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6 AssurancE • JUIN 2009 www.assurancededommages.ca F lanqué d’une montagne de documents généalogiques, Jean-Pierre Pépin, propriétaire du Fonds de l ’Institut généalogique Drouin, pelote ses archives comme un amant attentif. Ce Fonds, sa maîtresse inavouée, constitue la plus grande collection privée d ’écrits sur le patrimoine historique, funéraire et familial du Québec. C ’est en 1997 que Jean-Pierre Pépin a mis la main sur cette collection pour 842 000 $. Sa valeur actuelle : environ six millions de dollars. P R L ’UNIVERS DES COL PHOTOS : JAMES WAGNER

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Flanqué d ’une montagne de documents généalogiques, Jean-Pierre Pépin, propriétaire du Fonds de l ’Institut généalogique Drouin, pelote ses archives comme un amant attentif. Ce Fonds,

sa maîtresse inavouée, constitue la plus grande collection privée d ’écrits sur le patrimoine historique, funéraire et familial du Québec. C ’est en 1997 que Jean-Pierre Pépin a mis la main sur cette collection pour 842 000 $. Sa valeur actuelle : environ six millions de dollars.

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PHOTOS : JAMES WAGNER

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« Quand j ’ai vu en 1997 que les Américains étaient sur le point d ’acheter le Fonds Drouin, raconte-t-il, je n ’ai pas hésité. J ’ai hypothéqué ma maison, fait plusieurs emprunts. » Douze ans plus tard, et après s ’être mis la tête sur le billot, ce collectionneur dans l ’âme récolte des revenus bruts de 500 000 $ à partir des gains générés entre autres par son site Web (http ://imagesdrouinpepin.com/).

Quel est le secret de cette réussite ? « Vous savez, admet-il, il y a plus de 100 000 Québécois qui s ’intéressent à la généa-logie. Et les sites de généalogie viennent en deuxième position des sites les plus populaires dans le monde, juste après les sites pornos… »

À la question « Votre collection est évidemment assurée ? », « Non, pas du tout », répond cet anti-assureur converti,

comme s ’il s ’agissait de la chose la plus évidente ! « Au Québec, explique Jean-Pierre Pépin, on ne peut pas assurer des collections de grande valeur auprès des assureurs. Et si on réussit à le faire, c ’est tellement cher que je n ’en aurais pas les moyens ! Écoutez : ça me coû-terait environ 60 000 $ par année pour chaque million de dollars assuré. Si je voulais assurer ma collection pour cinq

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Le Québec : un trop petit marché pour se spécialiser en assurance d ’objets précieux ?

le collectionneur, Chubb et les autres

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millions de dollars, on me facturerait 300 000 $ par année, soit mes revenus nets annuels ! De toute manière, les grands assureurs québécois sont quasi absents du marché de l ’assurance d ’objets précieux de grande valeur. »

Montants liMités…

Les grandes compagnies d ’assu-rance habitation du Québec, comme Desjardins Assurances générales ou Banque Nationale Assurances, jouent sur le terrain de l ’assurance d ’objets précieux mais, comme elles visent le marché de la classe moyenne, cela se traduit donc par des restrictions quant au montant possible qu ’un consommateur pourra assurer. Banque Nationale Assurances plafonne à 20 000 $ le montant assurable pour une œuvre d ’art. Au-delà de cette restriction, il faudra ajouter un avenant « à la carte » et répondre à certains critè-res, de sécurité notamment. Et là encore, il y aura une certaine limite imposée à la valeur assurable, soit environ 30 000 $ dans le cas d ’un tableau par exemple.

« C ’est sûr qu ’on ne va pas assurer un tableau de 150 000 $, précise Hugo Corbeil, directeur, Souscription, Banque Nationale Assurances. Ce n ’est pas notre créneau. »

Au Groupe Promutuel, le scénario est différent. « En théorie, il n ’y a pas de limite à la valeur assurable, explique Hélène Thériault, conseillère en analyse de risques. On applique le ratio entre la valeur de la propriété et la valeur des objets précieux qu ’elle contient. Si quelqu ’un possède une collection de tableaux de 75 000 $ et est propriétaire d ’une maison évaluée à 150 000 $, il y a sûrement quelque chose qui cloche… »

Ce qui laisse entendre que Promutuel pourrait, dans certaines conditions, assurer un tableau de 50 000 $. Jacques Bélanger, professeur en assurance de dommages au Cégep de Ste-Foy, lui, doute de l ’intérêt pour ce marché. « Promutuel ne l ’assurera

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pas, tranche-t-il. Quant à Desjardins, ça me surprendrait… »

DonnéEs ConFiDEntiEllEs ?

Évidemment, l ’industrie est, dans l ’ensem-ble, plutôt tatillonne lorsqu ’il s ’agit de ce marché. « Ce n ’est pas étonnant, note Jacques Bélanger. Ce sont des concur-rents et ils ne veulent pas dévoiler leurs stratégies. » Chez Desjardins Groupe d ’assurances générales, on refuse de don-ner les montants maximums assurables. « Je connais les montants, mais je ne peux pas les dévoiler », commente Stéphane Mailhot, directeur principal des commu-nications. À SSQ Assurances générales, on décline l ’offre de commenter l ’industrie de l ’assurance d ’objets précieux.

Un MonoPolE ?

Cela dit, on peut scinder le marché canadien de l ’assurance d ’objets précieux en deux :

Chubb du Canada Compagnie d ’Assurance et les autres. Chubb, c ’est Goliath. Les autres jouent des rôles de figurants.

« Chubb, c ’est un autre calibre, affirme Jacques Bélanger. Il s ’agit de sa

spécialité. La compagnie vise un marché très haut de gamme. »

Mais, au fait, comment Chubb tire-t-elle son épingle du jeu ? Et pourquoi l ’ensemble des autres assureurs de dom-

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Au Cégep de Ste-Foy, on traite de l ’assurance d ’objets

précieux dans le cours sur le règlement de sinistres

mais, dans l ’ensemble, très peu. À l ’Institut d’assurance

de dommages du Québec, on traite également de

certains aspects pointus de la mécanique relative à

l ’assurance d ’objets précieux. « On explique comment

ça fonctionne, reconnaît Lucien Bergeron, mais on ne dit

pas quel assureur fait quoi, ni de quelle façon. »

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mages québécois semble désintéressé par ce marché ?

« La plupart des assureurs ne se don-nent pas comme mission de faire de l ’assurance hautement spécialisée parce qu ’il n ’y a que très peu de souscriptions d ’assurance de ce type, explique Lucien Bergeron, directeur général de l ’Institut d’assurance de dommages du Québec. Chubb a tout simplement développé un créneau pour une clientèle fortunée. Et s ’il n ’était pas un joueur mondial et n ’avait pas le marché américain pour le soutenir, on peut présumer qu ’il ne ferait pas affaire au Québec. »

« Pour faire un travail pertinent en assurance, poursuit Lucien Bergeron, il faut qu ’il y ait une masse de risques donnée. Si une compagnie d ’assurance a seulement quatre risques constitués d ’objets précieux de grande valeur dans son portefeuille et qu ’elle en perd un, elle va y laisser sa chemise. Ce n ’est qu ’à partir d ’une certaine masse de risques qu ’un assureur peut répartir ses sinistres et avoir des résultats prévisibles. »

Autrement dit, le nombre de clients fortunés au Québec est beaucoup trop faible pour servir de tremplin à une industrie de l ’assurance d ’objets précieux viable. C ’est le créneau occupé par

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mages québécois semble désintéressé par ce marché ?

« La plupart des assureurs ne se don-nent pas comme mission de faire de l ’assurance hautement spécialisée parce qu ’il n ’y a que très peu de souscriptions d ’assurance de ce type, explique Lucien Bergeron, directeur général de l ’Institut d’assurance de dommages du Québec. Chubb a tout simplement développé un créneau pour une clientèle fortunée. Et s ’il n ’était pas un joueur mondial et n ’avait pas le marché américain pour le soutenir, on peut présumer qu ’il ne ferait pas affaire au Québec. »

« Pour faire un travail pertinent en assurance, poursuit Lucien Bergeron, il faut qu ’il y ait une masse de risques donnée. Si une compagnie d ’assurance a seulement quatre risques constitués d ’objets précieux de grande valeur dans son portefeuille et qu ’elle en perd un, elle va y laisser sa chemise. Ce n ’est qu ’à partir d ’une certaine masse de risques qu ’un assureur peut répartir ses sinistres et avoir des résultats prévisibles. »

Autrement dit, le nombre de clients fortunés au Québec est beaucoup trop faible pour servir de tremplin à une industrie de l ’assurance d ’objets précieux viable. C ’est le créneau occupé par

Assurance d ’objets précieux : un secret bien gardé ?« ASSURER MES TABLEAUX ? C ’EST TROP CHER ! », estime

l ’artiste peintre hongrois Dovan, dont l ’atelier, à Sainte-Dorothée à

Laval, renferme, de son propre aveu, « plusieurs millions de dollars »

en tableaux de maître (http ://www.dovan.ca/).

Jean-Pierre Gagnon, artiste peintre de Sainte-Flavie et également propriétaire

d ’une galerie d ’art, souligne que plusieurs propriétaires de tableaux se

croient à tort assurés. « Ils ont une assurance auprès de leur fournisseur en

assurance habitation, mais lors d ’un sinistre, ils s ’aperçoivent souvent qu ’ils

ne sont pas couverts. »

Mais, au fait, combien en coûte-t-il pour assurer une œuvre d ’art ? Obtenir de

l ’information à cet égard : mission impossible, ou presque. « Les gens ne veulent

pas parler, signale le collectionneur Jean-Pierre Pépin, parce qu ’ils ne veulent

pas qu ’on sache qu ’ils possèdent des tableaux ou des objets de valeur. »

Jean-Pierre Gagnon, de son côté, finira par avouer que la prime d ’assurance

de sa galerie, dont la valeur marchande en œuvres d ’art est de 100 000 $,

« coûte quelques milliers de dollars à la société Lloyd ’s Canada ».

Chez La Turquoise, cabinet en assurance de dommages spécialisé dans ce

marché, on confirme plus ou moins ce prix : « Pour une assurance commerciale

concernant une galerie d ’art avec une valeur de 100 000 $ en tableaux, je

dirais 5 000 $ par année, maximum », souligne Caroline Laflamme, courtier.

Après consultation auprès de plusieurs intervenants, on peut affirmer que

l ’assurance commerciale d ’œuvres d ’art – qui concerne les galeries et non les

musées, ou les résidences privées – coûte de 3 à 5 % de la valeur assurée, c ’est-

à-dire le montant fixé par l ’évaluateur au cours du processus de soumission.

Quant aux coûts des primes des tableaux assurés par des particuliers, ils se

situent « de 1 à 1,5 % », se contente de dire Claude Brocard, évaluateur

professionnel auprès de nombreux assureurs. Celui-ci ne partage d ’ailleurs pas

l ’avis selon lequel beaucoup de propriétaires de tableaux ne s ’assurent pas :

« Ce n ’est pas vrai, la plupart ont une assurance. »

Au-delà de ces constatations,

difficile d ’en savoir plus.

Personne ne veut aborder

les montants de leurs primes

d ’assurance. Jo-Ann Kane,

présidente de l ’Association

des Collections d ’entreprises,

dira : « Les primes d ’assurance

des collections de tableaux

des entreprises, c ’est de

l ’information confidentielle. »

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Chubb, qui vise davantage une clientèle détenant des toiles de Marc-Aurèle Fortin par exemple que celle qui cache les bijoux d ’une tante éloignée dans un tiroir pous-siéreux. Cet assureur n ’a pas de restriction sur la valeur assurable des bijoux, ce qui n ’est pas le cas de la majorité de ses concurrents. Il n ’exige pas, non plus, de franchise en cas de réclamation. Et – avantage concurrentiel – il offre, dans certains de ses contrats, une protection pouvant aller jusqu ’à 150 % de la valeur assurée puisqu ’il tient compte de la valeur ajoutée potentielle d ’une collec-tion de tableaux.

Dans ce contexte, il ne faut pas s ’éton-ner qu ’il y ait très peu de formation donnée au Québec sur le sujet dans les cours d ’assurance de dommages offerts par les divers organismes. Au Cégep de

Ste-Foy, on traite de l ’assurance d ’objets précieux dans le cours sur le règlement de sinistres mais, dans l ’ensemble, très peu. « Nous ne sommes pas confrontés à des situations fréquentes de réclamations de ce genre dans l ’industrie », explique Jacques Bélanger. À l ’Institut d’assurance

de dommages du Québec, on traite éga-lement de certains aspects pointus de la mécanique relative à l ’assurance d ’objets précieux. « On explique comment ça fonctionne, reconnaît Lucien Bergeron, mais on ne dit pas quel assureur fait quoi, ni de quelle façon. »

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« La plupart des assureurs ne se donnent pas comme mission de faire de l ’assurance hautement spécialisée parce qu ’il n ’y a que très peu de souscriptions d ’assurance de ce type. »

Lucien Bergeron Directeur général

Institut d’assurance de dommages du Québec