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Stéphane Blondeau œuvres 2005-2008 La béance du ruban

la béance du ruban

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DESCRIPTION

Cet ouvrage est un « catalogue raisonné » référençant toutes les oeuvres de Stéphane Blondeau allant de 2005 à 2008 (plus de trois cents tableaux). Ce livre nous montre l’évolution de l’artiste, un monde en perpétuel mouvement où les figures se transforment, fusionnent dans une matière presque magmatique. « La béance du ruban » est le processus artistique de cet artiste humanoïde. Elle est l’établissement en devenir d’une embryologie picturale en laquelle et par laquelle naissent à chaque fois de nouvelles humanités hybrides. Ces dernières naissent par le milieu de la surface picturale et vont jusqu’à s’en nourrir. Chaque oeuvre est une scène sans représentation, elle produit la scène (au deux sens, ici indiscernables, du terme). On a l’impression que le vif des gestes appelés par Artaud fait battre le coeur d’univers dignes de Michaux. Nous sommes ailleurs et pourtant dans la chair. Des saignées nous conduisent.

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Stéphane Blondeauœuvres 2005-2008

La b

éanc

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rub

an

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Stéphane Blondeauœuvres 2005-2008

« La béance du ruban »

Stéphane Blondeau est artiste peintre, graphiste designer et plasticien. Né le 8 octobre 1969 à Besançon il a commencé à peindre dans les années 80. Autodidacte, l’artiste a accumulé les expériences artistiques, son travail est aujourd’hui reconnu. Il a donné lieu à une publication dans la revue Chimères (n°60) en 2006 « La naissance est dans le geste ». Un séminaire du groupe « Gilles Châtelet » lui a été consa-cré en 2007 à Paris, les textes philosophiques de ce livre sont les restitutions revues et augmen-tées de deux des interventions.

Peintures : stephaneblondeau.com

Instalations 2009 : labo25.com

Photographie/vidéo : etredieu.com

[email protected]

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PRESENTATION

Cet ouvrage est un « catalogue raisonné » référençant toutes les œuvres de Stéphane Blondeau allant de 2005 à 2008 (plus de trois cents tableaux). Ce livre nous montre l’évolution de l’artiste, un monde en perpétuel mouvement où les figures se transforment, fusionnent dans une matière presque magmatique. « La béance du ruban » est le processus artistique de cet artiste humanoïde. Elle est l’établissement en devenir d’une embryologie picturale en laquelle et par laquelle naissent à chaque fois de nouvelles humanités hybrides. Ces dernières naissent par le milieu de la surface picturale et vont jusqu’à s’en nourrir. Chaque oeuvre est une scène sans représentation, elle produit la scène (au deux sens, ici indiscernables, du terme). On a l’impression que le vif des gestes appelés par Artaud fait battre le coeur d’univers dignes de Michaux. Nous sommes ailleurs et pourtant dans la chair. Des saignées nous conduisent.

La profondeur est devant et dedans. Au fil des pages, des oeuvres, le ruban des matières opère, se transforme, s’évide, se mutile, s’effile. Il déroule sans que rien ne soit déroulé. Avec lui nous gagnons ce qui nous prend.Pas d’addition sans soustraction.

Tirage limité à 100 exemplaires.

N° /200

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SOMMAIRE

Approches 8

La naissance est dans le geste

1er groupe 20

2e groupe 34

3e groupe 52

Variations

Peintures sur toiles 66

Encres sur cartons 70

Encres sur papiers 76

Personnages statues 80

Personnages filaires 86

La béance du ruban

Les toits 98

Les villes 112

Orages 121

Statues filaires 129

Philogenèses

Ethnogonies 133

Cosmogonie 149

Stéphane Blondeau expose une œuvre composée de trois groupes d’encres sur papier dont les procédés diffèrent (nous appellerons parfois « peinture » ces encres par commodité). Ces trois grou-pes sont ici présentés dans un ordre qui sera compris par la suite comme progressif. Mais avant d’expliciter la série des trois procédés, on peut déjà noter une quasi-constante de l’ensemble des présentations picturales : des corps s’insèrent dans des couches de matière, ils fusionnent avec elle, jusqu’à ne presque plus apparaître parfois...

Il fallait peut-être opérer un saut, un saut dans un autre monde, faire du monde de la peinture un univers qui rejoint la science-fiction voire l’horreur pour offrir au regard de nouveaux affects, de nouvelles expressivités, celle des êtres filaires, celle d’une matière presque magmatique et pourtant animée d’une vie presque organique et végétale. C’est ce nouveau monde que nous allons décrire. A la fin de son article sur « La naissance est dans le geste », Philippe Roy parlait de l’œuvre de l’ar-tiste, des trois groupes d’encre qui la composaient alors, comme d’une boucle qui tout en...

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2 0 0 5 - - -appro-ches

PHOTOGRAPHIE/ENCRE

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10 Stéphane Blondeau 112005

« Avril 2005, après quelques mois de sécheresse artistique, je renoue avec la photographie. Ce travail sur le corps va me permettre d’accrocher des idées et d’approcher différemment la peinture. Je suis attiré par le rendu de la surimpression qui donne une autre matière au corps. »

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12 Stéphane Blondeau 132005

A gauche, photographie Surimpression argentiqueFormat : 12/12 cm

Photographies argentiquesformat: 20/20 cm

A droite, photographiesSurimpression argentiqueFormat : 10/15 cm

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14 Stéphane Blondeau 152005

TryptiqueEncre sur papierFormat : 12/12 cm

Encre sur papier + calqueFormat : 12/12 cm

« En parallèle à la photographie, je dessine et recherche d’autres techniques. J’applique de l’encre au rouleau sur des magazines et reporte chaque impression sur des feuilles. Celles-ci seront grattées, crayonnées, des impressions superposées.Cette préparation a conditionné le déroulement qui va suivre... »

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16 Stéphane Blondeau 172005

TriptyqueEncre sur papierFormat : 12/12 cm

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192005 1er groupe

PHOTOGRAPHIE/ENCRE

sur impression

2 0 0 5 - - -la nais-sance est dans le geste

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20 Stéphane Blondeau 212005 1er groupe

Photographie argentique. Format : 15/15 cm

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22 Stéphane Blondeau 232005 1er groupe

A droite, photographie argentique. Format : 15/15 cm

A gauche, photographie argentique. Format : 20/30 cm

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24 Stéphane Blondeau 252005 1er groupe

Photographie argentique. Format : 15/15 cm

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26 Stéphane Blondeau 272005 1er groupe

Photographie argentique. Format : 15/15 cm

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28 Stéphane Blondeau 292005 1er groupe

Photographie argentique. Format : 15/15 cm

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30 Stéphane Blondeau 312005 1er groupe

Photographie argentique. Format : 15/15 cm

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32 Stéphane Blondeau 332005 1er groupe

Photographies argentiques. Format : 15/15 cm

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34 Stéphane Blondeau 352005 2e groupe

Triptyque, encre. Format : 30/30 cmEncre et fusain. Format : 20/30 cm

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36 Stéphane Blondeau 372005 2e groupe

Triptyque, encre. Format : 30/30 cmEncre et fusain. Format : 15/24 cm

Page 20: la béance du ruban

38 Stéphane Blondeau 392005 2e groupe

Triptyque, encre. Format : 30/30 cmEncre et fusain, format : 15/24 cm

Page 21: la béance du ruban

40 Stéphane Blondeau 412005 2e groupe

A gauche, encre et fusain. Format : 15/24 cm

A droite, encre, crayon et fusain. Format : 15/20 cm

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42 Stéphane Blondeau 432005 2e groupe

Encre, crayon et fusain. Format : 15/20 cm

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44 Stéphane Blondeau 452005 - 2008

A gauche, encre, crayon et fusain. Format : 15/20 cm

A droite, encre, crayon et fusain. Format : 15/20 cm

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46 Stéphane Blondeau 472005 2e groupe

A gauche, encre, crayon et fusain. Format : 15/20cm

A droite, encre originale

Encre originale

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48 Stéphane Blondeau 492005 - 2008

A gauche, encre, crayon et fusain. Format : 18/24 cm

A droite, encre, crayon et fusain. Format : 18/24 cm

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50 Stéphane Blondeau 512005 2e groupe

A gauche, encre, crayon et fusain. Format : 30/30 cm

A droite, encre originale

Encre originale

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52 Stéphane Blondeau 532005 3e groupe

A gauche, encre et fusain. Format : 10/10 cm

A droite, encre et fusain. Format : 10/10 cm

Page 28: la béance du ruban

54 Stéphane Blondeau 552005 3e groupe

A gauche, encre, crayon et fusain. Format : 30/30cm

A droite, encre originale

Encre originale

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56 Stéphane Blondeau 572005 3e groupe

Encre, crayon et fusain. Format : 10/10 cm

Page 30: la béance du ruban

58 Stéphane Blondeau 592005 3e groupe

Encres crayon et fusain. Format : 10/10 cm

Page 31: la béance du ruban

60 Stéphane Blondeau 612005 3e groupe

Encre, crayon et fusain. Format : 10/10 cm Encre, crayon et fusain. Format : 9/11 cm( unique dessin de cette série à avoir un fond noir )

Page 32: la béance du ruban

62 Stéphane Blondeau 632005 3e groupe

A droite, encre, crayon et fusain. Format : 60/80 cm

A gauche, encre, crayon et fusain. Format : 30/30 cm

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64 Stéphane Blondeau 652006

GOUACHE/ENCRE/FUSAIN

2 0 0 6 - - -varia-tions

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66 Stéphane Blondeau 672006

Peinture sur toile. Format : 40/122 cm

A gauche, Peinture sur toile. Format : 81/122 cm

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68 Stéphane Blondeau 692006

Peinture sur toile. Format : 60/60 cm

Peinture sur toile. Format : 46/56 cm

Peinture sur toile. Format : 80/80 cm

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Encr

e et

cra

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arte

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mat

: 10

/15

cm

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72 Stéphane Blondeau 732006

Encre et crayon sur carton. Format : 60/80 cm

Page 38: la béance du ruban

74 Stéphane Blondeau 752006

Encre et crayon sur papier. Format : 60/80 cm

A droite, encre et crayon sur papier. Format : 60/80 cm

Page 39: la béance du ruban

76 Stéphane Blondeau 772006

Encre et crayon sur papier. Format : 17/22 cm

Page 40: la béance du ruban

78 Stéphane Blondeau 792006

Encre et crayon sur papier. Format : 17/22 cm Encre et crayon sur papier. Format : 17/22 cm

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80 Stéphane Blondeau 812006

Encre et crayon sur papier. Format : 17/22 cm

A droite encre, gouache et fusin sur bois. Format : 17/22 cm

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82 Stéphane Blondeau 832006

Encre et crayon sur papier. Format : 17/22 cm

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84 Stéphane Blondeau 852006

Sculptures résine 25/30 cm de haut

A droite, Peinture sur bois. Format : 72/72 cmSculptures résine 35cm et 40 cm de haut

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872007

ENCRE/FUSAIN

2 0 0 7 - - -person-nages filaires

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88 Stéphane Blondeau 892007

Encre et crayon: 10/10 cm

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90 Stéphane Blondeau 912007

A droite, encre et fusain. Format : 60/60 cm

A gauche, encre et fusain. Format : 50/75 cm

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92 Stéphane Blondeau 932005 - 2008

A droite, encre et crayon. format: 60/80 cm

A gauche, encre originale

Encre originale

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94 Stéphane Blondeau 952007

Triptyque, gouache et encre. Format : 120/150 cm

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96 Stéphane Blondeau 972007

HUILE/PIGMENT/FUSAIN

2 0 0 7 - - - pein-tures

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98 Stéphane Blondeau 992007

« la matrice » Peinture sur toile. Format : 100/50 cm

« LES TOITS »

Après « la naissance est dans le geste », l’œuvre picturale de Stéphane Blondeau ouvre une sorte de cosmogonie, une ère qui augure un nouveau monde, qui inaugure en tous cas un monde sans représentativité.

Joachim Dupuis « Cosmogonies » page 151

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100 Stéphane Blondeau 1012007

Peinture sur toile. Format : 80/80 cm Peinture sur toile. Format : 80/80 cm

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102 Stéphane Blondeau 1032007

Peinture sur toile. Format : 80/80 cm

Peinture sur toile. Format : 40/80 cm

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104 Stéphane Blondeau 1052007

Peinture sur toile. Format : 80/8 cm Peinture sur toile. Format : 80/80 cm

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106 Stéphane Blondeau 1072007

A droite, peinture sur toile. Format : 80/80 cm

Peinture sur toile. Format : 40/80 cm

Peinture sur toile. Format : 40/80 cm

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108 Stéphane Blondeau 1092007

Peinture sur toile. Format : 120/80 cm Peinture sur toile. Format : 120/80 cm

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110 Stéphane Blondeau 1112007

Gouache et encre sur bois. Format : 120/100 cm Gouache et encre sur bois. Format : 120/100 cm

« LES VILLES » ...

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112 Stéphane Blondeau 1132007

Gouache et encre sur bois. Format : 120/100 cm Gouache et encre sur bois. Format : 120/100 cm

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114 Stéphane Blondeau 1152007

Gouache et encre sur bois. Format : 120/100 cm Gouache et encre sur bois. Format : 120/100 cm

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116 Stéphane Blondeau 1172007

Gouache et encre sur bois. Format : 40/80 cm

Gouache et encre sur bois. Format : 80/80 cm

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118 Stéphane Blondeau 1192007

A droite, gouache et encre sur bois. Format : 40/80 cm

Gouache et encre sur bois. Format : 80/80 cm

Gouache et encre sur bois. Format: 80/80 cm

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1212008

Gouache et encre. Format : 100/100 cm

«Orages» série de 8 tableaux.

2008, la béance s’affirme par des trouées noires qui dévorent et mettent en branle le milieu, comme l’aspirant et générant tout une électricité qui parcourt les échines des filaires et qui irriguent les cloisons d’une « ville » qui se met à flamber dans une allégresse et horreur tout à la fois.

« Cosmogonies » page 151

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122 Stéphane Blondeau 1232008

Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm

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124 Stéphane Blondeau 1252008

Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm

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126 Stéphane Blondeau 1272008

Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm

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128 Stéphane Blondeau 1292008

Gouache et encre sur bois. Format : 100/100 cm

Instalation. 9 statues en fer. Hauteur: 3 mètres

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1312005 - 2008

Phi l ippe Roy - Joachim Dupuisphilo-genesès

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132 Stéphane Blondeau 1332005 - 2008

ETHNOGONIES

Philippe Roy

Stéphane Blondeau expose une œuvre composée de trois groupes d’encres sur papier dont les procédés diffèrent ( nous appellerons parfois « peinture » ces encres par commodité ). Ces trois groupes sont ici présentés dans un ordre qui sera compris par la suite comme progressif. Mais avant d’expliciter la série des trois procédés, on peut déjà noter une quasi-constante de l’ensemble des présentations picturales : des corps s’insèrent dans des couches de matière, ils fusionnent avec elle, jusqu’à ne presque plus apparaître parfois. La matière picturale a été préparée spécialement pour le tableau, elle ne représente pas une autre matière (terre, pierre, bois ou autres). Pareillement les corps ne sont pas destinés à représenter d’autres corps ( même pour les photos, on l’expliquera ), ce sont des corps dont l’existence se destine tout entière à ce moment qu’est leur tableau. En conjurant tout effet de représentation figurative, corps et matière se prêtent déjà main-forte. Mais tout ceci est pour l’instant très général : abordons maintenant les trois procédés qui singularisent la progression de Stéphane Blondeau.

Peintures pages 11 à 89

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134 Stéphane Blondeau 1352005 - 2008

1 er groupe

2 e groupe

3 e groupe

Trois procédés

Dans un premier groupe, le procédé a consisté tout d’abord à étaler au rouleau des pans d’encres sur des feuilles annexes. Sur ces pans ont été tracées des lignes, des coups de crayon les ont grattés, des motifs ont été imprimés par monotypes. Puis Stéphane Blon-deau en a ensuite prélevé des parties en les photogra-phiant (soit à taille réelle, soit en les agrandissant). Sur ce premier prélèvement seront ensuite sur-imprimées photographiquement (blocage du défilement de la pel-licule) des parties de photos de nus réalisées antérieu-rement puis parfois s’y ajoutera une troisième couche sur-imprimée de motifs typographiques. La photo finale inclut ainsi deux, trois couches superposées.

C’est le premier procédé, par surimpression photo-graphique. Ce procédé est destiné à évaluer des prépa-rations. Il teste des alliances de corps et de matériaux, de matériaux et de signes, de matériaux entre eux. A vrai dire, ce procédé fait gloire au matériau, même les poses du modèle sont un matériau. Ce qui pourrait ne pas re-lever d’un usage matériel pour le tableau est proscrit : il n’y a pas de visage, ceci pour éviter toute destination expressive qui serait adressée à une vie extérieure au tableau (nous les spectateurs, un personnage fictif) ou à une histoire comme pourrait l’être le passé ou l’avenir du modèle dont l’expression du visage en témoignerait l’incidence (par exemple un regret ou une attente). Et quand une tête se tourne vers nous, elle est justement sans visage, parée d’un masque à gaz, comme étouffée par la matière ambiante. Les matériaux se fusionnent par transparence et les découpages géométriques per-

mettent des variations de ces fusions, faisant ressortir dans une bande tantôt plus tel matériau que tel autre ou l’inverse dans une autre. Cela forme des jeux de va-et-vient entre le fond et la surface qui laissent planer une sorte d’indécision dans une profondeur maigre. Par ailleurs, il y a des passages secrets entre les couleurs d’une même famille de teinte et des confrontations entre familles, parfois l’une l’emporte mais jamais com-plètement. Les matériaux semblent aussi au seuil d’une agitation, la matière se perle par ci, se gazéifie par là. Tous ces points contribuent à produire une sorte d’inquié-tude élémentaire qui traverse et unit ce premier groupe. Le deuxième procédé du deuxième groupe délaisse la photographie. La visibilité du corps coïncide avec des zones de visibilité vague (zones blanches, tachetées, grisées, perlées). Elles sont produites par tamponnage, frottements de tissus chiffonnés humides, avec une grande virtuosité technique. Ces zones s’insèrent selon un à peu près, un « voir juste assez » dans un matériau pictural qui se les approprie en les faisant communier avec son coloris. D’où la présentation de corps fanto-matiques, spectraux. Mais l’appropriation matérielle est ambiguë car la spectralité donne en contrepartie une rapidité à la mobilité gestuelle des corps. De plus la ma-tière picturale de fond prend souvent forme avec des séries de cadrages flous qui s’empiètent, s’emboîtent comme si la surimpression du premier groupe survi-vait à la technique photographique avec moins d’effets de superposition. Or ces implantations de cadrages fixes amplifient la mobilité des gestes (de même que les quelques pistes tracées). Ce deuxième procédé fait donc ressortir une sorte de matière-peau constituée par

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136 Stéphane Blondeau 1372005 - 2008

1 er groupe

des coloris variant du noir aux gris-bleutés ou par des rouges souvent mats. Coloris seuls ou formés par des séries de cadrages. C’est une matière-peau car on ne sait pas trop si les corps s’extirpent de cette matière ou y rentrent. En naissent-ils ou en meurent-ils? Est-ce elle qui hante les corps ou l’inverse ? Le troisième procédé abandonne la visibilité vague du «voir juste assez» pour la visibilité économique du « voir juste ce qu’il faut ». La technique est proche de celle du deuxième groupe: Stéphane Blondeau retire de la matière. La grande différence est que cette sous-traction s’effectue maintenant avec ses doigts. Chaque ligne soustractive est un geste, une danse des doigts. Les corps sont des phalanges linéiques qui quelques fois se tortillent. Les corps-lignes, les figurines-doigts sont les traces des résonances entre le peintre et la matière picturale. La matière vient sur le peintre et lui s’engage en elle. Parfois la profondeur des fresques de figurines-doigts est conjurée par une ligne d’hori-zon qui devient un trait libre à l’avant plan, même la profondeur doit venir vers le peintre, à la surface. Cette surface déploie un monde qui, s’appuyant sur des co-loris mats, est plutôt une planète agrémentée d’une ra-diologie de figurines chuchotantes. Des écritures sur-gissent, dans certaines encres des lignes courbes ou bouclées viennent se mêler aux scènes, elles sont des signatures chaque fois nouvelles de la peinture elle-même. C’est chaque peinture qui signe pour le pein-tre (même la signature de Stéphane Blondeau semble quelquefois être une signature-peinture qui signe pour le peintre, comme on peut le voir déjà dès le deuxième groupe). Tout cela forme les ingrédients d’une jubila-tion diffuse, courant le long de ces fresques miniatures

d’une grande beauté. Jubilation dont on ne sait plus si sa source provient de la peinture, du peintre ou des personnages.

A sa façon, Stéphane Blondeau rejoue en pein-ture des grandes étapes de l’histoire de l’univers: des premières compositions matérielles, en passant par la différenciation vie/matière jusqu’à la constitution de premiers êtres ou de petites tribus. On ajoutera à ces étapes un devenir de l’inscription: les signes déliés, hasardeux, du premier groupe acquièrent leur pleine puissance de signe en se réalisant comme signature de la peinture dans le troisième groupe (des signatures étant déjà mises à l’épreuve dès le deuxième groupe). Ce plus de puissance n’étant sûrement pas dissocia-ble de la vie des premiers êtres. Tout ceci converge vers l’idée d’une progression du premier au troisième groupe. Cette progression correspondant aussi avec l’ordre de leurs réalisations par Stéphane Blondeau. Ceci est attesté par des signes-relais en chacun des trois groupes, par exemple les bustes du modèle sont relayés par des bustes féminins sans modèle dans le deuxième groupe et les bas rouges, bleus qui ornent les jambes prolongeant ces bustes sont relayés ensuite par des figurines sans buste féminin mais encore parées d’ornements rouges ou bleus (cols, bas).

Processus de décision et geste décisif de soustraction.

Nous sommes donc passés de la fusion des matériaux du premier groupe à la fusion du corps et des matériaux dans une matière-peau pour aboutir à l’événement-fusion

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138 Stéphane Blondeau 1392005 - 2008

du peintre et de la peinture par des petites fresques de figurines-doigts. L’avènement du troisième groupe est inséparable d’un événement. Il est arrivé quelque chose à Stéphane Blondeau. Comment cela a-t-il commencé ? Sûrement par un obscur appel que le peintre manifeste en se disant « je sens quelque chose » ou « il y a quelque chose à faire (lorsqu’il ex-périmentait des procédés, comme celui du premier groupe) », comme si le peintre avait en lui une oreille secrète toute tournée vers l’écoute de ces appels muets. Une oreille pour l’événement. Cet appel ap-pelle une réponse non pas une réponse à une question formulée puisque cet appel est muet mais une réponse qui prend acte de l’appel, c’est-à-dire une décision. « Je décide de me mettre au travail ». On objectera peut-être que le peintre n’a pas le choix, qu’il n’a donc pas à décider quoi que ce soit, qu’il répond à la seule néces-sité de se mettre au travail. Nous sommes d’accord car nous n’identifions pas décision et choix. Ce n’est pas un choix entre se mettre au travail ou ne pas s’y mettre. Nous appelons « décision » l’intention de faire advenir le nouvel état de chose qui correspond à l’événement. «Je décide de me mettre au travail » veut donc dire plus exactement « je décide de mener à bien tel travail ». Ce n’est donc pas non plus un choix entre tel ou tel état de chose qui se présenteraient à moi, puisque je dois en faire advenir un nouveau.

On peut appeler « processus de décision » le proces-sus qui part de l’appel de l’événement qui est ensuite décidé par quelqu’un pour enfin s’achever dans un « faire advenir » un nouvel état de chose. Ce processus ne se fait pas nécessairement rapidement. Car il peut y avoir un cer-

tain temps entre l’appel de l’événement et l’advenir du nouvel état de chose. A son insu, Stéphane Blondeau allait sûrement dès le départ vers le troisième groupe (l’événement que recouvre celui-ci l’appelle) mais il a fallu passer par les deux premiers groupes. Mais que le temps du processus soit court ou long, il faut que celui ou ceux qui vont faire advenir un nouvel état de chose aient le sentiment que ces événements qui les appellent, les appellent eux, que ces événements les concernent en propre. Il faut qu’il y ait comme une af-finité entre l’appelant (l’événement) et l’appelé, il faut que l’appelé s’identifie de plus en plus à l’événement qui l’appelle. Il doit devenir l’événement. Ses degrés d’identification à l’événement doivent progresser, pas nécessairement régulièrement. Plus ces degrés sont bas plus il y a de l’indétermination, du doute qui se traduisent par des phrases du type « suis-je à la hau-teur ? », « y a-t-il vraiment quelque chose qui m’appelle, l’allusion à un événement n’est-elle pas une illusion ? ». Et en effet on peut toujours se faire croire à un évé-nement, se persuader de son arrivée en produisant de nous-même l’appel. Il en est ici comme lorsqu’on pense surprendre un certain regard d’une personne qui nous attire « M’a-t-elle regardé comme je le crois ou est-ce mon désir qui configure ce regard? ».C’est pourquoi répondre à l’appel d’un événement est toujours un moment très tendu, il règne une certaine indétermination avant la détermination, une certaine indécidabilité avant la décision et cela ne peut pas être autrement car si l’événement demande que l’on s’identifie à lui, lui-même n’est pas identifiable par des états de choses extérieurs. Comment en effet ce qui doit advenir pourrait déjà être pleinement identifiable ?

2 e groupe

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Sûrement y a-t-il déjà des signes qui lui font allusion mais l’allusion n’est pas l’identification ou plutôt il n’y a pas d’identification de l’événement mais une identi-fication à l’événement ce qui est très différent. On va à l’aveugle vers l’événement. C’est rétrospectivement à cette identification à l’événement que l’on peut parler d’identification de l’événement. Après l’appel, donc pas nécessairement après un temps court, à un certain moment du processus de décision le nouvel état de chose va commencer à ad-venir. Ce moment est celui où le degré d’identification à l’événement va être à son apogée. A ce moment a lieu un geste. Nous n’entendons pas par « geste » quelque chose qui se fait nécessairement rapidement, chaque geste a son temps d’exécution mais le geste préside à son exécution. Puisque la décision n’est pas ici de l’ordre du choix mais bien du « faire advenir » alors il est tout à fait du même registre de dire qu’en s’identifiant de plus en plus à l’événement on est de plus en plus décidé. Or puisque l’événement possède son geste c’est comme si je rentrais de plus en plus en affinité avec ce geste c’est comme si petit à petit je commençais à décider le geste comme lorsque l’on dit que l’on décide quelqu’un. Et c’est à ce moment là, lorsque je suis si bien décidé que le geste lui l’est aussi, que le geste-événement arrive, que le geste dé-cisif arrive. La décision est tout entière tournée vers l’effectuation du geste décisif de tel événement. (diagramme page de gauche)

Quel est le geste décisif de Stéphane Blondeau ? c’est évidemment le geste de soustraction du troisième groupe. Ce geste porte en son creux l’événement dont

il est dépositaire, c’est par ce geste que l’advenir a lieu. C’est avec et par le geste de soustraction que naissent presque toutes les encres du troisième groupe (à l’ex-ception d’une). La naissance est dans le geste, en son creux, là où brille son événement. Le geste fait naître un monde qui n’existe pas hors de ces encres. C’est d’ailleurs pourquoi il n’y a rien derrière les encres, pas même le papier blanc car le papier blanc participe à l’encre, il marque le rien, le vide. C’est une des grandes forces de ce geste de soustraction : soustraire pour al-ler jusqu’à rallier à soi ce qui ne se retire pas, le vide. Le vide ne se retire pas car il est toujours déjà retiré, sans être totalement en retrait car le hors-là du retrait par-ticipe à ce qui est là. Le vide est ici comme la marque de l’événement, hors-là et impliqué par ce qui est là c’est-à-dire chaque encre, paradoxalement c’est donc un hors-là qui n’existe pas hors du là. Et les spectres, les fantômes du deuxième groupe se réclament déjà de ce hors-là.

Avec chaque encre du troisième groupe existe un monde, c’est-à-dire une virtualité affirmée par les inten-sités que sont les teintes des encres et par les intensi-tés d’existence que sont ces danses, ces ententes, ces amours, ces désaccords présentés par les figurines, un monde, disions-nous, advient, sous la coupe d’un nouveau Temps, du Temps ouvert par cet événement. C’est à chaque fois un certain enveloppement affirmé par des intensités, dont la consistance tient au geste de soustraction qui traverse et constitue chaque encre. Chaque encre est à ce titre un diagramme puisque, dans ce qu’elle est, résonne ce qui l’a engendrée : son geste. Comme l’écrit avec précision Gilles Châtelet

Diagramme du processus de décision

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dans « Les enjeux du mobile » un diagramme est tel que « sa genèse fait partie de son être ». Chaque encre est une signature de cet événement-geste.

Allégories de l’humanoïde

Nous sommes prêts pour aborder un autre pan fasci-nant dans le travail de Stéphane Blondeau. Il y a toute une dimension allégorique inconsciente dans son tra-vail. Les trois groupes ne sont en effet pas sans porter des indications, des marques auto-référentielles, du fait qu’ils sont engagés dans un processus de décision comme s’ils exprimaient allégoriquement ce processus. Il y a allégorie avec auto-référentialité. D’ailleurs nous venons déjà d’y faire écho en disant que le vide était comme la marque de l’événement qui ouvre un pro-cessus de décision. Mais ces marques allégoriques ce sont aussi l’utilisation qui est faite des couches. Dans le premier groupe il y a superposition des couches, par transparence, comme si aucune couche ne l’emportait vraiment, comme si planait une indécidabilité qui, nous l’avons remarqué plus haut, préside à toute décision. Ensuite, dans le deuxième groupe les couches super-posées se pressent, se bousculent, des séries de ca-dres s’empiètent et s’emboîtent (ceci est plus ou moins manifeste dans chaque encre). Il y a comme quelque chose d’imminent, comme si une couche, une alter-native allait être élue. D’ailleurs elle semble élue par-fois. On approche du geste décisif. Celui-ci d’ailleurs commence à poindre puisque de l’encre est retirée par tamponnage, certaines encres sont très proches du troisième groupe. Enfin le troisième groupe apparaît avec le geste décisif de soustraction enfin effectué.

Or ce geste n’est pas sans faire allusion en lui-même à cette élection d’une couche élue puisque sur le côté on aperçoit à peine décalées d’autres couches. Mais alors cette décision n’est-elle pas un choix puisqu’il y a une élection d’une couche parmi d’autres ? Si c’était un choix on devrait retrouver à la fin une des couches parmi celles qui se sont présen-tées or c’est réellement la couche d’un nouveau monde qui apparaît avec le troisième groupe. Les couches alternatives du deuxième groupe sont bien plutôt les marques d’une sorte d’affolement avant l’élection paisible d’un seul enveloppement. Ce n’est pas un choix qui caractérise le saut du deuxième au troisiè-me groupe c’est un changement d’état, on passe de l’état à « n » couches à celui à une couche. Ce n’est donc pas l’élection d’une couche parmi d’autres mais l’élection de l’état « une couche ». Mais c’est encore insuffisant car cette élection de l’état « une couche » n’est pas non plus un choix entre une couche et « n » couches car les « n » couches participent minimale-ment à l’élection de l’état « une couche » puisqu’une partie de leur encre va être répartie sur le blanc des figurines. En effet Stéphane Blondeau puise dans la matière des couches cachées (souvent plus foncées) pour ajuster des contours ou pour la répartir avec finesse et très partiellement sur le blanc des figurines. C’est « n » couches dans et pour une couche. Le geste de soustraction de Stéphane Blondeau est donc aussi un geste d’élection. Si le physicien Richard Feynman a inventé l’intégration des chemins de la lumière par et pour le chemin qu’est la ligne droite lumineuse, Stéphane Blondeau invente une intégration des cou-ches dans et pour une seule. Ces élections ne sont

1 er groupe

2 e groupe

3 e groupe

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3 e groupe

pas des élections par choix d’un représentant comme lors d’un vote en politique mais des gestes. Ce sont des gestes d’élection qui loin d’éliminer des concur-rents les font concourir à la détermination d’un individu remarquable que sont la ligne droite pour Feynman ou l’encre du troisième groupe pour Stéphane Blondeau. Il y a une forte intuition politique sous cette idée de l’élection comme geste et non comme vote.

Enfin comme dernières marques de cette allégorie du processus de décision nous retiendrons le rôle des inscriptions sur les encres. Celles-ci sont des signes déliés, hasardeux, dans le premier groupe, ils sont presque élevés au statut de matériaux barrant ainsi au signe toute fonction référentielle ou toute signification (« business » est vu comme une certaine matérialité écrite et sonore). Il doit en être avec ces signes comme il doit en être avec le nom même du peintre « Stéphane Blondeau ». Le nom « Stéphane Blondeau » ne doit plus être référencé à la personne Stéphane Blondeau mais bien à l’événement qui lui arrive et qui engage le pro-cessus de décision. Cela devient parfois flagrant dans le deuxième groupe quand la signature du peintre est intégrée aux encres, comme si c’était l’encre qui se signait elle-même, qui signait pour l’événement. Dans le troisième groupe, des espèces de signatures qui ne sont plus celles du peintre viennent souligner le carac-tère de signature de l’événement-geste décidé qu’est chaque encre, d’où l’auto-référentialité, car comme nous l’avons dit c’est chaque encre elle-même qui est bien une signature de l’événement-geste.

Récapitulons donc ce qui appartient à ce premier niveau allégorique, celui de l’allégorie du processus de décision. 1/ L’évolution du statut des couches expriment le processus qui nous fait passer de l’indécidabilité à la décision. 2/ Le geste décisif de soustraction garde en lui-mê-me la trace de cette évolution puisqu’il joue du rapport entre « n » couches et une couche. Ce geste est d’élec-tion sans être un choix, c’est un geste d’élection décisif puisqu’il fait advenir un monde. Le vide intérieur au geste de soustraction n’est pas sans marquer le ca-ractère événementiel du processus. Le geste de sous-traction est donc exceptionnel en tant qu’il marque de façon condensée le décisif et l’événementiel. 3/ Le jeu des inscriptions et des signatures tout en étant là pour déjouer toute référentialité extérieure mar-que l’événementialité qui arrive à Stéphane Blondeau. Stéphane Blondeau tend à devenir ces signatures que sont les encres. Ce n’est plus Stéphane Blondeau qui signe mais les encres qui signent pour lui car il devient l’événement de ses encres. Et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles Stéphane Blondeau a senti la nécessité d’y aller avec ses doigts, devenir l’événement jusqu’à faire corps avec l’œuvre.

Terminons maintenant en évoquant un deuxième niveau allégorique. Car les trois groupes sont comme une grande fresque, allégorie d’une sorte d’épopée de la prise de possession de la décision. Qu’est-ce que veut dire « prendre possession de la décision » ?: que la décision n’est possible que si il existe quelqu’un qui a la capacité de s’engager dans un processus de décision

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(du « répondre à l’appel » jusqu’au geste décisif). Or ne pouvons nous pas dire qu’au deux pôles de cette ca-pacité à répondre sont la matière qui ne répond pas à l’événement et l’homme qui peut y répondre ? On retrouve ces deux pôles avec le premier et le troisiè-me groupe. Le premier groupe est matériel, étant des alliances de corps, de matériaux, de signes, tout est brassé dans une sorte de matérialité composite. Alors que le troisième expose des figurines, des genres de petits hommes. Mais que se passe-t-il entre ces deux groupes ? On a une sorte de matière embryologique, une matière-peau, où se profilent des ébauches de différenciations vie/matière. On ne sait pas trop si les corps s’extirpent de cette matière ou y rentrent, s’ils en naissent ou s’ils en meurent, ça se décide et ça ne se décide pas. On peut supposer que ce passage em-bryologique est la zone de transition entre la matière et l’homme, une sorte de zone convulsive où de nouvelles vies s’ébauchent.Cette deuxième allégorie part donc de la matière, pour passer par l’embryologie avant d’atteindre l’homme ou même des communautés d’hommes (apparaissent des petites tribus). Elle va de la non-décision matérielle à la décidabilité humaine. C’est une allégorie de l’his-toire universelle de la décision. Nous avons donc deux allégories intriquées dans l’œuvre de Stéphane Blon-deau, celle du processus de décision et celle de l’his-toire universelle de la décision. Faut-il dire que ce sont deux allégories indépendantes ? Non car on voit bien que l’allégorie universelle repasse par les étapes du processus de la décision, indécidabilité de la matière jusqu’au geste décisif de l’homme. De même on peut se demander si tout processus de décision n’implique

pas un passage embryologique si on entend par là une sorte de recherche, de mise en test, d’ébauches avant d’attraper le geste décisif.

Il est tentant de nouer ces deux allégories en avan-çant alors que l’homme qui est au bout de l’allégorie universelle a été le fruit d’un processus de décision. C’est la décision qui a pris possession de l’homme, ou mieux l’homme n’est tel que par cette prise de posses-sion. Mais puisque l’homme est celui qui peut aussi exercer le processus de décision il faut donc dire de lui qu’il est celui qui tout en étant décidé (en tant que fruit d’un processus) peut aussi décider. Il hérite du proces-sus dont il est le fruit, le processus se re-produit par lui. L’homme est décidé et décidant, il peut donc décider de lui (l’homme est celui qui dit « je suis décidé » dans les deux sens où on entend cette phrase). Il s’applique à lui-même le processus de décision, il le boucle sur soi, affection de soi par soi, l’homme est le fils de ses événements. C’est pourquoi l’homme n’a pas d’iden-tité fixe, nous dirions donc plutôt que l’homme est tou-jours un humanoïde (comme les figures de Stéphane Blondeau nous le montrent) si on entend par là qu’il est un être toujours en voie de construction car il se transforme à la faveur des événements auxquels il a su répondre. Stéphane Blondeau n’est donc pas un homme mais un bel exemple d’humanoïde, fils de ses œuvres où se présentent de plus en plus d’huma-noïdes. C’est un humanoïde qui s’enfante, lui et ses tribus, lui par ses tribus, et nous avec lui.

Philippe Roy3 egroupe page 133.

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COSMOGONIE Joachim Dupuis

Il fallait peut-être opérer un saut, un saut dans un autre monde, faire du monde de la peinture un univers qui rejoint la science-fiction voire l’horreur pour offrir au regard de nouveaux affects, de nouvelles expressi-vités, celle des êtres filaires, celle d’une matière pres-que magmatique et pourtant animée d’une vie presque organique et végétale. C’est ce nouveau monde que nous allons décrire. A la fin de son article sur « la naissance est dans le geste », Philippe Roy parlait de l’œuvre de l’ar-tiste, des trois groupes d’encre qui la composaient alors, comme d’une boucle qui tout en se déroulant ferait allusion à elle-même dans une sorte de quasi-narrativité. On pourrait donc dire de la peinture de Stéphane Blondeau qu’elle est une sorte d’écriture où les signes dans la matière ne sont plus référés à « notre » monde et ne renvoient donc plus qu’à eux-mêmes. Ce ne sont pas, pour autant, des signes de rien, mais plutôt des quasi-signes (puisque l’idée de signe est maintenant trop chargée de sens) qui ne révèlent rien de notre monde, mais nous prépa-rent à la « rencontre » avec un monde autre.

Tableaux pages 98 à 128

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vateur, empreint d’une sorte d’obscure clarté, où se font entendre des sifflements, des grincements de toute une légion d’êtres filaires qui envahis-sent les encres en y naissant et s’en nourrissant, comme la naissance d’une espèce nouvelle, une « faune marécageuse » aspirant à plus de vie et de mort. Vampires et fantômes à la fois.

« Cosmogonie » serait le nom qu’on pourrait donner à cet-te naissance, à ce qui vient trouer le ruban, à ce qui vient l’habiter comme une béance à nulle autre pareille. Cette béance du ruban, que nous propose Stéphane Blondeau, c’est ce qui fait entrer la peinture dans une mondanité pa-rallèle à la nôtre et qui est sans cesse renouvelée, comme une mue de peau. D’un geste à l’autre

On pouvait marquer chacun des trois groupes de « la naissance dans le geste » d’un affect particulier : une inquiétude, pour le premier, une hantise pour second, et une jubilation pour le dernier. C’est ainsi que chacun a été doté d’une sorte de note atmosphérique, car s’il s’agissait bien d’un geste de soustraction opérant dans cette peinture, il ne pouvait se faire qu’avec une sorte de retrait dans la sensation, de l’expérience mondaine elle-même vers le virtuel. Pour chaque encre dès lors une certaine « gravité » concernant notre monde ne tenait plus. Il fallait se délester de tout le poids de ce que la phénoménologie avait encore, malgré tout ses efforts, eu de la peine à se défaire : une sorte de jugement intel-lectuel de la peinture ou une certaine tendance à parler de son goût pour les choses traduites en images (assi-

Tout serait alors un peu comme la rencontre du troisième type, si celui-ci n’avait déjà reçu de la science-fiction une autre destinée. Ce que la peinture de Sté-phane Blondeau donne à voir et aussi à entendre, ce n’est donc pas la rencontre scabreuse avec un monde inconnu, forcément toujours un de nos doubles, ou le miroir d’une humanité ayant subi une autre évolution, mais le fragile lien d’un peintre avec le geste de la création. A sa façon Stéphane Blondeau nous dessine un monde qui pourrait être le nôtre, mais qui ne peut l’être que sur le mode du vœu, ou de l’action politique, monde où la créativité se dégage de tout le poids de la représentation qui l’a comme emprisonné (camera obscura).

C’est comme si le peintre était saisi par une responsabilité (la décision disait Philippe Roy dans son article) et que celle-ci ne pouvait se contenter d’un « geste de soustraction » et devait, pour abo-lir complètement le monde réel, retentir d’un autre geste, un geste supplémentaire, un « geste de mutilation ». Ce geste est un pas de plus dans la conjuration de notre monde : il y va d’une sorte de quête sans héros, mais non pas sans acteur. Sur cette scène, on nous montre un profond déchire-ment de la matière et des êtres qui l’habitent, mais ce qui s’y joue n’est nullement une tragédie : la peinture n’est pas la proie d’une séparation entre la figure et le fond, cette distinction n’a même plus de sens. La peinture travaille maintenant à une es-pèce de vampirisation, ou de vampirisme. Elle est « engendrement d’un monde ». Aussi le geste de mutilation est à comprendre comme un geste sal-

1 er groupe

2 e groupe

3 e groupe

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jours celui qui s’y détermine. La décision de l’artiste, c’est l’écho du Temps lui-même appelant l’artiste dans un « faire ». C’est pourquoi dans cette dernière phase, les humanoïdes se cherchaient comme la matière en se mettant à danser, et la matière semblait elle-même résonner avec « eux », à moins que ce fût la matière qui donnait le rythme. C’était le ton d’une jubilation unique.

Ces trois phases au fond nous donnaient bien le goût de quelque chose, mais certainement pas de la peinture, du moins avec l’idée qu’on s’en fait. Plutôt : un goût pour la naissance. Dans les mains de Stéphane Blondeau, la peinture était annonciatrice d’un grand jour, elle portait (comme on dit de la femme)l’événement lui-même avec son monde. Il fallait juste lui donner le temps, pour la voir « selon sa profondeur », ou « à toutes profondeurs » (pour reprendre le mot de Nicolas de Staël). Aussi bien porter le geste, c’était le mener jusqu’à sa pleine muti-lation, faire une béance dans « l’arc en ciel de gravité » (comme dit Pynchon) qu’était encore malgré tout ce que montrait le peintre. Il fallait plus qu’une danse de la ma-tière et des corps, plus qu’une jubilation pour percer ce qui restait encore nos corps lestés dans la mondanité. La matière était encore un matériau trop plein, où la vir-tualité du geste soustractif avait encore peine à offrir tout l’espace d’une décision, à semer les germes d’une vraie politique. « Le geste de soustraction, dit Philippe Roy, fait (...) travailler conjointement une extraction dans le plein d’une matière et ce qui se soustrait à toute matière, ce qui se tire en dessous : le vide. Le vide occupe virtuellement le site de l’extrait »*. C’est cela la décision du troisième groupe

milant ainsi la peinture au régime de la doxa). Il fallait rompre avec une certaine pesanteur qui nous fait regar-der la peinture avec une sorte d’évidence et de légèreté (de ton) tout à la fois et qui symbolise bien l’idée que l’on s’en fait, celle d’un art mimétique. Ces trois phases non chronologiques qui marquaient comme le point de départ d’une grande aventure nous ont délestés progressivement de notre attache à un mon-de d’habitudes et de certitudes pour nous faire glisser d’abord avec le premier groupe dans l’inquiétude d’une rupture, d’un retrait dont l’effacement des traits des visages témoignaient. Ce qu’on nomme « fond » (photo-graphique) s’est lui-même désajusté pour laisser place à des matériaux en fusion les uns dans les autres, pris dans une sorte de « variation continue » (l’expression est de Deleuze). Signe de l’« agitation du peintre » (dit Philippe Roy) à créer, ce premier groupe trahissait une note atmosphérique de « décompression » des corps et des matériaux . Dans le second groupe, c’étaient des espèces de lacs de sang qui s’époumonnaient et se gonflaient maintenant comme des figurines, des « hu-manoïdes ». L’inquiétude laissait la place à la hantise, la peur. Que dire de ces figures à moitié humaines à moi-tié végétales? On dirait qu’elles cherchaient leur place dans ce retrait du monde, empiétant, glissant sur cette matière, donnant maintenant l’idée d’un « temps pul-satile », d’ une espèce de « première peau diaphane», peau d’une naissance encore à faire.La troisième pha-se, celle du « geste de soustraction » inaugurait l’appel de l’événement. Philippe Roy a bien marqué ce geste du sceau de l’événement, le faisant tenir non d’un choix mais d’une décision qui engage comme depuis tou-

* Chimère n°60.

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que l’artiste allait chercher plus loin encore dans la ma-tière et dans les corps. Mais on pouvait encore avoir avec le troisième groupe comme la trace d’une illusion, celle d’un monde miroir, encore trop fantômatique, qui sem-blait encore de loin mimer nos gestes tout en les effaçant. Il fallait renouer et approfondir ce « geste de soustraction », montrer qu’il est plus encore : un geste-vampire, ou de mutilation. Il fallait aller encore plus à rebours du temps et de l’espace; et manifester presque sensuellement comment le monde fantômatique bascule dans l’hor-reur. Un autre ton, un autre geste (et en même temps le même). Vampirismes

L’entrée dans un autre groupe, ou une autre série, était imminente. Elle ne pouvait marquer et signifier un retour au monde « réel » (sans les virtualités acquises par le « geste de soustraction »), elle ne pouvait non plus marquer l’abolition de la soustraction elle-même ( vide qui au fond réveillait la peinture à la vie ). C’était un approfondissement; c’était le début, une sorte de commencement. Entête*? Qu’allaient-ils donner, ces nouveaux engendrements du peintre ? L’idée d’appeler ce groupe les « Toits » (peut-être par réminiscence de l’ancien monde et des tentatives d’un Nicolas de Staël) suggérait sans commune mesure avec ce peintre émi-nent que ce mot devait désigner plutôt qu’une profon-deur byzantine une sorte d’habitation, d’architecture en train de naître, de monde « plat », de peau diaphane en train de se créer, et de se donner une densité. Les corps humanoïdes eux-mêmes semblaient en accord avec cette matière ; ils se rattachaient à ses oripeaux, ses

mues. N’était-ce donc pas la naissance d’un « mi-lieu » ? Ce nouveau monde ouvert par cette nouvelle série semblait offrir un lien ombilical, un milieu où chacun (matière ou corps) paraissait « s’effectuer » à partir de l’autre, comme une sorte de vampirie parta-gée. Un festin nu auquel le peintre nous conviait de participer comme on assiste à un sacrifice. Il fallait tanner les peaux. Faire sortir d’autres peaux de la matière, comme un effet d’auto-mutilation. Et c’est tout naturellement que la démarche suivie par Stéphane Blondeau répétait cette création par le milieu, l’effectuait autant que la réalisait. A partir d’une ébauche de milieu que figurent les virtualités du geste circulatoire autour d’une matrice, ou d’un « tableau », l’artiste semble avoir constitué, « engendré » toute la série. Elle est née par le milieu, au milieu de « prises de vue » (photographiques) de cet espace, qui rappellent le procédé du premier groupe, et qui sont comme des zooms découpés dans ce « milieu ». Chaque tableau devenant ainsi un fragment, un morceau de peau pré-levé sur elle-même, comme un greffon, avec la violen-ce d’une morsure que l’on se fait à soi-même. Chaque tableau, aussi bien, était comme une « prise de vue » de la vie de ce milieu, grouillant de germes, à la fois partie et tout lui-même, tabloïde parmi ses engendre-ments. Voir ci-contre

Cette série, née d’une sorte de perdition dans le lieu de la toile (d’une toile), est devenue le nouveau monde, un monde donné par fragments, émietté, per-pétré précisément comme une mutilation. Et dans chaque engendrement (chaque toile) pouvait poindre

* Terme qui est le premier mot de la Bible selon André Chouraqui.

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une matière plus différenciée et des corps eux-mêmes plus autonomes, mais reliés presque organiquement. C’est donc par zooms successifs que le peintre a repénétré la matière et les corps de cette matrice, mais le geste de soustraction devait aussi devenir autre par son prolongement : donnant ainsi à la matri-ce originelle, des qualités de projection, d’abord et d’ « anticipation » (au sens de la science-fiction) ensuite. L’idée de ne zoomer que l’espace de la matrice aurait ainsi recréé les conditions d’un monde fermé, d’une simple projection optique sans création, une sorte de mimesis. Non, il fallait transformer l’ancrage de la matière avec ses filages, et montrer les mutiples agencements « texturés » que le geste-vampire avait engendré : un horizon nouveau s’offrait ainsi dans le devenir de chaque prise. De là aussi l’importance à donner aux êtres hu-manoïdes qui sont maintenant devenus plus émaciés, plus longilignes, plus filaires, en un mot. L’horreur ne pouvait venir que de ce qu’ils sont maintenant en prise sur la matière comme l’artiste avec son appareil pho-tographique. Morsure qui donnait une sorte de déchi-quetement de la matière, la faisait fusionner, dans le même temps que la matière se nourrissait aussi de ce que les êtres filaires la parasitaient. Nouvelle peau que donnait à voir Stéphane Blondeau, plus encore : celle d’un geste-naissance, d’un geste qui tout à la fois mu-tile et donne la vie en vampirisant. Chaque être filaire constituant à partir du milieu partagé la peau, les éner-gies nécessaires à son épanouisssement et la matière aussi vorace, se délectait de sa transformation. « Les toits » aussi bien étaient des indices de sa construc-

tion, de sa génération, les dessins d’un tissu bien à elle, mais « crevé ». Les êtres filaires prolongeaient ainsi la matière et vice versa, selon un geste qui est précisé-ment un geste vampire.

Ce geste n’est donc pas tout à fait un autre geste que le geste de soustraction, c’est le même geste, au fond, mais sur un palier de réalité plus profond dans le creusement même de ce monde, c’est-à-dire, parado-xalement vu de notre du monde, son engendrement. C’est dire que le trou de la béance est ce qui responsa-bilise et rend possible l’exécution tout autant que l’ex-pressivité monde par le peintre. Le geste vampire est donc ce qui précisément nous ouvre à l’exploration d’un monde qui jusqu’alors ne se donnait que comme appel vers le vide, comme ouverture de virtualités au sein du tableau. Précisément, le geste vampire soustrait : il re-tire de la matière mais aussi il la montre dans sa nudité ontologique, dans son espèce de magma, de blocs d’in-tensités qui se creusent et fait que la matière n’est pas une chose, mais un processus, n’est pas seulement minérale ou biologique ou végétale, mais une « transi-tion de phase » où l’on ne saurait discriminer la matière sous l’appellation d’un signe (donc le référer, toujours et encore, à une chose mondaine) ce que les lettres-signes inversées des toiles nous défendent expres-sément ! mais plutôt l’appréhender comme « forces explosantes ».

La béance du ruban

La seconde série, à laquelle nous convie « cosmo-gonie », que nous nommerons « Villes » ou « chambre »

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158 Stéphane Blondeau 1592005 - 2008

va déployer ce geste vampire au plus point, à sa limite précisément (page 110). On bascule vers une anti-chambre. Précisément elle nous montre encore plus qu’« auparavant » combien la matière est à rebours : qu’elle ne saurait se prêter à aucune évolution qui pourrait faire que la décision s’abolirait en un choix. Ce geste de la première série qui est tout autant un « tourner autour » du peintre qui attire, crée l’extraction autant que son engendrement, qu’un « tourner autour » de l’œuvre elle-même, va en quelque sorte se replier en lui-même pour lever une sorte de nouvelle pâte, où la matière va entrer cette fois en circulation, dans les toiles, avec les êtres filaires qui sont attachés à elle, et qui s’en nourrissent. Ainsi va naître une danse de la renaissance. Cette danse affleure sur le point-milieu (de rencontre) : comme ici un sol glacé, une patinoire; là, dans les tons croisés de couleurs qui font écho aux entrelacements maintenant plus fébriles des êtres filaires. On assiste au grondement, à l’éclosion d’une sorte de virtualité plus grande, de béance capable de soutenir, de connecter toutes les nouvelles « dispo-sitions » de la matière et des filaires. Ce creusement c’est un creusement topologique, une sorte de mobi-lité des matières, qui se mettent à claquer comme des fouets, et les êtres filaires qui se font de plus en plus envahissants, comme la levée d’une ethnie révolution-naire. L’espace des tableaux est comme une sorte de grande « enveloppée contrapuntique ». La béance s’affirme par les trouées noires qui dévo-rent et mettent en branle le milieu, comme l’aspirant et générant toute une électricité qui parcourt les échines des filaires et qui irriguent les cloisons d’une « ville » qui se met

à flamber dans une allégresse et horreur tout à la fois. Dans la série « Les toits », une toile s’en est allée, le peintre l’a détruite. Cette toile portait déjà la mar-que incendiaire de cet événement : elle avait l’irisation intense d’un rose qui illuminait toute la matière et les corps filaires, avant la grande danse. Cette destruction aussi bien inaugurait symboliquement la Béance elle-même. (voir la toile rose page de gauche). Matin de fête avant l’heure. « Villes », c’est aussi bien une sorte de trouée vers autre chose qu’une simple membrane, c’est le creusement de cette membrane où les corps et les matières se sont employés à naître par le milieu, ou se différencier par leur parasitisme réciproque. On comprend dés lors en quoi il fallait sortir de toute ma-trice, entrer dans une « niche », une « chambre » où le geste de création se déroulerait autrement, de manière plus approfondie peut-être. En tous cas cela explique ces tranchées noires des toiles, cet « autre côté » de la membrane, là où la vie parasite la matière en menant une danse, laquelle matière à son contact « s’architex-ture ». C’est comme le pli d’un drapé, l’appel d’une en-volée. C’est donc bien une béance qui fait jour au bout du compte dans ce « monde », non pas à proprement parler un trou, mais une série de trous : c’était comme une pro-fondeur qui topologise la matière et qui donne à la vie sa vitalité vampirique qui est peut-être son trait le plus essentiel. C’est sous ses augures que les développe-ments virtuels de la matière passés sous le régime du vampire vont peut-être engendrer d’autres niveaux de réalités. Peut-être, doit-on s’attendre à ce que le peintre inaugure quelques laboratoires monstrueux ?

Joachim Dupuis

(toile détruite)

Page 81: la béance du ruban

Col laborateurs

Remerciements : Benoit Vuillemin / Antoine Catarino / Christophe Bobiller / Catherine Monnier /

Evelyne David / Didier Henriet / François Meunier

Philippe Roy

Doctorant en philosophie (Paris 8).Membre du groupe de travail « Gilles Châtelet ». http://groupe.chatelet.neuf.fr

Articles publiés :Stéphane Blondeau, la naissance est dans le geste. « Chimères n°60 »Le cri de Gilles Châtelet. « Chimères n°56 »Mobilisation informatique en mathématiques. « Le bulletin des APP n°55 »

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Joachim Dupuis

Professeur de lettres et de philosophie à l’ISEN et l’ICAM de LilleMembre du groupe de travail « Gilles Châtelet ». http://groupe.chatelet.neuf.fr

Articles publiés :Les diagrammatismes de Gilles Châtelet et de Michel Foucault, « Chimères N°58 » Variations, métamorphoses et cristal, à propos de la rencontre entre musique et pensée dans le minimalisme, « www.musicologie.org » (2004)La pièce manquante, à propos de Georges Perec, «Interdits.net» (2003)La bombe Foucault, « www.Interdits.net » (2001)

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