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NIEDOBA, Arlette
LA CONTRADICTION DANS L'OEUVRE D'ANDRE BRETON
DEPARTMENT OF FRENCH LANGUAGE AND LITERATURE
McGILL UNIVERSITY
MASTER OF ARTS
ABSTRACT
Face au "mythe André Breton", et aussi paradoxal que cela
puisse parattre, face au succès littéraire et artistique d'un mouvement
qui a sa naissance se posait comme anti-art et anti-littérature, face
aux nombreuses recherches consacrées au surréalisme,pour la plupart
louangeuses, une attitude critique s'impose •••
Dans quelle mesure le surréalisme tel qu'apprivoisé par
l'histoire de l'art et de la littérature reflète-t-il fidèlement
"l'Esprit surréaliste"? Dans quelle mesure, André Breton sacré
"Pape du mouvement" a-t-il respecté cet esprit? C'est ce que nous
nous proposons d'étudier dans cette recherche, intitulée naturellement
"La contradiction dans l'oeuvre d'André Breton".
Toutefois cette critique ne se veut pas négative; elle ne
nous empêchera pas de souligner le mérite du surréalisme, car s'il
emprunte la sombre route de l'inconscient, ne fait-il pas aussi ressortir,
en vertu du contraste, certaines zones de clarté ?
••
by
NIEDOBA, Arlette
A thesis submitted to
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the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University
in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts
Department of French Language and Literature
lev J Nieàoba, Arlette
April, 1970
1970- ,
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JJ)i,r:"i :.
INTRODUCTION
CHAPITRE l
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TABLE DES MATIERES
LA CONTRADICTION DANS L'OEUVRE POLEMIQUE
CHAPITRE II LA CONTRADICTION DANS LES ECRITS LITTERAIRES DE BRETON
CHAPITRE III LA CONTRADICTION DANS L'ORIENTATION QUE BRETON A DONNEE A,U MOUVEt-lENT DU SURREALISME
CHAPITRE IV CONTRADICTION DEJA AMORCEE PAR LES CRITIQUES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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p. 1
p. 3
p. 40
p. 67
p. 84
p.l13
p.117
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INTRODUCTION
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, (Par delà le bien et le mal) . :""; ,~
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"J'ai l'intention de ne plus écrire d'ici très peu de temps" déclare Breton à Vitrac qui lui renvoyait la question de littérature : pourquoi
. écrivez-vous ? ( •• '.) Désormais je désire tout ignorer, revues, livres, journaux, etc ••• Je
_n'aurai aucune activité littéraire. Littérature ne paraîtra plus." 1
Or, en 1974 apparaiss~nt du même auteur Les Manifestes du
Surréalisme eXposant la théorie d'un mouvement qui se disait anti-art
et anti-littératurë.
En, 1924 1926
,1927
Les Pas perdus, Editions Gallimard, Paris, Légitime défense, Editions Surréalistes, Paris Introduction au discours 'sur le peu de réalité Ed; Gallimard, Paris
1928 Le surréalisme et la peinture, N.R.F. Paris 1928 Nadja, Editio~s Gallimard, Paris 1930 Second Manifeste du Surréalisme, Editions Kra 1931 L'Union libre, Editions Surréalistes, Paris
" 19~2 'Misère de la poésie:" Editions Surréalistes, Paris
, ..
1~32. Le,révo1ver' à cheveux blancs, Editions des Cahiers libres 1932 Les v~ses communicants, Editions des Cahiers libres, Paris 1934 'Point du jour, Editl.ons Gallimard, Paris 1935 Position politique du Surrealisme, Ed. du Sagittaire,Paris 1936 'Au lavoir noir , G.L.M. Paris 1937 De l'humour noir,'Ed. G.L.M. ~ Paris
, 1937 Amour fou, Ed~ Gallimard, Paris' '1940 Anthologie de l'humour noir, Ed. du Sagittaire, Paris
1. M. Sanoui'11et, 'Dadaà Paris, p. 377 (Le journal du peuple, "7 avril 1923) '. : :- ~ . ,
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• ,1942 1942 1948 1963 1963 1966
- 2 -
Arcane 17, Ed. Pauvert, Paris Prolégomènes à un 3e Manifeste, Ed. Pauvert, Paris Poèmes, Gallimard, Paris La clef des champs, Ed. Pauvert, Paris Martinique charmeuse de serpents, Ed. Pauvert, Paris Clair de 'terre, précédé de Mont de Piété suivi de Le revolver à cheveux blancs et L'air de l'eau, Coll. Poésie, Ed. Gallimard, Paris
Ceci, n'est qu'un exemple des 'nombreux paradoxes qui jalonnent
la vie et l'oeuvre, de Bre'ton. D'ailleurs, n' a-t-il pas affirmé lui-même
"Je crois à la toute",:puissance de la contradiction" (Pas Perdus) ?
Que faut-il en pen~er ? Simple boutade ? Imposture ? Seules une étude
approfondie'et une confrontation de la vie et de l'oeuvre nous le
diront. Pour toute critique, je me contenterai donc d'opposer Breton
à lui-même •
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CHAPITRE l • LA CONTRADICTION DANS L'OEUVRE POLEMIQUE
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Ir Quelle 'réalité 'est vraie? Quelle , ' 'réalité est réelle ? Quelle réalité
engendreiles;rêves ? Quel rêve est vrai ? 'II ' ,', ,',' , " ", .' '
Hans ARP
, (Préfàce~a~"catalogue du Salon de Mai, 'Paris i959)
A. Les Manifestes
"Absolùment incapab+e de prendre mon parti du 'sort qui m'est fait ••• je me garde d'adapter 'mo~ existence aux conditions dérisoires de toute 'existencell 1
Voilà bien le refus initial de toute prise de conscience
surréaliste. Mais étan~, donné que le surréalisme se définit davantage
par un état. ~'esp'rit plut~t,; que 'par une série d'affirmations théoriques,
voyons non seulement dans quelles mesures nous retrouvons les constantes
du surréalisme, dans les Ma~ifestes, ce coran, cet évangile du mouvement
mais aussi à quel point la révolte surréaliste a été vécue par celui qu~, '
à tort oU,à raison,fut appelé. "le pape du surréalisme".
Disons-le tout de.suite, quand en 1924 Breton jeta les traits
du surréalisme,dans son pr~mier Manifeste, il avait mis à jour tout un
programme intéressant et' d'envergu~e. Cependant, pour faire la part des
choses, nous devons, bien admett!e que le ~urréa1isme, ,mouvement de
révolte, et de'rupture n''est pas oeuvre spontanée mais remonte au romantisme,
'1. André Breton, Pas perdus, Paris, Ed. Gallimard, 1924, p. 7
."
•
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4 ...
tradition qui a é~é r.ep.rise. et app~ofondie successivement par différentes
écoles (notamment le symbolisme, le ~ubisme, l'expressionnisme).
, f Le surréalisme, tel que defini'par Breton
"Automatisme psyéhique pur par lequel 'on se propose .d'exp~imer soitiver~em.ent, .. soit pà.r écrit, soit de toute autre. manière le fonct10nnement réel de la pensée. Dictée de,la'pènséeJen l'absence de tout' contrôle exereé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale" 1
non seulement se proposait i'ambitieux programme devant lequel tant
de précurseurs, avaient ,d'une façon 'ou d'une autre, démissionné, mais
surtout, il semb~ait détenir "les clefs du royaume","l'itinéraire'vers
la toison d'or", cet 'éternel Graal.
Dire que,dans toutes les données du premier Manifeste Breton
fait oeuvre nouvelle, c'est méconnaître les sentiers déjà battus et
faire preuve d~ courte.vue. Par contre nier totalement l'originalité
du surréalisme c~est avoir un part~ pris indigne de toute critique
objective. '
Examinons avec précaution les différents points auxquels
s'attarde Breto~: tout d'abord ~e surréalisme exalte la nostalgie de
l'enfance:
"L~homme ce' rêveur définitif(. •• ) S'il garde quelque lucidité,~lne peut que se retourner alors vers son enfance, qui pour massacrée qu'elle ait été par le
. soin 'dès dresseurs, ne lui en semble pas moins pleine 'de charmes" 2'
1. André Breton., Manifestes du Surréalisme, Paris, Ed.Ga1limard, ~9.66.:, p. 37 . '. ":.
2. Ibid, p. 11'. - '.,
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On se~t ici quelques,réminiscences de Rousseau auxquelles font
écho toutes les écoles ~déniq~~s •. Quant à la recherche d'une liberté
absolue: "le seul mot de liberté est 'tout 'ce qui m'exalte encore" 1. 1 1
Cela a, je perise, été le rêve non seulement de tout poète mais aussi
de tout être conscient de la condition humaine. Il est vrai toutefois , ,
que le surréali~me a mis sur la sellette l'enfan't, le primitif, le sauvage,
l'aliéné.
"Les ç.onfidences des fous, je passeraiS ma vie à les provoquer~ Ce sont des gens d'une honnêteté scrupuleuse et dont l'innocence n'a d'égale que la
. mienne." 2
et par là même airigé les réflecteurs litté~aires vers des valeurs plus
ou moins négligées,mais cet intérêt porté' vers l'exceptionnel n'est-il
pas une conséquences inévitable dù romantisme? par ailleurs, Breton
reconnaît lui-même l'influ~nce, de Freud; "Tout préoccupé que j'étais
par,les recherche de Freud." Cependant ces découvertes étaient exploitées
dans un esprit e~ un but différents; alors que Freud en fait une méthode
scientifique curativë, Breton lui, veut en faire (qu'il se l'avoue ou
non) une nouvelle'forme d'art.
"Je veux qu'on se taise quand on cesse de ressentir" 3
ajoute Breton quelques pages plus loin, or il nous confesse:
l. Ibid. , p.
2. Ibid., p.
3. Ibid. , p.
4. Ibid •• p.
.. ' ,
'''Le poème forêt· noire relève exactement de cet état d'esprit. J'ai mis six mois à l'écrire et l'on peut croire 'que je ne me suis pas reposé un seul jour C ••• ) Je me doutais d'ailleurs qu'au point de vue poétique je faisais fausse route mais je me sauvais la mise comme je pouvais." bravant le lyrisme à coups de définitions et de recettes." 4
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Non seulement Breton ~ait oeuvre longuement mûrie, mais il
tente de forcer l'inspiration •. Pareille affirmation se concilie fort
mal, no~s en conviendrons, avec"l'aq,tomatisae psychique pur" et le . .
"louable mépris de ce qui pourrait s'ensuivre littera:lrement."
D'ailleurs, le ~~ouillon des Ch~ps magnétiques éta:lt zébré de nombreuses
ratures nous affirme Sanouillet. Or, personne n'ignore que lés Champs
magnétiques se.v~ul~it "premier. écrit purement automatique". Parlant de
ce même livre, Breton 4ira:
"Je dois", par contreJlui '(Soupault) rendre cette ju~tice. qu'il s'opposa toujours de toutes ses forces/au mpindre remaniement, à la moindre correction au cours de tout passage de ce genre qui me semblait plutôt mal venu. a 1
et pour retenir' ~'inspiration il conseille:
"Si le silence titenace de s'établir pour peu que vous ayez commis une faute { ••• }, rompez sans hésita~er ~vec une ligne trop claire. A la suite du mot dont l'origine vous semble suspecte, pose·z une lettre quelconque, la lettre L par exemple, toujours la lettre L et ramenez l'arbitraire en imposant cette lettre pour initiale au mot qui suivrall
• 2
Cela' ne l '.'7tnpêche pas d'affirmer en même temps:
"L'automatisme psychique pur qui conmande le '. surréalisme opposera le débit d'une source qu'il
., . ne ,s'agit q,ue d'aller prospëcter en soi-même assez loin et dont on ne saurait prétendre diriger le cours sans'être assuré. de la voir aussitôt se tarir". 3
Breton So,! dépe'n6eencor~ en recettes; pour faire des discours et IIpour .. .
écrire de' faux; romans", il, aj oute, "Vous serez riche et l'on s'accordera
.. . .,. '(. "';
l, Ibid. ". p~'35, ., -, .. , .. ; .. , .'. . . ,. ' , , '".1 t_, .
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à reconnaître que ,vous avez quelqùe chose dans le ventre". Derrière
ce prétendu humour, se èache le vrai Breton. Ne.voilà-t-il pas des
conseils qui .jur~nt avec l'idéal surréaliste anti-valeurs bourgeoises?
"Le surréalisme tel que je.l'envisage déclare assez bDtre non-conformisme
absolu". 1
Cette palinodie est inhérente aux sentiments mêmes de Breton:
ceux-là dont il parle en tant qu'amis il les excommuniera plus tard:
"Pour aujourd'hui je pense à un château dont la ~oitié n'est pas forcément 'en ruine; ce château m'appartient. ( ••• ) Quelques uns de mes amis y sont installés à demeure€ •• )Voici Robert Desnos et Roger Vitrac~~t Georges Limbour et Georges Limbour, (il y a toute une haie de Georges Limbour)( •. ) Antonin Artau~.»uis Jacques Baron et son frère, beaux et cordiaux."· 2
Dans un autre passage, 'Breton claironne:Contre la mort:
"Que mes' amis détruisent jusqu'au dernier exemplaire ;L'édition du Discours sur le Peu de Réalité". 3
Qu'à cela ne·tienne,pourquoi.ne pas s'en assurer lui-même de son vivant?
Et d'ailleurs pourquOi.l'avo!r.réqigé ?
Bre·ton parle encore de"l' écriture mécanique" qu'il a tenu à
mettre à la portée de tous. Pareil programme ne comporte-t-il pas
. quelque présomption~ L'autom~tisme se peut-il mettre à la portée de
tous? Ne dit-il pas. lui-même "l'atteinte du but véritable ne dépend ., plus que de l'endurance du voyageur? 4
1. ~., p. 63· .'.
2. ~., p. 27
3~Ibid., .p. 46 . 4. ~., p. 29 '.
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Et plus loin:
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."11 importe de-réit~rer et de maintenir ici
.1e«Mai'anatha'h!ies alchimistes)p~acé """au seuil de l'oeuvre pour arrêter les 'p~pfanes'! 1
• 1 o' ,
Est-ce' i tort si. 1 'on se demande alors : le surréalisme tel
que l'envisage Breton est-il oui o,u non à mettre à la portée de tous
ou relève-t-il ,de ,l' és'qtérisme et" se fait alors' en vase clos" apanage
des seuls initiés? A en croire M. Sanouillet, Breton recrutait des
adeptes un peu partout:
",On sentait distinctement qu'une école était en voie de formation. Pour meubler les numéros suiv~nts iqui deviiient paraitre avec une régularité étonnante (pour une petite revue), Breton et ses amis firent appel)par contacts directs ou par personnes interposées J par" .le ttres le p lus souvent J
à tout ce que Paris comptait de l~ttérateurs de quelque importance, pourvu qu'ils restassent en âeçà d'une certaine ligne moderne". 2"
Voilà qui contredit de façon flagrante pareille affirmation de Breton:
'~Nous ne voulons .rien avoir de commun avec les petits ni.avec les grands épargnants de l'esprit." 3
Breton nous dit encore:
"Il est même permis d'intituler poème ce qu'on obtient par l'assemblage aussi gratuit que possible ( •.. ) de titres et de fragments de titres découpés dans les. j ournau~. Il 4 '
Et ailleurs il 9Pp~~e:
"Plus question de faire servir la libre association des idées à l'élaboration d'une oeuvre littéraire". 5
1. ~., p. 138
, 2. Sanouillet, Michel, Dada à Paris, Ed. Pauvert, Paris, 1965, p. 107
,
3. Breton, 'Andre, Manifestes du surré.alisme (extraits du volume collect~f),Ed. Gallimard, Paris, 1966, p. 83.
4. Ibip. , l'- 56
5. Ibid., p .. 181 ; -','
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Nous sOIlllnes déjà loin de sa recette.pour faux romans. C'est un vrai
dédale •••
Pour ce qui est de l'importance du rêve, les romantiques
allemands, notamment Jean-Paul et Novalis insistaient déjà sur le
fait que le rêve,n'est pas limité au ,monde du sommeil, mais qU'il
communique avec la vie quotid,ienne. Nerval aussi l' avait so~ligné,
toutefois Breton avait violemment .rejeté cet héritage dans
Les vases communicants. Mais'des déclarations. véhémentes ne suffisent
pas à nier ce qui est évident, et.quelle que soit la réinterprétation . . . .
de Breton il reste que le sentiment de rêve est un 'trait d'union entre
l'homme et les mondes occultes.
Qua~t à cette .recherche du lieu commun:
"Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l~esprit rl'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le,passé et le futur~ le communicable et l'incommunicable, le· haut et le b~s cessent d'être perçus contradictoirement~ 1
N'est-ce 'pas une redite? Les symbolistes n'avaient-ils pas prôné cette
théori~ des correspondances? Et les alchimistes eux-mêmes, si l'on en
croit' Carrouges,;
,
, .' "Mais.;ll es t plus .important encore de constater que .ces no'Qls app'artiennent aux ca tégories .les plus contradictoires comme si les alchimistes avaient entrevu ou voulu faire entrévoir qu'ils entendaient. rechercher l'unité des c~ntradicto~res,. le point suprêmeC., •• ) 2
Mais le programme. est loin d'être épuisé. Breton veut aller à la
découvert;e dU'merveilleux: "n n'y a même que le merveilleux qui soit beau" 3
1. Ib·id., p~:: 76 . -- " ' ..
2. Car"rouges,Michel, André Breton et 1e~ données fondamentales du surréalisnie,Ed .• Gallimard, Paris, 1950, p. 86
surr(>al:i.sme (extraits du volume collectif) p. 24
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et il ajoute IIl'accent doit être mis sur le pouvoir de dépassement,
fonction du mouvement de la ;liberté. 1I 1
Or, dans quelles. mesure Bret9n a-t-il,pratiqué le dépas-. "
sement de soi ? 'Car immanquablement on en revient au véritable surréalisme , .
qui est attitude plus que verbiage et par conséquent bonne ou mauvaise foi.
Mais comment déceler. la mauvaise conscience et où co~ence-t-elle ? Qui
pour!a nous dire, se'demande Sanoui1let, quand le Breton Dada a fait
place au Breton Surréa1iste~ Même une critique interne de ces textes
ne peut le révéler, tant il est. évident qu'à un moment donné on se
laisse pren9re, au sêrieux de l'oeuvre: une fois que l'inspiratoin trouve
son effet eatalytique, la'foi entre en jeu: à témoins les collages bien
faits, le c~nt~e d,'intérêt qu'en a fait le propre créateur du Dadacoon, etc •••
Cette ambiguité est propre au dadaisme pictural,objecterez-
vous en raison de la distraction apportée par le souci du côté plastique.
Soit •• ~ mais en poésie' et en littérature nous admettrons que langage et
écriture,~ s'ils permettent à.l'nomme de s'exprimer, ne sont toutefois
pas l'expression, pure de son moi. Nous a,spirons à nous exprimer pleine-
ment, mais nous' ne ie pouvons pas. La poésie se vit bien plus qu'elle
ne se dit, par conséquent même l'automatisme, s'il est possible, ne peut
véhiculer le' moi pur. Ai~si l'expression (fut-elle orale ou é~rite) étant
imparfaite, on e~ revient fatalement à l'art, donc à un tiers monde d'où
activité illusoire et dans un certain sens subterfuge, mauvaise foi.
Le succès même au surréalisme ,orthodoxe nous laisse matière à réflexion
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'1. Ibid~ ,'; p.,' 25 - ",.
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quant à la bonne foi de ses, adeptes., Comment expliquer qu'après avoir , ,~.
nié avec tant de véhémence le 'sérieux du mouvement on en vienne à
s'accommoder d-'une image sclérosée de révolte collective. , " , " ,'", 'II
D'autre, pàrt,. Breton p'ar1e'ci,'une . remontée aux sources
de l' imagination ~Qétique' et qu~ plu~ ~st,~ ~e s 'y t~nir".l Certes,
c 'es t une belle ambi tion et, l"orig~na1ité 'réside· plutôt dans I.e moyen
à employer pour ,y, parvenir "cet .automatisme psychique pur". Or ce
passage de l'inconscient au conscient implique un certain traumatisme
qui déforme l'image ,perç'le et déflore pour. ainsi dire la vision intérieùre,
traumatisme'propre d'ailleurs à tout accouchement qu'il soit physique ou
spiri tuel. ;Par conséquent, ,automatisme si l'on veut, pur non ! et cela
en raison même de :la,coIhplex::i.t~ de l'homme, c'es~ ce qui fait d'ailleurs
le tragique dé notre, condition.'
Courte vue ou mauvaise conscience, il en résulte de la part
de Breton, une ,terrible imposture. 'Une autre erreur que commet le
théoricien du mouvement:
"Il en va des images' surréalistes, comme de ces images . de'l'9pium que l'homme n'évoque plus mais ,qui «s'offrent ~ lui spontanément, despotiquement. Il
ne 'peut pas les congédier, car la volonté n'a plus de force et ne goùverne plus les facultés~" 2
/'
Ne voilà-t-il pq.s ·une contradiction flagrante avec le but même que
prétend poursuivre le s~rréalisn\e: celui d'atteindre une liberté absolue 1
Il semble que la thèse'de Breton se détruise par elle-même. Et cela n'est,
pas tout, je'mentionne à tout hasard, la fondation du bureau de recherches ..
. ,
1. ~., p. 29,
2. ~ •• p.' 50
. ".,.". ' . ; ,.'. ' . . "
: 'II, .. f. ",' ' .. V
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12
surréalistes, 15 rue de Gren~lle, Paris:
"Le Bureau. de recherches surréalistes s'emploie à recüeillir par tous 'les moyens.appropriés les communications relatives p.~ ~i'yerses. formes qu'est susceptible de prendre l'activité inconsciente de l'esprit. A~cun domaine n'est spécifié à priori
. pour cett'e entreprise et le surréalisme se propose de rassembler le plus grand nombr.e de données expérimentales à une' fin qui ne peut ~ncore apparaître."
"Toutes ~es personnes· qui sont en mesure de contribuer) de quelque manière que ce soiSà la création de véritables archives surréalistes)sont instaunnent priées de se faire connaître.tous les jours sauf le dimanche de 4~. à 6~. ~ " l'
N'est-ce pas là encore une façon 'de' codifier, de classer, de canaliser
une révolte qui, à sa naissanq~ se voulait gratuite ? Lui-même le déplore:
"L'.intraitable manie qui 'consiste à ramener l'inconnu au connu,' au classable, berce les cerveaux. Le désir d'analyse l'emporte sur les sentiments" 2
C'est là· qu'on constate à quel point lè véritable esprit surréaliste
celùi dont ont fait· preuve les para-surréalistesJa su se passer de titre
et d'étiquette et s'est gardé e~ marge du surréalisme orthodoxe, bretonnant.
En effet, Sade, Rimbaud, Lautréamont, Tzara, Bataille, Michaux et tant
d'autres ont ~tébien plus loin dans ·leur expérience individuelle.
"On conçoit, soutient Breton, que le 'surréalisme n'ait 'pas craint de se faire un dogme de la révolte absolue) de l'insoumission totale, du sabotage en règle et qti~il.n'attende encore rien que' de la violence". 3
1. Nadeau, Maurice, Histoire du surréalisme, Ed. du'Seuil, Paris, 1964, p. 22l'(Fragment ,de communiqué envoyé à la Pr~sse- La révolution surrealiste, n~ 2, 15 janvier 1925)
2. Breton, Andre,. Manifestes du surréalisme (extraits 'du volume collectif) Ed. Gal11ma~d~ Paris,\ 1966, pp. 17-18 . , . .
3, Ibid., p.: 78 .' ~ .. ,'~': 1.",
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Si tel était le cas; le surréalisme n'aurait pu se scléroser,
se coaguler en un mouvement avec Manifestes à l'appui; il aurait dû
alors ·suivre le même chemin 'que Dad~ et. serait voué à se résorber, rongé •• J
par son propre ac~de.. Comment donc tout en incarnant "la révolte absolue"
contre toute fo~e aurait-il lUi-mgme pris forme ? Breton ne dit-il pas
plus loin:
"Il Y a bei et bien· torpillage de l'idée au sein de la phrase qui l'énonce, quand bien même cette phrase serait nette de toute charmante liberté prise avec son sens. Le dadaisme avait surtout voulu attirer l'attention sur ce torpillage. On sait que le surréalisme s',est p·réoccupé;par l'appel à l'automatisme,clemettre à l'abri .de ce torpillage un bâtiment quelconque: quelque chose Comme un vaisseau fantôme." 1
Ainsi la révolte surréaliste ·telle que la conçoit Breton n'est pas absolue
puisqu'elle cOmpQrté ·une certaine réserve; car enfin il existe d'une part,
un état d'esprit, ~n c~mportement surr~aliste qui lui est éternel, entendu
comme une attitude de révolt~ gratuite, de refus perpétuel de toute valeur
établie. Cette"soif de liberté éternellement inassouvie au coeur de
l'homme. c'est la rançon que s'engage à payer tout être trop lucide de
l'absurdité de sa condition. Cet éta~ de révolte se nourrit de lui-
même et trouve sa.fin en lui. C'est le propre du vrai dada. Tzara
n'avait-il pas prédit: lI les vrais dadas sont contre dada" ?
Toutefois, il Y eut· à proprement parler un mouvement surréaliste
vécu par de's h01llIJles s'·exprimant par la poésie, la prose, la peinture, la
sculpture, bref, se manifestant par une succession de faits et d'oeuvres
et figés en "plein cours ·par les "flashes" publicitaires. C'est contre ce
surréalisme orthodoxe que ceux qui avaient réellement l'esprit surréaliste
1 • .illA., p. 117
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se sont retournés (noü~ le verrons à la partie,"qui traite des dissidences).
Ces hommes, s'ils voulaient rest~r, fidèies à leur' . principe de révolte ,;.' . ,. '
gratuite devaient s'opposer gradueilement à" t~~te"C;rganisation de masse, ,,!
se placer hors de~ cadres, en marge de toute école, de tout mouvement. ",., , . "
Il' est clair qu"une telle gratuité ne'va pas de pair avec le
titre de, IIpape, du surréalisme".
Néanmoins Breton joue à l'anti-bourgeois:
1111 reste.lpar ailleurs)qu'au bout de vingt ans je 'me vois dans l'obligation)comme à l'heure de ma jeuness~~de me p~ononcer contre tout conformisme et de viser,Jen disant'celaJun trop certain conformisme surréaliste aussi." 1
Or, ce conformisme surrêaliste, n'en es~-~l pas le principal artisan ?
N'a-t-il pas excommunié ceux q~i s'y opposaient' ? D'autre part, le
,chef claironne:
!'L'acte surréaliste 'le plus simple consiste;revolvers laux poings à desc~ndre dans la rue' et à tirer au
, 'hasard, tant qu'on, peut dans la foule" 2
Cette affirmation est bien la plus, grande imposture qui soit et Breton
dont le ,flair est subtil se doute bien de la chose puisqu'il se hâte
d'ajouter en note:
"
,1. Ibid: , p.
2. Ibid. , p.
3. ~., p.
.IICet ,acte que je dis' le plus simple, il est clair que mon intention n'est pas de le recommander entre tous
"parce qu'il est simple et me chercher querelle à ce propos rèvient à demander bourgeoisement à tout nonconformiste pourquoi il ne se suicide pas, à tout révoiutionnaire pourquoi il ne va pas vivr.e en U.R.S.S." 3
i69 "
,78
79
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- 15
Aill~urs je rëlève encore cette remarque du maître: , 1
"Je suis contre l'érudition et même contre la culture".l
C~nnaissant à quei point Breton est un homme cultivé, pareille affirmation • 1 ~ •
è.étonne. Nais il se contredit lui-même en r~~on:naissant:
"On s'étonnéra alors que, serrant la vérité d'aussi près que nous l'avons fait, nous ayans pris soin
"dan9 l'ensembl~ de nous ménager un alibi littéraire . ou autrel~ •• 2
Est-ce à tort que Robert Desnos s'exclame:
"Ah! 'je vous prie de croire qu'il ne perd pas le nord. Une phrase, une seule proposition de Lautréamont l'a frap'pé: le.droit.de se contredire et je vous garantis qu'·il s'en est servio" 3
Mais trgve de parenthèses. Rey~nons au second manifeste.
En dépit de certaines constantes, telles que la question de révolte,
la recherche de l'idéai surréaliste dans la théorie des correspondances,
la haine ,du pourgeois,Breton cherche plutôt à préciser sa position
politique. Il se perd qans une dialectique et se fourvoie en s'efforçant
d'expliquer logiquement ce qui est l'apanage de l'imagination.
-,',' :
"L'imagination est' peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si ·lés profondeurs de notre esprit recèlent
" d'étranges forces capables d'augmenter ceU.es de la surface,ou de lutter victorieusement contre elles, 'il, y a: tout intérêt à les capter ~ à. les' capter d'abord" pour les : soumettre ensuite, s'il y a l'ieu au' contrôle de notre
;' ra,ison." 4
,1. Jones,: Henri. 'Le Surréalisme ignoré, Montréal, Centre Educatif et Culturel, .1969, p •. 79 . . , '.
",1' •
2. Breton,. 'André, Manifestes du, surréalisme, (extraits du volume collect+~),Par1s. Ed •. Gallimard, 1926, p. 12.l
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3. Nad~~Ui~icè, Op. ·cit."pp •. 309 - 310
~: :4. B:r:~~o~i.\~~J.~tManifestes ·du surréalisme, (extraits' du i~?;j:}')'::I:-I:: CO~le<?ti"),~;:, ~~~~" Ed. Çiallim'lrd 1926, p. 19
volume
~~i,''1 ,;., i' ,1., C ",
"'~'~EiQ:air, ' : .. ' >' ,':,' ", "";', .'.' ~ .:
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Or la pénetration de soi ne peut se faire par des moyens dialectiques.
L'erreur est de ,vouloir tout expliquer, tout rationaliser. Là encore
éclate le divorce qui existe non seulem~nt entre l'idéal et la pratique
de Breton mais au sein même de ,sa théorie .• N" a-t-il pas qualifié lui-
même "d' 1ntraitabl~ manie" c47 qui' rtconsiste à. ramener l'inconnu au connu"?
D'·sutre.part, Breton prône toujours au deuxième manireste la
révolte absolue et' gardée à .~' état' libre. "En matière de révolte aucun de nous
.' 1 ne doit avoir besoin d'ancêtres". Tant d'influences déjà mentionnées
(nous le verrons plus. particulièrement dans la partie qui traite des
précu~seurs) ne peuvent que nous. faire douter d'une telle affirmation.
Quant à la revue de B'reton Le surréalisme au service de la révolution (30-33)
n'est-elle pas lourdement chargée de polémiques doctrinales? Tout cela . .
passe encore ma~s .Breton se sert de son SecomManifeste pour régler des
querelles p.ersonnelles,. ce qui me semble incompatible avec une oeuvre
qui prétend exposer objectivement la théorie d'un mouvement. Bref, ce . .
"pape" frappe'.d' interdi t' ,plusieurs de ses dis-ciples: Artaud pour sa
représentat~on du songe de Str~ndberg,·Philippe Soupault pour son
orientation trop lit.téraire, Desnos, qui trop absorbé par l'écriture
automatique, se désintéresse des problèmes concrets.
"J'estime, ~crit-il, en tout cas, que ce n'est pas trop d.e.mander aux' uns et aux autres que de cesser
'de ,s'exhiber complaisamment et de se produire sur les tréteaux'.' 2
1. Ibid., p. 80 --. 2. Ibid., p. 139
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Mais Breton 1ui-mênÎe'est-il toujours resté ~ l'oinbre des "flashes"
publicitaires? Ce n'est pas ce qu'en pense Sanoùi'llet: . . , '.
"A.u.ske·tch, s'ii vous platt,de Bret'on et Soupault correspondai t le sketch., Vous m' pub lierè z . des mêmes ( ••• ) ~l existe une photographie des quatre protagonistes en costume (Eluarci, Soupault, Breton et' Fraenkel) prise pendant la représentatio.n' de "'Vous m'oublierez .Pa.rue dans Comedia du 21 Mai~· •• l
D'ailleurs le's ripos.~es contre Breton dans Un caàavre jettent une
lumière crue sur l'h~mme accusant ainsi un profond divorce entre ·ses
grands principes surréalistes et la pratiq'A~ quotidienne de sa vie.·
D'autre part, un~ 'simp1e ~ecture du texte Avertissement pour la
réédition du second Manifeste 1946, nous pennet de constater à quel
point Breton revient sur ses propres jugements et affirmations.
'.'J·e 'me persuade en laissant paraître aujourd 'hui le .second·manifeste du surréalisme, que le temps s'est chargé pour moi' d'émousser ses angles polémiques. Je so~haite que de soi-même, il ait corrigé 'fnt-ce jusqu ':à \ln certain point à mes dépens, les jugements . pat'fois hâtifs que j 'y ai portés sur divers compor-,
,tements individuels' tels que j'ai cru les voir se dessiner alors". 2
Et en manièr~ d'excuse il ajoute:
'.'Je crois qu.' outre le jeu d'une certaine . ambiv.~lence· de sentiments à laquelle j'ai déjà ·fait allusionJil en faut incriminer le malaise
. des temps et aussï 1 ''influence' formeL1e.d'une··' bonne. partie de la littérature révolutionnaire.!'. 3
1. Sanouil1et, Michel, Dada à Paris, Paris, Ed. J.J. Pauvert, 1965, ?p. 174-177· .•.
2. Breton, André, Manifestes du surréalisme (extraits du volume collectif), Paris, Ed. Gallimard, 1966, p. 67
l. lli!!., p. 69
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Une telle palinodie'ne l'einpêchera pas de reprendr~ quelques pages .
plus loin son ton grand~loqu~n't
: "L'esprit n'est pas une girouette,tout ~~ moins n'est pas seulement une girouette"
et cela dit pour critiquer'
!'Certains intellectuels que je connais, et dont les déterminations morales sont plus que sujet'tes à caution". l
Pour reprendre ~'express~on' de Breton, à propos de Le Moine, je
dirai que "le :ien n'est.i~possible à qui sait oser" donne chez
Breton toute s~ mesure convaincante. Il reprend' sa théorie:
"L'esprit de démoralisation a élu domicile dans le château et c'est à lui que nous avons i:
.. " 1
affaire chaque fois,qu'il est question de relations avec nos semblables." ,2 '
Là encore Breton n'innove pas. Cette provocation constante à toutes
les conventions. bourgeoises était déjà le mot de passe de Lautréamont:
"J'ai fait un.pacte avec la prostitution 'afin de semer le désordre
'3 dans les famil:les";
Dans le Second Manifeste aussi, Breton reprend cette quête
vers le poin~ central de la croix où se neutralisent toutes les
contradictions, où se rejoignant l'Alpha et 1'~mégaJce point dont
parlent tant de·religions (Islam, .le Bo'udhisme, etc) Il parle de
concilier Dieu et' Satan de sorte à,les fusionner en un "Dieu noir"" , .
Dieu ayant"réintégré les forces du mal, bref le retour à l'origine
l. Ibid. ,pp~' 99~lOO
,2. Ibid: ,pp~ ~- 27-
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avant l'anathè~e lancé par Dieu contre Lucifer ••• un nouvel Osiris
ayant enfin retrouv~ l'unité perdue. Mais comment ne pas mettre en doute
sinon la bonne foi, du moins la cohérençe de ses ,idées lorsqu'il
reconnaît lui-même l' utopi~ d '.un ~el rêve
"Je crois à la résolùtion future de ces delPC états, en apparence .si·contradictoires)que sont le rêve et la réali té en une sorte de réalité absolue, , de surréalité, Si l'on peut ainsi ôjn~~ c'est à sa conquête que je vais certain de n'y pas parvenir •• ':1
Et plus loin."C'e~t encorel~i l'onveut)un bien artificiel paradis~' 2
Bref, ce rêve quoique c<;ms·tant 'dans le premier et le deuxième manifeste
de Breton, n'en est pas moins contesté par l'auteur lui-même. Pareille . .
hypothèse qui se détruit'par elle-même nous dispense de tout commentaire.
Non content, par ailleurs, de canaliser la révolte surréaliste
Breton se p~opose de la mettre au service de la révolution politique:
"Je pense qu'on ne s'étonnera pas de voir le surréalisme,chemin faisant,s'appliquer à autre
. chose.'qu'à la' résolution d'un problème psychologique, si intéressant soit-il. C'est au nom de la reconnaissance impérieuse de cette nécessité que·' j'estime que nous ne pouvons pas éviter de nous poser de la fac;.on la plus brûlante 1 .. question du régime social' sous lequel nous vivons) je veux dire
·de l'accep~ation ou de la non-acceptation de ce régime'.' 3
Ainsi, le sut:réalisme tel que défini par Breton "Automatisme psychique
pur" dévie en dialec~ique ce qui est le moins qu'on puisse dire
1. Breton, André, Manifestes du Surréalisme (extraits du volume collectif) Paris, Ed. Ga~limard, 1966, pp. 23-24
2. Ibid., p. 50,
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contradictoire à moins que'Breton n'ait oublié de redéfinir son
surréalisme ••• , "
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Et cela n 'est p~s tout, Breton"'papillonne de 'rrotsky dont .,'.
o • • '. ~ il cite un p'assage de Révolution et culture clarté 1er Novembre 1923,
à Marx: , . l,'r_;
'1' <, " l'
1 ~.: :
"Certes le surréa1isme,que nous avons vu ,socialement ado~ter de propos délibéré la
formule marxiste •• '." 1
puis il flirte avec"l' idéolog~efouriériste, fait allusion aux
phalanstères, •• Nous en reparlerons dans les controverses et les
alliances po1i~iques,'de Breton. Revenons à la réalité. En 39. C'est
la guerre entrainant inévitablement la.désintégration du mouvement, la . .
dispersion du groupe: 'que fait Breton pour qui la révolte est vitale ? , .
MObilisé pour un certain temps, il finit toutefois'par se rendre en
Amérique, et là encore il continue à faire oeuvre littéraire. Il publie
à New-York' en i942 Les prolégomènes à un troisième manifeste du
surréalisme 'ou non, ôù il commence par:
,1. '!Sans doute y a-t-il trop de nord en moi pour . que je sois jamais l'homme de la pleine adhésion~ 2
Mais sur le ~~an de la théorie, Breton se plait à rappeler
,", "Il n'est ·pas de grande expédition. en art 'qui ne's'entreprenne au péril de la vie ••• . ' et que', chaque artis te doi t reprendre seul 'la pour~ui te de' la Toison d'or." 3
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1. Ibid., p. 118
2. ~., p. 161':
3. Ibid., p. 170 " .
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Ou encore:
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liCe que nous, demandons est,pensons-nous)de: ,nature à entraîner un consentement, un refus total et non à se payer de mots, à $'entretenir
,'d'esp~irs velléitaires. Veut-on,oui ou nO~ltout risquer pour la seule joie d'apercevoir au loin, toui: au fond.du creuset ~~ nousproposon~ de je~er nos pauvres commodités ( ••• ) la lumière
,q~i cess~ra' d'être défaillante". 1
Que penser d'une te~le' co~tradiction ? Conseiller les autres alors
qu'on se rétracte,soi-même ? Faites ce que je dis mais pas ce que je
fais. Reconnaissons 'toutefois que c'est grâce à ce côté de Breton'
toujours axé vers la réussit~,qu'à chaque fois les marrons ont été
tirés du feu' à ~emps', et que le mouvement a pu être sauvegardé
(j'entends 1~ mouvement dans son sens orthodoxe). Néanmoins, une telle
attitude jure lamentablement 'avec le véritable esprit surréaliste
dont ont fait preuve les para-surréalistes qui, soucieux de leur
intégrité ont .tenu à saper toute imposture en gardant leur révolte
à l'état de'perpétuelle revendication.
Si le "vrai dada est co.ntre dada",o Breton' lui est nettement
pour la survié du surréalisme~ il semble avoir défendu le mouvement en
tant' qu'une entrep:rise don,t .sa réputation dépendait. On a peine à croire
par conséquent pareille affirmation:
."
"bnme pardonnera de penser, que'contrairement au lierre, je meurs si je m'attache .. " 2
Cela n'empêche p~s Sanouille:t de rendre justice à Breton: . ~ .. '
.. :
. 1. 'Ibid~ ,l'P.~"1~9 -15"~ , "
2.. Breton,'Aridié, fragm~n:t d'article relevé par Sanou1llet Michel iu'Dada,a::l'aris. Paris, Ed. Pauvert, 1965, p. 341
.'.
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"Il ·semble·bien en effet 'que ,l'avènement du Surréalisme· ait répondu à un besoin profond, peut-être inconscient , de remise en ordre, de réorg~nisation, qe clar:ification,resenti en France après le déferlem~nt de la vague dadalste; C .•• ) On sut gré à Breton d'avoir endigué ce flot incontrôlableJet dt~voir su tirer de
. l'inextricable'enchevêtrement d'idées dadaïstes, une théorie intellectuellement acceptable."
"Il ne fait ~ucun douté,toutefois:' ajoute-il, tique ce·t élagage apparut aux Dadaïstes comme un
. rétrécissement, voire un appauvrissement de leur propre doctrine~ 1
Une autre contradiction propre à.Breton: cet humble retour aux
principes, de relativité d'Einstein après avoir tant claironné des
projets grandiloquents et absolus. Nous concilions difficilement le
surhomme nietzchéen avec cette idée empruntée à Novalis et à la thèse
d'Emile Ducl~ux: à s~voir, ce ,mythe de l'homme parasite vivant aux
dépens d'un grand transparent •
. Serait-ce un retour de Breton sur lui-même? sur ses idées
qu'il croyai't ind~bitables ? 'Je veux bien l'admettre, mais alors pourqu~i
ressasser dans ses prolégomènes. cette recherche du point absolu où se
rejoignent toutes les contradictions? C'est à se demander s'il y a
une que:lconque sui·te d'idées dans Les Manifestes' ou s'ils ont été
rédigés au ffl du hasard.
Breton semble y appliquer et cela à un rythme accéléré, la
contradiction prônée par Lautréamont ce qwà son avis r~glerait toute
discussion •.
1. ~'.' p. 425
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Parmi les const~ntes du surréalisme,'du~Jnqins sur le plan .' ,r:
~!1t5oriG.ue, mentionnons l'idée de révo~te, le principe,anti-convention-,.. '", 1
1 • ~ .!
nel,. anti-bourgeois et enfin le' raj ~un~,s~ème~t" d~ i' amour et un nouvel " J !'. ~ .: .
l , ;';'"
a:-.niversair~ pour la c~lébrati.otr de la femme, (j'en parlerai plus " ,.',
. " , ....
longuement dans l'amour fou). Il estfo,rt regrettable que sur le plan
de la pratique ce soit surtou.t la mauvaise conscience qui ait jalonné
le surréalisme de·Breton. J'aurais bien voulu sur ce point lui laisser
le bénêfice du doute, mais certains faits ,sont flagrants: "Il ne faut
laisser aucune t~ace'de son passage sur la terre" avait-il affirmé et
pourtant ce chef du 'surréalisme 's'est perpétué dans sa postérité (sa
fille Auror~), dans ses oeuvres '(il en a publié un grand nombre) et
dans le patrimoine. qu ~ il avai t prudenunent amassé par le trafic des
tableaux de' peinture. Breton était en effet un habitué des galeries , .
d'art; il en est qùestion dans Nadja: , ,
, "Nadja étant venue chez moi a reconnu ces cornes . pour êtres celles d'un grand masque de Guinée
qui a naguère appartenu à Henri Matisse et que ,j'ai toujours aimé et redouté ( ••• ). Elle a : reconnu dans un tableau de Braque (le joueur de
guitare) ( ••• ) ••• le tableau triangulaire de ~hirico, L'angoissant voyage ou l'énigme de la fatalit,é' •• ) un masque conique en moelle de sureau rouge et rose~ux de Nouvelle Bretagne, une petite
'statue de 'cacique assis, un tableau de Max Ernst (Mais les honunes n'en sauront rien), un autre ~éti~he, •• },un autre de l'Ile de Pâques qui est :I.e p:remier objet sauvage que j'aie possédé. 1I 1
10 • ,,::'t'
Attitude capitaliste ! Connaissant' ce côté de sa personne, on voit
mal Breton tendant 'la main aux ouvriers: frères !
l.Breton, An~re;'NàdjCi, ~~ris, Gallimard, 1928, p. 147 . ...
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Faux-frère, flic et curé ! répondra Georges Ribbemont
Dessaignes dans ,Un cadavre. On voit encore moins ,Breton exhortant au
renoncement total:
','Lâchez tout. Lâchez Dada.Lâ,chezvotre femme ,lâchez votre maîtresse ~ Llchezvos espérances et Vos craintes. Semez vos
.enfants au co~n d'un bois~tâchez la proie pour l'ombre. Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu'on vous· .donr,e pour une situation d'avenir. Partez sur 'les routes~ 1
'. '
Oui, d'autres, ont. pris Breton au pied de la lettre, ont tout
lâché et sont ,partis. N'est-ce pas ,Jacques Vaché ••• Nadja ••• Crevel., ••
Archille Gorki. ••. ,Kurt Seligmann •• '. Mme Tanguy... Jean-Pierre Duprey •••
Oscar Domingue~.· •• ·Wolfgang Paalen. ~. et tant d'autres. Ceux-là ont été
plus loin que le· surréalisme de Breton,· ils ont rejoint leurs ancêtres
précurseurs, 'Sade, ~autréamont, Rimbaud •••
Mais i~ n~,prend pas fin· l'ambitieux programme de Breton.
Il parle d'ésotérisme, d'occultisme, mentionne les lames du tarot,
j ongle avec la .politique pour s' arr'èter à l'amour, nous parle de la
femme-enfant, "puis des grands transparents, bref nous entraine dans un
labyrinthe carnple~e qui demande pour le 'suivre beaucoup de souffle.
Certes Breton est un homme fort q.lltivé, quoi' qu'tl en dise ("Je suis
contre toute érudition et même contre toute culture") mais cela lui
permet-iL d ',avo~r. sot;l mot à dire dans tout domaine et de faire intervenir
le tarot dans sa' dialectique? Ne dit-il pas lui-même:
, !
1. Breton,~dré, ·Lâchez tout, recueilli dans les Pas Perdus et relevé ,dans 'Sanouillet Michel:' Dada à Paris t Paris t Bd. Pauvert, 1965 t, p. '342:,:; ,,"
1. • .
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· '. ".·.:\:;,~:,,:!"f:~;r; ,;;, ,
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". - 25 ~ , . ,~ .
"L"universalité de 1 ',intelligence n'ayant sans doute j~mais été donnée à l'homme et l'univ~rsalité de la connaissance ayant en tout cas cessé de lui être départie, il convient de faire toutes réserves sur la prétention que peut avoir l'homme de génie de trancher de questions qui débordent son champ d'investigation et excèdent donc sa compétence~ 1 •• 0 . .
Revenant ·encore sur la question de l'intuition poétique, Breton nous
certifie:
"Elle seule nous pourvoit du fil qui remet sur le chemin de la Gnose,en tant que connaissance de la Réai·ité suprasensible ,«invisiblement visible dans un éternel mystère~»2
Etant donné so~ hy~othèse des grands transparents barrant à l'homme
la route du point supr~me, on conçoit mal que ce même homme puisse
détenir à la fois l~ ·fil "qui remet sur le chemin de la Gnose" •.
Inutile d~insister davantage sur les contradictions qui
jalonnent l'oeuvre màitresse de Breton. Bref, pour résumer, je dirai
que l'originalité du surréalisme réside non dans ~e but qu'il se
proposait d'att~indre: cette quête de l'infini prônée par Rimbaud et
continuellement remise à jour depuis, mais plutôt dans l'automatisme.
Là encore, l'erreur a été de croire que c'était Ille moyen" d'y parvenir
la formule qui ouvrirait le sésame. L'automatisme, en littérature plus
qu'en art peut-être, contribue il est vrai à la libération de l'homme en
mettant à jou'~ 'une' partie' de son subconscient; quant à atteindre la
liberté absolue, nous le savons, ce rêve est utopique. La grande méprise
1. Breton, André, Manifestes du Surréalisme (extraiodu volume collectif) Paris, Ed. ~a1Iimard, 1966, p. 172
2. ~., p. 188
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- 26 -
a été de vite crier à l'absolu alors qU'il ne ser~ jamais question que
de relatif, étant donné l'homme et sa complexité. Ceci}Bataille et d'autres
l'ont compris~qui ont tenu à garder leur révolte à l'état libre.
Quoique érigé en mouvement anti-art et anti-littérature, il a
fallu au surréalisme, bon gré, mal gré, se servir de mots ••• Mais ces mots,
disons-le, nous rapprochent de nous-mêmes. Ainsi les constantes du
surréalisme dans les Manifestes d'André Breton dépassent le mouvement et
représentent au sens large, la plus récente tentative du romantisme pour
rompre avec lice qui est", poussant la suspicion du réel à son paroxysme.
Un psychologue dénoncerait ici une confusion de l'objectif
et du subjectif, nous dit Marcel Raymond, dans De Baudelaire au
Surréalisme; il n'en demeure pas moins qu'à la réalité ces poètes
substituent lasurréalité où se trouve la vraie vie et qu'ils se pro-
posent de la conquérir dangereusement au moyen de l'automatisme.
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B. Les controverses politiques
, "Je" suis - es t-c~ à tord-personnellement enclin à penser que l âe la part de Breton, en politique, on peut s'attendre à tout"l
écrit Henri Pastoureau dans Le Surréalisme ignoré d'Henri Jones.
Pareille confidence de la part d'un contemporain et collaborateur de
Breton ret~ent notre attention.
Le groupe surréaliste, officiellement implanté par la
fondation du, bure,au de" recherche~, 15 rue de Grenelle, s'oriente en
1926 politiquement dans les voies de 1"' Internationale communiste
(S.F.I.C.) influencé par Be~nier et Pierre Naville. Vers 1927, la
plupart des textes ~ont s~gnés par Aragon, Breton, Eluard, Péret,Unik.
La décision "de Louis: Aragon, de s'affilier au parti communiste
oblige Breton à e~iiquer officiellement la position des surréalistes:
"Notre adhésion aux principes du matérialisme , historique~"il'n~y a pas moyen de jouer sur ces
, "mots. Que cela ne dépende que de nous - je veux dire pourvu que le Parti communiste ne nous trai te pas seulement en bêtes curieuses destinées à exercer dans ses rangs la badauderie et la défiance~et ·~ous nous montrerons capables de faireJau point de" vue révolutionnaire,tout notre devoir~ 2
C'est là qu~"le chef "perd pie~ et se fourvoie en une dialectique marxiste,
se doutant ou pas,· qu'il est aux antipodes 4e "l'automatisme psychique
pur" prôné par sa px:opre définition •
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1. Jones, ,~enri," Op.'èit., p. 126 "
2. Nadeau; Matiiif~' :Op. "cit., p. 401 ,. '
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Dans une lettre aux surréalistes non' communistes signée par
les mêmes cinq ,qui forment le directoire, je souligne: , , 1
"Avec nous vous avez été d'avis que le surréalisme, p'Qur exis'ter J n'à jamais: cessé de faire sienne la dialectique hégélienne.", l,
Or, le surré~lisme en tant que "cri ,de l'esprit qui relrQurne vers lui-, ,
même ll est-il cçmciliable avec une dialectique quelconque fut-elle
hégélienne ? ~ous l'avons déjà mentionné,- la pénétration de soi ne
peut se faire' par un mpyen dialectique.
Mais B~eton s'acharne à démontrer le caractère socialement
révolutionnaire du mouvement. • Il "
ilLe sur.réalisme n'est pas une forme poétique. (que, penser alors de son livre Poèmes, édité chez Gallimard ?)."1l est un cri de l'esprit qui retourne vers lui-même et est bien décidé à broyer désespérement ses entraves~et au besoin 'par des marteaux matérielsL" 2
Toutefois, il tient à rappeler l'autonomie du groupe
"Qui parle de disposer de nous, de nous faire aontribuer à l'abominable confort terre8tre~ Nous' ,voulons, nous aurons4l' au-delà<<de nos jO\lrs. 1I 3
Et pour rester' fidè'le .à la contradiction, thènle cher à Breton:
1. Nadeau,
2. Ibid.,
3. Ibid.,
4. Ibid. ;
ilLe surréalisr:1ejimpliquant l'adhésion totale et sans réserve au principe du matérialisme dialectiqu'e, ses fins ne sauraient en rien se dist:Lnguer des fins mêmes du prolétariat". 4
.Qe..cit •• p. 265
p. 21~
p • ,226
p. 361 .
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Ailleurs je relève 'encore:
"Nous ne s01iU&les animés d'aucune hostilité d'ascète contre le bien-être de~ bourgeois •. Ce que nous voulons, c' es t faire part;ager le bien-être à tous ceux qui l'ont produit.!' '1 : ....
~ ,.'.
Et pour comble.œ·impost~re: . , ,
, "~otre cause est celle des ouvriers et des paysansll 2
Or, nous n' ignor~ns pa,s que sur le plan théorique Breton a rejeté le
travail comme dégradant pour·l'homme. Comment peut-il alors se placer
sous' la banniè're de la doctrine marxiste qui, . on le sait, est entièrement'
basée sur le travail ?
"L'on ne voit pas conunent il eut été possible à Breton d'adméttre les bienfaits de la dialectique en se déroban't à son mécahisme même dans ce qu'il a de fondamental." 3
Venant à la défense.du prolétariat, Breton claironne:
,"Il n'est pas un de. ces mots d'ordre dont noûs contestions l'opportunité ni la portée: Défense des ~alaires. Respect intégral des huit heures. L~tt~ ,contre le chômage, contre la rationalisation capitaliste et la vie chère." 4
Comment' donc .7 Çeux-là mêmes qui considéraient le travail comme avilissant . ,
pour la d~gnité de l'homme se révoltant contre "la prétendue vie gagnée"
.. etlll' abominable con,fort terrestre" ••• · lutteraient en même temps contre
le chômag~ ? ..
Cette'~1n~ompa:ÙbÙité des principes' surréalistes avec la doctrine • ',1 ;""
.... i , . "' .
1. Nadeau, ,Ha~rice:~:,cip.cit. ,p~ .436
2~' Ibid •• ~.4J7:·.: -, .. ';,,;, :,
3. JoneSt·H~n:x::i,:.,Op"cit." pp.32-33
4""l~ade~Ù~':·'Mâ~ri~'·~"'bp".cit., p.,272 ',' ;, , ,il/ ',., .~,.,'. \ ' •
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marxiste, le parti' comm~niste:l'avait bien réalisée: "
'. "si vous êtes' marxiste, braillait vers, cette époque Michel'Marty à l'adresse de l'un de nous, vous n'avez pas besoin d'être surréaliste." 1
. !
D'ailleurs, le 'parti'communiste n'aurait accepté les surréalistes en
son sein, que "pre;:;sé par les i'ntellectuels de gauche" nous affirme
H. Jones.
D'autre ~art, Ferdinant Alquié détecte avec sagacité les
contradictions qui, e~ po1itiqu~, opposent le surréalisme au marxisme:
"A. Breton déclare que «toute la démarche psychologique du surréalisme a été guidée»par un"tel<<souci d!\.lnification"»(. ••• ) la réalisation de l'unité de l'ho~~e par la rencontre des deux voies opposées où nous engage notre désir: celle de l'imaginaire, de la poésie,et peut-être 'de la folie, celle de la science, de l'activité pratique et de la réalisation ,politique. Hais vou1oir)même de toutes ses forces r unifier ces deux voies n'est pas nécessairement réussir à opérer cette unification,ni même démontrer qù'e1le est possible ( ••• ). Pourra-t-il suivre pour aùtant les deux voies opposées où il nous engage? ,(.; .. ) le marxisme,qui est une théorie politique, d~vait voir dans le travail le rapport fondamental de l'homme et de la Nature. Mais le désir peut pr~ndrè une autre route, celle de l'imaginaire •
. 11 déréalise alors ce monde, oublie ses lois • .'~ 2
En 1926, le parti communiste lui-même très sceptique quant à
l'intégrité de 'l'adhésion surréaliste manifeste son hostilité:
~"Oui ou non,cete révolution souhaitée est-elle c'elle'de l'esprit à priori,ou celle du monde
"'des faits '? Est-elle liée au marxisme,ou aux théories contemplatives, à l'épuration de la vie :i;ntérieure '?"~3
1. Breton, André" Manifestes'du'Surréalisme (extraits du volume collectif) Paris?" Edo'" Galliaard, 1966, p. 98
.2. Alquié,"Ferdinan'd, Philosophie du surréalisme, Paris, Flammarion, ~. 1956 ,pp~ .80 ;-81.,;,
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3. Nade'au,'~urice~ Op. ci t., p. 237
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Et Breton de
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se débattre tant bien que mal dans légitime défense:
"Il n'est personne de nous qui ne souhaite le passage du pouvoir des mains de la bourgeoisie à celles du prolétariat.~ En attendant, il n'en est pas moins nécessaire.Jselon nous, que les expériences de la vie intérieure se poursuivent et cela,bien entendu,sans contrôle extérieur, même marxiste."l· .
Quelque temps après, le Congrès pour la Défense de la Culture organisé
par le parti communiste est le théâtre de violents débats entre surréalistes
et communistes. L~ rupture qui s'annonçait déjà depuis q~elques années
est alors consommée.
Le poème Front Rouge d'Aragon soulève encore une controverse:
à savoir: l'inspiration poétique est-elle.oui ou non mêlée à la politique?
Là encore, Breton se perd dans des arguments contradictoires sous le titre
de Misère de la poésie:
"Je ferai observer qu'il y a huit ans, dans le Manifeste du surréalisme,j'ai tenu,au nom de la conception poétiqu~ •• )à dégager entièrement la responsabilité de 1 auteur pour le cas où seraient incriminés certains textes de caractère«automatique» incontestable." 2
Et ailleurs: "Il.ne saurait exister de trucs idéologiques ni de recettes techniques pour écrire des poèmes révolutionnaires." 3
Néanmoins, il se permet d'ajouter:
"Ces analyses de poèmes pourraient être envisagées comme un des nombreux moyens de déterminer des directives poétiques,de poser des jalons qui ne sauraie~t être que provisoires." 4
1. Breton, André, Légitime défense in la Révolution surréaliste no. 8, 1er décembre 1926, in Nadeau, I"Îaurice ,Op. ci t., p. 2'J1
2. Nadeau, Maurice, Op.cit., p. 346.
3. ng., p. 389
4. Ibid. ,p •. 391 -. l,' 1
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•
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32
Ailleurs il affirme:
"ou bien encore le texte automatique et le poème surréaliste sont non moins interprétables que le récit de rêve,et que rien 'ne ,doit être négligé pour mener à bien7 chaque fois qu'on, peut être mis sur cette· voie,de 'tel~e~: interprétations." i
"L'art authentique d'aujourd'hui a partie liée avec l'activité sociale' révolut:lonnaiÎ'e,il tend comme elle à la confusion et à la destruction de la société capitaliste." 2.
Cet art authentique, on se le demande est-il oui ou non une fin en soi,
ou est-il utilitaire et implique alors la responsabilité de l'auteur?
Une autre imposture propre au surréalisme de Bret,on: cet anathème lancé
contre la société capitaliste par les nombreux tracts édités à propos
de l'exposition coloniale de Vincennes: Ne visitez pas l'exposition
coloniale ~ Or, ces mêmes personnes (et en l'occurence le chef) qui
crient au scandale contre le colonialisme et l'exploitation de l'homme
par l'homme, ne sont-ils pas les premiers à affectionner les trafics de ,
tableaux de peinture et autres objets d'art? Breton1 lui-même,énumère
des objets d'art qu'il possède)dans Nadja et Robert Desnos le dénonce
dans un Cadavre:
"Pourquoi: reste-il son ami et pourquoi écrit-il les louanges de son oeuvre ? Parce que Paul Eluard / ••. ) est lotisseur et que l'argent des marécages vendus aux ouvriers est utilisé à acheter tableaux et objets nègres dont tous les deux font commerce."
••• Pourquoi se réconcilie-t-il ? parce que Tristan Tzara achète des fétiches nègres et des tableaux ~t <!\J" André Breton en ve,nd. ,
1. Breton, André, Manifestes du Surréalisme, Paris, Pauvert, p. 272
l, '" . 2. j .;
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Nadeau, Maur1ce~ Op.cit., p. 409
~.;,p~ 325,
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Dans un article sur la peinture,André Breton reproche à Joan Miro d'avoir rencontré l'argent sur son chèmin. C'est pourtant lui, André Breton qui,ayant acheté le tableau'''Terres labourées" cinq cent francs le revendit six ou huit mille francs. C'est Miro qui a rencontré l'argent, mais c'est Breton qui l'a mis dans sa poche.
Et parlant de Masson et de Breton: ••• 11 convient de n'envisager dans cette contradiction qu'une rivalité d'affaires entre marchands de tableaux •
••• Breton faisant des bénéfices sur le surréalisme n'est pas différent du pape percevant,à son profit, le denier de Saint-Pierre." l
Il est bien clair que nombre de surréalistes, orthodoxes j'entends>
(parce que nombreux sont les autres qui ont fini misérablement) ont
fait fortune et menaient une vie aux "aritipodes du comportement marxiste",
plusieurs autres étant nés de familles bourgeoises, n'avaient pas à gagner
le "pain quotidien".
N'est-ce pas là le comble de l'ironie que justement "le bureau
2 directorial de la lutte des Classes" comme dit Bretontsoit situé 15, rue
de Grenelle dans une· propriété privée de M. Naville ?
"Mais'~ nous confirme Ferdinand Alquié, "d'autres sujets de désaccord et ceux-là irréductibles, demeuraient entre la philosophie implicite du surréalisme et la doctrine marxiste. le surréalisme croit à la liberté de l'esprit.
~Parmi tant de disgrâces dont nous héritons,dit le Manifeste, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d'esprit nous est laissée' (Manifestes,p.9)
••• Comme il a refusé la transcendance de Dieu, Breton refuse celle de la Matière, de l'Histoire, de la Société, de tout en-soi posé comme radicalement antérieur
1. Nadeau, Maurice, Histoire du Surréalisme, Paris, Editions du Seuil, 1964,pp.307-J08(article de Robert Desnos sur le 2e Manifeste dans Documents surréalistes).
2. Breton, André, Manifestes du surréalisme (extraits du volume collectif) Paris, Editions Gallimard, 1966, p •. 104.
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à la conscience,et la rendant esclave. Il ne peut donc admettre, même dans le problématique espoir d'une libération de l'esprit renvoyée à la fin des temps, ce primat ,de la matière qu'affirment dogmatiquement les ii'iarxistes,ni l'explication intégrale de ,l'individu,et de ses pensées, par l'histoire) «la société. 1
"Nous nous déclarons en 'insurrection contre 'l'histoire'~disent les signataires, qui réclament en effet une liberté calquée ' sur leurs"nécessités spirituelles les plus profondes." Mais ils écrivent d'autre part: "Nous ne sommes pas des utopistes. Cette 'Révolution
'nous ne la concevons que sous sa forme sociale". En véritê, les groupes qui avaient en commun, signé ce manifeste (la Révolution surréaliste, Clarté, Philosophies,Correspondance) ne devaient pas tarder à accuser leurs divergences." 2
Quant au surréalisme de Breton, qU'il ~e,l'avoue ou non, entretenu par
certains facteurs en grand accord avec le Capitalisme, il ~e pouvait à la
fois tenir le coup d'un flirt avec le Marxisme. Pareille alliance était
à'l'avance vouée au divorce.
1. Alquié, Ferdinand, Op. cit. ,pp. 83 - 84
2. Ibid .• p.,8S'
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c. Les alliances politiques de Breton
Passage du Marxisme orthodoxe au Trotskysme, puis à l'anarchie et à l'idéologie fouriétiste
••• ,r~ette attitude contemplatj,ve,extatiqueJest en tous points inconciliable avec le sentiment révolutionnaire.le plus grand mal vient de ce que tous ceux qui s'y emploient à la propager ne sont pas nécessairement dupes de leur jeu ( ••• ) Certains ( ••• ) s'accommodent, hélas, trop bien de la vie qu'il leur est matériellement loisible de mener en partie double, dissimulant sous des éloges délirants du régime soviétique entrecoupés de violences toutes verbales à l'adresse de la société capitaliste une volonté bien arrêtée de temporiser à perte de vue." 1
Ce sont là les paroles de Breton lui-même, condamnant toute attitude
équivoque et démasquant la contradiction qui existe entre l'idéologie
marxiste et toute pratique de vie jouissant du confort capitaliste.
Le chef du surréalisme, se doute-t-il qu'il vient là de nous
fournir l'argument massue qui se retournant contre son propre auteur,
risque de le confondre ?
A partir de 1924, date où la centrale d'information est créée,
rue de Grenelle, le groupe entreprend une propagande surréaliste à coups
de tracts, de papillons et d'affiches. Son organe principal est la· revue
intitulée la Révolution surréaliste (1924 à 1929) et, fait significatif,
cette revue prendra le titre de le surréalisme au service de la révolution
de 19~O à 1933, période de la collusion communo-surréaliste.
l.Breton, André, Position politique du Surréalisme in Manifestes du Surréalisme. Paris, Pauvert, 1966, p. 242.
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- 36
Les surréalistes se dépensent en louanges pour la théorie marxiste et
pour l'U.R.S.S.
"il n'entre ni dans les" desseins, ni dans les capacités propres au surr~alisme,d'ajouter quoi que ce soit à l'oeuvre de Marx -Engels qui,par ailleurs,se perfectionne et se réalise.'" 1
Or, cette collusion est en contradiction avec la vie du groupe de même
qu'avec les conditions de son épanouissement. D'ailleurs, le dadaïsme,
qui est à l'origine du surréalisme, n'a-t-il pas vu le jour en Suisse
(justement un des pays les plus bourgeois 1). Et le fait que l'art
surréaliste se soit embourgeoisé terriblement, tournant dans une facture
très conventionnelle alors même que la politique devenait de plus en plus
gauchiste, indique bien qu'il était sujet à des pressions capitalistes •
En effet, le commerce s'est bel et bien emparé, de la peinture surréaliste.
D'ailleurs, Breton s'ingéniait à grouper autour de lui des personnalités
marquantes: Leiris (mari de Louise Leiris) mandataire de la Galerie de
tableaux Louise Leiris, d'où subsides pour les peintres. Nous verrons
aussi Breton faire de Picasso (qui était déjà à la tête de la peinture
contemporaine) un surréaliste pour les besoins de la cause; celui-ci
commencera par illustrer la couverture de la revue Minotaure ••• Le
chef saura grouper autour de la jeune école des peintres connus tels que
Derain, Matisse.. A ce moment, il s'arrange pour reprendre dans ses rangs
Chirico (avec qui il était en froid). Est-ce par hasard si Chirico est
alors un peintre ontriste très coté en France?
1. Nadeau, Maurice, Op.cit.,pp. 299-300
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•
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- 37
Quant aux' tableaux d'Yv.es Tanguy; étant jugés faibles, Breton , 1 • •
ne se risque pas à ruiner l' eXposit'ion.. Il rep~endraTanguy quand sa
science sera jugée suffisante. .;' \
N'es·t-'1e p'aa 'là, souci de metteur en ,
scène, d'impresario?
"Enfin,si l'on jette un regàrd sur quantité de noms' . venus entretenir l'école en:"perte de vitesse.' on constate que le surréalisme s'est embourgeoisé au point de s'appuyer sur des gens pour qui "la révolution" n'est qu'un mythe, voire un lieu-commun, permettant d'échapper à une condition dont ils ont honte." l
En effet, c'est bien leur état de bourgeois qui a permis aux surréalistes
orthodoxes et bretonnants de jouer) force tracts et manifestes, aux anti-
bourgeois, les vrais surréalistes restant toujours à l'ombre. Ceci prouve
bien que la'lutte de Breton n'était point pour déplaire au capitalisme •
D'ailleurs, le parti communiste n'a pas été dupe,longtemps
dupeJd'un tel paradoxe et l'on peut dire que la collusion communo-
surréalist~ .. est presque morte-née. Breton qui est alors exclu du parti
communiste prend au nom des surréalistes position contre le Marxisme.
Lui qui,hier encore, disait au discours des écrivains
..••• "les travailleurs françëiis partiraient plus allègrement parce que précédés non plus seulement du drapeau tricolore, mais du drapeau tricolore et du drapeau rouge." 2
fait allusion maintenant au "vent de crétinisation systématique qui
souffle de l'U.R.S.S. ·et à "Moscou la Gâteuse" ••• Il ajoute:
"ce régime, ce chef, nous ne pouvons que leur signifier formellement notre défiance ••• " 3
1. Jones. Henri, Op. cit •• p. 32
2. Breton t André. Manifestes du Surréal i ame, Paris,' Pauv,ert. 1962, p. 282
3. ~., p.301
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Et plus loin: "Dans ce besoin frénétique d'orthodoxie, il nous est impossible,tant pour un homme que pour un parti,de voit autre chose que la marque d'une conscience débile: de soi-même. "1 .
" •. !
Et Breton se rapprochede Trotsky n'alQJ::'~LÇJ.gi~ateur - peu dangereux - au
Mexique" 2. Il est mention dans la Clé des Champs (p. 42) de sa visite
à Léon Trotsky:
••• "s'il avait existé, nous confie F. Alquié, un parti à la fois révolutionnaire et non totalitaire, je veux dire ne prétendant pas régenter toutes les formes de l'activité spirituelle, le surréalisme y aurait assurément trouvé place: ce parti, en tout cas, les surréalistes l'ont toujours avidement cherché; Les rencontres de Breton et de Trotsky, aussi bien que la nostalgie qu'exprime l'Ode à Charles Fourier en témoignent." 3
Néanmoins, les surréalistes avaient nié leur attachement au Trotskysme
dans Appendice aux intellectuels révolutionnaires:
• •• "nous croyons devoir affirmer ici, conune nous sommes en mesure de le faire, qu'aucun d'entre eux n'a la moindre attache avec le trotskysme et qu'en particulier c'est d'une façon absolument abusive que l'on a tenté d'interpréter cer.taines phrases d'André Breton,pour faire croire qu'il avait pris le parti de Trotsky contre ia 3e internationale. Il n'en a jamais été question." 4
Or, dans le tract reproduisant la dé'claration lue par André Breton à
un meeting 'de. protestation contre les premiers procès de Moscou,
3 septembre 1936, nous pouvons lire:
"Nous saluons à nouveau la personnalité,de très loin au-dessus de tout soupçon,de Léon Trotsky." 5
, '. ~
1. Breton, André in' Nadeau,Maurice, Op.cit. p. 426
2. Jones, Henx:.i" 'Op. cit., p. 31 3. Alquié, Ferd.inand, Op.cit., p. 82
4. Aragon,' Sàd;oûl, , in Nadeau, Maurice, Op~cit., p. 362 ,.,:,,1,',:.,
5. Nadeau~! M~uriCe,' Op. ci t., p. 461 . ,'1 .
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. . :;,,:,·;<·;~L:;;::;Sb:;,: ..... .
•
39 ~
Et Breton, dans son Deuxième Manifeste, parlera de Trotsky en ces termes
élogieux:
... "il n'est fort heureusement pas dit que des dompteurs de la force de Trotsky et même de Souvarine ne finiront pas par mettre à la raison l'éminent reptile (Naville)." 1
Par la suite, Breton opte pour l'anarchie. Le parti communiste avait
d'ailleurs déjà accusé les surréalistes "d'osciller entre l'anarchie
et le marxisme." Enfin, Breton s'affilia à l'idéologie fouriériste
et écrivit à cet honneur l'Ode à Charles Fourier dont je relève ces
quelques lignes:
"Fourier es-tu là Comme au temps où tu t'entêtais dans tes plis de bronze à
faire dévier le train des baraques foraines Depuis qu'elles ont disparu c'est toi qui es incandescent."2
Bref, en politique comme en art, Breton a passé par différentes idéologies
comme par différentes esthétiques, et à chaque fois on a l'impression" qu'il
est conditionné par la recherche du succès.
1. Breton, André, Manifestes du surréalisme (extraits du volume collectif) Paria, Gallimard, 1966, pp. uï5-':-I Ou.
2. Breton, André, Poèmes, Paris, Gallimard, 1948, p. 240
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CHAPITRE II
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LA CO~TRADICTION D~~S LES ECRITS LITTERAIRES DE BRETON
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"Le 'langage est bien usé et pourtant il emplit à lui seul la vie de la plupart des hommes."
T. Tzara
(Sept Manifestes Dada)
Arcane 17. Partant de cette oeuvre, on mesure la contradiction qui ne cesse de s'affirmer deruis les Champs magnétiques et Poisson soluble en 'passant par Nadj a •••
ARCANE 17
On n'a qu'à parcourir les oeuv~es littéraires de Breton pour
déceler nombre de contradictions, les unes différentes,les autres se
répétant par intermittence (à la manière d'un fil dont on peut suivre
le cours à travers le tissage d'une toile).
Notamment, dans Arcane 17, la belle prose, les phrases bien
faites trahissent un certain souci de la forme,abso1ument incompatible
avec le "profond mépris de ce qui pourrait s'ensuivre littérairement".
Or, c'est justement dans ce recueil que le théoricien a choisi de faire
le procès de l'écriture conventionnelle:
"Il Y a même ,souillant le tout, de vas t'es éclaboussures d'encre comme pour attester qu'une certaine sorte d'écritureJapparemment très pratiquée.n'est rien moins qu'un venin mortel, qu'un virus qui attise tout le mal." 1
Une petite parenthèse s'imposerait ici pour relever ce solécisme de
1. Breton, André, Arcane 17, Paris, J.J. Pauvert, 1965, p. 12
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. :." ',' "j"'" ,'" : ",' :' , Breton qui écrit "rien moins que" ce qui signifie "pas'dutout" alors
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qu'il devrait mettre "rien de moins" ,dans le sens 'de Irr1e~ d',aut~e". 1 • ,", 'J!. '.1
D'autre part, ce chef qui a toujours affiché sonallerg~e quant aux . • • . '_:,: r
arts et aux lettres, nous entretient longuement'à~propos,de 'peintres, , .' ,
."
d'écrivains, de poètes (en l'occurence Watteaû.,Bo~ch., .men~ionne , ",1
les Le ttres d 'Héloise, le théâtre de Shakespeare et de:,;Ford·,. .les "
Le ttres de la religieuse portugaise, l' oeuvre deNovaii~'~ie',l\i~re de ':'" .', 1
Thomas Hardy, La Fontaine, J.-J. Rousseau, Paracelse~ Sade', ,Lautréamont •••
et je vous fais grâce du reste) pour palabrer ensuite sur l'~ducation
actuelle. Non content de se faire critique d'art etlde' lettres, lui qui
dans la lettre aux recteurs des universités européennes écrivait: "De
quel droit prétendez-vous canaliser l'intelligence, décerner des brevets
d'Esprit?" 2 trouve son mot à dire en pédagogie alors qu'il nous
conseillait ailleurs de "semer nos enfants au coin des bois".
Et que dire des louanges dont il encense le douanier Rousseau
et le facteur Cheval dont les oeuvres se " produisent au large de la
ligne culturelle assignable à une époque" 3? Ne sont-elles pas justement
aux antipodes de cette orthodoxie que le pape a imposée au surréalisme
et qui l'a figé? Et ce n'est pas tout. Ne voilà-t-il pas qu'en cours
de route Breton fait le récit d'un conte d'allure surréaliste mais qui
détonne. passablement au milieu d'une dialectique rigide.
1. Breton, André, Arcane 17, Paris, J.J. Pauvert, p. 26
2. Nadeau, Maurice, Qp.cit~, p. 209
3. Breton, André, Arcane 17, Paris, J.J. Pauvert, p. 47
•
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~ 42
Quant à sa théorie de la femme-enfant:
"Je choisis la femme-en'fant 'non pour l'opposer à l'autre femme, mais parce'"qu ~ en elle 'et seulement en elle me semble résider. à l'état de transparence
1 absolue l'autre prisme de vision dont on refuse obstinément de tenir compte,parce qu'il obéit à des lois bien différentesdçnt le despotisme masculin doit empêcher à 'tout prix la divulgation." 1
Pareille déclaration ~ui se veut sybilline échappe à notre compréhension
et Henri Pastoureau, un surréaliste contemporain de Breton,a lui-même
donné à ce propos sa langue au chat (cf. le Surréalisme ignoré d'Henri
Jones, p. 101).
c'est enfin dans Arcane 17 que Breton nous dévoile son
attachement pour sa fille Aube.
"Cette enfant, toute l'injustice, toute la rigueur du monde l'avaient séparée de moi, m'avaient privé de ses beaux réveils qui étaient ma joie, .
~'avaient fait perdre avec elle le contact merveilleux de chaque jour, se préparaient à l'éloigner de moi encore davantage." 2
••• "C'est dire, d'ajouter M. Beaujour, l'amour de Breton pour sa fille Aube, femme, enfant et fée"(voilà peutêtre un mot sur l'énigme)ldont il a été brutalement privé'.' .. 3
Tout cela est chose fort légitime, j'en conviens, mais connaissant le
"lâchez tout ••• semez vos enfants", on ne voit plus en Breton qu'un
"vulgaire farceur" pour emprunter l'expression d 'Henri Jones. D'autre
part, le mage entreprend une longue polémique sur la liberté (comme si
elle s'expliquait à coup de phrases et force mots). D'ailleurs, il s'en
1. Breton, André, Arcane 17, Paris. J.J.Pauvert, 1965, p. 69
2. Ibid., p. i6 . 3. Ibid., p. t7~
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43 -
rend compte, un peu tard: 'Et trêve de toute discussion byzantine sur sa
nature." 1, nous dit-il.
(~Osiris est un dieu noir.»Mots obscurs et plus brillants que le jaisJ Ce sont eux qui,au terme de l'interrogation humaine,tme semblent les plus riches, les plus chargés de sens." 2
Tel est le dieu des surréalistes que nous propose Breton. Anti-cléricalisme?
Irréligion? Goût du sacrilège? L'ésotérisme de Breton finit 'en une sorte
de collusion de libations charnelles avec une spiritualité absolue:
"Cet état de grâce, je dis aujourd'hui en toute assurance qu'il résulte de la conciliation en un seul être de tout ce qui peut être attendu du dehors et du dedans, qu'il existe de l'instant unique où l'acte de l'amour, l'exaltation à son comble des plaisirs des sens ne se distingue plus de la réalisation fulgurap.t,e de toutes les aspirations de l'esprit." 3
}fais là encore il n'innove pas. C'est bien le fond de la condition
humaine pressenti par Baudelaire et Mallarmé. Baudelaire dira:"Ce que
la femme perd en plaisir, elle le gagne en adoration."
Bref, cet occultisme cadre mal aveè le mysticisme de Breton
pour Aube, la femme-enfant~ D'ailleurs, on découvre dans Arcane 17 tout
un vocabulaire de lumière: scintillement, cristal, phares, miroirs,
étoile vivante, diamant ••• qui contraste avec la formule du "dieu noir".
, 1
Revenant au principe dada, Breton ajoute:"la rebellion porte
sa justification'en el1e-même".4 Or, le surréalisme ne prétendait-il
pas',greffer un but positif sur le nihilisme dada? N'est-ce pas Breton
1. Breton, André, Arcane 17, Paris, J.J. Pauvèrt, 1965, p. 114
2. Ibid., p. 106
3. Ibid.' ~ . p. 'll.i 4. Ibid.': ~'l08" -',P,. ",
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qui parlait de "sauver du naufrage une partie du vaisseau" .7
D'autre part, en matière de politique, Breton IIdepuis 1925, " -grand admirateur et soutien,en maintes 9ccasions.de la personnalité et •
de l'action de Trotsky, se ,montre moins trotskyste" 1 dans cet ouvrage
et rend plutôt hommage à l'anarchisme.
"Pardon de te marchander mon offrande, divinité insatiable
de la guerre"?-•• Cet anti-militarisme cadre mal avec "les marteaux
matériels" dont Breton parlait dans le Surréalisme au service de la
révolution. Ce mage reprend encore son idée de la "faculté unique et
originelle" quoique dans les Manifestes, il ait reconnu l'utopie d'un
tel rêve", et nous affirme par ailleurs que "la grande ennemie de l'homme
est l'opacité, cet.te opacité est en dehors de lui, et elle est surtout en
lui". A ce propos, je cède la parole à M. Beaujour: " ••• il est trop
évident ici que l'homme n'a plus aucune raison de se targuer d'être le
grand élu de la création". Néanmoins, Breton nous propose "les
bases d'une cosmologie renouvelée ( ••• ) au sein de laquelle la nature
humanisée et l'homme naturalisé dialogueraient sans obstacle dans une
exaltante transparence." 3
Or, avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut concilier
cette symbiose avec l'hy~èse des grands transparents barrant à l'homme
la route vers le point suprême.
Bref, dans Arcane 17, Breton a mêlé comme dans un bric-à-brac
antique des notions de poésie, de littérature, de politique, ç~ et là
1. Pas toureau, Henri, in Jones, Henri, .2P.. ci t., p. 101
2. Bre~?,~" André, Arcane 1'7, Pa.ris, .t';J.uv8rt, 1965, p. 131 1
3. Ibid., p •. 183
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45 -
une phrase se voulant automatique ou énigmatique au gré de sa fantaisie,
un paragraphe qui relève du symbolisme,.' des formules ésotériques,
l'occultisme voisinant avec le mysticis~e, la révolte gratuite avec la
critique d'art et de lettres; somme toute c'est le lieu géométrique de
nombreuses connaissances de celui qui s'est déclaré "contre l'érudition"
et même contre la culture~
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LES CHAMPS MAGNETIQUES
Ce recueil nous est présenté par l'un de ses deux auteurs,
André Breton, comme "premier ouvrage, purement surréaliste".,
"Les mots, les images ne s'offrent que comme tremplins à l'esprit de celui qui écoute. C'est de cette manière que doivent se présenter dans les Champs magnétiques, premier ouvrage surréaliste, les pages réunies sous le titre; Barrières. 1
Néanmoins M. Sanouil1et nous affirme que les Champs magnétiques
"étaient demeurés sans 1endemain,sans doute parce que la consci~nce des auteurs,une fois éveillée, \ . ,
exerçait sur le~ comportement psychique, un droit ùe regarù plus r~goureux~ ,
"Jamais plus, par la suite, où nous le CIe murmure de l'inconscient) ftmessourdre avec le souci de le capter à des fins précises, il ne nous entraîna bien loin. Il 2
Ce recueil est-il réellement une oeuvre automatique ? La plupart des
critiques ont pris pour acquis l'affirmation de Breton, et si l'on
s'en tient à l'opinion de Carrouges"les Champs magnétiques seraient
une sorte de dictée intérieure". Mais il semble qu'à ce propos
M. Sanouillet ait découvert le pot aux roses •
. . '.'un document existe qui C ••• ) donne en quelque sorte le secret d'une technique et la clef d'un automatisme qui n'est pas si gratuit qu'il y parait de prime abord. Il s'agit de l'exemplaire no 1 (~ur Chine) des Champs magnétiques, le seul à contenir de nombreuses additions restées inédites~ et dont le libraire Georges Blaizot donne la description suivante:
1. Breton,!André, Manifestes du sur~éalisme (extraits du volume col1e~ti.f) , :Paria, Gallimard, 1966, p. 49
2. BFet~~, Andr~",!!! $anouil1et,Miche1, Op.cit., p. 355
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"Ces additions inédites sont des plus précieuses: sur deux pages et demie, d'une fine écriture aux lignes serrées, Breton explique la genèse de ce livre,basé sur les théories poétiques du surréalisme; il donne la clef du livre, il précise sa part de collaboration, il établit la table des vitesses nécessaires à son intelligence technique, vitesses variant naturellement pour chaque partie de l'ouvrage. Puis, à maintes pages dans les marges se lisent de passionnantes notes autographes, commentaires,. appréciations, exegèses de certains passages. Enfin Breton a souligné au crayon vert tout ce qui est écrit par lui et en marge au crayon rouge les parties sur lesquelles il a toujours été tenté d'attirer l'attention~ 11 a entouré d'un trait gris les propositions qui à l'heure où les deux écrivains composaient leur oeuvre ont eu le meilleur de leur agrément. "
"Ces conmentaires marginaux sont à notre sens d'une importance capitale car il montrent d'une part que la plupart des notations sibyllines des Champs magnétia~, ne sont en général qu'une relation limpide de souvenirs récents ou anciens; d'autre part que les auteurs,et surtout Breton,ont, selon le procédé cher à Mallarmé, délibérément "occulté" ces références en juxtaposant et entremêlant arbitrairement ces souvenirs; enfin que c'est de ceLte occultation même que l'ouv~age tire son extraordinaire intensité poétique C ... ). En d'autres termes, l'examen de ce manuscrit confirme notre confuse impression première: au départ le texte des Champs magnétiques n'est pas à proprement parler un pur produit de«l'écriture automatique» puisqu'on y peut encore déceler des éléments d'une structure logique. A notre sens, s'il y eut pour Breton "un signal""en 1919, ce 'fut à la lecture des poèmes de Picabia et surtout de Tzara, spécimens exemplaires de: ~dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison,en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale' qu'il Je perçut." 1
Pareil document nous dit plus qu'il n'en faut quant au pLétendu automatisme
des Champs magnétiques et par conséquent nous dispense de tout conunentaire.
1. Sanouillet, Michel, Op.cit., p. 129
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- 48
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POISSON 'SOLUBLE
André Breton publie en même temp~ que son Manifeste un second
texte en prose et qui se veut surréaliste: Poisson soluble, dont le titre,
selon H. Jones se trouve ainsi expliqué: "Je suis né sous le signe du
poisson et l'honune est soluble en son esprit." 1
Tout comme Arcane 17, ce recueil présente une certaine érudition
et tout un bagage de connaissances et de culture, je dirai même que certaines
précisions demandent qu'on fasse appel à la mémoire. Un tel effort, me
semble-t-il, entraverait la coulée de l'automatisme. Enfin, la prose ne
présente pas un degrê de cohérence ou d'incohérence égale, et à certains
moments, on peut déceler des éléments d'une structure logique. Bref,
d'autres passages dénoncent une plus proche parenté avec le symbolisme:
"viendra dire à toutes celles qui me resteront fidèles sans m'avoir connu C .•. ) Peignez pour lui vos cheveux, peignez-les sans cesse, il ne demande pas autre chose. Il n'est plus là mais il va revenir, ii est peut-être déjà revenu, ne laissez pas une autre puiser à la fontaine: gil revenait, ce serait sans doute par là ••• " 2
N'est-ce pas là.un reflet de la parabole des vierges ·folles et des vierges
sages? Ailleurs, Breton' s'amuse à jongler avec.les mots:
"On distinguait mal une sorte de lorette sautant à la corde à l'orée d'un bois de
,laurier gris." 3
1. Jones, Henri, Op.cit., p.28
2. Breton,André, Poisson soluhle ln Manifestes du Surréalisme, Paris Pauvert, ,.1962, 'p~ 110
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- 49 -
Dans quelle mesure l'allitération est-elle automatique? Breton
mentionne encore: "la femme aux seins d'hermine", or cette expression se
retrouve dans l'Union libre, le poème' "ma', fenune à la chevelure~' Ne serait-
elle pas devenue une image cliché pour Breton, ce qui serait différent de
"la dictée intérieure de la pensée" ?
Certains passages relèvent de l'écriture traditionnelle reniant
ainsi le prétendu automatisme de Poisson soluble:
"Dans les -uSines, je m'efforçai d'encourager par tous ies moyens la division du travail, en sorte qu'aujourd'huiJPour fabriquer une lime à ongles, par exemple, il est besoin de plusieurs équipes.!~ 1
Sans le vouloir peut-être, Breton soulève· un autre pro?lème inhérent à
l'automatisme, celui de l'orthographe:
"Et finit par crier ''Prométhée ll ou'IPromettez" 2
Le seul fait que sous la dictee automatique de la pensée on ait à faire
appel à ses notions de grammaire pour écrire correctement attente déjà
à la pureté du dit automatisme. L'extériorisation de la pensée devant
subir les lois de l'orthographe, cette pensée se trouve par le fait même
mutilée.
Bref, quoiqu'il soit difficile de juger du degré d'automatisme,
ce phénomène étant avant tout subjectif, il nous est toujours loisible de
déceler les divers éléments qui lui sont hostiles.
1. Breton, André, Poisson soluble in Hanifestes du Surréalisme, Paris, Pauvert, 1962, p. 128
2. ·Ibid., p. 123
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- 50
NADJA
~ 1 La contradiction déjà amorcee dans les oeuvres précitées se
poursuit. à coup sûr dans Nadja. La rencpntre même de cette voyante
"toujours inspirée et inspirante" et dont Breton dira: "Ne touche-t-on
pas là au terme extrême de l'aspiration surréaliste à sa plus forte
idée limite." fait ressortir par le mérite du contraste toute la logique
dont ne peut se départir le théoricien du mouvement.
S'il fallait s'en tenir au mot de Breton "dis-moi qui tu hantes",
il faudrait alors mentionner les galeries d'art, les marchands de tableaux
et les antiquaires aussi. Non,Nadja n'est·,à mon avis, pas le reflet de
Breton. Elle incarne la surréalité, elle a le don tout au long de ses
promenades de faire surgir la surréalité de la chose en apparence la plus
banale: "regarde cette fenêtre, elle va s'éclairer dans une minute, elle
sera rouge! ••• " Et en effet la lumière rouge ·apparaIt. Quant à Breton, il
suit la voyante comme un .fin limier, un détective sagace. Et en fin de
compte c'est Nadja qui s'enfonce seule. dans l'ombre, en route vers le terme
extrême, Breton lui, à aucun moment ne lâche la proie pour l'ombre. Ne
nous a-t-il pas prévenus ?
"Sans doute y a-t-il trop de nord en moi pour que je sois jamais l'homme de la pleine
··.adhésion." 1
Bref, relevons certaines contradictions qui sillonnent l'oeuvre: à la
question qui es-tu? posée avec anxiété par Breton à Nadja, le mage reprend
1. Breton, André, Manifestes clll ~;lll::i',llisme (extraits du volume collectif) Paris, Gallimard, 1966, p. 101
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-:. 51 -
sur un ton de suffisance:"tu n'es pas une énigme pour moi" 1 Aurait-il
eu le temps en l'espace de quelques· pages de la découvrir 1 D'autre
-part, Breton qui reproche à G.Bataille s?n pessimisme et son parti pris
du morbide, nous fait lui-même une description sadique qui rappelant la
poupée de Hans Bellmer, reni.e l'amour fou.
"Celle-ci,à la recherche d'un cordial, se dirige vers l'armoire à pansements, l'ouvre ••• et le corps ensanglanté de l'enfant apparaît la tête en bas et s'écroule sur le plancher. 1I 2
Nul n'ignore la haine de Breton pour le travail. Cependant ce théoricien
acceptant pour lui-même le compromis
"Je suis donc contraint d'accepter l'idée du travail comme mécessité matérielle,à cet égard, je suis on ne peut plus favorable à sa meilleure à sa plus juste répartition."
ne peut l'ad~ettre pour les autres,
"Ces gens ne sauraient être intéressants dans la mesure où ils supportent le travail.!! 3
Par ailleurs Breton est bien conscient de l'imposture puisqu'il nous confie:
"la vie est autre que ce qU'on écrit". NéanmOins, c'est vers lui qu'on se
tourne lorsqu'on veut recommander une personne IIqui voudrait se lancer dans
la littérature", j'ai retenu l'expression, ajoute A. Breton, "quelques jours
plus tard, Benjamin Péret était là." 4 Breton ne fait-il pas ici figure
d'impresario, et ce, en matière littéraire. D'ailleurs quand on lit pareille
phrase:
1. Breton,
"J'envie (c'est une façon de parler) tout ho~e qui a le temps de préparer quelque chose comme un livre qui~ ét~lt venu à bout, .trouve le moyen de s'intéresser au sort de cette chose ou au sort qu'après tout cette chose lui fait." 5
André; Nadja, Paris, Gallimard, 1964, p. 183 2. Ibid. "
3. ,Ibid. ,
p. 52
p. 77 .4. Ibid.,.. pJ31 .'
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52 -
ou encore qu~nd le chef fait allusion à ses visites de musée:
" l'impossibilité d'obtenir l'autorisation ùe photographier l'adorable leurre qu'est,au ~lus6e Grévin,cette femme feignant de se dérober dans l'ombre ••• " 1
On comprend mal que ce chef de l'école surréaliste se prononce contre
l'art et la littérature. Plus loin le maître embouchant sa trompette
annonce:
"le gem.e, je me flatte de savoir où il est> presque en quoi il consiste et je le tenais pour capable de se concilier toutes les autres grandes arùeurs." 2
Pareille préSO;11?tion est le moins qu'on puisse dire inconciliable avec
l'humilité affich~e dans les Manifestes, q~Ant à sa théorie des grands
transparents pas plus qu'avec cette affirmation relevée dans Arcane 17
"La grande ennemie de l'homme est l'ouacité Cette opacité est en dehors de lui et elle' est surtout en l ui ~' •• " 3
Enfin pour ponctuer ce recueil d'écriture traditionnelle une phrase
surréaliste: "La beauté.,ni dynamique ni statique. Le coeur
humain/beau comme un sismographe ( ••• ) la beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas." 4
Bref, la logique et je dirai même le calcul dont Breton fait
?reuve dans la rédaction de ses oeuvres (cf. les Champs magnétiques)
illustre bien cette constation de Breton lui-même
"L'esprit s'arroge un peu partout des droits qu'il n'a pas." 5
1. Breton, André, Nadja, Paris, Gallimard, 1964, p. li5
2. Ibid. ,
3. Breton,
4. B~eton,
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p. 183
André,
André,
p • 186
Arcane 17, Paris, Pauvert, 1965, p. 36
Nadja. Paris, Gallimard, 1964, pp.186-l87
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", 53 -
A. SY~LHESE DE LA CONTRADJ;CTION'DANS LES OBUVR.ES EN PROSE
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Après cette éLude des oeuvres de Breton~ une synthèse
s'impose,laquelle groupera la contradiction suivant differents points
de vue: a) littéraire
b) esthétique
c) religieux
d) spirituel
e) politique
, . f) culturel.
• a) Du point de vue strictement littéraire, les surréalistes n'ont
fait que renouveler le concept d'image, le symbolisme et le cubisme ayant
déjà assumé cette rupture radicale avec la conception traditionnelle du
poème et de l'image. D'autre part, l'expressionnisme allemand avait fait
de la recherche de l'harmonie perdue un sentier battu.
Il est vrai que le surréalisme a mis sur la sellette l'enfant,
le primitif, le sauvage, l'aliéné et dirigé ainsi les réflecteurs littéraires
vers des valeurs jusque là négligées)mais pour tout considérer ,le romantisme
s'était déjà intéressé à l'exceptionnel et Freud avait le premier pavoisé
cette route vers le subconscient. En effet la génération spontanée n'existe
pas et le surréalisme n'a pas été le fruit de quelques cerveaux isolés.
La science avait grandement contribué par ses récentes découvertes à
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- 54 -
aiguiser l'intérêt vers tous ces êtres prudemment gardés en quarantaine
par la société dite bien'pensante. Là encore une question se pose:
pourquoi le surréalisme a-t-il pris ~orp's, s'est-il coagulé, voire , "
sclérosé alors que le langage zaoum,le mouvement "stupide" de Hurle
ont lamentablement avorté ? "Soit que. ~. soit que... 1 r aventure (zaoum)
fut sans lendemain".l Bien que répondant aux besoins d'une société le
surréalisme doit en partie son succès au génie nietzchéen de Breton,
surhomme dans le savoir faire et tendu vers la réussite.
b) Pour ce qui est de l'esthétique,nous avons déjà vu Breton
se plier aux exigences de la forme en dépit de son prétendu mépris
"pour ce qui pourrait s'ensuivre littérairement"
"Avant toute chose, Breton admire l'la tenue' 'la qualité' la 'noblesse d'expression' ". 2
n'autre part, il passe sans vergogne d'une esthétique à l'autre ce qui
lui permettra de s'affilier simultanément aux, différents groupes
Philosophie - Clarté et enfin le Grand Jeu (voir plus loin).
Nous savons aussi que Breton a accepté dans ses rangs des
peintres de différentes écoles et qui au point de vue esthétique n'avaient
rien à voir avec le surréalisme. Sanouillet note cette contradiction tout
au début du surréalisme :
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"Or l'exposition elle-même comprenait quarante sept oeuvres du peintre et presque toutes"mécaniques" (pneumatique~ pompe à combustible, bobinage, magnéto, etc ••• ) c'est-à-dire appartenant à la période et à
1. Tzara~'Tristan in Sanouillet }1ichel, Op.cit.,pp. 302_~O~_
2. Alqui&,':Ferdinand, Op.cit., p. 40
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55 -
l'esthétique dadaïstes. Dans le même temps qU'il proclamait la scission d'avec le ~ouvement Dada, Breto~ se voyait donc amené à louer des oeuvres qu'op bonne logique il eût dû renier." l .
Il a su réunir sous le même toit les jeuIl~s peintres surréalistes avec
de glorieux aînés~Picasso, Matisse, Derain, etc ••• Bref, le surréalisme
s'est laissé influencer par les grands maîtres de la peinture contemporaine.
c) Au point de vue religieux, Breton ayant proposé pour divinité
surréaliste Osiris le dieu noir, il en découle un certain mysticisme qu'on
peut r~duire à la magie noire. Le mage s'est laissé tenter par R. Lulle,
s'est rapproché de l'ésotérisme médiévar' (il est question dans Nadja de
la pro.Lll1ation de l' hostie), mi.!ntionne le livre sacré des cabalistes
"le Zohar~ nous entretient dans Arcane 17 des lames de Tarot.
"Cette 'Bible des Bohémiens' contiendrait tout l'occultisme et serait la projection de l'inconscient collectif, autrement dit, l'illustration de symboles accumulés à travers les âges et même inconsciemment par différents peuples." 2
Bref, sur les traces des voyants qui avant eux ont tenté de voir "ce
que l'homme a cru voir" les surréalistes essayent par une certaine réver-
sibilité du monde, une vie "à rebours" suivant le_titre de Huysmans
d'explorer les zones noires de la conscience qui mènent à l'occulte.
Je rappelle à ce propos cette phrase de Teilhard de Chardin
"A l'échelle du cosmique)toute la physique moderne nous l'apprend, seul le fantastique a des chances d' être vrai." 3
1. Sanouillet Michel, Op.cit., p. 372
2. Iondriau Julien, l'Occultisme, Verviers, Editions Gérard & Co., 1964, sur couverture.
3.' Ibid. '.
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"La fascination qu'exerce l' occultet .. ~) eEt directement li.~e àl' instinct et' à:'un certain sens du sacréf';n elle s,e' cristal~ise!ll' incoercible ambition de transcender'le r:aisonIi~ble\' de 'forcer les portes de l'inconn.u'. " •. l " ," . • .. '
Il n'est donc pas surprenant de voirIes surr~alistes s'y intéresser
en tant que sentier menant à la pierre phÙosophale. Mais ce qui est
incompatible 'avec cet occultisme c'est un certain mysticisme qui se
retrouve dans l'apologie de l'angélique femme-enfant.
d) En ce qui concerne le spirituel,Breton tente de raccomoder
l'Amour fou avec un ésotérisme noir cher au XVIIIe siècle et un sadisme
qui d'ailleurs reste toujours verbal •
e) Quant à la politique, nous avons déjà vu Breton adopter tour
à tour différentes idéologies qui s'avéraient contradictoires, soulignant
à la fois la dialectique marxiste et la psychanalyse pour se rapprocher
du trotskysme et passer enfin à l'anarchie et à l'idéologie fouriériste.
f) Bref au point de vue culturel, le chef du surréalisme nous
étale tout un bagage de connaissances trahissant une érudition peu
surréaliste. Néanmoins, quoique érigé en "mouvement" anti-art et anti-
littérature, le surréar'isme compte parmi les littératures de rapprochement
puisqu'il tente de traduire le plus possible notre propre cri.
1. Tondriau Julien, l'Occultisme, Verviers, Editions Gérard & Co., 1964, sur couverture.
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•
57
B. RAPPEL SPORADIQUE DE LA CONTRADICTION DANS LES POEMES
Rien qu'à parcourir son recueil Poèmes édité chez Gallimard
en 1948, on se rend compte, oh! paradoxe! que Breton est resté fidèle
à son thème favori: le droit à la contradiction •••
Nentionnons en passant)le poème Forêt noire 1 qu'il présente,
en partie du moins, comme automatique et à la rédaction duquel, il
avoue, ailleurs, avoir consacré de nombreuses semaines. Il faut croire
que la dictée de l'automatisme se faisait prier pour ne pas dire qu'on
lui forçait péniblement la main! .
Dans la critique des Champs magnétiques j'ai déjà noté la
précieuse confidence de M. Sanouillet quant au prétendu automatisme du
recueil. 2 Dans le poème intitulé André Derain Breton essaye d'imiter
Cendras, copie l'esthétique de Derain. Or, ce cubisme rigoureux où tout
est pesé~s'oppose à l'automatisme surréaliste et est sans doute en
contradiction avec le dadaisme de l'époque puisqùe Mont de Piété se
situe à cette période.
3 Le poème Pour Lafcadio est d'une emphase et d'un ampoulement
qui reflètent davantage le tempérament de Breton plutôt que la dictée
d'un quelconque automatisme.
Quant à celui dédié à Paul Valéry Monsieur V 4 on peut le
classer dans les contradictions propres aux excommunications car celui-là
1. Breton André~Poèmes, Paris, Gallimard, 1948, p.16
2. ~., p. 14
3. ~., p. , 18
4. .~., p • 20, , . :,'
•
•
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J ;).î.;·r ..
.:.. 58
;:h,~;;,(! qui, ici, est louangé, sc fait ailleurs malmener sans ménagement;
nul :1' ii;ï.0::-2 les critiques acerbes dè Breton à l'adresse de Paul Valéry,
et ce, avoir amplement profité des appuis de l'écrivain. , 1
Connaissant par ailleurs les contradictions dans les alliances .
politiques de Breton, nous ne sommes pas étonnés de voir figurer dans
son recueil une Ode à Charles Fourier; elle ponctue les longues,
tergiversations de Breton passant du marxisme orthodoxe au trotskysme
puis à l'anarchie et enfin à l'idéologie fouriériste.
Dans son apologie de Sade, non content d'user de la prose,
Breton rait ap?el à ses tal~nts de poète,mais ses vers sont d'une
préciosité si rechc::-chée qu'elle frise le ridicule:
";::t cette raison à fleur de sauve-qui-peut qui ne fut Qu'à lui y,:ais du salon phosphorescent à lampes de viscères" l
On relève encore dans les poèmes de Breton et plus particulièrement
dans Ma femme à la chevelure de l'Union Libre, un certain procédé de
répétition voulue qui cadre mal avec l'incohérence de l'automatisme. Et
que dire de ces figures de style auxquelles Breton fait appel au long de
ses vers:
"La belle écolière du Lycée Fénelon qui élevait des chauve-souris dans son pupitre." 2
pour faire allusion à Violette Nozières. On peut aussi déceler dans
l'Air de l'eau un fond 'de vague romantisme qui donnant une note vétuste
1. Breton André, Clair de terre in Jones Henri, Op.cit., p. 59
2. Breton André. Poèmes, Paris, Gallimard, 1948, p. U7
.'
•
... 59
au poè~e contredit le principe d'avant-garde'dont se réclame le surréalisme:
"Tout devient opaque je vois passer le carosse de la nuit Traîné par les axolotls à souliers bleus Entrée scintillante de la voi~ de fait qui mène au tombeau." 1
D'autres images reviennent souvent et, pour 'qui n'a parcouru qu'un passage
des poèmesJelles peuvent faire figure originale, mais· pour peu que l'on
pousse plus loin la lecture des oeuvres de Breton, on les rencontre ça et
là et l'on se rend compte qu'elles sont devenues des clichés dans le
langage de l'écrivain. On a ainsi la nette impression que possédant quelques
cartes, toujours les mêmes, Breton essaye de varier en les battant de
différentes façons.
Je relève à tout hasard l'exp'r~ssion "où s'ouvre une fenêtre
2 .... 0 raIe" qu'on rencontre dans Violette Nozières et qui revient un tantinet
changée dans Clair de terre: "Qui ouvrent une brêche dans la nuit morale" 3;
et ailleurs, les expressions bien connues du poème Ma femme à la chevelure:
"l-fa fem:ne aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis"
reviennent avec une petite variante dans Poisson soluble: "Ma femme q
aux seins d'hermine" • Quant à l'état des ressorts sensuels dans
Ode à Charles Fourier et groupant les points suivants: "le tact ••• ,
la vue ••• , l'ouie ••• , le goût ••• , l'odorat ••• , l'amitié ••• , etc ••• )
on ne peut dire que cette forme est propre à Breton. Ne relèverait-elle
1. Breton André, Poèmes, Paris, Gallimard, 1948, p. 65
2. Ibid., p. 117
3. Breton André, Clair de terre in Jones Henri, Op.cit., p. 59
4. Breton André, Poisson soluble, in ~,jai1ifestes ,du Surréalisme, Paris, Pauvert, 1962, p. 114
•
• . , .
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pas plutôt des "blasons de Maurice Scèves à Pernette du Guillet" ce
Gui rait un retour çonsidérable "j~sques à la Pléiade". Et je pourrais
èn dire long quant aux contradictions fi je ne me limitais à relever
ce qU'il Y a de plus flagrant.
Bref, on voit bien que la contradiction réside surtout dans
la pensée de Breton plutôt que dans sa forme, puisque ni prose ni vers
n'y échappent •••
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',.- 61 -
c. CJ:\Tl~\D ICTIO~ DA.'\S LES THEMES DE L' A.'1.0UR FOU ET DU SADISME
. !
~ul n'ignore l'engouement des surréalistes pour le "divin
marquis" et l'apologie qu'ils ont faitBd"e son oeuvre "une oeuvre pleine
de sève" 1 nous dit Breton. A plusieurs reprises le nom de Sade figure
dans les ~[anifestes,cet évangile du mouvement,et dans d'autres écrits de
Breton.
En se réclamant de Sade, les surréalistes ont voulu rendre
hOIr.mage à cet esprit "le plus libre qui ait encore existé" suivant le
mot de Lautréa~ont. Et il est certain que la réputation de Sade connut
une c~lébrité nouvelle grâce au surréalisme. Or, dans quelles mesures
cette apoth~ose a-t-elle son bien-fondé? Cette liberté d'esprit était-
elle chose nouvelle au XVIIIe siècle? Est-elle le propre de Sade
uniquement? Répondre par l'affirmative serait méconnaitre la longue
filiation du roman érotico-philosophique qui a existé au XVIIIe siècle,
notamment avec le marquis d'Argens, le baron d'Holbach, La Mettrie, autant
de ferments virulents de subversion •.• et cela sans parler de l'interaction
qui s'est exercée entre l'esprit philosophique du siècle et l'érotisme;
cet esprit qui remettant en question l'orthodoxie religieuse et les
institutions politiques a favorisé l'éclosion du déisme et de l'athéisme
en religion, et prôné le républicanisme et le socialisme en politique.
1. Zreton André, Discot~2...~~_('_(~n:;rT:.s_~I5's écrivains in Manifes tes GU surréalisme, ?aris, i:'dUvt'rl, ;'.I,i~:. t). 285 •
•
•
•
'. 62 ..;
Cette double révolution ayant, à coup sûr,. affecté la littérature
érotique, il faudrait considérer l'oeuvre' du Marquis de Sade cOIlU1le un
microcosme de tout son siècle, Sade ayant toutefois le mérite d'avoir
mené à son paroxysme un courant qui existait déjà.
On pourrait peut-être trouver quelque lien entre la révolte
surréaliste et lelrbesoin héroique qu'il· (Sade) eut de créer un ordre
de choses qui ne dépendrt pour ainsi dire pas de tout ce qui avait eu lieu . ·1
avant lu~1r • Mais à bien confronter l'oeuvre de Irl'infâme marquis"
avec "l'amour fou" de Breton on ne tarde pas à réaliser le profond
divorce qui oppose les deux philosophies. Quel est donc ce fossé qui
sépare l'érotisme d'affection à l'eau de. rose, cher aux surréalistes~de
l'érotisme noir et maudit du marquis de Sade, qui ne trouve son plaisir
que dans la transgression des grands tabous et débouche le plus souvent
sur la mort, car Sade associe toujours à son érotisme quelque crime ... ·
Alors que pour Breton "l'amour réciproque" tel qu'il l'envisage
pour Sade
"est un dispositif de miroirs qui me renvoient sous les mille angles que peut prendre pour moi l'inconnu,l'image fidèle de celle que j'aime, toujours plus surprenante de divination de son propre désir et plus dorée de vie." 2
"la possession d'une femme n'est jamais flatteuse qu'en raison de la multitude de freins que j'ai brisés pour l'obtenir. C'est sur les débris d'une foule de préjugés vaincus qu'on peut y trouver quelques charmes." 3
1. Breton André, Manifestes du surréalisme (extraits du volume collectif) Paris, Gallimard, 1966, p. 14~----
2. Breton André" L'Amour fou, Paris, G;l1limard, 1937, p. 137
3. Sade, le marquis de, Miss l-ie;1;~i.ettc Stratson in Oeuvres complètes
. . -, . , .
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:·.tit.·:~~;· \' :J.;: ':.- . , ,,' .'
'. 63 -
;,ux yeu}; Ge: 5reton, la femme peut "incarner cette puissance éternelle"l,
par .:!::'::'e "la ;:;ranGe malédiction es~ levée" 2, elle est "l'image d'un
Ci.C!S grar.ès secrets de la nature,,3, elle, est d'une certaine façon
éte:-nelie car sur e:'le, le temps n'a pas de prise."
Pour Sade, par contre, les femmes ne sont que de possibles
"servantes du bor .. neur" pour emprunter l'expression d'Alquié, des
instruments de ?laisir, quoi! Sade le dit dans Justine:
"On a reconnu que les plaisirs de la charité n'étaient que les jouissances de l'orgueil, on a voulu èes sensations plus réelles, on u vu qu'avec une enfant comme vous, il valait ::-.::'.:::ux reti:::-er pot:r fruits la luxure, que ceux tr~s iroi.ds e: tr~s subtils de la soulager ;:;ratuite",2nt. La ré?utation d'un homme ~iè~ra: auwônier généreux ne vaut pas même à l'inst~nt où il jouit le mieux le plus léger ~lai.sir èes sens, C ... ) on n'estime ici-bas mon enfant que ce qui rapporte ou ce qui délecte et de quel profit peut nous être la vertu des femmes 7" 4
~ous SOlllI:les ici aux antipodes de l'Amour fou de Breton où "il est
parfaitement certain que l'amour charnel ne fait qu'un avec l'amour
5 spirituelll • Et Alquié nous pose la question, fort pertinente d'ailleurs:
"Pouvons-nous"après avoir lu Sade et Lautréamont, dire.1avec le Breton de Poisson soluble: "Ah! que les parallèles sont belles so~ la perpendiculaire de Dieu\\ ou encore~ près de Dieu, le cahier de ce château était ouvert sur un dessin d'ombres, de plumes, d'iris "?6
1. Breton André, l'Amour fou, Paris, Gallimard, 1937, p. 168
2. Breton André, Arcane 17, in Alquié !i'erdinand, Op. cit., p. 129
3. Ibid., p. 129
4. Sade, le marquis de, Justine ou les malheurs de la vertu
5. Breton André, Manifestes du surré~i1isme (extraits du volume collectif) Paris, Gallimard, 1966, p. 184
6. Alquié. Ferdinand. Op.cit., p. 79
•
•
'.
- 64
Pour l~s surr<Salistes la volonté de reconquérir l'unité première de
l'ho~~e par la désir et l'.~our fou ne perd toutefois pas de vue l'être
humain dans ~oute son entité.
"Ce mot:amour J ( ••• ) inutile de dire que nous le restituons ici à son sens strict et menaçant d'attachement total à un être humain, fondé sur la reconnaissance impérieuse de, la véritéJde notre l
vérité«dans une âme et dans un corps» qui sont 1'âme et le corps de cet être." 1
Voilà qui est inconciliable avec le point 'de vue de Sade qui prône
la loi du plus rort:
IIC.::::te r~c::'cule convention ne saurait exister entre l'~t~e rort et l'être faible ( .•• ) Or, les rapports ùe l'épouse avec le mari ne sont pas d'une conséquence autre que celle du poulet avec moi, l'un et l'autre son~ des bêtes de ménage dont il raut se servir et qu'il faut employer à l'usage indiqué par la nature sans les différencier en quoi que cela puisse être." 2
Le désir chez Sade, transforme autrui en instrument de plaisir voire
en esclave supplicié du désir, car le désir à l'état brut est violence
et sans contrôle possible;il peut s'émouvoir de la souffrance provoquée par
plaisir, il peut la mener à son paroxysme et finalement entrer en transe
dans une sorte d'extase devant l'agonie d'autrui; c'est ainsi que débridé
le désir débouche sur la mort. Georges Bataille l'a expliqué dans son
livre l'èrotisme et la Mort et Norman O'Brown en parle dans son livre
Eros et Thanatos.
1. Breton André, }fanifestes GU surréalisme (extraits du volume collectif), Paris, Ga: ,i·,Z.~.I,-·i-'~·i;:., i'. H2
2. Sade, le marquis de, Justine ou les malheurs de la vertu
•
"
••
".
- 65 -
}loravia lui, appelle "ennui" ce plaisir sans joie au long
duquel il fait fuir geste après geste 1" aJ?0,ur qu'il cherche et tourne
en rond dans l'infernale lucidité, car ce qui semble propre à cette
forme d'érotisme c'est bien l'absence de coeur, du coeur au sens d'âme.
Mais d'autres points opposent encore l'érotisme de Sade à
l'amour fou de Breton. Réfutant l'argument du respectable Paul Claudel
pour qui "le surréalisme était une entreprise pédérastique", Breton
nous affirme: '
"Ce mot:amour, auquel les mauvais plaisants se sont ingéniés à faire subir toutes les généralisations, toutes les corruptions possibles C ••• ) nous le restituons ici à son sens strict." l
?ar contre, Sade, sur les traces de la Mettrie, fera l'éloge de
l'homosexualité dans la plupart de ses romans érotico-phi1osophiques,
notamment dans Justine et les cent vingt journées de Sodome. Alors que
3reton célèbre la monogamie, Sade nous décrit des scènes érotiques à
plus de deux acteurs.
Or, la transposition de ce problème au XXe siècle est évidente.
La honteuse exploitation de l'homme par l'homme, fait que celui-ci
cherche dans l'érotisme une soupape: la possibilité de dominer à son
tour un être plus faible: en l'occurence la femme.
C'est en réaction contre un tel état de choses que le
surréalisme s'est mérité l'honneur de rajeunir l'amour, de magnifier
1. Bretorl André'!IM~üfestes du surréalisme (extraits du volume colloct1.f) , Paris, Gallimard, 1966, p. 142
" f ,,' , .
- 66-
• la :~~~~, de l'élever du rang de femme-objet à celui de partenaire
aiffi~e et àGs~r~e. Il est vrai que la célébration de la femme n'est
pas une originalité en soi: le romantisme l'avait déjà fait:"un seul
~tre vous manque, et tout est dépeuplé" avait dit Lamartine; Baudelaire
reprendra:"la fe:nme e;st l'être qui projette la plus grande ombre ou la
plus grande lumière dans nos rêves~
Etant donné qu'il n'est pas possible de considérer le
surr~alisffie sans le situer dans son temps" comme dit Aragon, le méri~e
de ce mouvement aura donc été de ranimer d'un souffle de jeunesse une
tr.::..ci:!..tior. de la femme qui dans un siècle trop utilitaire risquéiit de
se scléroser. Bref par ce rejet des tabous, Breton rejoint un certain
libertinage d'es?rit, favorable ?our ne pas dire indispensable à une
• mise en question des valeurs bourgeoises trop rigides et c'est peut-
être dans ce sens qu'il se rapproche de la révolte sadienne.
Toutefois l'Amour fou qui chez Breton tire son sens vital
de l'érotisme, possèderait cet élan qui ne sombre jamais dans la
destruction par opposition à la philosophie de Sade au XVIIIe siècle
et à celle de Bataille au XXe siècle (comme nous le verrons plus lOin).
"1,'
•
•
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'.
CHAPITRE III
CO~TR.ADICTIO:\ j).-\l~S L' ORIEXTA7ION QUE BRETmt
A DOK:-JEE AU MOUVEXENT DU' SURREALIS~Œ
•
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• '.,
.iitiiLi!~;··:;!i ::' .
"L.' exigence intérieure, pour p'eu que 'quelques uns lui soient
, fidèles, accuse sans équivoque " le dénuement des autres"
Kandinsky
A. ~~ DEHORS DE SADE, CO~TRADICTION D&~S L'APOLOGIE DES PRECURSEURS:
RIMBAUD REJETE
MALLA&'1E USURPE
Il n'est besoin pour soulign~r, la contradiction dans l'apologie
des précurseurs que de mentionner les paroles de Breton lui-même dans
l'Avertisserr.ent Dour la rééd:i. tior). du second Manifeste: !
n, i A mes propres yeux les pages qui suivent portent de
fBcheuses trac~s de nervosité. Elles font état de griefs d'importance inégale; il est clair que certaines défections ont été cruellement ressenties et,d'emblée,à elle seule, l'attitude-tout épisodique-prise à l'égard de Baudelaire,de Rimbaud donnera à penser que les plus malmenés pourraient bien être ceux en qui la plus grande foi initiale a été mise.!~ l
Or Breton qui avait claironné: "En matière de révolte, aucun de nous ne doit
avoir besoin.' d' ancêtres" 2 reconnaît plus loin la lourde dette du
surréalisme:
1.' Breton André, Mar.1.fcstes du r.,lIrré:alisme (extraits du volume collect:';",E), Paris, G~ï"":,l-~l .. ~:I-,::_:~···-;-~-"'~~' ptl. 67- 68
2. Ibid.,' p. 80 .-',"
" .i
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- 68 -
"Comme j'ai pu le vérifier à distance, la définition du surréalisme donnée dans~le Premier Manifeste>>ne,faitJen sommeJque
«recouper un des grands mots d'ordre traditionnels1qui est d'avoi~ à«crever le tambour de la raison raisonnante et en contempler le trou .• »
., ,Sur le plan por: tique ,il marquait id' ailleurs J
l'aboutissant d'un processus spéculatif tendant'à faire à la femme une part de plus p.n' plus grandc,qlli semble remonter au milieu du'XVIIIe siècle (là il nomme Pascal, Laclos, Sade, Monk, Lewis), •. Cette idée suit un coursJà vrai dire fort accidenté, à travers le romantisme allemand et français(Novalis Holderlin, Kleist, Nerval, les Saints Simoniens, Vigny, Stendhal, Baudelaire) mais,en dépit des assauts qu'elle subit à la fin du XIXe siècle (Huysmans, Jarry)} nous parvient connue décantée de ce qui pouvait encore l'obscurcir: porteuse de toute sa lur.lière. Pour le surréalisme il nr~~ait~a partir de là~~ue de se reporter en arrière"et d!i11e plus loin que je n'ai di.t-aux lettres cl r H5loise o,u cie la Religieuse portugaise. "1
Zt ailleurs dans ~-1isère cie 1':1 poésie Breton ajoute:
"le drame poétique existe aussi et tout comme le précédent il a eu, ne fût-ce qu'au siècle dcrnier~scs héros qui,dans ce pays~s'appàlent Borel, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Cros, Lautréamont, Jarry. Surréalistes, il n'est pas en notre pouvoir d'effacer ces noms, de nier ou même de laisser intercepter la lumière que nous en avons reçue." 2
Plus tard, le chef fera encore mention de sa dette envers Lautréamont:
"les 'beau comme' de Lautréamont constituent le manifeste même de la
poésie convulsive."3
1. Breton André, Manifestes du surréalisme (extraits du volume collectif), Paris, Gallimard, 1966,pp. ~-;)L-l'è~; --
2. Breton André, in Nadeau Xalldce, !!l~cit., p. 349
3. Breton And'ré, l'Amour [ou, l'acis, Gallimard, 1937, p. 14
•
•
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69 -
Si Ereton reconnaît certains ancêtres, il choisit aussi
des cibles et ce dans des personnalités de 1;'éputati,on 'universelle. - ,
C'est uinsi que Dostoievsky et Raphaël essuient son sarcasme.
Que tout il coup le "pape du mouvement" renie la dette du
surréalisme envers Dada ne suffit pas à changer l'évidence ••
"Il est ( •.• ) inexact et chronologiquement abusif ,II dit-il'lde présenter le Surréalisme comme un mouvement issu de Dada ou d'y voir le redressement de Dada sur le plan constructif~l
Cette affirmation est démentie par six propositions bien étayées de
M. Sanouillet:
l."Nul ne saurait contester sérieusement l'antériorité chronologique de Dad~ sur le surréalisme: le mouve~.:c.nt d~Ja .. fondé en février 1916,avait atteint son plein développement à Zurich en 1917 •
2 •..• la préexistence chez les Dadaïstes des idées et ;,;.onceTJts etui seront ultérieurement exploités par les SurrQslistcs.CoIT~e l'écrit Ribemont Dessaignes~ •• ) "Tour: ce qui dans le Surréalisme appartenait au do; .. aine de la liberté, de la révolte ou de la nonacceptation était contenu dans Dada et déjà auparavant dans la gestation de celui-ci." (Déj à jadis, p. SI)
( •• _)pourquoi dès lors, en (l'inconscient) concevoir une exploitation systématique? Pourquoi aussi s'inquiéter d'en explorer les sources et risquer ainsi de tuer la poule aux oeufs d'or?~.~
3. On ne trouve trace de ces concepts chez les futurs Surréalistes parisiens~préalablement à leurs prenuers contacts avec Dada~qu'à l'état diffus~.r)
4. Les futurs Surréalistes ont été en contact direct avec les nadalstes zurichois longtemps avant le déchaînement du~ouvement à Paris.
1. Breton André, in, Sanouillct l'Üchel, Op.cit., p. 420
•
..
•
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- 70 -
5. Il existe une indéniable fraternité spirituelle entre les oeuvres dadai's~?-s et surréalistes~.~e surréalisme n'a apporté,au moment de sa fondation) aucune contribution radicalement neuve.
1
6. Le domaine de Dada englobe, mais de plus déborde largement celui du Surréalisme." 1
Une étude similaire est faite par Carrouges qui constate lui aussi:
"Breton et ses amis sont les successeurs directs de cette grande lignée de poètes hermétiques et prométhéens qui naquit avec Nerval et Baudelaire et se poursuit avec ::-lallarmé, Rimbaud, Lautréamont, Jarry. Apollinaire, Roussel. Avec Picasso, Duchamp, Picabia et leurs émules~le même souffle surhumain ~nvahit et bouleverse la peinture." 2
Breton "raconte lui-même"à diverses reprises ,comment il s'inspira d'abord de lilallarmé et de Reverdy,comment il traversa les expériences du symbolisme, du cubisme l~ttéraire et du. àadaîsmeJavant de parvenir au stade où il mit au jour la notion et les procédés du surréalisme.,11 3
Et que dire de ce distique d'Apollinaire:
"0 bouches l'homme est à la recherche d'un nouveau langage Auquel le grammairien d'aucune langue n'aura rien à dire"
En dehors de Sade et des nombreux précurseurs précités, la contradiction
est particulièrement flagrante en ce qui concerne Rimbaud et Mallarmé.
Rimbaud est tour à tour célébré et rejeté. Dans Point du jour, Breton
rend justice à l'auteur du Bateau ivre en tant que précurseur.
1. Sanouillet Michel, Op.cit~ ,pp. 420 à 425
2. Carrou~e~ l1J.chel, Op. cit., p. 11
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". 71
"L'écriture 'automatique pratiquée avec quelque ferveur mène tout droit à l'hallucination visuelle j'en ai fait personnellement l'expérience et il suffit de se reporter'à l'Alchimie du verbe, pour constater que Rimbaud l'avait faite bien avant moLli 1
Et ailleurs:
1.
2.
4.
6.
Il ~I - " hl" Transformer le mondeja dit Marx; c anger a vie~a dit Rimbaud: ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un." 2
.• ~' nous voici de nouveau .1ap rès des siècles ( ••• ) à tenter d'affranchir définitivement cette imagination par le "long , immense.J raisonné dérèglement de, tous les sens Il et le res te. Il 3
On relève encore dans Position politique du surréalisme l'apologie du
jeune voyant:
"Art:1ur Ri;nbaud"lui aussi.,est là pour affronter de tout le génie de ses dix-sept ans la Con~une lléliss;::1Lc~ .• )et l'on ne peut s'empêcher d'y voir la rai~on de l'influence unique au monde que.1sur '::'0 ;:·::'an poétiçue ct peut-être sur le plan illoral, cette oeuvre exerce,de l'éclat exceptionnel dont elle c'olltinue à jouir." 4
Breton reconnaît ailleurs)s'être aventuré sur les pas de Rimbaud:
"Je dis qu'il ne s'est agi de mettre en
f .... f ' \1 '1 aut etre voyant, se a~re voyant: ~
pour nous que de découvrir les moyens application ce mot d'ordre de Rimbaud'.' 5
"Pour aider au dérèglement systématique de tous les sens, dérèglement préconisé par Rimbaud et remis constamment à l'ordre du jour par le surréalisme." 6
Breton, André, Point du jour, Paris, Gallimard, 19~, p. 248
Breton, André, Documents Surréalistes, in Nadeau Maurice, Op. cit., p.422
Breton, André, Manifestes du surréalisme, (extraits du volume collectif), Paris, Gallimard, 1966, p. 135
Breton, André, Manifestes du sun:éalisme, Paris, J.J.Pauvert. 1962, pp. 256-25',~
Ibid., p. 328
Ibid., pp. 315-316
•
•
' .
"Alchimie du ve:-be: ces mots qu'on va répétant un pe.u au hasard iiujourd'hui demandent· à être pris au pied de la lettre~ 1
"La vertu de la parolE{,jne paraissait tenir à la faculté de raccourcir de'· façon saisissante l'expos~f~'un petit nombre de faits~poétiques ou autres)dont je me faisais la substance. Je m'étais figuré que. Rimbaud ne procédait pas autrement." 2
Rim~aud disait déjà:
"J'ai horreur de tous les métiers. H:litres et ouvriers, tous paysans ignobles. La main à 111ume vaut la main à charrue.-Quel siècle à mains !-Je n'aurai jamais ma main." 3
Et dans son sillage le surréalisme déclare "et guerre au travail !" 4
~~is cela n'empêche pas Breton de faire volte-face sans aucun remords
Ge. cons~ience:
"Je tiens à prec~ser que selon moi il faut se défier du culte des hommes si grands apparemment soient-ils.Un seul à part:Lautréamont ( ••. ) lnutile de discuter enco:-e sur Rimbaud: Rimbaud s'est trompé, Rimbaud a voulu nous trompe.r. Il est coupable devant nous d'avoir' permis, de ne pas avoir rendu tout à fait impossibles certaines interprétations déshonorantes de sa pensée, genre Claudel." 5
Les oeuvres de Rimbaud qui dans le discours au congrès des écrivains
1935 étaient des oeuvres IIpl eines de sève" ,et qu'il fallait "mettre
à l'abri de toute falsification ••• sous peine de les appauvrir" •••
1. Brcton And'ré, Manifestes du surréalisme, Paris, J.J. Pauvert, 1962, p.206
2. ;~n::ton Apd'Lé. Manifes tes du surréalisme (extraits du volume collectif) L' ;~j'~ (; l' r,o 11 tlilitrd ~Fi6ti. il. 3ii
,
3. j\ ...... ueJ·.iJ ùj~d~ur·. X~~les co,:~p~0.t_e_E.'_, Paris, Gallimard, 1960, p. 108 -
5. j't l.H()1l AJ1dr~, ~..!.l!f.':::.I-Jl:ea du ~;urré.îlisme (extraits du volume collectif), rlltl~, Gp.1Hril"q:d. ~Ç)66. p'--'bù
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•
- 73 -
.ièviè~m~at ::t la faveur du ;~c!\':~ï.~mcnt •• !'celles même dont le moins qu'on
puis~>c. Jire .::s t qU'il Y r(·~I..;nc. t;n ,ür particulièrement insalubre" 1
JLudL!lnire, Rir..baud ••• I~CS noms rien ne 'nous forcera à les renier ,1\
avait pourtant affirmé Breton précédemment •••
Le chef revient à la charge:
"Que Rimbaud ait cru bon de s'excuser de ce qu'il appelle ses,~ophismes;.)nous n'en avons cure; que cela)selon son expression,se soit passé, voilà qui n'a pas le moindre intérêt pour nous. Nous ne voyons là qu'une petite lâcheté très ordinaire, qui ne présui,;e en rien du sort: c:.u' un certain . nombre d'idées peuvent avoir: "Je sais aujourd'hui saluer la beauté ": Rimbaud est: i:;;pardonnable d'avoir voulu nous fa~re croire de sa part à une seconde fuite ~lors lu'~l retournait en prison~'Alchimie du verbe": on peut également regretter que le mot~verbe"so~t pris ici dans un sens un peu r~strictif et Rimbaud semble reconnaître~d'ailleurs. que la"vieillerie poétique"tient trop de'place dans' cette alci.limie. Il 2
Mais si Rimbaud est parfois trahi, Xallarmé, lui, sera magis-
tralement usurpé par le chef du surréalisme c:.ui le critiquera malgré
les nombreux emprunts qu'il lui fait et je dirai même les plagiats de
technique que souligne d'ailleurs X. Sanouillet. Ainsi Breton fait
tantôt l'éloge de l'auteur d'llérodiade:
.•• "il importe d'ailleurs de souligner que la tentation éprouvée par les poètes s'est montrée beaucoup plus durable: elle posséda également :'Iallarmé ,comme en témoigne avec éclat son dernier poème: Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. ~' • .3
1. ~reton André, Manifestes du surréalisme (extraits du volume collectif) ?uris, Gallimar~, 1966, p.110
2 •. ,,~d., p. 137
,l," :"",::.::'1", . ',,"
3. 3reton André, Manifestes du surréalisme, Paris, J.J. Pauvert, 1962, p.3l5
••
•
.' j'"
- 7/, -
"Ce besoin cIe ;:-i!.:l~~ir de façon draconnicnne contre la dépréciation du langagejqui s'est affirmée ici avec Lautréan:ont, Rimbaud, Mallarmé..:!l
tantSt il en fait la cible de ses sarcasmes:
"On s'attriste de penser que Mallarmé fut un parfait petit bourbeois.!~ 2
Or, à plus d'une occasion Breton s'est inspiré de Mallarmé. Alquié
nous affirme:
:Breton"fait: lui-même des poèmes mallarméens.
~D'or vert les raisins mûrs et mes futiles voeux Se gorgeant de clarté si douce qu'on s'étonne Au délice ingénu de ceindre tes cheveux Plus belle,à n'envier que l'azur monotone." 3
Et Sa~ouillet ajoute:
"a l'imagerie prec~euse et sibylline où perçait .... e Breton mallarméen de Mont de Piété:" 4
D'ailleurs, ces affirmations ne sont pas avancées au hasard:
"Mais un document existe qui atteste la réalité de l'influence mallarméenne,jusque dans la composition des Champs magnétiques ( ••• ) Ces commentaires marginaux sont à notre sens d'une importance capitale car ils montrent ( ••• ) d'autre part que les auteurs,et surtout Breton~ont, selon le procédé cher à Mallarmé, délibérément "occulté" ces références en juxtaposant et entremêlant arbitrairement
1. Breton André, Manifestes du Surréalisme, ~extraits du volume collectif) Paris, Gallimard, 1966, p. 179
2. ·Ibid., p. 123
3. Alquié, Ferdinand, Op.cit .. , p. 40
4. Sanoui11et,Ydche1, C~.cit., p. 127
"
•
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- 75 -ni\,'~~ti',~,',',~:"i"F;:;:::!:::;;::r:i':'! .. :~' .
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ces souvenirS;(~;1::ia qlie. c'est de ~ette;'occultation même, .que 11 ùUV;-il;'>l~ tire son extr'âordinair~. intensité pol1tique. Nous ne. dépasserions guère' notre pensé~ en' écrivant que Les Ch;1mpsmagnétiques constituent, , autant que la p:emière application d'une certaine ,forme d'esprit surréaliste, le bouquet 'finaJ.,' le chant du c>!gne du meilleur Symbolis!lle." 1
:-l~ülarm.:! se trouve connue nous l'avons vu, usurpé non seulement dans les
Chamas r.tagnétiques mais aussi dans les poèmes de Breton qui.1se voulant
::«llltir;;:.:!ens par leur hermétisme,versent dans une "imagerie précieuse
et .:::":;'ylli.::.c:." et dont la facture ampoulée ne possède pas pour autant
~2 sc~:~le de l'original •
1. Sanouillet, Michel, Op.cit.,pp. 129-130
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l'
•
et.
•
: ,:; :.: ~: 7 ',. ,> ,'~: ::/ ~ /!.:':~' -::f.'~ :." :~~
:S. CO:\TRADIC'f.IO~ DA:\S Li~S AE'FI~ITES LITTERAIRES
OPPOSITIO~ DES GJ10UPES "PliILOSOPIHE" ET "CLARTE'" AU
GROUPE DU "GRJu"m JEU"
En ce qui concerne les affinités littéraires, il serait curieux
de suivre Breton dans son jeu de caméléon, changeant d'esthétique suivant
les ~Qsoias du mouvement et pour reprendre l'expression d'Henri Jones,
~:'::i,. '::2 :"2 "iair.:; accorder au diapason des divers facteurs sociaux de son
époque SUSCC:l)tib1es de le faire vivre."
Pour mieux saisir la contradiction, différencions tout d'abord
entre les tendances de chacun de ces groupes:Phi1osophie formé surtout
de philosophes dont la position est celle du marxisme orthodoxe~avec
tout ce que cela implique d'engagement politique. On compte parmi ses
adeptes: Emile Benneviste, Henri Lefevre, Georges Friedman, Norbert
Gutterman, Paul Zimmerman et Georges Politzer qui fut tour à tour la
cible puis l'objet d'excuse de la part de Breton:
.. ,"tout comme en ce qui concerne Politzer, dont ~'activité s'est constamment définie hors du surréalisme et qui ,de ce fait,nc devait au surréalisme aucun compte de cette activité, je n'éprouve aucune honte a reconnaître que je me suis mépris du tout au tout sur son caractère." 1
1. Breton, André, Manifestes du Surréalisme (extraits du volume collectif) i'<.~is, C,.llimard, 1966" p. 68
"
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•
•
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.. - 77
C '1..':-; ~ :.,' Gri..?r,Lél."C.ion politique du mouvement dans les voies de
:-""ii~;:e:· ... i;::0:-.:.j~ "::0:::;::uniste ~uUS l'influence de Bernier et d.:: ;·~"v:i..ll(!
qu~. lH.!;."";;.:'L. ... u ...;rüupe surréaliste d'approcher Philosophie. llrelon et
~(!~ .. ~..:colyU:.!3 .s' é::;üenl déjà lo".2ur.is autour des intellectuels de gauche,
qui groupait GeofBcs
:d L."an «(ili~, :ocr.) j1L.;s ;:a~-,i à la t2te du journal franc-tireur), Victor
Cr.1~; i:rL!, ~\li,:outllri.::r, Fégy, P:lUl Guitare, Gérard Montr:cvel et Marcel
.~. t...: :: '- .11 ~ VO\:~ U:~L; certaine prédileeU on pOlir
...... ,,, ... - '\" ',-.. \.J.~\,.~.~,-L:' . .I.'" e.t pour adeptt.:s A.~01anJ de
)of,ll.iriee
iit!nri, Arthur harf.1ux •.. :'ùtons t;Uê Ct:S deux derniers ont :.Li,,~ré au
pas définitive. A l'exe;r.ple oo.:! Poiit:;,:e;r,Daumal et Leeomlo:: cs!,uieront
les sarcas;nes ùu ";·laitre".
"Peut-être sied'-il,Lol~t .. il 1 ,):.usJdc f.3irc O;) .. >l~,\!t.'.-à Daumal)qui. (,u·.rc~ 1~(';';lS 1.2 Gr.3nd Jeu un.:: inLL'J·t.:~;';<1:1Le enquête sur le l.lL,;j';'c,t;L.C rien ne nous rctj,(~;1 .. r;Ji.L d'approuvl.!r UDL: ,;ra:h:L; p;-,;:-tie des d&elaratlo;,:, q 11' i 1.
• 1 " • s~gne seu~ ou ;'.vee LeCOlil:_l! ,S1. nous ne res tl,011,-: ;.,ur l'impression j),:'Sc;;.ilh:i;,cnt désastreuse de sa f.,ilJl<.!:,sl! en une circon~;t"';lL':~ ,:Uili1'::C? Il est regrettilbl~\d';JUL!'(~ part.que Dau: .. al ai.l ~Vi.tl~ jusqu'ici de préci~l'r :;;,
J position pcrsü~nl.!ll~ l!tJ~our la part de respons~Liiit0 qu'il y pr~ri.d, edJ . .' '~d r.;l-nnd Jeu à. l'6gard Ou surréalisi:1c." l
1. hI\ .. :ton,.L\.ndré, l-~;-:nl~~~';_L''-') \'" ~, ': (extrait:,; du 'l/vlllIlJ'.' ('(li ( •. 'cl i ,) ~Ji~i."i~, Gi..j.:~'Ii..:-..rci, .L.:J •. H', '.
78 -
• .:\ cO:1:ro.~t.:!r c~s trois groupes, on voit co:n.bien la position du Grand Jeu
s.:. t rO'-1\'è .1'-1X <:>" tipoë.~s à~ celles prônées par les deux premiers. ~1ais
çu'~ C~léi ne ti~":1r.. 3reton n'a-t-il pas' affinr.é qu'il croyait "à la
t(lute-puissance de la contradiction" ? Et pour tout considérer peut-être
~evrions-r.ous ir.voquer alors le gé~e organisateur de Breton toujours
;~X~ V~TS la r~ussite~ce çui a assuré la formation d'un mouve~ent d'envergure,
':;US::è~nt grâce à ce ter.lp~ratient de chef. Il est vrai que ses propres
s~ct~tèurs ont J8no:1c~ 2~ez Breton une autorité exagérêe (au point de
:'e.scin .:.'u .. ~ ?.::rson:-..:ge ::.:'etzchéenJet 3reton en avait l'étoffe ••• C'est
•
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• '" ~. <~ • .' ~ ,
•
'- 79 -
C. CO:'iTRADICTIO~ ENTRE LA THEORIE REVOLUTIONNAIRE
l):2FSXDUE PAR BRETO~ ET LA POLITIQUE COMMERCIALE
FOXDEE SUR LES GAL~RIES D'ART, ET LES MANIFESTATIONS
NONDAIXES
Ouvrez les prisons ••• licenciez l'armée
Lettres aux Recteurs des universités européennes
Adresse au Dalai Lama
Adresse au Pape
Lett=e aux médecins-chefs ces asiles de fous
Lettre ouverte à :1. Paul Claudel
C~tte s~rl~ de lett~es et de t=acts révolutionnaires et se voulant
J5.::ùc:-,".tis.ues à coups de clairon ont pour signataires le "bund" surréaliste,
ce groupe ferm2 qui relève de la chevale=ie ~édiévale, bref cette sorte de
table ronde présidée par André Breton, le }lage se voyant tour à tour
alchimiste ou hérétique ~édiéval conspirant à l'ombre d'une cathédrale.
Or, ce même chef qui proclamait au nom des autres:
"Nous sommes certainement des Barbares puisqu'une certaine forme de civilisation nous écoeure" 1
sera l'organisateur de nombre d'expositions surréalistes et de manifestations
mondaines; il présente en l'occurence l'eÀ7osition d'objets surréalistes
chez Charles Ratton en mai 1936, rue de ~latignan, Paris. C'est encore lui
1. Breton, André, in Xacieml ;'l;;uLic~, \~.2.' c; ~., p.2l6
•
•
"
80 -
qui iH~$":"" .. ~ ~. l'exposition internationale du surréalisme tenue à Londres
;:lUX XC\ol ~ürlia~~t():1 Galleries du Il juin au 4 juillet 1936. "L'Exposition
fut ouv.:!rte ?:1r André Breton en présenc,e de plus de deux mille personnes" 1
nous confirQ.:! :'adenu.
}1D.rcel Jean dans son Histoire de la peinture surréaliste
en collaboration avec Arpad ~ézei mentionne la participation purement
littéraire de Breton.
"La dernière exposition surréaliste organisée en 1952 à Sarrebruck par le peintre Edgar Jené) fut de caractère surtout rétrospectif,et la quasi totalité des peintres représentés n'avait plus à cette époque aucun contact personnel avec le préfacier du catalogue:André Breton." 2
Or nous n'ignorons pas par ailleurs qu~ Breton guidé par son flair a
Su s'~:filier à toute occasion les peintres dont la cote formait une . .
cùu~be ascendante et ce d~s :a première exposition à"la Galerie Pierre:
•.. "l'ar·t surréaliste doit être introduit,d'emblée~ par des(~êtes»et celles-ci ont illustré des mouvements antérieurs: Arp, Man Rayet Max Ernst} en ce qui concerne le dadaïsme; Chirico et P. Roy, ex-représentants d~ l'onirisme; quant à Picasso et ; Paul IG.ee i ce sont des figures de proue de tout l' an: ~oatemporain." 3
Et si l'on suit l'historique du mouvement, on voit bien que Breton ne
s'est réellement intéressé' à }liro que dans la mesure où ce dernier a
1. Nadeau, Maurice, Op.cit. p. 454
2. Ibid., p. 497
3. Jones, Henri, Op.· cit., p. 36
't!
" :,,-
•
•
1,'::':,
81
:.::::.::: sc.' :;;~(!uves en l'occurence ••• "qui avait attiré l'attention de
cc.rt<.Ü~1e g.J.l.::r::'c, dans un genre hybride,procédant de l'art naïf et du
tro::1pe-l' oeil léch~: '~ •. l
c'est cncore ... ~race au savoir faire du chef que Picasso
rapproche du jr.QuveIT,ent et que le nom de Paul Klee figure (quoique pour
un temps lü,ité) sur le Palmarès surréaliste. Un grand nombre 'd'autres
peintres collaborent aux expositions: André Masson d'abord inspiré par
Derain, Yves T;;.nguy, Han Ray, Xax Ernst •• '- Encore une preuve de l'intérêt
que manifestait le chef à l'égard des peintres cotés: ce souci de faire
eX?03(;:~ ?i"::.J.oi.:: (;:-.vec qui 'il é.:ait en froid) et Duchamp avec les
sur~éalistes e~ :926 à la Galerie s~~réaliste à Paris, ainsi que son
et article
de Robert Dc.sr.os dans le C<::J,:wre) nous avons pu r~aliser le nombre
d'oeuvres d'art que Breton s'était appropriées.
Bref, après une étude approfondie Henri Jones fait cette
constatation:
"L'art fut/sans doute)la mi!le la mieux exploitée par .' André Breton, celle qui lui permit non seulement d'entretenir le groupe des poètes mais1surtout, d'accroître ses propres ressources au point de laisser derrière lui une fortune considérable, toute d'objets précieux." 2
Jacques Prévert dans Un Cadavre met aussi l'accent sur ce côté de Breton:
1. Jones, Henri, Op.cit., p. 37
2. Ibid., p. 40
. :r
'" • ~, ' '." J,', J" .
•
•
" ... - 82 '-
"e' était un grand honnête homme, ,il mettait parfois sa toque de.juge par-dessus son kép~~ et faisait de la Morale ou de la critique d'art, mais ii cachait difficilement les cicatrices que lui, avaient laissées le croc à phynances de la peinture moderne." l
Quoi qu'il en soit, il en résulte une contradiction flagrante entre la
théorie révolutionnaire défendue par Breton (cf. le tract: Ne -visitez
pas l'exposition coloniale) et cette politique commerciale fondée sur
les galeries d'art.
Mais ce n'est pas tout; on note encore certaines manifesta-
tions mondaines dont le banquet de St Pol Roux (devenu célèbre dans
l'histoire du surréalisme) auquel Breton, convié avec ses amis, joua
uc rôle ?rovocateur sans pour cela en essuyer les conséquences. Plus
qu~ toute 3utre école littéraire ou artistique, le surr~alisme a eu son
or~ane: la Révolution surréaliste devenue en 1930 le Surréalis~e au
service de la révolution. Et cela sans mentionner sa charte: les
Manifestes de Breton. Excellent moyen pour présenter comme sympathisants
du mouvement des célébrités telles que Braque mentionné au 6e numéro de
la Révolution surréaliste, et Salvador Dali au IZe. Les surréalistes
illustrent encore des ouvrages de luxe édités chez Jehanne Bucher. Hiro
et Max Ernst s'occupent de décor de théâtre. Toyen adhère au mouvement.
Aussitôt le chef toujours avide de classer et de mettre en fiches publie
en 1928: le Surréalisme et la peinture alors qu'il signait ailleurs le
1. Prévert Jacques, in ~;IJcau ;:'~Iurice, 02.c1t., p. 302
•
•
,
83 -
'27 janvier 1925 "l.e surréalisme n'est pas un moyen d'expression nouveau
ou plus facile~ .. )Il est un moyen de libération totale de l'esprit et de
tout ce qui lui resf:.emb1e" 1 1932' voi~ à New' York une exposition
surréaliste perfectionnée.
De 33 à 38 de nouveaux adeptes grossissent les rangs et
sont représentés dans une revue de luxe éditée en Suisse: la revue
~linotaure. Là encore le génie de Breton réussit un tour de force:
mentionner parmi ses disciples (ne serait-ce que pour un temps) le
grand artiste mexicain, Diego de Rivera ••• Parmi les fidèles je retiens
Dorothea Tanning, Kay Sage et Léonor Fini. Mais il semble qu'en peinture
co~e en littérature, de nom~reux surréalistes se soient laissé tenter
~3~ l'insolite, en dehors des cadres de l'orthodoxie et l'on pourrait
en faisant i.lU retour iaentio .... ner l'oeuvre de Blake.
Bref, à prenGre connaissance de ce côté de Breton profondément
lié au destin des galeries d'art on ne peut que le huer quand il se
hasarde d'affirmer au nom de tous "Notre cause est celle des ouvriers
et des paysans" 2. C'est avec raison que Robert Desnos écrira dans
Un Cadavre:
"Breton faisant des bénéfices sur le surréalisme n'est pas différent du Pape percevant à son profit )le denier de Saint-Pierre. 1I ,
Or Breton reconnaIt lui-même l'intérêt qu'il porte au commerce des
oeuvres d'art: "A~oir acheté quelques tableaux, ne pas ensuite rn' en être rendu esclave - on juge du crime- à en croire ces' messieurs voilà tout ce dont positivement je serai coupab1e.!~ LI
1. Breton ,André, Ül Nadeau :1nuric..l.!, ,0;), dt., p. 219 2. I~id., p~ 437';',:" 3. D~snos,Robert, in Nadc<lu ~Inl~,:;cl~, i'h.cit., p. 308 4. Breton,Andrê, .~Manifes':l:s li:; :".;:·.·,;.'I.~~.:-:::-(extraits
Paria, . Gall'im~rcr719b6, p. 91 • ~ • .)' : 4
,'\;1/ -',' . ,.
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du volume collectif)
CHAPITRE IV
CC.:\TR.\DIC'I'IOX ;;:J.\. l0~ORCEE PAR LES CRITIQUES
•
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•
•
•
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"Nous rappelons à l'homme qu'il n'ya d'autre législateur que ,lui":même. "
Jean-Paul Sartre
(L'existentialisme "est un humanisme)
A. PREHIER ASPECT DECELABLE AVEC LES DISSIDENCES - VOIR UN CADAVRE
La question d~s dissidences nous mène immanquablement à
dif~6~encier ent~c l'es?rit surréa~iste entendu comme une attitude de
révolte gr-atuite, '::c. refl!s perpétuel C:e toute valeur établie,bref cette
soif de liberté éternellement inassouvie au coeur de l'homme)et le
surréalisme orthodoxe que Breton érigea en mouvement.
Tzara avait bien ressenti ce conflit qui avait prédit:
"les vrais dadas sont contre dada" .
••• "une autre caractéristi<lue de Dada, avait-il ajouté est la séparation continuelle de nos amis ••• le premier qui ait donné sa démission au mouvement dada c'est moi IITout le monde sait que Dada n'est rien. Je me suis séparé de Dada aussitôt que j'eus compris la véritable portée de rien. 1I 1
Il n'est besoin que de confronter les listes de noms qui figurent dans
le premier et le second Manifeste pour se rendre compte de la "vie de
•
'JI,
'>:.~ ~<\:~:~-,.:,>~, :. :!'.
- 85
robo::.:;" c;ui existait à l'intérieur du groupe. Sur les 19 noms
meni:.iL'14 .. és ;lU premie.r manifeste, quatre,. seulement reviennent au second:
Arago .. , Crevel, Eluard et Péret, les'quatorze autres (sans compter 1
Breton) sont remplacés par seize différents dans le Second }1anifeste.
Francis Picabia écrivait à ce propos à T: Tzara
liBre ton es t un comédien achevé :'.. il pense ••• .. '!qu'il est possible de changer d'homme
conune l'on change de bottines." 1
Fait assez curieux, le nom de Tzara figure dans le Second Manifeste.
Or nous r.'i~ .. o~ons p~s le corps à ~orps sanglant du congrès de Paris,
r:" " ""1 '-- :"'i:::cide:lt du Co(!ur ~ barbe. -------
liA. :'reton s'est f:lché jadis avec Tristan Tzara pour la :'::'.30a très préc'ise qu'à la repré-sent&tion Ga Coeur à barbe le chef du Dadaïsme nous avait fait arrêter. Il le sait. Il l'a vu et ellccndu aussi bien que moi nous désigner aux agents. Pourquoi se réconcilie-t-il?1I 2
et Desnos donne une série de raisons jetant chacune une lumière crue
sur la pratique de vie de Breton aux antipodes des principes surréalistes •••
Peut-être aussi Breton s'intéressait-il à Tzara parce que ce dernier
jouissait déjà d'une certaine célébrïté passant pour avoir découvert le
mot "dadall ~ Nota.ïlment Breton écrit dans le Second Manifeste
... "j'estime que l'attitude intellectuelle de Tzara n'ayant pas cessé d'être nette, ce serait faire preuve d'étroitesse d'esprit que de ne pas
1. Sanouillet,Michel, Op.cit., p. 498
2. Desnos,Robert in Naùeau ~lauric..::, Op.cit. p. 307
" . .. ,
•
86 -
:)ubliqu~mcnt lui en donner acte • ... ~~ laissons pas croire que nous nous :.;ùn:;il~S ainsi trouvés, puis perdus. II 1
~~,:,,; ~',""~.l?~C:l~ :),15 le chef de publier dans Comedia du 7 février au nom
du co~i:é de P~~is:
.,' illèS soussignés, membres du comité organisateur, ti~.ment il r..ettre l'opinion en garde contre l~s agissements cl' un personnage connu pour le pro:;;oteur d' un.(<mouvement»venu de Zurich. ~'. 2
La réponse parue le 18 février et signée par Eluard, Ribémont Dessaignes,
Erik Satie, T. Tzara souligne la contradiction:
"le comité organisateur emploie les termes: <<Ïm?ostcur avide de réclame»à l'adresse
d'une ?ersonne,trois jours après lui avoir fait la ~roposition d'entrer comme membre dans le Co:::ité organisateur,et sans que c8ll..::-l? en ait fait la demande. Il 3
J'~i':'leurs Tz~ra et Breton, tous deux passionnés évoluaient sur deux
plans distincts: ils ne tar0èrent pas à réaliser qu'ils ne tenaient
pas le même langage 9 Tzara attaché à l'esprit surréaliste et Breton
à la lettre. Cette différence d'o?tique est notée par Sanouillet:
"Pour Tzara, pour Picabia, peu importait que la séance eût lieu ou n'eût pas lieu, ou encore qu'elle fût un lamentable fiasco. Ils ne se sentaient Ju.ns l'affaire aucune responsabilité. Breton,au contraire-et Aragon dans une moindre mesure-se considéraient comme tenus de fournir au public le spectacle annoncé. Dans ces attitudes
1. Breton,André, 2~-:Cl!j.!.~stc_0...~!Y. ~c;uJ~r-,~.'~1:_:!:.0me (extraits du volume coll.cctlf), i·~, .. ·;.;; > i,._, ...... """ •.... "', ?~). 131-132
3. Ibid., p. 334
~I
1
,"
•
,', J"
87
contradictoire;~ d~.ctées par un problème concret, on p2Ut )semb.;.e-t-il, voir l'embryon des que.relles et des options 2:.:-émonitoire,s de la mort de Dada. Il l
1
Le chef s'étant en quelque sorte idenÙfi~ à son/école; prenait trop
à coeur la moindre fluctuation dans ,le comportement des membres et
Picabia,au tempérament bohême, semble s'être très tôt lassé des
exigences du directeur de littérature et des obligations découlant
de la rigueur morale dont ~~eton ne se départait jamais. Picabia le
souligne dans l'article publié dans l'Esprit nouveau no 9
";'~air'.,tenant Dê.dû a un tribunal, des avocats, i;:i.er:tôt p:::-oDnbJ_e·.nent. des gendarmes et un Monsieur Jei:'12:L."
Il aj oute: "j"e l:le suis séparé è.:: certains Dadas parce que j'étouffais p':;'rï.li eux, chaque jour je devenais p lus tris te, je m' ennuyais terriblement~ •. } je n'aime pas les illustrations et les directeurs àa(<.Littérature»ne sont que des illustrateurs." 2
Ce durcissement des" cadres, Sanouillet le note:
"les séances de«Certa»changèrent de physionomie a partir du moment où elles passèrent sous la direction de Breton. Leur caractère primitif de réunions amicales et volontiers bouillonnes s'était profondément altéré: elles prenaient l'allure de groupes d'études, de "séminaires" où les personnalités les plus marquantes s'opposaient)soit de front, soit le plus souvent par la bande:car Breton savait à merveille faire régner sur le groupe "un état d'esprit tout à fait particulier et qui "tenait de la société secrète et de l'action occulte." 3
1. Sanouillet,Michel, Op.cit., p. lô9
2. Ibid., p. 267
3. Ibid., p. 269
•
"
88
Ce a'étai~ do~c pas de Dada ma~s de ce qu'~l était devenu avec Aragon,
Bre~on e~ Soupault çue Picabia voul'ait .se séparer. Si Dada n'incarnait
plus la graade aventure de la libert~, autant ,s'en éloigner, et faisant " ," ,
allusion au flirt de Breton avec la NRF,alors établie rue Madame,
Picabia déplore:
"r ;'lUvre dada sauva;;e, te voilà rue Madame." "en eff,"t, pressé par le· besoin d'argent il
(Breton) avait été contraint d'accepter un poste de correcteur d'épreuves. Engagé rue Hadarne avec la caution de Valéry ,et de Gide, il se débattait ;,uit heures par jour,pour un salaire plus que rnodeste,dans l'imbroglio des pl;h-:::::-ci.S, cent fois raturés par la main ;;:in.utieuse de Prous t )de Du côté de Guermantes II. C •• ~) Du n:oins profita-t-il de son séjour dans l'antre du li0n pour s'y assurer des sympathies utiles. Il s'en échappa 'cependant dès qu'il le put, qt.:elques se:r,aÜ1.es plus tard, mais ce fut pour tomber de Charybde en Scylla puisqu'il devint" conseiller" de Jacques Doucet, pour ses achats de livres et de tableaux, situation moins lucrative mais qui lui laissait de plus amples loisirs." l
C'est contre ce dada apprivoisé que les vra~s dada se sont re~ournés,
c'est-à-dire Tzara et les hommes qui, s'ils voulaient rester fidèles
à leurs principes de révolte gratuite, devaient s'opposer à toute
organisation de masse. Par son attitude, le vrai dada, le vrai
surréaliste se place hors des cadres, en marge de toute école, de
tout mouvement.
Bref, dissidences ou excommunications, il en résulte qu'un
grand nombre d'écrivains, de poètes ou de peintres ayant adhéré pour
1. Sanouil1et ,rfd..chel, 2.J~., p. 201 :, 1
',"
, l,
; "
,'1
•
89 -
ur. ".o~,~(!:1:' .î.i..l 5urr6alisme s'en soient éloignés par la su.ite. A ce ?ro?os
~'" :"':1 ca.iavre prenant cette' fois pouX' cible A. 3reton, en
dit lO:1';. A:-LtO.-:.i:1 Artaud qui a été exclu du mouvement répond ~ans
"Q;.!t'; les surréalistes ra'aient chassé ou que je ~2 sois ~is raoi-~â~e à la porte de leurs grotesques 3i~ulacres, la question depuis longtemps n'est :?âS là." 1
Il met encore l'accent sur le ~ivorce existant entre la dialectique
marxiste et l'aventure surréaliste:
.. ,Ill.:::. surréalisme n'est-il pas mort du jour' où rlreton et ses adeptes ont cru devoirse rollier au com~unisme et chercher dans le domaine des raits et d.:: la ".atière i .. ,r::édiate ,l'aboutissement d'un.:::. action qui ne pouvait normalement se dérouler qi..le dans les cadres intimes du cerveau." 2
Cn pourrait s'étonner avec raison qu'un si grand nombre d'adeptes se
3ciè.-:.t laissé au?er par Ges contra~ictions pourtant flagrantes. U:1e telle
cùnÏus::'on est, je crois, imputa~le ~ ::'a personnalité catalytique de BretOil
qui les subjuguait. Jacques Prévert l'a noté:
"Et ses amis souvent le laissaient faire, trop grands amou.:-eux pour protester." 3
Et Baron d'ajouter:
Il"n'a jamais a?porté en toutes choses que la plus noire confusion." 4.
Néanmoins, ce règlement de compte d'ordre domestique était indigne de
1. Xadeau, Haurice, On. cit. p • 27/1 . 2. ~.) p. 275
J. Ibid. , p • .303 . . 4. Ibid. , p. 305
" '
•
::\.
",'.
90
figurer da:ls le Seëond Manifeste du Surréalisme, ce que Desnos reproche
à juste titre au chef: ; •• I~Breton ayant ,appelé Second Manifeste du
Surréalisme un recueil de ragots et de calomnies'.' • .'"1Desnos, Michel Leiris,
Georges Limbour, Roger Vitrac, Jacques Pré,vert" Georges Ribémont, Dessaignes,
se groupent autour de Bataille qui à ce moment dirige la revue document.
(Nous verrons plus loin, dans la partie qui oppose Bataille à Breton,
combien leur philosophie du surréalisme était différente). Sans aller
dans les détails, il suffirait'de parcourir Un Cadavre pour mesurer la
portée des griefs que 1.es ex-r.pôtres présentent contre le "pape" du
~0uve~en~, j~tant ainsi une lu~i~re crue sur les dissensions intestines
du groupe.
Bref, les :lombrcuses dissidences montrent bien que le véritable
esprit surréaliste est toujours disponible, que sa révolte est constante,
et que sa liberté est inlassablement revendiquée "sans le souci d'un
queJ.conque imprimatur" comme dirait Henri JO,nes. Artaud s'explique:
"Ce qui me sépare des surréalistes c'est qu'ils aiment autant la vie que je la méprise. Jouir dans toutes les occasions et par tous les pores; voilà le centre de leurs obsessions! .•. le ne parle pas de leurs écrits qui eux sont res~lendissants quoique vains du point de vue auquel ils se placent. Je parle de leur attitude centrale, de l'exemple de toute leur vie." 2
Et Breton n'avait-il pas affirmé: "la vie n'est pas ce qu'on écrit".
1. Nadeau,Xaurice, Op.cit., p. 3C6
2. Artaud ,Antonin, ~.n Q:). cit. J p. 277
,'.1
f i.
la~gi.:è vé::icu:e
:.::: i,':;!lf,':'::, o.:l:c v.:':h;'cul-2: aUS.5~ la ;:;;.auvaise foi: cl' où la ~écessité
d'accorJer a ce ti~rs ~o~cie qu'est la littérature, la juste p:ace
qu'il mérite.
Disons-nous ÇUé; Ill:'::: et ::ature" et art n'existent qu'en
ta::lt que moyC!:"'.s de s' invE::"'.::E:r u:"'.e li;:;erté illusoire. Autar.t de paradis
artificiels. Il s'agit tout s:'~?le~er.=· cie prencire conscience di.: ?ro~lèwe
ct non de q-. .: ... ~
• vrais surréalistes (pour la ?~u?art e::l ~arge ciu wouve~e~t) n'o~t pas
essayé de duper; leur attitude plus que Ges paroles tapa3euses e~ a
témoigné; le silence de Rirnbaud, 1 'he.rmétisüte de Mallarmé IItourner le
dos à la vieil et compte tenu de la part à attribuer dans ces malheurs
aux facteurs personnels, la folie et ,les nombreux suicides, n'est-ce
pas Nadja, Rigaud, Vaché, Roussel, Crevel, Y~e Tanguy et tant d'autres
vrais surréalistes qui nous côtoient peut-être et que nous ne connaissons
pas.
A eux s'opposent les partisans du surréalisme orthodoxe que
les "flashes" publicitaires ont immobilisé en plein cours et figé
définitivement. 'Je pense aux moules de cadavres pétrifiés que l'on
retrouve dans les musées d.:: Pu,;::)':;:;' •
• ."!
r;-;,';,:i: . ~,' . ,; ','
•
•
". 92 -
Le surréalisme était au départ un état de révolte qui, plus
quc tout autre, d~vait se passer de commentaires. Il n'a de valeur
qu':ï l'~tû.t iluide. Une fois canalisé, ,~omestiqué) il devient vain.
c'est pourquoi en s'érigeant en tant que mouvement anti-art, anti-
litt~rature, anti-?o~sie, le surréalisme a manqué sa vocation; il a
fait avorter la vraie révolte et pactisé une fois de plus (en biaisant
à sa façon) avec l'imposture littéraire en mal de nouveaux courants,
de nouvelles écoles. Néanmoins, une mise au point s'impose ici: la
littérature la woins littéraire étant celle qui traduit le plus possible
notre pro?re cri, l'~ternclle cOiliplexité de l'homme entrant toujours en
jeu) rC::lda::1t i:iqossiblc U::lC entière bom~e .foi, on peut dire que le
surr.2.:üis;:\(: a ;:~Q.l6r~ tout ;:·:or.toi ëe nous rapprocher de nous-mêmes (à
CO;~l?arc:r :).:1r e:œr.1ple Û.vec Cid2 01.,; Prous t qui nous plo::lgent ir.unanqua-
blement dans le monde de la société). Antonin Artaud faisant la critique
de l'aventure surréaliste reconnaît toutefois:
••• "mais dans le dOr.laine cie la littérature elle-m8me peut-être ont-ils en effet apporté quelque chose. Cette colère, ce dégoût brûlant versé sur la chose écrite constitue une attitude féconde et qui servira peut-être un jour, plus tard 0 La littérature s'en trouve purifiée, rapprochée de la vérité essentielle du cerveau." 1
Pour tout mentionner, le surréalis:ile n'a pas atteint cette conquête de
l'inconscient comme il l'a tant claironné; d'autres y aspiraient aussi,
r.lais plus lucides et moins préso~?tueux, ils ont réalisé la disproportion
d'un tel désir) c'est pourquoi ils ont tenu à garder leur révolte à l'état
de perpétuelle revendication .1.u:;si ,-~\.!~·;~L'Ue que le sera la condition
-cette censior. constante ven; Ui .... ':. DU <::;l:nt.." ,'<':.:! im20ssible qui fait le
souffle du vrai surr~aliste.
1. Nadeau,Maurice, Op.cH.pp. 27'6-279
•
•
.... - 93 :\,
~. C,):';-:?')~:C7l.()XS RELEVEES PAR DES COHNENTATEURS' MEME SYH?ATHISAi'iTS:
, . P~:L~~Q0ES J'ALQUIE EN CE QUI CONCE~~ LAPSYC~~ALYSE
RZ:-~\.RQl.:ES DE GEORGES ENY.AJ.'WEL CLAl."iCIER
REMARQUES DE !1ICHEL CARROUGES
- REMARQUES DE MICHEL SANOUILLEI'
.... Cette étude du surréalisme serait incomplète si je ne
mentionnais certaines contradictions intéressantes déjà amorcées par
les critiques: Alquié en ce qui touche à la psychanalyse, Clancier pour
~~ q~i es~ de l'image poétiçué, Ca~rouges en ce qui concerne l'automatisme,
Sanc~i~:a~ ?ùur la lou~GC ùette du surréalisme spécialement envers Dada,
H. ~c~es e~ Pasto~reuu dont j'ui fait mention au long de mon étude. Dans
sa.:! recue:i.l intiu.11l Philo,-,cnhie du Surréalisme, Ferdinand Alçuié note
l'attitude paradoxale de Breton par rapport à la métaphysique:
"Le surréalisme,qui refuse tout au-delà distinct de ce monde,et professe une doctrine de l'immanence, n'en est pas moins,en ce qu'il disqualifie le Monde objectif,le messager de quelque transcendance." l
Et si . .'.'chez Breton lui-même ,la recherche du bonheur semble parfois
condamnée". «Je ne veux rien sacrifier au bonheur! le pragmatisme n'est
.. , » 2 pas a ma portee , iAlquié constate que
•• • "les éclairs qui trav.:;rsent sans cesse Poisson Soluble sont bien des images exactes du bonheur, des déchirures par lesquelles on les peut
1. Alc:;uip., Ferdinand, On.d.t., p. ::"0
2. Ibid. " p. 22'
•
•
- 94 -
a?ercevoir,avec le ravissement et le bouleversant 6~oi qu'il fait na!tre.'Filles du ~~pulcre bleu, jou~ de f~t0, formes sonnées de l'angélus de mes yeux ( ••• ) J1ùuettes du paradis perdu!·' Il 1
• 1
Une autre contradiction propre à Breton est dépistée: lui qui prônait
l' .:lUtomatis::l1? en reVènant au principe de Rimbaud "par le lent, immense
I?t raisonné dérèglement de tous les sens" n'est par ailleurs "-jamais
~ntr6 dans le sOinilleil hypnotique" (Pas perdus, p. 158) et, selon Alquié,
"son goCt du contrale de soi et de la lucidit6 a détourn6 de cette pratique
les autres r..embres du groupe." 2 Ereton condamne "l'exécrable rivalité
poétique" ( ••. ) nous dit le critique, mais en 1952, il estimera que
"cela n'a pas tant d'im~~tance qu'il peut paraître (Entretiens, p. 82)
"En fait, d::!::; 1933"i1 reconnaissait~non peut-être sans qU21q~e contradiction avec l'idée de l'égalité devant l~ mes~age, que l'hypnose libère les talents et favorise l'essor des facultés qui ne sont pas r.écèssairci.K;:.1t se~l,blaDles chez tous. Ne peut-on craindre,par conséquent,qu'en ce qui concerne la recnerche exp6:rin.e:.1tale le surréalisme n'ai t connu une sorte de dégradation,allant du message à l'écriture automatique et de l'écriture automatique au poème." 3
Alquiéreprend encore dans la définition que Breton donne au surréalisme
les termes: fonctionnement réel de la pensée.
"Pourquoi le fonctionnement inconscient de la pensée est-il dit plus réel que son fonctionnement rationnel ? Comment~ertaines formes d'associations>.)possèderaientelles une "réalité supérieure" à celle de l'enchaînement logique ou de l'attention? On ne saurait, semble-t-il, fournir à ces questions de réponse vraiment satisfaisante,
1. Alquié, Ferdinand, O~., p. 23
2. Ibiè.-.,pp. 37-38
3~ Ib:'..d., p. 38
.r • • :. l' ,.
•
•
",
95 -
et il semble b~en que le vqeabulaire de Breton voula:.t êl:re scientifiqueJso:i.t inadéquat." 1
Poursuivant son étude, le critique not~ la dette de Breton envers Hegel.
"}1ais on sait que la réconciliation fut aussi Je grand souci de Hegel. lIegel a rêvé d'un Savoir absolu,que l'art et la religion annoncent ct pr~parcnt)ct on l'esprit,d~couvrant qu'il e~t tou t:, ,s' ape rcevrai t comme source eommune de la Nature, l'homme et ";c l'histoire des hommes. lei toutes les contradictions seraient surmont~es, toutes les opinions dépass~es c ... ) l'obs+'ination des surré~:istes à se dire ?artisa~s de la dialectique marxiste,a surtout desservi le surréalisme." 2
Notons q~e le dilcmme a ~té relevé ?ar H. Pastoureau aussi. Une des
infl~~~ccs rCiliarquables qui se soient exercées sur Breton est celle
de Jacçues Vach~, nous co~fie Alçuié: ••• "l'incident de la première des Mamelles de Tirésias, C .... ) est sans doute la source de la célèbre aiiirmuï::'on du SE:co~.i ~·lani.ieste: Il.1.' acte surréaliste le plus simple consiste,revolvers aux ?Oi;lg,.s ,à desc;"!ndre dans la rue et à tirer au hasard tant qu'un peut,dansla foule." (~ •. )
1\ Il d Il. Al' - ", Il - t- ~ . emeurc, aJoute qUle, qu e e a e e ecrlte par Breton,et· s'.'1r'corde mal avec son espoir merveilleux n. 3 ,';o;:ment concilier ceci avec le 'positif e~poirlqu'il affiche dans le no 4 de la revue.La Révolution surréaliste: "Nous voulons, nous aurons llau-delà de nos jours. 11 suffit pour cela que nous n'écoutions que notre impiltience et que nous demeurions, sans aucune réticence,aux ordres du merveilleux."4
Alquié note encore en ce qui concerne la psychanalyse:
.... Alr,u~é,
2. n~id. ,
3. Ibid. , 4. Ibid. ,
"Breton a souvent repris à son compte les notions proposées par Fr·.'uJ- en sa théorie du rêve: appliquant ,dans L.es Vases communic;mts :) une sorte de psychan~lys~ ~ l'étrange dtat de rêve éveillé c;.ue ,sous l' .::.;;qire du désespoir ~il vient de vivr-e ûura • .t: ~)lu;-;::',-,urs jours, il emploie les
Ferdinand, OQ. ci t. , i.l • 4'.:-
p. S2
p. 69 p. 71
•
•
96
t~rmes freuàiens de "condensation" ,de' "Jé~lacement" ,de "substitution", l'
1 , ' , ____ ." ' " l,
Certains prétendront' sans' doute 'qu'appliquant, à un état de veille, la'll\éthode instaurée par Freud pour expliquer le rêve ~ Breton s'oppose au dessein fondamental 'de la psychanalyse. Au lieu de vouloir situerl~ pensée onirique ou d~lirante par ~apport à la pensée rationnelle, ce qui est le but de tout psychiatre, ne veut~ il pas.en surréaliste,abattre les barrières qui séparent les deux domaines et faire apparaître le râve et la veille comme deux "vases commuLl.ic~mts"1 1
Le critique dépist~ ici une c~ntradiction qui existe au sein même du
co~cept è~ l'i~agination surréaliste:
'\
1
1
\ 1
1
"Dès lors le surréalisme com,ptant.., à l'inverse de Valéry, "sur le débit torrentiel de l'écriture automatique pour le nettoyage définitif de l'écurie littéraire" et voulant "ouvrir toutes
, f' . ',' , grandes les ecluses~~' ne pouvait l)l8.llquer d'apercevoir que la théorie qui accorde toute réalité à,l'image 1
est plus entière, plus décisive que celle qui voit dans l'image l~ produit de quelqùe inconsciente raison!" 2
"Je crois néanmoins\: ajoute Alquié, "qu'en leur esprit les deux conceptions de l'imagination qui inspirent le surréalisme sont radicalement opposées, l'une étant' l'expression d'une sorte de naturalisme cosmologique, l'autre d'un humanisme!' 3 Quoique reprenant une tradition qui date du romantisme.~/.une fois encore le surréalisme" par le nécessaire dévelo?pement' de la part de freudisme,et donc de rationalisme critique,qu'il ~,accueillieJse sépare du romantisme." 4
Mais, en faisant, sien ce" côté rationnel , le surréalisme n'aurait-il
pas dévié de s'a véritable vocation? C'est ce que se demande encore F.Alquié:
1. Alquié, Ferd~nand, .2l!.. ci t. pp. J. 7 4 - l 75
2. :bid.,pp.,,177·.178 , "
3. ~., p. 178,.
4. Ibid. ,.p. 1:79,:,: ;' r
'1. :J'" ... "t, ... , .. f
•
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;": .: .::'.I~ :;~;.:~.," ., ", 'l"'· :", ' ,1:;'
,:,,:f,/-' - 97 -
"11 est malaise:, G.e faire au rationa1:t,sine sa part. Le surr~alismcJPour ~voir introduit en sa . concept~C>~1 ~:'.:: .1.! ill1él[;in.:otion un élément de conscience cr:ti~ue, n~ va-t-il pas €trè' contr.:J.int de renoncer à soa projet fondamental, et de justifier. l'activité scientifique et technic:f.e:me ,seule voie Jau stade, de la connaissance objective,par laquelle l'imaginaire puisse devenir réel ~ Il 1 Il Et le surréalisme " ' pouvait-il légitimement déptlSSer cet automatisme J
qui négligeant toute réfle~ ion et tout libr,e, projet,laisse s'eÀ7rimer en nous. une activité purement naturelle ? Il 2.
A cette question, le critique répond lui-même par la suite:
liA vrai dire, la difficulté,en ceci.,estanalogue à celle c:.~, ~·c:1contrait Bergson lorsque) presscat<ln.: que ].'j,astinct animal contenait le secret d~ la vie, il devait reconnaître quel ce secret l'i~~tinct l'ignore, puisqu'il est inconscieat. Dès lors, la révélation ,du secret ne peut être attendue que d'une mystérieuse i:lüill~nation Ge l'instinct par l'intelligence elle-même. D.:lns le surréalisme, on voit aussi la connaissaace claire tiller à la recherche de l'en-deçà, se préparer à .1 'accueillir; l'en-deçà vient',de son côté J troubler notre claire vision positive. Mais quelle que soit la voie suivie] que l'on aille du réel à l'imaginaire ou de l'imaginaire au réel, il demeure que l'illumination suppose la mise en ra~port de deux domaines,et naît de leur rencon t re. Il 3
"La conscience surréaliste est donc avant tout relation et naît toujours
d'une mise en relation~ (Point du jour, p.78)
Alquié repren~ici l'argument de Paulhan, fait une mise au point:
". "le surréalisme ,s'exprimant par des mots ,est art littéraire;'il veut prendre le langage à sa source et le mener à son total épanouissement, il préfère le message verbal aux images visuelles; l'écriture, pour être automatique, n'en demeure pas moins écriture.
: Mais il suffit de comparer ,par exemple ,les préoccupations théoriques et gra~~aticales de Valéry et les souci$ ,de Breton ~)Qur rr.esurer leur différence •
.... J.:lçuié, Ferdinand, Op. cit. ;,J • 182 2. Ibi.d. , p. 187
3. Ibid. , p. 187
, "
,
• !'
98
"Gne plus grande éraancipation de 'l'esprit et 110:.1. une plus grande ':;e::.-fection formelle doit . " dc;;;eurer l'objectif p'rincipal",. écrit Breton. 1
1
Poursuivant son ~tude, le critique diagnostique encore une faille dans le
choix des mots chez Breton.
"En 1924, Breton définit la surréalité comme «u:.1.e sorte de réalité absolue» ~1ais l'absolu est précisément ce dont on ne peut parler sans le rendre relatif au langage. A parler de l'absolu,on retombe nécessairement en quelque
1 "' "2 re ~g~on; ...
Enfin, Alquié fait une synth~se des contradictions:
"Il Y a cruelquc :,ara':ûxe à user des procédés (~~ sp:"ril::"s:::c: ::;:.:..ns .::roi:-e au raoins au principe dl~ <.l:):':": ::isme, ~ c::1?loyl.Ô!r le langage de l'occult:'3:r.C s.::.1.S aé:,C:C2:- ~ ::ion inspiration, à vénérer l~s ,",:~h~:"3;:it::'(,:-"s 5':':'::S syr •. pathiser avec 1 'hommage Ulalad:Loit c;.u':. ;:::~vers leur appa:-ente puérilité la co!'..sci.ence de :':î()::-~"7.e :-end à l'inconnu, à accomplir) eniin)la démarche de la métaphysique en r&~enant son évidence à celle de la seule beauté." 3
Et là il note le paradoxe qui a marqué l'attitude même du surréalisme,
celui-ci ayant opté pour une dialectique contraire à son aspect existentiel:
"Libérer 1 'honime rut touj ours le but du surréalisme. Est-il besoin d'ajouter que,devant le nazisme menaçant ,au sein de la France opprimée, le problème de la libération de l'homme ne pouvait être résolu par l'écriture auto;llatique, mais de façon plus précise, urgente, aiguë, par une prise de position politique et U:l appel aux armes." 4
Antonin Artaud, en l'occurence, n'avait-il pas taxé les surréalistes
(orthodoxes s'entend) de"révolutionnaires qui ne révolutionnent rien."? 5
..... Alr;,u:lé, Ferdinand, Op. cH. ?- :'96
2. ~, .. ~., p • 200
., :::bi,à. , p • 211 .J.
4. Ibid., p. 220
5. :~adeau, Maurice, Oj2.cit. p. 270
,~
•
• . ;:,"
'-'hl ;.,. . .
' .. 99
Ceo~ges Emmanuel Clancier
D;l~-:'S son livre ir.ë.,~t:ulé ne Rimbaud au 'Surréalisme -Panorama
crit:':'qUQ, Georges Er:lm.:muel Clanciernote, avec un sens aigu de la critique "", ' ,.
qU,elc~ues contradictions inhérentes à la personnalité de Breton et à sa
co~ception du surréalisme:
"L'auteur de l..'lntroduction'!lu discours sur le 'p'eu de réalit6 fut toujours plus apparenté aux voyants qU'3uX dialecticiens. S'il emprunta parfois le langage de ces derniers, ne fut-ce pas par nostalgie de ce qu'il n'était pas, de même que s'il se montra si nttentif à l'humour voire si subjugué par ce,lui de Jacques Vaché, ce put êt~Q à cause de l'irrepressible attrait d' l;n sentiment étranger à sa nature.
«<Et bien 'Il;(2. vous ne conceviez }'Umour qu'approxiJ,~a:tivemcnt)}J lui écrivait ~acques Vaché)." 1
It:e. surréalisn~e qui se voulut si fanatiquei11cnt situé à l'6ca~t de tou~e préoccupation d'ordre moral ou est:-;,~tiçue au,,:.;. ".Jel et bien"à son insu d'abord, ensuite sans tout a fait l'avouer mais non sans le
.savoir,institué une esthétique et une éthique qui poussent le ~·omaL.cisr:le à ses conséquences extrêmes." 2
Si Breton considère les images surréalistes comme ces "images de l'opium"
sur lesquelles la volonté n'a plus de force et ne gouverne plus les facultés,
pour Clancier la chose est différente:
"A,.mon sens ,la création poétique de l'image doit . être plus cOl;tplexe que ne le pensent,ou feignent de le penser Valéry ~ussi bien que Breton ou encore Reverdy, chacun d'eux sans dohte'voit juste mais l'image efiic3cc)::ayonnante-conunë un être vivant;procède vraisemblablement p",r subtiles échanges à la fois de données conscientes
1. Clancier,' Gèorges' Emmarn.~e.l" De f\·~.b~\~:(! au Surréalisme, Panorama c'rÎtique, Pari..s~ Seg-hers, 1959, p. :)j-'.J
2. ,~b.f.d. , p. 339 ';.::"
,'P"I '; ~. :; .
. . ,~, , . '.~.> :.~/l/I~::'~ .',',
•
" , :'~I: :,"/
- 100 -
.::t de données inconsci~ntes,qui font qu'en (.:'::::::";-.i~::ve e.:ï..lc .::.. la particularité même du ,)0~;:e 'lu::" 10:. crée et pûr ,elle se recrée,et l'u~iversalité qui la rend pour nous iJl'ù.:ninatrice." l
A cette autre ~ffirmation de Breton
Il L'image la plus forte est, celle qui présente le degré ci' aroitraire le plus élevé." ( ... J
Clûncier r6pond:
"A.rbitraires soit, cependant ces images ne nous touch~ut que lorsqu'elles sont portées par ll .. jaillissement qui lui n'a rien d'aroitraire et qui impose son unité non pas foriTLclle mais fondamentale au poème, '~ .• 2
1. Clancier, Georges Emmanuel, De Rimbaud au Surréalisme, Panorama critique, pari~, Seghers, 1959, p. 340
2. Ibid. -" :
"
•
•
"', ,.
~Ol·-
Michel Carrouges
~ac~el Carrouges, un des critiques nettement sympathisant de , ,
Breton no~e ~algré tout dans son étude 'André Breton'et'les données
:c:",da;:;e:1~2.lC!s du surré.:::J.lis:ae une série de paradoxes.
Pou:.' co rr.:::encer , la cor:.t:::-adiction qui résulte de la collusion
"Ei.-:' :112i:-;'2 ~~r::'v,:2 n'.rx::'s te, il (Breton) avoue le ::,oC::.: çü'::'::' ::i ?our ies romans noirs et les longues quêtes qu'il entrep:::-ead dans Paris pour les co::"12c:io::l:1er:plUe:a GC ,Plus excitant, écrit-il J' Gar.:; Vases c.-.. ,:;Jnic.:1l1ts que cette littérature ultra-românesqL2,archi-sophistiquée.~ " 1
lui qui certifiait ailleurs être contre l'érudition et même contre la
culture •
Venant à la théorie des grands transparents dont parle Breton
cians ses ~fanifestes, Carrouges ajoute:
"Notons en passant ce que cette vue a d'insolite dans le surréalisme et à quel point elle détonne avec le prométhéisme de Breton." 2
Puis il enchaine:
1.
2.
3.
"On peut s'étonner que Breton)dans son texte sur Les grands tr&nsparents,ne donne d'exemples de leur liaiso~ avec le hasLlrriJque tirés des manifestations du hasard noir: cyclones, guerres peur. Serait-il donc tenté de les considérer comme maléfiques ? Ou bien s'agit-il seulement d'une lacune dans son choix d'exemples, lacune qui resterait sans signification et ne mériterait pLlS d'être considéré comme un acte manqué~" 3
Carrouges ,Michel, O? cit. , p. 48
I~id. , p • 63
Ibid. , p. 67
•
.' '. 1.1:
,,~,;) .. ~u;:~.r.' ~):.~j" ;::L !',.'.~
,': t:.
, ' n ,
" - 102. -
Reniant plus loin l'originalité du surréalisme,en ce qui concerne
l'écritu~~ auto~~:i~ue, Carroc3es cite Diderot, Henri Ghéon, Goethe,
i.UD:,e, Knut Ha:nson corr.;ne ayailt èéjà utilisé' un certain automatisme ~. ,. \ :
çuant à l'écriture.
Citant ensuite .... ~ f,,:', ;ux conseil, de Breton pour forcer
l'inspiration: "Si le silence menace ••• ramenez l'arbitraire en posant
la le t t re L ••. Il 1 Carrouges ajoute:
••• " pour ' adme t tre une grande divcrsité d'expériences toutes valables et enriC~lissantes à condition seulement qu'elles soient garai1':'~.:!s par la loyauté des intention!';, le refus opiniatre de toute compromission:" 2.
Le cri~i~ue fait encore une mise au point intéressante:
"Bre~on par eX.3:nple. re:-Jroche à Freud de n'avoir p2.S :"<2::vers0 cor::plètel:lé:nt le mur de la vie privée et d'avoir ~estreint la compréhension de certains r~ves ra?portés dans la Science des rêves <!ll
SI abs tcr:...ii.'lt de raconte;:- toutes les scènes de la vie. de Freud qui se. trouvaient à l'origine de ces ~grnes songes. Kais 3reton,à SOil tour)néglige de dépeindre la scène infantile dont le rêve de la cravate "procède trè.s vraisemblablement 'P0nr une part". Il indiqueJil est vrai)que ce rappel"ne présenterait ici qu'un intérêt secondaire". (Vases communicants, p.54) Mais y a-t-il vraü~:":i1t' Jes considérations secondaires en pareil domaine,quand il s'agit de rechercher la moindre bribe de lunière pour éclairer le grand continent englouti?" 3
En passant Carrouges mentionne cette remarque de Georges Mounin:
"Le' surr~alisme pérern!,)toire des années d'apprentissage> écrit-ilJprétendait«échapper à la censure du réel et de la raison,non pour fuir la pensée et la réalité) mais pour les saisir sur le vif»CHugnet, Introduction
,à la petite Anthologie du surréalisme). En fait, c'était i" troduire dans un débat capital une confusion de plus: La co .... n~.:~é;,;,i.nce poétic~ue dans laquelle
.,':
1. Carrouges J l'ti.cbel, OP. ci t., ;). 195
2. Ibid. ~ p. 20~ ':'
3.' ~lbid~,' 'p." 2.6:3'.;'!:' t ' •• ':i
.'j.
,"
•
• , '.: l' :, . ~ ~" ,
: ~~':Y~l:_ ,~.j .... , ,:,~. .'
103 '-
c~tra!nent si loin les surréalistes n'avait .:lJ,::ùlur.1ent ri~n de commun avec la connaissance .scic:l::if~çue ct la réalité qu'ils tentaient de s~isir.n'était pas la même que celle dont s'occupaient les savants~" l
Carrouges relève encore une erreur du surréalisme:
«Le surréalis:ne a cru su'il était anti-rationaliste parce qu'il Gtait n-rationaliste;cédant à la v~eille i.r.patience qui veut tout. rédui~·e à l'unité et à tout prix,il n cru que, puisque l'esprit ne peut prendre une ai: .. ure irrationnelle, il doit abandonner a ~.:l~ais la ~Grnarche rationnelle. Bref, une fois encore, ::"1 a cru çu'on résolvait une antino·i:ie en annulant par décret l'un des termes.C ••• ) Breton ~ui-m€me, au terme d'une analyse excellente, ne sait pas l'éviter lorsqu'il affirme qu,u6ripeut
Isystématiquement, à l'abri de tout délire, travailler f - - ..... -. - , ; à ce que la distinction de l'objectif et du subjectif'
( perde de sa valeur e:t de sanécessi té. tI~2 1
En:in une d~rnière remarque du cri~ique:
"Nais n'y éI-t-il pas contradiction entre ces deux taches? Celle d'ouvrir le puits de l'ab!me pour libérer d.::ns le r.:onèe la puissance l:'ée1le des mythes et celle de d0scendre dans le même puits pour retirer aux puissances souterraines leur empire." 3
1. Carrouges, Michel, Op.cit., p. 301
2. Ibid., .p. 302
3. Ibid.,pp~.326 -.327 : ~' ..
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" .' 'f' \,~ '.' ,
.. . ': ..1;.1 .j l ,': ! \.~ ,'/1 ~ :\.
," i':' ._,~'.,::.1,,~·',::.::::;:·,:.!: ,,:i'
•
•
.:. '.' .1.
104 -
Y,ichel Sanoui1let,
D~ns son imposant ouvrage Dada à Paris Michel Sanouillet jette
une lumière intéressante sur certains angles insoupçonnés du surréalisme,
nota~~ent sur la tentative de rapprochement entre Breton et Freud:
Breton ad;net lui-même.~voir été 1 r élève du neurologue Babinski (Joseph) chef de clinique de Jean Hartin Charcot: "'Je garde grand souvenir cl" :.'illustre neurolo,c;ue pour l'avoir, en qualité d\interne provisoire», assez longuement assisté
dans son service de la Pitié ( ••• ) et à ma manière, j~ crois avoir tiré parti de son enseignement) ut:q~:cl rer:.d hOl.1::l3gc 1& fin du premier Nanifeste èu SJrréalism2.' Or les théories de Babinski s' u, :JOS;;Ü0:::: rudic<:,;.err:ent aux idées de Charcot) r~i al:aJt l~ncer ~reuci sur la voie de la 'PSyC;1C.l"i.C.':"Y,b~ •
•. :Ricn ~c té~oi~ne dans ses écrits a:1t~::-,;,.,-~~·" '::2 cc::te« •. è;niration enthousiaste~ ç .. ':'l .:.'ciir;:-,e. .:ivcir portée à Freud. Au contraire, .... ~~ visi;:.:;"çu'i:' ciev.::;,it: f.::.ire <:u célèbre psychanalyste en 1921~se solda par un fiasco des deux côtés: Breton en püblia cluns Littératüre (deuxième série no l, Nars 1922, p. 19) un cO;:J,pte-rendu féroce et Freud fut toujours 'tr~s. réservé à l'égard de son jeune interlocuteur. Cet épisode enlève toute créance à la doctrine d'un Surréalisme solicie;ne~t fondé sur les thèses freudiennes." 1
Sanoui11et nous prouve par ailleurs que même dans sa recette du faux
roman, Breton n'aurait pas innové:
"Du reste la mé;,:hode ;r.C!f.1C des "associations libres" . était bien antérieure a Freud puisque dès 1823
1 ' écrivain alleiliaod Luô.,rig Borne ) ami de Heine.) en avait résumé le principe dans un essai intitulé . Comment devenir e;: t;"O,:'s jours un écrivain original: 'Pre~ez ç,.,';qU(;':; ':euilles de papier et pendar.::. trois ~.)u~.:; •. ~,·-:i\'èZ, sans le dénaturer et san,j l;.y~-'ùC';::~G::',-~ ,tL'I.~ .;..., -;,.i, vous passe par la tête •
.... Sanouil1et, Michel, O;~. ~:.,:., ;1. 12.6
•
• -. . ',1 'l
j .. ~,i'/, ... ,i
.:. 105 -
Ecrivo::!z ce que vous pensez de' vous-mê.me, de vos 2cnu-:;es, è~ ln guerre turque,' de Goethe, du jugement d.:!rnier, 'de vos supérieurs. et.) .:.u Dout de t~ois jours,vous,serezstup~fait de voir combien de pensées neuves, jamais encore exprimées, ont jailli' de vous. ' , Voilà en quoi consiste l'art ,de devenir en trois jours un écrivain or;lginal.' "1
Sanouillet met encore l'accent sur le but positif que Breton a voulu
greffer au nihilisme dada:
tes Dadalstes se soat demandés dans quelle If.esure ( ••. ) r'en codifiant, à partir des données séduisantes mais sonwaires)les principes de la révolte poétique, Breton ne contribuait pas à "vulgariser" une caricature de Dada. A vouloir aihsi r.:.ti()~l3.liser l' irra::ionnel,ne risquait-on ?'~;::' cie dés<:::~(" .. :=cc:::: la bOïl1be dadaïste,? En d'autres tc."--mes, le Su::-r6.::.lisr.;e n'allait-il pas émas culer Dada et pe::.~~ettre au:-: id~es esthétiques qui ét~icnt les siennes cie s'intégrer dans l'heureuse tradition de la litté::-ature 'littéraire'. Il 2 (Entretien avec T.Tzara, 7 juillet 1959)
Par la suite, le critique a su avec clairvoyance faire la part des
choses:
"La responsabilité du Surréalisme se trouve ici engagéelqui a condamné Eans appel les bouleversements introduits par Dada)ne voulant ou ne sachant y voir que des ~artifices~ des·coquetteries~
( ••• ) ~e Surréalisffie, c'est justement Dada sans le rire." 3
Bref, ~les critiques ayant dit leur mot, libre à ,chacun d'approuver
ou de rejeter ces arguments; il n'en demeure pas moins qU'ils mettent
l'accent sur le droit à la 'contradiction, dogme cher à Breton •
. ' 1. Cité par Cobore Pierre et ::-epris pnr Sanouillet }'dchel, Op.cit. p. 127
2. Ibid~» p~ 4'26 ," , ·f
~;'. ': ,f
1.' ,", . .' . : : 'i ", ~ j' .' • '. :'!, \ .:' ! 1
- :'06 -
CO:\:)':2.\X'"~::: ::':~\,,;?~ .'.:·~D~E BRETON ET GEORGES BATAILLE; LE
SLR.\.~ALIS~:::: A':.\XT OPTi~ POUR mm DIALECTIQUE CONTRAIRE
A sax ASPECT EXISTEXTIEL
~ous avons dé~à vu, lors des violentes excommunications de
Breton, c~rtains dissidents se réunir autour de Georges Bataille,
-soit Desnos, I..i~lbour, VitrQ.c, Préve.rt, Ribemont Dessaignes, alors que
le c~~f ~alliait À~agon, Ll~a~ci, U~ik et recrutait des personnalités
ér.:i~'..~nte:: ?o~r ra<.'.rquer J..", r..O~V2;;'.ent telles que Picasso, Derain, Dali,
• C'est là c:.u'une .,,-,t:.:e ëistinction se fait entre deux pôles de
l'esprit surréaliste. D'une ~a~t, ceux qui,rejoignant les para-surréalistes,
ont refusé to~te ~u~ière pu~licitaire incompatible avec leurs aspirations
profondes; s'attachant ~ la gra~uité de la révolte, ils se sont séparés
du surréalisme bretonnant qui se sclé~o3ait pour s'allier à Bacaille.
D'autre part, ceux qui. se sont laissé prendre à leur propre jeu ont fait
avec Breton oeuvre surréaliste persuadés ou non que sur terre existe
"le paradis perdull•
C'est dire les deux longueü~s d'ondesqui différencient Breton
de Bataille, non pas quant à la révolte elle-même, mais à l'aspect qu'elle
revêt. Dada était existentiel, Bata~lle l'est aussi; il adopte une
at titude purement exis tentiel :.'-: vis-G-vis du surréalisme. Conscient de
•
•
•
'" - 107' -
l'.:! t~rr:..;.':':~ c,';,~ii.::ion humaine, il ne cherche ni à se leurrer, ni à
;:'OU5 loi!llr'1:'':'~' -:':1. r.ous gargarisant de mots absolus.' Son ambition se , '
limite ~ vouloir ir.~ell~ctualiser le plus possible les instincts de
. l' ..... nO';i:l1è. ,;:
Breton, lui, veut introdu~re dans des attitudes existentielles
d~s explications qui se veulent rationnelles et c'est bien là son talon
ci'Achylle: la di.:üectique r.e peut entrer dans le surréalisme, c'est ce
qui expliqu~ ~ussi la h:~fiance 2es marxistes vis-à-vis du surréalisme.
Peut-~tre y ~-t-il ~Iautre part chez Bataille parti pris du
:::or~:':'ëe) .::e q..:..::. E:"c::,o:l :".c m<::H::ue p.:ts de lui reprocher:
":'1 c.~~ ~ l. r(:.:::.:lrc.:uer c:ue ~1 •. Bataille fait un abus Cl;_:":"~~:-lC é.cs .:.l~~~ctifs ; souillé, sénile, ra:lce, sor':':"'':'8, (:,;:·i11;.1:::':', g:teux, et que ces mots, ::"0:':1 ':2 ':ui s(;:,vir à 2écrier un état de choses insu??orta~12sJsont ceux par lesquels s'exprime le plus lyriquer.:ent sa délectation." 1
On comprend qu'un tel langage contraste avec les propos clinquants,
brillants, cristallins de Ereton.
"On rencontre(chez Breton) une symbolique plus aoondante encore,du blanc, du lumineux, du solaire, du cristallin,qui dessinent en filigrane dans sa poésie le même mythe Je l'homme transfiguré en être de cristal et de lumière que chez beaucoup d'autres poètes modernes." 2
!1:ais n'y a-t-il pas alors mauvaise foi de la part de Breton quand
celui-ci accepte dans ses propres rangs un Hans Bellmer, auteur de
1. Ereton,André, :t-~anifes::es dt: S\;1·",~;1:.j~3~~(, (e:x:tr~its du volume collectif), PaTis, G-afÜ;, .. ~,~~---.L9G·G~--p=-·14ï
2. CarrOl~gac) ~chel, QJ>.. c::' t .• ). '.t:)
•
.'
•
•
" - 108 -
--'
Il tout ~. ~.'''' .... "l h.t...: ......... \,; poivrée à la louange des petites filles goulues" l . de
1I1a ;?OU?.s~1I dO:.1t H'aldberg donne la description s.uivante:
liCe mannequin de petite. fille souillé, mis à mal dans d2s postures provocantes et cruelles, inspire une sorte d'horreur fascinée C ••• ) décrit le tourment sado-masochiste d'une âme proÎondément obsédée.". l
••• U~ Toyen, un Victor Brauner dont l'oeuvre exerce sur le mage
2 "un pouvoir inconscient" , un Oscar Dominguez ••• bref, autant de
~::-':::':C.: ~ssay.:: d'autre part cl 1 él;>pliquer à sa dialectique
~atéri~:~ste cl~s idées ésotériçues) il tente d'expliquer une symbolique
Je L.1 C:i.:i.:'c:c:':ic:~0.. :.~ encore il n' ,::,v.r.:lit pas i:.1nové: cette façon de
t:::ava:;'ll0.r la di.::..lectiqu..! il la Sé:uce Q'::: l'ésotérisme appartient déjà
à Gaston Bachel~rd philosophe freudien et phénoménologue. Le problème
de Breton'réside dans le fait qu'il s'efforce de donner une structure
philosophique à son surréalisme. Il est contré par Bataille qui, lui,
intellectualise des évènements existentiels. Breton emprunte une
dialectique marxiste, hégélienne. Les vrais surréalistes, ceux qui ont
été conséquents, ont tous adopté une attitude existentielle, à en juger
par les nombreuses tragédies qui se sont abattues sur les rangs
surré~listes: folie, auto-destruction par l'alcool, l'opium. Cette fuite
dans "les paradis artificiels" toutes ces vies frénétiques témoignent
d'une volonte luèiférienne de briser les limites de l'ho~~e afin de
conquerir la liberté nostalgique qui est le fond du problème humain;
1. Wa~dberg (voir chapitre H<1r: r, L.::ll;r,cr), Le Surréalisme, Genève, Skira, 1961
l ' ••
2. Breton,A.nd1;é'~ :in' Wadeau) !1a\\r1.l:c., "p.eit., p. 396 l',' ,
• ',' "1".
". 'i.:- ....
•
•
- 109 -
l'hù~~le poussé jusqu'au bo~t de ses li~~tes, viole, brûle, tue; il
l~ i~i: sous une i~pulsion rac~~:e, l'amour se retourne contre lui-
~âi:~~. c'~st là un aspect du surréalisme'.qui rejoindrait Bataille. Ce
qui les différencie, c'est que Breton rationalise à partir de données
~xt~rieurcs, Eataille,lui, polarise toute son intelligence sur ses
insti •• c.ô.:::; ct tire le maxim.um d~ jouissance de son existence. B'reton
voulant ~xpliquer ses positions occultes, fait intervenir, pour comble
d'i:T.posture, l~ t2.rot. H~lë.bc::g a C:':::jà noté dans Le Surréalisme,
::'cl:'t:"on S:d-:-~) les divc:":;c:nces d' o?t~c;.i.le qui placent tout un monde
r;~~re::o;"1. e:: :)~tz,:::'l::'C!, de.ux pôles de l'esprit sur::C~lis::e ;.:~i ~~':': s'est manifesté jusqu'à préS~l"1.t, :':'rc:ton rêvd.~·.:: de. palais enchantés ccns t rui ts à :;:-l.:.!lC ci' .:1bîr.,e ~n pierre philosophale" est accueillant à l'utopie
j"au ,aradis sur terre", tandis que Bataille.) surréaliste noir, de catastrophe,s'exalte dans un mysticisme de l'inespoir où la conscience de l'absurdité humaine est la source d'une joie hilarante." 1
Breton et Bataille se sont d'ailleurs réciproquement pris à diatribe.
Bataille a été violemment attaqué dans le Second Manifeste:
"H. Bataille fait profession de ne . vouloir considérer au m.onde Ciue cc qu'il Y a de plus vil, de plus découra;eantètde plus corrompu et il invite l'homme,pour éviter de se rendre utile à quoi que ce soit de déterminé,«à courir absurdement avec lui,... les yeux tout à coup devenus troublés et ch;:;~'gés cl' inavouables larmes _ vers quelques provili.ciales maisons hantées , plus vilaines que des mouches, plus vicieuses, plus rances que des salons de coiffure~~( ••• ) Le
J... Hald":ieTg, Op.cit. p.
•
',h~F;:?,' , "f,;:,'j" 110 ;.:
"
malheur pour M. Bataille est qu'il raisonne: certeS" il'raisor1!1e, comme qùë~qii'un-,~qut a' 'une moüëhé-'sü:r-le ·'nez', c·~.qûi·"':J-e' rapproche plutôt 4u mort que du ~iv~'t:":·t; l, ' .', . ,
,; . _ .. ',' .
ün autre :lrgur::..:::nt que Breton emploie contre Bataille: '
"Lui qui )durant les heures' du j'ourJ
promène sur de vieux et parfois charmants manuscrits d~s Goigts prudents de bibliothécaire (on sait qU'il exerce cette profession à la Bibliothèque Nationale),se repaît la nuit des i;nmondices dont,à son image)il voudrait les voir chargés." 2
Or, cet argument est sordide, ét;:;,nt donné le travail de Breton à la
~RF (dont Sanouillet nous parle et que j'ai mentionné précédemment)
et sa passion J T éi.:::'lleu::"s avouée! de IIf:.l~eteur d'antiquaires".,
.D .......... ~ "1 - 1 h..... ..... . 1 e sc:"!. CO,-", ••• G.~.ns Le ion c atte, pa~pn et d'~rigG contre B-.:eto'r. ap::ès la "parution du seccnd r'ia:1if2.s te, Bataille ne se gêne pas pour qual:::'~ier 3~~ton èe~vieil esthète~ dC!~fat:x révolutionnaire: à tête de Christ»"3
Quoique ayant diagnostiqué chez Bataille "un signe classique de
psychasténie", Breton contribue en 1935 au manifeste Contre-attaque
animé par son adversaire; mais cette tentative de rapprochement ne
réduit pas pour autant la profonde divergence d'optique qui les sépare.
Car, si pour Breton la continuité se trouve dans l'Amour fou, l'être
humain étant en ce monde à la recherche constante d'un complément' au
point que "l'un sans l'autre appar.:lÏsse le produit de dissociation,de
4 dislocation d'un seul bloc de lumière."
1. Breton,André, M.:nifestes dl: sn'" ",1 J,::'s:ne (extraits du volume collectif) Pa::::is, Gallimard, 100:;:- p:J144:- :-15 -"~"~
2. Ibid., p. 147
3. IJatâil1e,Georges, in Jonc:;,::':;;::-':', 9':'Lcit. p. 85
4. Breton,Anclré, Arcane "...7, Pû-;::i::;, i.'~",v~rt, 1965, p. 27
" '
•
- III "
Pour B~taille, la continuité se trouve dans la profanation,
le sacril~se) le viol des gra~ds tabous et par là, il rend dérisoires
les petits scandales organis~s des surféalistes ort~odoxes. La
pro?osition de Bataille semblerait en effet absurde aux yeux de tout
?rofane :"1 r i:1terdit es t là ?our être vio"lé".
"Pour l'être ivre de liberté, la possibilité de . të~ms.;:~ession v.:!:-,.:.;:~ à manquer, elle ouvre e·::1.: L: de 1.:1 ?Toù';-"l::ion. La voie de la déchéance o~ l'~r0tisme est jeté à la voirie est alors pré:érable à la neutralité qu'aurait l'activité se:-.-uell·::! conforw.e à la raison, ne déchirant plus ~i~n. Si l'interdit cesse de jouer,. si nous ne croyons ?~us ~ l'interdit, la transgression est i:;~i)G~·.:..i':.,~ .:.:" :;;;;:,:.:..S t=.n sentiment de transgression est J;lai;'1 ... 2;,i.U sri::' le faut C:ans l'aberration; seule un2 v~ûlence insensée brisant les limites d'un mon~c i~r6Gucti~le â 'la raison nous ouvre à lil contint=.it.:!. Il l
En ce sens, Eataille a pou~~~ ?lus loin l'expérience intérieure que
tout le surréalisme bretonnant! La dissenssion qui oppose Breton à
Bataille serait analogue à celle qui s'est interposée entre Dada et
le surréalisme, Dada ayant été un ~ouvement purement existentiel:
"rI n'y a aucune base commu:J.e dans les cerveaux de l' humanité, l' inco~scient es t inépuisable et non contrôlable.
Le beau et la vérité en art n'existent pas; ce qui m'intéresse est l'intensité d'une personnalité transposée directement, clairement, dans son oeuvre, l'homme et sa vitalité, l'angle sous lequel il regarde les él~~ents et la façon dont il sait ~amasser dans le panier de la mort les sensations et les émotions, ces dentelles de mots. Dada est un état d'esprit. C'est pour cela qu'il se transforme selon les races et les évènements. Dada s'applique à tout et pourtant il n'est rien.
1. Bataille;Georges, L'Erotis~e , ~~ri~, les Editions de Minuit, 1957, :p~ 154::
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•
· .... 112 -
Il ~st l~ point o~ le o~i et le non se l:"i:contrent no:1. p<::.s solc:l.llcllement dans les châteaux Q~ philosophies humaines, rotiis tout si;:n.?lemen~ tiU coin des rues co;r .. -:-,e les chie:.1.s et le~ sauterelles." 1
1
Et sur les traces de l'existentialisme dàda:
"Le principe du r,'fus surréaliste est affectif et vécu, il est protestation de l'homme tout ent.i.er)et décision de détruire C03 qui le contr~int à le limite." 2
Par conséquent, ceux qui voul~ient rester fidèles à ce principe de
refus se devaient d~ r8jeter tout caùre. Tzara l'avait bien expliqué:
"1es v:~2.is c.l~ù:-,s ~t<.:':'2nt toujours séparés d~ Jaia.Cc~x po~= ç~i JaQ8 était encore ~sscz impo=~~~: ~G~= 5
12:1. séparer
ü=t;.yi1:·.:::l;::;:·.·~.:. 1 ':'f:;is::;~::':',mt que par un besoin ~:2 :,·~:cL" .. :-::ë p'-::~:;o .. :, .. elle c~ p:.:ouvaient que les f~ux ~~:.1.n~y2urs S~ son~ toujours =.:.u'::il~s co::-.::t..:! '::cs vcrs i::;:-wndes parmi :~S plus pur8s e: plus claires entreprises de l'esprit. 1I 3
Or, le surréalisme de Breton s'étant posé en mouvement anti-art et
anti-littérature a, bien qu'en biaisant, renoué une fois de plus avec
la longue tradition artistique et littéraire. Bataille, lui, en marge
du surréalisme, s'est posé en existentialiste:
"L'équivoque philosoj1::i.que du surréalisme consiste à n'avoir ~oint voulu s'admettre en dehors G03 la dialectique dans le faisceau des comportements qui n'autorisent guère l'homme à voir très ::"oin au-delà de lui-même." 4
Tant qU'il Y aura des horrmes attachés a l'esprit, et d'autres à la lettre,
se renouvellera l'opposition Dada vs. Surréalisme, Bataille vs. Breton.
Tzara,Tristan, ~ry.cit., p.
2. Alqu~é, Ferdinand~ Op.~it.
3. T~ara. Tristan, Op.ci~. ~.
4. Jones,Henri, Op.cit. p. 133
~j. 72
135
'.
113-
• Kéan;;":oins, pour tot:t considérer, reconna;i.s~ons que ce côté toujours
positii de 3::::c~on aura permis d'entreprendre "l'historique de • '. ,l,'
l'exploratioa intérieure". "Sans lui~ nous affir~~ Henri Jones, ilIa
psycàanalyse n'aurait pas~comme elle i'a fait, pris posse~sion de la
littérature ni cl.::. l'art." l
A en juger d'après les nombreux mouvements issus du
surréalisme et qui à son exemple remettent en question le langage
en l'occurence les Babéliens qui,embrassant un champ de vision plus
vaste, et non co~tents de jongler avec les mots,font appel aux différentes
langues, on peut prévoi:::: que des recherches intéressantes verront le
. . j our à cause, ou grâce, au surr~alisille, 'cette fois orthodoxe •••
• Pourquoi i?ë:S ?
"Tout mal n' .::.r,~ènc-t-il pas avec lui quelque bien 711 nous
enseignait le sacie L. va~ Beethoven.
1. Jones ,Henri,' O~~cit. p. 134
•
•
~ ..
,. "'.;'
•
•
"Tant qu'on est inqui.et on peut @tre tranqu:Ule."
Julien Green
LE MYTHE D'k~RE BRETON A GRANDEMENT PROFITE DE TOUTES
CES ATTITUDES CONTRADICTOIRES ENCOURAGEES PAR UNE
BOURGEOISIE DESOEUVREE NE CRAIGNANT RIEN TANT QUE LA
REVOLTE SURREALISTE, REVOLTE D'AILLEURS SANS CONSEQUENCE
Si l'on en vient à l'évidence on constatera que le mouvement
Dada a pri.s naissance à Zurich en Suisse, un des pays les plus bourgeois,
les plus conformistes; et sur ses traces, le surréalisme ne s'est
développé, n'a trouvé le climat favorable à son épanouissement que
dans les pays d'Europe libre et aux Etats-Unis. Bref, "dans un contexte
social capitaliste judicieusement protecteur" c'est dire conune fait
remarquer Henri Jones
... "que la lutte de Breton ne fit p~s tort au Capital et même que le Capital chérit depuis toujours cette sorte de révoltés envers lesquels il s'avère compréhensif quand ce n'es t pas magnanime." l
D'ailleurs, lors de l'exposition universelle à Paris en 1937 le gros de
l'exposition était sous la régie du fonds populaire; et alors que la
politique allait à gauche, l'art s'enfonçait dans un embourgeoisement
sans pareil •
1. Jones,Henri, Opacit. p.33,
, ';.
•
• l ':
-, 114 -
O~ voit là l'influence plus ou moins directe du capital sur
l'art car Breton, e~ bon courtier, s'~rrangeait pour ne présenter que
les peintures qui répondraient au goût d~s acheteurs à témoins la stricte
sélection dont é~;:ient l'objet les jeunes ,peintres surréalistes
(cf. Joun Hiro). !Jurt ï.l.:.rxiste étant un art fonctionnel s'opposait
d'ewblée à l'art surréaliste tandis que l'art de droite tournait dans
une facture naturaliste. Or, la guerre éclate et que se passe-t-il ?
des Mécènes se chargent de faire vendre des tableaux démodés et
"Selon certains le groupe aurait été géré) à distance,de~ui~ les galeries des Etats-Unis et l'8co:e d'art s~rréaliste aurait constami:"cnt ob&i ;:ux ?'l:essions qu'exerce le goût dc.s ü.::'::'lio~:nQ.irê.s." l
j)' ail:et:rs, l"4oL!ib:::,e de p~:::~.:~:"es surréalistes ne se sont-ils pas installés
au:~ Ei:.:tts-Vui.::>, ct 3rc::0~ lui-r.,âr.1e qui a surnommé Salvador Dali
Il 112.. Avida Dollars, n'a-t-il p~s été le ?remier à se réfugier aux Etats-~nis
lors de la guerre, cherchant au seinmâme du capitalisme la protection
nécessaire à l'éclosion de son prolégomène pour un troisième manifeste
du surréalisme ou non. Une telle attitude exemplaire/du chef lui-mâme~
jure, on ne. peut plus avec le comportement marxiste. Avec cet océan
que Breton a mis entre'eux, il eût été, j'imagine, difficile pour lui
de tendre la main aux ouvriers communistes en leur disant lIfrères '"
D'ailleurs, au sein même de l'école surréaliste, le
travail des poètes était assuré par celui des peintres, c'était conU11e
on le voit toute une organisation savarr.ment échafaudée où Breton jouait
~ J . ~ i 0 . J... ones, .. enr '. p. c::.. t • p. 32.
2.,Breton, André, Manifestes du surréa.lisme (extraits du volume collectif), Pa:riS , Gallimard, 1966, p. 162
, :.~ 1 1
115
le raIe ~~ chef, de g~rant, de metteur en scane; il s'en occupait
avec ~ut~nt cie soin que s'il se fût 'agi d'un~ entreprise pr~vée,
personnelle, (ce çui a?rès sa mort est devenu entreprise famil~ale).
On cOi1l;?rend par conséquent la part du mérite qui lui revient quant
au succès du sur~6alisme, m~is ne voilà-c:il pas qu'il fait tout à
coup figure d'hom~e de lettres voire de chef d'école lui qui nous
exhortait à ne laisser "traces" de notre passage en ce monde, et qui
eXCO~i1luniait si violemment ses ade?tes sous prétexte justement qu'ils
:)ort.:ücnt au t;-,:z.~::e, é:'.:X lettres ••. à la publicité un intérêt incompatible
Jr. (! ...... V::'C."'.t à sc. ëCi·.:~:::è.~-.c où en est le surréalisme? Eteint?
~'~ucun3 l'o::t ~6j~ 2::tc=r~ C2=~CS 13 mort da son chef a entratné à
• coup sûr l'occult~tion GC son étoile, mais l'esprit surréaliste lui est
éternel. N'est-ce pas juste~ent significatif que quarante ans après
l'éclosion de l'écriture automatique on compte parmi les poètes les plus
3ppr~ciés d'anciens surréalistes ? Xotarr~ent Aragon qui célèbre toujours
le lyrisme des images et de l'ai1lour, René Char, fidèle à la beauté
convulsive et Raymond Queneau dont l'humour fait encore surgir le
surréel de la vie en apparence la plus banale ?
Reconnaissons toutefois çue le surréalisme a eu le mérite de
mettre l'accent sur l'automatisme cette porte ouverte à de multiples formes
de recherches qui pourrnient être exploitées avec d'heureux résultats.
Spécifions cependant, que si l' ~utor..atisme peut libérer l'homme, il ne
saurait d'aucune iaçonJJ.ui re; .... 2rQ c.::.t of ;-:i.cc nécessairement ,infailliblement. "\ .. ' ...
•
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116
'. Ce. r;',Quvement aura encore rendu à la femme et: à l'amour une
frarc~eur q~e la civilisation avec l'éterne11~ exploitation de l'homme , .
p~r l'ho~~e et de la femme par l'homme avait terni. Jarry dans
L'&~our absolu avait déjà réagi contre un tel état des choses:
"Si jamnis nous en .::.imions une (femme) nous la voudrions notre
égale, ce qui ne sernit pas rien".
Pût' nil1eurs, en mettant sur la sellette l'exceptionnel,
le sur-r.âa1isme a lanc5 une vé.~ité.b1e campagne pour aguerrir contre
le viru3 qu'es t le co~:?le:œ inoculé par le resJ,Ject du conventionnel.
c'est surtout ce so~=:le da jeun~sse et de vie au milieu
,.' ",.;.::,.c soc:':'été bl.::sée., '!Jicn p::'us c",.;.~ des' découvertes tapageuses qui
fait la valeur du sur~éalismc .
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I. BRETON, André
:-ia:1::'fcs :.:cs dt: st;rréalisme
- ::>osi:::~or! ê'Jlitique du surr2.::1isme :)oisson soluble L~ttr~ .::ux voy~ntcs
" .
- Du surr~.:llis~:-'è en ses oeuvres vives
Légitime défense
Introduction au discours sur le péu de réalité
Le Surréalisme et la peinture
Xadja
L'Union li;:,re
Misare de la po~sie
Le Revolver à cheveux blancs
Les Vases co~unicants
Point du jour
?osition Eoliti~ue du su~~~.
Paris, J.J.Pauvert, 1962
extraits, Paris, Gallimard, collection Idées KRF, 1966
en col1aborat~on avec Philippe Soupault, Paris, Sans Pareil,192:
Paris, Gallimard, 1924
Paris, Ed.surréalistes, 1926
Paris, NRF, 1927
Paris, Gallimard, 1928
Paris, Gallimard (Livre de poche) 1928
Paris, Ed.Surréalistes, 1931
Paris, Ed. Surréalistes, 1932
Paris, Ed. des Cahiers libre:; ,193
Paris, Ed. des Cahiers libres ,193
Paris, G:1l1imard, 1934
P.::..ris, Ed. du SagitLaire, 1935
?aris, G.~. };:. , 193ô
•
- 118 -
A~~holo~ie de l'humour noir ,.
Arca:1e 17
Poèmes
La Clef des Champs
J:>~arti:1iquc, Chari~eus.;; cIe se,:?ents
CL::':!' de s.~;~,?_:'2) ;récéd:'! de )~~t-cie-?i~t~. 3~~~~ j2
L.;.. ~~C:VC'~ ·V2.:''' à C;le.v"C!1;:·: ~::"L~'~-:CS et ~L 1 .:i~.:: c: 12 :L J 12..::". :.:
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Paris, G.L.M., 1937 , , 'Paris, Gall:iJn.ard, 1937
. l'Paris, Ed. du Sagittaire, 1.9l.,ü
Paris, Pauvert, 1942
Paris, Gallimard NRF, 1948
Paris, Pauvert, 1963
Paris, Pauvert (Sté nouvelle Sequana) 1963
Paris, Gallimard, Coll. Poésie, 1966
~"1-;"""""{' .. .,,,,,!,, ;:'v .. \,..!.._t..l .L.."," COL:'.\.30RATION
Breton,A., Char,R., Eluard,P.,
Breton, A., et Eluard P.,
Bre.ton, A., et Soupault,P.,
'. , .. .'
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Ralentir travaux, Paris, Ed. Surréalistes, 1930
L'Immaculée Conception, Paris, Ed. Surréalistes, 1930
Les Champs magnétiques (déjà mentionné)
--1
1. Sur le surréalisme
ALQUIE, Ferdinand
BARON
BEAUDOIN
BEDOUIN, Jean-Louis
BENAYOUN, Robert
CARROUGES, Michel
CAZAUX, Jean
CRASTRE, Victor
DUPLESSIS, 'yves
ESTIENNE, Charles
GASCOYNE, David
JONES, Henri·
KYROU, Ado··
LARREA, 'Xvan
~. . . <,t',
....... ,
.. \.; ,,;.,>.\ . .:r;} .
- 119 -
II. OUVRAGES CRJ:TIQUES
Philosophie du Surréalisme Paris, Flammarion, 1956
L'an l du surréalisme suivi de l'An dernier Denoe1
La poésie surréaliste, Seghers
Vingt ans de surréalisme, 1939-59, Denoel,
L'Erotique du surréalisme, Paris, Pauvert, 1965
A. Breton et les données fondamentales du surréalisme, Paris, Gallimard, 1950
Surréalisme et psychologie, Paris, Ed. Corti, 19;38
Le Drame du surréalisme, Paris, Ed. du Temps, 1963
Le Surréalisme, Collection Que sais-je, P.U.F.,
Le Surréalisme, Ed. Somogy, 1956
A Short Survey of Surrea1ism, Londres, Ed. Gobden, 1935
Le Surréalisme ignoré, avec un témoignage inédit de Henri Pastoureau, Canada,Montréa1, C.E.C.,1969
Le Surréalisme au cinéma, Terrain vague, 1963
Le Surréalisme entre l'Ancien et le Nouveau Monde, édité à Mexico, 1944
1.' :1" . ",.
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•
•
H.-\NGEOT, Guy
HATAGNE, Robert
NADEAU, Maurice
PIERRE, José
PIERRE, José
READ, Herbert
RAYMOND, Marcel
WALDBERG, Patrick
,1' '
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"HiStoire:dù'surréalisme, Paris, Ed. du S,euil, 1945
Le Futurisme et le Dadaisme, Lausanne, Ed. Rencontre
Le Surréalisme, Lausanne, Ed. Rencontre
Surrèalism , Londres, Faber & Faber, 1936
De Baudelaire au Surréalisme
Le Surréalisme, Genève, Essai sur la peinture, Ed. Skira, 1961
2. SUl:' Dada; les para~surréalistes et écrivains précurseurs
BLANCHOT, Maurice
BONNEFOY, Yves
BUFFET, Gabrielle
ETIEMBLE,
GEAR, Norman
REINE, Maurice
HUGNET, Georges
IZAMBARD,
Lautréamont et Sade, Paris, Ed.de Minuit, '19 L'Expérience intérieure (sur G. Bataille) texte publié dans Faux-Pas, Gallimard, 1943
Rimbaud par lui-même, Ed. du Seuil
Dada, Ed. Art d'Aujourd'hui, 1950
Le Mythe de Rimbaud, Ed. Gallimard
Sade le divin, Buchet,-Chastel, 1964
Le Marquis de Sade, Gallimard, 1950
L'Esprit Dada dans la peinture, Ed. des Cahiers d'Art, L'Aventure Dada, Ed.Bucher, 1936
Rimbaud tel que je l'ai connu Ed. du Me~cure de France
'.:""
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Album'Rimbaud, Iconogra?hie NRF, J".a Pléiade, Gallimard, 1967
Les origines intellectuelles de la Révo1utiQn française
<~.?ollinaire par lui-même, Ed. du Seuil
Dada ;;:L Paris, Paris, P auve rt , 1965",
S~tuations I, critique concernant Bataille, Paris, Galli~ard, 1947
:~~t~6a~ont, Paris, Ed. des Cahiers libres, lS27 .
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~es Cahiers manuscrits de Fourier, étude h~storique et inventaire raisonné, Ed. de ~·~nuit, 1958
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BATAILLE, Georges
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T~~rase Philosoohe . ~evues et Documents
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Système de la nature, Ed.Domère, 1822
Oeuvres philosophiques, Berlin, 1764, L'P..omme raachine, 1921, Ed. Brossard
Oeuvres complètes d'Isidore Ducasse Les Chants de Maldoror, par le Comte de L~utréamont, Poésies, Lettrès, Paris, Librairie générale française, 1963
O~uvres complètes, Pa.:is, Ed. de la Pleiade,
Oe~v~es complètes, Gallimard, La Pleiade, 1963
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Jt:st:inc OU les'malheuï:"s de 1" vC:j.-~~,Aries ~1.livi de. J"u.lic.t:'tc sa soeul: i- é!S Cel: t-v:.ngt j otlr.'l€!e.S cl:' S '::'l!~·.LU::o::. ?.fiss:it!nriat.te. St-::-atSûn in Oeuv:es Jiverses Philosophie dans le boudoir
TZARA, Tristan Les·sept.Manifestes Dada~ Pauve.rt Le Surréalisme et l'après-gucrre, Nagel
:v. O:';V? ... -\GES DI\T2RS
.::J ;.: •• :~i., .. 'o , .:. C :.":.:,.2.:: 0 •
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:'!ORI:~ V., et K.:JAu.l,;~ J.
SAÀTRZ, Jean-Paul
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~ :"f~J.::'5toire., traC:i.1~_l Ge ':"'~~ric':l:'n p~r
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:·:S:.SQ,:-;':' pc.étiq-v.e dt: sy:-:'Ib(,j~ :":~:nG, P.:lris, :~::'Zf:.':, :96:.
Le Sac~~ et le Profane~ Galli~ard, 1~65
:., t Erc. tisrne
- . Ira:--.Cél:'S
!~ .. ~~ :-. .::::' ? a::-lo.i t Z a ra t ~c U~ ~:.-:.~_;~., G ;:i:. :"::"~: . ..;.[\"~, it1~ 7 :)&1' dé::'à le bien et I.e !!~ ... ~.~., CL·:~. :.u'/:·; .·~; .. oie.r) !=:è. ~loncaigne) ~~j'~~
~e ~~~ s&voir, Idêes NR;, Ca:li~ard, :05G
~IEtr2 et le N~ant, 0~s~i cfo~to~ogi2 ~,;·,.:::,l;n0::'..ologique, Paris, G.:.::"ii:lt;:;,n .. , lIil{F, 196
ij'::':·:i.s:,.(.:ntialisTIle 8st l. .. ~~ > .. t:;;~::.:.:.~~' rari::i, :~. Xag21, Coll. Pens~es, ~~6l
•
•
124 -
V. a) BROCHURES, REVUES
b)
Documents surréalistes, Maurice Nadeau, in Histoire du surréalisme Ed. du Seuil, 1964 .
La Révolution surréaliste, 1924-1929
Documents 1929-30
Un cadavre 1930
Du temps que les surréalistes avaient raison, Lautréamont envers et contre tout
Dans Appendice in Dada à Paris de M. Sanouillet
1935, Aragon, Breton, Eluard
1. Correspondance André Breton - T.Tzara, A. Breton
2. Correspondance T. Tzara - F. Picabia - T. Tzara
3. Correspondance A. Breton - F. Picabia - A. Breton
4. Correspondances diverses
5. Epreuves inédites du numéro 21 de la revue Littérature
6. Documents divers
ARTICLES
RACINE, Gilles, conférence de Gustave Thibon l'Erotisme détruit l'amour, La Presse, 21 mars 1968
STANKE, Alain,
',.' . . '
J • l'
" .
entrevue exclusive: Dali l'exhibitionniste in Le Magazine MacLean, février 1969
Rouse to dream in in Time, 4 juillet 1969, p. 54