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La composition corps-esprit (Extrême-Orient, Sagesse et Combat) 43 La composition corps-esprit (Extrême-Orient, Sagesse et Combat) Le Zen est une culture élitaire de l’histoire de la Chine et du Japon : au centre, une pratique spirituelle très épurée (sans dieu), autour, des ermites héroïques d’une part, et des ordres monastiques véritables entreprises de travail collectivisé d’autre part. Pour l’Extrême-Orient moderne ou postmoderne, le bouddhisme Zen n’est plus une centralité, il ne survit plus que par des choix d’individus et les services funéraires des anciens. Pourtant, pour nous qui sommes en Occident au XXIème siècle, le Zen est aussi une autre mémoire. La référence à une ligne de fuite (persane, chinoise, etc.) de civilisations autres a permis le contour intellectuel selon lequel les droits universels et laïques ont été pensés et défendus, et parfois les changements ont surgi, dès le XVIIIème siècle. La figure spirituelle du Zen, comme en suspens, est à ce titre rétive à toute spéculation intellectuelle. Elle est ainsi distincte de l’identité occidentale de la modernité. L’intellect n’a aucune emprise sur le Zen, et sa pratique s’en défait. Elle se défait tout autant des entrains émotionnels, et même des amplitudes physiques ou motrices. Se dérobant à l’emprise (intellectuelle, émotionnelle, physique), comme une récurrence censée amener la vitalité à des sommets, le Zen a été utilisé comme référence dans l’art du guerrier, l’art des disciplines martiales, entre d’autres domaines. Aujourd’hui en Occident, la référence à l’Orient classique a souvent le double visage de la spiritualité et des arts martiaux. Ne serait-ce pas parce que la matrice clé est l’alignement, l’intégration, du corps avec l’esprit et de l’esprit avec le corps, qui permet d’être et d’être seulement, au cœur des faits, lieux, ou agir, qui font de nous de seules partialités et interprétations, condamnées à être aliénées et sécurisées pour trouver la paix ?

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La composition corps-esprit(Extrême-Orient, Sagesse et Combat)

Le Zen est une culture élitaire de l’histoire de la Chine et du Japon : au centre, une pratique spirituelle très épurée (sans dieu), autour, des ermites héroïques d’une part, et des ordres monastiques véritables entreprises de travail collectivisé d’autre part. Pour l’Extrême-Orient moderne ou postmoderne, le bouddhisme Zen n’est plus une centralité, il ne survit plus que par des choix d’individus et les services funéraires des anciens.

Pourtant, pour nous qui sommes en Occident au XXIème siècle, le Zen est aussi une autre mémoire. La référence à une ligne de fuite (persane, chinoise, etc.) de civilisations autres a permis le contour intellectuel selon lequel les droits universels et laïques ont été pensés et défendus, et parfois les changements ont surgi, dès le XVIIIème siècle. La figure spirituelle du Zen, comme en suspens, est à ce titre rétive à toute spéculation intellectuelle. Elle est ainsi distincte de l’identité occidentale de la modernité. L’intellect n’a aucune emprise sur le Zen, et sa pratique s’en défait. Elle se défait tout autant des entrains émotionnels, et même des amplitudes physiques ou motrices. Se dérobant à l’emprise (intellectuelle, émotionnelle, physique), comme une récurrence censée amener la vitalité à des sommets, le Zen a été utilisé comme référence dans l’art du guerrier, l’art des disciplines martiales, entre d’autres domaines.

Aujourd’hui en Occident, la référence à l’Orient classique a souvent le double visage de la spiritualité et des arts martiaux. Ne serait-ce pas parce que la matrice clé est l’alignement, l’intégration, du corps avec l’esprit et de l’esprit avec le corps, qui permet d’être et d’être seulement, au cœur des faits, lieux, ou agir, qui font de nous de seules partialités et interprétations, condamnées à être aliénées et sécurisées pour trouver la paix ?

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Je propose cet article à la lecture alors que je viens de passer une douzaine d’années à étudier les pratiques d’énergie interne et de spiritualité d’Extrême-Orient (par leur accès en Europe). Cette pratique entreprise de méditer, non par dépit mais pour investir la puissance accessible, fait suite à l’échec à éditer après une dizaine d’années passées à créer des œuvres littéraires romanesques et politiques.

Durant ces derniers douze ans passés à plein temps à confronter la mise en axe du corps et de l’esprit (corps vers esprit et esprit vers corps) ainsi que la mise en axe entre les sens (et les mots) et le silence, j’ai accompli un certain nombre de formations formelles. Résidant entre la Soule-Xiberoa et la Côte basque frontalière, j’ai utilisé le sérieux d’internet (ça existe) pour me former aussi selon un spectre international.

J’ai accompli une formation d’initiateur (de techniques de santé) de l’art martial interne chinois Yi Quan (Yi Tchuan) en sept ans de travail autonome et par la rencontre d’un des principaux enseignants français de la discipline à intervalles dans cette durée. Je travaille désormais avec un autre des principaux enseignants français de cette discipline, qui m’enseigne notamment la version japonaise (indépendante depuis les années 1950) de cet art chinois.

J’ai accompli un programme exigeant de deux ans de formation de pratique du bouddhisme Zen avec un enseignant français de 80 ans (en 2008) qui a consacré la plupart de sa vie à cette œuvre, alors qu’il était un des principaux assistants de Taisen Deshimaru, le principal introducteur du Zen (Soto) en Europe. Par la suite, j’ai accompli le programme de formation en deux ans de l’Institut d’Etudes Bouddhiques (alors Université Bouddhique Européenne), un centre d’études et d’enseignements francophones du bouddhisme, situé à Paris. Ce programme enseigne les principaux aspects conceptuels ainsi que la description des principaux courants du bouddhisme en ses 2500 ans d’histoire. Depuis 2009, j’ai inscrit mon cheminement bouddhiste dans le pas d’Eric Rommeluère (Jiun), un maître français du Zen. C’est dans une relation sûre et amicale avec lui que je poursuis ma trajectoire.

Alors, savoirs martiaux de Chine, je suis depuis 2013 représentant au Pays Basque de l’association (française et internationale) d’arts martiaux ANYDA, pour mes aptitudes en Yi Quan (Yi Tchuan). Attaché à une vision universelle, j’étudie aussi depuis 2011 le Tai Ji Quan (Tai Chi Chuan) de l’école internationale (Asie-Océanie-Europe) de Patrick Kelly, dans un premier temps via l’Angleterre et désormais via l’Espagne (à la frontière basque). J’ai ainsi accès au patrimoine chinois qui a été transmis tout au long hors de Chine Populaire.

L’association de Zen à laquelle j’appartiens, l’association Un Zen Occidental (celle d’Eric Rommeluère), fait le pari d’être à la fois très fidèle aux patrimoines classiques de la culture du Zen (Inde, Chine, Japon) et de la rendre pleinement présente à l’expérience occidentale, celle que nous vivons après deux siècles de modernité, de dissensions et émancipations. Dans le même esprit, nous

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proposons dans cet article une vision de la relation entre le bouddhisme Zen et l’expérience des arts martiaux, selon cette armature moderne qui rejoint Orient et Occident, et nous incite désormais à une certaine tenue et retenue / autonomie responsable quant à la culture classique d’Extrême-Orient.

1 - extrême-orient et composition corps-esprit :une modernité

Un classicisme extrême-oriental  

La multitude des sources spirituelles et martiales dans le monde extrême-oriental a au XXème siècle été confrontée au formalisme moderne (concept / catalyse), qui a fondé des lois historiques, des axes de gravité, dans les historicités de ces matériaux proprement asiatiques.

Certains axes d’évolution, certains fondements de principe, ont permis ainsi à une vue proprement contemporaine (tout à la fois occidentale et orientale) de s’imposer dans les diversités des généalogies spontanées.

  Pratique de présence propre 

L’idée de pratique a pour principe interne la fréquence, et la durée / matière de fréquence, de la personne, et ses véhicules d’existence, dans le temps.

Une fois acquis, par la pratique énergétique, une résonance dans le corps (souffle énergétique / forces proportionnelles internes), c’est dans l’existence que s’agrège une résonance, où les attributs de vie (comme contexte adjacent) cessent là où ils sont manifestés, et se manifestent là où ils sont cessés (tout comme un souffle est soit inspiration soit expiration, l’un l’autre de fait).

Il s’agit donc, en tant que pratique solitaire ou de toute façon individuelle (même avec partenaire), d’une Boxe de Soi (boxe en devers) comme expression de sagesse, ce qui est un important acquis du bouddhisme (et de la vertu de l’évidement).

Boxe de soi (boxe en devers) qui, au cœur résolu et conclu de son cours, est un auto-engendrement, d’une propre présence à une présence propre, retrouver les fréquences qui nous portent et nous constituent, force et autodéfense.

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Pratique des séquences élémentaires  

En mathématiques, la tangente d’une courbe, sa possible droiture qui est son seul calcul, donne lieu à deux résolutions :

- l’Intégrale, qui est proprement l’identité en cours du trajet entrepris

- la Primitive, qui est l’espace impliqué / couvert dans le mouvement vécu.

Ainsi en est-il du phénomène contemporain, qui a la singularité de ses éléments distincts, mais qui intègre des espaces historiques parfois immémoriaux.

Dans la pratique du corps, quelques rares éléments de posture, quelques rares éléments de mouvement, intègrent le cours du devenir et lui donnent une résonance, puis enfin une maitrise. La pratique d’un art primitif, en tant que gymnique et énergétique (ici extrême-orientale), ce sont donc des séquences élémentaires, confrontées en continu aux aléas de la vie (clairs ou obscurs) et aux éléments de choix (discrets ou saillants).

Pratique de l’espace nature

Tout ce déploiement à l’égard de l’histoire et du temps, de la durée et du devenir, en lequel la portée de vie est chaque fois déportée et reportée au-delà (une boxe de soi aussi), du cœur même de sa vérité, au cœur de la loi du cœur, est en ces termes aussi, la loi de l’espace de nature, de l’espace-nature.

Un espace sauvage… Qu’est-ce que l’espace sauvage ? Est-ce un espace ultra ? Un espace ailleurs ? Un espace autre ? Au delà de notre aménagement domestique du monde ?

La renégociation de notre lien à la vie naturelle et surtout son cœur sauvage est un grand enjeu du bouddhisme engagé, de nombreux courants du bouddhisme, et notamment une certaine tendance du bouddhisme tibétain.

L’espace sauvage est un espace intime – de cœur, tout autant que l’existence courante ou l’histoire sociale, mais qui ne se laisse pas dévorer ou omettre en tant que tel, comme terrain de conquête, comme commodité, qui ne se laisse (en propre) que libre (autre) pour en trouver d’autant le sein, de la nature, des lieux sauvages. En un mot, un sens, des sens.

 

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Pratique du temps compris

Si le bouddhisme, à travers l’attention et le soin du corps, est un effacement de la marque propre de l’existence (nommée KARMA en sanskrit, langue religieuse de l’Inde ancienne) pour trouver la portée chaque fois seconde du devenir lui-même,

Un art d’énergie sino-japonais suppose d’être présent à son corps, son geste, et sa pratique, mais de façon à ce que cette entreprise efface les traits propres de l’être sur la vague même du devenir, en lequel le temps, entretemps, est compris.

Et bien entendu cependant, il ne s’agit pas d’un temps conquérant, d’un temps de devenir autre, mais de la présence des choses en elles-mêmes (au cœur), à la mesure de la pratique chaque fois seconde / secondant dans un champ de vie second / secondant à l’égard de nos matières comprises.

Pratique du jeu martial 

D’une certaine façon, l’on pourrait considérer que l’aspect religieux et spirituel, dans ses dizaines de siècles de matière, s'est interposé et disposé (avec relativité) dans le déploiement laïque (- réflexif) de la modernité en Chine (et au Japon).

La place du corps, dans le bouddhisme, est ainsi souvent première, un véhicule spirituel premier, et les arts martiaux, en tant qu’arts du corps mais aussi arts sociaux ont été, de 1900 à 1950, le seuil de ce versement de l’expérience religieuse (surnaturelle) dans l’ordre laïque (de l’objet).

Y ont été transposés des principes saints en principes sains, des souffles énergétiques nés en négatif (en contreplan) – non délibérés, en puissances énergétiques générées en positif (en corrélation) - délibérées. Les principes de densité de tenue immobile sont donc un art bouddhique transcrit dans les lois laïques, et leurs contradictions, motrices et effectives.  

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2 – bouddhisme zen et martialité :réflexions sur la culture classique

Zen et jaillissement

Les moines Zen, d'hier comme aujourd'hui, ne sont ni des gabarits ni des caractères de guerriers. On imagine que la guerre, la violence, est un tumulte. Que le réalisme de la vie suppose des plus forts et des plus faibles, comme des boites sont grandes, d'autres moins grandes, d'autres plus petites...

Pourtant la culture classique d'Extrême-Orient a établi un rapport nécessaire entre l'impassibilité de l'esprit méditatif, ses pieds-de-nez au-delà des logiques, et la maitrise des sens à l'approche et au cœur des tumultes. De même de nombreux contes / récits Zen évoquent cette outre-nature, extatique et hors critère, qui fait qu'un frêle moine Zen transi de peur, l'emporte tel un clignement de paupière, sur un robuste guerrier, avec un sabre tenu par hasard, sur la traversée obligée d'un pont...

Mythologies qui fondent une possibilité ou un décor de Culture ? Ou culture humaine nécessaire dans les difficultés (les enjeux et rapports de forces) d'une vie tout simplement vécue ? Je pense que l'éveil est un jaillissement qui donne lieu ensuite à une vaste force sereine et claire - c'est un concept de l'Orient (de l'Inde au Japon). Bouddha dit à peu près "moi et toutes choses en ce monde avons réalisé l'Eveil", donc c'est une transparence d'une clarté à la fois sereine et éblouissante avec tous les phénomènes possibles de la vie.

C’est même une intériorité des phénomènes qui habiteraient les sphères du surnaturel ou du divin, déités qui sont des êtres retenus dans les deux sens du terme, non libérés, maintenus dans la geôle dorée de leurs natures sublimes, aux yeux du Bouddha et sa sagesse.

Pour les pratiquants et surtout les maîtres du Zen, la volonté ou le désir d'atteindre l'éveil, comme d'autres poursuivraient le moment de l'orgasme, est le principal obstacle de l'éveil. Alors comment vouloir une méthode infaillible, assurée, afin de... ?

Néanmoins, si l'on regarde par exemple le monde des kinésithérapeutes ou ostéopathes, certains sont bardés de diplômes et n'ont d'effectivité que pour les cas les plus courants et les moins graves. D'autres sortent d'on ne sait où, sont des sortes de rebouteux, sont assez souvent de fortes personnalités, et sont efficaces même dans des problèmes très intriqués avec une simplicité effarante.

Dans le monde de l'extatique spirituelle, il en est peut-être un peu

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ainsi. Le Zen Rinzaï I a des techniques de travail rythmées (respiration), des mises à l'épreuve mentales et physiques, qui cherchent (oui) à "débloquer" quelque chose pour atteindre l'éveil. Le Zen Soto dit qu'il ne faut pas poursuivre l’éveil, car il s'échappe précisément dans ce pas. C'est donc l'assise courante, la méditation en zazen, qui est l'éveil, à travers tous paysages. Car l'éveil se vit à travers tous paysages, avant, et surtout (pour qu'il soit vrai) après l'illumination (de longues années).

Dans les classiques du Zen, l'éveil est presque obligatoire d’un point de vue clérical pour transmettre le droit d'enseignement, alors il y a énormément de récits, parfois farfelus, certains assez déroutants de presque ridicule. Puis, j'imagine parce qu'il y avait des abus, l'éveil n'a plus été obligatoire pour progresser et être institué, il s'agissait d'honorer une vraie diligence à la pratique et l'enseignement.

Selon les époques, telle ou telle chose a de la valeur, et envahit les étals. Regardez les supermarchés de notre monde. L'éveil, à certaines époques, a été très vanté. Comment évaluer quelque chose que l'on ne doit pas attendre pour l'obtenir ?

Zen et présence martiale

Certains enseignants de Zen, anciens pratiquants assidus d'arts martiaux, parlent de la tenue de la posture assise (zazen) comme d'une vigilance (sage) guerrière. J'ai évoqué cela à mes enseignants de Zen, ils m'ont dit de laisser de côté cette idée, et de relâcher sagement la tenue de la posture.

Je ne suis pas tout à fait d'accord néanmoins. Je crois que la tenue (sage) guerrière est comme une inspiration, il faut la vivre pour expirer, et ainsi réguler le relâchement qui moyenne la posture, comme une respiration. Mais là, à cet instant de compréhension, c'est l’intellect qui parle, donc oui les critiques et l’objection sont fondées.

I. Le Bouddhisme Zen s’est essentiellement constitué en 5 branches (5 écoles) en Chine puis au Japon, les deux principales encore aujourd’hui sont l’école Soto (Cao Dong en Chine) et l’école Rinzaï (Lin Tsi en Chine).

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Dans la tenue (dressée et relâchée) de zazen I :* l'assise large et vivifiante des cuisses, genoux au sol, et pieds croisés (la moins mortifère possible, la moins contrainte possible)* la colonne vertébrale dressée, le sommet de la tête gardé haut dans l'axe des épaules, la nuque étirée et le menton un peu entré* la poitrine plutôt creusée avec le nez aligné au-dessus du nombril, le tronc ni trop en arrière ni trop en avant (plutôt un peu vers l'avant car l'attitude passive spontanée est vers l'arrière).

C'est une tenue de vigilance, c'est l'attitude de faire face que l'on rencontre, face à un mur, face à un autre. Le fait que le regard soit posé au sol devant soi stigmatise sensiblement toute prétention de soutenir une adverse et égale attention comme un travers, travers qui devient le lieu de la traversée d’une méditation.

Nous avons donc une attitude de vigilance qui chasse sur notre égo, une sorte de rapport martial à soi, ceci pour évoquer deux aspects du parcours d'une séance de zazen :

- La tête haute : d'abord que faire face, à hauteur d'attention et de prétention de corps, peut nous effondrer quelque peu, alors que nous serions notre propre enjeu, notre propre considération. L'un des enjeux d'attention, qui est valable dans le combat, c'est d'avoir un peu de tête (littéralement, hauteur et attitude) au dessus de l'emprise du corps. Libérer la tête pour qu'elle surplombe l'enjeu, et laisse les sens alertes libres et disponibles... Un professeur d’art martial, me voyant combattre, m'a dit fermement que la tête devait s'extraire du combat, pour combattre comme le torero non comme le taureau. J'imagine qu'il a raison.

- Chasser sur la présence  : enfin la posture de zazen tenue, les épaules et le dos reposent et couvrent de force et de calme (comme des ailes déployées de vautours - mention tibétaine), mais la partie frontale du buste, la partie de front (notion commune avec l'affrontement), du plexus à la gorge sur le plan de la poitrine, est plutôt effacée vers l'intérieur, cédant les tensions charnelles-musculaires qui nous portent aux devants.

I. Zazen est constitué des deux mots japonais za (assis) et zen, il s’agit donc de la posture de méditation assise du Zen. D’un point de vue gymnique et de façon la plus courante, la pratique du Zen est constituée de zazen et en marge de kin hin, la méditation marchée, où l’on marche très lentement selon de très petits pas (30 mètres en un quart d’heure par exemple).

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Or cette façon avec laquelle notre buste cède et se relâche tout en gardant sa tenue, sur des espaces chaque fois un peu différents et sur des profondeurs de quelques millimètres, cela ressemble beaucoup sur la durée (les quelques dizaines de minutes - très lentes - de maintien de la posture immobile) à ces techniques martiales selon lesquelles l'on apprend à céder avec intelligence dans l'axe au contact de l'adversaire, afin de ne pas lui donner d’emprise sur notre corps, chassant (avec fermeté mais légèrement) la matière de corps sur laquelle il veut compter pour nous "attraper".

Dans la posture assise du Zen, c'est sur la saisie de la situation que l'on chasse, effaçant chaque millimètre qui nous impliquerait dans une présence propre, une présence offensive, une présence d'offense, celle qui met notre buste et notre poitrine en avant, alors tout autant nos bras ou nos mains aussi, à laisser choir et ne plus exister.

C'est un travail central et vertical de tenue, qui peut devenir un habitus de notre volume et notre structure ostéopathique, et qui est aussi un travail de nerfs, dont on se dit, qu'après toutes nos révolutions d'énergie (l’affirmation, le deuil, l’avenir), il sera profitable.

Zen et combat martial

La relation entre le Zen et les arts martiaux a été un classique apprécié dans les années 1950-70, puis est tombée en disgrâce (comme un leurre) dans les années 1980-90. Que dire dans les années 2000 ?

Il me semble (et c'est peut-être vrai pour les arts martiaux internes - de lenteur et puissance de geste), que la pratique du Zen, qui originairement (aux origines du Chan chinois) est une pratique assez brute et alors universelle (c'est le propre de toute vraie expérience), s'est laissée enfermée dans les tiroirs thématiques qui lui donnent une spécificité dans l’administration des sociétés où il est présent, tout en subtilisant et déplaçant sa légitimité générale, celle d'être une vocation non appartenue (comme d’autres valeurs universelles)...

Ainsi, selon une logique semblable, qui gère et place chacun selon sa spécialité - cantonnée, la maitrise de la force de combat, de bagarre et d'affrontement, ne pourrait être que le fait des autorités officielles concernées, militaires, polices, et services correspondants.

Or, d'une part, ces autorités, soumises à l'appréciation politique, ne sont pas toujours fondées (notamment par exemple entre différents pays ou entre les dispositifs légaux possibles dans un même pays), et d'autre part, toutes

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sortes de défiances incontrôlées (notamment délinquantes ou aux limites) peuvent avoir lieu dans les coins ou dans l'ombre.

La présence de la violence, parfois du pouvoir, parfois de marges incontrôlées, implique la légitimité d’une maîtrise des arts violents. Donc dans une prudence citoyenne, l'autodéfense (de combat et de vie) peut être une affaire civile, non officielle :- un art martial interne peut être, de lenteur et souplesse, introduit au cœur de dispositifs violents (et le plus souvent raides), et alors être subversif (souffle énergétique) en ce sens, - la méditation, immobile (de dépourvu, sans mobile, sans motif) en deçà de toute utilité, peut se rendre à la source des phénomènes, de leur deuil, et des splendeurs d’une autre voie.

Lorsque ces disciplines ne sont pas dans un tiroir ou une case en marge, par lesquelles on les répertorie, on les délimite, hors des vrais rapports «bruts», des «natures entières»... Certes il faut se trouver compris dans des ordres qui nous comprennent, pour se préserver (soi tant que d'autres). Donc nous avons cette idée de dimensions "internes", et effectives en ce sens.

Exemple de pratique martiale

Le Yi Quan (art martial interne chinois moderne), qui au début du XXème siècle, a repris au cœur de sa stratégie martiale, le travail intense postural  (qui était une constante dans les cercles internes / réservés des disciplines martiales chinoises, et qui était une pièce ancienne des confrontations religieuses antiques, avec le rapport à la puissance naturelle), est-il une présence contemporaine des héritages spirituels et méditatifs d'Extrême-Orient ?

La principale posture est couramment nommée, dans sa transcription japonaise, Ritsu Zen (Zen debout), et effectivement est attestée en Chine comme Chan Li (même traduction). Le Yi Quan est une discipline moderne et laïque, qui d'ailleurs a été intégrée jusque dans la Chine communiste, même des années 1950. Peut-on considérer que par une certaine matière poétique, il y ait un lien entre des attitudes très religieuses à l'origine (dans l'optique méditative) et des attitudes tout à fait modernes (dans leur choix de se démarquer par la valeur culturelle et sociale) ? Les uns face à la puissance de la nature des choses, les autres face à la puissance de l'industrie générale ?

Un principe du Yi Quan est que la force du corps ne se recouvre que dans la pratique des forces contradictoires (forces opposées entre elles dont

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l'étude permet un jeu, dans la durée, ou dans l’instant, explosivité). Ainsi d'un point de vue nerveux, tendineux, musculaire, osseux, l'ensemble de l'acuité physique est reportée comme des mouvements de marées et leurs vagues internes, dans un espace de vie advenant, et compris, contenu, inclus.

Le travail d'énergie, dans le Yi Quan, est quelque chose qui n'est pas soi ou à soi. La ou les postures de l'arbre (le dit Zen debout), la base des entrainements (60 % du capital de pratique), ça ressemble au Zen, de fait on l'appelle le Zen debout. Vu de l'extérieur, on croirait que rien ne se passe, quoiqu’on puisse aussi ne pas faire l'arbre mort, mais plutôt un arbre qui vit et ondule, subtilement et puissamment. Energétiquement, on sait qu'un arbre crée un champ de vie, par son tronc, ses branches, ses feuilles, tout autour de sa structure. On sait que c'est un microcosme, et que dans cette aura qu'il façonne sur son lieu même, c'est un univers relativement autonome de ce qui l'entoure, et qui a une force autonome qu'il nourrit face au contexte. Beaucoup d’êtres de la nature y trouvent un havre.

Donc, c'est cette autonomie de force, de façon nourrie, cette modulation indépendante, qui fait l'objet des postures de l'arbre, avec des techniques de pratique qui consistent à joindre des circuits à l’intérieur de cette globalité du corps, en éprouvant les forces dites contradictoires (pousser/tirer, etc.) au niveau musculaire, tendineux, nerveux. C'est là qu'est la force interne, dans cette cohérence de nos recours charnels les plus mineurs, jusqu'aux os. A un bon niveau, le Yi Quan ne réagit pas au frottement ou à la pression du geste de l'adversaire (comme l’apprennent d’autres arts chinois) mais à sa teneur énergétique tout de suite ressentie.

Ainsi notamment, le Yi Quan, par le calme et la puissance des entrainements, reconnait tout de suite, parfois avec quelques temps d'avance (fortes anticipations), les teneurs agressives, la violence en acte (forme de souffle), qui se dirigent vers soi. Et il ne réagit pas tactiquement au contact, mais à l'expression, l'énergétique, de ce qui l'approche, le rejoint, sentie et comprise par le corps bien avant d'être comprise par l'intellect.

Le travail méditatif (d’ordre Zen) mais pourtant massif et naturaliste (de sources taoïstes et chamanes) des postures dans la nature durant des heures, c'est une notion très lente et alerte d'écoute, à toute conjoncture, temps et nature, qui s'écoulent aussi au travers de notre situation.

C'est à ce niveau là, qu'en fonction d'une agression qui arrive, il peut y avoir force assez explosive (cumul de puissance et lâcher), mais il faut que la pratique assidue, de jours en jours, aille au delà de la saisie (le flash, l'écran) de la conscience, car l'image / la représentation du phénomène, c'est plutôt un coup que l'on se donne (à soi-même) qu'autre chose.

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Zen et Corps-Esprit

Peut-on prétendre, à travers le Zen, atteindre un état de luminosité et de vacuité (d’omniprésence), qui soit éventuellement valable quant à nos aptitudes physiques, alors que les pratiques de la méditation ou concentration (Prahna-Dhyana – Tchanna - Tchan/Ch’an - Zen), vues de l'extérieur, ne semblent qu'astreinte à un quelconque aspect physique précis (nos pieds, nos pas, par exemple, dans la méditation marchée) ?

Je crois que dans la méditation bouddhique (marchée, assise, ou dans les gestes quotidiens - dont les arts décoratifs japonais sont une belle illustration), l'on peut considérer trois amplitudes qui peu à peu ne font qu'une, puis plus aucune (au delà de la maitrise).

L'existence dans un sens savant, (ex-sistere en latin - littéralement "se dresser hors"), c'est sortir du problème. Les trois amplitudes, véhicules du soi vers le non-soi (on part toujours d'une matière pour aller vers sa liberté, d'abord sensibilité, puis esprit, puis vacuité), seraient :

- l'attention mentale (éveil en cours – esprit alerte)- l'attention posturale (corporelle, immobile ou en mouvement)- l'attention environnementale (l'être ensemble et signifiant du

contexte, comme présence ou récit en temps réel).

Mais la condition d'une telle compréhension (les dimensions qui "se comprennent" les unes les autres) est liée dans le bouddhisme, à la tenue durable (et telle quelle) d'une vraie concentration, pour objet tenu, pour objet spécifique.

C'est ainsi que l'attention aux pas (aux pieds) peut être à la fois concrète (concentration) et abstraite dans la vacuité et l'interpénétration (en temps T) des dimensions (mentale, corporelle, et contextuelle) et leur liberté au delà (autres dimensions de l'appréhension – autres dimensions de l’existence). Le lien, c'est le souffle, libre et réservé.

Ceci est plus facile à comprendre dans la posture assise durablement tenue, car morphologiquement, il ne se passe rien, dirait-on. Alors que quand il se passe quelque chose (on marche, on bouge, on lutte), on dirait que les instants sont dialectiques, répondent à des forces et à des contradictions, lieu à lieu, instant à instant…

Or, au contraire, la concentration sur l'aspect physique (sur la cessation de la préoccupation mentale dans le respect postural - le respect physique),

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permet de retrouver l'inclusion, la compréhension, selon lesquels l'espace, et le temps, ne sont plus constitués d'éléments divergents, d'éléments fortuits, d'un devenir discontinu.

Et même si ce n'est qu'un "auto-formatage" dans une sorte de susceptibilité à un objet sensiblement mental (l’objet, par exemple, du bouddhisme - mais il y en a d'autres, yogiques, taoïstes...), même si cela n'existe que par cet exercice disons factice, cela existe oui ainsi, trouve et rencontre une existence chaque fois plus vaste ainsi, et par ceci oui, l'attitude méditative délibérée, du factice de cette décision.

Nos attitudes d'esprit les plus lourdes ne sont-elles pas factices (chaque drame les ruine...) ? Nos objets factices les plus subtils ne deviennent-ils pas alors très lourds (fidèle à une idée, pouvons-nous soulever notre propre poids, comme un oiseau...) ?

Car l'on peut considérer que les choses, comme choses, n'ont pas notre problème, d'avoir à se trouver, à être délibérées, ni alors à se libérer. Comment y songeraient-elles, puisqu'elles n'ont pas d'imparfait (de brèche d’existence) ? Imparfait qui est un temps littéraire, de récit  ; imparfait qui, arrêté dans sa dimension révolue, est un temps suffisamment tragique qui fonde l'objet culturel ; imparfait qui, au terme d'un deuil en soi, est un temps de sagesse, et de naissance (ou libération / éveil).

Zen et imaginaire

Lors de l'introduction du bouddhisme en Chine, dans les premiers siècles de notre ère, les chinois, et notamment les puissants (monarques, administrateurs) étaient très friands de techniques yogiques, l'Inde était un pays source de puissance (magique, notamment), et ils accueillaient et recherchaient le bouddhisme et le Zen de cette façon, comme un avatar de yoga donc.

Comment s'est constitué le Zen (Tchan en Chine), face à ce phénomène, entre Inde et Chine, qui interposait les puissances éventuelles d'un surnaturel yoga comme argument et sachant que le bouddhisme dit Voie du Milieu s'est constitué en réaction aux prétentions miraculeuses des yogas religieux ?

En ces temps le seuil surnaturel était peut-être l'équivalent de notre ambition technologique.

Le bouddhisme Zen a précisément refusé ce propos, et tout le labeur des premiers patriarches, a été de fronder ces passions de façon très austère, très

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minimaliste, où l'attitude est d'abandonner la prétention, le "susceptible de...", en termes d’efficiences (… surnaturelles), et en fonction de cette attitude, on a attribué à ces premiers maîtres Zen des pouvoirs d’autant inconsidérés parfois.

Car pour qui connait la méditation Zen (par la pratique), sa pondération interne aux phénomènes du temps qui traverse - et tout autant de l'espace / la matière traversés par le temps - révèle que ce que nous appelons surnaturel est sûrement le jeu interne des forces que l'on trouve dans la nature. Imaginez une brise de vent, certes pour déployer la musique des branchages des pins (classique du Zen), mais disons pour un fin pétale de fleurette ? C'est gigantesque, comme un ouragan pour nous.

La nature est faite de gigantesques proportions de disproportions, dans les mesures possibles, et c’est cet espace, y compris dans la mesure du temps, qui est répondu dans la notion de surnaturel. Ainsi lorsque l'on marche en montagne, l'on pourrait considérer la seule altitude, comme un dénivelé positif et un dénivelé négatif, pourtant l'un et l'autre ne s'annulent pas, ils ne se rejoignent pas en un point même et nul, toute montée est une montée au-delà, toute descente est une descente au-delà.

Une idée du Moyen Âge occidental, qui cherchait la possibilité des sciences, était de mentionner qu’à l’égal du mot, qui désigne une chose tant que toutes choses identiques, la nature d’une chose serait la raison de toutes choses semblables, comme si elles naissaient de la chose-mot (du verbe – la vraie nature) tel un engendrement secret. Les données qui concerneraient une chose semblable (la montée, la descente…) seraient proportionnelles et se cumuleraient.

Donc de quelle altitude s'agirait-il, lorsque l'on traverse les montagnes, lorsque l'on traverse la vie, lorsque l'on traverse un temps, si l’on considère que le vécu parcouru n’est pas réductible à un point de retour, un point même, un point nul ?

Nous gravissons une montagne de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres de haut dans les démêlés de la vie, nous descendons des versants de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres de haut dans les démêlés de la vie. Ce sont des idées médiévales ou presque, d’avant l’évidence de nos logiques techniques.

Ainsi le Zen, dans l'abandon de ses prétentions, dans une modérée mais éclairée attention, constate que l'homme et son double, l'ignorance transcendée en double (la puissance physique ou technique), cernent les motifs de vie, astreignent et étouffent éventuellement la liberté de vie, la liberté de souffle. La liberté de souffle, lorsqu'elle est vraiment libre et comprise (incluse),

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souffle tout autant le contexte et sa considération, tels qu’ils adviennent.Le Zen n'est pas le centre d’un contexte considéré. Le Zen n'est rien.Et de la même façon que de multiples méditants ne sont qu'un instant,

un moment, sur le long chemin du Zen, de multiples combattants à l'école du farouche, ne sont qu'un instant, un moment, sur le long chemin du combat.

Zen et reflet

Qu'est-ce que l'on "réfléchit" lorsque l’on médite ? Le reflet, lunaire par exemple, est une des notions fondamentales de la méditation. Répondre au corps par le corps, à chaque chose par sa nature, à chaque moment par son instant... L’approche d’une pratique martiale, est celle de l’engagement du corps, de sa problématisation.

Questionnement intéressant pour la méditation, d'autant plus qu'un des maux majeurs du Zen contemporain est la facilité avec laquelle on peut "réfléchir" / refléter des univers plastiques - des univers parfaitement lisses, synthétiques, et semblant accomplis, par nos techniques, esthétiques et psyché contemporaines : ne serait-ce pas notamment la culture moderne du Japon qui évince peu à peu définitivement sa culture classique?

A ce sujet, il est intéressant de constater que si le bouddhisme est né au Nord de l’Inde (près du Népal) il y a 2500 ans, millénaire par millénaire il s’est étendu en une sorte de colimaçon autour de ce centre d’origine, dans une spirale de plus en plus lointaine, arrivant en Extrême-Orient alors qu’il disparaissait presque complètement de ses lieux d’origine (il n’y a presque aucune présence du bouddhisme en Inde depuis le XIIIème siècle - date de l’essor du bouddhisme Zen au Japon). Aujourd’hui, depuis l’élan de la modernité et du matérialisme technique, le bouddhisme semble s’éclipser d’Extrême-Orient alors que depuis le milieu du XXème siècle il s’implante en Océanie, en Amérique et en Europe.

Une spirale universelle donc, qui présente et efface à la fois, comme un seuil du temps  ? Comme une vérité de présence  ? Comme une ligne de front qui est aussi son effacement ? Selon les savoirs gymniques et énergétiques orientaux (que l’on constate dans les arts graphiques), la force spirale – comme confrontation permanente entre le trait (le droit) et la courbe (le circulaire) – est la force vitale par excellence, et notamment la force de pénétration dans les arts martiaux internes. C’est le cas du savoir du Tai ji Quan – Tai Chi Chuan, art foncièrement taoïste, I alors que le bouddhisme Zen, implanté en Chine depuis l’Inde avant d’irradier vers tout l’Extrême-Orient, est connu comme

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ayant véhiculé de façon interne les quintessences taoïstes, tout en les affrontant comme conviction rivale, là encore seuil de présence et d’effacement.

Un développement spiral universel ? La force spirale semble d’ailleurs avoir été celle de la création de la matière, alors que les premières algues, premières matières de vie, ont épousé les forces spirales des tourbillons de l’eau des océans terrestres impliqués dans l’ordre cosmique, climats des temps premiers. Ceci se retrouve jusque dans l’hélice des particules d’ADN de tous les êtres vivants. L’histoire universelle, entre Orient et Occident, aurait-elle une configuration spirale, comme un devenir de matière ? A moins qu’il ne s’agisse d’un moment de devenir, une forme de percussion, à laquelle répondrait une certaine déformation et reformation… Pourquoi ne pas penser alors que cet ordre universel, cet ordre de devenir, aurait des configurations locales, se reprenne en des lieux spécifiques, s’affirmant et s’effaçant à la fois ?

Notre Pays Basque semble avoir une histoire spécifique quelque part cardinale dans ce déploiement Orient-Occident. A l’origine de cette confrontation, les jésuites (six basques dans les dix fondateurs) et notamment François Xavier (fondateur jésuite basque navarrais) ont assuré la présence culturelle de l’Occident en Orient (entre des équipages de marins et colons qui se comportaient comme des mercenaires et des pillards dans ces mondes très civilisés). Les jésuites au XXème siècle ont aussi été les premiers à introduire le bouddhisme en Occident.

Aujourd’hui le pont jamais autant acquis entre Occident et (Extrême) Orient, dont la dominante s’est inversée, correspond aussi à une phase nouvelle dans l’histoire du Pays Basque, dans ses logiques internes, et sa relation à l’Occident – englobant. Se marque et remarque un seuil.

Notre province basque de Soule-Xiberoa, à ce jeu là, au jour d’aujourd’hui, est relativement préservée et toujours plus effacée, présence et effacement là aussi, pourquoi ne serait-elle pas un cœur, même dans ses recours si modestes ? Être est une suffisante condition en soi; être au plus retiré, ce serait alors être au plus puissant de la puissance.

I. Le taoïsme est le principal courant spirituel antique chinois, qui est absolument non-déiste – pas de Dieu ou de dieux – même s’il peut être mystique : il s’articule autour des deux notions d’Innommable (mystère) et de Voie (de devenir). Le taoïsme est à l’origine une philosophie et un courant culturel et littéraire de la civilisation chinoise. Il ne se structure comme clergé, avec moines et monastères, que dans le premier millénaire de notre ère, face à la structuration monastique du bouddhisme notamment Zen. Taoïsme et bouddhisme Zen se retrouvent et se partagent, notamment dans les figures légendaires (et réelles) des ermites et exilés du pouvoir chinois, dans des lieux isolés forts d’une puissance poétique (montagnes, deltas, etc…).

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Pourtant lorsque l'on ne reflète et réfléchit que des univers parfaitement résolus, saillants et semblant transcendants, comme la culture technique de la modernité et du Japon notamment (lumière et image), l'on arrête de pratiquer, et la sagesse (maturité) et le combat (immaturité). C'est ce qu’il semble.

Ainsi comment viser à une vraie liberté du corps et de l'esprit (la présence, sa beauté, son présent, donc), sans se fourvoyer dans de l'instantané, du plastique ? C'est à dire dans l'image, et chaque fois encore image ?

Inversement, comment accepter la contradiction, la problématisation (la présence, son conflit, sa retenue), sans refouler à l’abîme ou l’abîmé cette vision intime, cet horizon, ce seuil de lumière et d’objet (d’idéal), cet effacement esquissé, qui fondent le désir et le soin de la sagesse ?

A une idée géniale répond la pesanteur la plus irréductible, et aux pesanteurs, l’esprit et sa liberté d’appréhension.

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