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5/16/2018 l Esprit Du Temps Chap 1 Dossier Espace Public Et Diffusion Culturelle - slidepdf.com
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Astrid Bell Licence 2
Estelle Bury Culture et Médias
Caroline Gourraud
Caroline Magnoux
Pauline Viou
TD ESPACES PUBLICS ET DIFFUSION CULTURELLE
Dossier de lecture sur le texte d’Edgar Morin : L’ESPRIT DU TEMPS
Chapitre 1 : Un tiers-problème
Edgar Morin fait figure de précurseur : de nos jours L’Esprit du temps n’a jamais eu autant
de résonnance, il livre les clés pour penser notre présent et nous offrir un avenir. Pourtant le livre est
rejeté par ses pairs lorsqu’il paraît en 1962, et mis à l’index car il s’interroge sur l’universalité potentielle des œuvres issues de la culture de masse. Les tenants de la sociologie dominante
considéraient que les goûts et les dégoûts esthétiques étaient dépendants de la classe où catégorie
sociale. Depuis le mépris global de la culture "cultivée" pour les œuvres médiatiques s’est quelque
peu atténué. Edgar Morin déclara lors d’une réédition de son livre en 1976 "qu’il n’y aurait rien à y
retrancher -mais beaucoup à y ajouter". Il est donc grand temps de relire cet ouvrage pionnier pour
décrypter l’esprit de notre temps où les frontières culturelles ont volées en éclats, et d'étudier le
point de vue de Morin sur les grandes questions que soulève la culture de masse. Nous allons donc
nous intéresser plus particulièrement au premier chapitre de L'Esprit du temps.
Nous commencerons cette étude en résumant l'essentiel de ce premier chapitre, et en
exposant les grandes idées qui se dégagent de la pensée de Morin. Nous élargirons ensuite le débat
en étudiant certains auteurs critiques de la culture de masse, afin de les mettre en relation avec ceque dis l'auteur.
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La culture chez Morin : entre masses et "cultivés"
Résumé du texte
Dans l' Esprit du temps, Edgar Morin livre une étude sur la culture de masse et questionne
ses valeurs. Le premier chapitre que nous allons étudier prépare la lecture du reste de l'essai. Ce
chapitre peut se découper en trois grandes parties.
La première partie : la pause d'un problème, et son identification. L'idée d'un problème
apparaît tout d'abord dès le titre du chapitre : "Un tiers problème". Un tel titre pour ouvrir le livre
pause des questions au lecteur. Le mot "tiers" y apparaît comme si on avait déjà évoquer deux autres
problèmes avant. Dès les premières lignes la colonisation de l' Afrique et la domination de Asie
sont évoquées et le "tiers" de "tiers problème" semble donc renvoyer à Tiers Monde. Après cette
métaphore du problème l'auteur pause son contexte : au début du XXème siècle, la puissance
industrielle se développe sur toute la planète. La métaphore continue alors que l'auteur évoque cette
industrialisation comme deuxième colonisation. L'âme humaine, (puis l'esprit) est ici comparée à
une Afrique colonisée, cette métaphore à connotation négative continue sur le thème de "tiers
problème"; il y a donc une idée d'envahissement de l'industrialisation et de la culture de masse.Par quels moyens la puissance industrielle colonise-t-elle les hommes et la société ? La
réponse de l' auteur est la marchandisation de la culture. Il précise quand même : si les
marchandises culturelles existaient déjà en petit nombre pour permettre une diffusion de la culture,
le problème des sociétés industrialisées est que la culture entre trop profondément dans le système
marchand et de reproduction technique. La technique entre dans le domaine "intérieur" (privé) de
l'homme est y incruste des marchandises. C'est ce problème nouveau qui émerge avec les sociétés
industrielles car ce sont elles qui possèdent les moyens de production, de diffusion les plus évolués
et qui donnent lieu à de nouvelles formes de culture issues de la "culture de masse". L'auteur la
qualifie aussi de "tierce culture". On retrouve ici la métaphore filée, cette idée de tiers culture
rappelle l'expression Tiers Etat, qui renvoye à la classe la plus pauvre du Moyen Age. La culture de
masse est donc indirectement comparé à une culture pauvre, à la culture du peuple. La culture est produite par des moyens industriels et diffusée par des techniques de diffusion en masse. Pour
identifier davantage ce problème et l'expliquer, l'auteur donne la définition de cette tierce-
culture/culture de masse.
Pour lui la culture masse est l'équivalent culturelle de la société industrielle. C'est la société
industrielle qui engendre la culture de masse. Mais la culture des sociétés modernes ne se limite pas
à la seule culture de masse. En effet, la culture est une notion trop vaste pour se limiter à cela,
Morin développe ce point en donnant une définition de la Culture. Il souligne que la "Culture" varie
selon les époques, une culture n'est pas fixe ou définie, elle évolue. Elle se nourrit de nouveaux
éléments en permanence. Une culture rassemble des personnes qui s'y identifient car elle fournit des
modèles de vie, des repères, normes et valeurs propres à un individu et lui permet de se forger une personnalité par rapport à cela. Toutefois, la personnalité d'un individu ne se forme pas seulement
grâce à sa culture mais au cumul ou à la confrontation de plusieurs identités culturelles différentes.
Les individus sont confrontés à différentes cultures qui leur donnent différentes identités. Par
exemple : la culture nationale : (passé commun, identification à une figure connue), religieuse, et
culture humaniste (savoir, sensibilité, autre formes d'éducation). La culture de masse a comme les
autres cultures des symboles, des pratiques, des connaissances et des références qui permettent de
s'y identifier. Mais elle s'inspire aussi d'éléments de cultures "voisines" comme la culture nationale,
religieuse, et humaniste et entre ainsi en concurrence avec ces cultures. Elle est "mal-vue" pour
cela d'après Morin. Malgré la concurrence entre les cultures, ce sont les interactions entre elles qui
enrichissent la culture principale des hommes. La Culture avec un grand C est donc culture
polyculturelle. La culture de masse ne peut pas se passer des autres cultures (nationale, religieuse ethumaniste), les cultures s'influencent les unes les autres. La culture de masse n'est donc pas selon
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Morin la seule culture du XXème siècle , mais elle en devient la plus intéressante car la plus
répandue.
Le sujet ayant était pausé, dans la seconde partie du texte Morin met en opposition la culture
de masse à ses détracteurs principaux . Elle est peut-être la première culture universelle mais il faut
prendre en compte l'idée qu'il existe une barrière à cette culture : les intellectuels cultivés.
Ces "cultivés" seraient le résultat de la classe issue de l'ancienne aristocratie, une classe où laculture de masse n'a pas sa place. A vrai dire, la culture de masse n'est ni bien vue par les
intellectuels ni par les autres sortes de cultures adjacentes; pour les humanistes, elle représente un
rabais de la culture, pour les républicains un loisir qui touche les classes populaires, puis pour les
gauchistes un moyen fourbe de détourner les populations des problèmes de la société dans lesquels
ils sont plongés. On passe d'une pensée marxiste (le travail prime) à une pensée où le divertissement
et la "fausse culture" (car surfaite) sont désormais au centre de la société de consommation. Morin
remarque que tous les types d'intellectuels, qu'ils soient de gauche ou de droite, méprisent la culture
de masse, ils la définissent comme "kitsch".
Il y a une réelle rupture entre cette culture cultivée et la culture de masse. Cette dernière ne
trouve pas ses origines au milieu des classes sociales élevées mais bien chez les classes populaires :
forains, "comédiens ratés", etc. Les intellectuels se trouvent donc dépourvus d'un rôle majeur dans
leur propre société, rôle dynamique de la culture en soi. Ils disent de la culture de masse qu'elle est
une culture bafouée au profit du progrès technique, de la dimension mercantile de la société, société
de consommation qui plus est. Toutefois, si les cultivés rabaissent à ce point la culture de masse, ils
ne peuvent s'empêcher d'en faire partie. C'est pourquoi leur place dans les enjeux de
l'industrialisation de la culture est assez paradoxale, car ils refusent de voir leur notion de "culture",
en tant que création artistique pure et désintéressée, devenir un écrou de plus dans la mécanique
capitaliste de leur société. La rupture qui s'opère entre les intellectuels cultivés et les acteurs de
l'industrialisation culturelle vient du fait qu'il existe une culture "cultivée", en opposition à la culture
de masse. La première dépend d'un jugement, de l'Art et des sensibilités esthétiques, alors que la
deuxième est indépendante à tout jugement de valeur, il n'existe pas de prédispositions à avoir pour se divertir, il y a une sorte de vulgarisation de la culture.
Morin, après avoir dégagé l'idée qu'il existe une césure entre ces deux classes
(cultivées/populaires) propose de nuancer la vision de ces intellectuels. Il questionne le lecteur à
propos du caractère usé et ancien des valeurs des intellectuels, qui trouveraient en l'art et la culture
l'occasion d'imposer leur richesse et d'en tirer une notoriété alors superficielle. Dans ce cas là, ne
faut il pas voir en la culture de masse une "innovation" que les classes intellectuelles ne peuvent
juste pas comprendre, ni apprécier, tant elles s'accrochént à leurs vieilles habitudes ? Une transition
s'effectue dans le texte de Morin à ce moment là car il trouve des ressemblances et des associations
entre la culture populaire de masse et la culture cultivée des intellectuels. En effet, elles sont toutes
deux "vulgaires", en ce sens qu'elles s'attribuent des manières et des habitudes, tout en continuant à
se critiquer mutuellement sur celles-ci. Elles n'ont pas de jugement extérieur sur leurs propresagissements, mimiques superficielles et tomberaient dans une sorte de ridicule inhibé; c'est ce que
l'auteur tend à expliciter grâce au parallèle avec le Kitsch.
La problématique principale du texte tient en ce que l'auteur cherche à re-situer les choses,
cherche un pied d'égalité. C'est pourquoi il annonce une étude de la culture d'un point de vue
critique.
Il ne s'agit pas d'étudier une culture de masse que l'on juge en dehors de nous, car sa définition est
encore trop floue pour qu'on se permette de s'en exclure. Ainsi, pour comprendre et faire une étude
sociale de la culture de masse, il faut de prime abord s'intéresser à celle qui s'y oppose, la culture
cultivée. Il va plus loin en assurant qu'il faut même se pencher d'avantages sur l'aspect général de la
société, qui englobe toutes les différentes cultures évoquées. Dans la dernière partie du texte permet
donc à Morin d’expliquer la méthode qu’il a utilisé dans ses recherches : la méthode de la totalité.Elle inclut la méthode auto-critique c'est à dire que L'auteur ne se laisse pas emporter par ses
propres opinions sur le sujet. Cela permet d’envisager le phénomène dans sa totalité, avec ses
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interdépendances, et surtout en évitant que le chercheur soit coupé de sa recherche. En effet Morin
veut que l’observateur participe à ce qu’il observe, ainsi l’observateur doit être inclu dans la culture
de masse et y prendre un certain plaisir, il doit se mélanger aux autres car pour lui il n’est pas
objectif de ne pas intégrer l’observateur dans l’observation.
Définition des concepts
Rappelons tout d'abord que l'auteur aborde le concept de culture au sens d'un ensemble
d'images, de normes, de connaissances, qui orientent la vie humaine, qui nourrissent à la fois nos
pratiques et notre imaginaire, et qui régissent autant nos rapports sociaux que notre vie privée.
D'après lui, l'émergence de la culture de masse est en lien avec le développement de
l'industrialisation. Il l'a présente comme quelque chose de nouveau en ce sens qu'elle est produite et
diffusée massivement par les industries culturelles, notamment via les médias. Le propre de cette
culture est donc qu'elle est faite pour plaire et être consommée. C'est un produit mercantile, fabriqué
pour susciter un désir de consommation, pour être divertissant et plaire au plus grand public
possible. Elle est produite en masse, et faite pour s'adresser aux individus en tant que masse, sans
aucune distinction liée aux structures sociales préexistantes. Le journal télévisé du soir par exemple
est une grande industrie culturelle qui doit séduire et être compréhensible pour tous les milieuxsociaux.
La culture de masse s'inscrit dans le domaine privée puisque ces nouveaux produits culturels
(Musique, télévision, radio) peuvent être consommés chez soi. Elle est liée à la vie quotidienne. Elle
oriente le loisir, pas seulement les sports, les jeux ou les vacances, mais la vie privée que l'on joue
hors de notre cadre de travail monotone (usine, bureau). Morin nous dit que dans toute culture il
existe une double fonction : elle permet à la fois la projection (les héros des romans ou films qui
réalisent ce que l'on ne peut pas faire dans la vie) et l'identification (le héros devient un modèle qui
peut nous inspirer). La culture est ainsi un échappatoire à la réalité, à notre condition mortelle. Les
deux fonctions se combinent au cinéma. Le cinéma oriente l'accomplissement de la vie privée,
donne des modèles de vie, de bonheur. La radio à un pouvoir d'envoutement très fort, qui mène à
une perte de lucidité. Cependant il existe un effet boomerang : on a tendance à refuser l'information
qui ne nous convient pas et à résister au bourrage de crâne. Morin considère que la culture de masse
est divertissante, mais pas abrutissante, que les individus choisissent d'y adhèrer. Les médias n'ont
pas le pouvoir d'influencer notre pensée, car nous n'acceptons que ce qui va dans notre sens, ce pour
quoi nous avons des prédispositions, nous ne sommes pas des "cires molles" qui recevons les choses
sans réagir.
La culture de masse remet en cause le monde de l'art : l'apparition de techniques industrielles
de production des oeuvres met en place un système de consommation de ces oeuvres (cinéma,
musique ..). L'art devient un produit mercantile, au même titre que les productions industrielles : la
société devient éclectique, des oeuvres de goût, produits artistiques, sont mis au même plan que les
produits de la culture populaire. Il n'existe plus de hiérarchisation des oeuvres. On peut citer l'exemple des grands auteurs classiques qui sont réédités en édition de poche, à prix minime et
accessible à tous. On assiste à une démocratisation de la culture "classique", et de l'art.
La culture de masse s'imprègne, s'ajoute aux cultures religieuse (liée à l'éducation
religieuse), nationale (éducation scolaire, apprentissage de l'histoire d'un pays et de la citoyenneté),
et humaniste (savoir lié aux oeuvres littéraires), qui lui précèdent et sont imposées par la société car
directement liées à l'éducation : ce sont en quelque sorte des cultures intégrées. La culture de masse
crée ses propres normes mais s'inspire aussi de ces cultures préexistantes, et inversement. Morin
nous dit qu'en tant qu'individus polyculturels, nous avons la possibilité d'adhèrer à plusieures
formes de cultures (on peut assister à la messe et lire France Soir en rentrant chez soi). Mais la
culture de masse est la seule qui s'impose à tous par son caractère omniprésent et divertissant, ainsi
l'auteur la considère comme "la première culture universelle de l'histoire de l'humanité".Morin met en opposition ce qu'il nomme la culture "cultivée", c'est à dire la culture des
intellectuels, ayant une conception valorisante et aristocratique de la culture, à la culture de masse.
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Les membres de cette culture "cultivée" se voient comme des esthètes. Ils rejettent la culture de
masse car c'est une nouveauté qui sert les enjeux de l'impérialisme du capital et qu'elle forme une
société où règne le profit. Ils refusent que l'art deviennnent un produit de consommation, une valeur
marchande, et considèrent la culture de masse comme une "camelotte culturelle", en quelque sorte
une culture appauvrie, une fausse culture, vécue comme une aliénation. Ils critiquent également le
désir de la masse de se divertir.
Ces "cultivés" blâment la culture de masse parce qu'ils ne trouvent pas leur place "dans un mondeculturel où la création est désacralisée". La notion d'auteur ou de créateur est mise entre
parenthèses, l'auteur est dépossédé de son oeuvre, mise au service de la masse. Certains se font
employés par les industries culturelles (revues littéraires, critiques culturelles, bureaux de création,
cinéma) qui ont besoin d'eux pour fabriquer et diffuser ces produits culturels de masse, mais ils ne
sont pas libres, leurs oeuvres doivent répondrent aux attentes et aux normes de la masse.
Paradoxalement ce sont donc ces intellectuels qui sont les principaux acteurs de la culture de masse.
Autres études sur la culture de masse
L’Histoire culturelle aborde la culture de masse comme éclectique et homogènisante : son
épanouissement s’explique par le désir des masses de se divertir. Euphorie des salles de spectacles :
les théâtres, cabarets, cinémas, music-hall, cafés-concerts font fureur. Le sport se démocratise et
gagne les couches populaires, les terrains de foot et gymnases s’installent en banlieue. Le tennis ne
reste cependant accessible qu’à une minorité favorisée. Le sport conquiert aussi ses lettres de
noblesse comme spectacle populaire. Les manifestations en tous genres abondent sur le territoire :
les meetings d’aviation, le tour de France cycliste, les matchs de football voient les foules
s’agglutiner. Les combats de boxe se donnent désormais à voir sur le petit écran, depuis son salon.
C’est une évolution socio-culturelle majeure.La culture de masse s’est développée via de nouveaux modes de communication
révolutionnaires (télévision, radio, affiches publicitaires, livres de poche) qui contaminent l’espace
urbain et s’intègrent désormais dans tous les foyers. La multiplication des postes de radio est un
bouleversement notoire : relation étroite qui se noue avec les français et leur poste de radio,
désormais intégré à la sphère domestique. Mais l’écoute de la radio se fait aussi collectivement,
dans les cafés. La radio rythme donc non seulement l’espace mais aussi le temps du foyer. Pour la
télévision, l’invention du concept de grille de programme permet de fidéliser les auditeurs. La
journée est structurée autour d’émissions qui se reproduisent quotidiennement et de rendez-vous
radiophoniques. L’emploi de son temps-libre devient hiéarchisé. La multiplication des images
change le paysage : les affiches promeuvent les vedettes de cabaret, music-hall ainsi que de
mythiques personnages de publicités comme le bibendum de Michelin, vantant les mérites du pneumatique. La presse relaie cette américanisation massive du modèle culturel, mais est
dorénavant concurrencée par la radio, tandis que le cinéma, la bande-dessinée ou la musique (âge
d’or de la chanson française) se constituent comme des lieux de résistances.
L’élite intellectuelle méprise cet envahissement culturel américain, qui empiète sur la
production européenne et représente une menace, notamment pour les enfants : La bande-dessinée
hebdomadaire très dynamique " le journal de Mickey ", symbole de l’impérialisme culturel
d’Hollywood par excellence, est jugée trop violente et dégradante pour les mœurs. Elle est interdite
sur le territoire, au profit d’auteurs prolifiques français et belges : ainsi ce sera le règne de Tintin,
Black et Mortimer, Spirou et Fantasio, Alix, qui peupleront les imaginaires de milliers d’écoliers
durant une vingtaine d’années.
La masse est le centre des interrogations des grands penseurs du Xxème siècle. Bon nombre deréfractaires ayant vivement critiqué cette culture de masse étaient issus de la pensée allemande;
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nous allons donc étudier les propos de ces sociologues et philosophes germanistes en détail, afin de
voir si leurs opinions diffèrent de celle de Morin.
La décadence de la Culture selon Nietzsche
Le philosophe Friedrich Wilhelm Nietzsche est sans doute le premier à s'être penché sur le
sujet de la culture de masse. Etant l'un des grands critiques et théoriciens de la modernité, il est àl'origine de l'une des premières critiques soutenues de la culture et de la société de masse qui ont
profondément influencer les discours ultérieurs de la modernité. Tout au long de ses œuvres,
Nietzsche considère la culture comme un élément central de la vie humaine. Pour lui une culture
forte et vigoureuse crée une société d' individus distingués, créatifs et puissants, alors qu'une culture
faible crée des êtres inférieurs et « médiocres ». Il commence sa critique de la culture de masse dans
ses premiers écrits, où il insiste sur le grand contraste entre une culture grecque, forte et
vigoureuse, et une culture allemande qui devient de plus en plus banale. Pour Nietzsche la culture
de masse est une des grandes forces de « décadence et nihilisme » dans des sociétés modernes car
elle est un frein à la créativité, qui empêche la véritable culture de se répandre et de créer des
individus plus forts. La culture de masse est pour lui un des processus de reproduction sociale
central qui crée une société de troupeau et de médiocrité. Il estime que les individus modernessouffrent d'un affaiblissement de la personnalité. Les responsables de cette culture massifiée qui
empêche l'individualisme et la créativité sont les journaux , les écoles, qui véhiculent une culture
faible, massifiée, qui sabote l'appréciation de la vraie culture et de l'art.
"Tandis que la critique à la haute main sur le théâtre et les salles de
concert, le journaliste sur les écoles, et la presse sur la société, l'art dégénère en
vulgaire sujet de conversation, et la critique esthétique a été utilisé comme moyen de
produire une sociabilité vaine, distraite, égoïste, et par dessus tout lamentablement
banale"
( La naissance de la Tragédie, S22, pp. 133-134).
Tout comme Morin il distingue tout de même une classe "d'érudits", mais il leur reproche
d'avoir négligé la culture populaire. Il considère que la dégradation de la culture (avec un grand C)
provient de la culture de masse, qui influe sur la langue, le style, les idées, et les jugements
actuellement en circulation et dominants. Il considère comme Morin que la presse et la culture de
masse ont été les causes de ce déclin de la culture en focalisant l'attention sur le trivial, le superflu
et le sensationnel, ne produisant alors qu’homogénéisation et conformité. Le fait que la culture de
masse se mette au niveau de tous, ne conduit pas pour lui à une société qui produit des hommes
forts. Là où Nietzsche diffère du point de vue de Morin, c'est qu'il dit que la culture de masse
rassemble à la fois la presse, les magazines, les publications scolaires, en passant par la religion, la
politique, la cuisine, et le nationalisme... La politique est pour lui aussi une forme de culture demasse qui conduit à un effet de troupeau, à une perte de l’individualité, à la manipulation et à
l’homogénéisation des masses. Il n'y a donc pas pour Nietzsche, plusieurs cultures parallèles à la
culture de masse qui seraient en interaction avec elle et dont elle s'inspirerait. Pour lui ces cultures
ne sont pas parallèles mais sont des formes que prend simplement la culture de masse pour se
répandre encore plus.
Nietzsche contrairement à Morin ne cherche pas à analyser la culture de masse de
l'intérieur , ni de la comprendre. Il n'encourage pas à la tolérance culturelle mais plutôt à la guerre
culturelle qui selon lui est le moyen générer de la diversité culturelle ainsi qu’une culture et des
individus plus forts et plus créatifs. Il s'en prend donc à la fois à l'Etat moderne, à la société
moderne et à la culture de masse qu'il considèrent comme les ennemies de la "vraie" culture,
équivalent de la culture "cultivée" de Morin, car ils sont pour lui producteurs d'aliénation culturelle.
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Hannah Arendt et la crise culturelle
Arendt écrit à peu près au même moment que Morin. Elle distingue, tout comme lui, deux
types de sociétés culturelles. La première étant fondée sur l’ancien modèle des XVIIIèmé et
XIXéme siècles, où les grands bourgeois et aristocrates, ayant du temps à consacrer à la culture,
formeraient une élite. Au Xxème, la culture de masse naissante, composée d'êtres incultes, de
"philistins", s'oppose à cet ancien modèle. Arendt considère que dans cette nouvelle société,l'individu n'a plus sa place, il est gommé par la masse. Cela genère un certain conformisme et donc
une déperdition du jugement objectif. Le problème de la société de masse est, selon elle, que l’objet
culturel n’est pas conservé ni magnifié, mais qu'il est un loisir qui permet de faire passer le temps.
Arendt critique aussi la commercialisation et la consommation de l'objet culturel qu'elle juge
inestimable, par son caractère sacré et authentique. Elle considère que la production en série
pourrait conduire à une disparition de la culture par uniformisation.
Chez Arendt, la masse représente donc un danger aussi bien pour l'individu que pour l'objet
culturel. Ainsi la culture de masse change entièrement ce qui caractérisait l’objet culturel dans la
société ancienne, ce qui est catastrophique pour la culture. Elle a ainsi une vision pessimiste du
futur., et souhaite un retour à une culture "originelle". Nous pouvons ainsi voir que Hannah Arendt
n’utilise pas la même méthode qu’Edgar Morin, méthode de la totalité et de l'autocritique, car on peut clairement discerner son approche élitiste de la culture moderne.
Masse et réception collective des oeuvres chez Benjamin
Dans son essai sur la reproductibilité technique des oeuvres, Walter Benjamin évoque le
phénomène de la culture de masse en adoptant un point de vue axé sur l'art, ce qui n'est pas le cas
d'Edgar Morin. Il constate que la reproductibilité efface l'aura de l'oeuvre, c'est à dire son caractère
innaprochable, unique, authentique. La perte de l'aura modifie la portée et les conditions de
réception des oeuvres. La culture de masse est amenée par la (re)production technique, c'est donc le
développement de l'industrie qui est à l'origine de la consommation de produits culturels. Ledéploiement de la technique, qui envahi le champ de la perception dès le XIXe siècle, et
l'émergence des masses, transforment l'art et le rapport à l'oeuvre.
La reproduction répond aux attentes de la masse en permettant de rendre les choses
humainement "plus proches de soi", de possèder ces choses. Cette notion modifie en profondeur le
sens et la portée de l'art, le destine à être une marchandise. La possiblité d'être reproduite
massivement fait de l'oeuvre un objet de réception collectif, la rend exposable et contemporaine du
spectateur. Ainsi la notion de distance entre le public et l'oeuvre est réduite.
Alors que l'art nécessite le recueillement, par analogie avec sa première fonction qui était de servir
le culte religieux (en particulier la peinture et la musique lithurgique), les masses attendent de la
distraction. La distraction est le moyen pour la masse d'absorber l'oeuvre, de se l'approprier. Qu'elle
soit reçue de façon "distraite" ne veut donc pas dire de l'oeuvre qu'elle n'est pas comprise, maissimplement qu'elle n'est pas reçue dans les mêmes conditions : le spectateur devient un expert, un
"examinateur distrait".
Benjamin cite l'exemple du cinéma, un art qui par la technique, fournit au spectateur un nouveau
regard sur le monde, en lui donnant connaissance de son inconscient sensible. Cela provoque
d'importantes mutations du champ de perception des masses. De plus il n'y est pas question d'un
recueillement solennel et individuel, puisque les oeuvres sont faites à la fois pour être reçues et
appréciées collectivement, et pour permettre au spectateur d'y participer. Dès lors ce qui importe ce
n'est ni l'oeuvre elle-même ni l'individu, mais le fait que la réception soit collective, et que l'oeuvre
soit "fabriquée" pour cette réception collective.
Si l'on suit la pensée de Benjamin, la masse correspond donc à la nouvelle identité de la
société contemporaine, industrielle. Société dans laquelle l'objet culturel ne peut plus être reçuindividuellement mais collectivement, par un ensemble d'individus conscients de leur statut de
groupe. Alors que Hannah Arendt craint un appauvrissement culturel et souhaite un retour aux
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"origines", à une culture plus élitiste, Walter Benjamin envisage le fait que le caractère
reproductible des oeuvres et le développement de la culture de masse ne mènent pas à la disparition
de l'art mais au contraire à sa prise d'autonomie. La reproduction rend possible le changement de
point de vue vis à vis de l'oeuvre. La copie, placée dans un contexte différent, acquiert une certaine
autonomie : elle est considérée pour elle-même et non dans un rapport à un "original". Dans ce sens
même si son propos semble être négatif, et qu'il parait déplorer le déclin de l'aura dans les oeuvres
d'art, il considère que les masses et les grandes quantités de productions culturelles permettent à l'artde se libérer de ses fonctions cultuelles primaires afin de n'exister que pour lui même.
Habermas et l'évolution de la culture : exemple de la presse depuis le XVIIIème siècle
Jürgen Habermas, lui aussi contemporain de Morin, donne son opinion sur la culture de
masse dans son livre, L'espace public, archéologie de la publicité comme dimension constitutive de
la société bourgeoise. Il prend pour exemple la presse qui a changée tout au long des siècles. Aux
XVIIème et XVIIIème siècles la presse était destinée à l'information, elle vendait des nouvelles
avec un esprit artisanal. Au XVIIIème siècle naît une presse d’idée et d’opinion : le public est alors
plus concerné par les informations qu’il reçoit. Il n’existe pas d’intérêts financiers, la presse estdonc uniquement faite pour informer le public. En revanche à partir de 1830, la presse commerciale
se développe, et avec elle la notion de profit. La presse devient ainsi un outil pour ventre de l’espace
publicitaire. Cette transformation au fil des siècles, pour Habermas, fait que le lecteur devient un
consommateur. Les médias de masse touchent certes plus de monde mais les éloigne des principes
de la sphère publique, pour les rapprocher de la sphère marchande. L’opinion publique devient le
résultat d’une opinion formatée par les journaux.
Ainsi la crise vient du fait que nous somme passer d’une presse où l’information pouvait être
débattue et critiquée à une presse d’information manipulatrice qui pousse à une certaine opinion.
L’opinion de masse apparait guidée par le conformisme et les idées reçues, plus que par le
raisonnement argumenté, éclairé et critique. Habermas a donc comme Arendt et Nietzsche uneopinion pessimiste du futur, comme eux il est partisan d'une "vraie" culture, et redoute cet
appauvrissement culturel.
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5/16/2018 l Esprit Du Temps Chap 1 Dossier Espace Public Et Diffusion Culturelle - slidepdf.com
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Dans le premier chapitre de son livre, Edgard Morin nous propose une étude mettant en lienles concepts de culture de masse et culture cultivée. Il définit les deux termes qui dominent son
propos avec justesse et précision, en adoptant une approche sociologique et historique, afin que la
définition soit la plus complète possible. Il tient à montrer que la culture de masse s'inspire de la
culture cultivée, mais que pour autant cette dernière ne doit pas être considèrer comme supérieure.
Cette idée nous semble crédible car le propos de Morin est justement agencé pour nous montrer à la
fois ce qui oppose ces deux concepts, et ce qui les rapproche. De plus, le texte de Morin s'accorde
avec la dernière partie du chapitre, où il défend la méthode de la totalité, qu'il juge la plus pertinente
pour l'étude des sciences sociales. Le fait qu'il se remette en question sa propre expérience de la
culture est justement ce qui rend ses arguments plus crédibles.
Contrairement à d'autres textes de cette époque, celui-ci reste important et valable
aujourd'hui, cela prouve que Morin, dans ses idées et sa façon de procèder, était un précurseur. En
tant que tel, il étudie les transformations de la culture en rapport avec les transformations de la
société.
Nous n'avons pas évoquer d'auteurs se positionnant clairement en faveur de la culture de masse, de
façon à illustrer la tendance relativement forte chez les intellectuels du Xxème siècle, à rejetter et
critiquer la culture de masse. Cette tendance peut s'expliquer par le simple fait que presque tous les
auteurs ayant traité du sujet, appartenaient à l'"élite culturelle". En cela Morin se distingue, car il ne
place pas de barrière insurmontable entre les deux sociétés culturelles, et encourage la tolérance
culturelle.
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Références :
Monographies
• Arendt, Hannah. La crise de la culture: huit exercices de pensée politique. Paris : éd.Gallimard, 1989. Coll. Folio Essais ; 113.
• Benjamin, Walter. L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique : version de
1939 ; dossier par Lambert Dousson ; lecture d'image par Seloua Luste Boulbina. Paris : éd.
Gallimard, 2007.
• Goetschel, Pascale et Loyer, Emmanuelle. L'histoire culturelle et intellectuelle de la France
au Xxème siècle. Paris : éd. Armand Colin, 1994.
• Habermas, Jürgen. L'espace Public ; Archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise. Paris : éd. Payot, 1993. Coll. Critique de la politique.
• Morin, Edgar. L'Esprit du temps. Chap. 1 : Un tiers-problème. Paris : éd. Grasset Fasquelles,
1962. p. 11-21.
• Nietzsche, Friedrich. La naissance de la tragédie. Paris : éd. Gallimard, 1985. Coll. Idées ;
210.
Document en ligne
"Edgar Morin à propos de L'Esprit du temps." Vidéo extraite du site Ina.fr. Lien :
http://www.ina.fr/media/entretiens/video/I08015613/edgar-morin-a-propos-de-l-esprit-du-
temps.fr.html