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< CHAPITRE PREMIER > La beauté, calligraphies et calligrammes < 93 > L’écriture et l’art de l’écriture La calligraphie est une géométrie de l’âme qui se manifeste physiquement. Platon. L e mot calligraphie vient du grec « kal- los » qui veut dire beauté ; il signifie « beauté de l’écriture ». C’est un art où celui qui trace a le souci de l’esthétique et recherche une forme élégante et appliquée qui rapproche l’écriture de la peinture : elle est le fruit d’un long apprentissage pour maîtriser à la fois le style et le ductus (ou sens des traits). Énergie et concentration sont trouvées dans le souffle et dans une bonne tenue générale du corps. Elle offre à celui qui pratique la possi- bilité d’exprimer sa sensibilité 1 et elle entre- tient l’énergie d’une pensée spéculative. De nombreuses cultures ont développé cet art. Pour les Égyptiens, l’écriture est insépa- rable de l’art puisqu’elle figure la réalité du monde à laquelle elle assure l’immortalité. En Chine et au Japon, tout « lettré » doit savoir bien tenir son pinceau pour pouvoir éterni- ser, dans un désir audacieux sur le petit frag- ment d’univers de la page, un instant de per- fection. Dans la calligraphie islamique, la direction des lignes, l’épaisseur des traits, l’em- placement des points contribuent ensemble à l’équilibre général d’une œuvre. La page du calligraphe oriental fait penser à un entrelacs végétal qui tiendrait à conserver un peu de son secret. La calligraphie est un art vivant. Pour les Arabes, dès le VII e siècle, elle est l’art de la ligne qui s’exprime dans une grande variété de styles, dans les écrits mais aussi dans l’archi- tecture. Chaque calligraphe peut inventer ses propres compositions, comme le fait le peintre. Étant donné que nous n’accédons pas au sens du message des langues étrangères, l’ac- tivité de calligraphie est alors appréhendée dans ses aspects picturaux, formels et orne- mentaux, au service de la sensibilité et de l’émotion. En occident à partir du XVI e siècle, l’écri- ture manuscrite évolue, redéfinissant ses fonc- tions. Avec l’imprimerie qui isole les carac- tères, l’art d’écrire emprunte à un art de la règle et du compas que contrebalancent les fantaisies baroques du XVII e siècle. Autour des écritures latines, la dialectique est permanente entre ordre et fantaisie, invention et liberté. Jean Mallon, chercheur au CNRS, décrit les cinq éléments constitutifs de l’écriture : la forme extérieure de la lettre c’est-à-dire sa morphologie qui a évolué dans le temps, la position dans laquelle se trouve placé l’ins- 1. Pas de plus bel ouvrage sur la question que Calligraphie de Claude Médiavilla publié à l’Imprimerie nationale en 1993. Calligraphie chinoise (travaux d’élèves). Calligraphie (travaux d’élèves). La lettre, élément visuel du logo.

La beauté, calligraphies et calligrammescrdp.ac-amiens.fr/IMG/pdf/ecriture_apprentissage_93_95.pdfLa calligraphie est une géométrie de l’âme qui se manifeste physiquement. Platon

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< CHAPITRE PREMIER >

La beauté, calligraphies et calligrammes

< 93 >L’écriture et l’art de l’écriture

La calligraphie est une géométriede l’âme qui se manifeste physiquement.

Platon.

Le mot calligraphie vient du grec « kal-los » qui veut dire beauté ; il signifie« beauté de l’écriture ». C’est un art où

celui qui trace a le souci de l’esthétique etrecherche une forme élégante et appliquée quirapproche l’écriture de la peinture : elle est lefruit d’un long apprentissage pour maîtriser àla fois le style et le ductus (ou sens des traits).Énergie et concentration sont trouvées dans lesouffle et dans une bonne tenue générale ducorps. Elle offre à celui qui pratique la possi-bilité d’exprimer sa sensibilité 1 et elle entre-tient l’énergie d’une pensée spéculative.

De nombreuses cultures ont développé cetart. Pour les Égyptiens, l’écriture est insépa-rable de l’art puisqu’elle figure la réalité dumonde à laquelle elle assure l’immortalité. EnChine et au Japon, tout « lettré » doit savoirbien tenir son pinceau pour pouvoir éterni-ser, dans un désir audacieux sur le petit frag-ment d’univers de la page, un instant de per-fection. Dans la calligraphie islamique, ladirection des lignes, l’épaisseur des traits, l’em-placement des points contribuent ensemble àl’équilibre général d’une œuvre. La page ducalligraphe oriental fait penser à un entrelacsvégétal qui tiendrait à conserver un peu deson secret.

La calligraphie est un art vivant. Pour lesArabes, dès le VIIe siècle, elle est l’art de laligne qui s’exprime dans une grande variété destyles, dans les écrits mais aussi dans l’archi-tecture. Chaque calligraphe peut inventer ses

propres compositions, comme le fait le peintre.Étant donné que nous n’accédons pas au

sens du message des langues étrangères, l’ac-tivité de calligraphie est alors appréhendéedans ses aspects picturaux, formels et orne-mentaux, au service de la sensibilité et del’émotion.

En occident à partir du XVIe siècle, l’écri-ture manuscrite évolue, redéfinissant ses fonc-tions. Avec l’imprimerie qui isole les carac-tères, l’art d’écrire emprunte à un art de larègle et du compas que contrebalancent lesfantaisies baroques du XVIIe siècle. Autour desécritures latines, la dialectique est permanenteentre ordre et fantaisie, invention et liberté.Jean Mallon, chercheur au CNRS, décrit lescinq éléments constitutifs de l’écriture : laforme extérieure de la lettre c’est-à-dire samorphologie qui a évolué dans le temps, laposition dans laquelle se trouve placé l’ins-

1. Pas de plus bel ouvrage sur la

question que Calligraphie de Claude

Médiavilla publié à l’Imprimerie

nationale en 1993.

❱ Calligraphie chinoise(travaux d’élèves).

❱ Calligraphie (travaux d’élèves).

❱ La lettre, élément visuel du logo.

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< 94 > L’écriture et son apprentissage

• Couvrir d’écrituresChoisir une lettre, un mot, une phrase. Avecun pinceau ou une plume et une encre fluide,reproduire la lettre, le mot (son prénom parex.) ou la phrase en recouvrant des supportsinsolites : rouleau de carton, feuilles d’arbresséchées, rubans de tissu déchiré, un œuf vidé,un morceau de roseau ou de bambou, uncaillou, sa main, un cd ou cédérom périmés (ilfaut alors utiliser des feutres indélébiles).

Nota : adapter le choix de l’outil auxcaractéristiques du support. Des mélangesavec des pigments naturels peuvent servir demédium: brou de noix, jus de betterave, thé,jus de sureau, noir de fumée…On peut choisir de recouvrir des papiers desboîtes portant des écrits ou des dessins ; ils’agira alors de faire jouer la calligraphie avecles formes et les couleurs présentes sur lesupport.

• Lettre ornéeChaque enfant réalise un fond de graphismesavec des guirlandes de couleurs ou desalgorithmes de signes graphiques ; les lettresmajuscules du prénom sont calligraphiéesavec soin en surimpression noire (avec

modèle). La lettrine à l’initiale d’unparagraphe occupe la hauteur de plusieurslignes de textes. On peut réaliser la lettrine dudébut d’un poème ou d’une chanson, dont letexte est collé dans le cahier ou affiché sur lemur de la classe. Orner et enjoliver lamajuscule de son prénom.

• Calligraphie arabe à partir de modèles,réalisés avec des calames (bambous taillés) etdu brou de noix. (voir les exemples de GhaniAlani en annexe 9).

• Calligraphie chinoise : réaliser lesdifférentes étapes de la calligraphie d’unsigne dont le tracé est décomposé parl’enseignant ; calligraphier un panneauconstitué de trois signes superposés tracés lesuns sous les autres. (voir en annexe n° 10 desmodèles de calligraphie chinoise et desréalisations d’élèves).

• Le calligrammeLe mot a été inventé par GuillaumeApollinaire. Il s’agit d’écrire des phrasespoétiques en choisissant une disposition quireprésente lethème évoqué.L’écriture seprésentecomme un jeude lignesorganisé endessin qui faitaussi du sens.

• La calligraphie « en négatif », c’est-à-direen blanc sur fond sombre peut être réaliséede diverses manières : en réservant les lettresavec de la gomme à dessiner qui résistera aulavis de couleur et qu’il suffira d’enleverquand le lavis sera sec ; en calligraphiant àl’eau de javel sur un lavis d’encre nonpermanent pour obtenir des formes pâles surfond sombre.

Ateliers de calligraphie

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< 95 >L’écriture et l’art de l’écriture

trument par rapport à laréglure c’est-à-dire l’angled’écriture, le nombre, l’ordrede succession et le ductus, ladimension des formes, lar-geur et hauteur que l’onappelle le module, le poids del’écriture déterminé par plu-sieurs facteurs comme lataille et la position de laplume, le déploiement del’écriture sur le sens hori-zontal. On peut ajouterd’autres paramètres commele style, c’est-à-dire le modepersonnel de l’artiste et laposition du corps, la tenue dela plume, le jeu des pleins etdes déliés, l’espacement deslettres, le rythme et la pression de la main surl’outil.

Il est bien évident qu’à l’école, explorerles différents usages et visages de la calli-graphie (ce que préconisent les programmesde cycle2), ne peut se faire sans clarifier lesintentions pédagogiques, structurer quelquessituations d’apprentissage en ayant en têteles paramètres techniques, plastiques et esthé-tiques de l’activité. Il faut passer par uneobservation juste et sereine de la réalité empi-rique grâce à un travail qui sollicite la per-ception visuelle; beaucoup d’acquisitions pas-sent par ce canal de la perception optique.Dans le domaine de la perception des formes,l’homme met en œuvre des procédés affinésdans lesquels la mémoire et les apprentis-sages jouent un rôle essentiel. Des cellulesnerveuses sensibles jouent le rôle d’extrac-teurs de motifs et permettent l’identificationprécise de points de lignes, d’espaces, dezones. La perception est un phénomène trèsimportant de mémorisation du monde exté-rieur, à partir de laquelle s’élaborent des repré-sentations intellectuelles. Tout ce qui concernel’acte graphique et l’écriture est situé du côtégauche du cerveau ; cette perception desformes produit un effet en référence avec lacapacité à éprouver son propre corps inté-rieur, à mobiliser une énergie intérieure. Ilfaut donc protéger la zone gauche des exci-tations produites par l’environnement pourtrouver la puissance et le sens de l’expres-

sion graphique. La calligraphie n’est passimple reproduction de formes ; elle est uneanalyse qui s’effectue dans une aire locali-sée du cerveau. La forme se matérialise par unpoint virtuel qui se déplace sur un supportpar l’intermédiaire de la main. Quand l’éner-gie intérieure fait défaut, le trajet est hési-tant, produisant des formes molles, sansgrande expression.

Les différentes formes de calligraphie doi-vent permettre de faire vivre aux élèves lestracés propres à chaque tradition : les picto-grammes forment les idéogrammes chinois etjaponais, la calligraphie orientale se rapprochedu calligramme, elle parle par images, l’écri-ture alphabétique est abstraite et assez rigide.

❱ Écrire sur des supports insolites : béton cellulaire, argile, etc.[ Travaux de l’école maternelle de Verneuil-en-Halatte (Oise).]

❱ Calligrame (travaux d’élèves).

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