13
Seul le prononcé fait foi 1 LA CONSERVATION ET LA RESTAURATION DE LA CATHÉDRALE NOTRE-DAME DE PARIS Conférence de presse Mercredi 30 septembre 2020 - 10h Grand’chambre Allocution de Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes Mesdames et messieurs, Bonjour et merci à toutes et à tous pour votre présence, et bienvenue à la Cour des comptes. Même si les circonstances sanitaires nous obligent à quelques restrictions, je suis très heureux de pouvoir vous accueillir dans nos murs pour cette conférence de presse. Depuis ma nomination en juin dernier en tant que Premier président de la Cour, c’est la troisième fois que j’ai l’occasion de présenter un rapport de notre juridiction à des journalistes et je le fais à chaque fois avec grand plaisir, d’autant que ce sont, comme cette fois encore, des rapports de très grande qualité qui font honneur à la Cour et sont utiles aux citoyens. C’est en effet grâce à votre présence et à votre engagement à relayer nos messages que la Cour peut remplir sa mission constitutionnelle d’information du citoyen. Je pense que dans le contexte très particulier que nous traversons actuellement – on voit à quel point la désinformation est partout, combien on a besoin de tiers de confiance – cette mission est à mes yeux absolument essentielle. Je vais aujourd’hui vous présenter les conclusions d’un rapport qui nous tient beaucoup à cœur et qui, j’en suis sûr, va intéresser les Français, celui consacré à la conservation et à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête ce qu’il s’est passé il y a un an et demi. Le 15 avril 2019, ce monument emblématique de notre capitale, l’un des plus visités au monde, subissait vous le savez un terrible incendie.

La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

1

LA CONSERVATION ET LA RESTAURATION DE LA CATHÉDRALE NOTRE-DAME DE PARIS

Conférence de presse

Mercredi 30 septembre 2020 - 10h

Grand’chambre

Allocution de Pierre Moscovici,

Premier président de la Cour des comptes

Mesdames et messieurs,

Bonjour et merci à toutes et à tous pour votre présence, et bienvenue à la Cour des comptes. Même

si les circonstances sanitaires nous obligent à quelques restrictions, je suis très heureux de pouvoir

vous accueillir dans nos murs pour cette conférence de presse. Depuis ma nomination en juin dernier

en tant que Premier président de la Cour, c’est la troisième fois que j’ai l’occasion de présenter un

rapport de notre juridiction à des journalistes et je le fais à chaque fois avec grand plaisir, d’autant que

ce sont, comme cette fois encore, des rapports de très grande qualité qui font honneur à la Cour et

sont utiles aux citoyens. C’est en effet grâce à votre présence et à votre engagement à relayer nos

messages que la Cour peut remplir sa mission constitutionnelle d’information du citoyen. Je pense que

dans le contexte très particulier que nous traversons actuellement – on voit à quel point la

désinformation est partout, combien on a besoin de tiers de confiance – cette mission est à mes yeux

absolument essentielle.

Je vais aujourd’hui vous présenter les conclusions d’un rapport qui nous tient beaucoup à cœur et

qui, j’en suis sûr, va intéresser les Français, celui consacré à la conservation et à la restauration de la

cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale.

Chacun a en tête ce qu’il s’est passé il y a un an et demi. Le 15 avril 2019, ce monument emblématique

de notre capitale, l’un des plus visités au monde, subissait vous le savez un terrible incendie.

Page 2: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

2

Un évènement qui a suscité une intense émotion, dans notre pays et dans le monde entier. J’en

garde moi-même un souvenir poignant. J’étais ce jour-là à Paris, pas si loin, et c’était un moment très

émouvant.

Face à l’onde de choc considérable provoquée par l’incendie, le Président de la République a annoncé,

dès le 16 avril, le lancement d’une souscription nationale en vue de financer la reconstruction de la

cathédrale.

De son côté, la Cour a fait savoir, dès le 24 avril 2019, sur une séquence rapide, qu’elle procéderait,

c’est sa mission, au contrôle de la collecte, de la gestion et de l’emploi des fonds recueillis. La loi de

juillet 2019 prévoit que la Cour soit associée, en la personne de son Premier président, au comité de

suivi ad hoc qui réunit les présidents des commissions parlementaires des affaires culturelles et des

finances des deux assemblées. Une des premières choses que j’ai eues à faire dans cette maison a

d’ailleurs été d’en présider la première réunion le 16 juin dernier, en présence virtuelle des présidents

des commissions et physique du Général Georgelin.

Mais cette disposition n’exclut pas les procédures habituelles de contrôle des organismes

bénéficiant des dons de la générosité du public, un champ qui relève de la compétence de la Cour

depuis 1991 et dans lequel elle s’investit de plus en plus. Le rapport que je vous présente aujourd’hui

dresse ainsi un premier bilan, qui s’arrête au 31 décembre 2019, des résultats de la souscription et du

Page 3: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

3

chantier engagé. Je précise que nous avons ensuite actualisé les données relatives aux travaux jusqu’en

juin 2020.

Pour mener à bien cette mission, nous avons mis en place un cadre de travail spécifique. L’enquête

a été confiée en septembre 2019 à une formation inter-chambres créée spécialement à cet effet, qui

a mobilisé quatre des six chambres de la Cour. Je remercie très chaleureusement les équipes

impliquées pour leur travail, mené dans des délais particulièrement courts.

C’est un rapport qui illustre parfaitement, je crois, la richesse qu’apporte une collégialité impliquée et

fructueuse, ce qui est au cœur de nos valeurs et de nos méthodes de travail.

Je voudrais d’ailleurs en profiter pour vous présenter une petite partie de cette collégialité. J’ai

présents à mes côtés Antoine Durrleman, le président de la formation inter-chambres ayant mené

l’enquête et ancien président de chambre de la Cour, Michel Bouvard, son rapporteur général, et

Michel Clément, président de section et contre-rapporteur.

Le rapport que je vous présente n’est qu’un premier bilan, puisque la Cour entend mener, je vous

donne rendez-vous, ce contrôle de façon périodique. Je dis périodique car nous ne produirons pas

forcément de rapport sur un rythme annuel mais, en tout cas, nous le ferons à échéance régulière pour

accompagner les travaux de sauvegarde et de reconstruction de la cathédrale.

Des procédures de travail adaptées, donc, pour un sujet qui appelait à la fois des compétences variées,

une réponse rapide et une inscription dans le temps long. La Cour est à l’heure actuelle la première et

donc la seule à apporter une vision claire, indépendante complète sur les opérations de conservation

et de restauration de Notre-Dame de Paris.

Notre rapport revient :

d’abord, sur la situation de la cathédrale à la veille de l’incendie ;

ensuite, sur la réaction des services de l’Etat face à cette situation exceptionnelle ;

enfin, sur les résultats de la souscription nationale et la mise en place de l’établissement public

prévu par la loi pour conduire les travaux.

Nous avons donc étudié la situation avant, au moment et après l’incendie. Ce sera la colonne

vertébrale de mon propos.

***

J’en viens pour commencer à mon premier point : la situation de la cathédrale avant le 15 avril 2019.

Page 4: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

4

La gestion de la cathédrale est partagée entre la Direction régionale des affaires culturelles (la DRAC),

qui est le service régional du ministère de la culture, le Centre des monuments nationaux et

l’archevêché.

Le monument appartient à l’Etat, la ville de Paris est de son côté propriétaire de ses abords, qui

comprennent le presbytère et le parvis. Il y a donc un éclatement qui tient à la fois au double statut de

Notre-Dame – c’est un lieu de culte mais c’est aussi un monument ouvert à des millions de visiteurs –

et à un régime juridique particulier, qui est hérité de l’histoire.

Cette situation crée d’abord des incertitudes sur la propriété des objets présents dans la cathédrale –

ce qui n’est pas anecdotique, puisque cela conditionne les modalités de leur restauration – mais elle

crée aussi un enchevêtrement de responsabilités, notamment en matière de sécurité incendie. La

convention qui régissait ce dernier point entre l’État, le clergé et le Centre des monuments nationaux

était d’ailleurs arrivée à échéance. Elle a été prorogée début 2019, elle datait de 2014, sans que

l’organisation en place ait pu être remise à plat et simplifiée, faute d’anticipation. Le même défaut

d’anticipation a conduit à renouveler le marché de sécurité incendie et d’assistance dans des

conditions irrégulières.

Cette situation, je le dis clairement, traduit à nos yeux une attention très insuffisante portée aux

questions de sécurité dans la cathédrale.

Page 5: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

5

La Cour n’a, bien sûr, pas vocation à enquêter sur les causes et responsabilités dans l’origine de

l’incendie – cette responsabilité revient à la justice, au Parquet de Paris, dont l’enquête judiciaire est

en cours – mais il nous apparaît que ce sujet sensible n’était sans doute pas pris en considération à sa

juste importance. La Cour, car elle est là pour proposer, pour éclairer la décision, recommande donc

d’engager, sans attendre la réouverture du monument, une clarification des responsabilités de gestion

et de mise en sécurité entre l’ensemble des parties concernées par la propriété et le fonctionnement

de la cathédrale.

Une telle remise à plat est indispensable pour lui permettre de rouvrir dans de bonnes conditions. Il

faudra par la suite une très grande clarté dans les responsabilités.

Cette gestion complexe explique sans doute en partie l’état très préoccupant de la cathédrale dans

les années précédant l’incendie.

D’abord, les moyens consacrés à l’entretien et à la restauration du monument étaient, sur le plan

humain comme financier, très limités, trop limités. Entre 2000 et 2016, environ un million d’euros

seulement était consacré chaque année à la restauration de la cathédrale. Ce montant, est-il besoin

de le dire, était très loin d’être à la hauteur des responsabilités qui incombaient à l’Etat en tant que

propriétaire, comme l’ont montré deux documents successifs qui présentaient l’état de dégradation

du monument après plusieurs années de sous-investissement massif.

Le premier document est un diagnostic sanitaire établi en 2014 par l’architecte en chef des monuments

historiques en charge de la cathédrale de 2000 à 2013, M. Benjamin Mouton. Le second a été établi

par son successeur, M. Philippe Villeneuve, en 2015. Ces deux rapports mettaient en évidence un

besoin de travaux estimé alors à 87 M€ et ils alertaient sur la ruine presque irrémédiable de certains

éléments de sculpture, remplacés par des artifices. Par exemple, de fausses balustrades en

contreplaqué pour remplacer celles en pierre.

À la suite de ces analyses justement alarmantes, l’État a finalement décidé de rattraper ce défaut

d’entretien ancien. Un programme important de travaux de restauration a donc été lancé en 2016

pour une durée initiale de dix ans, avec une dépense totale évaluée à 58 M€ visant à traiter les

réparations les plus urgentes. Ces travaux comprenaient, par exemple, la restauration de la flèche et

de l’ensemble du chœur.

Notons toutefois que leur financement n’était pas pleinement assuré puisqu’il était conditionné par

des apports en mécénat, à hauteur d’un tiers, principalement de la Fondation Notre-Dame.

Page 6: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

6

Au 15 avril 2019, les différents chantiers étaient dans des degrés d’avancement très divers mais les

travaux de restauration indispensables avaient été engagés, j’allais dire, enfin engagés.

***

L’incendie, et c’est mon deuxième point, a mis un terme à ce programme de rénovation et provoqué

une réaction très rapide des services de l’État.

La DRAC d’Ile-de-France s’est en effet immédiatement mobilisée, malgré une direction qui était alors

vacante et des renforts très limités. Sous le régime de l’urgence impérieuse, de nombreux marchés de

gré à gré, indispensables à la sauvegarde de la cathédrale, ont été passés pour débuter les travaux le

plus rapidement possible.

La conduite des travaux de sauvegarde s’est ensuite trouvée très perturbée par deux évènements

successifs :

d’abord, la découverte d’une pollution au plomb, qui a considérablement ralenti le chantier après

une suspension de trois semaines, malgré la médiation tout à fait efficace du préfet de région, dont

on peut saluer l’implication sur ce sujet ;

ensuite, l’épidémie de Covid-19, qui a interrompu les travaux pendant plusieurs mois.

Ces facteurs expliquent sans doute en partie l’augmentation des coûts du chantier de sauvegarde,

initialement estimés à 65 M€ et qui sont désormais chiffrés à 165 M€ à l’achèvement des travaux,

prévu en principe en août 2021.

A cet égard, la Cour considère que l’étude d’évaluation et de diagnostic en cours doit impérativement

permettre, d’ici l’achèvement des travaux de sauvegarde, d’établir sur des bases fiables un vrai budget

prévisionnel et une procédure rigoureuse d’évaluation des coûts.

Mais je veux souligner la mobilisation rapide des différents services de l’Etat, dans un contexte

particulièrement difficile.

Un élément, toutefois, dans la réaction de l’État face à l’incendie nous a semblé très particulier. Au

vu de l’ampleur et de la gravité de l’évènement, nous ne comprenons pas, et c’est écrit clairement,

que le ministère de la culture n’ait pas engagé d’enquête administrative, alors que la maîtrise

d’ouvrage exercée par la DRAC d’Ile-de-France et la maîtrise d’œuvre assurée par M. Philippe

Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques ayant le statut de fonctionnaire de l’État,

relevaient directement de ses services.

Page 7: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

7

La catastrophe justifiait totalement, selon nous, de s’assurer de l’absence de défaillance dans le

pilotage du chantier, assuré par la DRAC, et dans la conduite des travaux, placée sous la responsabilité

de M. Villeneuve, d’autant que ce sont, pour l’essentiel, les mêmes équipes de maîtrise d’ouvrage et

de maîtrise d’œuvre qui ont maintenant la responsabilité de mener les travaux urgents, et que ce sont

aussi les entreprises déjà présentes sur le chantier avant l’incendie qui réalisent désormais les travaux

de sauvegarde. À titre de comparaison, l’incendie du sous-marin Perle à Toulon en juin dernier a

immédiatement déclenché une enquête administrative approfondie du ministère des Armées. C’est à

souligner.

L’enquête judiciaire, ouverte par le Parquet de Paris dès le lendemain de l’incendie, n’impliquait

nullement de renoncer à une enquête administrative. On pouvait, on devait faire les deux en

parallèle. Nous notons en outre que le ministère de la culture ne s’est porté partie civile que le 11 juin

2020. Est-ce que c’est un hasard ? C’était le lendemain du jour où il a reçu le rapport d’observations

provisoires de la Cour. Le 11 juin 2020, c’était tout de même 14 mois après l’incendie.

Malgré l’élaboration d’un « plan sécurité cathédrale », cette carence nous semble très préjudiciable,

car il y a d’autres cathédrales en France, d’autres monuments. L’incendie plus récent de la cathédrale

de Nantes nous rappelle combien ce risque est important pour notre patrimoine et souligne la

nécessité de conduire des retours d’expérience approfondis avec l’ensemble des services et experts

concernés par chaque évènement.

Bref, c’est ça notre message et il est simple : il faut absolument tirer toutes les leçons de l’incendie

de Notre-Dame pour éviter de nouveaux drames à l’avenir.

C’est pourquoi nous recommandons au ministère d’engager sans plus tarder une enquête

administrative. Elle servira à comprendre les circonstances dans lesquelles est survenu l’incendie, mais

surtout à en prévenir d’autres.

***

J’en viens maintenant – et ce sera mon dernier point – à l’après-incendie, c’est-à-dire à la

souscription nationale et la mise en place de l’établissement public chargé de conduire les travaux.

Il est inutile de le dire ici, l’émotion suscitée par l’incendie a en effet eu une ampleur exceptionnelle

et une résonance formidable, en France comme à l’étranger. Lancée le soir même, la souscription

nationale a été – je l’ai dit au début de mon propos – consacrée par des dispositions législatives

spécifiques. La loi du 29 juillet 2019 confie la collecte des dons à quatre organismes agréés : le Centre

Page 8: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

8

des monuments nationaux, la Fondation de France, la Fondation du Patrimoine et la Fondation Notre-

Dame, auquel s’ajoute le Trésor public.

Les réseaux de ces collecteurs se sont avérés très complémentaires et la souscription organisée pour

Notre-Dame est absolument sans précédent.

C’est un succès extraordinaire. Elle l’est d’abord par l’ampleur des dons collectés. Au 31 décembre

2019, les résultats de la souscription nationale s’élevaient très exactement à 824,75 M€.

Ce montant est de très loin supérieur, par comparaison, aux produits des appels à dons lancé à la suite

du tsunami de décembre 2004 en Indonésie, qui s’élevaient à 328 M€, et après le séisme survenu à

Haïti en janvier 2010, qui représentaient 123 M€. C’est donc, vous le voyez, absolument sans

précédent.

Pour Notre-Dame, près de 72 M€ de dons ont été reversés avant la fin de l’année 2019 aux deux fonds

de concours spécifiquement mis en place dès le lendemain de l’incendie par un décret du ministre des

Finances, qui a fait preuve d’une remarquable réactivité. La concentration temporelle des dons en avril

et mai 2019 met en valeur, encore une fois, l’ampleur exceptionnelle des dons spontanés.

Ces versements ont permis de prendre le relais des crédits budgétaires qui avaient été engagés pour

les premiers travaux d’urgence, lesquels ont donc été intégralement refinancés par les donateurs. Ces

Page 9: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

9

derniers ont aussi refinancé les crédits de la DRAC prévus pour les travaux de restauration initiaux de

la cathédrale avant l’incendie, ce qui nous apparaît un peu plus discutable.

Sans précédent, la collecte ne l’est pas seulement par l’ampleur mais aussi par la diversité des

donateurs impliqués, en France comme à l’étranger. La souscription a mobilisé massivement et

rapidement les particuliers mais aussi, ce qui est original, et surtout des entreprises. Lancée dans un

cadre national, la souscription a rapidement pris une dimension internationale, avec des donateurs

venus de près de 140 pays. Leurs dons représentaient plus de 16 % des fonds reçus au 31 décembre

2019. C’est dire à quel point l’émotion dépasse nos frontières. Cette dynamique exceptionnelle s’est

appuyée sur un recours massif aux réseaux sociaux et aux plateformes digitales.

Au total, ce sont 338 086 dons qui ont été reçus pour la cathédrale Notre-Dame, un nombre environ

équivalent, pour vous donner une image, à tous les habitants de la ville de Nice. La loi du 29 juillet

avait prévu un dispositif de déduction fiscale majorée pour les dons des particuliers jusqu’au 31

décembre 2019. Nous ne pouvons pas chiffrer avec précision son incidence en termes de dépense

fiscale, la DGFiP l’étudie actuellement, nous pensons qu’elle sera au maximum de l’ordre de 48 M€, ce

qui bien sûr est sans rapport avec les dépenses qui auraient été faites en l’absence de souscription, il

faut le rappeler.

Cette souscription se caractérise aussi par l’importance des promesses de dons.

Sur les presque 825 M€ de dons que je citais, près de 185 M€ ont été effectivement versés et plus de

640 M€ constituent des promesses. L’ampleur de ce montant illustre la volonté des entreprises et

Page 10: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

10

mécènes d’accompagner, dans la durée, les travaux de reconstruction. C’est donc un engagement

temporel.

Malgré les conventions passées pour sécuriser ces promesses de dons, nous ne pouvons pas

totalement écarter le risque que la crise actuelle fragilise les engagements de mécénat, notamment

en provenance des petites et moyennes entreprises qui avaient pris leurs engagements dans un

contexte bien différent.

Quelle que soit la date d’encaissement des dons, l’utilisation des fonds recueillis doit répondre à

deux impératifs centraux et rappelés par la loi : l’information des donateurs d’une part, et la

transparence dans l’utilisation des fonds d’autre part. Sur ces points, notre rapport souligne que des

marges de progrès existent et que des efforts doivent être entrepris rapidement.

D’abord, il nous apparaît très dommageable qu’aucune des réunions de suivi prévues dans les

conventions cadre n’ait eu lieu avant le 17 juillet 2020, là encore, juste après la communication du

rapport de la Cour. Nous regrettons aussi la mise en place tardive du comité des donateurs créé au

sein de l’établissement public chargé de la restauration de la cathédrale.

Bien sûr, nous savons que la crise sanitaire a joué un rôle dans ces retards, mais ils reflètent aussi une

attention insuffisante aux demandes réitérées et légitimes d’information des organismes collecteurs.

Ensuite, notre enquête fait ressortir deux faiblesses dans la transparence de l’utilisation des fonds

recueillis.

La première concerne l’organisation de la collecte. Nous avons en effet observé que les conventions

entre les ministères et les organismes collecteurs prévoyaient la possibilité d’imputer sur les dons des

frais de gestion au bénéfice des institutions concernées.

En soi, de telles dispositions ne nous paraissent pas anormales, parce que les opérations de collecte

ont entraîné des frais non négligeables, de l’ordre de 500 000 à 600 000 € pour certains organismes.

En revanche, ce que nous soulignons car nous sommes là aussi pour jouer notre rôle de juridiction,

c’est qu’elles sont contraires aux engagements pris par le Gouvernement devant le Conseil d’État

lors de l’examen du projet de loi.

Le Gouvernement avait en effet fait valoir que les opérations de collecte seraient assurées

gratuitement par les organismes retenus, ce qui justifiait pour lui de ne pas procéder à une mise en

concurrence de leur désignation. Cette situation crée une source d’opacité significative à l’égard des

Page 11: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

11

donateurs, dans la mesure où les règles d’imputation des frais de gestion sont très différentes d’un

collecteur à l’autre.

La deuxième faiblesse que nous avons identifiée a trait à la nature des dépenses qui peuvent être

financées par les dons et aux modalités d’information des donateurs.

Selon ses termes, la loi – nous sommes là pour faire respecter la loi – réserve « exclusivement »

l’utilisation des fonds collectés aux travaux de conservation et de restauration, à la restauration du

mobilier propriété de l’Etat et à la formation aux métiers du patrimoine.

Or, les premiers budgets de l’établissement public créé pour suivre les travaux de conservation et de

restauration montrent par exemple que la totalité de ses frais de fonctionnement sont aussi imputés

sur les dons.

Le décret constitutif de cet établissement lui confie pourtant des missions très larges, qui vont au-

delà de son rôle de maître d’ouvrage.

Sur 39 postes – un niveau défini par ailleurs sans cadrage particulier et hors plafond d’emplois

ministériel – environ le quart des effectifs est affecté à des missions qui ne correspondent pas tout à

fait à cette fonction, comme par exemple la valorisation des abords de la cathédrale. En soi ce n’est

pas illégitime, mais ce doit être su.

Page 12: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

12

Le premier budget en année pleine établi par l’établissement n’inclut pour autant aucune subvention

de fonctionnement sur crédits budgétaires du ministère de la culture, alors même que, je le rappelle,

l’État est propriétaire du monument.

C’est ce que nous appelons dans cette maison une débudgétisation complète. C’est une pratique

que la Cour dénonce régulièrement dans ses rapports sur le budget de l’État. Ces modalités de

financement nous paraissent porter atteinte à la lettre de la loi de juillet 2019.

Du point de vue de la Cour, les dispositions de cette loi, que j’ai rappelées, n’autorisent en effet pas de

financer par les dons ni la mission de maîtrise d’ouvrage ni les autres fonctions qu’assure

l’établissement public, qui sont sans lien tout à fait direct avec le chantier de restauration.

Pour le dire très simplement, nous ne sommes pas convaincus que les donateurs avaient pour

objectif de financer le fonctionnement de cet établissement sans rapport direct avec le chantier. Ce

que nous recommandons dans notre rapport, comme cela est la pratique pour les autres opérateurs

culturels, c’est que soit apportée à l’établissement une subvention annuelle sur les crédits budgétaires

du ministère pour financer ses charges de fonctionnement. Notre but, ce n’est pas de décourager, mais

de rassurer.

Nous pensons enfin que l’information des donateurs doit également être substantiellement

renforcée.

La loi impose un impératif de transparence, mais les conventions passées avec les collecteurs prévoient

des modalités d’information très générales, relativement imprécises et surtout facultatives.

Une telle situation ne nous paraît pas respecter les exigences de la loi du 7 août 1991 relative au

contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique. Elle pourrait en outre

fragiliser la confiance des donateurs, c’est ce que nous ne souhaitons pas.

Puisqu’il revient désormais à l’établissement public d’apporter aux organismes collecteurs toutes les

informations sur l’utilisation des dons, nous recommandons de le doter d’une comptabilité analytique

qui permettra de fournir des données régulières et détaillées sur l’emploi des fonds. Ce projet est

d’ailleurs largement partagé par la gouvernance de l’établissement et a déjà commencé à être mis en

place. Nous souhaitons qu’il aille vite.

***

Page 13: La conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, discours de ... · 2020. 9. 30. · cathédrale Notre-Dame de Paris, notre cathédrale. Chacun a en tête

Seul le prononcé fait foi

13

Voilà, mesdames et messieurs, ce que je souhaite vous dire sur ce premier bilan des opérations de

conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Nos messages sont simples. Je veux en rappeler brièvement les principaux :

Un : l’état de la cathédrale à la veille de l’incendie était très préoccupant. Il illustre la nécessité

de porter une attention renforcée à l’entretien de notre patrimoine architectural, notamment par

la clarification des responsabilités de gestion ;

Deux : la réaction des services de l’État face à la catastrophe, en particulier de la DRAC, ne peut

qu’être saluée mais nous nous étonnons de l’absence d’enquête administrative diligentée par le

ministère et de l’intérêt tardif porté à l’enquête judiciaire. Notre-Dame de Paris est bien sûr la

plus emblématique de nos cathédrales, mais elle n’est pas la seule. La catastrophe doit servir pour

préserver les 86 autres dont l’État a la propriété ;

Enfin, dernier message, les donateurs se sont mobilisés de façon exceptionnelle ; ils ont droit à

la transparence. Le montant des dons versés ou promis est sans précédent, comme le nombre de

particuliers ou d’entreprises impliqués et la dimension internationale de leur origine. Ces éléments

imposent, encore une fois, la transparence la plus stricte sur l’emploi des dons, surtout dans un

contexte économique plus délicat.

Lorsque les opérations de sauvegarde seront terminées, lorsque celles de restauration auront été

engagées, nous ferons un deuxième bilan d’avancement. A ce stade, nous l’envisageons, en 2022.

Merci de votre présence et de votre attention. Je suis maintenant prêt, avec les membres de la Cour

qui m’entourent, à répondre à vos questions.