes couples pour cette raison.

Si la vie quotidienne peut pâtir de cette invasion de la té-léphonie mobile, celle-ci s’avère d’une efficacité sans pareille pour agir sur l’opinion publique. Depuis l’année 2002, les veillées à la bougie dont s’accompagnent de grandes ma-nifestations de rue offrent aux citoyens un puissant moyen d’expression sur les questions sujettes à polémique. À cet effet, le téléphone portable assure un rôle indispensable, puisqu’il permet de mobiliser rapidement un grand nombre de person-nes par l’envoi simultané de messages textuels aux éventuels participants. Dans son livre intitulé La société culturellement déficitaire : des hippies aux « burnouts », le critique culturel Lee Dong-yeun fait observer que les moyens d’information multimédia permettent de réaliser des actions s’apparentant à la guérilla : « La messagerie textuelle produit un effet beaucoup plus fort sur la mobilité que ne le font les courriels de l’inter-net, par la très large diffusion d’informations qu’elle assure de manière anonyme et en temps réel. De ce fait, elle fournit un nouveau moyen de porter à la connaissance du public activités et manifestations collectives ».

Le retentissement politique de ce moyen de communi-cation est d’autant plus grand lorsqu’il est associé au service Twitter, dont l’emploi a, pour une large part, produit les sur-prenants résultats que l’on sait lors des élections municipales du mois de juin 2010. À cet égard, en se rendant aux urnes contrairement à toute attente, les jeunes ont permis, pour une large part, d’atteindre le taux de participation de 54% qui a été

1 Au pavillon occupé par SK au Congrès mondial du mobile, ce salon international annuel consacré à l’industrie du téléphone portable qui se tenait cette année à Barcelone, des responsables commerciaux mettent en évidence la convergence des technologies de communication mobile avec celles du téléphone sans fil.

2 Les fonctions de paiement intelligent permettent de régler ses achats au moyen de son combiné portable, comme on le ferait avec une carte de crédit.

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enregistré à cette occasion et représente un record par rapport à ceux des quinze dernières années. Favorables au principal parti d’opposition, ces électeurs ont persuadé leurs amis de se rendre à leur tour dans les bureaux de vote, en leur transmettant les résultats des sondages réalisés à la sortie des urnes, les usagers de Twitter et de téléphones portables intelligents ayant joué un rôle particulièrement décisif dans l’inversement de tendance qui allait avoir lieu. Un phénomène analogue s’était déjà pro-duit lors de l’élection du président Obama et il avait alors mar-qué l’irruption sur la scène politique de ces « partis mobiles » qui allaient inciter les candidats à modifier leur stratégie électo-rale et leur manière de mener campagne.

La variété des fonctionsAujourd’hui, un téléphone portable est beaucoup plus

qu’un simple moyen de transmettre la parole, car il a pris la dimension d’un appareil tout à la fois personnel et capable de communications d’une grande ampleur. Il s’avère d’un emploi particulièrement utile par la possibilité qu’il offre d’envoyer instantanément un message à un grand nombre d’interlocu-teurs, mais permet en outre d’accéder aux services de l’inter-net, ainsi qu’à des diffusions audiovisuelles. Dans les rames du métro, les usagers toujours plus nombreux qui regardent obstinément leur combiné portable ne sont pas en train d’y lire quelque message textuel, mais d’y suivre une émission té-lévisée qu’ils reçoivent grâce à la technologie dite DMB (digital

media broadcast) ou de naviguer sur internet pour rechercher des informations. En multipliant les nouvelles applications qui facilitent l’accès à d’innombrables informations portant sur la circulation routière, les restaurants, les cinémas et différentes manifestations, le téléphone portable intelligent, dont l’extraor-dinaire succès ne se dément pas, participe, pour une large part, à l’amélioration de la qualité de vie des quelque vingt millions d’habitants qui peuplent Séoul et sa région, ainsi que la pro-vince voisine de Gyeonggi-do.

À notre époque où la téléphonie mobile séduit toujours plus le public, la vie semble soudain s’accélérer, ce qui a pour effet d’entraîner une efficacité, mais aussi une tension, plus grandes. La croissance coréenne, par sa rapidité effarante, in-terdit toujours plus de s’accorder un moment de réflexion ou d’observer le monde, et par son expansion, le téléphone porta-ble ne fait qu’accroître le rythme de la vie quotidienne, mais il permet aussi, quand cette cadence paraît infernale, de se ména-ger un répit dans le temps comme dans l’espace. La possibilité de joindre tout un chacun, constamment et partout, incite les Coréens à se tenir davantage à l’écoute les uns des autres sur ces ondes invisibles dans lesquelles on peut voir un champ ma-gnétique attirant la sympathie ou la simple émission d’un bruit désagréable, mais quoi qu’il en soit, l’appareil qui transmet celles-ci leur offre le moyen de réaménager leur vie et de revoir la nature de leurs relations avec autrui, tel un circuit du cœur faisant son chemin dans l’air.

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C’est à Gumi, dans la province de Gyeongsangbuk-do, que se situe l’usine qui fabrique les téléphones portables

de haut de gamme de marque Samsung, dont le Galaxy S que l’entreprise Samsung Electronics vient de mettre sur le marché. Cette unité de production est dotée de la fameuse chaîne de production dite « en cinq secondes » en raison de la très grande cadence de fabrication des appareils, puisque la durée du montage est passée de vingt-trois à cinq secondes entre 1998 et 2005, ce qui représente un record mondial. C’est le temps qui suffit en effet aux agents chargés du contrôle pour, avec la dex-térité d’un prestidigitateur, manier les touches, vérifier le dé-clenchement du mode vibreur, rechercher les défauts d’aspect, examiner la qualité chromatique de l’écran LCD et s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil photo.

Les ouvriers font preuve de tout autant d’habileté et de diligence sur les différentes chaînes de montage, qui obéissent à une organisation différente de celles, plus classiques, des constructeurs automobiles ou de gros électroménager, à savoir

de réfrigérateurs ou lave-linge, par exemple. En effet, la modu-larité adoptée dans le cas présent permet de confier la réalisa-tion d’une dizaine de procédés de montage à une équipe indé-pendante composée d’une à trois personnes intervenant sur un même poste. Dès lors, il faut à celles-ci moins de dix secondes pour implanter les circuits imprimés et leurs multiples com-posants sous le capot du combiné, dont la fixation est assurée au moyen de cinq ou six minuscules vis de deux millimètres de diamètre. En raison de la mise en œuvre de cette méthode, l’unité de Gumi atteint un volume de production annuel d’en-viron cinquante-cinq millions de combinés d’une valeur totale de dix-huit mille milliards de wons, c’est-à-dire environ seize milliards de dollars. En dépit de sa superficie dix fois moins importante que celle d’une usine automobile ou d’électromé-nager, elle ne se classe pas moins au premier rang de l’industrie manufacturière coréenne par son chiffre d’affaires annuel et sa rentabilité. La visite d’un établissement de ce type permet de constater que la main-d’œuvre coréenne, étant naturellement

L’industrie du téléphone portable en CoréeSi la production d’équipements de téléphonie mobile coréens faisait appel, à ses dé-buts, à un approvisionnement en pièces détachées auprès de fournisseurs étrangers et se limitait donc au montage, elle est parvenue, au cours des vingt dernières années, à mettre au point des technologies de pointe qui en font le fer de lance de l’industrie coréenne et lui permettent aujourd’hui de se lancer à l’assaut du marché florissant des téléphones intelligents.

Cho Hyung Rae Assistant rédacteur au Chosun Ilbo

Ahn Hong- beom Photographe

Chez Samsung Electronics, le groupe d’études sur la téléphonie mobile se compose d’ingénieurs et de techniciens qui se consacrent entièrement à la mise au point de nouveaux modèles.

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habile et capable de manipulations délicates, s’avère particuliè-rement bien adaptée à de telles fabrications.

Si la production d’équipements de téléphonie mobile co-réens faisait appel, à ses débuts, à un approvisionnement en pièces détachées auprès de fournisseurs étrangers et se limitait donc au montage, elle est parvenue, au cours des vingt derniè-res années, à mettre au point des technologies de pointe qui en font le fer de lance de l’industrie coréenne et lui permettent aujourd’hui de se lancer à l’assaut du marché florissant des téléphones intelligents. Samsung Electronics et LG Electronics sont ainsi parvenus à devancer les plus grands constructeurs mondiaux, tels Motorola et Sony Ericsson qui, de ce fait, ont respectivement été relégués aux deuxième et troisième rangs mondiaux. La première de ces sociétés coréennes, Samsung Electronics, détient aujourd’hui 22% des parts du marché mondial et ne fait que gagner du terrain sur le géant finlandais Nokia. La clé de cette réussite tient à la fois aux bonnes rela-tions qui règnent entre les constructeurs, au soutien des pou-

voirs publics, à la qualité de la main-d’œuvre coréenne et aux exigences de consommateurs qui réclament des équipements ultramodernes et totalement exempts de défauts.

L’apparition du CDMAL’histoire de la téléphonie mobile coréenne commence avec

l’extension dans le monde, en 1996, de la technique du CDMA, dont la norme a été fixée par les États-Unis. À ce propos, Lee Ki-tae, l’ancien vice-président de Samsung Electronics qui a été l’artisan de la réussite de Samsung dans ce domaine, estime ainsi : « Si la Corée n’avait pas adopté la technologie CDMA, l’industrie de la téléphonie mobile n’aurait jamais pu connaître l’essor qui a été le sien. » La mise en œuvre du CDMA dans des fabrications coréennes a résulté du sens de l’innovation dont a fait preuve ce pays en acquérant la maîtrise d’une technologie étrangère pour réaliser des produits d’une qualité sans égale dans le monde, ce qui démontre son aptitude à suivre l’évolu-tion et à y réagir aussitôt pour proposer de nouveaux produits

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dans les plus brefs délais.Dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, la

Corée allait amorcer la numérisation de ses réseaux de télé-phonie mobile et pour ce faire, devoir se prononcer soit pour la technologie européenne du GSM, qui se trouvait d’ores et déjà en service, mais dont le succès restait à démontrer, soit pour celle du CDMA, qui aurait finalement sa faveur. Ce pro-cédé breveté avait été mis au point par une petite entreprise américaine inconnue, Qualcomm, et nombreux spécialistes se joignirent à la presse pour décrier le choix des pouvoirs publics en faisant valoir que son concurrent, le GSM, avait déjà fait ses preuves et que les experts de l’administration avaient surtout été séduits par les caractéristiques supérieures du CDMA en matière de qualité des communications et de rendement de fré-quence.

La décision de retenir cette dernière technologie a aussi résulté d’un sentiment de fierté nationale qui allait inciter la Corée, par la suite, à mettre elle-même au point des techniques de transmission numérique et à développer son secteur de la téléphonie mobile, outre qu’elle était déjà riche de l’expérience acquise dans la conception d’autocommutateurs largement utilisés et éprouvés. Toutefois, en se penchant davantage sur l’histoire du CDMA coréen, il s’avère que celle-ci n’a été qu’une longue suite d’erreurs et écueils techniques non négligeables. Ceux-ci ont contraint les responsables de projet à des dépla-cements aux quatre coins du pays afin de s’assurer une fois de plus de la transmission en dépit du relief très montagneux qui prédomine en Corée, tandis que les ingénieurs de Qualcomm travaillaient de jour comme de nuit, y compris au moment de Noël, pour respecter le délai du 1er janvier 1996 fixé pour l’en-trée en exploitation commerciale du CDMA.

En moins d’une année, le pari des pouvoirs publics allait s’avérer réussi, puisque Samsung Electronics, entre autres constructeurs coréens, allaient sans plus tarder s’imposer sur le marché national en l’inondant de ses appareils numériques de haute technologie, ce qui allait notamment permettre à cette grande entreprise, dès la fin 1996, de s’accaparer plus de cinquante pour cent de ses parts, tandis que celles de Motorola, qui occupait jusqu’alors une position dominante, allaient chu-ter à moins de vingt pour cent. Père de la téléphonie sans fil et fabricant des premiers téléphones portables au monde, ce géant n’en avait pas moins sous-estimé les conséquences du passage de la Corée au CDMA et tardé à y réagir en complétant sa gam-me d’équipements numériques, d’où les effets catastrophiques que l’on sait sur son positionnement commercial.

Des consommateurs avertis en matière technologiqueL’adoption du CDMA allait entraîner une véritable explo-

sion du nombre d’abonnés à la téléphonie mobile, puisque celui-ci allait passer de 3,18 à 6,83 millions entre 1996, l’année de cette apparition, et la suivante, pour poursuivre sa progres-sion et atteindre 23,44 millions en 1999, puis 29,05 millions en 2001, autant de chiffres qui témoignent d’une augmentation exponentielle en l’espace de quelques années. Des fournisseurs coréens de matériel de téléphonie mobile tels que SK Telecom, KTF, l’actuel KT, et LG Telecom, rivalisèrent d’opérations pro-motionnelles pour s’attirer toujours plus d’abonnés et cette concurrence acharnée favorisa d’autant l’essor fulgurant de ce secteur.

Les consommateurs eux-mêmes allaient y jouer un rôle dé-cisif par l’accueil enthousiaste qu’ils réservent aux innovations. Aujourd’hui, ils sont réputés être friands de modèles coûteux dont ils se débarrassent tout aussi rapidement, c’est-à-dire, en moyenne, un an et demi après leur achat. La raison en est notamment que cet accessoire constitue pour eux un signe ex-térieur de richesse qui révèle en outre leur aptitude à suivre la mode et les dernières tendances en matière technologique. Une telle demande allait inciter les constructeurs à diversifier autant que possible leur gamme afin d’inonder sans cesse le marché intérieur de leurs produits, puis au vu de l’accueil que leur réservaient les consommateurs, à destiner à l’exportation les plus appréciés d’entre ces modèles. En outre, la propension des usagers coréens à se plaindre du moindre défaut allait contrain-dre les fabricants nationaux à mettre en œuvre des contrôles de qualité particulièrement rigoureux.

Cette efficace démarche allait bientôt permettre à Sam-sung Electronics de franchir le cap symbolique des dix mil-lions d’unités lors de la mise sur le marché de son SGH-T100. Commercialisé en 2002, ce modèle plus connu sous le nom de « Téléphone de Lee Kun-hee », parce qu’il était censé incarner les idéaux du président de la société, présentait une conception révolutionnaire par son faible encombrement qui lui permet-tait de tenir dans la main et son écran LCD en couleur unique au monde. Il s’en trouva, alors, pour remettre en question le bien-fondé de cette seconde particularité qui engendrait un fort surcoût, mais à laquelle les consommateurs coréens et étrangers allaient réserver un accueil enthousiaste qui permet-trait à la société de se hausser au rang des trois plus grands constructeurs de téléphonie mobile du monde.

La réussite coréenne s’explique aussi par la présence, sur place, de nombreux fabricants de composants électroniques destinés à cette application, tels Samsung Electronics, Hynix Semiconductors et LG Display, dont les produits se plaçaient déjà en position avantageuse au sein de la concurrence in-ternationale. De ce fait, les constructeurs coréens disposaient d’atouts certains en vue de la mise au point de produits inno-

Unité de production de téléphones portables LG.

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Premier pays à avoir offert, voilà cinq ans de cela, l’accès aux services dits de la DMB (digital media broadcast), qui assurent la ré-ception de cha nes télévisées terrestres sur le combiné portable de l’abonné, la Corée allait encore innover à l’échelle mondiale, un an plus tard, en commercialisant un réseau de visiophonie grâce auquel demandeur et demandé peuvent se voir l’un l’autre tout en parlant, ces réalisations étant d’autant plus exceptionnelles, sur le plan technique, qu’elles sont accessibles sur des appareils ordi-naires et non exclusivement sur des modèles de haut de gamme.

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vants qui soient susceptibles d’effectuer une percée très rapide sur le marché.

En outre, les industriels coréens du secteur ont fait preuve, face aux évolutions du marché, d’une grande réactivité dans laquelle la conscience pro-fessionnelle des ingénieurs a joué pour beaucoup. Ainsi, le numéro un mondial mettait-il sur le mar-ché trente à quarante modèles différents par an que Samsung Electronics s’empressait d’en commercia-liser de nouveaux au même moment. Travaillant jusqu’à sept jours sur sept, les ingénieurs coréens se voueront corps et âme à la conception de produits aptes à suivre les dernières tendances d’un secteur très évolutif et c’est de leur dévoue-ment que naîtront nombre de produits à succès tels que le « Téléphone de Lee Kun-hee » évoqué plus haut, le Bleu-Noir à capot coulissant ou l’élégant Chocolate Phone qui séduira les jeunes consommateurs. Il se disait même que l’ancien vice-président de Samsung Electronics, Lee Ki-tae, avait coutume de mettre lui-même à l’épreuve la solidité des produits finis en y marchant dessus ou en les plaçant dans une machine à laver et qu’au moment de passer contrat avec les P-DG de sociétés de télécommunications étrangères, il projetait violemment son propre combiné sur le mur pour apporter publiquement la démonstration de la durabilité et de la fiabilité des produits de Samsung.

Des appareils répondant aux normes internationalesLe succès rencontré par les appareils de Samsung

en Corée allait asseoir solidement la réputation internationale que s’était déjà acquise la Corée par d’autres fabrications de qualité, mais aussi encou-rager d’autres constructeurs à l’imiter, notam-ment LG Electronics et Pantech, de sorte que les exportations coréennes allaient considérablement progresser, année après année. Du montant de 1,22 milliard de dollars auquel elles plafonnaient en 1996, elles allaient atteindre le chiffre extraordi-

naire de 13,62 milliards en 2002, et se voir ainsi mul-tipliées par dix en à peine six ans. Suite au lancement, en l’an 2000, des équipements de communication avec les mobiles de troisième génération, la progression des ventes à l’exportation allait à nouveau s’accentuer dans ce domaine.

Un an après la commercialisation du téléphone à capot coulissant Bleu-Noir, Samsung Electronics

l’avait déjà vendu à plus de dix millions d’exemplaires. En dépit du caractère luxueux et onéreux sur lequel avait

mis l’accent la campagne de marketing consacrée à ce nouveau modèle, qui affichait tout de même le prix de cinq cents dollars, une très importante demande allait se faire jour sur les marchés de pays avancés tels que les États-Unis ou ceux d’Europe où elle stagnait pourtant à un faible niveau s’agissant des produits concurrents, et le succès coréen n’allait en être que plus écla-tant. C’est ce modèle qui allait mettre en vogue la couleur noire dans plusieurs pays du monde, alors que le gris métallisé et le blanc avaient auparavant la faveur des consommateurs. Il allait d’ailleurs remporter, en 2005, le prix du « Plus beau téléphone portable » de la société 3GSM, qui représente l’équivalent d’un Oscar dans ce domaine, puis le magazine économique améri-cain Fortune, dans son soixante-quinzième numéro, allait lui consacrer un long article retraçant les étapes de son développe-ment et la stratégie de marketing dont il avait fait l’objet.

Quant à LG Electronics, après les déboires qu’il avait connus en raison de son retard sur la norme européenne GSM,

il allait amorcer, à partir de l’année 2005, une re-montée fulgurante qui allait lui permettre de se placer derrière le numéro un Samsung Electronics, grâce au lancement de la troisième génération d’équipements de téléphonie mobile, en l’occur-rence, ce Chocolate Phone grâce auquel il faisait irruption sur la scène internationale. Alliant l’élé-gance de son aspect à l’originalité de sa couleur, ce produit à succès allait être le premier, dans cette entreprise, à franchir la barre des dix millions

1 Sur le stand LG Electronics de ce salon international d’électronique organisé à Las Vegas, un technicien présente un dispositif de transmission à haut débit mettant en œuvre des technologies particulièrement avancées qui en font un service de génération future.

2 Stage de formation assuré par l’Institut Galaxy S de Samsung Electronics à l’intention des usagers de ce téléphone intelligent.

3 Cet appareil connu sous le nom de « téléphone de Lee Kun-hee », du nom du président de Samsung Electronics, a été commercialisé en 2002 et a été le premier à se vendre à plus de dix millions d’unités.

4 Les ventes du Bleu-noir, cet autre modèle de Samsung Elec-tronics, ont aussi atteint dix millions d’unités.

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d’unités vendues. Au mois de mars 2007, LG allait revenir à la charge en présentant son premier téléphone à écran tactile, le Prada Phone, qu’il avait conçu dans le cadre d’un partenariat avec le grand couturier qui lui donna son nom. À ce jour, cinq des modèles commercialisés par LG Electronics se sont vendus à plus de dix millions d’exemplaires, de sorte que cette entre-prise est parvenue à évincer Motorola pour se hisser au troi-sième rang mondial par ses parts de marché.

Le numéro un mondialLe succès des combinés téléphoniques portables coréens a

entraîné l’essor des secteurs connexes des services de télécom-munications, de la production de pièces détachées et des appli-cations des technologies de l’information et de la communica-tion. En 2006, cette évolution allait déboucher sur la première mise en exploitation commerciale au monde d’un service de visiophonie, ce qui n’allait pas empêcher le P-DG d’Apple,

Steve Jobs, de déclarer, au mois de juin dernier, que la fonction visiophonique de son iPhone 4 représentait une importante innovation. C’est aussi la Corée qui a été la première à avoir offert, voilà cinq ans de cela, l’accès aux services dits de la DMB (digital media broadcast), qui assurent la réception de chaînes télévisées terrestres sur le combiné portable de l’abonné et aux-quels s’ajoutent nombre d’autres « premières mondiales » por-tant notamment sur les fonctions de tonalité de retour d’appel et de portail musical sans fil.

Ces réalisations sont d’autant plus exceptionnelles, sur le plan technique, qu’elles sont accessibles sur des appareils ordi-naires et non exclusivement sur des modèles de haut de gam-me, ce qui démontre ainsi l’esprit d’innovation qui anime le secteur coréen des communications avec les mobiles. Il y a fort à parier que, si la Corée avait, de surcroît, été un pays de langue anglaise, le marché du téléphone intelligent et de la transmis-sion de contenus multimédias sur liaison mobile en aurait été

1 Le salon MWC 2010 a permis de découvrir le Smart Sim, un dispositif à mémoire de généra-tion future.

2 Les technologies mobiles appliquées à l’auto-mobile assurent des fonctions de conduite assistée au moyen d’un logiciel implanté sur un téléphone intelligent.

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profondément modifié, comme en témoignent les revers que connaissent des entreprises coréennes telles que SK Telecom ou KT dans leurs tentatives d’implantation sur les marchés étrangers, en dépit du haut niveau de qualité de leurs produits et services, non tant du fait de contraintes technologiques que des barrières de langue et des différences culturelles qu’elles rencontrent.

L’ère du téléphone intelligentNul doute que l’avènement du téléphone intelligent repré-

sente un nouveau défi pour le secteur coréen de la téléphonie mobile. En l’espace des six mois qui ont suivi sa commerciali-sation en Corée, à la fin novembre 2009, l’iPhone d’Apple avait déjà conquis près de sept cent mille usagers et a ainsi remporté un succès qui va au-delà de toute attente, puisque les distribu-teurs avaient prévu le chiffre maximal de cent mille. À l’éviden-ce, le penchant que manifestent les Coréens pour les produits de haute technologie faisant appel aux TIC et leur assimilation du téléphone portable à un accessoire, ainsi que leur désir de faire rapidement l’acquisition de ces produits, expliquent dans une large mesure le succès retentissant de l’iPhone. Aux yeux des consommateurs coréens, celui-ci représente non seulement un nouvel équipement, mais aussi la possibilité d’accéder à de nombreux contenus par des liaisons mobiles, comme le propo-se la boutique App Store d’Apple aux fournisseurs de contenus

coréens, notamment aux producteurs de jeux vidéo, en leur offrant un accès éventuel au marché mondial des contenus. En Corée, l’apparition du téléphone intelligent a fortement ébran-lé les fournisseurs d’équipements de télécommunications et les fabricants de téléphones portables, qui n’ont pas su évoluer par-delà la transmission de la parole et l’accès internet sans fil, de sorte qu’ils se trouvent aujourd’hui face à un défi.

Si l’exceptionnelle réussite de l’iPhone a de quoi surpren-dre en Corée, les constructeurs sont déjà à pied d’œuvre pour mettre sur le marché leurs propres modèles, puisque six mois à peine après son lancement, Samsung Electronics a commer-cialisé Galaxy S, un téléphone intelligent aux fonctions tout à fait comparables, tandis que LG Electronics et Pantech s’apprê-tent à faire de même avec des produits susceptibles d’éblouir les consommateurs étrangers par leurs caractéristiques. Si ces fabricants ont tous opté pour le logiciel OS mis au point par Google et Microsoft, ils entendent en optimiser les applications afin de différencier leur offre de combinés et d’accroître la convivialité de ceux-ci. Après avoir appris à assimiler les tech-nologies étrangères en les dotant de ses propres innovations pour renforcer les qualités de ses produits et faisant en outre preuve d’une grande réactivité face aux évolutions du marché, l’industrie coréenne de la téléphonie mobile semble tout à fait à même de mettre à profit la crise pour en tirer de nouvelle pos-sibilités d’expansion.

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En 1983, l’entreprise Motorola a mis en vente le premier combiné téléphonique portable au monde, un modèle

appelé DynaTAC qui, par son poids de 1,3 kg, tenait plutôt de la brique ou de l’haltère. À cette époque, la Corée n’était guère présente dans ce secteur et il allait falloir encore trois ans pour que Samsung Electronics s’y lance à son tour en proposant aux consommateurs coréens le téléphone de voiture SC-100, auquel allait succéder en 1988 le SH-100, dont la sortie sur le marché coïncidait avec les Jeux Olympiques de Séoul, sans remettre en question la suprématie des appareils de marque étrangère.

Cet état de fait allait toutefois changer radicalement dès la décennie suivante, car l’entreprise coréenne allait afficher une progression sensible de ses parts de marché, et plus encore

dans les dix années ultérieures, puisqu’elle allait, aux côtés de LG Electronics, pénétrer le marché mondial en l’inondant d’appareils de fabrication intégralement coréenne qui ne tarde-raient pas à séduire les consommateurs grâce à leur écran LCD en couleur, leurs fonctions photographiques, leurs sonneries personnalisées et leur élégance d’aspect. Dès 2002, Samsung Electronics se classait ainsi au troisième rang mondial dans ce domaine et allait même se hisser au deuxième en l’espace de cinq années.

À ce propos, Cho Jin-ho, le vice-président de la Division mobiles de Samsung, dresse le constat suivant : « Les télépho-nes portables coréens disposent d’une avance considérable sur leurs concurrents étrangers, par le savoir-faire technologique qu’ils mettent en œuvre et qui se traduit par une grande qualité

L’innovation technologique coréenne en téléphonie mobileDans le domaine technologique, l’esprit d’innovation dont sait faire preuve la Corée et le fort goût de la nouveauté que manifestent ses consommateurs, toujours désireux de suivre les dernières tendances, constituent l’une des clefs de l’extraordinaire essor qu’a connu le secteur de la téléphonie mobile de ce pays, en fournissant aux constructeurs un environnement qui a favorisé leur progression sur le marché mondial des télécommunications.

Kim Dong-suk Responsable de la rubrique Mobiles d’Electronic Times

Kim Yong- chul Photographe

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de communication, ainsi que par leurs faibles encombrement et poids », tout en ajoutant : « Par ailleurs, les constructeurs ont su mettre au point des stratégies commerciales à long terme, tout en réagissant aussitôt à toute nouvelle évolution du mar-ché mondial des communications avec les mobiles ».

Les langages d’affichageParmi les différents langages codés mis au point pour l’af-

fichage de textes à l’écran des appareils, les plus appréciés sont ceux des entreprises Samsung Electronics et LG Electronics, et notamment de la première, qui détient dans ce domaine soixante-dix pour cent de parts de marché. Il s’agit respecti-vement, d’une part, de Cheonjiin, dont le nom signifie le Ciel, la Terre et l’Homme, et d’autre part Naratgeul, qui désigne l’écriture nationale. Dans les pays anglo-saxons, c’est le procédé américain T9 qui s’est imposé, d’autant que l’emploi de l’al-phabet latin dispensait les constructeurs d’élaborer différents types de codage comme cela a été le cas pour l’écriture coréen-ne dite « hangeul ».

En téléphonie mobile, les techniques de codage textuel re-vêtent une énorme importance si l’on pense que les opérateurs de réseaux mobiles tirent près de sept cent vingt milliards de wons de leurs recettes annuelles, c’est-à-dire environ six cent vingt-cinq millions de dollars, de l’exploitation de la message-rie textuelle. Si la conception scientifique du « hangeul » joue pour beaucoup dans ce succès, les constructeurs estiment que

les procédés de codage qu’ils mettent en œuvre sur leurs pro-duits peuvent améliorer l’image dont ceux-ci jouissent et en conséquence, ils se sont empressés de déposer des brevets re-latifs à ces techniques afin d’en conserver la propriété intellec-tuelle. Tel est le cas de Samsung Electronics, qui en 1998, allait négocier les droits détenus sur l’un de ces procédés par son in-venteur Choi In-chul et parvenir à le faire breveter, ainsi que de LG Electronics, qui a versé un montant d’un milliard de wons, à savoir près de 870 000 dollars, pour se réserver l’exploitation exclusive du procédé Ecriture nationale dont la jeune pousse Linguistic Science avait enregistré le brevet en 1999.

C’est le langage de Samsung dit Ciel, Terre et Homme qui va le plus séduire par le petit nombre de touches qu’il suffit d’actionner pour composer les voyelles du « hangeul », ce raccourci de saisie n’ayant pas été réalisable dans le cas des consonnes. La raison en est que les premières se composent de plusieurs éléments associés en différentes combinaisons, ce qui permettait de limiter à trois le nombre de touches nécessaires à la composition de toutes ces voyelles, grâce à la mise en œuvre de certaines adaptations structurelles.

L’optimisation des procédés de saisieCe n’est qu’à l’apparition du téléphone intelligent, c’est-à-

dire voilà peu en Corée, que le clavier QWERTY de type infor-matique a commencé à poser problème dans ce pays. En revan-che, il s’est implanté durablement dans les pays d’Amérique du

Fruit d’un partenariat entre LG Electronics et Prada, l’élégant Prada Phone côtoie ici le Prada Link, cet accessoire rappelant un bracelet-montre.

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Nord et d’Europe, notamment anglo-saxons et y compris chez les jeunes qui s’y sont bien accoutumés, notamment parce que la téléphonie mobile y a parfaitement assimilé les applications liées aux réseaux sociaux dits SNS, qui recourent à des textes assez longs, et dont les messages e-mail se prêtent aussi avec succès à la transmission sur liaison mobile. C’est à peu près en 2005 que la société LG Electronics a entrepris de créer de nou-veaux procédés de codage, en raison des plaintes que lui for-mulaient ses consommateurs nord-américains sur la difficulté de composer des messages textuels au moyen de neuf touches. Ces utilisateurs de messagerie textuelle, qui d’année en année, doublent à chaque fois leur consommation, étaient désireux que la saisie soit simplifiée afin de pouvoir écrire ou bavarder tout aussi facilement que sur ordinateur.

Si certains modèles d’assistants numériques personnels (PDA) et de téléphones intelligents sont d’ores et déjà pour-vus de claviers anglais QWERTY de type informatique, les produits les plus courants n’offrent pas cette caractéristique, tandis que l’usage des autres est l’apanage d’un petit nombre de consommateurs très au fait des fonctionnalités des logiciels d’information et de communication. C’est pour pallier la la-cune qui s’était ainsi fait jour sur le marché que LG Electronics allait développer un produit adapté à la messagerie textuelle et doté pour ce faire d’un clavier QWERTY d’un nouveau type, de manière à réunir les avantages d’un PDA et d’un combiné por-table sur un même appareil susceptible de conquérir le marché nord-américain. Dès lors, la messagerie textuelle sur mobile allait enregistrer une forte hausse chez les jeunes et les hommes

d’affaires, et LG Electronics, prendre la tête de ce secteur en proposant, outre ses modèles les

plus économiques, toute une gamme de produits nouveaux tels que des combinés à écran tactile et clavier amovible.

Aux fins de la production de série des appareils pourvus d’un clavier QWERTY, la recherche et le développement se sont centrés sur le matériel et la fiabilité opéra-tionnelle et notamment, dans la mesure où ce clavier possède beaucoup plus de touches que les écrans tactiles, il a fallu procéder à beaucoup plus d’essais pour s’assurer de sa durabilité, de sa facilité d’emploi et de son fonctionnement rapide. Il convenait, en outre, que les différentes applications

téléphoniques et fonctionnalités logicielles

1 Samsung Electronics a mis en œuvre sur ses combi-nés portables un langage de saisie en «hangeul», dit « Ciel, Terre et Homme ».

2 Le téléphone intelligent Andro-1 de LG Electronics est équipé d’un clavier coulissant anglais QWERTY.

C’est au mois de février 2010, lors du Congrès mondial de la téléphonie mobile qui se déroulait à Barcelone, que Samsung Elec-tronics allait présenter l’interface TouchWiz 3.0 qu’elle a conçue pour faciliter l’interconnectivité en vue d’applications de réseaux sociaux, ainsi qu’une version multifonction de cette même jonction, dite UX. TouchWiz 3.0 destinée à équiper le combiné portable Galaxy S, que l’entreprise a mis sur le marché le 25 juin dernier, pour faire pendant à la commercialisation de l’iPhone, et qui a la particularité d’avertir l’usager de la réception de tout nouveau message, sans perturber l’appel ou la fonction en cours.

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soient conçues et mises en œuvre en vue d’un affichage aussi bien horizontal que vertical. Parmi ces nombreuses difficultés que sou-levait la conception d’un combi-né pourvu d’un clavier QWERTY, celui-ci se devait de présenter une plus faible épaisseur, à l’instar de l’Optimus Q (LG LU2300) de LG Electronics. Commercialisé voilà peu en Corée, cet appareil a remporté un grand succès en raison de sa minceur, puisqu’il n’est épais que de 14,35 millimètres en dépit de son clavier QWERTY, mais aussi pour la facilité d’utilisation de son clavier et la rapidité avec laquelle il passe des affichages horizontal à vertical.

Un téléphone présidentiel russeAu début de l’année, on apprenait que le président

russe Dmitry Medvedev en personne possède un LG-GD910, c’est-à-dire une montre téléphone à écran tactile de troisième génération fabriquée par LG Electronics, ce qui atteste de la large diffusion des produits coréens à l’internatio-nal. Cet appareil permet d’accéder à internet et comporte une fonction visiophonique à partir d’un écran tactile ne mesurant pourtant que 1,43 pouce, c’est-à-dire deux fois moins que celui d’un combiné de type classique. Lorsque le combiné est éteint, l’affichage de l’heure y est assuré par le rayonnement solaire ou l’éclairage intérieur d’une pièce.

La réalisation d’un appareil de troisième génération per-mettant des communications visiophoniques en dépit de son très faible encombrement a certes exigé un certain nombre

d’innovations techniques, dont la mise au point d’un circuit intégré assurant l’affichage d’images mobiles

sur écran tactile de petites dimensions. La mise au point d’un tel modèle représente donc une parfaite alliance des techniques de miniaturisation

avec une conception visant à réaliser un produit à haute densité. Son combiné comprend un écran tactile

de 1,43 pouce au moyen duquel l’usager peut effectuer des appels et saisir sans difficulté des messages écrits, mais

aussi actionner les fonctions de réveil et de lecture de l’heure par un léger contact des doigts. Il offre

aussi une fonction de reconnaissance vocale simplifiée qui permet à l’uti-lisateur d’initier des appels au moyen de commandes vocales et de saisir des

énoncés par un procédé, dit TTS, qui opère par synthèse de la parole à partir du texte.

Les brevets de téléphonie mobileAu fur et à mesure que s’accélère le rythme des innovations

techniques destinées aux équipements de téléphonie mobile de génération future, la concurrence fait aussi rage pour déposer le plus grand nombre possible de brevets. Conformément à son objectif avoué de parvenir en tête de ce secteur durant l’année en cours, la société Samsung Electronics s’est montrée parti-culièrement dynamique à cet égard. Depuis l’année 1998, elle totalise en effet pas moins de douze mille demandes de brevets de téléphonie mobile sur le territoire coréen, outre les vingt-cinq mille qu’elle détient dans des pays étrangers. Pour parve-

3 Téléphone intelligent Optimus Q de LG Electronics.

4 À l’occasion d’un concours de technologie mobile organisé par LG Electronics Mobilecomm U.S.A., Inc. sur le thème « Concevez l’avenir », un prix allait récompenser les concepteurs de ce modèle doté d’un clavier numérique en braille pour non-voyants.

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nir à imposer sa norme dans le secteur de l’internet mobile 4G, c’est-à-dire de quatrième génération, cette entreprise a consenti d’importants investissements de R&D qui lui ont valu de voir la profession retenir une centaine des procédés qu’elle a mis au point et qui constitueront désormais la norme pour les équipe-ments de téléphonie mobile de troisième et quatrième généra-tions, près de trois mille brevets de téléphonie mobile ayant été enregistrés dans vingt-sept pays différents.

Quant au constructeur LG Electronics, qui axe ses efforts sur l’obtention de brevets portant sur les

interfaces de codage vidéo MPEG4 et utilisateur, il en a effectué la demande pour de nombreux procédés relevant du cahier des charges des partenariats des partenariats portaht sur portant sur des projets de troisième génération dits 3GPP (3rd Generation Partnership Project) et 3GPP2, dans le domaine de la téléphonie mobile de troisième génération, et a déjà obtenu satisfac-tion dans plusieurs cas. Cette même entreprise entend aussi faire breveter de nouveaux procédés technologiques destinés à relever la qualité de ses com-binés et des applications multimédia qu’ils autorisent. À ce jour, elle a ainsi

sollicité l’enregistrement de mille huit cents brevets de téléphonie mobile en Corée et de douze mille, à l’étranger, tandis que la société Pantech en a déposé près de quatre mille sur le territoire national.

LG Electronics ne dissimule pas l’objectif qu’elle s’est fixé de se hisser au premier rang mondial dans le domaine de l’évo-lution à long terme, cette technologie dite LTE, qui porte sur les équipements de téléphonie mobile de quatrième génération. Choi Go-Hee, qui dirige le Laboratoire de recherche étudiant l’ensemble de ces matériels, apporte l’explication suivante : « Dans le domaine du LTE, qui constitue la plus importante norme pour la téléphonie mobile de quatrième génération, LG Electronics se trouve à l’avant-garde des technologies mondia-les de différents types, outre qu’il produit les combinés qui leur sont associés, ce qui lui offre de solides chances d’égaler les plus grandes entreprises de télécommunications du monde. »

Les équipements de téléphonie mobile de quatrième géné-ration seront capables de débits de transmission de 1 Gbps, à l’arrêt, et de 100 Mbps à une vitesse de déplacement supérieure

à 60 km/h, c’est-à-dire cinquante fois plus élevés que celui de la technologie du WCDMA, dans le second cas, et dix fois plus que ceux des réseaux terrestres les plus rapides. À titre d’exem-ple, ces nouveaux matériels permettront à l’utilisateur de télé-charger un film de 700 Mo en moins d’une minute.

TechIPm, un cabinet de conseil américain spécialisé dans la téléphonie mobile, révèle à ce propos que, sur toutes les deman-des de brevet qu’avaient reçues, au mois de mai dernier, l’Office des brevets des États-Unis et l’Institut européen des normes de télécommunications (ETSI), 1 238 portaient sur la LTE, dont 134 relatifs aux téléphones ou ordinateurs portables et aux PDA, et allaient vraisemblablement faire l’objet d’une norme pour régir le 3GPP. Parmi les différentes sociétés concernées, c’est LG Electronics qui a déposé la plus grande partie de ces demandes, à savoir quarante, qui représentent 30% de l’ensemble, suivi de Qualcomm et Samsung Electronics, qui se classent respective-ment aux second et cinquième rang en totalisant trente et qua-torze d’entre elles, soit 22% et 10%.

Un accessoire de modeDébut 2004, au siège du groupe LG qu’abritent les Twin

Towers du quartier de Youido, An Seung-gwon, qui était alors

1 En 2006, Samsung Electronics a commercialisé avec suc-cès son E250, qui s’est vendu à près de quarante millions d’exemplaires sur le marché mondial.

2 Le succès du téléphone intelligent a favorisé l’essor rapide de réseaux sociaux tels que Twitter.

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vice-président de la filiale télépho-nie mobile de LG Electronics et en assure aujourd’hui la présidence,

reçoit la visite inattendue de Kim Ssang-su, le P-DG de la société, en

compagnie de Park Moon-hwa, lui-même P-DG de la filiale en question. Ils étaient venus l’informer que si l’Institut de recherche en téléphonie mobile du groupe planifiait ses activités de manière à réaliser un tout nouveau produit par an, il se verrait exempter d’une enveloppe budgétaire et de l’obligation de présenter

des comptes rendus d’avance-ment sur ses produits. Jusqu’alors impensable dans une grosse société dont la gestion repose sur la responsabilisation, cette décision sans appel allait donner le coup d’envoi à la mise en œuvre secrète du projet Chocolate Phone.

L’initiative en était due au président An en personne et avait été tenue confidentielle, car la participation d’un plus grand nombre de per-sonnes aurait risqué d’entraîner sa divulgation, outre qu’elle l’aurait banalisée par la prise en compte de nombreuses idées qui auraient fini par en faire un produit comme les autres. Par ailleurs, le P-DG avait pris le parti de confier la conception à un ingénieur spécialisé dans les lecteurs mu-sicaux, et non dans la téléphonie mobile. Ainsi, la conception optimisée de ce combiné portable allait reposer sur un ensemble de principes devant aboutir à la création d’un équipement audio porta-tif qui serait suffisamment original pour s’imposer sur le marché concurrentiel du MP3.

Toutefois, la société visait avant tout à mettre en vente un appareil qui susciterait un désir d’achat impulsif et pour ce faire, elle allait imaginer un modèle qui serait le plus élégant au monde et comporterait un capot à glissière dont le faible en-combrement lui permettrait de tenir dans la poche de poitrine d’une chemise. Afin de mettre en valeur son aspect raffiné, les concepteurs allaient opter pour la couleur noire s’ajoutant à une approche minimaliste au niveau des lignes et du logo. Il convient de souligner que ce modèle était le premier à se présenter comme une sorte de tablette tactile qu’il suffisait d’effleurer du doigt pour en actionner les fonctions. Sa concep-tion allait mobiliser des efforts considérables par les problè-

mes techniques qu’elle exigeait de résoudre, car si la technologie de l’écran tactile devait permettre d’obtenir une moindre épaisseur, elle exigeait aussi d’être soumise à de rigoureux contrôles de fiabilité et de durabilité. Enfin, les concepteurs avaient souhaité créer un contraste entre la cou-leur sombre de l’appareil fermé et les couleurs qui s’affichaient à l’écran dès l’ouverture.

Ce que ces spécialistes avaient ainsi imagi-né, ils allaient s’attacher à en vérifier la confor-mité dans la réalisation, contrôlant à chaque étape du développement les technologies

3 Le Crystal phone de LG est pourvu d’un clavier transpa-rent coulissant et d’un casque d’écoute.

4 LG Electronics parraine régulièrement des concours technologiques, en vue d’améliorer constamment les caractérisques techniques et l’esthétique du matériel.

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qu’ils avaient adaptées à leur idée et ils allaient ce faisant atteindre l’objectif de départ du projet, à savoir de créer un téléphone nouveau qui séduise les consommateurs par son aspect extérieur, plutôt que par les fonctionnalités que ceux-ci privilégiaient jusqu’alors, ce qui représentait un changement

considérable dans leur état d’esprit. Voilà donc les circonstances qui présidèrent au lancement de la série Black Label de LG Electronics, dans laquelle le téléphone portable, du simple terminal d’information et de communi-cation qu’il était à l’origine, allait se transformer en un bien de consommation et un accessoire de mode. Le Chocolat Phone allait notamment bouleverser l’image qui avait été jusqu’alors celle des téléphones portables de marque LG et se vendre pres-que partout dans le monde plus longtemps qu’aucun autre en son genre pour atteindre le chiffre record de vingt et un mil-lions d’unités.

Avant tout, l’expérience de l’utilisateurLe terme « expérience de l’utilisateur »

(UX) se réfère à la possibilité qui s’offre à ce dernier de faire usage de son combiné portable pour y lire les dernières prévisions météorologiques, ou, sur une carte, l’em-placement de l’hypermarché le plus proche, voire d’effectuer une comparaison de prix, de sorte que ce concept évolué permet ainsi au propriétaire d’un téléphone intelligent de bénéficier des avantages de la téléphonie mobile à son domicile, sur son lieu de tra-vail et partout ailleurs.

Au mois de février 2010, lors du Congrès mondial de la téléphonie mobile

qui se déroulait à Barcelone, Samsung Electronics allait pré-senter l’interface TouchWiz 3.0 qu’elle a conçue pour faciliter l’interconnectivité en vue d’applications de réseaux sociaux, ainsi qu’une version multifonction de cette même jonction, dite UX. TouchWiz 3.0 destinée à équiper le combiné portable Galaxy S, que l’entreprise a mis sur le marché le 25 juin dernier, pour faire pendant à la commercialisation de l’iPhone, et qui a la particularité d’avertir l’usager de la réception de tout nou-veau message, sans perturber l’appel ou la fonction en cours. Ces dispositifs innovent aussi par la possibilité qu’ils offrent de disposer d’une fonction de messagerie intégrée dite « Social Hub » et qui, à partir du carnet d’adresses des utilisateurs de téléphones portables, gère les données les concernant aux fins des services du courriel, de la messagerie à l’étranger, ainsi que de la mise à jour automatique de leurs comptes Twitter ou Fa-cebook, entre autres sites de réseaux sociaux. L’interface permet aussi d’entreprendre échanges de courriels et « clavardage » directement à partir du carnet d’adresses. Enfin, les usagers qui recourent à des applications évoluées telles que le SNS ont la possibilité de relier l’ensemble de leurs comptes Twitter, Fa-

cebook et MySpace aux fonctions de carnet d’adresse et de calendrier de leur combiné

pour optimiser l’accès à ces réseaux so-ciaux à tout moment et en tout lieu, no-tamment par la bonne gestion de leurs rendez-vous.

Sur son écran habituel, l’utilisateur pourra s’informer tout aussi bien de la météo, des cours de la bourse, de l’ac-tualité et d’autres sujets de son choix, et sera même en mesure, moyennant l’adjonction de fonctions logicielles particulières comme Hybrid Clock et Info Alarm, de visualiser plusieurs ty-pes d’informations à la fois. À ce sujet, Chang Dong-hoon, vice-président et directeur des Marchés de communica-

1 Ultra Edition, cet autre modèle qui a franchi le cap des dix millions d’exem-plaires vendus, a valu à Samsung Electronics de se voir décerner le prix du Meilleur dispositif ou combiné mobile lors du Congrès mondial 3GSM qui, voilà deux ans, a rassemblé plus d’un millier de constructeurs de télépho-nes portables et d’équipements de télécommunications du monde entier.

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2 Equipé d’un écran tactile intégral, le Star Phone de Samsung Electronics allait se vendre à dix millions d’unités, six mois à peine après son arrivée sur le marché européen, et à autant au second semestre.

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tions mobiles chez Sam-sung Electronics exprime l’avis suivant : « TouchWiz 3.0 met en œuvre le concept UX de Samsung d’une nouvelle manière, c’est-à-dire en offrant, aux côtés de fonctionnalités d’un usage simple et pratique destinées à l’utilisateur de base, d’autres qui ré-pondent à de plus grandes exigences », puis conclut en ces termes : « Nous entendons rendre nos téléphones intelli-gents plus concurrentiels en les dotant d’un ensemble de fonc-tions qui ont été optimisées pour ces appareils ».

Le Prada PhoneCélèbre pour sa grande créativité, le couturier Prada est

aussi réputé conserver jalousement la propriété de ses inven-tions afin de rentabiliser autant que possible le travail qu’elles ont nécessité. Il allait toutefois se départir de sa discrétion habi-tuelle en ne cachant rien de ses intentions à la presse coréenne lorsque celle-ci l’a interrogé sur les détails du projet de collabo-ration qu’il a entrepris avec LG Electronics en vue de la mise au point du Prada Phone, une telle franchise révélant en fait toute la fierté et la satisfaction que lui inspirait le produit fini. C’est à l’occasion de la semaine de la mode qui se tenait à Milan, cette plaque tournante de la mode, qu’il allait le présenter au public en compagnie de LG. Fondée en 1913 et figurant aujourd’hui parmi les trois premières du monde dans ce domaine, la mai-son Prada faisait ainsi découvrir ce Prada Phone qu’elle avait conçu et mis au point en coopération avec LG Electronics. Il allait être mis en vente chez les détaillants et par le biais des réseaux de distribution que les deux partenaires avaient triés sur le volet, puisque sur les quelque trois cents points de vente répertoriés dans le monde, seuls vingt d’entre eux, en raison de leur excellente image, s’étaient vu accorder la commerciali-sation du produit, et à cela s’ajoutait près de trois cents grands

magasins prestigieux qui en seraient aussi les distri-

buteurs.Doté de cette conception

originale et raffinée caracté-ristique de la marque Prada, le

Prada Phone possède une élé-gance éclatante que vient rehaus-

ser le noir d’encre de son boîtier. Il comporte un écran LCD tactile

de 3 pouces qu’il suffit d’effleurer du doigt pour actionner des fonctions disponibles à partir du même nombre de touches. Par ses couleurs, la barre de menu contraste avantageusement avec le noir élégant de l’habillage. En matière d’annonces publicitaires télévisées, LG et Prada sont également convenus d’assurer la promotion de leur produit, par ce biais, en soulignant le prestige que confère le caractère de cet article exceptionnel qui se situe au-dessus d’une médiatisa-tion classique, de même qu’ils prévoient de fournir aux points de vente qu’ils ont retenus des consignes en matière de publi-cité commerciale.

3 Le Chocolate phone de LG Electronics a repris dans son développement les principes de conception qui avaient été définis dès la première phase de son étude.

4 Lors du salon MWC2010, l’opération intitulée Samsung Mobile Unpacked présentait différents modèles de téléphone intelligent, tels le Wave.

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Dossiers

Une découverte de Séoul par des lectures sur la vie quotidienne Parmi les ouvrages consacrés à Séoul qui se multiplient sur les rayons des librairies, bon nombre sont des guides renfermant surtout des informations à caractère touristique, mais il se trouve aussi une quantité non négligeable d’œuvres littéraires dont la lecture permet de découvrir des aspects méconnus de cette capitale grâce aux chroniques de la vie quotidienne qu’y rapportent leurs auteurs.

Gwon Hyeok Hui Conservateur du Musée d’histoire de Séoul

1 L’ouvrage Noyé dans Bukchon conte des anec-dotes insolites ayant trait au quartier séoulien de Bukchon.

2 Prise en 2008, cette vue provient de Cheongjin-dong, un quartier de l’arrondissement séoulien de Jongno dépeint dans Paysage urbain de Séoul

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es nombreux titres de librairie qui invitent aujourd’hui à une promenade dans les rues de la capitale ont souvent pour dénominateur commun de retracer son histoire soit en sou-

lignant le contraste qu’elle présente entre tradition et modernité, soit en s’attachant à décrire sa vie artistique ou culturelle. Au gré de cette « exploration urbaine », s’établit ainsi une continuité entre les temps modernes et le passé historique de l’agglomération.

La vie quotidienne à SéoulCette originale démarche littéraire participe d’une tendance

au « retour aux traditions » qui, depuis une vingtaine d’années, tente de présenter sous un jour nouveau les hauts lieux et vesti-ges du royaume de Silla Unifié et de celui de Goryeo, ainsi que de la dynastie Joseon. Dans les années quatre-vingt-dix, la parution du Carnet de route sur la culture coréenne dû à l’historien d’art Yoo Hong-joon, allait ainsi entra ner une hausse de la fréquenta-tion des différents lieux historiques présents en divers endroits de la péninsule, mais c’est celle des « villes d’aujourd’hui » que

favorise l’actuelle production littéraire en se démarquant résolu-ment du point de vue « national » et « traditionnel » selon lequel la précédente abordait des thèmes culturels sous forme de récits aux dimensions épiques.

Les nouveaux ouvrages prenant Séoul pour thème se centrent moins sur l’évocation des événements historiques et œuvres d’art célèbres qui s’y rattachent que sur la description minutieuse de la vie dans la capitale, avec force détails qui semblent parfois même insignifiants. Pour en présenter les différents lieux, leurs auteurs recourent à une écriture narrative qu’ils agrémentent d’anecdo-tes personnelles pour donner une touche plus originale au récit, tandis que leurs prédécesseurs s’en tenaient à l’évocation de faits ou personnages historiques tels que les monarques régnants.

Un nouvel éclairageLes livraisons des historiens géographes Yi Hyeon-gun et

Jeon U-yong, qui s’intitulent respectivement Une marche dans Séoul avec une vieille carte et Séoul est profond, narrent toutes

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deux, avec un grand souci du détail, des faits qui se déroulèrent dans la capitale sous la dynastie Joseon. La première adopte une perspective historico-géographique pour rappeler l’histoire et les traditions qui furent celles de cette cité retranchée derrière ses murailles. L’auteur s’intéresse, par exemple, au choix de l’empla-cement du Palais de Gyeongbokgung par rapport au Mont Bugak-san, aux circonstances dans lesquelles l’artère de Jongno prit de l’envergure, ou encore à la vie dans les quartiers nord de Bukchon et ceux, au sud de Namchon, au moyen de truculentes anecdotes populaires.

Dans une optique analogue, le second entreprend de faire la lumière sur des aspects méconnus relatifs à certains lieux de la capitale, en puisant dans une chronique souvent ignorée des Séoulites de souche ancienne eux-mêmes. Tel est le cas de l’ex-pression « kkakjaengi de Séoul », qui désigne un habitant de Séoul au caractère individualiste et dont l’auteur retrouve l’étymologie dans la culture populaire, ou encore de la signification symbolique des importants sites que sont le ruisseau dit Cheonggyecheon, l’avenue Jongro et la fontaine du Palais de Deoksugung, entre autres sites qui présentent un intérêt culturel. Sous un angle très humain, cet ouvrage relate par le menu des récits illus-trant la géographie sociale de la ville, le changement de société qu’entra nèrent le déclin de la dynastie Joseon et la colo-nisation par le Japon, ainsi que les efforts qu’ac-complit la population pour s’adapter au rythme de la vie moderne.

En revanche, l’œuvre intitulée Les larmes des palais, le silence de cent ans diffère considérablement de celles qui furent consacrées avant elle à la vie de palais et présentèrent ce

dernier comme l’un des symboles culturels de la nation, car elle s’attache plutôt à décrire les ravages que fit subir le colonisateur japonais à ces constructions. Son chapitre intitulé Cent ans de déclin de l’empire : ce qui est arrivé à nos palais fournit une syn-thèse de l’ensemble en dressant un inventaire précis des dégra-dations qu’infligea l’occupant à des édifices royaux d’une valeur inestimable tels que les Palais de Gyeongbokgung, Deoksugung, Changdeokgung, Changgyeonggung et Gyeonghuigung, ainsi que l’Autel Wongudan, sans parler de ceux qui furent tout bonnement démontés et mis au rebut, autant de vicissitudes révélatrices d’une histoire moderne mouvementée.

Si elles font abondamment référence à l’histoire et à la culture coréennes, les parutions récentes évoquant le passé de la capi-tale sont émaillées du récit de faits survenus à des individus, ce qui leur confère une dimension humaine très prisée de nom-breux lecteurs. En ce qui concerne le lointain passé de Séoul et sa fondation, de nombreux textes évoquent des lieux historiques et événements ayant trait à l’Empire de Corée et à la domination coloniale qui lui fit suite, en s’appliquant tout particulièrement à faire appara tre une continuité entre présent et passé.

L’ouvrage intitulé Rencontre avec une histoire en cours de disparition lors d’une promenade dans Séoul en fournit un inté-ressant exemple par l’usage que fait son auteur, Gwon Gi-bong, de chroniques relatives à plusieurs sites et édifices pour retracer

l’histoire moderne du pays. Au gré de ses récits enrichis de nombreux détails, se succèdent les évo-

cations du pont routier de Cheongye aujourd’hui disparu, la cinémathèque

vieille d’un siècle, le centre com-mercial Sewoon, cet orgueilleux

symbole de la Corée indus-

1, 2 L’œuvre intitulée Les larmes des palais, le silence de cent ans évoque cette construction en bois, dite Seokjojeon, qui appartient au Palais de Deoksugung, de même que l’Autel Wongudan situé dans le quartier de Sogong-dong.

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trielle, et la vieille maison du poète et écrivain Choe Nam-seon, aujourd’hui menacée de démolition, mais aussi ruelles obscures et lieux anonymes qui n’en sont pas moins intimement liés à l’his-toire coréenne. Au nombre des titres d’édition qui se livrent à une recherche historique sur la dynastie Joseon et l’occupation japo-naise dans cette optique microscopique, il convient aussi de citer deux parutions de l’année 2003, Scènes de ruelles sous la dynas-tie Joseon de Gang Myeong-gwan et La balade d’un jeune homme moderne dans Gyeongseong, de Sin Myeong-jik.

À la reconquête de BukchonAinsi, toujours plus d’ouvrages prennent le parti d’envisa-

ger la capitale en tant que lieu de vie caractéristique de la cité

moderne et affranchi du fardeau événementiel de l’histoire, tel ce quartier de Bukchon, où ne sauraient omettre de se rendre les touristes étrangers curieux de conna tre les environs de Séoul. Cette agglomération périphérique, dont le nom signifie littéra-lement « quartier du nord », s’étend sur les différentes divisions administratives que constituent Wonseo-dong, Jae-dong, Gye-dong, Gahoe-dong et Insa-dong au sein de l’arrondissement de Jongno-gu. Alors qu’il possédait un caractère principalement résidentiel au temps de la dynastie Joseon, il en vint par la suite à se distinguer surtout par son importante concentration d’habi-tations traditionnelles dites « hanok », qui lui a valu d’être classé en zone d’urbanisme protégée en vue de la conservation de ces spécimens. Kim Yu-gyeong et Ok Seon-hi, dans leurs livres res-

Vue du centre de Séoul, du haut de ses mu-railles (photographe: Seo Heon-gang).

3, 4 Une description de cette vieille maison de Seochon figure dans Paysage urbain de Séoul, ainsi que celle d’un monument de pierre qui fut élevé au Palais de Gyeongbokgung à la mémoire de Yeomgeohwasang, un moine du royaume de Silla (57 av. J.-C - 935), et se trouve aujourd’hui exposé au Musée national de Corée.

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pectivement intitulés Séoul, à partir de Bukchon (Buchon Tamnik) et Noyé dans Bukchon, évoquent cette agglomération débordante de vie qui fait aussi figure de modèle d’architecture traditionnelle. Le premier de ces ouvrages donne une idée précise du quotidien de ses habitants en rapportant les témoignages recueillis sur le terrain par l’auteur, pendant plusieurs années, auprès des rive-rains, commerçants et artistes qu’il a croisés sur son chemin, ce qui confère à ses écrits une dimension humaine que ne possèdent pas les ouvrages d’histoire.

Quant à Noyé dans Bukchon, il fait abstraction, à peu de cho-ses près, des six cents siècles d’histoire de la capitale coréenne au profit du bouillonnant quartier périphérique d’aujourd’hui, dont sa plume a su capturer les principaux traits distinctifs. En outre, les précieux renseignements qu’il fournit sur les curiosités touris-tiques en font aussi un excellent guide dans ce domaine, sachant toutefois que les sites dont il recommande la visite ne sont ni des lieux historiques habituels, ni des musées abritant des trésors nationaux, comme en présentent d’ordinaire les ouvrages de ce type, mais un marché traditionnel en plein air, un parc à l’atmos-phère particulière ou un jardin suspendu aménagé tout en haut d’une tour.

Une promenade dans les ruellesDans Paysage urbain de Séoul (Seoul Punggyeong-hwa-

cheop), c’est au tour de la capitale d’être passée au crible et observée dans ses moindres détails. Au chapitre intitulé Scènes de notre vie, ici et maintenant, figurent les récits que narre un couple d’architectes au sujet des lieux multiples qu’il a parcourus au cours d’une décennie et qu’illustrent les scènes mémorables qu’ils ont croquées. À travers leur regard, le lecteur obtient un bon aperçu des principales constructions et curiosités touristi-ques telles qu’immeubles à l’architecture post-moderne, palais anciens et ruelles à l’abandon. Cet ouvrage s’arrête plus particu-lièrement sur certains lieux, comme Pimatgol, ce vieux quartier de restaurants situé à Cheongjin-dong, non loin de Jongno et Euljiro, les Palais de Gyeongbokgung et d’Unhyeongung, le quar-tier de Myeong-dong, le Mont Namsan, les alentours de l’Univer-sité de Hongik, l’ le de Yeouido, ou encore les villes nouvelles dont la construction est achevée ou en cours.

Depuis peu, les ruelles de Séoul invitent toujours plus de visi-teurs à la découverte, non seulement parce qu’elles regorgent d’émouvants témoignages du passé, mais aussi parce qu’elles sont aujourd’hui menacées de dispara tre. Dans J’aime à parcou-rir les ruelles, Gwon Young-seong apporte un nouvel éclairage sur ces voies pittoresques en établissant un parallèle avec celles des autres métropoles du monde. Pour étayer son avis selon

Quels que soient leur milieu social ou leur origine régionale, les habitants de Séoul déplorent toujours plus la dispari-tion de scènes et curiosités caractéristiques de la vie d’autrefois, alors pourquoi ne pas partir à leur découverte afin de s’en délecter tant qu’il en est encore temps ?

1 Paysage urbain de Séoul évoque la vie quo-tidienne animée des ruelles de Pimatgol situées non loin de la rue Jongno.

2 Le Cheonggyecheon a retrouvé droit de cité au terme d’importants travaux de réhabili-tation (photographie: Seo Heon-gang)

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lequel elles « constituent des sortes d’œuvres d’art complexes qui repré-sentent les résonances de la vie », il évoque celles qui le sont tout par-ticulièrement, à ses yeux, notamment à Pimatgol et Buam-dong, qu’il rapproche de leurs équivalents de Sibamata à Tokyo, de la cité médiévale de Rottenburg et de Florence où elles se distinguent par leur charme désuet. Au chapitre intitulé La plus belle manière de faire une promenade en ville, il exprime tout l’attachement qu’il éprouve pour ces petites rues délicieuses que les passants ne remarquent pas.

Tout un paysage sur le point de dispara treLe succès de ces nouvelles livraisons tient avant tout à la part

qu’elles consacrent à des chroniques à dimension humaine que ne comportaient pas les ouvrages antérieurs et donnent plus de vie aux nouveaux aspects de l’environnement urbain, tout en révé-lant une facette cachée de la capitale, tout à la fois plus familière et présentée selon un nouvel angle. Ces descriptions de Bukchon et des ruelles de Séoul prennent toute leur signification dans le contexte actuel de projets d’urbanisme de grande envergure qui donnent l’impression que la capitale n’est plus qu’un immense chantier. À l’heure où le pays s’industrialisait et s’urbanisait, cir-culèrent dans ces petites rues d’innombrables provinciaux venus de toutes les régions pour s’installer à Séoul, mais voilà qu’elles sont aujourd’hui vouées à une rapide disparition par la proliféra-

tion des grands ensem-bles résidentiels. Pimat-

gol d’époque Joseon, à Jongno, venelles composant

le fameux « Village de lune » et quar-tiers modestes sont un à un sacrifiés sur

l’autel de l’aménagement du territoire qui donne nais-sance à des villes nouvelles.Le succès que remportent les ouvrages mentionnés

ci-dessus atteste des regrets qu’inspire cet urbanisme effréné à grand nombre de Coréens, comme en témoignent aussi la multiplication des « photo-blogues » au moyen desquels des internautes alertent l’opinion publique sur l’éventualité que Séoul se déshumanise. Ces photographes amateurs arpentent la ville pour y saisir des tranches de vie quotidienne des rues, quartiers vétustes et ruelles sombres, dans le but de les présenter sur un site Internet. Quant à l’association civile dénommée « Munhwa Uri », c’est-à-dire « notre culture », elle parcourt l’espace urbain pour le soumettre à différentes recherches, tandis que le Musée d’Histoire de Séoul réalise des études sur les scènes relevant de l’idiosyncrasie de certains quartiers de la capitale avant qu’ils ne soient anéantis par un urbanisme à vocation commerciale. Ainsi, quels que soient leur milieu social ou leur origine régionale, les habitants de Séoul déplorent toujours plus la disparition de scè-nes et curiosités caractéristiques de la vie d’autrefois, alors pour-quoi ne pas partir à leur découverte afin de s’en délecter tant qu’il en est encore temps ?

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Hwang Kap-Sun, un potier du XXIe siècle inspiré par Joseon

n passant le seuil de l’atelier de Hwang Kap-Sun situé dans le bâtiment numéro cinquante-deux de la Faculté des beaux-arts de l’Université nationale de Séoul, on ne peut

qu’être frappé par une dominante vert clair provenant des nom-breux tas d’argile qui se transformeront en délicates porcelaines d’un blanc laiteux. Plus loin, on découvre à toute heure de la jour-née le professeur, un homme de quarante-sept ans entouré de ses étudiants qui se penchent avec lui sur le tour, puis une table sur laquelle étaient soigneusement disposées, lorsque je me suis rendu sur les lieux à la fin du mois de juin dernier, une trentaine de porcelaines de forme identique qui devaient avoir été réalisées voilà peu.

« Ces pièces sont destinées à être offertes aux dirigeants des pays participants au Sommet du G20 à Séoul, en novembre prochain. Les flacons de porcelaine contiendront un vin de riz traditionnel dont la Brasserie Baesangmyun a retrouvé le pro-cédé de fabrication très particulier. Comme le projet portant sur l’organisation de cette manifestation se proposait d’en tirer parti pour faire conna tre les procédés traditionnels coréens sous leurs moindres aspects, en allant jusqu’aux papiers d’emballage ou aux décorations des bouchons, je me suis fait un plaisir d’y participer.

En ce qui nous concerne, nous avons été chargés de fabriquer cent pièces en porcelaine pour le vin de riz, mais avons décidé de porter ce chiffre à environ cent soixante-dix », explique l’ensei-gnant.

Vêtu d’un bleu de travail tout moucheté d’argile blanche, lunettes accrochées sur le crâne et ongles saupoudrés de blanc, Hwang Kap-Sun semble pourtant fort détendu et s’exprime même sur un ton enjoué. Quant à ses porcelaines à la surface aussi lisse que celle des cailloux d’une rivière, ce sont elles qui lui ont valu de se voir remettre le titre de « Meilleur des meilleurs » à l’occasion du Prix Red Dot qui rassemblait des artistes du monde entier en 2003 et deux ans plus tard, lors de cette même manifes-tation, le prix qui récompense la qualité de la conception.

Enfin, pas plus tard qu’au mois de mars dernier, il s’est vu décerner la médaille d’or du Bayerischer Staatspreis (Prix de l’État bavarois), dans la catégorie « Créateurs », à la Foire internationale d’artisanat de Munich (Internazionale Handwerksmesse Mün-chen). Au mois de décembre prochain, son œuvre fera l’objet d’une exposition de grande envergure qui se déroulera en parallèle dans les Ateliers d’Art de France de Paris et au Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg (Musée d’art et d’artisanat de Hambourg).

Hwang Kap-Sun, ce potier qui fait figure de « nomade culturel » par sa capacité à faire rena tre le passé en réactua-lisant des pièces en porcelaine blanche d’époque Joseon, a réalisé pour ce faire une longue recherche sur les procé-dés traditionnels d’incision, de polissage et de vernissage, qui a débouché sur une originale production récompensée par la remise de la médaille d’or, dans la catégorie « Créateurs », à la Foire internationale d’artisanat de Munich.Jung Hyung-mo Rédacteur à la rubrique culturelle du Joongang Sunday

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Hwang Kap-Sun, un potier du XXIe siècle inspiré par Joseon

Le pourquoi d’une démarche« Je garde un bon souvenir de mon enfance, mais quand je

repense à ma mère, c’est l’image d’une montagne qui me vient à l’esprit. Comme elle était souvent malade, elle restait couchée sur le côté, alors de dos, on aurait dit une montagne. » Quand il revenait de l’école, la première chose qu’il faisait était de se débarrasser de son cartable pour aller jouer tout l’après-midi et ne rentrer qu’à la tombée de la nuit, en compagnie de ses amis et de son oncle, qui n’était guère plus âgé que lui. Avec ses com-pagnons, il s’adonnait à toutes sortes de jeux et d’activités, mais préférait avant tout façonner l’argile, car il se sentait chanceux d’être sur cette terre et il poussait des cris de joie lorsqu’il trou-vait un morceau de quartz ou d’améthyste.

Il prit goût à la lecture au collège, puis participa à la rédaction du journal de son lycée, mais à ses heures perdues, il pratiquait toujours le dessin et s’instruisait sur l’art, envers et contre l’avis défavorable qu’exprimaient ses parents à ce propos, en raison de ses responsabilités de fils a né. Après d’interminables discus-sions, sa persévérance allait avoir raison de leurs réticences et il allait enfin pouvoir entrer au Département des arts de la cérami-que de l’Université nationale de Séoul, après s’être présenté pour

la seconde fois aux examens d’entrée.« Le campus était incroyablement grand ! », se souvient-il.

« Je me suis inscrit au club de randonnée en montagne et à la chorale. De temps à autre, j’allais aussi au club de théâtre et je participais à la mise en place des décors, mais j’ai aussi créé un club de bande dessinée. À cette époque, j’allais souvent boire un verre avec des camarades plus âgés de la Faculté des sciences humaines. Quant aux cours que je suivais, ils ne m’intéressaient guère, car on n’y enseignait l’art du céladon ou de la porcelaine blanche que de manière très conventionnelle, alors je m’interro-geais sur le pourquoi d’une telle démarche.

Ce sont des objectifs tout à fait différents que poursuivait Hwang Kap-Sun car, lorsqu’il envisageait l’alternative qui se pré-sentait à lui de réaliser des fabrications artisanales traditionnelles ou des œuvres d’art faisant également appel au passé, ni l’un ni l’autre de ces possibilités ne lui convenait. Il est ainsi parvenu à la conclusion suivante : « Je ne suis pas un potier du temps de Joseon, mais un artiste céramiste de notre époque et je dois en conséquence me doter d’un style mieux adapté au XXIe siècle. »

Alors qu’il poursuit ses études en deuxième année, il se découvrira une source d’inspiration lors d’une exposition de céra-

1 Le céramiste Hwang Kap-Sun en compagnie de son épouse et artiste, Kang Si-Sook

2 À la Foire internationale d’artisanat de Munich, la Médaille d’or des créateurs a récompensé Hwang Kap-Sun pour la réalisation de ce service en céramique.

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« Je suis détenteur des gènes de ces potiers de Joseon, auteurs de pièces en porcelaine blanche dont la beauté m’a inspiré une réflexion approfondie sur mon art, qui, je le pense, peut donner naissance à des objets uniques en leur genre, parce que dotés d’un style propre qui est mien, et lorsque ceux-ci s’attirent des éloges dans le monde entier, j’ai la certitude qu’ils représentent la quintessence de l’âme coréenne. »

Coexistence (Sichzusammenfinden), une série d’œuvres en céramique dues à Hwang Kap-Sun.

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mique qui se déroule à Séoul et présente les œuvres du groupe allemand Keramikergruppe 83, qui ras-semble des artistes céramistes également affiliés à l’Académie internationale de la céramique. En se demandant à voix haute comment ceux-ci avaient pu créer pareilles œuvres au moyen d’argile, il a soudain compris que c’était grâce à la chimie et s’est désormais mis en tête l’idée d’étudier à l’étranger. En 1990, l’année où prend fin le service national qu’il a effectué en tant qu’officier des ROTC, il partira trois mois en Inde, avant de se rendre en Allemagne et, plus précisément, à l’Académie des Beaux-arts Muthesius de Kiel, pour y suivre les cours du professeur Johan-nes Gebhardt, lui-même membre de Keramikergruppe 83.

Des études en AllemagneLorsqu’il avait cours, Hwang Kap-Sun arrivait toujours une

heure en avance pour trouver une place au premier rang. Il avait préféré habiter un studio au loyer assez onéreux pour se trou-ver à proximité de l’université et ainsi gagner du temps tout en s’épargnant des frais de transport. Malgré les moyens limités qui étaient en sa possession, il mettait son point d’honneur à n’em-ployer que des produits de la meilleure qualité dans ses travaux et pour ce faire, allait se plonger dans l’étude de ces matières dont il fera sa spécialité. Avant même que n’aient débuté les cours, il dévorait les livres au programme, pourtant aussi gros qu’un annuaire téléphonique, et en retenait par cœur les passa-ges les plus importants afin d’acquérir par avance les rudiments des sujets qui allaient être abordés.

« Je me servais du matériel et des produits comme s’ils m’appartenaient. Au cours de mes sept années d’études dans cet établissement, je profitais des quatre heures de cours qui avaient lieu le matin pour me livrer à de nombreuses expériences sur les enduits. Autrefois, leur fabrication était tenue très secrète, lorsqu’il s’agissait de produits de grande qualité, qui se com-posaient de l’association optimale d’éléments divers tels que le potassium, le calcium, le sodium et le magnésium, ainsi que d’ex-traits de kaolin, de quartz, de feldspath, de calcaire ou d’autres matières, sachant toutefois qu’un même enduit pouvait fournir des résultats différents, selon le type d’argile employé et l’épais-seur de la couche. Le savoir-faire que j’allais acquérir, je le dois à ces multiples expériences où je m’entêtais à tenter ce qu’interdi-saient nos manuels, par exemple d’unir le titane au phosphore.

En 2002, lorsque Hwang Kap-Sun se verra remettre le Prix Justus Brinckmann par le professeur Rüdiger Joppien, conser-vateur du Musée d’art et d’artisanat de Hambourg, celui-ci décla-rera à son propos qu’il « parvient à rendre toute la subtilité des nuances de transparence et de réfraction de la lumière en mettant

en œuvre des centaines d’enduits différents ». Nul doute que son ardeur au travail avait fait bonne impression à son ma tre, pour que lui soient accordés une bourse et la mise à dispo-sition d’un studio d’artiste doté d’un balcon et donnant sur une courette intérieure. En paral-lèle avec ces études, il allait pouvoir exercer l’enseignement au Staatliche Porzellan-Manu-

faktur Meißen (Musée national de la porcelaine), où il épouserait l’une de ses étudiantes, Kang Si-Sook.Dès l’an 2000, la Faculté nationale des Arts de Hangzhou

lui avait proposé de succéder à son ma tre à titre de professeur invité pour y dispenser des cours sur les matières : « Je m’en-thousiasmais à la perspective de traiter des procédés de mise en œuvre des enduits, qui jouent un rôle capital dans l’art de la céramique, et ce, d’autant plus dans ce pays qui en est le ber-ceau. Pour assurer ce cursus de deux mois, j’ai travaillé tous les jours de sept heures du matin à minuit passé, avec l’aide de deux interprètes qui se relayaient, et il m’a ainsi été donné de mieux faire conna tre l’esprit coréen aux étudiants chinois. »

Reconnaissant de l’aide dont il avait bénéficié dans ses études en Allemagne, Hwang Kap-Sun va éprouver le besoin d’ap-porter sa part de contribution à l’améliora-tion de la vie de ceux qui l’entourent, tantôt prenant le temps de recoller immédiatement le vase brisé d’une voisine malgré les nombreuses tâches qui l’at-tendaient, tantôt initiant consciencieusement à la céramique des jeunes du quartier qui manifestaient un intérêt réel pour celle-ci, ou encore consacrant du temps à ses confrères enseignants en beaux-arts dans les instituts avoisinants.

Conscient de l’esprit de communauté dont lui et son épouse avaient fait preuve au bénéfice de l’Allemagne, un organisme provincial du Schleswig-Holstein allait leur décerner le Nord-deutscher Kulturpreis (Prix Kultur Aktuell), qui récompense les personnes ayant participé à l’enrichissement de son patrimoine culturel. Pour ce faire, les vingt et un membres du comité respon-sable de son attribution effectuent un certain nombre de dépla-cements qui leur permettent de s’informer sur les candidats et s’échelonnent sur deux ans. C’est Hwang Kap-Sun qui sera le dix-neuvième lauréat de cette distinction qu’avait obtenue, beaucoup plus tôt, un autre artiste de nationalité coréenne, le compositeur Yun I-sang, et dans laquelle il voit l’honneur le plus insigne qui lui ait été fait à titre personnel. Au cours de cette même année, il allait repartir pour son ancienne université, mais cette fois-ci en tant qu’enseignant, et faire à cette occasion un retour triomphal au pays, après quatorze années passées à l’étranger.

Des pièces incomparablesDès son retour au Département de céramique, Hwang Kap-

Hwang Kap-Sun a conçu et fabriqué ces flacons de porcelaine destinés à conte-nir le vin traditionnel coréen qui sera offert aux chefs d’État et de gouvernement, lors du Sommet du G20 qu’accueillera Séoul au mois de novembre prochain.

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Sun entreprendra sur-le-champ de faire en sorte que les étu-diants puissent disposer de matières premières d’excellente qualité autant qu’ils le souhaitent, moyennant qu’ils acquittent la somme de deux cent cinquante mille wons pour les frais y affé-rant, en raison des contraintes budgétaires qui pèsent sur cet établissement. Il les invitera en outre à reverser dix pour cent des « recettes » qu’ils tirent de la vente de leurs œuvres à titre de participation à l’organisation des manifestations artistiques et à la remise de prix en espèces.

« Dans la mesure où certains étudiants emploient inévita-blement plus de matière que celle qu’ils ont réellement payée,

le Département sera forcément déficitaire, mais un jour, ces mêmes personnes créeront de magnifiques œuvres qu’ils seront en mesure de vendre plus chèrement et qui seront récompensées par des prix, de sorte qu’ils pourront à leur tour faire don d’une partie de leurs gains. En conséquence, je leur permets de dispo-ser de toute la quantité de matière qu’ils souhaitent et m’en tiens à exiger qu’ils arrivent dans nos locaux tôt le matin et y restent tard le soir. »

Fin 2009, c’est-à-dire sept ans après, cette méthode allait s’avérer fructueuse puisqu’une exposition organisée par les étu-diants, du 27 novembre au 6 décembre, allait permettre de tirer

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près de quatre-vingts millions de wons, soit environ soixante-dix mille dollars, de la vente des céramiques qu’ils avaient réalisées. Du premier au 24 avril suivants, au cours d’une seconde manifes-tation intitulée « Sédimentation » qui se déroulera dans la Galerie LVS du quartier séoulien de Sinsa-dong, la plupart des œuvres exposées allaient trouver acquéreur.

Quel est donc le secret des incomparables créations de Hwang Kap-Sun ? Après avoir façonné la pièce au tour, le potier en revêt d’une couche d’enduit la surface intérieure, et elle seule, puis réalise la cuisson et suite à celle-ci, il en polira la surface extérieure à l’aide d’un outil à lame en diamant pour la rendre aussi satinée que la peau, tandis qu’à l’intérieur, la matière pré-sente aussi un aspect lisse, mais d’un blanc laiteux. Tel est le pro-cédé de ces fabrications à l’originale esthétique.

Pour leur créateur, celles-ci doivent dans l’idéal parvenir à la forme parfaite de l’« œuf » dont la coquille de calcaire abrite eau et vie, et, bien évidemment aussi, être blanches car ce dernier trait, qui confine à la transparence, représente la quintessence de ses canons esthétiques. « Si la céramique a été portée à une température de 1250° C, comme cela est d’usage, elle conservera sa forme et aura une bonne durée de vie, quoiqu’il soit possible d’effectuer un moindre apport d’énergie », explique Hwang Kap-Sun, tout en précisant que, pour sa part, il préfère une cuisson à 1280° C car celle-ci confère aux pièces l’aspect du verre et si cette technique soulève certaines difficultés de réalisation, elle permet de rendre l’enduit transparent, et le produit fini, plus étanche.

Par ailleurs, sa manière de procéder se prête à une production de type industriel et il affirme à ce propos : « Un objet d’artisanat n’est pas une œuvre d’art et doit donc pouvoir être reproduit.» Dans cette optique, il ne manque pas de souligner l’importance des « normes industrielles » auprès de ses étudiants et pour-suit aujourd’hui encore ses expériences sur les enduits et matières premières, ce qui lui a notamment permis de créer à ce jour quelque huit mille enduits différents. À l’Université nationale de Séoul, son bureau ren-ferme d’innombrables pièces en céramique revêtues de ces différents produits en vue de la cuisson, autant de découvertes dont il partage les résultats avec ses étudiants en favorisant un échange de points de vue, et

dont il s’empresse d’emmagasiner les données sur son ordina-teur.

Les gènes des potiers de JoseonÀ la question de savoir ce que représente pour lui la cérami-

que, Hwang Kap-Sun cite une anecdote rapportée par l’ouvrage Bukhagui (Discours sur l’apprentissage à partir du Nord) que rédigea un érudit de la dynastie Joseon du nom de Bak Je-ga : « Quand les potiers commencèrent à produire la céramique, leurs œuvres semblaient exécutées de façon grossière et l’on en faisait donc un usage peu soigneux, voire vulgaire, qui influait en ce sens sur le mode de vie de toute la population, de sorte qu’il importe désormais de les réaliser toutes, jusqu’aux plus insignifiantes, avec le plus grand soin ».

En ce qui concerne la forme conique et le blanc laiteux sur lequel tranchent des lignes bleues soulignant les courbes, compo-sent-elles des variantes modernes des traits distinctifs de la por-celaine blanche d’époque Joseon? Pour Hwang Kap-Sun, alors que celle-ci « bénéficiait des dons de la nature que sont la terre et l’eau idéales, les potiers avaient à subir certaines discriminations », et il est vraisemblable qu’ils connurent des « destins malheureux malgré leurs magnifiques œuvres », évoquant l’expression de « nomade culturel » qu’a utilisée à son propos un journal alle-mand auquel il avait accordé un entretien. Il souligne qu’au siècle dernier, les potiers ne s’aventuraient guère à plus de quelques kilomètres de chez eux, tandis qu’ils peuvent aujourd’hui bénéfi-cier du mélange de nombreuses cultures issues de pays distants de plusieurs milliers de kilomètres et c’est précisément ce type de « communication » qui, à ses yeux, constitue l’une des conditions sine qua non des nouveaux canons de la beauté à l’ère du village

planétaire.« Je suis détenteur des gènes de ces potiers de

Joseon, auteurs de pièces en porcelaine blanche dont la beauté m’a inspiré une réflexion approfondie sur mon art, qui, je le pense peut donner naissance à des objets uniques en leur genre, parce que dotés d’un style propre qui est mien, et lorsque ceux-ci s’attirent des éloges dans le monde entier, j’ai la certitude qu’ils représentent la quintessence de l’âme coréenne. »

1~3 C’est la délicate porcelaine blanche d’époque Joseon qui a inspiré l’œuvre du céramiste Hwang Kap-Sun, comme il l’affirme lui-même.

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ArtisAn

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érudit confucéen Bak Ji-won, qui vécut sous la dynastie Joseon, affirme dans son essai intitulé Chojeongjipseo, que tout en suivant les enseignements du passé, il ne faut pas se fermer au changement, mais plutôt s’inspirer de l’ancien pour faire œuvre d’inno-

vation, comme le préconise le proverbe chinois composé de quatre idéogrammes signifiant « beopgo changsin » et soulignant combien il est important d’assurer une continuité entre la tradition et la modernité.

Une quête de sons pursKim Bok-gon a redonné vie à l’idéal du « beopgo changsin » par des réalisations artisa-

nales traditionnelles qui lui ont valu de se voir classer à la vingt-huitième place du patrimoine culturel intangible de Séoul et quoique celles-ci soient de type traditionnel, il ne manifeste pas d’attachement excessif au passé et s’efforce d’aller continuellement de l’avant. Voilà cinq ans de cela, après avoir abondamment puisé dans la chronique historique, il entreprend avec suc-cès la reconstitution de cinq instruments datant du royaume de Baekje (18 av. J.-C. - 660) dont une représentation figure sur l’encensoir en bronze doré qui date de cette époque et constitue aujourd’hui le Trésor national n°287. Il s’agissait du « geomungo », du « buk », du « hap », du « jongjeok » et du « baeso », qui consistent respectivement en une cithare à six cordes, un tam-bour, un instrument à quatre cordes, une flûte transversale et un instrument à vent rappelant la flûte de Pan. Ses recherches sur les instruments et l’influence que peut avoir sur les sons la manière de jouer de ceux-ci lui permettront en outre, au mois de novembre 2000, de faire breveter une table d’harmonie pour instruments à cordes de son invention, ainsi que le pro-cédé de fabrication correspondant. Un an après, il concevra un chevalet pour le « haegeum », qui est un violon à deux cordes, et déposera ce modèle en raison de son caractère utile. Après avoir effectué des recherches sur les instruments de musique traditionnels, c’est encore

lui qui mettra au point un procédé permettant d’incruster les striures dans le bois de la caisse de résonance, laquelle constitue la partie la plus volumineuse d’un instrument

à cordes.« La technologie permet d’affiner le son des instruments, en réalisant, par

exemple, des perçages de précision au moyen d’appareils à commande numé-rique, ce que ne permettaient pas de faire les vrilles à main d’autrefois. Or, le dimensionnement exact de ces trous, en limitant le gauchissement du bois, évite au musicien d’accorder souvent l’instrument. Les travaux de Kim Bok-gon rappellent l’étonnante connaissance des instruments de musique et l’ex-

cellente ma trise de l’utilisation des matériaux qui étaient celles de nos ancê-tres, comme le révélait déjà, voilà aujourd’hui cinq siècles, un document d’archive

Kim Bok-Gon, un fabricant dont les instruments de musique sonnent juste

L’

Dans son métier d’artisan, Kim Bok-Gon n’a cessé d’œuvrer à la restauration des instruments de musique coréens anciens, mais aussi à leur renouvellement car s’il en produit lui-même certains types déjà existants à partir de ses recherches approfondies dans ce domaine, il en conçoit aussi d’entièrement nouveaux, accom-plissant ainsi une double activité d’artisan et de créateur.Park Hyun Sook Rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe

1 Tout au long de ses quarante ans de carrière, l’artisan Kim Bok-Gon s’est attaché à restaurer et reconstituer des instruments de musique traditionnels coréens, notamment à cordes, tels ce « gayageum », qui est une cithare à douze cordes.

2 Ce luth dit « hyangbipa » est l’œuvre de Kim Bok-Gon.

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intitulé Akhakgwebeom, c’est-à-dire « canon musical de Joseon ». « La survivance de procédés traditionnels dans des domaines où la technologie moderne n’est d’aucune aide représente une merveilleuse continuité entre l’ancien et le nouveau », estime-t-il.

Si Kim Bok-gon réalise un grand nombre de fabrications traditionnelles, il demeure avant tout un spécialiste des ins-truments à cordes tels que le « gayageum », cette cithare à douze cordes, et le « geo-mungo ». En lutherie traditionnelle, l’artisan commence par fixer les cordes sur la table d’harmonie et les faire vibrer pour en tirer des sons. Ainsi, les musiciens jouent de l’« ajaeng », une cithare à sept cordes, et du « haegeum » à l’aide d’un archet, tandis que sur le « geomungo », ils frottent les cordes au moyen d’une baguette pointue et pincent directement celles du « gaya-geum ». Dans tous les cas, la caisse de résonance se compose de paulownia et l’ossature, de châtaig-nier ou de pin. Les motifs incrustés dont se pare l’instrument, à son extrémité inférieure, sont réalisés en jujubier, ébène, ou genévrier chinois. Pour obtenir les meilleures sonorités, l’emploi de paulownia s’avère indispensable en raison des qualités que présente ce bois en termes d’acoustique, de résistance à la fissuration et aux insectes nuisibles, outre que sa légèreté et sa durabilité exceptionnelles en font un matériau de prédilection en lutherie traditionnelle.

La passion d’apprendreSur cinquante-cinq années d’existence, Kim

Bok-gon en a consacré plus de quarante à la fabrication d’instruments de musique tradi-tionnels. Dès la fin de ses études primaires,

il partira à quinze ans, en compagnie d’amis, pour cette capitale où rien de précis ne l’amène, mais finira par s’y embaucher chez un artisan spécialisé dans le « geomungo » et le « gayageum ».

« La pauvreté régnait, à cette époque, et sur un effectif d’une centaine d’élèves, seuls quatre ou cinq pouvaient se permettre

de poursuivre au secondaire. Quant à moi, je n’avais pas la moindre idée de ce que je pourrais bien faire à Séoul,

alors je me suis trouvé sans ressources, mais ensuite, par le plus grand des hasards, j’ai été embauché par Choe Tae-jin, dont l’atelier se situait dans le quar-

tier de Jongno, au centre de Séoul, tandis que mes amis travaillaient chez des tailleurs ou dans des

restaurants chinois. J’y suis resté apprenti pendant pas moins de vingt ans, ce qui ne

correspondait certes pas à mes atten-tes, mais dont j’ai dû me contenter

pour gagner ma vie. C’est de là que viennent toutes les cica-

trices que j’ai aux mains », confie-t-il.

Bientôt, il allait se passionner pour cet apprentissage qui attisait sa curiosité naturelle

envers ces instruments qui lui plaisaient. Il va alors se mettre

à l’étude pour se présenter en candidat libre à un concours d’entrée dans différents éta-

blissements d’enseignement supérieur à la suite duquel

l’Université municipale de Séoul lui ouvrira ses portes. Poursuivant sur

sa lancée, il obtiendra une ma trise de ges-

1 C’est aussi Kim Bok-Gon qui a réalisé ce « sanjo gayageum », une cithare dont on joue en musique folklorique.

2 Kim Bok-Gon a inscrit ces mots au dos d’une cithare à six cordes dite « geomungo » : « Des montagnes boisées peignent un millier d’images, même sans encre, l’eau propre produit les sons de dix mille cithares, même sans cordes ».

3 Les cordes du « gayageum » sont tendues sur l’« anjok », le chevalet mobile en forme de « patte d’oie » qui vient se fixer sur la caisse de l’instrument.

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tion artistique à l’Université Chung-Ang, et pour finir, un doctorat de littérature clas-sique à l’Université Hansung. Aujourd’hui, Kim Bok-gon affirme que ces études lui ont fait prendre conscience de la mer-veilleuse dimension artistique que possède son métier qui, par nature, permet de per-pétuer des traditions anciennes, outre qu’il suscite en lui inspiration et enthousiasme.

Il s’était initié à cette profession auprès du ma tre artisan Choe Tae-jin, qui allait être classé en trentième position au patri-moine culturel intangible de la province de Gyeonggi-do et avait lui-même suivi les enseignements de Kim Gwang-ju, lequel tenait lui-même son savoir de son pro-pre père, Kim Gwang-chil, célèbre pour avoir été à l’origine de la fabrication du « sanjo gayageum » moderne utilisé en musique folklorique. Sous la direction rigoureuse de son ma tre, Kim Bok-gon allait entreprendre un travail de recherche sur les instruments traditionnels et c’est alors qu’il apprit, à la lecture du Canon musical de Joseon, qui fut rédigé en 1493, sur ordre royal, que les douze cordes du « gayageum » étaient censées correspondre aux douze mois de l’année, un principe également repris dans d’autres aspects de la composition de cet instrument, ainsi que dans la manière dont on en joue. Cette découverte allait aussi lui donner une idée de la conception du monde qu’avaient nos ancêtres et de l’opiniâtreté dont ils faisaient preuve pour se conformer aux préceptes de la philosophie.

Des travaux scientifiquesJadis destiné à la musique de cour, le « jeongak gayageum »

mesure cent soixante-dix centimètres de longueur sur trente de largeur et il est pourvu de cordes longues de cent quarante

centimètres. La fabrication d’un unique exemplaire de cet instrument exige d’y consacrer énormément de temps et une somme tout aussi considérable d’efforts, ainsi que de veiller particulièrement au bon séchage du bois. « Selon le Canon musical de Joseon, la pièce de bois la mieux adaptée doit provenir de la partie inférieure du tronc du paulownia, c’est-à-dire celle qui se situe à une hauteur de vingt à trente centimètres par rapport aux racines de l’arbre, car une analyse scien-tifique réalisée par l’Institut de recherche acoustique de l’Université nationale de Séoul a démontré que c’est elle qui pré-sentait des fibres particulièrement rectili-gnes et donc aptes à produire les sons les plus purs. N’est-ce pas extraordinaire que la science moderne ait apporté la preuve

des excellentes propriétés acoustiques qu’offre la caisse à striure droite d’un instrument pourtant si ancien », s’étonne l’homme.

Afin d’évaluer les caractéristiques de cette caisse striée de « gayageum », Kim Bok-Gon a sollicité l’avis d’ingénieurs fores-tiers, d’oto-rhino-laryngologistes et de fabricants d’appareils auditifs, réalisant ainsi un important travail qui lui a permis d’ap-porter certaines améliorations à cette partie de l’instrument, ainsi que la couche de laque qui protège celui-ci et affine ses sonorités. On estime à pas moins d’un millénaire la durée de vie de la sève du laquier et Kim Bok-Gon l’a en conséquence adoptée pour en revêtir la caisse de résonance de ses instruments, selon un nou-veau procédé de son invention dont il a déposé le brevet. Un jour qu’il avait essayé l’un des « geomungo » de l’artisan, feu Won Gwang-ho, qui fut le détenteur du titre de Trésor culturel humain pour ses interprétations sur cet instrument, déclara que celui-ci était lui aussi un ma tre en son genre. Le célèbre joueur de

Afin d’évaluer les caractéristiques de cette caisse striée de « gayageum », Kim Bok-Gon a sollicité l’avis d’ingénieurs forestiers, d’oto-rhino-laryngologistes et de fabricants d’appareils auditifs, réalisant ainsi un important travail qui lui a permis d’apporter cer-taines améliorations à cette partie de l’instrument, ainsi que la couche de laque qui protège celui-ci et affine ses sonorités.

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« gayageum » Hwang Byeong-gi allait également faire l’éloge de ceux que pro-duit Kim Bok-Gon.

Entièrement conçue par ce dernier, la caisse de résonance de ces instruments a de quoi impressionner. En me rendant à son atelier situé dans un quartier de Séoul nommé Seocho-dong, il m’a été donné d’examiner avec attention celle du « gayageum », qui se compose d’un paulownia tendre, exempt de nœuds et autres imperfections de sorte que lorsqu’elle résonne, elle puisse vibrer à une longueur d’onde constante produisant un son limpide et agréable. Sur les che-valets mobiles, dépôts de nacre et décors en cartilage d’os de bœuf rehaussent la beauté d’ensemble de l’instrument. « En règle générale, la fabrication d’un « gaya-geum » exige un mois de travail, qu’il s’agisse de la variante dite « jeongak gayageum » qui sert à la musique de cour, ou de celle du « sanjo gayageum », de plus petites dimensions, qui convient à la musique folklorique. La production de sons s’obtient en pinçant les douze cordes de soie que des chevalets mobiles permettent de tendre au-dessus de la caisse en paulownia. Si l’on inclut le temps consacré à l’apprêt des matières, la fabrication d’un gaya-geum » exige d’y consacrer énormément de temps et une somme tout aussi considérable d’efforts », souligne l’artisan. « Pour la seule caisse de résonance, il faut d’abord faire sécher la pièce de paulownia que l’on a prélevée et la vieillir en l’exposant à la pluie et la neige pendant dix ans au moins. Si la technique est impor-tante, les fondamentaux le sont encore plus, alors les procédés ont beau être très perfectionnés, si le bois n’a pas suffisamment séché, ce sera comme du riz à moitié cuit ».

Un temps recordAprès avoir découvert tout

un répertoire musical coréen grâce à la fabrication d’instruments de musique traditionnels, Kim Bok-Gon dit comprendre pourquoi les lettrés d’antan voyaient en de tels spectacles la possibilité d’un épanouissement de l’individu. Pour ce ma tre artisan, la musique a été l’âme sœur rassurante vers laquelle il s’est tourné dans les moments difficiles de sa carrière, celle qui perçait les

secrets de son âme et en apaisait les chagrins. « La fabrication de mes ins-truments m’a appris que si l’homme ne possède pas dans sa vie quelque « cavité » pareille à la caisse du « gaya-geum » ou du « geomungo », il lui sera difficile de sonner juste, car ce n’est qu’en faisant le vide en soi que l’on est en mesure d’accueillir la nouveauté. D’ailleurs, c’est dans cette vacuité que réside l’authentique beauté de la peinture coréenne. Il faut savoir que le mot « geum-seul », qui désigne aujourd’hui l’entente conjugale, avait pour acception, à l’origine, l’harmonie musicale du « geomungo » et du « bipa » (le luth), alors si un tel accord régissait non plus seulement les relations du couple, mais aussi celles des peuples du monde, il ferait bon vivre dans ce der-

nier. » Selon une belle histoire, un homme coupa les cordes de son instrument à la mort d’un ami qui aimait à l’entendre jouer. C’est d’elle que vient le mot « jieum », qui peut se traduire littéra-lement par « une bonne compréhension de la musique », mais qui s’emploie aussi aujourd’hui à propos d’une amitié véritable.

Kim Bok-Gon nourrit le rêve de pouvoir un jour reconstituer les soixante-cinq instruments répertoriés au Canon musical de Joseon et espère voir le jour où sera considéré un chef-d’œuvre, au même titre qu’un Stradivarius, un instrument coréen en bois précieux de belle facture. C’est dans ce but qu’il ne cesse de rechercher des pièces de la meilleure qualité et d’effectuer des recherches sur les procédés d’autrefois. Lors de notre entretien, la phrase « Vingt-quatre heures, c’est trop court dans une jour-née » est revenue plusieurs fois dans ses propos, comme une ritournelle. À cet égard, l’homme rappelle Thomas Edison, qui ne dormait que trois heures par nuit et considérait perdu le temps consacré aux repas. Les nouveaux instruments qui naissent

entre ses mains tirent parti de la persévérance d’un ma tre artisan animé d’une soif d’expérimentation, mais ils béné-ficieront aussi de sa ma trise des fondamentaux et de son esprit d’innovation à l’inventivité fulgurante. « Un instru-

ment de musique ressemble à un article de vaisselle ancienne, c’est-à-dire que tout en conservant sa forme d’origine, il doit pouvoir s’ouvrir à la nouveauté », estime l’artisan, avant de conclure : « C’est à cette seule condition qu’il sera à même de produire les sonorités de son temps ».

Dans le plus strict respect des procédés de fabrication traditionnels, Kim Bok-Gon fait aussi appel à des techniques plus modernes pour améliorer les sonorités et la précision de ses instruments, notamment à un dispositif tenseur qu’il a conçu lui-même pour le violon à deux cordes appelé « haegeum » et dont il a déposé le brevet en raison de son utilité.

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Chefs-D’œuvre

Gyeonghoeru, un élégant spécimen de l’architecture traditionnelle coréenne

La pièce d’eau qui s’étend au pied du Pavillon de Gyeonghoeru apporte à ces lieux une dimension sym-bolique et esthétique.

Sous la dynastie Joseon, banquets royaux et manifestations officielles se déroulaient le plus souvent à Gyeonghoeru, ce pavillon du Palais de Gyeongbokgung qui est aujourd’hui classé Trésor national n°224 et surpasse toutes les constructions de son genre par ses dimensions et son aspect imposants.

Kim Bong Gon Ancien directeur général de l’Institut national de recherche sur le patrimoine culturel

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l’emplacement du Gyeonghoeru d’aujourd’hui, se dressait à l’origine un pavillon de dimensions modestes situé à l’ouest des bâtiments résidentiels du Palais de Gyeong-

bokgung. En l’an 1414, douzième du règne du roi Taejong, cette première construction, qui péchait par son instabilité structurelle, allait être rebâtie et complétée d’un étage supérieur et d’un plan d’eau. Lors des invasions japonaises de 1592 à 1598, l’incendie qui se déclara au Palais de Gyeongbokgung occasionna de considé-rables dommages aux différents édifices, dont celui de Gyeong-hoeru, qui fut laissé à l’abandon durant deux cent soixante-dix ans. Dans le cadre d’un projet visant à reconstituer les principaux éléments architecturaux du palais, le roi Gojong ordonna en 1867 de le reconstruire en le dotant d’une longueur de sept « kan » sur cinq de largeur, chacune de ces unités correspondant à la portée des piliers de l’édifice.

Le nom de Gyeonghoeru, qui signifie « pavillon des réunions heureuses », évoquait l’esprit d’intégrité qui animait les entrevues

royales avec des ministres ou émissaires étrangers, dans l’es-poir que ces lieux placés sous un signe favorable permettent au souverain d’inspirer confiance et loyauté à ses sujets, ainsi que de diriger son royaume avec sagesse. La chronique historique révèle que l’édifice d’origine avait pour vocation de servir de cadre aux banquets royaux et aux divertissements présentés aux envoyés d’États étrangers. Le monarque y aurait aussi assisté à différen-tes manifestations en son honneur telles que des concours de tir à l’arc, une cérémonie en hommage aux généraux partant au combat et les fêtes à l’intention de la famille royale, les concours administratifs du royaume s’y déroulant également. Quant au bassin qui fut créé à sa proximité pour représenter l’approvision-nement en eau du royaume, il était le théâtre de rituels propitia-toires par temps de grosse sécheresse.

Un symbole de la protection contre l’incendieSous le règne du roi Gojong, un fonctionnaire royal de haut

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rang nommé Jeong Hak-sun rassembla, au sein de l’ouvrage intitulé Gyeonghoeru Jeondo, différents documents ayant trait à la construction de ce pavillon. Ils décrivent en détail les tech-niques mises en œuvre pour la réalisation de sa structure et la conception présidant à son aménagement en conformité avec les principes de la cosmologie confucéenne qu’expose le Livre des changements (I Ching). Il s’avère ainsi que la construction du palais destiné à abriter la résidence royale avait été étudiée avec soin afin d’y incorporer les éléments du Ciel et de la Terre chers à la philosophie confucéenne.

Le Pavillon de Gyeonghoeru est doté d’une structure consti-tuée de quarante-huit piliers qui délimitent une superficie de trente-cinq baies carrées correspondant aux trente-six des soixante-quatre hexagrammes, à savoir six fois six palais, tels que les définit le Livre des changements et, si ce nombre est infé-rieur d’une unité au nombre stipulé, il est suppléé à celle-ci par la présence d’un « taegeuk » qui représente la grandeur absolue. Sur les huit trigrammes du Livre des changements, le sixième, dit « gam », représente une pièce d’eau de grandes dimensions répondant à l’objectif de prévention des incendies qui présida à la construction de Gyeonghoeru. D’après les principes de la géo-mancie, dans la mesure où le Palais de Gyeongbokgung se situait dans la perspective du Mont Gwanaksan, qui par sa forme évo-quant une flamme, faisait figure de symbole du feu, cet ensemble architectural semblait particulièrement exposé à des risques d’incendie et sa destruction par plusieurs catastrophes rendit d’autant plus impérative l’adjonction d’un symbolisme lié à l’eau dans un but préventif. Le Gyeonghoeru Jeondo précisait qu’une statue de dragon en bronze avait été élevée au milieu du bassin afin de prémunir davantage les lieux contre le feu. En effet, il faut savoir que cet animal mythologique est associé au premier des huit trigrammes, dit « geon », qui est censé être propice à la pré-vention des incendies, et en outre doté, par son matériau métalli-

que, de la capacité d’attirer l’eau, selon les principes relatifs aux cinq éléments constitutifs de l’univers. Ces informations allaient d’ailleurs s’avérer exactes, lors d’un dragage du bassin réalisé en 1997, puisque cette figure en bronze y fut retrouvée.

Le Gyeonghoeru Jeondo précise en outre la manière dont les préceptes du confucianisme furent intégrés à l’architecture du pavillon. L’implantation au sol se répartit selon trois niveaux dits sections, dont le plus vaste est égal à trois baies afin de représen-ter la trilogie Ciel-Terre-Homme, tandis que les huit piliers qui les soutiennent correspondent aux huit trigrammes. La section située au centre s’étend sur douze baies qui symbolisent les mois et comprend seize piliers reliés entre eux par quatre vantaux équivalant aux soixante-quatre hexagrammes. Quant aux vingt-quatre piliers qui délimitent la section située le plus à l’extérieur, ils représentent les vingt-quatre divisions saisonnières : autant d’éléments qui attestent à l’évidence d’une volonté des hommes de Joseon de mettre largement en application les principes du confucianisme dans leur architecture.

Des colonnes fa tières aux imposantes dimensionsEn raison de la forte présence des structures en bois dans

l’architecture traditionnelle coréenne, le toit, par ses dimen-sions, occupait une place prépondérante dans les constructions. Le Pavillon de Gyeonghoeru étant un édifice de grande taille, il est naturel que son ample toit domine l’ensemble du bâtiment et en écrase la partie inférieure. Toutefois, de par sa conception architecturale, une certaine continuité s’établit entre les grands piliers de pierre du niveau inférieur et ceux, en bois, du niveau supérieur pour créer l’impression d’une unique et longue colonne qui détourne l’attention de ce vaste toit et rétablit ainsi un certain équilibre des proportions. Par leur conception audacieuse et leur réalisation, ces piliers de soutènement témoignent du savoir-faire qu’avaient atteint les bâtisseurs de Joseon.

En faisant son entrée dans le Pavillon de Gyeonghoeru, le visi-teur est aussitôt frappé par les imposants piliers de granit blanc qui supportent un vaste plafond. Sur celui-ci, les madriers vers lesquels lève les yeux le visiteur s’ornent de motifs floraux riche-ment colorés qui tranchent nettement sur la blancheur des piliers en pierre, tout en composant un ensemble spectaculaire par la diversité des éléments visuels et spatiaux qui y sont représen-tés. Les piliers ont été exécutés selon un style dit « minheullim »

Reconstruit en 1867, le Pavillon de Gyeonghoeru constitue un archétype de l’architecture traditionnelle et atteste du haut degré qu’avait atteint le pays dans les techniques de construction par sa conception audacieuse et son élégant aspect que vient rehausser la beauté des lieux qui lui servent de cadre.

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caractérisé par la forme légèrement fuselée qu’ils épousent à leur partie supérieure et qui leur confère un élégant aspect. L’ar-chitecture occidentale met en œuvre une technique dénommée « entasis », qui se caractèrise par l’enflure des colonnes, pour produire un effet convexe analogue. Au temps du roi Seongjong (r. 1469-1494), les piliers de pierre s’agrémentaient de gravures de dragons et c’est après en avoir aperçu le reflet sur la pièce d’eau, qu’un représentant japonais en provenance d’Okinawa aurait déclaré qu’elles représentaient l’une des plus magnifiques scè-nes qu’il lui ait été donné d’admirer dans la capitale, alors il est regrettable que ces figures gravées n’aient pas été reconstituées sur les piliers de l’édifice, lors de la reconstruction de celui-ci par Gojong.

Une atmosphère accueillanteDans la section principale, le plancher en bois s’étend sur

trois niveaux qui délimitent autant d’espaces différents et à par-tir de son bord extérieur, il s’élève progressivement jusqu’à son point central où il culmine pour symboliser la plus haute figure du royaume qu’était le monarque. La dénivellation correspondant au rang de ce grand personnage est très révélatrice de l’importance qu’accordait le confucianisme à la condition sociale. Destinée à symboliser le respect de cette hiérarchie, l’élévation du plan-cher participe aussi d’une mise en valeur esthétique de l’espace, notamment parce qu’une telle variation de niveau s’impose, sur une surface d’aussi grandes dimensions, pour créer l’effet d’une atmosphère plus chaleureuse et accueillante.

La division du plancher en plusieurs niveaux permet aussi de célébrer différentes fêtes et cérémonies au sein du pavillon sans avoir à diviser celui-ci en plusieurs espaces au moyen de cloisons ou d’autres éléments de séparation. Chaque section est percée de fenêtres à claire-voie surmontant les portes qui s’ouvrent sur un agréable paysage environnant qu’elles semblent faire pénétrer à l’intérieur des murs, de sorte que le pavillon semble absolu-ment ouvert sur son cadre naturel. Intercalées entre les piliers, des gravures agrémentent le bois des vantaux, qui font office de persiennes et constituent une transposition architecturale des auvents ou tentes figurant sur les peintures murales des tumuli de Goguryeo. Si le Pavillon de Gyeonghoeru, vu de l’extérieur, donne l’impression d’être richement orné, c’est précisément en raison du décor de ses vantaux, tandis que l’encadrement qu’ils

forment à l’intérieur met en relief les beautés du paysage qui s’offre au regard.

Un plan d’eau artificielSachant que tout pavillon royal doit se situer dans un cadre

agréable dans lequel se fondent harmonieusement les construc-tions, de sorte que les deux ne font qu’un, celui de Gyeonghoeru en constitue un spécimen parfait. En arrière-plan, se dressent les magnifiques cimes du Mont Bugaksan flanqué du majestueux Inwangsan sur sa droite, ainsi que, dans le lointain, des silhouet-tes du Gwanaksan et du Namsan qui s’élèvent au sud, tandis que les autres édifices du Palais égrènent leurs toits superposés à gauche du Pavillon.

L’ensemble que compose le Pavillon et son cadre naturel est encore embelli par la vaste pièce d’eau qui s’étend au pied de cet édifice car, en adoucissant les lignes des structures architectura-les, cet élément joue un rôle fondamental dans l’aménagement paysager. Dans le cas d’une construction aussi vaste que celle de Gyeonghoeru, l’absence de plan d’eau aurait amoindri l’im-pression puissante qui s’en dégage, en raison de la disparition de l’effet de contraste que produit celui-ci avec les bâtiments. Ce bassin artificiel apporte au Pavillon un gracieux élément décoratif par l’image qu’il en renvoie à sa surface. De ses eaux, émergent deux lots à la luxuriante couverture végétale qui symbolisent, aux côtés du bassin lui-même, les croyances tao stes liées à l’immor-talité, laquelle est souvent représentée sous forme de paysages idéalisés.

Par ses dimensions imposantes comme par son plan d’eau artificiel, le Pavillon de Gyeonghoeru atteste du haut degré de savoir-faire qu’avaient atteint les hommes de Joseon dans le domaine du génie civil. L’un de ses traits les plus remarquables est le principe qui y est mis en œuvre pour que l’eau s’écoule sans troubler l’image que renvoie sa surface aussi nettement qu’un miroir, à savoir que le fond du bassin est plus élevé sur son côté est. Ainsi, l’arrivée constante d’eau de source en provenance du Mont Bugaksan provoque un recyclage permanent garant de pureté, ce qui témoigne du haut niveau des techniques mises en œuvre dans la conception d’ensemble de ce bassin, dont les bords empierrés datant du règne du roi Taejong, et plus préci-sément de l’an 1412, se trouvent, qui plus est, en parfait état de conservation depuis leur aménagement.

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Les bâtisseurs de Gyeonghoeru pensèrent à placer, au centre du bassin, une figure de dragon en bronze destinée à protéger de l’incendie leurs constructions en bois particulièrement vulnérables au feu.

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En cette année où co ncidaient le centième anniversaire de l’an-nexion japonaise, le soixantième anniversaire du déclenchement de la Guerre de Corée et le trentième anniversaire du Mouvement dé-mocratique de Gwangju, un ensemble de représentations artistiques allait commémorer ces événements historiques, notamment les deux comédies musicales intitulées Héros et De splendides congés.Kim Moon-hwan Critique théâtral

Une année placée sous le signe de la commémoration

Chronique Artistique

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année 2010 aura été marquée par les commémorations successives de trois grands événements de l’histoire de Corée qui sont l’annexion japonaise de 1910, le déclen-

chement de la Guerre de Corée, en 1950, et la révolte estudiantine qui éclata le 19 avril 1960. Lors de ce soulèvement, étudiants et militants intellectuels allaient descendre dans la rue pour affron-ter les représentants d’un régime totalitaire qui s’était toujours refusé à entendre les revendications d’un peuple aspirant à plus de démocratie.

En 1945, peu après la libération coréenne qui avait mis fin à la domination coloniale japonaise, la Corée allait être déchirée par un conflit particulièrement meurtrier puisque, entre 1950 et 1953, il allait faire payer un lourd tribut à la population par d’effroyables pertes humaines et un cortège de calamités. La misère galopante qui s’ensuivit rendant d’autant plus insupportables les manigan-ces électorales auxquelles recouraient les tenants du pouvoir pour se maintenir en place, une insurrection populaire menée par étudiants et militants de gauche allait parvenir à renverser cette dictature en 1960, mais elle allait par la suite plonger le pays dans un chaos politique à la faveur duquel, en 1961, allait intervenir un coup d’état perpétré par les forces armées.

Au mois d’octobre 1979, l’assassinat du président Park Chung

Hee par une personne de son entourage met brutalement un terme aux longues années où s’est exercée sa tutelle autocrati-que sur le pays, sans pour autant faire cesser les manifestations qui se déroulent à Séoul comme ailleurs. Suite à l’appel à un important rassemblement, le 18 mai 1980 à Gwangju, cette ville située dans le sud-ouest, le général Chun Doo-Hwan prendra la tête d’une féroce répression militaire à laquelle se joindront les partisans du mouvement Yusin favorable au précédent régime. C’est cette sanglante tragédie de son histoire contemporaine que commémoraient les Coréens en cette année 2010 par toute une série de spectacles qui s’ajoutaient à l’hommage rendu aux acteurs des précédents événements.

La comédie musicale HérosProduite par la Compagnie internationale Acom, cette œuvre

dont le script est dû à Han A Reum et la mise en scène, à Yun Ho Jin, porte sur la vie du résistant Ahn Jung-geun (1879-1910), qui lutta pour l’indépendance coréenne. Elle évoque plus précisé-ment l’attentat que celui-ci commit en 1909, sur un quai de gare de Harbin, à l’encontre du président du Conseil privé japonais, Hirobumi Ito, qui gouvernait le territoire depuis son annexion, en tant que résident général. Selon le scénario de cette œuvre, Ahn Jung-geun aurait tenu celui-ci pour responsable d’une conspiration en vue de l’assassinat de la dernière impératrice coréenne qui régna sous le nom de Myeongseong (1897-1910). Si aucune preuve ne vient étayer cette thèse, celle-ci n’en est pas moins plausible d’un point de vue macro-historique et s’inscrit en droite ligne des idées véhiculées par La dernière impéra-trice, cette autre production musicale signée Acom. En Corée

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1 La comédie musicale Héros retrace les actes héro ques du résistant Ahn Jung-geun, qui lutta pour l’indépendance coréenne.

2 Dans La Guerre de Corée et Yi Seung-man, le réalisateur Jeong Jin-su évo-que sous un angle nouveau la personne du premier président de la Républi-que coréen, Yi Seung-man (Syngman Rhee).

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comme à l’étranger, notamment à New York et Londres, cette œuvre monumentale a été saluée par une telle ovation qu’elle fait aujourd’hui figure de comédie musicale nationale.

Quant à l’œuvre Héros, elle narre les faits extraordinaires qui se déroulèrent pendant près de neuf mois, à compter du 2 sep-tembre 1909, dans une forêt de cyprès située à Kraskino, cette ville de la région du Primorsky Krai, à partir de laquelle Ahn Ho Jin exhorta les Coréens à la résistance avec l’aide de onze com-patriotes avec lesquels il s’entailla les doigts, pour sceller de son sang son vœu de lutter pour l’indépendance. Le rideau tombe sur l’exécution d’Ahn Jung-geun, le 26 mai 1910, après qu’il eut été reconnu coupable de l’assassinat d’Hirobumi Ito.

Aux événements historiques dont s’inspire, cette œuvre viennent s’y ajouter des faits et personnages imaginés pour les besoins de son intrigue et de ses qua-lités artistiques. Parmi ceux-ci, figure cette dame de cour, témoin de l’assassinat, qui constitue le trait d’union entre Héros et La dernière impéra-trice. Envoyée au Japon par un groupe de patriotes nommé Jeguk ingmusa, elle y exercera la profession de geisha pour devenir la ma tresse d’Hirobumi Ito. Présenté ici comme l’auteur du complot ourdi en vue de l’assassinat de ce dernier par Ahn Ho Jin, le Jeguk ingmusa était en réalité une agence de renseignement qui fut placée sous l’autorité directe de l’empereur Gojong (r. 1863-1907), puis dissoute en 1909. Quant à l’ancienne dame

de cour et ma tresse d’Hirobumi Ito, elle accompagnera celui-ci lors du déplacement qu’il effectue à Harbin et le croyant endormi, en profitera pour tenter de le supprimer, alors qu’il avait feint de s’assoupir en raison des soupçons qu’elle lui inspirait depuis déjà longtemps. Constatant son échec, la dame prend alors la fuite et saute du train lancé à grande vitesse, dont elle tombera à l’image d’un flocon de neige voletant jusqu’au sol et elle sera dès lors connue sous le nom de Seol-hui, c’est-à-dire la « fille de neige ».

Parmi les autres personnages imaginaires de cette œuvre, figure le commerçant chinois qui aidera Ahn Ho Jin à mettre ses plans à exécution, ainsi que sa sœur cadette Ling Ling, qui s’est

éprise de ce dernier. À la mort de son frère, sachant en outre que son bien-aimé risque la mort, Ling Ling fera de son

corps un bouclier face aux balles que tirent sur le patriote les gardes qui escortent Hirobumi Ito. Ces éléments fictifs se mêlent si harmonieusement avec les faits historiques que l’ensemble des per-sonnages, du héros à son ennemi, acquièrent une personnalité propre qui les rend crédibles. Celui de Hirobumi Ito se démarque ainsi du stéréotype du brutal colonisateur pour faire figure de héros, à sa manière, dans la mesure où un concours de circonstances l’amène à poursuivre un idéal dif-

férent, ce qui vaudra aux créateurs de l’œuvre de se voir reprocher d’avoir conçu celle-ci en vue de son éventuelle mise en scène au Japon.

Quant au public, il a particulièrement apprécié les exceptionnels talents d’acteurs et de chanteurs

1 Dans la comédie musicale Héros, le public a particulièrement apprécié le rythme enlevé auquel est menée l’intrigue.

2 La Guerre de Corée et Yi Seung-man rassemblait de nombreuses vedettes coréennes

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dont font montre les interprètes de cette production, ainsi que les effets spéciaux réalisés au moyen de deux projecteurs dans la scène du train en marche. Lors du Quatrième grand prix de la comédie musicale, Héros allait d’ailleurs ravir les principaux prix dans les catégories Comédie musicale, Acteurs, Metteur en scène, Musique, Décors, Éclairage et Effets sonores. C’est Peter Casey, qui assure depuis longtemps la direction musicale de la compagnie et a réalisé la mise en musique de ce spectacle, qu’a récompensé le prix correspondant à sa catégorie.

La Guerre de Corée et Yi Seung-manEn cette année où la Corée s’apprête à accueillir le Sommet

du G-20, sera aussi commémoré le déclenchement, voilà main-tenant soixante ans, de cette Guerre de Corée qui vit vingt et une nations apporter leur aide à ce pays, que ce soit ou non par des moyens militaires, hommage devant donc leur être rendu comme il se doit. À cet effet, les cha nes télévisées coréennes diffusaient, voilà peu, plusieurs documentaires traitant spécifiquement de ce thème, tandis que les milieux du théâtre restaient curieusement discrets, à l’exception du Théâtre de Myeongdong, qui allait met-tre à son affiche la pièce à caractère satirique intitulée Les ongles d’orteils du général Oh, dont la première représentation avait eu lieu en1988.

Pour ce qui concerne l’année en cours, la production la plus remarquable en aura été La Guerre de Corée et Yi Seung-man, écrite et montée par Jung Jin-Soo au Théâtre des Arts de Dae-hangno où l’ont jouée les meilleurs artistes de la compagnie théâtrale Minjung. La démarche adoptée est celle du mélange

des genres documentaire et théâtral pour formuler certaines interrogations à l’égard du premier Président coréen, Syngman Rhee, incarné ici par Yi Seung-man, en dépit du rôle que joua ce chef d’Etat dans l’instauration de la première république du pays. Contraint à démissionner, en 1960, en raison d’une révolte estudiantine que provoquèrent les irrégularités dont il s’était rendu coupable en matière électorale, il prit la fuite à Hawa pour y rester jusqu’à la fin de ses jours. Le dramaturge et scénariste Jung Jin-Soo affirme avoir voulu, par cette œuvre, susciter une réflexion sur l’action de ce chef d’État, mais aussi sur la significa-tion de la Guerre de Corée, dont on célèbre aujourd’hui le soixan-tième anniversaire. Le scénario qu’il a composé se fonde princi-palement sur des travaux de recherche réalisés dans ce domaine par des historiens conservateurs.

Si le titre lui-même évoque ce conflit, l’intrigue se déroule plus exactement pendant ces mois de juin à novembre 1953 où les deux Corées négociaient l’armistice qui allait intervenir le 27 juillet 1953 et dès lors, c’est un simple cessez-le-feu qui allait mettre fin à trois années d’hostilités ayant débuté le 25 juin 1950. La pièce débute par l’évocation de l’audacieuse décision que prit le président, le dimanche 18 juin 1953, de libérer plus de vingt-sept mille communistes internés dans un camp de prisonniers américain. Cette remise en liberté va surprendre le monde entier et plus particulièrement les États-Unis, qui tardaient à ratifier l’armistice, quoiqu’elle concernât en réalité des civils sud-co-réens que la Corée du Nord avait enrôlés de force.

Selon Jung Jin-Soo, ce brusque revirement participait en fait d’une tactique visant à exercer des pressions sur les États-Unis afin de vaincre leurs réticences quant à la signature d’un Accord de défense mutuelle avec la Corée du Sud. En d’autres termes, Syngman Rhee aurait souhaité, par ce biais, laisser entendre aux États-Unis qu’il pouvait fort bien ne pas tenir compte de l’armistice et prendre subitement des mesures pour atteindre l’objectif qui

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était le sien de défendre les intérêts de son pays. Par cette bravade qu’il avait accomplie à ses risques et périls, il parvint néanmoins à obtenir la signature de l’Accord de défense mutuelle, dès le 8 août, suivie de sa ratification en bonne et due forme, le premier octobre de la même année, dans la capitale américaine. Au dire de l’auteur, la conclusion de ce traité était d’une portée fondamentale pour la sécurité de la Corée, dans la mesure où elle ouvrait la voie à la reconstruction et au développement économique du pays. Son œuvre met aussi l’accent sur l’action qu’entreprit Syngman Rhee pour encourager les étudiants les plus brillants à exceller dans ces sciences et technologies sur la base desquelles allait prendre son essor l’industrie nucléaire coréenne.

Dans cette pièce, l’auteur expose ces idées par le biais des personnages de Syngman Rhee, de son épouse australienne Francesca, du Chef de l’Armée de terre Paik Sun-Yup et du vice-président américain Richard Nixon, ainsi que d’officiers américains et de plusieurs personnalités chinoises représen-tées par Peng Dehuai. Sur scène, le minimalisme du décor, qui se réduit au bureau présidentiel, permet de mettre en valeur les monologues, l’intervention des différents collaborateurs du président qui se succèdent en ces lieux et la projection de clips

vidéo destinés à retenir l’attention du public par une séquence ininterrompue d’actions. Nul doute que le comédien Park Gi-san, qui joue le rôle de Syngman Rhee, s’est considérablement exercé pour reproduire la voix et la gestuelle propres à son personnage dont nombre de Coréens conservent encore un souvenir précis. Le public et la critique ont réservé un accueil globalement positif à ce spectacle, dont la thématique est résu-mée par cette phrase tirée des mémoires du général Paik, aujourd’hui encore en vie : « Le président Rhee passait pour un « idiot dans la conduite de sa vie privée, mais faisait figure de génie en matière diplomatique ». Quoi qu’il en soit de ce point de vue, on peut affirmer sans exagération que la libération de prison-niers communistes à un mois de la signature de l’accord d’armis-tice a constitué le point d’orgue de son mandat présidentiel, dans la mesure où, pour l’essentiel, elle lui a permis d’atteindre ses objectifs pour l’avenir de la Corée, en se chargeant à lui seul de négocier avec les États-Unis.

De splendides congésComposée par Kim Jeong-suk et mise en scène par Kwon Ho-

seong, la comédie musicale De splendides congés traite du mou-

Si la comédie musicale De splendides congés est pleine de lyrisme et bien enlevée, outre qu’elle bénéficie d’une partition musicale de qualité honorable due au compositeur allemand Michael Staudacher, elle pèche par les faiblesses d’une intrigue qui ne parvient pas à créer l’effet dramatique qui fut celui de la Mariée de mai, voilà dix ans de cela, lors de sa représentation à l’occasion du ving-tième anniversaire du Mouvement démocratique de Gwangju.

1 La comédie musicale De splendides congés évoque les évé-nements qui se déroulèrent à Gwangju le 18 mai 1980 et lors desquels s’illustra le Mouvement démocratique.

2 C’est en 1988, au Théâtre de Myeongdong, qu’a été repré-sentée pour la première fois la pièce de théatre Les ongles d’orteils du général Oh, qui a pour personnage principal le militaire éponyme.

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vement démocratique qui naquit à Gwangju dans les années qua-tre-vingts et a été adaptée au cinéma dans un film intitulé Le 18 mai. Elle tire son titre coréen Hwaryeohan hyuga du code secret du même nom par lequel les militaires désignèrent l’opération qu’ils entreprirent à Gwangju pour réprimer les manifestations publiques lorsque la loi martiale était en vigueur. L’ironie de cette allusion éclate dans l’une des premières scènes où, du paisible pique-nique qui réunissait une famille par un beau jour de mai, on passe à la brutalité d’une sanglante répression militaire, mais au beau milieu des troubles et de la violence, l’amour fleurit entre une jeune infirmière dont le père est un colonel à la retraite, et le jeune orphelin meneur du soulèvement, qui vit en com-pagnie de son frère cadet. Il trouvera cependant la mort, ainsi d’ailleurs que le père de sa bien-aimée.

Trente ans après ce dramatique événement, la femme d’âge moyen qu’est devenue l’héro ne va fleurir leurs tombes, qui se trouvent au Cimetière et mémorial du 18 mai, et tandis qu’elle se recueille, le passé lui revient en mémoire. Si la pièce tente une heureuse alliance entre le lyrisme et un rythme bien enlevé, l’intrigue s’avère assez monotone par sa répétitivité, quoique béné-ficiant d’une mise en musique

de qualité honorable due au compositeur allemand Michael Stau-dacher, qui enseigne depuis quelques temps la musique appli-quée en Corée, et elle ne parvient pas à créer l’effet dramatique qui fut celui de la Mariée de mai, voilà dix ans de cela, lors de sa représentation à l’occasion du vingtième anniversaire du Mouve-ment démocratique de Gwangju.

Par l’effet de quelque alchimie poétique, cette Mariée de mai dont le scénario, la mise en scène et la production sont respec-tivement dus à Hwang Ji-woo, Kim Gwang-lim et à la Yeonwoo Company, les tragiques incidents auxquels donna lieu le mou-vement démocratique de Gwangju acquièrent une portée spatio-temporelle universelle en mariant avec bonheur des éléments poétiques et dramatiques. Cette œuvre, dont l’auteur affirme qu’elle s’inspire de faits historiques, relève dans son ensemble, y compris par l’intrigue et exception faite des décors, d’une « fiction intégrale née d’un secret désir de représenter une pièce », aux dires même du dramaturge et poète de renom. Il n’en demeure pas moins que cette « fiction intégrale » révèle des faits authen-tiques. Elle s’inscrit en rupture avec les rares tentatives par les-quelles des spectacles artistiques avaient entrepris, avant elle, de rendre hommage aux victimes des incidents de Gwangju, et encore n’étaient-elles pas parvenues à transmettre un message bien intelligible à des publics divers, tandis que cette Mariée de mai soutient bien la comparaison avec des chefs-d’œuvre tels que Les Mains Sales de Sartre et Les Justes de Camus.

Pendant que j’assistais à sa représentation en plein air, l’envie m’a soudain pris de m’agenouiller et de prier, au souvenir du Jeu de la Passion qu’il m’avait été donné de voir à Oberammergau lorsque j’étais étudiant dans cette ville du sud de l’Allemagne, voilà maintenant plusieurs dizaines d’années. Je me souviens avoir vécu les six heures que durait le spectacle comme une sorte de rituel expiatoire, d’autant que l’on affirme qu’elle fut, à l’ori-gine, représentée dans le but d’exprimer toute la reconnaissance qu’éprouvaient les vivants pour avoir survécu à cette peste noire qui décima les populations européennes au XIIIe siècle et s’être vu ainsi épargner un tragique destin. Aujourd’hui encore, elle revient régulièrement à l’affiche, avec une périodicité de dix ans.

De même, il conviendrait que la Mariée de mai soit jouée tous les ans pour que les malheureuses victimes

reposent en paix au Cimetière et mémorial du 18 mai et que cette œuvre devienne un autre Jeu de la Passion pour tous les

Coréens, voire pour tous les amoureux de la démocratie, où qu’ils se trouvent dans le monde. L’espoir que je nourrissais de la

voir représentée en 2010 a malheureusement été déçu. L’année 2010 correspond aussi au dixième anniver-

saire du Sommet historique qui réunit les deux Corées, le 15 juin 2000, mais en raison des tensions qu’a créées la destruction de la frégate sud-coréenne Cheonan, le 26 mars dernier, la com-mémoration de cette rencontre n’a réuni, à titre officieux, qu’un petit nombre de personnalités concernées. À l’avenir, pourquoi cet important événement ne ferait-il pas l’objet d’une pièce de théâtre qui l’analyserait dans une nouvelle perspective ?

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e 27 avril dernier, un Coréen de vingt-sept ans nommé Lee Se-dol remportait par trois points à zéro la deuxième Coupe du monde BC qui l’opposait au Chinois Chang Hao et empo-

chait ce faisant la coquette somme de trois cent millions de wons, c’est-à-dire environ deux cent soixante mille dollars. Pour cette seule année, il a à son actif vingt-quatre victoires consécutives et cet extraordinaire record lui a remis en mémoire les paroles de son père, qui l’encourageait à mener une vie dont il puisse être fier, lorsqu’il a brandi le trophée qui lui était remis à l’issue de ce dernier championnat.

Les éloges de ses pairsLe deuxième tournoi de la Coupe du monde BC n’avait pas

plus tôt commencé que Lee Se-dol mettait en œuvre une straté-gie peu orthodoxe qui allait cependant le mener inexorablement à la victoire grâce à son impeccable jeu. Plutôt que de suivre sans réfléchir la voie tracée par ses prédécesseurs, il aime à se poser des questions et à y apporter lui-même une réponse, à s’aventu-rer en terrain inconnu là où d’autres hésiteraient à le faire et la dernière compétition de cette rencontre internationale a révélé le degré de perfection qu’il avait atteint dans ce jeu dont il ma trise les stratégies.

Chang Hao, dont tous s’accordent à reconna tre la supériorité en Chine, évoque en ces termes le premier match de la Coupe LG qui les a opposés en 1997, alors qu’il était lui-même encore ado-lescent : « À l’époque, Lee Se-dol n’avait pas atteint son apothéo-se et sa technique n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, mais pour ce qui était des tactiques, il apprenait très vite et si j’ai eu raison de lui, ce jour-là, il m’a tout de même produit une forte impres-sion ». Le Chinois allait à nouveau s’imposer lors de l’édition suivante de cette même compétition, qui lui inspire les propos

suivants : « Même si je dominais encore, je ne pouvais m’empê-cher d’admirer sa façon de jouer et constatais à quel point il avait progressé en une année à peine, sur les plans technique comme tactique. À chaque moment critique du match, il faisait montre d’une grande capacité d’anticipation qui lui permettait de se tirer d’un mauvais pas pour remporter une victoire, ce que les jeunes joueurs sont rarement en mesure de faire en raison de leur inex-périence. »

Deux ans plus tard, la Coupe LG verra à nouveau s’affronter les deux hommes, mais cette fois, c’est Lee Se-dol qui l’emporte-ra et son adversaire de s’extasier : « Dès qu’il fait face à une diffi-culté, il trouve aussitôt la stratégie correspondante. Il est capable de déterminer avec précision quels sont les points faibles de ses concurrents. Il m’a fait l’impression d’avoir une volonté telle que même à deux doigts de la défaite, il peut encore arracher la vic-toire et j’ai compris que c’est ce qui se produirait. »

L’indépendance d’esprit« J’estime être le meilleur et donc, imbattable », affirmera un

Lee Se-dol alors âgé de dix-neuf ans, après sa victoire au Japon lors de la Seizième Coupe Fujitsu de la Fédération internationale de go, en réponse au journaliste qui lui pose la question suivante : « À votre avis, qui est aujourd’hui le meilleur joueur mondial de go ?» Si de tels propos peuvent para tre naturels venant du vainqueur d’un tournoi aussi prestigieux, ils avaient de quoi passer pour de l’arrogance pour les esprits conservateurs qui prédominent dans ce milieu, longtemps réputé exiger des joueurs courtoisie et humilité. L’aplomb dont faisait ainsi preuve Lee Se-dol devien-dra en quelque sorte sa marque de fabrique au fur et à mesure qu’il triomphera de ses plus illustres concurrents, sans hésiter à remettre ouvertement en question les aspects contestables d’une

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Ce sont plus de quatre-vingts pour cent des titres mondiaux dont se sont emparés les Coréens Cho Hoon-hyun, Lee Chang-ho et Lee Se-dol dans les tournois qu’ils ont disputés au jeu de go dit « baduk » en coréen et « weiqi » en chinois, le dernier d’entre eux totalisant à lui seul treize victoires depuis qu’il a connu, en 1997, un premier succès qui semble appelé à être suivi de nombreux autres au vu de son exceptionnelle ma trise de ce jeu.

Jin Jae-ho Commentateur de jeux

Sur la Scène internationale

Lee Se-dol, un pionnier dans l’univers du go

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tradition fort ancienne.Ceux qui pratiquent ce jeu se transmettent de père en fils ses

règlements et théories qui n’en ont ainsi acquis que plus de poids au cours du temps, en dépit de quoi le jeune champion du monde qui, malgré ses dix-neuf ans, manifestait déjà une remarquable indépendance d’esprit, allait oser s’affranchir des idées reçues à la grande surprise de ses adversaires. En mettant en avant ce qu’il lui est possible de faire plutôt que ce qui ne se fait pas, Lee Se-dol allait faire figure de pionnier dans l’univers du go.

N’est-il pas, en effet, le premier qui se soit hasardé à défier l’ordre établi, en refusant, par exemple, de participer aux épreu-ves fondées sur le classement en « dan », ces différents rangs qui sont attribués aux joueurs, et ultérieurement, en exigeant leur suppression, au motif que cette méthode de qualification consti-tuait un « non-sens ». Face à cet individu isolé en rébellion contre les lois communément admises d’un jeu obéissant à la tradition, nombreux sont ceux qui vont taxer d’arrogance sa prétention à y faire régner une plus grande ouverture d’esprit, d’autant que celui dont elle émane se situe tout en bas du classement et ose se dresser contre les meilleurs joueurs. S’il est vrai que cette fronde n’aboutira finalement pas à une modification en profondeur du mode de classement en vigueur et ne retiendra guère l’attention

à ses débuts, le point de vue exprimé par son auteur s’est depuis avéré faire l’unanimité.

Au mois de juillet 2009, Lee Se-dol va revenir à la charge pour dénoncer une autre pratique coutumière et décider, en signe de protestation, de se retirer de la compétition professionnelle, ce que n’avait fait avant lui aucun joueur de go parvenu au zénith de sa carrière, et la nouvelle du départ de ce prestigieux joueur va précipiter le monde du go dans la tourmente. Il en prendra la déci-sion après avoir demandé que soit mis fin à l’opportunisme qui régnait depuis longtemps dans la compétition et que les différents règlements soient appliqués de manière plus rigoureuse et si sa requête ne va d’abord rencontrer que peu d’écho auprès de ses condisciples, elle obtiendra leur soutien par la suite. Nul doute que cette parenthèse de six mois dans sa carrière professionnelle aura représenté pour lui un certain manque à gagner, mais la persévérance dont il a fait preuve dans la dénonciation des prati-ques iniques qui ont longtemps terni l’image du jeu du go ne man-quera pas d’être appréciée par les futures générations de joueurs.

Des champions coréensLa Corée s’est illustrée sur la scène internationale par sa

supériorité dans un certain nombre de sports comme le taekwon-

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Depuis 1997, l’année de son accession au titre de joueur professionnel de go, le Coréen Lee Se-dol a remporté treize grands tournois internationaux.

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do, le tir à l’arc ou le patinage de vitesse sur piste courte, en gravissant les plus hautes mar-ches du podium lors de Jeux olympiques ou championnats du monde. Aujourd’hui, il est grand temps que le go figure à son tour sur cette liste en raison de la suprématie mondiale que la Corée s’est acquise, à partir des années quatre-vingts, dans cette discipline où excellaient auparavant Japonais et Chinois. En donnant naissance à plusieurs ma tres de renommée mon-diale dans un jeu qui, plus que tout autre, représente une excellente manière d’exercer ses facultés intellectuelles, la Corée démontre le haut degré d’intelligence dont sont capables ses habitants.

Fort des cent trente-huit victoires qu’il a engrangées, Lee Chang-ho, à trente-huit ans, se classe au second rang après son ma tre Cho Hoon-hyun, aujourd’hui âgé de cinquante-huit ans et tenant du titre de cette discipline, grâce aux cent trente-huit grands prix qu’il a ravis lors de compétitions internationales, ce qui fait des deux hommes les plus grands joueurs de ces trente dernières années. À partir de 1997, Lee Se-dol va poursuivre sur sa lancée en com-mençant par triompher de son concurrent de quarante quatre-ans, Yoo Chang-hyuk, lors de l’édition 2002 de la Coupe Fujitsu, qui représentait pour lui sa première rencontre mondiale. Un an plus tard, ce sera au tour de Lee Chang-ho de s’incliner devant lui à cette Coupe LG où le calme imperturbable dont il fait preuve lui vaudra d’être surnommé le « Bouddha de pierre ». Emporté par son élan, il n’arrachera pas moins de trente et un titres successifs, notamment dans le cadre de treize championnats du monde à un jeune âge, celui de vingt-sept ans, qui semble lui promettre un brillant avenir. Cho Hoon-hyun, Lee Chang-ho et Lee Se-dol, égale-ment de nationalité coréenne, s’empareront à eux trois de plus de quatre-vingts pour cent des titres mondiaux au cours des trente dernières années.

Le « petit frère »Devenu professionnel à l’âge de douze ans et parvenu depuis au plus haut niveau de cette

catégorie, Lee Se-dol semble destiné à consacrer son existence entière à sa discipline et ce, d’autant que le prénom de Se-dol, que lui choisit son père, signifie littéralement « dominer le monde avec des pierres ». C’est en 1983 qu’il na t sur l’ le de Bigeumdo située au large de la ville de Mokpo, dans la province de Jeollanam-do et il y sera élevé par les siens avec cette grande ouverture d’esprit qui, à ses dires, lui a conféré courage et fort tempérament. Lee Su-o, son père aujourd’hui décédé, initiera lui-même au jeu de go ses cinq fils dont seul le deuxième, Sang-hoon, et le cadet, Se-dol, acquerront une ma trise suffisante pour disputer des tournois.

« Aujourd’hui, je ne joue pas seulement au go pour gagner, mais pour me dépasser moi-même afin d’atteindre un summum dans ce jeu en le pratiquant de manière irré-prochable, car l’objectif que je me suis fixé, sur les plans tant professionnel que personnel, est d’éviter toute erreur que je pourrais avoir à regretter ».

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Alors que Se-dol avait sept ans, son frère Sang-hoon, lui-mê-me âgé de quinze ans, accédera au statut de professionnel mais, en dépit de son grand talent, il formulera, au cours d’une conver-sation, une curieuse remarque qui surprendra ses interlocuteurs : « Mon frère est meilleur que moi », puis à la question de savoir où se trouvait donc celui-ci, il révélera qu’il vivait encore chez ses parents, à la campagne. C’est dans ces circonstances que les professionnels eurent vent de l’existence du champion en herbe qu’était Lee Se-dol et lorsque Sang-hoon rapportera l’anecdote à son père, celui-ci décidera aussitôt d’envoyer Se-dol à Séoul pour y suivre avec son frère l’enseignement du ma tre Kwon Kap-yong, qui avait alors cinquante-trois ans.

En 1994, alors qu’il est âgé de onze ans, Lee Se-dol fait son entrée dans la compétition professionnelle sans pour autant être officiellement classé dans cette catégorie, ce qui sera chose faite l’année suivante pour devenir dès lors le troisième joueur le plus jeune à y entrer, après Cho Hoon-hyun et Lee Chang-ho, qui étaient respectivement âgés de neuf et onze ans lorsqu’ils l’ont précédé. Mis en concurrence avec des joueurs plus expérimentés que lui, Lee Se-dol ne renoncera pas pour autant à s’élever dans le classement professionnel, mais suite au décès de son père, qui survient en 1998, la carrière professionnelle de Lee Se-dol mar-quera le pas pendant quatre ou cinq ans. Est-ce le fruit du hasard si cette disparition semble alors lui avoir redonné la liberté d’es-prit qui lui permettra d’épanouir son talent ?

À cette époque formatrice, Lee Se-dol ne se trouvait pas seul et son ma tre Kwon Kap-yong se souvient en ces termes de lui : « C’était un garçon d’une grande intelligence et d’un talent comme il n’est pas donné d’en voir tous les jours. En conséquen-ce, j’ai veillé à ne pas l’étouffer par mon enseignement, afin de ne pas tuer dans l’œuf ces dispositions naturelles. C’était un élève vraiment remarquable et il avait pour seul défaut de se refuser à faire tout ce qu’il n’aimait pas. Il possédait une si forte person-nalité que ceux qui l’approchaient lui jetaient souvent un regard méfiant ».

Lee Se-dol a toujours manifesté de la reconnaissance envers

ce grand frère de huit ans son a né : « Je dois à bien des person-nes ce que je suis aujourd’hui et à mon frère plus qu’à quicon-que, alors je lui exprime toute ma gratitude.» Par-dessus tout, il admire son frère d’avoir renoncé à une prometteuse carrière professionnelle pour se consacrer à celle de son cadet et à l’épa-nouissement de son exceptionnel talent.

Sur la scène internationalePlus qu’un jeu intellectuel, le go constitue un travail d’amé-

lioration des facultés mentales aux fins d’un épanouissement personnel et il participe donc fortement d’un bon développement du cerveau humain. Il possède aussi une dimension philosophique par la sagesse qu’il permet d’acquérir dans des situations de la vie réelle et par la formation de soi. Enfin, il établit un lien entre des personnes très différentes, quels que soient leur sexe ou leur âge.

Si d’autres divertissements intellectuels existent de par le monde, tels les échecs, le bridge ou le jeu de dames, le go est profondément ancré dans la culture et les traditions d’Asie, où il constitue en outre un rite de passage vieux de quatre millénaires. Aujourd’hui, Lee Se-dol espère le voir acquérir une portée inter-nationale car il représente, plus que tout autre jeu, une excellente manière d’exercer son intelligence, et à ce titre, il serait bon que ceux qui l’apprennent et le pratiquent soient toujours plus nom-breux.

De fait, ce jeu sera bientôt appelé à occuper une place plus importante, puisqu’il fera partie, aux côtés des échecs, des dis-ciplines faisant l’objet de compétitions lors des Seizièmes Jeux asiatiques qui se dérouleront à Guangzhou au mois de novembre prochain. Si Lee Se-dol y représentera la Corée, il ne le fera pas dans le seul but d’entrer en lice, mais aussi parce qu’il entend pro-mouvoir le jeu auprès du public mondial. « Aujourd’hui, je ne joue pas seulement au go pour gagner, mais pour me dépasser moi-même afin d’atteindre un summum dans ce jeu en le pratiquant de manière irréprochable, car l’objectif que je me suis fixé, sur les plans tant professionnel que personnel, est d’éviter toute erreur que je pourrais avoir à regretter », confie-t-il à ce propos.

1 Lee Se-dol, que la Trente-huitième Grande Coupe opposait à Baek Hong-seok, détenteur d’un septième dan, est renommé pour ses stratégies peu conventionnelles.

2 Lee Se-dol affrontant Gu Li, l’un des meilleurs joueurs chinois, lors de la Vingt-troisième Coupe Fujitsu

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eScapade

Situé entre la ville de Haenam et l’ le de Jindo, le Détroit d’Uldol-mok, également connu sous le nom de Détroit de Myeongnyang, fut le théâtre de la célèbre Bataille de Myeongryang, à l’issue de laquelle l’amiral Yi Sun-sin remporta une victoire décisive contre l’envahisseur japonais.

Dans une région pourtant dotée de trois façades maritimes, c’est de l’agriculture dont vit surtout la population de Haenam, tandis que non loin de là, le Temple bouddhique de Daeheungsa propose des formules de séjour dans ses locaux et que derrière la maison familiale de Yun Seon-do, serpente un pittoresque sentier de montagne au cœur d’une épaisse forêt peuplée d’ifs du Japon.

Kim Hyungyoon Essayiste | Ahn Hong-beom Photographe

À Haenam, la « fin des terres » s’unit avec la mer

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as moins de cinq heures sont nécessaires pour se rendre de Séoul à Haenam en autocar express, ce qui représente l’un des plus longs trajets réalisables par ce moyen de transport dans un pays, certes de forme longue et étroite, mais doté d’un important réseau routier. Après

être parvenu dans cette seconde ville, j’y ai effectué un séjour qui m’a permis d’assister pour la pre-mière fois à une cérémonie bouddhiste, chose que je n’aurais jamais imaginé pouvoir faire aupara-vant, car je m’étais jusqu’alors contenté de simples visites de ces sanctuaires et de leurs chapelles.

Un séjour au Temple de DaegheungsaC’est par un après-midi d’été que nous partons pour le Temple ancien de Daeheungsa, qui se

trouve non loin de la ville de Haenam, et à notre arrivée, nous y sommes accueillis par le gardien qui nous mène sans plus attendre jusqu’à un bâtiment abritant plusieurs chambres et une salle de douche. Notre petit groupe composé des six personnes qui se sont inscrites à un séjour dans ce sanctuaire s’y installe, puis chacun d’entre nous prend une douche particulièrement appréciée après notre ascension et revêt la robe de moine, qu’il ou elle conservera durant ces quelques jours, avant de rejoindre le guide pour une visite des lieux.

Peu avant le coucher du soleil, nous pénétrons dans le pavillon principal au son du « beopgo », ce tambour de grandes dimensions sur lequel tape un moine se tenant dans un pavillon situé à l’op-posé du sanctuaire avant de céder la place à un condisciple qui s’empare des baguettes et se dirige vers l’énorme tambour en peau de vache fortement tendue et à la forme arrondie qu’il frappera à un rythme tout aussi simple que captivant. Arborant la robe dite « jangsam » que surmonte un surplis nommé « gasa », les moines nous tournent le dos et semblent danser à la cadence rapide de leur tambour. Nous distinguons alors un léger bruit qui semble provenir d’un objet avec lequel on frotte une surface en bois, suivi de celui du « mokeo », un instrument à percussion en bois pisciforme, auquel succèdent les sonorités métalliques de l’ « unpan », cette plaque rappelant la forme d’un nuage et, pour finir, les résonances graves et puissantes de la grande cloche appelée « beomjong ».

Tandis que retentit celle-ci, nos hôtes nous mènent alors au sanctuaire et nous nous asseyons au premier rang des fidèles pour suivre le rituel accompli par un moine qui psalmodie ses prières en heurtant de la main un instrument à percussions en bois dit « moktak », sans cesser de s’agenouiller et de se relever aussitôt. Au cours de cette visite, notre guide va nous enseigner qu’il convient de

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joindre les mains en s’inclinant légèrement lors d’une révérence, tandis qu’il faut abaisser le corps entier jusqu’au sol pour effec-tuer la prosternation complète nommée « ochetuji », c’est-à-dire des « cinq parties du corps au sol », puisque le front, les coudes et les genoux doivent alors toucher celui-ci.

Cette cérémonie va se poursuivre pendant une demi-heure, alors que je l’aurais crue de plus longue durée, la raison en étant qu’elle a été simplifiée à notre intention, tout en durant suffisamment pour nous permettre de nous plonger dans cette atmosphère pieuse que nous avons perçue dès les premiers battements de tambour dont l’écho parcourait les lieux et troublait à peine la quiétude de la forêt de mon-tagne. De même que dans une église, s’élèvent harmonieusement les cantiques aux accents de l’orgue, les battements de tambour qui retentissent à l’intérieur d’un temple sont à eux seuls d’une beauté admirable, mais s’allient aux litanies tout aussi mélodieuses des moines.

Fidèle chrétien jusqu’à mon adoles-cence, j’ai toujours observé l’obligation de

n’adorer qu’un seul Dieu et, même si j’ai depuis lors cessé d’être pratiquant, il me semblait inconcevable de me prosterner devant Bouddha jusqu’à ce jour où je vais enfreindre cet interdit car, dans le sanctuaire faiblement éclairé, j’ai pris conscience de ce qu’une prière venant du fond du cœur ne peut que rendre l’âme plus pure, et ce, quelle que soit la divinité à laquelle elle est adressée. Quand viendra l’heure de dîner, nous recevrons l’instruction de

réintégrer nos cellules, ces pièces où nous avions changé de tenue et où nous pren-drons notre repas, bien qu’il fasse encore jour, ce qui me laisse perplexe quant à nos activités pendant le reste de la soirée.

Selon le programme affiché au mur, il semble que nous allons boire le thé en compagnie d’un moine, puis nous coucher à vingt et une heures, comme je m’y atten-dais, sans toutefois m’habituer vraiment à cette idée car j’ai coutume de ne pas me mettre au lit avant minuit et j’appréhende donc d’autant plus de devoir le faire si prématurément, qui plus est, après m’être contenté de boire un thé, pour toute occu-pation ! Sur ces entrefaites, quelle n’est

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pas ma surprise d’entendre notre guide nous annoncer que nous partirons bientôt pour Iljiam, où non seulement nous dégusterons cette boisson, mais où nous passerons aussi la nuit dans ce célè-bre ermitage ! Qui aurait osé espérer un tel programme ?

Iljiam et le moine ChouiLors de mes deux précédentes venues à Haenam, en hiver et

au printemps derniers, j’avais eu, à deux reprises, l’occasion de visiter le Temple de Daeheungsa, puis, la deuxième fois, avais pro-fité de la belle saison pour gravir les versants du Mont Duryunsan auquel s’adosse ce sanctuaire, sans qu’il me vienne à l’esprit d’ef-fectuer une halte à Iljiam, l’un des ermitages qui lui sont rattachés. Aussi curieux que cela puisse para tre, je me refusais à suivre passivement le parcours classique qu’empruntent la plupart et avais donc délibérément contourné ce lieu propice à l’accession au nirvâna, au seul motif que tous s’y rendaient. Cette fois-ci encore, je n’étais guère plus disposé à m’y rendre, mais les dirigeants de Daeheungsa avaient pris toutes dispositions pour que notre grou-pe puisse y être hébergé, sans toutefois le préciser sur leur site internet, de sorte que nul d’entre nous ne s’y attendait.

Notre guide va nous y conduire en quatre-quatre, en deux sous-groupes de trois personnes, et, malgré la faible distance qui nous sépare des lieux, la route est si accidentée que si nous l’avions remontée à pied, c’est une seconde douche qu’il nous aurait fallu prendre. Alors que nous approchons de notre destination, s’offrent à notre vue deux bâtisses dont l’une, de petite taille, est surmontée d’un toit de tuiles reposant sur des piliers en bois dont le socle en pierre est immergé dans l’eau d’un bassin, tandis que l’autre est une modeste chaumière qui lui est attenante. Derrière ces constructions, s’étend une épaisse et sombre forêt qui tranche sur la végétation de largerstroemia, taros à larges feuilles et bos-quets clairsemés de bambous de la cour bordée d’antiques haies de lespedeza bicolore où les araignées tissent leur toile d’argent, tandis que des vairons semblent observer les minuscules lys de la pièce d’eau où s’ancrent les fondations de l’édifice. Les feuilles de bambou bruissent sous le frais souffle de la brise et à l’horizon, s’allongent les silhouettes tourmentées des montagnes.

C’est un jeune homme qui vient à notre rencontre, le moine supérieur effectuant en ce moment une mission et, après nous avoir fait asseoir à ses côtés dans le pavillon qui donne sur le bassin, il nous sert le thé en nous apprenant qu’il s’initie depuis deux mois à la culture de cette plante, sur un terrain situé dans l’enceinte du temple. C’est là qu’il en cueille les feuilles afin de

les torréfier à 350° C dans un poêle de grandes dimensions, en veillant à les brasser pour éviter qu’elles ne brûlent. Contraire-ment au produit de plantes ordinaires, dont le grillage s’effectue à 250° C, celui du temple peut être mis à infuser jusqu’à cinq ou six fois sans jamais rien perdre de cet arôme dont nous nous délec-tons aujourd’hui, installés à cette longue table de bois rectangu-laire. Ce faisant, nous nous entretenons du sujet du thé et des procédés particuliers de sa torréfaction à haute température, tout en découvrant les circonstances dans lesquelles notre jeune hôte est arrivé en ces lieux assez reculés.

C’est dans cet ermitage qu’au XIXe siècle, le moine Choui se retira pendant les quarante dernières années d’une vie qui en comporta quatre-vingts et c’est le thé qui lui révéla le boud-dhisme dans toute sa vérité, de sorte qu’il en vint à penser que la consommation de cette plante permettait de découvrir la Voie du Bouddha et de s’adonner aux plaisirs de la méditation. Dans la solitude de sa retraite, il demeurera au contact du monde extérieur grâce à cette plante dont il n’aura de cesse d’exalter la consommation, ce qui fait de cet ermitage l’un des hauts lieux de sa tradition en Corée. Quant à moi, faute d’avoir atteint l’illu-mination en absorbant ce breuvage, j’ai tout au moins passé une nuit paisible qui m’a clarifié l’esprit en l’éloignant de toute pensée futile.

1 Les deux minuscules îlots rocheux de Maemseom se dressent non loin de la « Fin des terres ».

2 On prête au seul fait d’ouvrir le Yunjangdae, ce coffret en bois de forme po-lygonale qui renferme les Écritures bouddhiques, les mêmes bienfaits qu’à l’accomplissement d’actes vertueux tels que la lecture de ces textes sacrés.

3 Au Temple de Daeheungsa, une petite construction au toit de tuiles abrite l’ermitage d’Iljiam flanqué, à droite, d’un petit bassin et, à gauche, d’une chaumière de moindres dimensions.

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L’ le de BogildoEn raison de sa situation la plus méridionale de la péninsule,

la ville de Haenam est aussi connue sous le nom de « Fin des terres » et représente de fait l’un des points les plus éloignés du vaste continent eurasiatique. Impressionnés par son mystérieux surnom, nombre de Coréens en font l’une des destinations privi-légiées de leurs voyages touristiques, quoique le paysage n’y soit pas des plus pittoresques. Lors de ma venue, voilà une quinzaine d’années, il n’y avait pas âme qui vive sur le littoral battu par des pluies torrentielles et le vagabond que j’étais alors dans l’âme allait en conserver à jamais un souvenir marquant. Il pleuvait abondamment sur la plage, ce jour-là, et voilà que je m’y retrouve aujourd’hui sous un ciel certes couvert, mais où nulle précipita-tion ne semble s’annoncer, et face aux innombrables restaurants,

boutiques et lieux d’hébergement qui bor-dent un front de mer autrefois désert.

À ma grande surprise, je vais aussi découvrir le monorail qui transporte les voyageurs à une altitude élevée sur des versants montagneux plongeant à pic dans la mer. En compagnie d’un ami, j’y prends aussitôt place pour m’élancer vers les cieux, mais des nuages bas dis-simulent tout alentour, alors je forme le vœu d’y revenir, par temps plus clément, afin de surplomber la côte et d’admirer les beautés d’un paysage maritime par-semé d’ les. Pour gagner celles-ci, on peut s’embarquer sur l’un des ferry-boats qui partent du port de Haenam, comme nous le ferons pour nous rendre sur l’ le de Bogildo. Celle-ci, en dépit de son rattachement administratif à l’ le toute proche de Wando, ne peut qu’appartenir à l’agglomération de Haenam dans l’esprit de ses habitants, en raison des liens his-toriques qui les unissent, puisque le poète Yun Seon-do y fut exilé au XVIIe siècle, c’est-à-dire sous la dynastie Joseon.

Tandis que le moine Choui, qui vécut deux siècles plus tard, était de confession bouddhiste, cet écrivain souscrivait aux préceptes du confucianisme, dans lequel il avait acquis une grande érudition. Tout

au long des cinq cent dix-neuf années sur lesquelles s’étend la dynastie Joseon, cette philosophie en constitua l’idéologie domi-nante incontestée, au détriment du bouddhisme qui fit l’objet de persécutions. Pourtant, confucianistes et bouddhistes, loin de nourrir une animosité réciproque, tissaient au contraire des liens qui pouvaient parfois être qualifiés d’amicaux. À preuve Yun Seon-do lui-même, qui se retira dans un temple dès l’âge de onze ans pour y suivre une préparation à un concours administratif auquel il se présentera avec succès quinze ans plus tard, et inversement, le moine Choui, qui s’adonnera à de fructueux échanges culturels avec les jeunes érudits confucéens les plus illustres du XIXe siè-cle.

Dans la carrière de lettré qu’il menait de front avec une acti-vité politique, Yun Seon-do partagera le destin tumultueux qui

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1 Le rocher qui se dresse au nord du Temple de Daeheungsa est gravé d’une figure de Bouddha Matreya.

2 Aujourd’hui encore, les descendants directs de Yun Seon-do, qui vécut sous la dynastie Joseon, habitent la maison familiale.

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était alors celui de toute personne publique, mais ces vicissitudes donneront le jour, pendant la seconde moitié de sa vie, à une œuvre poétique qui suscitera l’admiration des générations à venir. En outre, il se distingua de ses contemporains en composant ses poèmes en alphabet coréen aussi bien qu’en caractères chinois, tandis que ces derniers étaient le plus souvent privilégiés et que le premier était souvent dénigré par les autres intellectuels à l’es-prit assez conservateur. Les soixante-quinze recueils de poésie qui lui sont dus en font l’un des premiers écrivains de renom à avoir mis en valeur la beauté que confère cet alphabet à la langue coréenne.

Sur l’ le de Bogildo, nous visiterons le charmant jardin de Saeyeonjeong et nous ferons ainsi une idée de la manière dont les nobles coréens occupaient leurs loisirs et acquéraient leur sens esthétique. Lui-même issu d’une riche famille aristocra-tique, Yun Seon-do fit aménager un jardin où se refugier pour trouver paix et tranquillité, comme en témoigne le nom de « Saeyeonjeong » qu’il lui donna et qui, littéralement, désigne « un lieu purifiant l’esprit par sa beauté environnante ». Là, il se consacrait à l’étude ou recevait ses condisciples venus composer ou réciter des poèmes, tout en goûtant aux joies de la musique et de la danse.

L’if du JaponSituée à l’est de l’agglomération, la demeure de Yun Seon-

do était celle de sa famille depuis son arrière-arrière-arrière-grand-père, et aujourd’hui encore, ce sont ses descendants qui

l’habitent. Ce fort ancrage familial est révélateur, au même titre que le « sadang », c’est-à-dire le bâtiment où sont conservées les tablettes funéraires, du logement, du mode de vie et des coutu-mes de la noblesse d’alors, tandis que le musée permet aux visi-teurs d’acquérir des connaissances plus vastes et approfondies sur la civilisation de Joseon.

En raison de mon arrivée trop matinale, je n’aurai pas le plaisir d’y être accueilli par ses occupants et devrai donc me contenter de rester sur le seuil à parcourir du regard la cour qui entoure cette vieille bâtisse et, comme ma visite n’avait pas pour but d’entrer dans celle-ci, je quitterai les lieux pour remonter jusqu’à la monta-gne en empruntant un chemin situé aux confins de la ville.

Tout en cheminant sans me presser sur cette paisible voie bordée de grands pins, j’emplis mes poumons d’air pur, comme j’aime toujours à le faire, lorsque je remarque la présence d’un nombre important d’ifs du Japon adultes, qui dressent fièrement leur tronc bien droit et semblent élancer avec vigueur vers le ciel leurs branches abondamment garnies d’aiguilles persistantes se combinant en des motifs tout aussi hiéroglyphiques que fas-cinants. Ma longue marche à travers cette luxuriante végétation me para tra moins pénible grâce aux marches de bois qui ont été aménagées à l’intention des promeneurs.

C’est la famille de Yun Seon-do qui fit boiser les lieux lorsqu’elle s’établit dans cette région, voilà déjà cinq siècles, à l’aide de cette essence qui non seulement fournit un bois adapté à la construction d’habitations et à la fabrication de meubles, mais produit un fruit auquel la médecine traditionnelle coréenne

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prête de nombreuses vertus, notamment pour lutter contre l’hy-perthermie, éliminer les parasites, guérir morsures de serpents venimeux et piqûres d’insectes, ou encore soigner les maladies infectieuses contractées au contact de carcasses d’animaux.

La Corée a déclaré cet arbre monument naturel en raison de ces nombreuses qualités, auxquelles s’ajoutait la possibilité de confectionner un amuse-bouche traditionnel appelé « gangjeong », comme le faisaient les femmes dans la famille de Yun Seon-do. Ceux qui feront le voyage à l’époque du Nouvel An Lunaire ou de Chuseok, la fête coréenne des récoltes, auront l’occasion de rencontrer l’un des descendants de ce poète, à la quatorzième génération, mais aussi de goûter à ce délicieux mets arrosé d’une tasse de thé.

Un festin à base de « tteokgalbi »Lorsque j’avais effectué mon voyage à Haenam, l’année der-

nière, je m’étais arrêté au Lac de Gocheonam pour y admirer son célèbre banc de roseaux qui borde les quatorze kilomètres de ses rivages sur 1,65 million de mètres carrés. Une telle végéta-tion fournit un milieu favorable où élisent domicile de nombreux oiseaux migrateurs comme le canard à lunettes, dont la popu-

1 Coucher de soleil sur un village de la « Fin des terres ».

2 Il existe, à la « Fin des terres », un restaurant qui offre un véritable festin composé de côtelettes grillées, les « tteokgalbi », et de plats d’accompagne-ment si nombreux qu’ils occupent la table entière.

3 Une épaisse forêt peuplée d’ifs du Japon adultes s’étend derrière la maison familiale de Yun Seon-do.

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lation se concentre à quatre-vingt-dix-huit pour cent sur ce site, aux côtés d’espèces ornithologiques rares, notamment la cigogne noire et certains aigles. À l’idée qu’une telle myriade d’oiseaux trouvait ainsi refuge sur le littoral, j’ai compris que Haenam avait vraiment beaucoup à offrir.

Dotée de sols fertiles, la région est vouée à de prospères cultures céréalières et mara chères, tandis que la mer toute pro-che offre sa manne de poissons divers et variés. Sur le relief qui décline doucement, s’étendent d’épaisses forêts comme on en trouve sur les Monts Daeryunsan et Dalmasan, aux versants des-quels s’accrochent respectivement les Temples de Daeheungsa et Mihwangsa, ce dernier revêtant une certaine importance his-torique. À partir du premier de ces sommets, la forêt déploie sa couverture verte discontinue en prolongeant le relief jusqu’aux plaines situées au pied du Temple de Mihwangsa.

Au cours de mon séjour dans cette « Fin des terres », je vais, un soir, choisir de d ner d’un « tteokgalbi », cette côte de bœuf marinée et grillée au feu de charbon, que l’on me servira accompagnée de pas moins de vingt-neuf petits plats différents. Quoiqu’il ne s’agisse pas vraiment d’une spécialité locale, un res-taurant la propose à son menu depuis plus de quatre-vingts ans

et force est de reconna tre qu’il la prépare admirablement, mais on pourra lui préférer le hareng grillé, tout aussi délicieux. Quant aux plats d’accompagnement, si nombreux qu’il me semble que je ne pourrai goûter qu’à la moitié d’entre eux, ils s’avéreront si savoureux que j’en viendrai presque à bout et parmi eux, j’ap-précierai tout particulièrement le kimchi, les légumes variés, les œufs cuits à la vapeur et même le « jeotgal », ce poisson salé et fermenté que j’ai pourtant coutume d’éviter, autant de prépara-tions qui me permettront à nouveau de constater par moi-même l’abondance d’une production locale concourant à la confection d’un véritable festin.

Je passerai la deuxième nuit de mon voyage dans une auber-ge traditionnelle dont les propriétaires tenaient auparavant des chambres d’hôtes. Dans sa bâtisse de style ancien, ce sympa-thique et vaillant jeune couple m’avait déjà accueilli lors de ma précédente visite, qui m’avait permis d’apprécier le confort d’une impeccable chambre de dimensions spacieuses dont les fenêtres donnaient en outre sur un agréable paysage, tandis qu’à l’autre bout de la ruelle, le chien qui aboyait au passage d’étrangers dans la cour de la maison voisine, produisait une impression de sécu-rité propice à la détente. Ainsi est la ville de Haenam.

En raison de leur situation la plus méridionale de la péninsule, certains quartiers de l’ag-glomération de Haenam sont connus sous le nom impressionnant de « Fin des terres » qui attire en foule les touristes et aux confins de la ville, ceux-ci pourront emprunter un ferry-boat pour gagner les les avoisinantes.

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Préparation à base d’aubergines cuites à l’étuvée, le « gajiseon » est d’une confection fort simple.

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L’aubergine n’est pas vraiment un légume comme les autres en raison de sa couleur particulière qui lui vient de l’anthocyanine et elle possède en outre une texture légère qui se marie bien avec l’assaisonnement et la farce du « gajiseon », cette spécialité culinaire au goût remarquable.

Lee Jong-Im Directrice du Centre coréen de la recherche alimentaire et culturelle

Ahn Hong-beom Photographe

a valeur d’une préparation culinaire ne se mesure pas seulement à ses propriétés nutritives, mais aussi à ses qualités visuelles et gustatives qui la rendent plus ou moins attrayante, telle cette couleur unique en son genre par laquelle l’aubergine

ne saurait passer inaperçue. En effet, l’aspect que présentent les aliments agit sur le système nerveux central à la manière d’un stimulus ayant le pouvoir de réveiller l’appétit et en conséquence, l’association judicieuse d’ingrédients de différentes couleurs offre souvent la possibilité de mettre en valeur un plat. Dans le cas de l’aubergine, sa teinte particulière résulte de la présence de l’anthocyanine, un pigment qui se trouve en outre posséder des vertus propices à la prévention des maladies chroniques et à la lutte contre le vieillissement, autant de bienfaits pour la santé qui font toujours plus de ce légume un ingrédient de prédilection.

Plante annuelle poussant au début de l’automne et donnant un fruit sur une tige dont la longueur peut être comprise entre soixante centimètres et un mètre, l’aubergine aurait été introduite en Corée, voilà longtemps de cela, à partir de l’Inde et en passant par la Chine. Elle se compose à 95 % d’eau et à 3,4% de glucides, auxquels s’ajoute une faible teneur en lipides, vitamines et minéraux. Pour être de qualité, il faut que sa peau soit lisse et brillante, et sa couleur, d’un rouge sombre uniforme exempt de tavelures.

Un légume facile à accommoderComposé d’aubergines assaisonnées, le « gaji namul » constitue une préparation

d’une grande simplicité, puisqu’après avoir fait cuire celles-ci à la vapeur, il suffira de les émincer et de les mélanger à de l’ail, des graines de sésame et de l’huile de ces dernières, auxquels s’ajoutera du poireau émincé, ainsi que du vinaigre pour acidifier l’ensemble en fonction de ses préférences. Quant au « gaji naengguk », il s’agit d’une soupe froide à l’aubergine très prisée des Coréens par temps de canicule. Après avoir accommo-dé l’aubergine comme dans le « gaji namul », c’est-à-dire par cuisson à la vapeur, découpage en fines tranches et assaisonnement, il suffit de mouiller cette préparation à l’eau froide et de l’agrémenter de sauce de soja, sucre, vinaigre et sel, dont l’alliance créera une saveur aigre-douce.

Une variante de cette recette substitue à la cuisson à l’étuvée une friture à l’huile,

Les aubergines farcies ou « gajiseon »

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et à l’assaisonnement précédent, un mélange

d’oignon, de piment et de poireau, auxquels peut aussi

s’ajouter de l’aubergine séchée que l’on aura préparée, quand elle est de saison, en vue de sa conservation pour l’hiver. Pour ce faire, on découpe ce légume en morceaux que l’on expose au soleil aussi longtemps qu’il le faut pour la déshydrater. Si, autrefois, il n’était guère aisé de se procurer des aubergines fra ches à la saison froide, les cultures sous serre, aujourd’hui toujours plus nombreuses, produisent des récoltes tout au long de l’année. Une fois sèche, l’aubergine acquiert une consistance ferme et une saveur très particulière par sa légère amertume. Quand venait, au calendrier lunaire, la première pleine lune dite « Daeboreum », les Coréens avaient coutume d’absorber neuf sortes différentes de « namul » , à savoir des légumes, qu’ils avaient fait sécher de la sorte et mêlaient à du « japgokbap », c’est-à-dire à du riz additionné d’autres céréales, après les avoir mis à tremper dans l’eau et revenir à l’huile, puis assaisonnés.

Plusieurs variantes du « gajiseon »Dans cette préparation également

à base d’aubergine étuvée, le « gajiseon »,

on pratique dans sa chair des entailles en biais que l’on garnit de cubes de ce même légume, de bœuf émincé, de poulet ou de crustacés marinés, puis on fait mijoter l’ensemble dans du bouillon de bœuf que l’on aura assai-sonné d’un mélange de «ganjang», de « gochujang » et de « doenjang », qui sont respectivement de la sauce de soja et des concentrés de piment et de soja, cette formule pouvant se décliner à l’infini en modifiant les ingrédients et assai-sonnements qui entrent dans sa com-position.

La préparation suivante, qui est celle d’origine par sa farce de bœuf et de champignons, est d’une consomma-tion tout à fait indiquée pour les personnes atteintes d’hy-pertension ou possédant un métabolisme fortement pro-ducteur de chaleur. Lors d’une première étape préalable à sa réalisation, mais d’une importance capitale, il convien-

dra de mettre à tremper les cubes de légumes dans l’eau salée, puis d’y exercer délicatement

une pression pour en drainer l’eau autant que possible. Une variante consiste à les étuver à la vapeur d’un bouillon d’anchois assaisonné

au concentré de soja dit « doenjang », qui en révélera avantageusement la saveur.

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Pignons, lanières de blanc et jaune d’œuf frit, champignons shiitake et piments rouges et verts apportent leurs cinq notes de couleurs diffé-rentes à cette préparation d’aubergines, comme le veut la gastronomie traditionnelle en matière de garniture, pour des raisons d’ordre à la fois symbolique et visuel.

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Le « gajiseon » à l’ancienne

Ingrédients

2 aubergines, 1 verre d’eau, 1 cuillerée à soupe de sel, 100 grammes de bœuf (culotte), 3 champignons shiitake séchés, 1

verre de bouillon de bœuf ou d’eau

Garniture : 1 œuf (séparer le jaune du blanc), pignons, piment rouge émincé, champignons shiitake, piment vert

Assaisonnement de la viande : 1 cuillerée à soupe de sauce de soja, 1 cuillerée à café de sucre, 1 cuillerée à soupe de poi-

reau émincé, 1 cuillerée à café d’ail émincé, 1 cuillerée à café de sésame en poudre, ½ cuillerée à café d’huile de sésame,

poivre

Préparation

1. Découper les aubergines en tronçons de quatre centimètres de longueur.

Entailler chacun d’entre eux en biais avant de les mettre à tremper dans

l’eau salée pendant une trentaine de minutes. Égoutter en appuyant délica-

tement pour en retirer l’eau.

2. Pour réaliser l’assaisonnement, mélanger les divers ingrédients nécessai-

res à la sauce de soja.

3. Découper le bœuf en fines tranches et arroser celles-ci avec la moitié de la

préparation ci-dessus.

4. Mettre les champignons shiitake séchés à tremper dans l’eau pendant une trentaine de minutes. Après avoir supprimé

l’eau superflue, découper les champignons en tranches fines et y ajouter l’autre moitié de l’assaisonnement.

5. Mélanger viande et champignons assaisonnés. Farcir chaque tronçon d’aubergine.

6. Placer les tronçons farcis dans une casserole et verser par-dessus le bouillon de bœuf. Affiner le goût à l’aide de

« gukganjang », c’est-à-dire de la sauce de soja pour la soupe. Faire bouillir à feu vif, puis laisser mijoter une dizaine de

minutes à feu moyen ou doux. De temps à autre, arroser les aubergines d’une cuillerée de bouillon.

7. Prendre l’œuf et en séparer le jaune du blanc. Faire frire les deux séparément afin d’obtenir une mince couche qu’il faut

ensuite découper, de même que les piments rouges et verts et les champignons shiitake, en tranches de deux centimè-

tres de longueur.

8. Verser le « gajiseon » dans un bol et ajouter une petite quantité de bouillon. Garnir avec les œufs, les champignons shii-

take, les piments rouges et verts émincés et les pignons.

Pour préparer le « gajiseon », on pratique dans la chair d’une aubergine des entailles en biais que l’on garnit de cubes de ce même légume, de bœuf émincé, de poulet ou de crustacés marinés, puis on fait mijoter l’ensemble dans du bouillon de bœuf que l’on aura assaisonné d’un mélange de «ganjang», de « gochujang » et de « doenjang », qui sont respectivement de la sauce de soja et des concentrés de piment et de soja, cette formule pouvant se décliner à l’infini en modifiant les ingrédients et assaisonnements qui entrent dans sa composition.

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La ville est probablement l’une des créations humaines les plus complexes. De plus, en perpétuelle transformation. C’est bel et bien l’impression qui se dégage lors-

que l’on découvre Séoul pour la première fois et que l’on apprend à la connaître. Rien de tel pour en appréhender tout d’abord la dimension que de s’élever par un

ciel d’hiver net et clair au sommet de la tour Namsan ; le visiteur peut alors embrasser d’un coup d’œil ce continuum urbain qui, débordant des rives de la rivière Han, a englouti au fil de son développement quelques « montagnes », donnant une tonalité particulière à la topographie de la ville.

Les statistiques donnant la Corée comme l’un des pays à forte densité de popu-lation avec 475 habitants au km2 prennent alors leur sens. Ce chiffre recèle en fait de grands contrastes, puisque s’oppose à Séoul un territoire rural peu dense. Nous y avons rencontré, au détour d’une petite route de montagne, un bœuf labourant une parcelle de rizière, image assez improbable à juste deux heures de la capitale, mais marquante pour envisager les évolutions survenues dans les dernières décennies.

Il faut alors descendre de Namsan et plonger au cœur de ce tourbillon incessant pour en découvrir le caractère. En réalité, les caractères, puisqu’il n’existe pas un cen-tre-ville, mais des cœurs de ville ayant chacun leur caractère et âme propre : flâner dans Namdaemun, ville dans la ville, où tout se trouve dans une bousculade bon en-fant ; regarder s’étaler à flanc de collines, les villages de briques à Yongsan ou Hannam, vestiges d’un urbanisme plus ancien, probablement voués à disparaitre ; circuler dans Gangnam, quartier d’affaires moderne, à l’activité trépidante de jour comme de nuit ; se laisser entrainés dans la folie nocturne étudiante et consommatrice de Myeong-Dong ou Hongdae. Il faut enfin prendre un après-midi ensoleillé de printemps pour se laisser porter par ses pas au cœur de Bukchon et découvrir ses Hanoks et ruelles où l’on oublie le temps, et dont le calme contraste tant avec cette ville toujours en effer-vescence.

Ce mouvement permanent et cette activité frénétique caractérisent bien Séoul, et je trouve toujours fascinant ces quelques minutes ou tout semble soudain se figer à l’occasion des quelques exercices de protection civile régulièrement organisés : ins-tants fugitifs de flottement où le temps semble suspendre son vol. Fascinante aussi cette matinée de l’hiver 2010 lorsque la ville s’est réveillée complètement anesthésiée sous plusieurs dizaines de centimètres de neige, le ballet quotidien se mouvant au ra-lenti dans ce paysage ainsi transformé.

Un regard sur SeoulGuillaume DOURDIN Directeur général de Veolia Eau en Corée

reGard eXtÉrieur

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La constante évolution de Séoul en est également un de ses caractères propres. Il est intéressant pour nous de constater et de suivre les changements qui interviennent, ces quartiers entiers qui se défont et se refont à une vitesse incroyable. Il faut avouer que l’on est parfois dubitatif sur ces nouvelles constructions qui poussent un peu par-tout, et dont la cohérence d’ensemble n’est pas toujours apparente au premier regard, et dont on se demande comment ils trouveront tous preneurs. Et pourtant, ce sont toujours de nouveaux travaux qui démarrent, et qui viennent bouleverser la physio-nomie de la ville. Contraste saisissant avec l’impression qui se dégage d’un Paris qui semble immuable (même si des évolutions existent).

Il faut également relever les travaux d’amélioration du cadre de vie qui sont en-trepris et qui conduisent progressivement à mettre, ou à remettre en valeur des pans entiers de l’urbanisme. Point n’est besoin de revenir sur la renaissance de Cheong-gyechon dont la notoriété génère des projets similaires dans bien d’autres villes co-réennes. Mais il est intéressant de constater à quel point la simple suppression d’un autopont vers Shinsegae redonne de la perspective et un sentiment d’espace retrouvé. Il faut voir l’îlot central de l’avenue de Gwanghamun où des piétons déambulent au milieu des nouveaux aménagements et se mêlent un soir d’été. Et reconnaître que la reconquête des bords de la Han au travers d’aménagements ambitieux redonnent à la rivière ses lettres de noblesse. Ce ne sont là bien sur que quelques exemples des multi-ples travaux et projets qui s’étudient et se réalisent.

Le véritable défi à venir sera d’arriver à mener ces nécessaires évolutions tout en conservant les traces de l’histoire et en maintenant d’une certaine manière l’âme des différents quartiers peut-être en recherchant à l’avenir un mode d’évolution plus par glissements successifs que par « big bang ».

J’ai trouvé d’ailleurs passionnante, et je recommande la lecture de la série d’ouvra-ges publiée par la ville de Séoul « Seoul through pictures » qui retrace en cinq tomes un peu plus d’un siècle d’histoire. Cette plongée dans le passé permet de réaliser le chemin parcouru en un laps de temps court et est émouvante car l’on y visualise la transformation spectaculaire d’endroits où l’on passe quotidiennement. Il y a en effet un véritable plaisir à identifier au fil de ces pérégrinations livresques et pédestres cer-tains éléments d’architecture (une façade, le dessin d’un carrefour, …) qui subsistent et assurent cette continuité de l’histoire de la ville.

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l’échelle mondiale, une tendance au vieillissement démographique s’est amor-cée sous l’effet conjugué de la baisse des taux de mortalité et de fécondité, comme en atteste un rapport des Nations Unies qui, l’année dernière, attribuait

à ce nouveau phénomène une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité, puisque d’ici à 2050, le nombre de personnes du troisième âge, c’est-à-dire ayant atteint ou dépassé soixante ans, sera supérieur à celui des enfants et adolescents de moins de quinze ans.

En Corée, l’évolution atteint un degré plus marqué encore que ces valeurs moyennes et quoique l’Office national des statistiques adopte un critère plus modéré en fixant le seuil du troisième âge à soixante-cinq ans, la proportion de ce dernier n’en demeure pas moins en constante progression, puisqu’elle est passée de 7,2 à 10,7 % entre les années 2000 et 2009. Au cours des neuf à venir, c’est-à-dire d’ici à 2018, ce chiffre devrait attein-dre 14,3 % et surpasser ainsi l’effectif des enfants et adolescents, de sorte qu’à l’horizon 2050, la Corée devrait conna tre la plus forte érosion démographique de tous les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

S’il va de soi qu’une telle évolution est très lourde de conséquences sur les plans économique et social, qu’en est-il de la manière dont elle est perçue par la population et des répercussions qu’elle entra ne sur leur vie quotidienne, en particulier, comment sa frange la plus âgée fait-elle face à ces mutations pour mieux préparer l’avenir ? À cet effet, il semble que l’instruction, qui occupe déjà une place prépondérante dans la vie du pays, pourrait ici encore avoir un rôle à jouer. Souvent désireuses d’échapper à l’oisiveté et mécontentes d’être considérées quantité négligeable, les personnes âgées anticipent sur l’avenir en s’initiant à de nouvelles activités de loisir ou professionnelles, voire tout bonnement, aux divers moyens qui s’offrent à elles de tirer le meilleur parti du reste de leur vie.

Il faut garder un esprit jeuneQuelque part à Nowon-gu, cet arrondissement du nord-est de Séoul, s’élève une

construction en brique à trois étages située non loin d’un ensemble résidentiel et, si une

En Corée, l’âge de soixante ans revêt toujours une grande importance, car il marque un véritable tournant vers une nou-velle existence, d’autant plus en ces temps de net vieillissement démographique où les personnes du troisième âge sont toujours plus nombreuses, beaucoup d’entre elles ne se contentant pas de mettre un terme à leur vie active et souhaitant soit acquérir de nouvelles connaissances, soit pratiquer des passe-temps dans le cadre de cette nouvelle étape qui com-mence pour eux.

Charles La Shure Professeur à l’ École d’interprétation et de traduction de l’Université Hankuk des études étrangères

Ahn Hong-beom Photographe

Vie quotidienne

La formation continue pour le troisième âge

1, 2 Dans l’arrondissement séoulien de Nowon, le Centre social du troisième âge propose une formation à l’informatique.

À

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plaque indique qu’il s’agit d’un Centre social du troisième âge, les personnes qui vont y suivre des cours quotidiennement ont coutume de l’appeler « l’école ». Madame Lee, la jeune femme qui y travaille aux côtés de trois collègues, nous apprend que trois ans après sa création en 1990, cet établissement a entrepris de dispenser des cours de formation et qu’aujourd’hui, il compte un effectif régulier d’une quinzaine d’« élèves » auquel s’ajoutent près de cinq cents personnes qui s’y sont occasionnellement ren-dues à un moment donné. De fait, les lieux tiennent beaucoup de l’établissement scolaire par ses salles de cours où viennent s’as-seoir certains élèves, tandis que d’autres pratiquent des activités concrètes telles que la danse ou les beaux-arts, et que d’autres encore s’adonnent à des divertissements ou à des sports comme le tennis de table ou le billard.

Dans l’une des plus petites salles, une vingtaine de femmes s’exercent à la calligraphie coréenne, telle cette dame du nom de Yun qui, à soixante-dix ans, vient de remporter un prix à un concours. « Cet art produit un effet apaisant, tout en procurant un agréable passe-temps », explique-t-elle, avant d’en conclure qu’il lui a permis de conserver un esprit jeune. Aux yeux de sa camara-de âgée de quatre-vingts ans, Madame Lee, le centre ne se limite

pas à un établissement d’enseignement. « Comme je ne vais jamais nulle part, c’est un autre chez-moi…» Si les élèves, sans aucune exception, font preuve d’une extrême modestie quant à leur ma trise de cette activité, leurs réalisations sont véritable-ment magnifiques et leur inspirent une grande satisfaction qui est visible dans leur façon de manier le pinceau.

Dans la salle suivante, un groupe effectue des mouvements dans le cadre d’une initiation à la danse moderne et démontre ainsi que les seniors peuvent aussi rester jeunes de corps. Quoi-que les cours du centre soient principalement destinés à ces apprenants, ils sont aussi l’occasion de nombreux échanges avec des jeunes et des enfants, à commencer par cette formation à l’art des marionnettes qui permet à des personnes âgées, en vue de représentations, de fabriquer elles-mêmes ces figurines, de créer des scénarios et de les mettre en scène à l’intention des petits spectateurs des écoles maternelles ou d’autres établisse-ments. Le centre dispense aussi de nombreux cours de musique au terme desquels les élèves sont chaque année en mesure de donner un concert ouvert au public. Tout en reconnaissant que le vieillissement démographique pose d’importants problèmes, Madame Lee n’en demeure pas moins optimiste : « Les généra-

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Au Centre social du troisième âge de Nowon, le succès de la calligraphie ne se dément pas.

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En tant que fonctionnaire, Monsieur Jeong a souvent eu à se servir d’ordinateurs, ce qui n’a plus été le cas après son départ en retraite, comme il le confie : « Au bout de cinq ans à peine, je ne savais déjà plus rien dans ce domaine. Alors, j’ai décidé d’agir pour ne pas me laisser aller davantage et c’est ainsi que je me suis inscrit à ce cours », et d’ajouter qu’il s’essaie d’ailleurs à son nouveau savoir-faire en réalisant le traitement d’une photographie numérique de sa petite-fille.

tions précédentes disposent d’un avantage par leur meilleure for-mation et leur situation économique plus stable, ce qui les amène à être beaucoup plus exigeantes et dynamiques », et d’ajouter : « Je suis persuadée qu’ils représentent un énorme potentiel par ce qu’ils peuvent apporter à la vie du pays ».

À preuve, cet autre centre social du troisième âge, situé celui-là au centre de la capitale, qui propose des formations visant à l’acquisition de nouvelles compétences en vue de leur diffusion. Cet établissement est ainsi pourvu d’un studio d’enregistrement radiophonique où les élèves apprennent à réaliser des émissions et, si la diffusion de celles-ci n’est actuellement possible qu’en interne, le centre projette de solliciter l’attribution d’une fréquen-ce qui permette à ses émissions d’être captées dans l’ensemble de son quartier. Lors de sa troisième édition qui se déroulera au début du mois d’octobre prochain, le Festival coréen du film du troisième âge rassemblera des réalisateurs de talent jeunes et moins jeunes, les seconds, en raison de l’intérêt qu’ils éprouvent pour les questions liées au vieillissement de la population, et les premiers pour apporter le témoignage de leur vécu personnel.

Un retour à la vie active S’ils visent ainsi à un enrichissement personnel et collectif

par ces activités, les seniors y voient aussi un moyen de réinser-tion dans la vie active et à cet effet, le Centre social du troisième âge de Séoul s’est doté du Centre de formation Goldenjob adja-cent, lequel figure parmi les nombreux établissements ayant aujourd’hui cette vocation. Dans le cadre de cycles annuels, ce centre forme les seniors en vue de la recherche d’un emploi, en leur apprenant notamment comment rédiger son curriculum vitae et se préparer à un entretien d’embauche, mais aussi en leur dis-pensant une formation spécialisée. Un module de deux journées pleines consacré au métier de gardien d’immeuble est assuré par des professionnels qui transmettent les enseignements de leur expérience et les connaissances à posséder, comme ce gérant d’immeuble qui présente les différents équipements et produits chimiques dont il est fait usage. Cet intervenant précise que, s’agissant pourtant d’une profession spécialisée, la plupart des personnes désireuses de l’exercer ne disposent d’aucune formation dans ce domaine. « À 99,99 %, les demandeurs qui se présentent en ignorent tout, mais sont pleins de bonne volonté et consciencieux, car motivés. »

Ce jour-là, parmi la trentaine de participants, hommes et fem-mes confondus, qui suivaient le cours avec grand intérêt, se trou-vait un Monsieur Kim âgé de soixante-quatre ans, qui a occupé un poste de direction chez un constructeur automobile avant de partir en retraite et estime lui aussi indispensable de se recycler avant d’assumer une nouvelle profession. « Tout métier exige un cer-tain niveau de spécialisation. Pour ma part, je n’imagine pas que celui-ci est facile et qu’il me suffira de balayer ou de nettoyer », affirme-t-il. « En m’initiant au ménage et à l’entretien, je me rendrai la tâche plus facile au moment de l’exercer, de sorte que cette formation sera tout aussi bénéfique à mon employeur qu’à moi-même. »

Ce retour à la vie active, voulu par les seniors pour des raisons personnelles, mais aussi en vue d’apporter leur participation à la vie du pays, peut prendre des formes très variées. Au Centre social du troisième âge de l’arrondissement de Seodaemun-gu, qui se situe dans l’ouest de la capitale, le Club des guides de randonnée en forêt assure depuis 2004 une formation dans ce domaine. Ce métier consiste non seulement à guider les visiteurs en montagne, mais aussi à leur transmettre leur connaissance approfondie de l’écologie régionale, de sorte que toute excur-sion se double d’enrichissantes découvertes. Monsieur Kang, ce responsable d’équipe âgé de quatre-vingt-trois ans, souligne l’importance d’un tel métier : « Ces sorties rendent les enfants conscients de l’importance de la nature et de la vie, en leur per-mettant de découvrir celle-ci sous toutes ses formes. Un guide expérimenté doit être en mesure de parler non seulement de son expérience, mais aussi des différentes espèces de fleurs et arbres qui peuplent la forêt et de présenter leurs fonctions dans l’éco-système afin de faire bénéficier les randonneurs de ses connais-sances en écologie et sur le milieu forestier ». Il précise en outre : « Je vis dans cette région, alors, pour son avenir, j’apprécie beau-coup de pouvoir contribuer à la protection des ressources natu-relles. Je me fixe donc pour objectif de faire conna tre la nature à mes descendants, pour qu’ils prennent conscience de son impor-tance ». Voilà l’un des moyens qui s’offrent, parmi tant d’autres, aux personnes du troisième âges désireuses de faire profiter autrui de leur longue expérience et sur tout le territoire, les col-lectivités locales offrent à celles-ci un emploi de guide culturel qui permet de tirer parti de leur savoir-faire et de la bonne connais-sance de leur région.

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Les perspectives d’avenirToutefois, une réinsertion dans la vie active répond avant

tout à des préoccupations liées à l’avenir de ces seniors moins aptes à s’adapter aux évolutions sociales, culturelles et tech-nologiques que les jeunes, plus prompts à s’en accommoder. Face à ce constat, nombre d’entre eux s’efforcent d’acquérir de nouvelles compétences susceptibles de faciliter et d’améliorer leur vie, en particulier le maniement d’un ordinateur. Tous les centres sociaux qui existent à leur intention proposent des cours d’initiation très appréciés dans ce domaine et celui de Nowon n’y fait pas exception en enseignant les rudiments aujourd’hui indis-pensables à tout utilisateur de ces équipements. Madame Jo, une dame de soixante-quatorze ans, y a appris comment écrire des courriels à ses enfants et petits-enfants qui vivent aux États-Unis et entreprend maintenant de se former à la navigation sur internet. Quant à Monsieur Jeong, de onze ans sont cadet, voilà longtemps qu’il attendait de pouvoir suivre cette formation : « Ce n’est pas facile de trouver de la place dans ce cours », confie-t-il, « car il a beaucoup de succès, alors on procède par tirage au sort et seuls les heureux élus peuvent y assister. » En tant que fonc-tionnaire, Monsieur Jeong a souvent eu à se servir d’ordinateurs, ce qui n’a plus été le cas après son départ en retraite, comme il le confie : « Au bout de cinq ans à peine, je ne savais déjà plus rien dans ce domaine. Alors, j’ai décidé d’agir pour ne pas me laisser aller davantage et c’est ainsi que je me suis inscrit à ce cours », et d’ajouter qu’il s’essaie d’ailleurs à son nouveau savoir-faire en réalisant le traitement d’une photographie numérique de sa peti-te-fille.

Cependant, il ne suffit pas de ma triser l’informatique, sur-tout si l’on est un homme, pour vivre aujourd’hui dans un pays où l’apprentissage de la cuisine était autrefois réservé aux femmes et, même si un changement s’amorce dans ce domaine chez les jeunes générations, bien des seniors de sexe masculin n’ont

jamais eu la possibilité de s’initier à ses rudiments. C’est pour y remédier que des cours sont dispensés à leur intention dans l’arrondissement de Seongbuk-gu, qui se situe lui aussi à Séoul. Parfois, les circonstances font que ces hommes doivent à leur tour prendre soin de leurs épouses, après que celles-ci leur ont consacré le plus clair de leur existence. Néanmoins, il en est aussi qui cherchent tout bonnement, par cette formation, à manifes-ter autrement leur affection aux leurs, à l’instar de Monsieur Gu qui, à soixante-dix ans, déclare ainsi : « Toute ma vie, je me suis contenté de manger la cuisine que faisait ma femme ou celle du restaurant, alors je me suis dit qu’il serait bon que je m’y mette moi aussi pour ma famille. »

Tout en s’efforçant d’acquérir diverses compétences, les personnes âgées entendent aussi profiter autant que possible de la vie et pour ce faire, souhaitent vivement entretenir leur santé. C’est pour répondre à cette préoccupation que les centres sociaux qui leur sont réservés, tels ceux de Nowon et Séoul, sont équipés d’installations sportives qui permettent à ceux qui les fréquentent de rester en forme et de pouvoir vivre une existence longue et bien remplie sans compromettre leur santé.

D’après l’Organisation des Nations unies, les personnes âgées représentent une proportion plus importante que jamais de la population mondiale et, selon toute vraisemblance, cette tendance n’est pas appelée à s’inverser à l’avenir, puisqu’elle la qualifiait même d’« irréversible » dans le rapport qu’elle a rendu public l’année dernière. Elle ajoutait, par ailleurs, que « la popula-tion jeune, particulièrement importante voilà encore peu, ne fera qu’aller en diminuant durant le siècle présent. » En s’employant à prolonger leur vie et à s’épanouir, les vieilles générations n’agis-sent donc pas seulement pour elles seules car, ce faisant, elles indiquent la voie à suivre à celles qui atteindront plus tard le troi-sième âge et font ainsi œuvre de pionnières.

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Les personnes ayant subi une formation de guide de randonnée en forêt ont plaisir à faire profiter les visiteurs de leurs connaissances.

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Lee Seung-U

A p e r ç u d e l a l i t t é r a t u r e c o r é e n n e

C’est en 1981, alors qu’il est un étudiant en théologie âgé de vingt-deux ans, que Lee Seung-u se

tourne vers le roman pour sonder les profondeurs de la vie mondaine selon une démarche méta-

physique qui s’inspire de sa foi chrétienne, comme dans son ouvrage intitulé La Vie rêvée des plan-

tes, que publieront les éditions Gallimard dans leur collection Folio, tandis que la nouvelle Le récit

d’un liseur (2006) prend place au sein d’un recueil intitulé Mon vieux journal.

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critique

Lee Seung-u entame sa carrière par la publication du Portrait d’Erysichton où il aborde les thèmes reli-gieux de Dieu, de la violence et du péché originel, auxquels viendront plus tard s’ajouter, dans le cadre

d’autres romans et nouvelles, ceux du salut, de la faute et d’autres thèmes métaphysiques qui préoccupent toujours l’homme contemporain. La lecture de L’envers de la vie (1992), l’un de ses plus célèbres romans, révèle tout particulièrement l’importante dimension métaphysique de son œuvre car, pour Lee Seung-u, la création romanesque, voire l’écriture dans son ensemble, ne se résume pas à un acte littéraire, mais pro-cède d’une réflexion sur les questions existentielles que se pose l’homme moderne. Dans cette optique, Le récit d’un liseur, en construisant son intrigue autour du personnage de ces liseurs des rues qui sillonnaient la Corée de Joseon (1392-1910), envisage les actes de narration ou de conversation comme un prolonge-ment de la création littéraire ou de toute forme d’écriture et renvoie ainsi le lecteur à une introspection d’une portée universelle.

Cette œuvre a pour principal personnage un homme qui, s’il n’avait fait l’objet d’un licenciement pour cause économique, aurait mené une existence sans histoire, comme il y en a tant, de celles qui ne réservent aucune place à la lecture d’œuvres de fiction, et moins encore à leur composition ou à la réflexion sur des thèmes existentiels. La solitude et l’isolement dans lesquels il se trouve confiné pendant plus d’une année, suite à cette perte d’emploi, s’avéreront-elles ou non bénéfiques ? S’il n’est guère aisé, le plus souvent, de faire face à une telle situation, celle-ci ne saurait être tout à fait préjudiciable dans la mesure où elle renvoie toujours à la même évidence, à savoir que l’homme moderne, s’il a beau s’enfermer et s’isoler, n’en éprouve pas moins vivement ce besoin de communiquer qu’il s’efforce pourtant de dissimuler, de même que sa soli-tude.

Préoccupée par la durée de son désœuvrement, son épouse crée une agence dénommée « Les liseurs de Séoul au XXIe siècle », à laquelle s’inscrivent, par le biais d’internet, des personnes désireuses de béné-ficier des prestations de liseurs à domicile. Lorsque son épouse le sollicite pour remplacer au pied levé l’un de ces professionnels souffrant auprès d’un vieil homme, le protagoniste y consent, sans toutefois espérer quoi que ce soit de particulier de cette suppléance, d’autant que ce client au visage marqué semble, à en juger par son regard inexpressif, des plus indifférents au monde qui l’entoure. En ce cas, qu’attend donc ce vieillard au bord du coma de la lecture de récits ?

Le protagoniste surmonte cependant ses réticences et entreprend de lui lire De la vie, de Léon Tolstoï, sans que le vieillard ne se départe de son indifférence, de sorte qu’il lui est impossible de savoir s’il l’en-tend ou non. Lassé par un manque d’intérêt aussi manifeste, le liseur perd toute envie de poursuivre ses vains efforts de s’adresser à lui, d’autant que cette déplaisante situation lui rappelle les difficiles moments qu’il a vécus dans son entreprise. Il comprend alors que la solitude dont il souffrait ne résultait pas de son désœuvrement, car elle est inhérente à la condition humaine, et que cette vérité lui avait échappé dans sa futile course aux plaisirs matériels. Afin de rompre son isolement, il va alors délaisser les livres et conter au vieillard des anecdotes qu’il tire de son expérience personnelle.

Yi Soo-hyung Professeur et chercheur à l’Université nationale de Séoul

Le destin d’un liseur

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« N’avais-je pas, dernièrement, commencé à narrer des récits au gré de ma fantaisie, sans prendre en considération les préférences ou états d’esprit de ce vieillard, qui demeurait tout de même le client au servi-ce duquel j’avais été supposément engagé ? Tandis que je dévoilais sans retenue des épisodes de ma vie pri-vée, il me semblait même que sa présence avait pour objet de m’assurer une écoute, et non que la mienne soit requise pour lui fournir un locuteur. Si je tirais plus d’avantages de cette expression que l’audition ne lui en apportait, dans quel sens notre lien de dépendance s’exerçait-il alors, car enfin, la faculté de « parole » n’était-elle pas, plus que celle de l’« écoute », l’apanage du genre humain ? »

Dans Le récit d’un liseur, la narration se fait ainsi conversation, par les épisodes réels qu’elle partage avec ce vieil homme et, par-delà, avec le lecteur. Le protagoniste évoque les circonstances de son licencie-ment, le traumatisme que celui-ci lui a occasionné et les conditions dans lesquelles il est entré en contact avec son client, mais au-delà de l’aspect purement factuel et finalement insignifiant de cette narration, s’im-pose à lui l’idée beaucoup plus importante que, s’il ne s’était pas trouvé en pareil cas et, de ce fait, enclin aux confidences, personne n’aurait eu connaissance de ce qui lui était arrivé.

Par la suite, il s’avérera que le vieillard, qui écoutait en silence les récits du protagoniste, éprouvait en fait des sentiments analogues car, des dizaines d’années auparavant, il avait été mêlé à certaines péripé-ties politiques, comme il s’en produisait souvent dans ces années soixante-dix et quatre-vingts où le pays s’avançait à grand-peine sur la voie tortueuse qui mène à la démocratie. Voilà que ce vieil homme rompt trente longues années de silence pour entamer, à son tour, le récit de faits le concernant, de sorte qu’il semble n’avoir prêté l’oreille au liseur que parce que ses récits lui permettaient de mieux supporter le silen-ce qui lui avait été imposé, puisque ceux-ci peuvent s’appliquer à tout un chacun, y compris à lui-même.

Après trois décennies de mutisme, il en vient enfin à s’exprimer sur sa personne, à l’annonce du décès de l’homme qui lui avait promis de lui rendre son honorabilité moyennant qu’il se taise jusqu’à plus ample contact. Le protagoniste en est réduit au constat suivant : « Nul ne saurait oublier que, dans les profondeurs de nos vies, circulent constamment de longues et incroyables histoires, tout aussi sombres que tumultueu-ses, qui demeurent insoupçonnables tant qu’elles ne nous ont pas été contées ». Comme dans le cas du vieillard ou du protagoniste, l’existence humaine est ponctuée d’affligeants épisodes dont nul ne prendrait connaissance si n’étaient pas contées ces histoires qui ne demandent qu’à l’être. En ce cas, la narration, qu’elle soit orale ou se déroule dans le cadre d’un roman, ne relèverait-elle pas d’un désir de partager ces récits avec autrui, car sinon, quel autre objectif poursuivrait-elle ? En réalité, elle n’a pas tant pour vocation d’atteindre un but particulier que de parvenir à la connaissance de soi et de l’autre, qui en éprouve aussi le besoin. La vie tout entière ne se définit-elle pas par ces mécanismes de découverte et compréhension mutuelles, qui constituent un but en soi, sans en rechercher aucun autre, et ne serions-nous pas, d’une certaine manière, tous voués à nous transformer en liseurs, parmi lesquels ceux que satisferait un tel destin seraient les plus aptes à être romanciers ?

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