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La crevette, la libellule et l’araignée au secours de l’économie française Le Monde.fr | 10.09.2015 à 17h24 • Mis à jour le 10.09.2015 à 18h08 | Par Rémi Barroux Le Shinkansen 500 dont le nez est inspiré de la tête du martin-pêcheur. Photo DR Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui réunit les représentants des entreprises, des syndicats de salariés, d’agriculteurs, d’associations environnementales, de personnalités indépendantes… a adopté à l’unanimité, mercredi 9 septembre, un avis, « Le biomimétisme : s’inspirer de la nature pour innover durablement ». Le biomimétisme, qui consiste à s’inspirer de propriétés essentielles de systèmes biologiques, animaux ou végétaux, pour mettre au point des formes, des matériaux, des procédés de production dans une approche durable et innovante, est insuffisamment développé en France. Pourtant les innovations empruntées dans la grande bibliothèque de la nature sont nombreuses. En 1941, un ingénieur suisse, Georges de Mestral, observe combien il est difficile de retirer les fleurs de bardane des vêtements et des fourrures des animaux, en raison de minuscules crochets : le Velcro est né. Au Japon, un ingénieur, passionné d’ornithologie, conçoit le nez du Shinkansen, le train à grande vitesse nippon, en remarquant comment le martin-pêcheur passe très rapidement d’un milieu peu dense, l’air, à un milieu plus dense, l’eau, avec un minimum de vibrations. Résultat, le profilage bio-inspiré de la motrice a permis une réduction de 15 % de la consommation électrique et une augmentation de la vitesse de 10 %. image: http://s1.lemde.fr/image/2015/09/10/534x0/4751946_6_07b8_l-etonnante-crevette- mante_896f69f4254664d656ecbe9b81e399eb.jpg

La Crevette, La Libellule Et l’Araignée Au Secours de l’Économie Française

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Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui réunit les représentants des entreprises, des syndicats de salariés, d’agriculteurs, d’associations environnementales, de personnalités indépendantes… a adopté à l’unanimité, mercredi 9 septembre, un avis, « Le biomimétisme : s’inspirer de la nature pour innover durablement ». Le biomimétisme, qui consiste à s’inspirer de propriétés essentielles de systèmes biologiques, animaux ou végétaux, pour mettre au point des formes, des matériaux, des procédés de production dans une approche durable et innovante, est insuffisamment développé en France.

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La crevette, la libellule et l’araignée au secours de l’économie française

Le Monde.fr | 10.09.2015 à 17h24 • Mis à jour le 10.09.2015 à 18h08 | Par Rémi Barroux

Le Shinkansen 500 dont le nez est inspiré de la tête du martin-pêcheur. Photo DR

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui réunit les représentants des entreprises, des syndicats de salariés, d’agriculteurs, d’associations environnementales, de personnalités indépendantes… a adopté à l’unanimité, mercredi 9 septembre, un avis, « Le biomimétisme : s’inspirer de la nature pour innover durablement ». Le biomimétisme, qui consiste à s’inspirer de propriétés essentielles de systèmes biologiques, animaux ou végétaux, pour mettre au point des formes, des matériaux, des procédés de production dans une approche durable et innovante, est insuffisamment développé en France.

Pourtant les innovations empruntées dans la grande bibliothèque de la nature sont nombreuses. En 1941, un ingénieur suisse, Georges de Mestral, observe combien il est difficile de retirer les fleurs de bardane des vêtements et des fourrures des animaux, en raison de minuscules crochets : le Velcro est né. Au Japon, un ingénieur, passionné d’ornithologie, conçoit le nez du Shinkansen, le train à grande vitesse nippon, en remarquant comment le martin-pêcheur passe très rapidement d’un milieu peu dense, l’air, à un milieu plus dense, l’eau, avec un minimum de vibrations. Résultat, le profilage bio-inspiré de la motrice a permis une réduction de 15 % de la consommation électrique et une augmentation de la vitesse de 10 %.

image: http://s1.lemde.fr/image/2015/09/10/534x0/4751946_6_07b8_l-etonnante-crevette-mante_896f69f4254664d656ecbe9b81e399eb.jpg

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Les exemples sont légion. L’aigle des steppes a offert à l’aéronautique ses ailes qui ont inspiré les ailettes quasi verticales placées aux extrémités de la voilure des avions ; l’araignée, la solidité sans égal de son fil pour concevoir des gilets pare-balles. « La nature fait de la recherche & développement depuis trois millions d’années », résume Idriss Aberkane. Ce chercheur à Polytechnique, professeur à Centrale Supélec et spécialiste du biomimétisme cite volontiers l’exemple de la crevette-mante, appelée aussi squille, dont le corps allongé peut atteindre près de 20 cm. Ce petit crustacé de l’ordre des stomatopodes est un tueur. Avec ses pattes ravisseuses (comme une mante religieuse d’où son nom), il possède une puissance de frappe équivalente à celle d’une balle de 22 long rifle, soit quelque 102 km/seconde, lui permettant de briser des carapaces de crabes et des coquilles.

L’incroyable crevette-mante « Cette crevette peut casser les parois d’un aquarium blindé et sa vitesse de frappe produit un flash de chaleur et de lumière, des étincelles sous l’eau, dégageant une chaleur équivalente à celle mesurée à la surface du soleil, détaille M. Aberkane. Quand la crevette frappe avec ses “marteaux”, cela forme une bulle d’air explosive permettant cette vitesse extrême, un phénomène appelé supercavitation. » Cette fonction remarquable a été étudiée de près, notamment par les militaires. Les Russes ont ainsi produit, grâce à cette propriété de supercavitation, un modèle de torpille pouvant filer à 370 km/h (contre 190 km/h maximum pour une torpille traditionnelle), la Chkval.

Mais la crevette-mante possède aussi d’autres propriétés extraordinaires, notamment grâce à ses yeux. Bougeant indépendamment, ils offrent au crustacé une vision à 360° et, surtout, possèdent une douzaine de photopigments (contre trois pour l’œil humain, deux pour le chien) leur permettant de distinguer un nombre plus important de couleurs, de détecter la lumière fluorescente, ultraviolette ou encore, grâce à trois pseudo-pupilles, de trianguler l’objet visualisé. Les Américains s’en sont servis pour concevoir une caméra détectant les cellules cancéreuses dans les biopsies.

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Le biologiste Gilles Bœuf aime, lui, à citer « la libellule qui, avec quelques watts seulement, peut voler à presque 100 km/h et ce depuis des millions d’années ». Un exemple parfait d’économie d’énergie pour celui qui a été nommé, en juillet, conseiller scientifique pour l’environnement, la biodiversité et le climat par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal. Pour autant, reconnaît-il, dans ce domaine, « la France a un réel effort à faire ».

Amorçage financier Pour développer le biomimétisme et combler le retard pris sur les Allemands, les Américains ou encore les Chinois, le CESE recommande de renforcer et coordonner la recherche déjà existante. Les auteurs du rapport ont identifié près d’une centaine de laboratoires ou d’équipes de chercheurs liés au biomimétisme. Il s’agit, comme l’a expliqué au CESE le climatologue Jean Jouzel, de « favoriser la coopération entre les différentes disciplines scientifiques, entre le public et le privé et entre la France et l’étranger ».

Le CESE propose un « amorçage » financier qui pourrait être interministériel, dans le cadre des investissements d’avenir, d’organiser la mise en réseau des modules d’enseignement consacrés au biomimétisme, ou encore de généraliser son apprentissage, sous la forme, notamment, d’observation de la nature, au collège comme au lycée. Plus concrètement, il suggère que le Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis (Ceebios), dans l’Oise, puisse bénéficier d’un de soutiens publics afin de jouer le rôle d’animation de réseau.

image: http://s2.lemde.fr/image/2015/09/10/534x0/4751948_6_a7d6_le-treillis-de-silice-de-l-eponge-euplectella_28ef937f274efab0632f6b4fbe5b3c1f.jpg

Le treillis de silice de l'éponge "Euplectella aspergillum", dans le Golfe du Mexique. NOAA Okeanos Explorer Program.

Créé en 2012 sur le site d’une ancienne caserne militaire, le Ceebios, présidé par Gilles Bœuf, permet déjà la rencontre entre les entreprises et les chercheurs. « Les possibilités sont énormes, dans l’habitat, la cosmétique, les matériaux, l’énergie… Les contraintes économiques et environnementales nous poussent à innover et nos connaissances du vivant comme le progrès technique ont progressé de façon considérable, c’est une occasion qu’il

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faut saisir maintenant », résume Kalina Raskin, docteure en biologie et chargée du développement scientifique du Ceebios.

Pas un miracle Mais reproduire les procédés naturels dans un cadre industriel n’est pas simple. Les recherches sont longues et n’aboutissent pas toujours. Pour la représentante des entreprises au CESE, Catherine Tissot-Colle, le biomimétisme n’est « pas un miracle » et il doit « faire ses preuves économiques et technologiques », mais il représente « une inspiration pour de nouveaux modes de production et de fonctionnement, plus économiques ». L’enjeu est précisément là, dans la rencontre entre la technosphère et la biosphère. « Il faut mettre autour de la table, le biologiste, l’entrepreneur et le financier, et pour y arriver, il faut pouvoir parler des gains économiques futurs », avance Patricia Ricard, la rapporteure de l’avis sur le biomimétisme au CESE. Ce n’est pas un hasard, selon elle, si l’Allemagne, qui a misé industriellement sur le secteur des machines-outils, a investi des millions d’euros dans ce domaine, appelé outre-Rhin, depuis cinquante ans, « bionique ».

Le potentiel est considérable et les domaines d’application des connaissances des systèmes naturels sont multiples : matériaux, machines outils et robotique, architecture, médecine, cosmétique, transports… sans oublier le recyclage puisque, dans la nature, rien ne se perd, tout se transforme et se réutilise. Le grand changement, selon la rapporteure de l’avis sur le biomimétisme, Patricia Ricard, tient dans le regard neuf que la société des hommes doit porter sur la nature. « Elle n’est plus une économie de la ressource mais de la connaissance », insiste la présidente de l’Institut de recherches Paul Ricard. Autrement dit, il faut arrêter d’en piller les ressources et en étudier l’organisation, les systèmes, les interactions.