82
UNIVERSITE LYON 2 - 2006-2007 Institut d'Etudes Politiques de Lyon La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe comme modèle pour l’Amérique ? Marion MICLET Section Politique et Communication Séminaire Histoire des XIX e et XX e siècles Sous la direction de Bruno Benoit date soutenance : 4 juillet 2007

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

UNIVERSITE LYON 2 - 2006-2007 Institut d'Etudes Politiques de Lyon

La Deuxième Guerre mondiale dans lecinéma hollywoodien des années 1940 :l’Europe comme modèle pour l’Amérique ?

Marion MICLETSection Politique et Communication

Séminaire Histoire des XIXe et XXe siècles Sous la direction de Bruno Benoit

date soutenance : 4 juillet 2007

Page 2: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée
Page 3: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Table des matièresRemerciements . . 5Liste des films étudiés . . 6Introduction . . 7

Hollywood dans les années 1940 . . 7Le combat des isolationnistes et des interventionnistes à la veille de l’entrée en guerre desEtats-Unis . . 9Plan du mémoire . . 12

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre . . 14

A. Le héros réticent qui représente la société américaine partagée entre isolationnisme etinterventionnisme . . 14

1) Le héros réticent dans Casablanca . . 152) Le héros réticent dans Le Port de l’angoisse . . 19

B. Le sacrifice européen comme métaphore du sacrifice américain . . 221) Un genre nouveau : le film sur la Résistance . . 222) Le rôle de la femme dans les films sur la Résistance . . 23

C. Une cohésion sociale européenne idéalisée par le cinéma pour servir de modèle auxAméricains . . 26

1) Une cohésion sociale dans les pays occupés idéalisée par Hollywood . . 262) Une cohésion sociale idéalisée par Hollywood dans un pays allié, laGrande Bretagne . . 30

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien . . 33A. L’image de la présence ennemie allemande en Europe . . 33

1) L’occupation allemande en Europe de l’Est . . 342) Les débats posés par la répression nazie et les prises d’otages . . 343) La présence ennemie allemande en Europe de l’Ouest . . 37

B. La dénonciation de la collaboration française au cinéma . . 391) La collaboration d’Etat . . 402) Les autres formes de la collaboration vues par Hollywood . . 43

C. Des idéaux partagés par l’Europe et l’Amérique . . 461) La résistance à l’oppression et la défense de la démocratie . . 462) L’exaltation du patriotisme . . 49

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne . . 54A. L’influence du Bureau of Motion Pictures . . 55

1) Hollywood, la guerre et le gouvernement . . 552) Le fonctionnement du Bureau of Motion Pictures . . 563) L’échec de l’influence du gouvernement dans la production de films . . 57

B. Des thèmes controversés sur les écrans . . 591) Jean Renoir : un réalisateur européen engagé expatrié à Hollywood . . 592) La Deuxième Guerre mondiale, l’Amérique et les Juifs . . 62

Conclusion . . 65Bibliographie . . 68

Page 4: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Bibliographie en Français : . . 68Bibliographie en Anglais : . . 69

Annexes . . 70Résumés des films . . 70

Page 5: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Remerciements

MICLET Marion_2007 5

RemerciementsJe tiens à remercier l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon ainsi que mon directeur de recherches,M. Bruno Benoit, Professeur d’histoire, pour m’avoir permis de choisir un sujet de mémoire quiassocie l’histoire et le cinéma, deux sujets qui me passionnent.

Pour mes recherches bibliographiques et filmiques, je souhaite remercier les équipes de laBibliothèque Raymond Chirat de l’Institut Lumière à Lyon, de la Bibliothèque du Centre d'Histoirede la Résistance et de la Déportation à Lyon, de la Bibliothèque du Film à Paris et de la BibliothèqueVan Pelt à l’Université de Philadelphie.

Pour m’avoir permis de voir Casablanca sur grand écran, je remercie mon ancien Professeurd’histoire du cinéma hollywoodien à UCLA, Jonathan Kuntz. Merci également à Kathy Peiss,Professeur d’histoire à UPenn, pour m’avoir montré comment le cinéma américain et l’histoire dece pays sont inextricablement liés.

La logistique est indispensable : un grand merci à Joan Griswold qui a acheté pour moi lescassettes vidéos américaines des films sélectionnés pour l’étude, introuvables en France, et qui meles a expédiées de Seattle jusqu’à Lyon.

Merci à mes parents pour leurs encouragements. Je tiens aussi à saluer mes amis qui traversentle même triathlon que moi en ce moment : 1) terminer la quatrième et dernière année à l’IEP 2)rédiger le mémoire 3) trouver un Master pour l’année prochaine. Bon courage à Clémentine, Elsa,Gaëlle, Jen, Laurène, Manon, Mélanie, Nathalie, Noémie, Pauline, Sarah, et les autres. Et aussi àJess et Danielle, parce qu’elles le valent bien.

Page 6: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

6 MICLET Marion_2007

Liste des films étudiés

Casablanca , de Michael Curtiz, 1942, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, sedéroule au Maroc.

To be or not to be ( Jeux dangereux ), de Ernst Lubitsch, 1942, avec CaroleLombard et Jack Benny, se déroule en Pologne.

Once upon a honeymoon ( Lune de miel mouvementée ), de Leo McCarey, 1942,avec Cary Grant et Ginger Rogers, se déroule en Europe occupée.

Mrs Miniver , de William Wyler, 1942, avec Greer Garson et Walter Pidgeon, sedéroule en Grande Bretagne.

Reunion in France , de Jules Dassin, 1942, avec John Wayne et Joan Crawford, sedéroule en France.

The Edge of Darkness ( L’ange des ténèbres ), de Lewis Milestone, 1943, avecErrol Flynn et Ann Sheridan, se déroule en Norvège.

The Land is mine ( Vivre Libre ), de Jean Renoir, 1943, avec Charles Laughtonet Maureen O’Hara, se déroule en Europe occupée.

Hangmen also die ( Les bourreaux meurent aussi ), de Fritz Lang, 1943, avecWalter Brennan et Anna Lee, se déroule en Tchécoslovaquie.

Watch on the Rhine ( Quand le jour viendra ), de Herman Schumlin, 1943, avecPaul Lukas et Bette Davis, se déroule aux Etats-Unis.

To have and have not ( Le Port de l’angoisse ), de Howard Hawks, 1944, avecHumphrey Bogart et Lauren Bacall, se déroule en Martinique.

Passage to Marseille , de Michael Curtiz, 1944, avec Humphrey Bogart et MichèleMorgan, se déroule en France.

Uncertain Glory ( Saboteur sans gloire ), de Raoul Walsh, 1944, avec Errol Flynnet Paul Lukas, se déroule en France.

Page 7: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Introduction

MICLET Marion_2007 7

Introduction

« Je ne préfère pas vous dire tout ce que je pense de vous, c’est sûrement passible de lapeine de mort. ».

Réplique de Michèle de la Becque (Joan Crawford) à un officier allemanddans Reunion in France (Jules Dassin, 1942)

Hollywood dans les années 1940Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe, les Américains ne sont prêtsà s’engager ni politiquement ni militairement dans le combat. Il faudra attendre le 7décembre 1941, le jour où les Japonais attaquent Pearl Harbor, pour que le conflit prennevéritablement sa dimension mondiale. En revanche, depuis la fin des années 1930, lesproducteurs hollywoodiens s’intéressent à la guerre et réagissent à l’actualité en intégrantles nouvelles venues du « Vieux Continent » à des récits de fiction. Le but est d’influencerles spectateurs en faisant de la situation de l’Europe un modèle pour le patriotismeaméricain. Bien que les Etats-Unis entrent en guerre sous la pression des évènements,plutôt que dans un élan d’union nationale, il faut convaincre le public que l’interventioncorrespond à un véritable choix idéologique. Le Président Roosevelt est persuadé que lesfilms sont le moyen le plus efficace de toucher une large audience. Elmer Davis, directeurde l’agence gouvernementale chargée de superviser l’ensemble des médias pendant lesannées de guerre, l’Office of War Information, parle même du cinéma comme « l’instrumentle plus puissant de la propagande dans le monde, que ce soit son objectif ou non »1.La propagande se définit comme l’« action exercée sur l’opinion pour l’amener à adoptercertaines idées politiques et sociales, à vouloir et soutenir une politique, un gouvernement,un représentant »2. Dans les années 1940, il faut certes distinguer les techniques depropagande systématiquement appliquées dans les régimes totalitaires de celles ayantcours dans les démocraties. Mais l’Amérique n’échappe pas à une certaine forme depropagande : l’administration Roosevelt, en coopération avec les médias, a délivré desmessages de mobilisation patriotique tout au long de la guerre. Si l’utilisation politique desfilms a été bien comprise par les chefs d’Etat, le véritable impact d’un film sur le public estcependant difficile à évaluer.

Depuis la naissance du cinéma, des scientifiques, des psychologues et des sociologuesse sont penchés sur la question. On connaît la légende selon laquelle, la première fois quedes spectateurs ont vu un train dans le film des frères Lumière, L’arrivée d’un train en garede la Ciotat (1895), ils ont vraiment cru que la machine allait traverser l’écran et ont pris

1 “the most powerful instrument of propaganda in the world, whether it tries to be or not.” Davis press conference, Dec. 23, 1942,Box 1442, Records of the Office of War Information; Reduction of Nonessential Expenditures, 1213-14; Movies al War, Reports of WarActivities, Motion Picture Industry, 1942-1 945, Vol. I, No. 1, pp. 1-5. Cité par: KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What toshow the world: The Office of War Information and Hollywood, 1942-1945, Journal of American History, numero 64, juin 1977, page 89.2 REY, Alain, (sous la direction de), Dictionnaire culturel en langue française, Dictionnaires Le Robert, 2005, page 2128.

Page 8: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

8 MICLET Marion_2007

peur. Dans les années 1920, les lobbys américains défenseurs de l’ordre moral se sontélevés contre les effets néfastes du cinéma sur la santé mentale des enfants ou sur lesmœurs sexuelles des spectateurs. En 1934, pour calmer les voix qui accusent Hollywoodd’être la nouvelle Babylone, un système d’autocensure est accepté par l’ensemble desstudios afin de limiter toute forme de controverse dans les films. Avec la mise en applicationdu « Production Code » par Will Hays, le cinéma américain devient très « politiquementcorrect ». Dans les années 1940, avant l’avènement de la télévision, l’importance desfilms pour informer et divertir est à son apogée. Entre 1939 et 1945, les salles de cinémasont le seul lieu où l’on peut voir la Deuxième Guerre mondiale en images : au début dechaque séance, on projette les actualités de guerre et de nombreux films incorporent desscènes réelles du combat contre les Nazis. L’influence idéologique et politique de ce médiaest indiscutable. Cependant, le cinéma est aussi une industrie qui répond à des enjeuxéconomiques.

Clayton R. Koppes et Gregory D. Black expliquent que la production cinématographiquependant les années de guerre est d’environ 500 films par an. Le nombre d’entrées payantess’élève alors à 80 millions par semaine, chiffre qui bat tous les records d’avant-guerre. Il fautajouter à cela les entrées des films exportés, qui sont du même ordre de grandeur que leschiffres du marché intérieur. D’ailleurs, c’est bien souvent le succès à l’étranger qui permetla rentabilité pour les studios hollywoodiens3. Les Américains se pressent dans les salles decinéma pendant la durée de la guerre pour se tenir informés et se divertir. Les années 1940correspondent à l’âge d’or d’Hollywood. Cinq grands studios se partagent la quasi-totalitédu marché de la production de films : la Fox ; Loew’s Incorporated (qui deviendrala M.G.M ou Metro-Goldwyn-Mayer ) ; Paramount Pictures ; RKO (Radio-Keith-Orpheum) ; et Warner Brothers. C’est l’époque du « studio system » : ces compagniessont verticalement intégrées de la production jusqu’à la distribution et la diffusion. L’industriedu film est l’une des plus importantes branches de l’économie américaine.

Les producteurs hollywoodiens et le gouvernement ont bien compris que les filmsont un rôle fondamental à jouer aux Etats-Unis et dans le monde pendant la DeuxièmeGuerre mondiale. Entre 1941 et 1945, les liens entre Hollywood et Washington se resserrentincontestablement afin de canaliser le potentiel patriotique du cinéma. Produits par lesstudios sous l’influence des messages de propagande de l’administration Roosevelt, deplus en plus de films qui évoquent la situation sur les différents fronts commencent à sortir.Ils se déclinent selon tous les genres classiques du cinéma américain : aventure, amour,tragédie, comédie etc. Mais leur point commun est d’utiliser l’Europe comme inspiration pourla nation américaine.

Parmi ces films, douze ont été choisis pour cette étude, tous présentés au publicaméricain entre 1942 et 1945. Ils peuvent être analysés comme des documents historiquesqui nous renseignent sur la situation de l’Amérique à travers le prisme de l’Europe. Pendantla Seconde Guerre mondiale, Hollywood réagit presque immédiatement à la situationpolitique et militaire internationale. Cela permet de considérer le cinéma de l’époque commeun témoignage sur le vif de l’état d’esprit de la nation au cours du conflit. Ces films montrentles stéréotypes, les réflexes patriotiques, les peurs et les attentes de l’imaginaire collectifde l’Amérique. Ce ne sont pas des films de combat. Ils décrivent la vie en Europe occupéeoù les héros se trouvent confrontés au choix de la Résistance, de la collaboration ou del’attentisme. Dans les années 1940, le cinéma américain est en transition : avant tout un

3 KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What to show the world: The Office of War Information and Hollywood, 1942-1945,Journal of American History, numero 64, juin 1977, page 89.

Page 9: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Introduction

MICLET Marion_2007 9

média de divertissement, il devient aussi « une arme de guerre »4, même si son utilisationcomme outil de propagande a des limites. La Deuxième Guerre mondiale est très présentedans le cinéma hollywoodien, et en particulier la lutte contre le fascisme en Europe. Pourtant,les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre en 1939 et le débat politique à proposde l’engagement américain dure jusqu’à la fin de 1941.

Le combat des isolationnistes et desinterventionnistes à la veille de l’entrée en guerre desEtats-Unis

Les origines de l’isolationnisme américain sont à rechercher dans la « doctrine Monroe »,énoncée par le président des Etats-Unis en 1823, qui allait servir de guide à la diplomatieaméricaine jusqu’à la Première Guerre mondiale. Même si le pays est sorti victorieux dupremier conflit mondial, l’opinion publique américaine en a tiré la conclusion suivante : mieuxvaut ne plus se mêler des affaires du « Vieux Continent ». En 1919, la non-ratification dutraité de Versailles par le Congrès des Etats-Unis ruine les espoirs de Woodrow Wilson devoir la Société des Nations nouvellement créée devenir le garant efficace de la paix dans lemonde. Dans les années 1930, des « Neutrality Acts », ou lois sur la neutralité américaine,sont votées en série par le Congrès pour limiter l’intervention militaire et économique desEtats-Unis. Pourtant, les conflits qui mettent à mal la sécurité collective se multiplient: enAfrique avec la guerre d’Ethiopie en 1935, en Europe avec la guerre d’Espagne en 1936 eten Asie avec la guerre sino-japonaise qui débute en 1937. La première loi de neutralité de1935 interdit la vente d’armes à des pays en guerre, mais pas celle des matières premièrestelles que le fer ou le pétrole. La loi de 1936 est plus sévère et interdit la vente de toutmatériel de guerre à des pays belligérants, ainsi que les prêts et les crédits. En 1937, laguerre d’Espagne pousse le congrès à amender la loi de nouveau, pour que les limitationss’appliquent aussi à une guerre civile.

Ce n’est qu’en 1939, sous la pression des évènements, que le non interventionnismeaméricain s’assouplit avec l’adoption, le 4 novembre, de la législation sur le « cash andcarry ». Cette loi marque le premier geste américain d’un engagement pour l’Europe qui

fait alors face à la menace hitlérienne. Les hostilités directes entre le IIIe Reich d’un côté,la France et la Grande Bretagne de l’autre, n’ont pas commencé, mais ces deux nationsamies des Etats-Unis, ont déclaré la guerre à l’Allemagne deux mois plus tôt. Grace à cettenouvelle loi, les pays en guerre contre Hitler pourront venir chercher de l’aide en Amériqueà condition qu’ils payent au comptant, « cash », et transportent eux-mêmes les produits etarmes achetés, « carry ». A la fin des années 1930, l’intervention des Etats-Unis dans leconflit européen reste limitée. L’intervention économique paraît presque réticente, même sielle se fait au profit des Américains. Mais en réalité, l’Amérique a déjà choisit son camp.

A la fin de 1939, malgré la montée des extrémismes en Europe pendant l’entre-deux-guerres et les menaces ouvertes de Hitler contre les démocraties européennes, le présidentFranklin Delano Roosevelt est presque seul à souhaiter l’intervention américaine. Il estconfronté à un Congrès et une opinion publique hostiles à toute forme d’engagement

4 DOHERTY, Thomas, Projections of War, Hollywood, American Culture, and World War II, Columbia University Press, 1993,page 4.

Page 10: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

10 MICLET Marion_2007

militaire, qui rappelle les sacrifices de 1917-1918. Confiants dans la puissance de laFrance et de l’Angleterre, les Américains refusent d’envisager la défaite de ces deux paysqui doivent jouer un rôle de bouclier en Europe contre l’expansion nazie. Les certitudesaméricaines commencent à être ébranlées avec la défaite de la Norvège, du Danemark etl’occupation de l’Europe du Nord qui suit à l’hiver 1939-1940. Lorsque la France s’effondreface à la guerre-éclair en mai 1940, puis est occupée en partie par les Allemands, l’Amériqueretient son souffle. Le fait que la plupart des films hollywoodiens tournés après la débâclemontrent les tristement célèbres images d’archives des Allemands défilant dans Paris, etsurtout de Hitler face à la tour Eiffel, prouve bien que le choc de la défaite française aatteint les rives outre-Atlantique. A l’été 1940, la Grande Bretagne se trouve seule face auxpuissances de l’Axe. Alors que le pays s’apprête à affronter l’aviation allemande lors de la« Bataille d’Angleterre », les isolationnistes américains ont de plus en plus de mal à défendreleur position. Après tout, la France et la Grande Bretagne sont les derniers remparts de ladémocratie en Europe. Au moment où les victoires allemandes qui s’enchaînent donnentl’impression que les nazis sont invincibles, qui peut encore sauver la démocratie en Europeet dans le monde ? Plus que jamais, les camps isolationnistes et interventionnistes sedéchirent.

Des mesures plus concrètes sont prises. Le 21 juin, la Chambre des Représentantsvote le recensement de tous les hommes entre dix-huit et soixante-cinq ans, un acte fortpuisqu’il s’agit d’un premier pas vers la mobilisation, alors même que les Etats-Unis ne sontpas officiellement en guerre. Le budget de l’armée est augmenté de façon conséquente,car « L’Amérique n’avait aucun moyen de se défendre contre l’agression, on venait des’en apercevoir. »5. La France et l’Angleterre étant sérieusement en position de faiblesse,les océans qui entourent le continent américain sont devenus une protection bien illusoire.La société civile et l’opinion publique basculent aussi du côté de l’aide aux démocratieseuropéennes en lutte contre le nazisme : de nombreuses entreprises s’expriment en faveurde la levée de l’embargo et commencent à rassembler des fonds pour soutenir ces nations.Des comités appuyant l’action du gouvernement Roosevelt sont créés chaque jour, le pluspuissant étant « le Comité de Défense pour l’Amérique » 6. La logique est simple : uneEurope dominée par Hitler et les Nazis représente une sérieuse menace pour la démocratieaméricaine elle-même. Le 11 mars 1941, la loi sur le « lend-lease », ou « prêt-bail », autorisele président des Etats-Unis, sans entrer dans la guerre, à aider la Grande Bretagne ou toutautre gouvernement « dont le Président estime la défense vitale à la défense des États-Unis. », par le prêt, la location ou la vente de tout matériel militaire jugé nécessaire etcontre un remboursement différé7. Les mots de Roosevelt traduisent bien la significationpratique mais surtout idéologique du prêt-bail : les Etats-Unis doivent devenir « l’arsenalde la démocratie »8. Le 7 décembre 1941 l’attaque japonaise sur la base militaire de PearlHarbor scelle le destin des Américains : les Etats-Unis entrent en guerre presque malgréeux. Mais grâce aux efforts de Roosevelt pour faire naître un véritable complexe militaro-industriel, son pays, qui avait une armée plus petite que celle de la Belgique en 1939, estmaintenant prêt à défendre la démocratie dans le monde. Les dernières voix isolationnistessont contraintes de se taire.

5 WHITE, Dorothy Shipley, Les origines de la discorde: De Gaulle, la France Libre et les Alliés, Paris, Ed. de Trévise, 1967,page127.

6 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 128.7 Article « prêt-bail », encyclopédie Universalis en ligne : http://www.universalis.fr/corpus-encyclopedie/138/T302242/

encyclopedie/T302242.htm.8 Expression employée pour la première fois dans un discours après l’élection présidentielle de 1940.

Page 11: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Introduction

MICLET Marion_2007 11

Une fois engagés dans la Deuxième Guerre mondiale, les Américains conduits parl’administration Roosevelt mettent plus que jamais en avant leur volonté de lutter contre lefascisme au nom des principes unissant la nation américaine: la défense de la démocratie etle respect des libertés fondamentales. Le 14 août 1941, F. D. Roosevelt et Winston Churchillse rencontrent et signent la « Charte de l’Atlantique », dans laquelle les Alliés présententleur idéal d’un combat pour les « four freedoms » : la liberté d’expression, la liberté deconscience, le droit à la subsistance et le droit à la sécurité et ils énoncent le droit despeuples à disposer d’eux-mêmes.

Mais très vite, les limites de cet engagement apparaissent. La « Charte de l’Atlantique »s’applique d’avantage à la situation en Europe qu’à la situation mondiale : le principe descolonies et des protectorats n’est pas remis en question, la ségrégation est toujours unétat de fait dans la société américaine. Dans Le mythe de la bonne guerre, Jacques R.Pauwels, défend l’idée marxiste selon laquelle la raison de l’entrée en guerre des Etats-Unisn’est pas idéologique, mais le résultat d’un calcul économique : la défense de l’Angleterredevenant plus avantageuse que les échanges avec l’Europe sous tutelle nazie qui setourne vers l’autarcie, l’Amérique a plus grand intérêt à sa battre contre l’Axe. D’aprèsl’auteur, la défense de la démocratie n’est qu’un mythe construit par l’élite politique pourjustifier l’action des puissances économiques. « Ainsi, le discours gouvernemental engendraune vérité, ou plutôt une mythologie officielle, selon laquelle des motivations idéalistesavaient caractérisé le rôle des Etats-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale. »9. Les motifsidéologiques sont-ils seulement une couverture pour des motivations économiques ? Oubien, plutôt, les intérêts économiques et idéologiques n’ont-ils finalement fait qu’un, lesEtats-Unis s’engageant dans une croisade à la fois pour la démocratie et pour une économiedu libre échange ?

Toujours d’après Pauwels, c’est Hollywood qui se chargera d’entretenir ce mythe :le cinéma américain des années de guerre a « popularisé, de manière peu subtile maisfort efficace, la notion selon laquelle les Etats-Unis, mus par leur seul idéalisme étaiententrés en guerre pour rétablir la liberté et la justice en Europe et partout dans le monde »10.Sans pour autant partager l’opinion de cet auteur, il semble intéressant de s’interrogersur l’importance croissante des films de guerre à Hollywood entre 1939 et 1945. Pour lapremière fois dans l’histoire, une guerre est simultanément vécue par la population et suiviesur les écrans de cinéma. L’historien américain Paul Fussell, moins radical que Pauwelsdans son explication du mythe de la guerre juste, insiste sur le fait que, lorsque les Etats-Unis sont entrés en guerre, il a bien fallu construire cet idéal de la défense de la démocratiedans le monde. Selon lui, la première préoccupation des Américains était de survivre etde gagner la guerre, pas de libérer l’Europe. Les sondages de l’époque révèlent que lescivils se sentaient peu concernés par la « Charte de l’Atlantique ». Finalement, le rôle deHollywood fut de combler en partie ce vide idéologique, de donner une signification plusforte à l’engagement américain11. Enfin, pour Michael Lyons, l’esprit de revanche envers leJapon était si fort après Pearl Harbor que l’administration Roosevelt devait contrebalancerles sentiments anti-Japon par des sentiments antinazis. L’accent mis par l’administrationRoosevelt sur le combat au nom de la libération des peuples opprimés en Europe était-il un moyen de rediriger les effusions patriotiques vers une guerre contre l’Europe ? Pour

9 PAUWELS, Jacques R., Le mythe de la bonne guerre, Les Etats-Unis et la Deuxième Guerre mondiale, Ed. Aden, 2005,page 19.

10 PAUWELS, Jacques R., op. cit., page 18.11 FUSSELL Paul, Wartime: Understanding and Behavior in the Second World War, New York, Oxford, 1989.

Page 12: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

12 MICLET Marion_2007

Lyons, il y avait une « nécessité d’impliquer affectivement les Américains dans cette guerrecontre Hitler », afin de dépasser les sentiments de vengeance après l’attaque surprise parles Japonais12. Entre 1939 et 1945, quel a été véritablement le rôle des films hollywoodiensqui traitent de la guerre en Europe ?

Plan du mémoirePremière Partie. Certains films de l’époque ont eu un rôle d’auto-conviction. Les Etats-Unis étant entrés en guerre sous la pression des évènements, il a fallu habituer le publicaméricain à l’idée que l’engagement au Japon et surtout en Europe était inévitable etrépondait à un choix idéologique véritable. L’Américain expatrié qui s’engage dans larésistance européenne devient le personnage symbole de l’interventionnisme américain.Dans Casablanca (Michael Curtiz, 1942) et Le Port de l’Angoisse (To have and have not,Howard Hawks, 1944) Humphrey Bogart incarne ce type de « héros réticent » qui épouseune cause qu’il finit par trouver juste et noble. Les films hollywoodiens dont l’action sedéroule en Europe sont un miroir tendu à la société américaine. Le sacrifice des résistantseuropéens doit servir de modèle aux Américains restés à l’arrière. En comparaison, lessouffrances qu’ils endurent paraissent bien plus supportables : les restrictions, les prochespartis au combat, la participation à l’effort de guerre. En regardant ces films, les civilset les militaires peuvent se sentir galvanisés : en sacrifiant leur confort personnel et enfaisant passer leurs intérêts individuels au second plan pour servir la nation, ils œuvrentaussi au bien de l’humanité. Hollywood les conforte dans leur sentiment de se battre contrel’oppression, comme les résistants européens. Un autre effet des films dont l’action se situeen Europe occupée est d’encourager indirectement le travail des femmes américaines dansles industries de guerre. En effet, de nombreux films montrent des femmes se sacrifiercomme les hommes pour la libération de leur pays. Même souvent seulement comme unfaire valoir pour le héros, Hollywood met en avant le rôle des femmes dans la résistanceeuropéenne. Leur égoïsme se transforme en engagement politique, leur vulnérabilité enténacité et leurs doutes en invincibilité, tout en restant féminines bien sûr. La femmeaméricaine doit s’inspirer de ces modèles incarnés par les stars et participer à l’effort deguerre à sa manière. Enfin, les nations d’Europe sont montrées comme des sociétés uniesdans la lutte contre le nazisme, comme devraient l’être les Etats-Unis. Dans The Edgeof Darkness (Lewis Milestone, 1943) et Mrs Miniver (William Wyler, 1942), la Norvège etla Grande Bretagne sont des pays qui souffrent, certes, mais qui, grâce à la guerre, ontatteint une cohésion sociale exemplaire, quoique certainement idéalisée. Cette démocratiede fiction a pour but d’inspirer la nation américaine.

Deuxième Partie. Du point du vue des producteurs hollywoodiens, la situation enEurope doit aider les Américains à se lancer physiquement et à se projeter moralementdans la guerre et à comprendre les valeurs d’engagement et de sacrifice. Les films produitsdans les années 1940 ont également pour fonction de définir le positionnement idéologiquede l’Amérique en guerre. Dans cette seconde partie, nous verrons comment Hollywood acréé un genre cinématographique nouveau pendant la Deuxième Guerre mondiale: le filmantinazi. Sur les écrans, le monde est divisé en deux camps irréconciliables : l’axe du malcontre l’axe du bien. D’un côté l’on trouve les Nazis, mais aussi tous les collaborateurs qui

12 « Need to involve them emotionally in that war against Hitler » LYONS, Michael J ., World War II : a short history, N.J.,Pearson Education Upper Saddle River, 1989, page 186.

Page 13: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Introduction

MICLET Marion_2007 13

sont assimilés à des traitres, et de l’autre, les résistants patriotes. Les ambigüités de lasituation dans chaque pays d’Europe occupée, avec son lot de collaborateurs, de résistants,mais surtout de nombreux européens qui tentent simplement de survivre, sont évacuées. Lepatriotisme de la France éternelle ou des combattants alliés de la Royal Air Force (R.A.F) etdes Forces Françaises Libres (F.F.L) est célébré sur les écrans comme une force invinciblequi va venir à bout du nazisme. Simplifier les enjeux de la situation en Europe dans les filmscorrespond à un besoin de créer un sentiment d’union nationale et de balayer les doutesdans la société américaine. Si les Américains ont un ennemi clairement identifié et peuventse reconnaître dans des valeurs patriotiques communes à l’Europe et aux Etats-Unis, alorsla guerre devient non seulement acceptable mais nécessaire.

Troisième Partie. Enfin, nous étudierons jusqu’à quel point l’on peut parler depropagande au sujet des films produits à Hollywood pendant la Deuxième Guerre mondiale.Tous les aspects décrits précédemment nous permettent de dire que le cinéma de l’époquea certainement eu une influence sur la façon de penser la guerre aux Etats-Unis. Maisil convient de rappeler que ces films ont été produits dans un contexte où la démocratieest restée intacte. L’intervention de l’administration Roosevelt dans la production des filmspendant la guerre s’est traduite par la création d’agences gouvernementales qui ont eu unefonction d’information, plutôt que de contrôle. Nous verrons ainsi quelle a été l’influenceréelle du Bureau of Motion Pictures et de l’Office of War Information (O.W.I). La seule formede censure qui existait était de l’ordre de l’autocensure. Rappelons que le gouvernementavait à sa disposition d’autres moyens d’influencer l’opinion publique américaine, que cesoit à travers la presse, la radio et les films documentaires de la série Why We Fight dirigéepar le réalisateur Frank Capra. Hollywood dans les années 1940 était à l’apogée du « studiosystem ». Chaque production répondait à des enjeux économiques plus que politiques. Lesproducteurs mettaient en route des projets de films avec l’idée qu’ils devaient s’adresseravant tout à un public avide de divertissement, plus que jamais en temps de guerre. D’autrepart, l’influence des réalisateurs européens expatriés à Hollywood a permis d’introduire desnuances. Grâce à eux, l’image de l’Europe en guerre sur les écrans de cinéma américainsest devenue, dans une certaine mesure, plus diverse et plus complexe. Enfin, l’influencedes hommes à la tête des grands studios hollywoodiens des années 1940, les « moviemoguls », a contribué à faire tomber l’un des tabous des films antinazis : le sort réservé auxJuifs dans l’Europe occupée. La plupart d’entre eux était en effet d’origine juive13. Le cinémahollywoodien de la Seconde Guerre mondiale est donc partagé entre son indépendancepolitique et économique et son rôle de porte drapeau du patriotisme américain.

13 GABLER, Neal , et traduit par HEL GUEDJ, Johan-Frédérik, Le royaume de leurs rêves : La saga des Juifs qui ontfondé Hollywood, Calman-Lévy, 2005.

Page 14: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

14 MICLET Marion_2007

Première Partie : La Résistanceindividuelle ou collective en Europecomme métaphore du nécessaireengagement des Etats-Unis dans laguerre

« Les problèmes de ce monde ne rentrent pas dans mes compétences. Moi, jetiens un café. ».

Humphrey Bogart, Casablanca, (Michael Curtiz, 1942)« L’isolationnisme est passé de mode. »

Sydney Greenstreet, CasablancaDe nombreux films produits à Hollywood avant et pendant l’entrée en guerre des Etats-

Unis contre les puissances de l’Axe font référence à la bataille entre les interventionnisteset les isolationnistes. Le personnage du héros réticent, interprété par Humphrey Bogartdans Casablanca (Michael Curtiz, 1942) et Le Port de l’angoisse (To have and have not,Howard Hawks, 1944), devient le symbole du nécessaire engagement de l’Amérique dansla Seconde Guerre mondiale. Le sacrifice européen devient une métaphore du sacrificeaméricain : les résistants et les résistantes engagés la lutte sont érigés en modèles. Et lerenforcement de la cohésion sociale en Europe, malgré l’occupation allemande, doit inspirerla nation américaine en ces temps difficiles.

A. Le héros réticent qui représente la sociétéaméricaine partagée entre isolationnisme etinterventionnisme

Deux années séparent la sortie américaine de Casablanca (Michael Curtiz, 1942) et LePort de l’Angoisse (To have and have not, Howard Hawks, 1944), mais ces films traitenttous deux du nécessaire engagement de l’Amérique dans la guerre contre le totalitarisme.La production de Casablanca a été entamée avant même l’attaque sur Pearl Harborpar les Japonais ; en revanche, Le Port de l’Angoisse peut être considéré comme unrenouvellement des vœux de l’engagement américain au moment du débarquement enEurope et des dernières batailles dans le Pacifique. Dans les deux films, Humphrey Bogartinterprète un Américain expatrié qui vit dans des colonies françaises, le Maroc et laMartinique. Confronté à la présence des forces d’occupation allemandes et des autoritésvichystes, il doit faire un choix entre isolationnisme et interventionnisme. Avec réticence, ce

Page 15: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 15

personnage individualiste devient un héros qui sacrifie son bonheur personnel à la causede la Résistance. Pour les spectateurs de l’époque, le message est limpide : les années1940 seront des années de sacrifice pour l’Amérique.

1) Le héros réticent dans CasablancaUn récit symbolique

Le personnage principal du film est Rick Blaine, un Américain patron de café àCasablanca. A première vue, sa principale ambition est de gagner de l’argent en faisanttourner son café, sans se mêler des affaires des autres, quitte à verser des pots de vinaux autorités vichystes si nécessaire. Il est présenté comme un homme froid, cynique etindividualiste. Cependant, son passé est celui d’un homme engagé, mais qui a abandonnéses idéaux à cause d’une déception sentimentale. Avant le début du conflit mondial, Ricka livré des armes en Ethiopie en 1935 et a combattu en 1936 du côté des Républicainsespagnols. Sa carapace va se fendre lorsqu’il retrouve par hasard Ilsa (interprétée par IngridBergman), la femme qui lui a brisé le cœur. Cet échec a fait de lui un « isolationniste »sentimental, mais aussi politique, qui refuse toute forme d’engagement.

Ilsa est à Casablanca avec son mari Victor Laszlo, un Tchécoslovaque, pilier de laRésistance en Europe. Ils ne peuvent fuir la ville sans l’aide de Rick, qui n’a pas pardonné àIlsa. Finalement, il réalise peu à peu que la cause de la Résistance est plus importante queson bonheur personnel et il organise la fuite du résistant et de sa femme en avion. Le films’achève sur la scène où l’on voit Rick sympathiser avec le Préfet Renault (le représentantde Vichy à Casablanca) qui, de collaborateur, est devenu résistant. Ils décident de partirensemble rejoindre les Forces Françaises Libres à Brazzaville. « C’est le début d’une belleamitié » est la dernière réplique du film.

A sa sortie en 1942, Casablanca a été un succès public et critique. Certainement, laréactivité des producteurs a permis en partie cette réussite14. En effet, le tournage s’estachevé quelques temps avant l’arrivée des troupes anglo-américaines en Afrique du Nordet la prise de Tanger, Oran et… Casablanca. Ce succès militaire contribue à faire une bonnepublicité au film qui sort le même mois. En janvier 1943, F.D. Roosevelt et W. Churchill serencontrent pour une conférence à Casablanca. La ville est désormais connue du grandpublic américain qui se presse pour aller voir le film.

La chronologie a une grande importance. Tout d’abord, l’attaque sur Pearl Harbor, quijoua un rôle décisif dans l’entrée en guerre des Etats-Unis, a lieu pendant le tournage du film,qui raconte justement l’histoire d’un Américain dont le cœur balance entre isolationnisme etinterventionnisme. En menaçant directement l’idéal américain de séparation entre le payset le reste du monde, la Deuxième Guerre mondiale remet en cause la tradition de nonintervention. Casablanca exploite habilement le dilemme qui se pose à la société américaineau début des années 1940. Le film est l’un des premiers à traiter ouvertement de la nécessitéde l’intervention des Etats-Unis dans la guerre, avant même l’attaque par les Japonais. Lepersonnage principal a une réplique lourde de signification quand on connaît la suite desévénements : « Je parie qu’ils sont tous endormis à New York et dans toute l’Amérique ».

Le 8 décembre 1941, le président Roosevelt demande au Congrès de se prononcer surune déclaration de guerre contre le Japon, qui est votée le jour même, à l’unanimité. Le 11

14 FRIEDRICH, Otto, City of nets : a portrait of Hollywood in the 1940s, Harper & Row Publishers, 1986, page 139.

Page 16: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

16 MICLET Marion_2007

décembre, c’est au tour de l’Allemagne et de l’Italie de déclarer la guerre aux Etats-Unis15.En janvier 1942, Roosevelt prononce un célèbre discours dans lequel il tente de justifierauprès de l’opinion publique le bien-fondé de l’intervention américaine dans cette guerredevenue mondiale. Selon lui, la politique isolationniste n’est plus matériellement tenable :

Cette guerre est d’une espèce nouvelle, elle diffère de toutes les guerresdu passé, non seulement par les armes et les méthodes, mais aussi par lagéographie. C’est une guerre qui embrasse tous les continents, toutes les îles,toutes les mers, toutes les routes aériennes, dans le monde entier. […] Lesvastes océans, dont on affirmait dans le temps qu’ils étaient capables de nousprotéger contre les attaques, sont devenus des champs de bataille sans limites,sur lesquels l’ennemi nous défie à tout moment16.

Ainsi, dans une des scènes de Casablanca, lorsque Signor Ferrari ( Sydney Greenstreet) déclare à Rick que l’« isolationnisme est passé de mode » 17, c’est clairement la voix del’administration Roosevelt que l’on entend. Casablanca reste un emblème de son époquecar les conditions de tournage et le scénario se sont adaptés aux évènements mondiaux. Lecinéma hollywoodien des années 1940 possède, en effet, la faculté d’aborder les problèmesde l’époque en temps réel et de les traiter frontalement. Jamais auparavant les patronsdes studios de cinéma ne s’étaient sentis investis de la mission de justifier, de décrire etmême de prédire l’issue d’une guerre dans lequel le pays était engagé. La longévité du filmCasablanca s’explique aussi certainement par le fait que ses auteurs donnent une visionprémonitoire de l’issue du conflit: ils anticipent la victoire des Alliés contre l’Axe, grâceà la contribution de la résistance intérieure en Europe et des Forces Françaises Libresdu Général de Gaulle. Pourtant, en 1942, pas même les Français n’imaginaient une tellesolution. Même si ce n’était qu’un vœu pieux à l’époque, il faut reconnaître qu’Hollywood asu transformer son cinéma de guerre en outil de propagande. La logique de l’auto-convictionest visible dans ce film. Rick, le héros, est l’incarnation de cette volonté de donner un senset un « happy-end » à un combat qui vient de commencer pour les Américains.

En s’appuyant sur le chapitre consacré à Casablanca dans l’ouvrage de RobertB. Ray18, on constate que les auteurs du film ont réussi à transformer une œuvre depropagande en un mélodrame efficace. Même si le film est ouvertement politique et partisan,le dilemme entre isolationnisme et interventionnisme, qui divise encore l’Amérique audébut des années 1940, est subtilement déplacé du collectif vers l’individuel : il s’agit desavoir si Rick l’Américain doit aider ou non Laszlo, le résistant européen. Le but de cette« miniaturisation » du problème est de rassurer le public.

En effet, depuis l’expérience de la Première Guerre mondiale, la plupart des Américainssont angoissés à l’idée d’une intervention militaire qui signifierait la fin de leur autonomie.D’après Robert B. Ray, cette peur est la fondation de l’idéologie américaine : depuisson indépendance, le pays est considéré par ses habitants comme une entité à part,sans responsabilités vis-à-vis du Vieux Continent. En présentant, même à échelle réduite,l’intervention américaine comme possible, le film entre en contradiction avec cette idéologie.

15 GUËT, Alain et LARUELLE,Philippe, The US in a Nutshell, Paris, PUF, 2000, page 41.16 Discours radiodiffusé de F. D. Roosevelt, 6 janvier 1942.17 « My dear, Rick, when will you realize that in this world, today, isolationism is no longer a practical policy ? »

18 RAY, Robert B., A certain tendency of the Hollywood cinema 1930-1980, Princeton University Press, 1985, page 128.

Page 17: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 17

Le film résout cette tension en présentant l’engagement politique du héros commeseulement temporaire, exceptionnel19.

La lutte contre le nazisme paraît être une cause collective suffisamment grave pourforcer le peuple américain à choisir l’effort de coopération, qui avait pourtant été discréditéde façon persistante depuis les pères fondateurs de l’Amérique. Le film dépasse cettecontradiction en suggérant que le pays est capable de s’engager dans le combat sans perdreson autonomie. Ainsi le personnage de Rick parvient à réconcilier dans Casablanca deuxtendances contradictoires : l’autonomie individuelle et la participation communautaire. Rickintervient cette fois là, sans pour autant qu’il s’agisse d’un choix définitif. Cependant, danscertains passages, le film montre que cette théorie ne peut fonctionner. Il met à jour lesangoisses et les intuitions qui font penser que la Deuxième Guerre mondiale, même en casde victoire, marquera la fin de cet idéal d’interventionnisme, en quelque sorte indolore, sansdommages collatéraux. Ainsi, dans cette conversation entre Rick et l’Allemand Strasser, lenazisme semble menacer directement l’Amérique :

« - Strasser : Etes-vous un de ceux qui ne peuvent imaginer les Allemands dans votreParis adoré ? Vous nous voyez à Londres ? A New York?

- Rick : Je vous déconseille d’envahir certaines zones.- Qui va gagner la guerre selon vous ?- Je n’en ai aucune idée. »Cette réplique est une des plus pessimistes d’un film qui pourtant, dans son ensemble,

annonce dès la fin de 1942 la victoire de l’Europe et des Alliés grâce au mouvement de laRésistance. Nous le verrons ci-dessous à travers l’étude du personnage de Victor Laszlo.

D’après Robert B. Ray, le succès du film repose sur la réduction des tensionsidéologiques de la nation américaine à un conflit miniature entre deux types de héros :

- le « héros réticent » ou héros malgré lui, ce qu’il appelle le « héros hors-la-loi » (« outlaw »), représenté par le personnage de Rick.

- le héros classique ou « officiel », représenté par le résistant Victor Laszlo.Rick l’Américain et Laszlo l’Européen incarnent respectivement deux sources de

l’idéologie américaine. Tandis que le héros officiel représente la sophistication de VieuxContinent, le héros hors-la-loi représente le rejet instinctif de l’Europe et de sa culture.

« Le héros hors-la-loi »Rick Blaine est un personnage plutôt antipathique dans les premières scènes du film.

Son passé et les raisons de sa présence à Casablanca sont mystérieuses. On apprend qu’ilétait engagé politiquement. Il est interdit de séjour aux Etats-Unis à cause de sa participationdans les guerres d’Ethiopie et d’Espagne dans les années 1930. A Casablanca il s’est rangé,et ses seules préoccupations sont d’ordre économique : faire tourner son café. Parfois, illaisse entrevoir ses sentiments antiallemands20, mais de nombreuses répliques montrent àquel point il est devenu complètement apolitique, un isolationniste complet. Il affirme ainsi :

19 « By portraying all involvements in the larger community as potential threats to American exceptionalism, however, thisprojection generated an abiding ideological tension. Indeed, its fundamental disparagement of cooperative behavior necessitated acompensatory mythology whose depiction of commitments as temporary made political activity at least occasionally possible. ». RAY,Robert B, op. cit., page 129.

20 Dans les répliques suivantes : « - Ugarte : Vous l’avez bien remis en place ce banquier allemand, on dirait que vous l’avezfait toute votre vie. - Rick : Qui vous dit le contraire ? ».

Page 18: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

18 MICLET Marion_2007

« Vous faites de la politique, moi je tiens un café. ». A quoi le Capitaine Renault, chef desautorités vichystes, répond ironiquement : « sage politique étrangère ». Ou encore, Rick :« Occupez-vous de vos affaires, moi je m’occupe des miennes. » ; « Je suis la seule causequi m’intéresse. » ; «Les problèmes de ce monde ne rentrent pas dans mes compétences.Moi, je tiens un café. ». Et surtout, cette expression très imagée : « I stick my neck out fornobody ». En quelque sorte, Rick a adopté la « politique de l’autruche ».

Le personnage de Rick, au début de Casablanca, est une métaphore de l’Amérique quirestera en dehors du conflit jusqu’à ce qu’elle soit touchée au cœur, lors de l’attaque de PearlHarbor qui aura lieu, rappelons-le, lors du tournage de Casablanca. Ce film est véritablementprémonitoire, non seulement en ce qui concerne l’engagement américain dans la DeuxièmeGuerre mondiale, mais également sur l’importance décisive de la Résistance en Europe.Ainsi, lorsque Rick décide finalement d’aider le résistant Laszlo à s’enfuir, ce dernier lefélicite : « Bienvenue à nouveau du côté des combattants, cette fois la victoire est dans notrecamp. ». Cette réplique est une véritable prophétie qui s’adresse à nouveau directementau public américain.

Toujours selon Robert B. Ray, le personnage de Rick peut être comparé à une sorte deRobin des Bois, qui agit en dehors d’un système légal corrompu, au nom d’une notion plusgrande et plus personnelle de la justice. Comme le Prince des Voleurs, il vole aux richespour donner aux pauvres. Ceci est montré dans la scène où Rick truque la roulette pourfaire gagner à un jeune couple l’argent nécessaire pour acheter au Préfet Renault un visa desortie, en espèces et non pas en nature. Rick représente une moralité supra-légale, tandisque Laszlo se raccroche à la loi pour assurer sa sécurité. L’Américain a bien compris queles Allemands, tout comme la police française, sont au-dessus de la loi. Il n’hésite donc pasà remplacer un système légal corrompu par sa propre vision du bien et du mal, et c’est cequi sauve le héros « officiel », Victor Laszlo, en fin de compte.

Cependant, l’attachement traditionnel du public américain pour le héros hors-la-loiest mis à rude épreuve dans la mesure où l’idéalisme intransigeant de Laszlo s’adoucit,tandis que l’égoïsme de Rick et son détachement moral deviennent insupportables pour lespectateur. Ainsi dans cet échange entre les deux hommes :

« - Laszlo : Si nous cessons de combattre nos ennemis, ce sera la fin du monde.- Rick : Et alors ? Au moins cela mettra fin à ces souffrances. »Aux yeux du public, ce pessimisme excessif passe pour une véritable trahison face à

l’idéalisme invincible de Victor Laszlo, malgré toutes les souffrances qu’il a vécues. Si lehéros hors-la-loi semble sans espoir, sans futur, il lasse le public. C’est pourquoi, lorsqueRick décide finalement de basculer explicitement dans le camp des résistants, cela paraîtnon seulement souhaitable, mais c’est un véritable soulagement. Il s’agit alors de rassurer lespectateur, désormais convaincu de la nécessité de l’intervention américaine dans le conflit,en lui montrant que Rick peut agir sans sacrifier son indépendance. En faisant de l’amourque Rick porte à Ilsa, la motivation principale de son action, au-delà même de la politiquede lutte contre le fascisme, Casablanca fournit à son public une justification concrète etsupportable de l’intervention de Rick. Il sort de sa position d’isolationnisme sentimental etpolitique dans un même élan.

« Le héros officiel »La carrière du résistant Victor Laszlo commence à Prague, où il a distribué des journaux

clandestins avant et après l’invasion allemande. Il a finalement été arrêté par la Gestapo etenvoyé en camp de concentration. Il est devenu un super-héros de la Résistance (il a étépris et s’est échappé cinq fois des camps !), un symbole pour tous les résistants d’Europe.

Page 19: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 19

C’est le héros classique par excellence, totalement dévoué à la noble cause qu’il défend,avec modestie : lorsqu’il évoque ce qu’il a subi en camp de concentration, il reste laconique :« on perd du poids » ; mais il affirme également être mort cinq fois, à chaque capture. Dèsson arrivée à Casablanca, et même s’il est surveillé de près par les autorités françaises etallemandes, il reprend son activité. Il rencontre un Norvégien qui a une vision optimiste de larésistance contre le nazisme, puisqu’elle existe à Casablanca, « comme partout ailleurs ».

Victor Laszlo, et à travers lui les tenants de l’intervention américaine, laisse entendreau public que la résistance en Europe est infinie et invincible. Plusieurs répliques du film leprouvent. Ainsi, lorsque le Major Strasser exige qu’on lui révèle les identités des chefs de laRésistance en Europe, les villes de Paris, Prague, Bruxelles, Oslo, Amsterdam, Belgradeet Athènes sont citées. Laszlo ajoute avec impertinence : « Vous voulez aussi les nomsdes résistants à Berlin ? ». Il affirme aussi : « Je n’ai pas trahis les résistants dans lescamps de concentration où vous aviez des méthodes plus persuasives . Je ne risque pasde le faire ici. Quand bien même vous les tueriez tous, des milliers d’autres surgiraient detoute l’Europe. Vous n’oseriez pas me tuer ici, en France non occupée. ». On trouve danscette dernière réplique, en plus d’une dénonciation implicite de la torture pratiquée par laGestapo, la confiance absolue qu’a Laszlo dans la légalité et la justice. Il représente bien lecontraire de Rick, le héros hors-la-loi. Il garde son calme face à Strasser qui lui dit « Vous

étiez tchécoslovaque, vous êtes à présent un sujet du III e Reich. », et répond ironiquement«Je n’ai jamais accepté ce privilège, et je suis maintenant sur le sol français. ».

Son action est motivée par des principes abstraits et rationnels. Résister c’est toutsimplement une nécessité vitale pour lui. Quand Rick lui demande : « Est-ce que vous nevous demandez pas parfois si tout cela en vaut la peine ? Pourquoi vous battez-vous ? ». Ilrépond : « Vous pourriez aussi bien me demander pourquoi je respire. Si nous cessons derespirer, nous mourrons ; si nous cessons de combattre nos ennemis, le monde mourra ».Dans les dernières scènes du film, le pragmatisme et le scepticisme de Rick sont vaincus :à ceux qui veulent arrêter Laszlo, il rétorque « Vous n’avez aucune preuve, ceci n’est pasl’Allemagne, ni la France occupée ». Le héros hors-la-loi finit donc par se ranger du côté del’idéal de légalité et de justice. L’Américain et l’Européen ne font plus qu’un dans le combatcontre le fascisme. Comme Rick, métaphore cinématographique de son pays, l’Amériquedoit s’engager.

2) Le héros réticent dans Le Port de l’angoisseDans Le Port de L’Angoisse (To Have and have not, Howard Hawks, 1944), le héros suit lemême parcours moral que celui de Casablanca : de l’individualisme à l’engagement pourla cause de la Résistance. On trouve à nouveau Humphrey Bogart dans le rôle du hérosmalgré lui, à quelques nuances près.

Premièrement, Le Port de l’Angoisse a été tourné deux ans après Casablanca, et cettedifférence temporelle a de l’importance. Dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale,la production de films s’adapte presque instantanément aux évolutions militaires, politiqueset diplomatiques. Au moment où Howard Hawks filme Le Port de l’Angoisse, le débat entreisolationnisme et interventionnisme n’est plus à l’ordre du jour, et il s’agit d’avantage derenouveler la confiance que porte la nation américaine dans ses troupes qui, en 1944,sont engagées en Asie et en Europe. L’individualisme du héros ne traduit plus la tentationde la non-intervention mais plutôt la lassitude, les doutes et les peurs que ressentent lesAméricains après plusieurs années de conflit. La fonction d’auto-conviction est toujours à

Page 20: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

20 MICLET Marion_2007

l’œuvre : le film porte un message de confiance et d’espoir infaillible dans la victoire quidoit servir à justifier aux yeux du public américain le rôle primordial tenu par les Etats-Unisparmi les Alliés.

Une critique subtile du régime de VichyComme dans Casablanca, l’action du Port de l’Angoisse se déroule dans une colonie

française, la Martinique, où les représentants de Vichy et la Gestapo ont le pouvoir. Avec lerecul des années passées depuis 1942, Hollywood a une vision plus critique de la Francede Vichy. Les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le régime du Maréchal Pétainont d’ailleurs été rompues à l’initiative de ce dernier, à la fin de 1942, après le débarquementallié en Afrique du Nord (« Opération Torch » le 8 Novembre).

Certains éléments du film ont pour but de créer un effet de réalisme. Tout d’abordle nom du représentant de la France de Vichy en Martinique est exact : L’Amiral Robert,« Haut Commissaire des Antilles et de la Guyane », qui, d’après Dorothy Shipley White,avait instauré une sorte de « dictature miniature sur l’île et suivait de près la ligne de Vichy »21. Le portrait qui est fait de lui dans le film est sans concessions : dans la scène d’ouverture,on voit l’Amiral exiger les noms d’Harry (Humphrey Bogart) et d’Eddie (Walter Brennan),sous prétexte qu’il a cru les entendre faire une remarque désobligeante à l’égard du régimede Vichy. Contrairement à l’image des autorités françaises dans Casablanca, qui étaientreprésentées par le personnage ambigu du Préfet Renault, la police française (« sûreténationale ») est ici représentée caricaturalement par un acteur avec un fort accent françaiset un béret. Soit les forces de l’ordre emploient des méthodes totalement arbitraires, soitelles sont montrées à la botte de la Gestapo, la seule force qui fait réellement la loi sur l’île.Les problèmes sont résolus par des règlements de compte et des fusillades. Lors d’unescène d’interrogatoire, le dévouement à la France de Vichy semble s’obtenir par la menace :

« - Quelles sont vos sympathies M. Gérard ?- Je suis pour la France- C’est bien, tâchez de le rester. »La personne de Maréchal Pétain est plus ouvertement critiquée. La tutelle vichyste

dans les territoires français d’Outre-mer nous est signifiée dès le début, par une affichereprésentant Philippe Pétain avec une devise légèrement différente de celle de l’Etatfrançais : « Honneur, Famille, Patrie ». L’importance prise par les représentants ou lessymboles de Vichy dans le film est conforme à la réalité :

Bien entendu, la propagande vichyssoise se développa aussi dans l’Empire, où elleatteignit une intensité jamais atteinte. Elle entendait instaurer un véritable culte du Maréchal :des affiches, des tracs, des films célébrant ‘‘l’homme aux sept étoiles d’or’’ étaient censéssoulever l’enthousiasme des populations. […] De gigantesques portraits de Pétain trônaientdans tous les lieux publics22.

Hollywood semble railler cette iconographie qui justement est omniprésente dans lefilm, par souci de réalisme, mais aussi comme critique implicite. Ce n’est pas pour rien que lehéros aide les combattants de la France Libre, la France de ceux qui rejettent Vichy commegouvernement légitime de la nation française. Puisque l’action du film se passe à Fort-de-France, Hollywood n’élude pas la symbolique du régime de Vichy, mais la contrebalance

21 WHITE, Dorothy Shipley, Les origines de la discorde: De Gaulle, la France Libre et les Alliés, Paris, Ed. de Trévise, 1967,page 160.

22 AZEMA, Jean-Pierre et BERIDA, François, Vichy et les Français, Fayard, 1992, page 128.

Page 21: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 21

par la présence du drapeau tricolore, le symbole des résistants français dans les filmsaméricains.

Une certaine lassitude dans la société américaine en guerreDe nouveau, Humphrey Bogart joue un héros solitaire qui finira par s’engager dans

la lutte contre le nazisme. Cependant, même si son personnage aboutit aux mêmesconclusions que Rick dans Casablanca, il le fait avec plus de cynisme. Ce sont avant tout lesmotivations économiques qui le conduisent à aider les résistants. Lorsque qu’un résistantfrançais lui confie : « - Je suis content que vous soyez de notre côté. », il répond « - Je ne lesuis pas, je veux simplement être payé. ». Ou encore : « - Vous avez sauvé la France !», « -Non, je veux juste sauver mon bateau. ». En 1944, les auteurs du film se permettent mêmede se moquer de l’alliance entre les Américains et les Forces Française Libres, comme onle constate dans ce dialogue entre l’un des résistants et le héros, Mr. Morgan :

« - Le résistant : Mr Morgan, je pensais que tous les Américains étaient de notre côté.- Mr. Morgan : Ils le sont mais il y a une rumeur qui court, selon laquelle ils envoient ceux

qui font ce que vous faîtes sur l’Ile du Diable. Ma sympathie pour votre cause a des limites.- Le résistant : Mais ils ne feraient pas ça à un Américain !- Mr. Morgan : Vous croyez vraiment ça… ».A la différence de Rick dans Casablanca, le personnage de Bogart dans Le Port de

l’Angoisse s’engage sans conviction :« - Le résistant : Ces personnes que nous venons de quitter [la Gestapo] ont rejoint

Vichy. Vous savez ce que c’est ?- Mr. Morgan : Vaguement.- Le résistant : Ils ont la Marine avec eux. Les personnes sur qui ils tiraient ce sont les

Forces Françaises Libres. Vous savez qui ils sont ?- Mr. Morgan : Pas vraiment.- Le résistant : La plupart des gens de cette île sont des patriotes. Ils sont pour le

Général de Gaulle, mais jusqu’à présent ils n’ont pas été capables de faire grand chose. ».Cet échange est significatif d’un certain cynisme ou peut-être d’un découragement de

la part des Etats-Unis. En 1944, l’opinion publique américaine, lassée de la guerre, se sent-elle vraiment concernée par l’action de la France Libre ? Le Port de l’Angoisse s’inscrit àpremière vue dans la mouvance des films qui justifient l’engagement des Etats-Unis, maisen même temps, ce film met en cause implicitement le bien fondé du sacrifice américain. En1944, le chemin vers la victoire en Europe paraît encore bien long. Le héros désabusé finitpar trouver une raison autre que financière à son combat pour la Résistance, mais reste bienvague sur ses convictions politiques. Lorsque le gérant français de l’hôtel, qui sympathiseavec les résistants, lui demande pourquoi il les a aidés, Mr. Morgan répond : « Je ne saispas, peut-être parce que je vous aime bien, peut-être parce que je ne les aime pas. [LesAllemands] ». Jusqu’au bout, les Américains auront besoin de se représenter au cinémala guerre en Europe pour se convaincre que leur devoir est d’intervenir. En montrant, defaçon plus directe, les sacrifices et les tourments des populations occupées et des résistantshommes et femmes dans les pays où règne l’ordre nazi, Hollywood redonnera un secondsouffle à l’engagement américain. En voyant sur les écrans une version à la fois réaliste etromancée de la situation en Europe, la société américaine en guerre relativisera ses propressouffrances.

Page 22: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

22 MICLET Marion_2007

B. Le sacrifice européen comme métaphore dusacrifice américain

Le sacrifice européen se présente dans le cinéma américain de deux façons dans lesannées 1940. D’une part, Hollywood produit des œuvres appartenant à un nouveau genrecinématographique : le film sur la Résistance. Ces fictions où l’engagement des résistantseuropéens est mis en avant doivent motiver le combat des Etats-Unis contre le fascisme.D’autre part, le rôle des héroïnes de cinéma dans la participation à l’effort de guerre estmontré comme crucial. Le but est d’inciter les Américaines restées à l’arrière à contribuer àla lutte en quittant le foyer pour travailler dans les industries de guerre.

1) Un genre nouveau : le film sur la RésistanceL’absence de conflit entre les Américains et les Allemands au début des années 1940conduit les producteurs hollywoodiens à faire des films de situation, plutôt que d’action,où ce sont les rapports entre les occupés et les occupants qui sont analysés23. La seuleforme de combat qui peut être montrée est celle des « forces de l’ombre », d’où la grandeplace accordée au rôle de la Résistance dans ces films, même si elle n’a été le fait qued’une minorité agissante. C’est la naissance d’un nouveau sous-genre du film de guerre :le « Resistance film ».

Des récits de fictionLe paradoxe est que la Résistance en Europe était assez limitée jusqu’en 1943, alors

que les films étudiés pour ce mémoire ont été réalisés en 1941 et 1942 pour la plupart.Leur but n’est donc pas de montrer la réalité des actions résistantes en Europe, maisplutôt de justifier le bien fondé de la lutte contre le nazisme. « La Résistance est l’un desmythes fondateurs de nos sociétés européennes, elle incarne le recours légitime à la forcearmée pour une cause juste : le combat pour la démocratie. Ceux qui l’animèrent sontdépeints comme des héros aventureux et des guerriers défiant dans l’ombre l’inacceptabletyrannie. »24. Jean-Pierre Azéma complète ce point de vue :

La mémoire collective retient généralement du résistant une image confuse oùs’entremêlent l’agent secret, le justicier ou le hors-la-loi ; qui tient de l’acteur de western,du chevalier sans peur et sans reproche, faisant sauter, mitraillette au point, un nombreincalculable d’usines et de trains. Certes, il y eut bien des épisodes étonnants, voirerocambolesques, mais ils étaient l’exception25.

Cependant, le sacrifice pour sa patrie est présenté au cinéma comme un phénomènemajeur en Europe occupée. Cette guerre de l’ombre idéalisée doit faire résonner la fibrepatriotique des Américains eux-mêmes, toujours partagés entre isolationnisme et solidaritéenvers le continent. Anciens colonisés, les Américains sont naturellement sensibles à cemessage de rébellion qui doit conduire à la Libération. Certains héros sont même desrésistants américains expatriés en Europe comme Rick dans Casablanca. Ces films tournésau début des années 1940 sont très optimistes, Hollywood semble avoir une confiance

23 SCHULL, Michael S. et WILT, David Edward, Hollywood War Films 1937-1945, Mc Farland & Company, Inc. Publishers, 1996,page 225.

24 SEMELIN, Jacques, Sans armes face à Hitler, La Résistance civile en Europe 1939-1943, Ed. Payot, 1989, page 45.25 AZEMA, Jean-Pierre, De Munich à la Libération 1938-1944, Paris, Ed. du Seuil 1979, page 169.

Page 23: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 23

infaillible dans l’efficacité de la Résistance : sept films sur douze se concluent par un happy-end26. Malgré les dangers, la plupart des résistants dont Hollywood tire le portrait réussissentà s’échapper pour l’Angleterre, à tromper les Nazis, ou même à les tuer. Une constante sedégage de tous ces films : le sacrifice est porteur d’un message d’espoir. Malgré les morts(souvent des seconds rôles), la Résistance est montrée comme invincible. Pour chaquepatriote tué, un autre vient le remplacer. De façon prémonitoire, on voit dans ces films lesEuropéens, situés du côté du bien, vaincre les puissances de l’Axe.

Des images de la réalitéBien sûr les Américains ne sont pas dupes et savent mettre en perspective les actions

héroïques qu’ils voient sur les écrans des actualités de guerre, diffusées juste avant lefilm dans les salles de cinéma. Le problème sur le plan moral c’est que les vraies imagesd’actualité sont souvent utilisées dans ces films. Elles sont intercalées entre des plansdes héros tournés en studio et entraînent une confusion volontaire entre réalité et fictiondans l’esprit des spectateurs. Souvent, les Allemands sont présents dans le rôle de pilotesd’avion anonymes, responsables de bombardements et de destruction. Dans l’autre camp,les avions de la Royal Air Force (R.A.F) sont montrés comme des chevaliers du ciel, venantsauver les peuples opprimés d’Europe. Les pilotes de la R.A.F sont interprétés par desstars de Hollywood : Humphrey Bogart ou John Wayne. Dans Reunion in France (JulesDassin, 1942), l’invasion allemande en France est montrée de façon poignante : des vraiesimages de la défaite puis de l’exode se mêlent à des plans montrant le désarroi de l’héroïne(interprétée par Joan Crawford). L’impact émotionnel est bien plus grand. Les spectateurssont conscients d’assister à un spectacle qui a réellement eu lieu en France. Le fait desuivre le parcours d’une Française parmi les autres, renforce la fonction d’identification. Cemélange entre fiction et réalité, certes discutable, est à la base des films sur la Résistance.Ce qui en fait donc un genre parfois presque à la limite du documentaire.

2) Le rôle de la femme dans les films sur la RésistanceL’épouse dévouée à son mari résistant

Dans Casablanca et Le Port de l’Angoisse, la fonction première des femmes est desoutenir leur mari. Ingrid Bergman, qui joue l’épouse de l’un des piliers de la Résistance enEurope, accepte de sacrifier son amour pour Rick afin de contribuer elle aussi à la libérationde l’Europe. En restant près de son mari, elle lui apporte un soutien moral et une raisonsupplémentaire de se battre. Dans Le Port de L’Angoisse, la femme du résistant exprimeune motivation tout aussi noble « Je l’aime, je veux rester prêt de lui. », mais également pluspragmatique : « Aucun homme ne peut se battre s’il laisse quelqu’un à la maison qui peutêtre retenu par les Allemands. ». Ainsi, elle est entraînée dans la Résistance malgré elle.Elle doit vivre tous les dangers que cela implique et suivre son mari comme une ombre, pourne pas freiner son action en devenant un moyen de pression pour les Allemands. Ce rôle defemme passive est conforme aux rapports entre les sexes dans la société américaine desannées 1940. Au début de la guerre, la fonction sociale réservée aux Américaines dont lesépoux étaient partis au combat était de supporter l’absence et de maintenir la cohésion dufoyer. Dans Passage to Marseille (Michael Curtiz, 1944), Michèle Morgan est l’épouse d’unpilote de la R.A.F. Celui-ci a quitté le foyer avant la naissance de leur fils. Il communiqueavec sa famille en leur jetant des lettres depuis son avion lorsqu’une mission lui permet de

26 Casablanca, To be or not to be, Lune de miel mouvementée, Reunion in France, The Edge of Darkness, Hangmen alsodie et Le Port de l’angoisse.

Page 24: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

24 MICLET Marion_2007

voler au dessus de la maison. Dans ce film, la femme du pilote, en son absence, ne peutjouer qu’un rôle de mère : elle inculque à son jeune fils, qui représente l’avenir de la nation,les valeurs pour lesquelles son père se bat.

Avec la prolongation du conflit, le rôle des femmes dans la société américaine, et doncau cinéma, commence à évoluer. De plus en plus d’épouses et de mères sont incitées às’engager dans les industries de guerre pour reprendre les postes laissées vacants par leshommes. Elles deviennent de plus en plus impliquées dans le combat.

La femme rebelleDans les films hollywoodiens, certaines héroïnes, sans pour autant basculer dans la

Résistance, montrent des signes d’impatience de plus en plus voyants. Cela se traduitpar une certaine impertinence vis-à-vis des forces d’occupation allemandes. Ce procédéredonne aux épouses des résistants un rôle symbolique d’importance. Refuser de sesoumettre complètement c’est le premier pas vers la résistance active. D’ailleurs, dansReunion in France, Michèle de la Becque (Joan Crawford) se rebelle contre les Allemands,avant de se retrouver impliquée directement dans l’organisation de l’évasion d’un pilote dela R.A.F. La révolte commence avec des mots, voire même avec des non-dits. Face auxAllemands, le personnage de Joan Crawford s’exclame : « Je ne préfère pas vous dire toutce que je pense de vous, c’est sûrement passible de la peine de mort. ». Ensuite la rébellions’exprime sous forme de petits gestes : dans Hangmen also die (Fritz Lang, 1943), l’héroïneindique la mauvaise direction aux Allemands qui sont à la recherche de l’assassin deReinhard Heydrich. Comment devient-on résistante ? Pour Bernadette Bayada, « Beaucoupdeviennent résistantes par hasard. Un jour on leur donne un journal clandestin à lire, puison leur demande de le distribuer. Puis, on leur demande d’héberger quelqu’un. Et c’estl’engrenage. »27.

L’héroïne de Reunion in France se sert aussi de son statut de femme et de tous lespréjugées qui y sont associés pour tromper les Allemands : candeur, impuissance, docilité…Dans une scène assez surprenante, tandis qu’un policier français tente de convaincre unofficier allemand que les mœurs sexuelles des Françaises sont assez relâchées, JoanCrawford accepte d’embrasser un inconnu poursuivi par la Gestapo (John Wayne). Pourlui servir d’alibi, elle fait en quelque sorte don de sa personne. Dans un autre passage dufilm, elle ira même jusqu’à accepter les avances d’un Allemand pour que le personnage deJohn Wayne puisse s’échapper incognito. Abandonnant la révolte ouverte du début du film,Michèle se métamorphose en femme conciliante pour mieux duper les Allemands. A la findu récit, l’héroïne a pleinement basculé du côté de la résistance armée.

La femme active dans la RésistanceEn montrant des femmes aussi dévouées à la cause de la libération dans les

pays d’Europe, le but des producteurs hollywoodiens est de donner des modèles decomportement patriotique aux Américaines. Premièrement, elles doivent accepter l’absencede leur compagnon, frère ou fils et supporter les sacrifices matériels au nom de la grandecause qu’est la guerre contre les puissances totalitaires. Deuxièmement, les résistantes defiction doivent donner aux Américaines l’envie de s’engager à leur façon. Si les héroïnes deHollywood sont capables de risquer leur vie (même si ce n’est que du cinéma), par logiqued’identification avec les stars qui incarnent ces résistantes, les femmes restées à l’arrière

27 BAYADA, Bernadette, Quelques éclairages sur la résistance française, Les leçons de l’Histoire, numéro sur les résistancesciviles, 1983, page 45.

Page 25: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 25

doivent aussi contribuer à l’effort de guerre. « Don’t you know there is a war on ? »28 devientrapidement le mot d’ordre dans la société américaine.

Dans le film Vivre Libre (The Land is mine, Jean Renoir, 1943), l’héroïne cumulepresque tous les rôles. D’abord elle travaille : en tant qu’institutrice, tout en respectant lesconsignes des autorités allemandes, elle apprend à ses élèves l’histoire de la France, nationde la devise « liberté, égalité, fraternité ». C’est aussi une seconde mère pour ses élèves :elle les conduit jusque l’abri anti-bombe et les rassure. De plus, c’est une femme engagée.Elle émet à voix haute le souhait de voir les avions « de nos amis anglais » recouvrir le cielde la France. Officieusement, elle soutient son frère, le chef de la résistance locale. Enfin,en tant que femme, elle décide de rompre avec son fiancé lorsqu’elle réalise qu’il est uncollaborateur. Dans tous les aspects de sa personnalité, cette femme se bat pour un combatqu’elle estime juste. Même l’amour devient secondaire dans le contexte de la guerre : dansThe Edge of Darkness (Lewis Milestone, 1943), l’un des personnages féminins tue de sespropres mains l’Allemand qu’elle aime. C’est cette image qu’Hollywood veut montrer auxfemmes américaines restées à l’arrière.

Cependant, les films américains présentent toujours les femmes de la Résistance dansdes rôles secondaires. Ceux qui semblent prendre de vrais risques ce sont les hommes.Jamais on ne voit à l’écran une femme tuée à cause de son action contre les Allemands,comme si son travail était moins dangereux. En revanche, Hollywood se sert de la souffrancedes femmes au cinéma pour déshumaniser d’avantage l’ennemi nazi : dans Hangmen alsodie, une vieille femme qui refuse de témoigner est torturée ; dans The Edge of Darkness, ondevine que l’héroïne a été violée par les Allemands. Si au cinéma l’égalité des sexes faceà la mort ne semble pas respectée, en réalité les Allemands ne font pas de distinction. Bienau contraire, comme l’explique Bernadette Bayada, ce sont les femmes de la Résistancequi ont été les plus décimées. En effet, celles que l’on appelle les « agents de liaison »sont indispensables mais très exposées car elles sont chargées de nombreuses petitesmissions, effectuées plus ou moins ouvertement. « Elles étaient utiles et utilisées, mais nonreconnues. Il n’y avait pas d’égalité hommes-femmes. »29. Or, « sans les actes minusculeset surtout quotidiens posés par des centaines de femmes, la Résistance n’aurait pas eulieu. »30. B. Bayada donne l’exemple d’Anne-Marie Bauer, membre de Libération et qui futchargée par Jean Moulin de parcourir la France pour inventorier les endroits convenant àdes parachutages ou à des atterrissages clandestins. Jamais elle ne fut autorisée à assisterà une opération de parachutage. Or, lorsqu’elle fut capturée, elle fut torturée et fusillée parles Allemands. On lui réserva exactement le même sort qu’aux hommes.

Le seul film qui montre une femme véritablement impliquée dans la lutte armée estThe Edge of Darkness. La fiancée du héros reste combattre en Norvège, plutôt que dequitter le pays comme la plupart des femmes du village, évacuées avec les enfants versl’Angleterre. Dans la dernière scène, on la voit tirer à distance avec une mitraillette sur unsoldat allemand qui hissait le drapeau nazi. Or d’après Bernadette Bayada, « Les actionsdes femmes étaient en majeure partie non violentes. […] Peu de femmes ont participé auxmaquis armés. »31. Dans la réalité, à quelques exceptions près, la distribution des rôlesentre résistants et résistantes était figée : la lutte armée est menée essentiellement par deshommes, tandis que les femmes servent d’auxiliaires.

28 « Ne savez-vous pas que c’est la guerre ? »29 BAYADA, Bernadette, op. cit., page 46.30 BAYADA, Bernadette, ibidem.31 BAYADA, Bernadette, op. cit., page 47.

Page 26: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

26 MICLET Marion_2007

En déconstruisant cette classification dans un film comme The Edge of Darkness,mais également dans Mrs Miniver (William Wyler, 1942), où l’on voit une femme aufoyer anglaise s’emparer de l’arme d’un soldat allemand égaré, Hollywood contribueà faire changer les mentalités. Lorsque la guerre se termine pour les Etats-Unis, lesrapports hommes-femmes rentrent apparemment dans l’ordre. Cependant, même si laplupart des femmes américaines doivent abandonner leurs postes dans les industries deguerre, les changements économiques et sociaux introduits entre 1941 et 1945 aurontdes conséquences importantes dans les années à venir : dans les années 1950 avec larévolution sexuelle, puis dans les années 1960 et 1970 avec le mouvement de la libérationde la femme et les revendications féministes.

C. Une cohésion sociale européenne idéalisée par lecinéma pour servir de modèle aux Américains

Utilisant l’exemple de pays occupés tels que la Tchécoslovaquie et la Norvège, ou d’unpays allié comme la Grande Bretagne, Hollywood fait le portrait d’une Europe où règne unecohésion idéalisée. L’attitude admirable de ces sociétés confrontées au nazisme sert demodèle à la nation américaine qui vient à son tour de s’engager dans la bataille contre letotalitarisme.

1) Une cohésion sociale dans les pays occupés idéalisée parHollywood

L’unité contre la répression : l’exemple de la TchécoslovaquieComme l’explique Jacques Semelin :

Il n’y a résistance efficace qu’insérée dans un tissu social qui la stimule etla protège. Sans la complicité d’un environnement favorable, toute forme derésistance est fortement vulnérable. Bien des résistants ont attesté qu’ils durentla vie à l’aide providentielle de la porte d’une maison s’ouvrant au bon momentou au geste discret d’un inconnu signalant un danger imminent32.

C’est un geste comparable qui fait débuter l’action dans Hangmen also die. Réalisé par FritzLang en 1943, ce film raconte la vague de répression qui suivit l’attentat réussi par un groupede résistants contre Reinhard Heydrich, le « Reich Protector » de la Tchécoslovaquie. Letexte en introduction du film insiste sur le rôle fondamental de la cohésion sociale dansle pays : « Ni la trahison de la Tchécoslovaquie, ni le bain de sang provoqué par leshordes nazies n’a pu vaincre l’esprit de ce peuple. Des traditions brûlent depuis un millierd’années dans leurs cœurs et c’est dans ce feu pour la liberté qu’une fraternité secrète s’estforgée, une armée vengeresse qui se cache mais qui a juré de débarrasser ses terres desenvahisseurs nazis. »

Le film raconte comment la nouvelle de la mort de Heydrich a eu un effet galvanisant,non seulement sur les hommes de la Résistance qui ont réussi cet exploit, mais égalementsur la population tchèque toute entière. Même si en termes militaires et politiques, la situation

32 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 129.

Page 27: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 27

de la Tchécoslovaquie n’a fait qu’empirer par la suite, la répression devenant de plus en pluscruelle, le film de Fritz Lang salue l’inébranlable moral de la population occupée. La fierténationale est ravivée. Les résistants sont montrés comme des hommes qui sont prêts à sesacrifier pour la collectivité : ainsi, l’un des suspects arrêté après la mort de Heydrich se jettepar la fenêtre pour ne pas risquer de parler sous la torture. Les appels à la dénonciation semultiplient à la radio mais malgré la prise d’otages, la population tient bon. Certes, les otagessont amers en pensant aux résistants qui sont encore libres, mais ils acceptent leur sort.La société tchèque sort renforcée des évènements même si les conditions d’occupation quiont suivi l’assassinat d’Heydrich ont été bien plus sévères.

Dans son livre sur la résistance civile, Jacques Semelin donne une explication à cephénomène:

La répression apparaît comme l’un des facteurs déterminants du développement‘‘conjoncturel’’ de la cohésion sociale. On est habitué à penser la répressioncomme le moyen suprême dont dispose un tyran pour semer la terreur parmi sessujets. […] Au delà d’un certain seuil, la répression devient contre-productive parrapport à ses propres objectifs. Au lieu de « faire éclater » la société sur laquelleelle s’abat, elle l’unit. C’est pourquoi paradoxalement la répression peut susciterla cohésion33.

A la fin du film, toute la population de la ville va se liguer pour faire porter le chapeau àun collaborateur tchèque. Un formidable complot s’organise: lorsque qu’une multitude detémoins sont appelés pour confirmer l’alibi du collaborateur, tous témoignent contre lui. LesAllemands concluent que cet homme est le coupable de l’assassinat de Reinhardt Heydrich.Malgré les otages exécutés, c’est la nation toute entière qui est victorieuse.

La démocratie résistante : l’exemple de la NorvègeLa Norvège est envahie par les puissances de l’Axe le 9 avril 1940. Le roi et les

principaux dirigeants du pays s’exilent à Londres, tandis que Vidkun Quisling prend la têted’un gouvernement collaborationniste. Quisling est le dirigeant du parti national-socialistenorvégien, numériquement faible, ce qui peut expliquer pourquoi la tentative de ce nouveaurégime est un échec. Les Norvégiens reconnaissent pour seul gouvernement légitime celuidu roi Haakon IV. Une résistance active se coordonne progressivement à l’échelle nationale.L’importance de la cohésion sociale en Norvège a été notée par Jacques Semelin : « Lacroissance de la résistance obéit à une série de réactions sociales en chaîne qui, à lamanière du processus réactif en chimie, ‘‘précipitent’’ dans l’action certains éléments. Cefut la réunion de ces mobilisations partielles qui aboutit à l’édification d’une résistanced’envergure nationale. »34. Celle-ci s’organise en deux secteurs :

- le « Milorg », nom donné à l’organisation militaire de défense qui réunit les forcesarmées norvégiennes, les forces alliées hors de Norvège, les services de renseignementmilitaires, les fabricants de stocks d’armes secrets,

- le secteur civil appelé « Sivorg ».PourGuy Boubault, les raisons principales du développement de la Résistance sont

l’attachement à la démocratie, et l’homogénéité sociale35.

33 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 114.34 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 124-125.35 BOUBAULT, Guy, L’exemple le la Norvège, Les leçons de l’Histoire, numéro sur les résistances civiles, 1983, page 32-33.

Page 28: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

28 MICLET Marion_2007

L’Amérique des années 1940, elle-même en quête d’union nationale au moment oùle pays s’engage dans la Deuxième Guerre mondiale, est particulièrement sensible à cethème. Un grand nombre de films de guerre produits à Hollywood ont pour contexte laNorvège occupée par les Allemands. D’après les auteurs Robert L. McLaughlin et Sally E.Parry, il y a deux raisons principales à cela. La première c’est que, tout comme les Etats-Unis, la Norvège voulait rester neutre dans le conflit et c’est seulement sous la pressiondes circonstances que le pays s’est retrouvé impliqué dans la guerre. De plus, l’opinionpublique compatit volontiers avec la Norvège car le pays semble avoir été trahi de l’intérieurpar Vidkun Quisling, qui a tenté de prendre le contrôle du gouvernement démocratiquementélu. La deuxième raison de l’intérêt que portent les producteurs américains à l’occupationen Norvège est la détermination du peuple qui a résisté à l’invasion allemande de façonobstinée. En effet, l’armée norvégienne, avec l’aide des Anglais, Français et Polonais atenu bon pendant deux mois et le roi Haakon VII s’est exilé avec son gouvernement pourl’Angleterre, plutôt que de se lancer dans une politique de collaboration36.

Un parallèle avec la Norvège s’est peu à peu formé dans l’esprit des Américains : voilàcomment le pays devrait idéalement agir en cas d’invasion ennemie. Le film The Edge ofDarkness (Lewis Milestone, 1943) qui se déroule en Norvège, est un bon exemple de cettecohésion sociale idéalisée à l’échelle d’un petit village de pêcheurs, Trollness. Tout d’abord,la résistance à l’oppression est montrée comme le fait de la population tout entière. Koenig,le responsable des forces de l’ordre allemandes confie ainsi à un envoyé de Berlin quepour mettre fin à la résistance locale il faudrait lui donner les noms de tous les hommes,femmes et enfants de la ville ! La Résistance est donc diffuse, mais d’après les Allemands,elle est sous contrôle, car bien qu’unanime dans son refus de l’occupation allemande, lapopulation du village craint la mort. Même s’ils sont supérieurs numériquement, les citoyenssont en position de faiblesse face aux Allemands armés. Le film raconte justement comment,peu à peu, le village prend conscience de son potentiel de rébellion : chaque citoyen, prisséparément, est impuissant. La force est dans le nombre, il faut donc faire passer sesintérêts individuels au second plan.

Le film nous montre comment les résistants de Trollness décident d’accepter des armeslivrées par l’Angleterre. En effet, les Special Operations Executives (S.O.E), créées parWinston Churchill pour assurer les liaisons entre l’Angleterre et les mouvements dissidentsen Europe, ont été très actives en Norvège. L’infrastructure des S.O.E est établie en 1939,souvent sous forme d’agents camouflés dans les consulats britanniques. Le film donned’ailleurs l’exemple d’un agent des S.O.E se faisant passer pour un officier Allemand. Lesuccès des Special Operations Executives en Norvège montré dans The Edge of Darknessest réel : « C’est ainsi que, de la Norvège aux Iles Shetland, la liaison devient si régulière etsi sûre que les marins norvégiens, qui l’assuraient sous direction britannique, la baptisèrentle ‘‘Shetland Bus’’ ; à la fin de 1944, malgré la lenteur des bateaux norvégiens, quatre centtonnes d’armes et soixante postes émetteurs avaient passé la mer. »37. Les Américainscombinent donc dans ce film des faits d’actualité avec leurs idéaux d’union nationale et dedémocratie.

La scène la plus emblématique montre le débat qui a lieu à l’intérieur d’une église,transformée pour l’occasion en un véritable forum républicain. La tactique choisie par leshabitants pour organiser un semblant de démocratie au nez et à la barbe des Allemandsmobilise toutes les forces villageoises. Le prêtre ne cautionne pas la violence, mais participe

36 MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., We’ll always have the movies, American cinema during World War II, TheUniversity Press of Kentucky, 2006, page 174.

37 MICHEL, Henri, La guerre de l’ombre, La résistance en Europe, Ed. Bernard Grasset, 1970, page 132.

Page 29: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 29

passivement en faisant semblant de célébrer une messe tandis que les villageois débattent.Les enfants qui jouent aux portes de l’église sont chargés de donner l’alarme en cas depatrouille allemande. Une fois le dispositif clandestin mis en place, le débat peut commencer.Malgré les risques encourus, les villageois ont certains atouts de leur côté: le nombre, lesarmes qui peuvent être livrées depuis l’Angleterre et surtout, l’énergie du désespoir. C’estce qui ressort dans les propos d’une des résistantes : « Sacrifier votre vie ? De toute façonils vont nous tuer ; sacrifier vos possessions ? De toute façon, tant qu’ils sont là, rien nenous appartient ; votre repos ? Quel repos y a t-il quand ils peuvent débarquer au milieude la nuit et nous prendre en otages ? ; nous vivons dans une peur constante. ». Pour lesNorvégiens, le choix est le suivant : refuser individuellement l’occupation allemande ou bien« aller au-delà des actes de résistance (et le statut de victime qu’ils sous-entendent) pourdevenir un combattant qui œuvre à la libération de son pays sans attendre d’être sauvé parles Britanniques ou les Américains. »38.

Le choix de l’engagement pour le bien de la collectivité est présenté dans ce film commele résultat d’un processus véritablement démocratique. La société clandestine créée par lesrésistants est donc plus légitime que le gouvernement de façade de Quisling. La ville deTrollness est présentée comme une démocratie idéale en miniature qui regroupe l’éventaildes choix qui s’offrent aux Norvégiens en ces temps de guerre. Premièrement, il y a lemauvais choix : la collaboration. L’un des personnages est présenté comme un profiteurde guerre favorable à l’ordre nouveau promis par les nazis. Pour lui, le mot d’ordre est« protège ce qui t’appartient ». Clairement, il tient un rôle à part dans la communauté.Trollness contient également le personnage du collaborateur repentant qui meurt en héros.On trouve le personnage du père de famille qui pense avant tout à protéger les siens, maisqui basculera du côté de la résistance active sous l’influence de sa fille, une jeune femmequi a choisi de se battre dès la première heure. Ces personnages aux prises avec leursconsciences symbolisent le dilemme de l’engagement en temps de guerre. « Cette diversitéd’opinion parmi les villageois, cependant, n’est pas montré comme un échec, mais commeune force pour la démocratie. »39. Le film montre le processus de transposition qui doit semettre en route : abandonner ses intérêts personnels pour défendre la cellule familiale, elle-même partie intégrante du village, lui-même appartenant à la nation toute entière.

Cependant, Hollywood établit pour le spectateur une hiérarchie de l’engagement :certaines opinions sont plus valables que d’autres. Ce sont là les limites de ce film, quibascule bientôt dans la propagande patriotique. Ainsi, les Allemands sont présentés commeles ennemis ultimes de cette démocratie : ils la qualifie de dégénérée et organisent desautodafés dans le village. Non seulement leur barbarie est dénoncée, mais aussi leur hainede la démocratie. Dans The Edge of Darkness, la propagande américaine est bien à l’œuvre.Le film se conclue par le très célèbre discours du président Roosevelt qui prend l’exemplede la Norvège comme inspiration pour le peuple américain : « Si quelqu’un se demandeencore pourquoi cette guerre est menée, qu’il regarde vers la Norvège. Si quelqu’un a desillusions sur le fait que cette guerre aurait pu être empêchée, qu’il regarde vers la Norvège.

38 « To move beyond acts of resistance (and the condition of victimization they imply) to the status of combatants, strivingto drive the Germans out without waiting to be rescued by the British or the Americans. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, SallyE., op. cit., page 186.

39 « This diversity of opinion among the villagers, however, is shown not as a failing but as a strength of democracy. ».MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E.,op. cit., page 183.

Page 30: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

30 MICLET Marion_2007

Et s’il existe toujours quelqu’un qui doute de la volonté démocratique de vaincre, je répète,qu’il regarde vers la Norvège. » 40.

2) Une cohésion sociale idéalisée par Hollywood dans un pays allié, la Grande Bretagne

Nos amis les AnglaisEn 1942, au moment où le film Mrs Miniver remporte un immense succès public et

critique aux Etats-Unis, la Grande Bretagne est l’allié principal de l’Amérique, le dernierrempart pour la démocratie en Europe. L’Angleterre offre un exemple remarquable decohésion sociale pour l’Amérique. Ce film contribue à renforcer le mythe d’un peuple quiparaît uni et invincible malgré les bombardements allemands qui font rage à l’été 1940. C’estavec calme et résolution que les Anglais prennent connaissance de la déclaration de guerreà l’Allemagne le 3 septembre 1939. Dans le film, c’est le prêtre qui annonce la nouvelleaux habitants de la petite ville de Belham, où se déroule l’action. Le serment qui s’en suitrappelle fortement les principes sur lesquels la nation américaine a été fondée : « La prièrepour la paix et pour notre pays bien aimé est dans nos cœurs. Notre village n’a jamais étévaincu par le passé, notre pays s’est battu pour défendre les libertés dont nous profitonsaujourd’hui. Nous ne devons et nous ne pouvons pas perdre la bataille. ».

Le film décrit comment une petite communauté anglaise, où la traditionnelle hiérarchiedes classes sociales semble bien établie, va se métamorphoser au contact des épreuvesde la guerre. L’aristocrate du village, Lady Beldon aperçoit immédiatement le potentiel dedéconstruction des classes que possède la guerre. Au début du film elle s’exclame: « Cequi est terrible avec la guerre c’est que cela donne l’occasion à des petites gens de se croireimportant ! ». Mais lorsque retentissent les sirènes anti-bombes, ce sont toutes les classesde la société anglaise qui se précipitent vers les abris. C’est là que se construisent desmicrosociétés unies dans l’expérience des souffrances, plutôt que par leur statut social.

Le mythe de la réconciliation nationale en Grande BretagneD’après Philippe Chassaigne, la période de la Deuxième Guerre mondiale a vu la

naissance d’un mythe fondateur :La Seconde Guerre mondiale fut une période de réconciliation nationale et d’union

sacrée : telle est, à tout le moins, l’image que les Anglais se plaisent à conserver et àentretenir. Pour preuve, la façon dont des expressions comme ‘‘la Guerre du Peuple’’ (thePeople’s War), ou ‘‘l’esprit de Dunkerque’’ (the spirit of Dunkirk) sont passées dans lelangage courant41.

Pour Hollywood, il s’agit de cultiver ce mythe qui doit servir d’exemple à la sociétéaméricaine. Ainsi, une partie du film est consacrée à décrire la mobilisation des civils lors del’évacuation de Dunkerque. Mr. Miniver contribue à la mobilisation de cette flotte hétéroclitede 860 navires qui fit la navette entre les côtes anglaises et la poche de Dunkerque du28 mai au 3 juin 1940. De plus, le fils de la famille est l’incarnation même de cet esprit desacrifice et d’union nationale. Avant de s’engager dans la R.A.F et de partir vers Dunkerque,

40 « If there is anyone who still wonders why this war is being fought, let him look to Norway. If there is anyone who has anydelusions that this war could have been averted, let him look to Norway. And if there is anyone who doubts the democratic will to win,again I say, let him look to Norway. ». ROOSEVELT, F. D., 16 septembre 1942.

41 CHASSAIGNE, Philippe, La société anglaise en guerre 1939-1945,Ed. Messène, 1996, page 31.

Page 31: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Première Partie : La Résistance individuelle ou collective en Europe comme métaphore dunécessaire engagement des Etats-Unis dans la guerre

MICLET Marion_2007 31

il épouse la fille de l’aristocrate Lady Beldon (qui a donné son consentement avec réticence).Même si Dunkerque fut un désastre militaire, « l’événement provoqua un choc salutaire dansl’opinion publique anglaise. […] Toute l’Angleterre avait pleinement conscience de vivre lesmoments les plus critiques de toute son histoire […] et les foules retrouvèrent le chemin des

églises qu’elles avaient désertées depuis le milieu du XIXe siècle. »42.L’importance de l’Eglise d’Angleterre dans le film Mrs Miniver est tout à fait

remarquable : c’est à l’église que les habitants de Belham sont mis au courant dela déclaration de guerre et c’est dans la même église, cette fois-ci sans toit à causedes bombardements, que se conclue le film sur un discours des plus patriotiques. Leprêtre célèbre l’enterrement de plusieurs victimes des raids aériens allemands. La familleMiniver, symbole de la classe moyenne aisée d’Angleterre, se tient au côté de LadyBeldon, l’aristocrate. Ils sont tous réunis dans un même deuil et ne respectent plus lesplaces habituellement réservées à l’église. Le discours du prêtre met en avant le moralinsubmersible des Anglais, malgré les morts qui ont touché la société toutes classesconfondues. A la question, « Pourquoi toutes ses souffrances ? », la réponse du prêtres’adresse aux Anglais mais aussi aux Américains. « Les citoyens sont sacrifiés non pasparce que c’est une guerre entre soldats, mais parce que c’est la guerre du peuple toutentier; elle a lieu partout, pas seulement sur le champ de bataille mais aussi dans le cœurde chaque femme, homme et enfant qui aime la liberté. Les morts nous donnent unedétermination sans faille, afin de nous libérer de la tyrannie. ». Ce discours d’union nationaledans Mrs Miniver fut tellement populaire en Amérique que Roosevelt donna l’ordre de lefaire imprimer sur des feuillets distribués à travers toute l’Europe occupée. Le dernier plandu film renforce visuellement cet élan patriotique : à travers le toit de l’église en ruine, lesavions de la R.A.F forment un « V » de la victoire dans le ciel.

La société anglaise a été indiscutablement bouleversée par l’expérience de la guerre :37 000 tonnes d’explosifs ont été déversés en 1940-41, faisant 23 000 victimes et détruisant3,7 millions de maisons43. Mais Hollywood tend à exagérer l’immense fraternisation anglaiseet l’union nationale afin d’inspirer les Américains eux-mêmes. Si l’Angleterre est un alliémodèle, alors les Etats-Unis ne peuvent le décevoir. Philippe Chassaigne rappelle dans sonouvrage les travaux de Nicholas Cull. Ce dernier a souligné la façon dont l’image d’un peupletout entier uni dans l’effort du combat a été sciemment utilisée par les journalistes américainsen poste à Londres, conjointement avec les services de propagande du gouvernementbritannique, pour convaincre leurs compatriotes d’entrer à leur tour en guerre44. Pour A. P.Summerfield, « Oui, la résistance solitaire à la menace nazie aurait été impossible sansune immense mobilisation populaire ; mais non, cette mobilisation ne fut ni spontanée,ni immédiate, ni totale. »45. Ainsi, les Etats-Unis participent à l’élaboration d’un mythe quiaura la vie dure dans l’Angleterre de l’après-guerre, car ce mythe est aussi nécessaire àl’Amérique qu’à ses alliés.

Comme nous l’avons vu dans cette première partie, le sacrifice des résistants d’Europesous la domination nazie est une métaphore du nécessaire engagement des Etats-Unisdans la guerre. D’une part, le personnage du héros réticent doit servir de modèle à une

42 CHASSAIGNE, Philippe, op. cit., page 36.43 CHASSAIGNE, Philippe, op. cit, page 38.44 CHASSAIGNE, Philippe, op. cit., page 41. CULL, John Nicholas, Selling War, The British Propaganda Campaign against

American « neutrality in World War II, New York, Oxford University Press, 1995.45 POIRIER, F., (sous la direction de), Londres 1939-1945, Riches et pauvres dans le même élan patriotique : derrière la

légende. Ed. Autrement, 1995, page 16.

Page 32: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

32 MICLET Marion_2007

société américaine qui, au début des années 1940, hésite toujours entre isolationnisme etinterventionnisme. D’autre part, le thème de la Résistance devient de plus en plus importantdans les films produits à Hollywood à cette époque afin de pousser les Américains etles Américaines à participer à l’effort de guerre. Enfin, la cohésion sociale qui semble serenforcer en Europe, malgré l’occupation, doit servir d’inspiration pour une nation qui entre àson tour dans le combat contre les puissances totalitaires. A partir de ce moment, Hollywoodse lance pleinement dans l’effort patriotique. La propagande devient un outil puissant dugouvernement Roosevelt pour faire passer le message de la lutte entre un axe du bien etun axe du mal.

Page 33: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 33

Deuxième Partie : Des films depropagande : l’axe du mal contre l’axedu bien

« Ce qu’il a fait à Shakespeare, c’est ce que nous faisons maintenant à laPologne ! »

Réplique d’un officier allemand à propos d’un acteur polonaisTo be or not to be,(Ernst Lubitsch, 1942)Le point commun de tous les films de guerre produits à Hollywood entre 1939 et 1945

est un antinazisme sans nuances. Invariablement, les soldats allemands ou les officiersde la Gestapo sont présentés comme inhumains, subordonnés au fonctionnement de lahiérarchie nazie et bien souvent incompétents. De plus, Hollywood établit une distinction

entre les fonctionnaires du IIIe Reich et les Allemands en général. Aux yeux des Américains,le peuple allemand est victime de l’ordre hitlérien au même titre que le reste de l’Europeoccupée. C’est pourquoi un film comme Watch on the Rhine (Quand le jour viendra, HermanSchumlin, 1943), qui raconte l’histoire d’une famille de résistants allemands expatriésprovisoirement en Amérique, a pu être produit. L’image de la présence ennemie allemandeen Europe repose sur le postulat que les Etats-Unis ne sont pas foncièrement antiallemands,ils sont antinazis. Une fois cette distinction faite, la propagande américaine se permetde faire un portrait sans concessions de leurs adversaires. Par ailleurs, la collaboration,sous toutes ses formes, est dénoncée. Elle est parfois romancée pour les besoins d’unfilm, mais elle est toujours assimilée à une traîtrise. Le collaborateur, quelque soit sanationalité, appartient au camp ennemi. Hollywood prend modèle sur l’Europe pour définir lepositionnement idéologique des Etats-Unis et montrer quelles sont les valeurs communesà l’Europe et à l’Amérique. Rapidement chaque film, quelque soit son genre, devient le récitdu combat de l’axe du bien contre l’axe du mal.

A. L’image de la présence ennemie allemande enEurope

En Europe de l’Est, Hollywood présente la domination nazie comme une imposture. LesAllemands, ridiculisés, semblent jouer une pièce de théâtre tragi-comique dans laquelle leFührer est un metteur-en-scène manipulateur qui entretient le culte de sa personnalité. Maisle cinéma américain se penche également sur les conséquences de la répression allemandeet aborde la question délicate des otages. A cause de ces exécutions punitives, lesrésistants européens sont confrontés à un dilemme: doivent-ils continuer leur action ou toutarrêter puisque des centaines d’innocents sont tuées à cause d’eux ? Le sacrifice en vaut-illa peine ? Enfin, les studios hollywoodiens s’engagent dans une entreprise de diabolisation

Page 34: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

34 MICLET Marion_2007

de l’ennemi allemand menaçant l’Europe de l’Ouest. Cette tendance à déshumaniser lepersonnage du Nazi s’inscrit dans la propagande du gouvernement Roosevelt pour défendrela civilisation.

1) L’occupation allemande en Europe de l’Est Des Allemands ridiculisés

association grotesque et méritée, qui culmine dans l’équation infâme du mauvaiscomédien avec la destruction nazie. Cette phrase est drôle et cruciale parcequ’elle contient la structure du film : il s’agit bien de comparer les nazis avec lescomédiens car la supériorité des uns sur les autres ne va pas de soi, elle méritel’analyse puisque tant de gens en 1942 (et plus tard ?) doutent encore des choixentre ces deux univers46.

2) Les débats posés par la répression nazie et les prises d’otagesLes martyrs tchécoslovaques

Le film Hangmen also die (FritzLang, 1943) aborde frontalement le thème de larépression nazie contre la Résistance. Bien souvent, les représailles qui ont suivi un attentatcontre un fonctionnaire nazi étaient volontairement disproportionnées. Les Allemands ontainsi exécuté quantité d’otages, victimes innocentes du leurs exécutions punitives. Dans lespays occupés, les résistants se retrouvent donc face à un cas de conscience : leurs actionsen faveur de la libération du pays, menée au nom de la population toute entière, justifient-elles la mort d’autant de leurs compatriotes ? Dans son ouvrage sur les résistances civilesen Europe, Jacques Semelin tente de donner des réponses à cette question délicate. Ilexplique ainsi que parfois la résistance fait un calcul froid : en sacrifiant par exemple 1 ou 2 %de la population (à cause des représailles nazies), elle sera en mesure de gagner la guerre.Semelin ajoute que, si à terme l’exécution collective d’otages devient totalement démesurée,cela peut se retourner contre les Nazis : « L’autre effet possible de la mobilisation de l’opinioncontre la répression de victimes perçues comme ‘‘innocentes’’ est de miner à terme l’unitépolitique du persécuteur. Tout pouvoir porte en lui-même des contradictions internes entreles forces qui le constituent. »47. A la suite de l’exécution d’otages, ce n’est donc plusla Résistance qui est discréditée, c’est la cruauté des occupants allemands qui s’exercearbitrairement, qu’il y ait résistance ou non.

Hangmen also die traite des représailles nazies qui ont suivi l’assassinat par larésistance tchèque de Reinhard Heydrich, le Protecteur adjoint du Reich en Bohême -Moravie . Dans ce film, Fritz Lang présente de façon concrète le dilemme qui s’est poséà la résistance tchèque après l’attentat : l’auteur du crime doit il se rendre pour épargnerquatre cent otages innocents ? Le réalisateur montre le cas de conscience des résistantsqui, même s’ils sont convaincus de se battre pour la bonne cause, doutent du bien fondé deleurs actions quand ils en voient les conséquences. Dans un dialogue entre deux leaders dumouvement, l’auteur du crime confie qu’il souhaite se rendre. Son ami le rappelle à l’ordre :« Quand nous avons décidé d’agir nous savions qu’il y aurait des otages. Tu as décidé d’être

46 SIPIERE, Dominique, Ernst Lubitsch et la crise du sérieux, La Licorne, numéro 36, Crise de la représentation dans le

cinéma américain, Presses universitaires de Rennes, octobre 2005, page 136.47 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 172.

Page 35: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 35

le représentant du peuple, c’est donc le peuple qui a tué Heydrich, pas toi. Quatre cent viesce n’est rien dans une guerre qui concerne des millions de gens. Si tu te rends, les Tchèquesauront perdu à cause de toi, ils penseront que les Nazis sont trop forts et que nous n’avonspas osé résister en tant que peuple opprimé. ». Si clandestinement les résistants font corps,Firtz Lang choisit de montrer les ambigüités morales de leur choix. Au travers du personnagede Nasha Novotny (Anna Lee), le réalisateur présente la palette des émotions ressentiespar les civils tchèques qui durent supporter l’aggravation de leur sort à cause de l’actiondes résistants. La conversion de l’héroïne, qui finira par épouser inconditionnellement lacause de la résistance tchèque, est la réponse de Lang au problème des otages : c’est unmal nécessaire. Cependant, pour ne pas trop choquer les spectateurs, le film se terminede façon irréaliste par la libération de tous les otages qui n’ont pas encore été tués car lesrésistants réussissant à faire passer un collaborateur tchèque pour le coupable !

Au début du film, Nasha approuve presque sans y réfléchir le combat de la résistancetchèque. Elle est issue d’une famille politiquement engagée : son père est un professeur quitransmet ses idéaux patriotiques à sa famille et à ses élèves. Lorsque que l’héroïne se trouvepar hasard non loin des lieux du crime de Heydrich, elle aide le coupable indirectementen envoyant les Allemands dans la mauvaise direction. Plus tard, l’auteur de l’assassinat,qui s’est rappelé de son geste, demande à Nasha de l’héberger pour la nuit. A son fiancéqui déplore la prise d’otages, elle répond que ce n’est rien car « Il y aura toujours d’autrestchécoslovaques prêts à se sacrifier pour cette juste cause. ». Cependant, lorsqu’elle assisteà l’arrestation de son père (qui, en tant que membre de l’élite tchécoslovaque, a étésoigneusement choisi comme otage), ses certitudes vacillent. Elle va supplier le résistantde se rendre mais celui-ci reste inflexible. Alors, elle décide d’aller à la Gestapo le dénoncerelle-même. En chemin, elle se fait siffler et frapper par une foule en délire qui l’accuse d’allervoir « ces bouchers ». Elle finit par changer d’avis lorsqu’elle réalise que cela ne fera quemettre en danger sa famille toute entière. Peu à peu, elle comprend que la cruauté des Nazisest sans limite : ils pratiquent avec sa famille la torture psychologique en leur annonçant avecdésinvolture que le père ne fait pas partie des premières vagues d’otages exécutés. Toutcomme le spectateur, Nasha arrive à la conclusion que la Résistance fait plus de bien quede mal, malgré les morts. Son père, lui-même en attente de son exécution, sert d’exemple àsa fille : son abnégation en fait un martyr. Au moment de son arrestation, en présence de sesenfants et de ses élèves il s’exclame : « Ils peuvent en arrêter beaucoup d’autres commemoi, mais ils ne trouveront pas un seul traitre parmi nous! ». Il écrit une lettre à ses enfantsdans laquelle il donne sa vision de la démocratie : « un pays libre, le gouvernement dupeuple par le peuple, de quoi manger, du temps pour lire, penser et débattre... la liberté çane se mérite pas comme ça, il faut se battre pour l’avoir, rappelle toi de ton père qui est mortdans ce combat pour la liberté… ». En tant qu’otage, le père ne se plaint pas et acceptede se sacrifier pour servir indirectement à la libération de son pays. Dans Hangmen alsodie, Fritz Lang montre une population tchèque qui, malgré les doutes initiaux et les morts,soutient sans faille les mouvements résistants face à l’oppression.

L’individualisme et les divisions de la société françaiseLa question des otages est traitée de façon très différente dans Uncertain Glory (Raoul

Walsh, 1944). Dans ce film, un petit village français se retrouve victime de la répressionnazie, suite à la destruction par un groupe de résistants d’un pont qui a causé la mort deplusieurs membres des forces d’occupation allemande. Afin de sauver les otages pris par lesAllemands, un criminel condamné à mort (nommé Jean Picard) propose un pacte surprenantau préfet Bonnet qui vient de l’arrêter : il se fera passer pour le coupable de l’attentat, decette façon, non seulement les otages seront libérés, mais il mourra d’une mort plus digne.

Page 36: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

36 MICLET Marion_2007

Tandis que Picard et Bonnet conspirent afin de présenter une version des faits convaincanteau Allemands, plusieurs villageois, qui ignorent leur projet, se liguent contre eux afin de fairede ces « étrangers » les coupables.

Uncertain Glory donne donc une image plus ambiguë de la société française.Contrairement à la vision hollywoodienne de la Tchécoslovaquie dans Hangmen also die,la France ne soutient pas unanimement les actions de la Résistance. C’est l’individualismequi prime, chacun semble suivre ses intérêts personnels : les résistants agissent sans sesoucier de la répression ; Jean Picard, le criminel, veut soi-disant se sacrifier pour sauverles otages, alors qu’en réalité il souhaite gagner du temps afin de s’échapper ; le préfetBonnet agit pour soulager sa conscience ; enfin les villageois se moquent du malheur desautres tant que leurs proches sont épargnés. La société française pendant la DeuxièmeGuerre mondiale était effectivement divisée, et la question des otages, même lorsqu’elleest abordée au cinéma, fait surgir la controverse au sujet des rapports entre la France etl’Allemagne. Dans la plupart des films américains, la France pétainiste est implicitementcondamnée, tandis que la France gaulliste est glorifiée. Uncertain Glory nous présente, aumoins au début, une image plus banale mais qui correspond plus à la réalité des faits :la France attentiste et individualiste. Fait rare, les résistants et les collaborateurs ne sontpas au centre du film, mais c’est l’ensemble de la population française qui est montrée parRaoul Walsh.

Cependant, la conclusion de ce film est la même que dans Hangmen also die : lavitalité de la résistance passe par le sacrifice d’une partie de la population occupée, sousla forme d’otages exécutés. Or, le Général de Gaulle, pourtant un allié des Etats-Unismalgré des désaccords fréquents, a condamné les attentats individuels des résistants contreles Allemands. Jacques Semelin rapporte ainsi qu’« après l’exécution de 98 otages, enreprésailles contre l’assassinat d’un officier allemand dans les rues de Nantes, le généralde Gaulle a très vite condamné le principe des attentats individuels dans un discours du 23octobre 1941 »48. En effet, cette tactique a suscité de nombreux débats, tant du point devue moral que politique, au sein de la résistance et de la population française car, pour unAllemand éliminé, des centaines de Français innocents sont exécutés arbitrairement.

Le film évacue ces controverses. Même le prêtre est contre les villageois qui veulentsauver leurs proches en faisant passer Jean Picard pour le coupable : « Si les cent otagesmeurent, c’est un crime commis par les Allemands et ils devront répondre de leurs actes.Par contre, si nous sacrifions ces innocents en échange de cent autres, nous sommes descriminels et nous devront en répondre devant Dieu. ». Pour Hollywood, les otages sontdes martyrs qui légitiment le refus de l’occupation par certains Français. Le serment duprêtre dans le film renforce cette idée : « Les sacrifices ne sont pas vains, et ne serontpas oubliés ». La vision américaine de la résistance en Europe compare le sacrifice desrésistants à celui du Christ.

Enfin, suivant le thème de la rédemption cher aux producteurs hollywoodiens, le filmraconte la transformation du héros antipathique en un patriote véritable : même s’il al’occasion de s’échapper, Jean Picard finit par se rendre pour sauver les cent otages. Cequi le fait changer d’avis c’est son amour pour l’une des villageoises, symboliquementnommée Marianne (jouée par l’Américaine Jean Sullivan). Jean Picard n’est pas croyantmais retrouve la foi dans le culte de la nation française, grâce à Marianne. Dans la dernièrescène du film, il confie au préfet Bonnet : « J’ai trouvé quelque chose de plus grand et deplus fort que moi, et maintenant je suis prêt à mourir pour cela, sans poser de questions. ».Le film se conclue avec l’échange entre Bonnet et Marianne qui vient d’apprendre la mort de

48 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 167.

Page 37: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 37

l’homme qu’elle aime. Lorsqu’elle demande au préfet de décrire le « vrai » Jean, il répond :« C’était un Français. », sur l’air de la Marseillaise.

3) La présence ennemie allemande en Europe de l’Ouest Des Allemands déshumanisés

En Europe de l’Ouest, la Première Guerre mondiale a fixé dans les imaginairescollectifs des stéréotypes antiallemands qui ont été repris et renforcés pendant la guerre1939-1945, notamment par Hollywood. Le combat des idéologies lors du second conflitmondial transforme les Allemands en barbares sanguinaires. Comparés à la civilisationd’Europe de l’Ouest et surtout à la civilisation américaine qui se veut le garant des libertés,les nazis incarnent l’ennemi absolu, l’« autre ». Cette caricature, normale en temps deguerre, va plus loin dans les années 1940 : les Allemands sont totalement déshumanisésdans les films. Cette tactique de propagande antiallemande, utilisée entre autre par lesstudios de Hollywood, est à l’œuvre dans Mrs Miniver (William Wyler, 1942), un film qui sedéroule en Grande Bretagne. Cela n’est pas anodin car, en 1942, ce pays est le seul alliédes Etats-Unis, dernier bastion de la civilisation occidentale en Europe.

Mrs Miniver raconte comment la vie paisible d’une famille anglaise relativement aiséese trouve bouleversée par le début de la guerre et les bombardements sans merci de laLuftwaffe à l’été 1940. La plupart des films de guerre produits à Hollywood présentent lessoldats Allemands comme des guerriers anonymes, obéissant à une force obscure. Ordans ce film, on assiste à une véritable conversation entre un symbole du bien dans lapropagande américaine, Kay Miniver (jouée par Greer Garson), et un représentant du mal,un pilote de l’aviation allemande blessé et égaré dans son jardin. Le spectateur assiste àun choc entre deux personnalités : la mère de famille bien éduquée et compatissante faceà l’Allemand mourant mais particulièrement belliqueux. Le choc est également visuel : dansle jardin anglais propret, le soldat allemand est en total décalage. La tranquillité de MrsMiniver est perturbée par des bruits d’armes à feu. Lorsqu’elle finit par découvrir le pilote,son fils ainé et son mari sont en route pour Dunkerque, l’un par avion de la R.A.F, l’autre parbateau. Elle doit donc faire face seule à la menace allemande qui a soudainement envahison quotidien. Son premier réflexe est de récupérer l’arme du soldat, mais dans un derniersursaut celui-ci se relève et l’entraîne vers la maison.

Le spectateur peut totalement s’identifier à Kay Miniver, une femme ordinaire qui révèleson courage dans l’épreuve de la guerre. Sous la menace de l’arme à feu, elle offre de lanourriture à l’Allemand. Soudain ce n’est plus un homme qui est face à elle mais un animal.Le film tire un portrait caricatural de l’officier nazi : c’est un barbare qui s’exprime de façonprimitive (en anglais) et qui ne mange pas, mais plutôt engloutit tout ce qui lui est offert. Il laprévient : « Si vous n’obéissez pas je tire ! » et il lui ordonne « manger, boire, donne manteau,ouvre porte ». Par esprit de conservation et pour protéger ses jeunes enfants qui sont àl’étage, Kay Miniver fait front. Son courage est récompensé : l’Allemand s’évanouit, ce qui luilaisse le temps d’appeler la police et un docteur. C’est cette qualité qui montre la différenceentre le peuple anglais et son ennemi allemand : la compassion. Quand le pilote se réveille,elle est maintenant en position de force, ce qui n’empêche pas l’Allemand d’exprimer safoi invincible dans le régime nazi: « Nous finirons la guerre bientôt, peut-être pas moi,mais d’autres viendrons par milliers, meilleurs vous verrez. Nous bombarderons vos villes :“Barcelone, Varsovie, Narvik, Rotterdam ! ». Dans cette scène, Mrs Miniver est bien le portedrapeau de l’Europe antifasciste tandis que le pilote est l’incarnation de la barbarie nazie. Onassiste ici à un combat symbolique entre deux idéologies ; deux conceptions de l’humanité

Page 38: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

38 MICLET Marion_2007

s’affrontent. Lorsque la mère de famille anglaise s’exclame « Mais tous ces gens que vousvoulez bombarder sont innocents ! », le pilote donne sa vision : « Ils ne sont pas innocents,ils sont contre nous, nous ferons la même chose ici. ».Pour la première fois, l’impassibleanglaise sort de ses gonds face à tant de mépris pour les civils d’Europe et elle gifle sonennemi. Pour Robert L. McLaughlin et Sally E. Parry: « Il devient l’incarnation de toutesles destructions anonymes qui ont été infligées à l’Angleterre par l’Allemagne. […] Il estreprésentatif de la menace plus grande de l’invasion allemande. »49. Dans ce face à faceavec Kay Miniver, il devient un bouc émissaire pour l’Angleterre. La gifle qu’elle lui infligene doit pas être considéré comme un acte de violence, mais plutôt comme une façon sesoulager les souffrances de la nation toute entière.

Cette scène est importante dans la mesure où elle participe du combat entre lapropagande américaine et la propagande allemande. Elle oppose les valeurs associées à lacivilisation occidentale à celle de l’Allemagne nazie. Malgré des exagérations, le patriotismedu film inspira les Américains qui élurent Mrs Miniver meilleur film de l’année 1942 (lefilm remporta six Oscars au total). Plus de soixante ans après sa sortie, le film fut mêmeclassé numéro quarante dans la liste des films ayant le plus inspiré les Américains (« mostinspirational films of all time ») publiée par The American Film Institute le 14 juin 200650.

Le thème de la vengeanceLe film Passage to Marseille (Michael Curtiz, 1944) aborde un autre thème cher à la

propagande américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale : l’esprit de vengeance.La date de sortie du film n’est pas étrangère à ce changement de ton par rapport au filmMrs Miniver qui a déjà quelques années. Au moment où le public américain découvrePassage to Marseille, en 1944, le rapport de forces entre les puissances de l’Axe et lesAlliés a complètement basculé en faveur de ces derniers. Il ne s’agit plus de discréditer lesAllemands, de les montrer comme des êtres inhumains sur les écrans car les spectateursaméricains sont désormais plus réceptifs à des messages de revanche contre l’ennemiAllemand après de nombreux mois de conflit.

Passage to Marseille se termine par une scène de combat entre un avion allemand etl’équipage d’un bateau français dont les membres qui rejettent le régime de Vichy ont prisle contrôle et se dirigent vers l’Angleterre. Comme dans Mrs Miniver l’ennemi Allemand estidentifiable. Même si les deux pilotes n’ont aucune réplique, leurs visages sont visibles, cene sont pas des êtres totalement anonymes contre lesquels se battent les patriotes français.Cependant, cela ne freine pas la violence avec laquelle leur mort est montrée à l’écran.La scène se déroule en deux temps. Tout d’abord, les avions allemands s’approchent dubateau et tirent avec leurs mitraillettes. L’équipage riposte, mais le plus jeune des membresest blessé. Il s’agit d’un jeune garçon, nommé Marius, qui résume en une réplique l’esprit devengeance qui anime les Français face aux Allemands dans ce film : « Sales Boches un jourvous paierez pour ça ! ». Le héros du film, Matrac (interprété par Humphrey Bogart) répond àl’attaque allemande en tirant sur les avions. En conséquence, les avions sont sérieusementtouchés. Matrac se tient alors fièrement et salue Marius, le drapeau français flotte derrièrelui et la Marseillaise retentit. Cependant, il ne s’arrête pas là et laisse libre cours à sa fureur.Dans la deuxième partie de cette scène, les deux pilotes sont à la dérive, impuissants dans lecockpit éventré de leur avion. Matrac, avec un regard haineux reprend son arme et tire avecacharnement sur les Allemands sans défense. Son supérieur lui ordonne aussitôt d’arrêter

49 « He becomes the personification of all the otherwise anonymous destructions that Germany is inflicting on England. […] Heis representative of the larger threat of German invasion. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 102.

50 Un autre film de l’étude, Casablanca, se retrouve en trente-troisième position.

Page 39: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 39

car cela est contre les règles de la guerre. Ce à quoi Matrac répond : « Regardez autourde vous, ce sont eux les assassins ! ». Marius, le garçon blessé est en train de mourir. Sesdernier mots sont « Vive la France, on leur a montré à ses sales Allemands ! ».

Ainsi, dans la morale hollywoodienne de l’époque, la mort du jeune innocent justifiela vengeance disproportionnée du héros. C’est l’esprit de revanche qui est le moteur del’action dans la seule scène du film où les personnages sont confrontés à des Allemandsidentifiables. Il est particulièrement intéressant de noter qu’au moment où se déroule l’actiondu film, la France vient tout juste de signer l’armistice et que Matrac, qui était retenu sur l’Iledu Diable, n’a assisté à aucune bataille de la débâcle française. On peut donc s’interrogersur les motivations réelles de sa colère dans cette scène. Dans Passage to Marseille,Humphrey Bogart interprète à nouveau la métaphore de l’Amérique. Lorsque le film sorten 1944, les spectateurs américains sont lassés de la guerre. Ils comprennent le désirdisproportionné de vengeance de Matrac, puisque ce sont leurs propres émotions qui sontreprésentées à l’écran.

Les jours de fête nationale, les Français s’habillaient de vêtements bleus,blancs, rouges. En Norvège, le port d’une agrafe au revers du veston était unsigne de résistance. Par delà les différences nationales, la lettre « V » du motvictoire, proposée en 1941 par un ministre belge comme symbole de résistanceet popularisé sur les ondes de la BBC, fit son apparition dans toute l’Europe.Ainsi, des signes culturels divers ont progressivement constitué un langagede la distinction, une façon de dire non aux valeurs de l’occupant et de sescollaborateurs, de garder une certaine fidélité envers soi-même51.

B. La dénonciation de la collaboration française aucinéma

Pour les Américains, la collaboration avec l’ennemi allemand est rejetée unanimement,quelque soit la forme qu’elle prenne.Selon Stanley Hoffmann, on définit classiquementplusieurs formes de collaboration :

la collaboration d’Etat, tactique ou stratégique, décidée au plus haut niveau du pouvoir,qui s’est voulue une façon de défendre les intérêts nationaux du pays vaincu.

le collaborationnisme ou choix idéologique consistant à militer politiquement pour lacause de l’occupant dont on admire le système.

collaborer fut aussi un moyen de promotion sociale pour des opportunistes en malde reconnaissance ou une bonne manière de faire des profits à travers une collaborationéconomique parfois bien avantageuse.

pour un plus grand nombre ce fut encore un état d’esprit, une façon de se montrer‘‘réaliste’’, de chercher à ‘‘se faire bien voir’’ par les maîtres du moment52.

La collaboration en France vue par Hollywood se décline exactement selon cesnuances. Seuls les collaborationnistes français ne sont pas montrés sur les écrans de

51 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 59.52 HOFFMANN, Stanley, Essais sur la France, Paris, Ed. Seuil, 1974. Cité par : SEMELIN, Jacques, op. cit., page 30.

Page 40: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

40 MICLET Marion_2007

cinéma. L’une des explications possibles est que, ne représentant qu’une infime proportionde la population française, ils n’étaient pas bien connus du grand public américain. Maison peut objecter à cela que la résistance intérieure était également faible et pourtanttrès souvent montrée à l’écran. Il s’agit donc d’un choix idéologique. Les producteurshollywoodiens ont volontairement décidé de ne pas évoquer le collaborationnisme, estimantque c’était une forme de collaboration avec l’ennemi trop extrême. Le phénomène ducollaborationnisme ne correspond pas à l’image de la France habituellement présentée aupublic, que ce soit la France de Vichy, la France de Charles de Gaulle ou la France quitentait simplement se survivre et souvent qualifiée d’attentiste. Par ailleurs, pour chaquetype de collaboration (collaboration économique ou collaboration d’Etat), les studios ontégalement créé une version plus romancée du phénomène, dans le but de créer des effetsde suspense : c’est ainsi qu’est apparu un nouveau type de personnage, le collaborateurrepentant. Il appartient au camp ennemi, puis se rend compte de son erreur et se rapprochedes Alliés.

1) La collaboration d’EtatVichy et les Etats-Unis

Aux yeux du pouvoir politique américain, jusqu’à l’ « Opération Torch » en Novembre1942, Vichy était le gouvernement légal de la France. Après l’invasion des forces militairesalliées en Afrique du Nord, et notamment dans l’Empire qui était en partie contrôlé par Vichy,les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la France de Pétain furent rompues parce dernier. D’après, Dorothy Shipley White, la politique américaine vis-à-vis de Vichy n’ajamais été très claire. Elle émet même l’hypothèse d’un double jeu mené par l’administrationRoosevelt jusqu’à la fin de l’année 1942 afin de ménager à la fois le gouvernement de Pétainet les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle. Selon cet auteur, cette tactique relèvedu bon sens, car mettre fin à de bonnes relations diplomatiques entre Vichy et les Etats-Unisaurait été un choix dangereux. En effet, depuis que le contact entre Vichy et l’Angleterreavait été rompu suite à la destruction par l’armée anglaise de la flotte française restée àMers-El-Kebir, les Américains étaient les seuls alliés capables d’avoir une influence sur lapolitique de Vichy53. Dorothy Shipley White rappelle comment les consuls toujours en postedans les îles de l’Empire français ou dans les bases militaires d’Afrique du Nord étaientchargés d’envoyer à Washington des rapports fréquents sur les autorités vichystes. Le butétait d’éviter que ces possessions tombent aux mains des Allemands par l’intermédiaire dugouvernement de Vichy. De plus, les Etats-Unis insistèrent pour que le gouvernement dePétain s’en tienne strictement aux termes de l’armistice avec l’Allemagne et la politique dela collaboration d’Etat était vivement désapprouvée par les Américains. Enfin, les Etats-Unisdevaient jouer un rôle de médiateur entre la France et la Grande Bretagne54.

Pour les Américains, il était impossible de reconnaître à la fois le gouvernement deVichy et la France Libre comme le détenteur de la souveraineté nationale. C’est pourquoiles Alliés, désireux de conserver des relations diplomatiques avec la France vaincue,reléguèrent les velléités du Général de Gaulle à un rôle strictement militaire, du moins dansun premier temps. Mais ils encouragèrent son rôle d’autorité morale en lui donnant lesmoyens de sa propagande. Entre 1940 et la fin de 1942 :

53 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 146.54 WHITE, Dorothy Shipley, ibidem.

Page 41: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 41

Du moment que les Etats-Unis admettaient la légalité du gouvernement Pétain, laFrance Libre ne pouvait être légitime aux yeux du Département d’Etat ; privé de nationalité,condamné à mort dan son pays, entouré dans son exil d’une petite poignée de partisans,de Gaulle faisait inévitablement figure d’aventurier militaire, rien d’autre. Donc les membresdu gouvernement, le secrétaire Hull en particulier se montrèrent très prudent55.

Après 1942, les rapports entre Vichy et les Etats-Unis se dégradèrent et l’image durégime s’en ressentit au travers des films.

La politique de collaboration du régime de Vichy sur les écransDans le film Passage to Marseille, réalisé en 1944, l’équipage d’un navire en route pour

le sud de la France apprend que le nouveau chef de l’Etat français a demandé l’armisticeaux Allemands. Le film montre l’équipage divisé, comme le fut la société française en juin1940 : faut-il changer de route et aller vers l’Angleterre ou bien livrer le bateau aux autoritésfrançaises désormais vichystes ? Rapidement, deux camps opposés se forment. D’un côtéles pro-Vichy, avec à leur tête un certain Duval (sous doute une référence à Pierre Laval).De l’autre, ceux qui veulent continuer le combat au côté de leurs alliés anglais, avec à leurtête le capitaine Freycinet. Ce personnage est intéressant car il condamne sans équivoquela collaboration d’Etat, mais semble vouloir trouver des excuses au Maréchal Pétain. Plustard dans le film, un journaliste anglais lui annonce qu’il veut écrire un article sur les ForcesFrançaises Libres. Il s’en suit cet échange entre le capitaine Freycinet et le journaliste :

« - Freycinet : Laval nous appelle les traitres français.- Le journaliste : le Maréchal aussi vous qualifie de traitres ?- Freycinet : oui c’est évident… j’essaye de ne pas oublier que Pétain n’est qu’un vieil

homme aux mains de barbares. ».Le Capitaine Freycinet est représentatif de l’opinion d’une partie de l’armée française

qui fut d’avantage maréchaliste que pétainiste. Dans l’esprit de nombreux Français, PhilippePétain était le sauveur de la France à Verdun en 1916, puis l’homme providentiel en 1940.Dans ces propos, le nouveau chef de l’Etat français passe pour une victime des Allemandsplutôt qu’un collaborateur actif. Cependant, malgré les excuses qu’il semble vouloir trouverau Maréchal, le capitaine Freycinet refuse de servir la France de Vichy et, dans le film, onle retrouve en Angleterre commandant une base aérienne de la Royal Air Force. De l’autrecôté du spectre politique, le collaborateur zélé est représenté par le Major Duval. Celui serange immédiatement du côté qui lui paraît le plus prometteur en 1940 : il se dit avant tout« réaliste » et préfère que le navire tombe dans les mains allemandes plutôt qu’anglaises.Selon lui, grâce à l’armistice, la France a le privilège de faire partie de l’« ordre nouveau » enEurope. Pour tenter de rallier les membres de l’équipage à sa cause il leur fait la promessed’être graciés par le régime si le bateau arrive à bon port.

Après qu’un mousse crie « Vive la France !» une véritable bagarre s’engage surle navire, comme une version miniature des divisions françaises pendant les annéesd’occupation. Le camp des collaborateurs ira jusqu’à donner la position du bateau auxAllemands pour que ceux-ci puisse attaquer l’équipage ! La bataille ne sera résolue quedans le sang et les larmes, comme à l’échelle de la France entière.

La « poignée de main de Montoire » comme symbole de la collaboration aucinéma

55 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 154.

Page 42: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

42 MICLET Marion_2007

En 1943, Jean Renoir, alors expatrié à Hollywood, réalise le film Vivre Libre qui décritla vie sous l’occupation dans un village « quelque part en Europe », vraisemblablement enFrance. La scène d’ouverture présente de façon subtile le grand problème qui va se poserd’une manière ou d’une autre à tous les personnages du film : face à l’invasion allemande età leur écrasante domination, quelles est la solution ? La résistance est-elle-même possible ?Y a t-il une autre possibilité que la coopération avec les forces d’occupation ? Est-cevraiment possible de ne pas collaborer ?

Avec une triste ironie, le film s’ouvre sur l’image d’un monument aux morts de laPremière Guerre mondiale sur lequel on peut lire : « A la mémoire de ceux qui sont mort pourgarantir la paix dans le monde. ». Manifestement, la paix franco-allemande a été un échec,mais le réalisateur souligne qu’une certaine forme de coopération est envisageable pourde nombreux Français. En particulier, les fonctionnaires de ce petit village sont sensiblesaux promesses faites par Pétain d’un « ordre nouveau » pour la France. Une des scènesmontre le maire en train de serrer la main à l’officier allemand en charge des forcesd’occupation de la ville. Les spectateurs américains peuvent y voir une critique de la Francedes collaborateurs, tandis que les Français, qui ne découvrirent le film qu’en 1946, n’ontpas dû apprécier cette référence à la poignée de main de Montoire. C’est dans cette villedu centre de la France que Hitler et Pétain se rencontrèrent le 24 octobre 1940. Ce gesteest devenu le symbole de la collaboration d’Etat franco-allemande car il scella le destin dela France de Vichy. Pétain annonça qu’il concevait cette alliance comme une « promessede renouveau diplomatique »56. On peut avancer que cette référence à la poignée de mainde Montoire a été consciemment voulue par Renoir, qui a souvent montré les divisions dela société française dans ses films.

Dans Vivre Libre, Renoir présente les motivations ambigües du maire, Henry Manville.Comme le proclamèrent certains pétainistes, le but de la collaboration c’est d’éviter d’autressouffrances pour la France vaincue. Le maire, quant à lui, justifie son rapprochementavec les autorités allemandes pour le bien de sa communauté. Comme l’explique JacquesSemelin :

La notion de collaboration part du principe que, dans une situation aussi gravequ’une occupation étrangère, pour éviter le pire, mieux vaut engager une politique deconcession et de coopération plutôt qu’une politique de résistance. La collaboration d’Etats’est entièrement fondée sur ce paradoxe : composer avec l’ennemi, et même servir sesbuts, revient en de telles circonstances à protéger ses intérêts nationaux fondamentaux57.

Mais Manville va plus loin que la protection des intérêts de sa ville. Comme le chefde l’Etat français, il exprime le désir de profiter de l’occupation allemande pour rénoverla France selon le triptyque : « Travail, Famille, Patrie ». Qui devient « Famille, Devoir,Travail, Obéissance » dans les propos du maire. Tout comme le Maréchal Pétain, il prôneune politique réactionnaire qui rejette les principes démocratiques hérités de l’époque desLumières et de la Révolution française. Il confie au Professeur Sorel, le directeur de l’écoledu village: « Peut-être que le mensonge c’est notre passé. Nous avons toujours appris àl’école que la plus importante partie de notre histoire a débuté avec la Révolution. Nousétions obsédés par l’idée de la liberté individuelle et les droits de l’homme. Nous avionsoublié la nécessité de l’autorité et de l’obéissance. ».

56 LAROULANDIE, Fabrice, La France des années 1940, Ellipses, 1999, page 101.57 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 33.

Page 43: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 43

La troisième justification de la collaboration que le maire avance dans le film c’est l’idéede la repentance pour la France, thème qui était devenu récurrent dans les discours duMaréchal Pétain au début des années 1940.

L’interprétation morale et politique de la droite traditionaliste présente la défaitecomme un châtiment mérité en punition d’un processus de décomposition etd’avilissement de la nation commencé avec la Révolution française, source detous les mots. […] Le pétainisme installe un climat de repentir national et pousseles Français à l’examen de conscience et au mea-culpa collectif58.

A travers le personnage du maire, Renoir fait référence au leitmotiv de la France des années1930 : la décadence. C’était déjà le sujet du film La Règle du Jeu (1939) qui, comme VivreLibre, déplut fortement au public français à sa sortie. Ainsi ces deux films s’enchaînent defaçon logique : ceux qui déplorent la décadence de la France avant la guerre sont ceux quivoient la défaite comme une conséquence directe. En 1940, les pétainistes considèrent lerégime de Vichy comme un moyen de régénérer la société française.

Enfin, dans Vivre Libre, le maire souligne la place que pourrait occuper la France dansl’Europe nouvelle. L’un des titres de la presse montré dans le film évoque un discoursfictif d’Hitler sur l’Union Européenne. Manville rejette l’idée d’une association naturelle avecles Etats-Unis, ce que le cinéma américain s’efforce pourtant de construire. Selon lui, laFrance est avant tout européenne et pas anglo-saxonne. Elle doit choisir son avenir enconséquence. Encore une fois, ces mots auraient pu être prononcés par le Maréchal Pétainqui considérait la Grande Bretagne comme un pays de traitres depuis les événementsde Mers-El-Kebir. L’association avec l’Allemagne nazie semble plus fructueuse. Dans levillage de Vivre Libre, à première vue, la collaboration avec les autorités allemande n’estpas si négative. Par exemple les cours de justice de la ville sont encore administréespar les Français, sans interférence allemande. C’est ce simulacre de justice et de libertéd’expression qui permettra au héros du film de faire passer le message de la résistancedans les scènes finales.

2) Les autres formes de la collaboration vues par HollywoodDans les années 1940, le cinéma hollywoodien se penche non seulement sur les motivationsde la France de Vichy à engager une collaboration d’Etat, mais également sur lesraisonnements individuels qui poussent certains Français à devenir des collaborateurs. Unnouveau type de personnage, riche de contradictions, fait son apparition sur les écrans :le collaborateur repentant. Qu’il s’agisse d’un homme qui s’affiche comme un collaborateurpour mieux résister clandestinement, d’un industriel profiteur de guerre qui se laissesubmerger par sa mauvaise conscience, ou d’un fonctionnaire vichyste qui change son fusild’épaule, Hollywood aime donner une seconde chance à ses héros tourmentés.

La collaboration économique, couverture pour un résistantDans Reunion in France, un couple d’aristocrates fiancés pendant la « drôle de

guerre », vivent séparément la défaite de la France et l’instauration du nouveau régime.Lorsqu’ils se retrouvent, leur amour pour la patrie s’exprime de façon radicalementdifférente. Tandis que l’héroïne, Michèle de la Becque, choisit d’abandonner son statutet son train de vie plutôt que de sympathiser avec les Allemands, son fiancé se lanceactivement dans la collaboration économique. Michèle, qui a traversé la France au

58 LAROULANDIE, Fabrice, op. cit., page 50.

Page 44: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

44 MICLET Marion_2007

moment de l’exode, raconte ce périple à son fiancé, qu’elle ne soupçonne pas encore decollaboration. Pour elle, « Il était plus facile d’échapper aux Nazis qu’aux Français. Certainssont pires que les Allemands, espionnent leurs amis, les vendent pour un passeport, unrepas… Qu’est-il arrivé à la France ? ».

Elle réalise rapidement que, pour son riche fiancé, rien n’a changé. En construisant destanks, des avions et des camions pour l’Allemagne, Robert Cortot peut continuer à vivredans le luxe. Ce n’est qu’à la fin du film que l’on découvre que ce collaborateur est en réalitéun résistant et qu’il entretient des relations d’affaires avec les Allemands pour mieux lesduper. Jacques Semelin donne une interprétation de ce phénomène :

Sous cet angle, certains historiens soutiennent que l’ambiguïté des situationsd’occupation a abouti assez souvent à la formation d’une pratique conjointede collaboration et de résistance chez un même individu ou dans une mêmecollectivité. Par exemple, nombre de ‘‘clandestins légaux’’, c’est à dire de ceuxqui participaient à un mouvement de résistance tout en conservant la ‘‘couvertureofficielle’’ de leur emploi, pouvaient être placés en position de ‘‘collaborer’’ unminimum le jour du fait de leur travail et de résister la nuit59.

En ce qui concerne le personnage de Cortot, certes, l’effet de suspense est réussi, mêmesi sa couverture reste discutable. En effet, si d’un côté Robert est un membre actif dela résistance qui aide des pilotes de la R.A.F à retourner en Angleterre, de l’autre, ilrend l’armée allemande plus puissante. Les produits de ses usines sont exportés sur lefront Est, voire même utilisés contre la Grande Bretagne. Si on fait le bilan, son choixapparaît contre-productif et moralement douteux. Robert Cortot semble avant tout trèsattaché à son statut social. Comme l’explique Stanley Hoffmann, « Il fallait s’adapter,c’est à dire chercher à survivre. Ces situations de désagrégation puis de restructurationsociales donnent souvent lieu au développement de conduites très opportunistes. »60.Semelin ajoute : « L’autoconservation n’est pas le plus noble des buts mais c’est le plusélémentaire. »61. Les motivations réelles du personnage de Robert Cortot restent doncambigües. Ce n’est pas un cas isolé dans le cinéma hollywoodien des années 1940.

Le profiteur de guerre repentantLe film Vivre Libre de Jean Renoir présente un autre cas de conscience pour un

industriel français qui collabore avec les Allemands. Le personnage de Georges Lambertaffirme que, comme tous les Français, il déteste l’occupation. Cela ne l’empêche pas desympathiser avec les Allemands au point de dénoncer un résistant, le frère de sa fiancée.Dans son discours on retrouve les arguments pétainistes sur la révolution nationale quidoit régénérer le pays. Il analyse la situation de la France d’avant guerre dans l’esprit dela droite traditionnaliste: « La France ce n’est pas une véritable démocratie. Les femmesrefusent d’avoir des enfants, les ouvriers se mettent en grève dans nos usines pour avoir lasemaine de quarante heures, alors qu’en Allemagne vous en faisiez soixante-dix ou quatre-vingt. Je veux l’ordre nouveau dans mon pays ! ». Lambert se sent proche de la révolutionfasciste qui a permis à l’Allemagne de se reconstruire économiquement au détriment deslibertés individuelles car ce sont les hommes d’affaires comme lui qui en profitent.

Il justifie ainsi son choix de livrer un résistant aux autorités allemandes : « Quelqu’un quirésiste en secret, au moyen d’actes de sabotage, est un lâche. Il s’enfuit et des innocents

59 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 61.60 HOFFMANN, Stanley, Essais sur la France, Paris, Ed. Seuil, 1974. Cité par : SEMELIN, Jacques, op. cit., page 57.61 SEMELIN, Jacques, ibidem.

Page 45: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 45

sont tués. ». Cependant il accomplit ce geste avec répugnance : « Je ne veux pas derécompense, c’est déjà assez difficile de faire ce que je suis en train de faire. ». Et finalement,dans un sursaut de mauvaise conscience il va prévenir l’homme qu’il a dénoncé pour luilaisser une chance de s’échapper. Malheureusement, les Allemands sont déjà sur les lieuxet le patriote est tué sous les yeux du collaborateur. La morale de l’histoire de GeorgesLambert est donnée dans une scène où l’on découvre qu’il s’est suicidé. La vie de cecollaborateur se termine donc sous le signe de la repentance.

Le personnage du pétainiste converti au gaullismeDans Casablanca, l’une des premières images du film fait référence à la collaboration

d’Etat. On aperçoit ainsi en arrière plan une affiche représentant le maréchal Pétain avecce texte en Français : « Je tiens mes promesses et celle des autres. ». Par ailleurs, l’undes personnages les plus complexes de ce film est le préfet vichyste Renault (interprétépar Claude Rains) qui finit par mettre de côté son opportunisme pour devenir un résistant.Jusqu’à la dernière scène du film, sa position vis-à-vis de l’Allemagne et de Vichy en faitun homme de contradictions.

Tout d’abord, il semble très prompt à vouloir satisfaire l’Allemand Strasser, même si lespremiers mots qu’il lui adresse sont « Bienvenue en France non occupée ! ». Si Renaulttient à souligner cet état de fait, c’est qu’il attache de l’importance à son statut de Préfetvichyste. En effet, il est le seul à pouvoir délivrer des visas de sortie de Casablanca et àdécider de qui peut s’enfuir en traversant l’Empire français. Les forces allemandes ne sontdonc pas l’autorité légitime. Opportuniste, Renault a épousé la cause du Maréchal Pétaindès la première heure et tient à affirmer sa supériorité comme celle du régime de Vichy. Ildémontre l’efficacité de la police française en faisant arrêter devant Strasser le coupable dumeurtre de deux coursiers allemands. Celui-ci remarque que « L’administration françaisen’a pas toujours été si cordiale. ». Renault est pourtant un préfet exemplaire, qui met toutson zèle à servir le régime de Vichy, et donc indirectement les Allemands. Au moment dela fouille chez le héro Rick (Humphrey Bogart), Renault affirme : « J’ai dit à mes hommesde tout casser, cela impressionne les Allemands. » ; ou plus tard « Il est temps pour moid’aller flatter Strasser ! ». Il prononce également ce lapsus sur sa position pro-Allemande :« L’Allemagne euh… Vichy en serait très reconnaissant. ».

Cependant, la France passera toujours avant l’Allemagne dans le cœur de Renault.S’il collabore en 1940, c’est parce que telle est la politique de l’Etat français à ce momentlà. Dans une des scènes du film, le major Strasser, en Allemand hollywoodien typique desannées 1940, affirme à propos de Rick : « C’est un balourd, comme tous les Américains ! »,ce à quoi Renault rétorque : « Vous ne devriez pas les sous-estimer. J’étais avec euxquand ils sont entrés dans Berlin en 1918. ». Cette réplique rappelle, d’une part, la défaiteallemande grâce à l’interventionnisme « des balourds » lors de la Grande Guerre, et d’autrepart l’alliance franco-américaine en 1917, dans laquelle Renault était partie prenante, enbon serviteur de la République française.

Mais en ce début de Deuxième Guerre mondiale, Renault est redevenu un ennemi auxyeux des Américains, puisqu’il collabore avec les Nazis. Il est donc représenté de façoncaricaturale dans le film. C’est un officier sans scrupules, qui se débarrasse des suspectstrop encombrants de manière criminelle : « Nous hésitons entre le suicide ou la mort pendantl’évasion. ». Il apprécie la compagnie des jeunes femmes et couche avec celles qui veulentun visa. Ainsi, on apprend que la police rafle des opposants au régime de Vichy « et biensûr une belle fille pour le Préfet Renault. ». Ce qui fait dire à Rick : « Quand il s’agit d’amourvous êtes un vrai démocrate ! ». De plus, Renault est un représentant des forces de l’ordre

Page 46: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

46 MICLET Marion_2007

qui accepte les pots de vins. Lorsque Rick le laisse gagner à la roulette pour ne pas avoir àfermer son casino, il confie avec ironie : « Je ne suis qu’un pauvre officier corrompu ! ».

L’obsession de Renault tout au long du film est d’empêcher Victor Laszlo, « le résistantqui a impressionné la moitié de la planète », de quitter Casablanca : « C’est mon devoirde veiller à ce qu’il n’impressionne pas l’autre moitié de la planète. ». Ses raisons sontambiguës. L’opportunisme ? « Le côté gagnant est beaucoup plus payant. », affirme t-il. Lecollaborationnisme ? Devant Strasser il prétend que sa conduite est dictée par « l’honneur

de servir le III e Reich ». Renault est un personnage peu recommandable, son action n’estguidée par aucun idéal, bon ou mauvais, mais par sa recherche personnelle du profit. C’estpurement et simplement un profiteur, qui suit le sens du vent (« I blow with the wind. »).

Quand l’Allemand Strasser remarque qu’il répète « III e » Reich comme s’il y allait en avoirun quatrième, Renault réplique : « Je prends ce qui vient. ». Cependant, même s’il sembleen faveur du régime de Vichy qui lui rapporte, il ne va pas jusqu’à se compromettre avec laGestapo. Quand Rick lui demande s’il la craint il répond : « Vous surestimez l’influence dela Gestapo, je gère mes affaires, ils gèrent les leurs. ». Il n’a donc pas totalement basculédu « mauvais côté ». D’ailleurs à la question de Rick, « Etes-vous pour Vichy ou pour laFrance Libre ? », Renault esquive : « le sujet est clos ».

Dans la dernière scène du film, le Préfet Renault finit par assumer pleinement sesconvictions et devient un véritable patriote : « C’est un bon moment pour commencer ! ».Symboliquement, il jette une bouteille d’eau minérale Vichy à la poubelle ! Après avoir tuéStrasser pour permettre à Laszlo et sa femme de s’enfuir en avion, il s’éclipse avec Rickpour rejoindre les Forces Françaises Libres à Brazzaville, sur l’air de la Marseillaise. Pourremonter le moral des Alliés, les producteurs américains ont réalisé un tour de force dansCasablanca : rendre plausible la conversion d’un collaborateur en un gaulliste.

C. Des idéaux partagés par l’Europe et l’AmériqueDans les films tournés à Hollywood dans les années 1940, la situation en Europe estsouvent utilisée comme une métaphore de l’état d’esprit américain à un moment précisde la Seconde Guerre mondiale. Il n’est donc pas rare de trouver dans les films sur laRésistance des scènes qui font référence à l’un des fondements de la nation américaine :l’attachement à la démocratie. Souvent, cela se traduit par une exagération du phénomènede la résistance civile en Europe. La dernière partie du film Vivre Libre montre une courde justice comme s’il s’agissait du dernier lieu où peut s’exercer la liberté d’expression.Cette liberté, garantie aux Etats-Unis par le premier amendement à la Constitution, apparaîtgravement menacée en Europe occupée. Cette scène de procès a pour but de rappeler auxAméricains que leur devoir est de se battre au nom des « four freedoms » défendues parle président Roosevelt : liberté d’expression, liberté de conscience, droit à la subsistanceet droit à la sécurité. L’image de la nation française qu’Hollywood promeut dans ce but estcelle de la France éternelle, caractérisée par un ensemble de valeurs démocratiques. Laplupart des films qui se déroulent en France insistent donc sur l’exaltation du patriotismecomme un moyen de rapprocher d’avantage l’Amérique de leurs amis français.

1) La résistance à l’oppression et la défense de la démocratie

Page 47: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 47

La résistance civileDans son ouvrage sur la résistance civile en Europe, Jacques Semelin donne la

définition suivante : « un processus spontané de lutte de la société civile par des moyens nonarmés contre l’agression dont cette société est victime »62. Hollywood attache énormémentd’importance à ce type de résistance populaire, car malgré son impact plus moral quemilitaire, « La résistance civile est le moyen privilégié d’accroître le fossé entre la dominationqui est un état de fait et la soumission qui est un état d’esprit. ».63

Dans le film Casablanca la scène de la Marseillaise est emblématique à cet égard.Il s’agit d’un moment-clé où les patriotes français remportent une victoire symbolique surles Nazis. Le héros résistant Victor Laszlo est le catalyseur de l’action : il demande àl’orchestre du café de jouer l’hymne français. Rick, le patron, laisse faire et tous les clientsprésents se mettent à chanter en cœur, malgré les efforts des Allemands pour imposerleur propre hymne national. La police française en poste à Casablanca entonne égalementce chant de la France Libre, même s’ils sont censés représenter la France de Vichy.Pour les Américains, la Marseillaise est le symbole de la France résistante, pas de laFrance qui collabore. La scène se termine par les cris « Vive la France ! » et « Vive ladémocratie !». Le spectateur assiste à une image lourde de signification : un toast entreLaszlo le résistant et la police française. Dans cette scène de la Marseillaise, chacunassume ses convictions explicitement ou se rachète une conduite. Une femme françaisequi pratiquait la « collaboration à l’horizontale »64 fond en larmes. En chantant à l’unisson,les Français de Casablanca ont exprimé le refus de se soumettre à la puissance allemande.Cette idée est développée par Jacques Semelin :

Par la simplicité de ses moyens, la résistance civile a fourni une sorte de ‘‘rempartidéologique’’ contre toutes les tentatives de l’occupant et des collaborationnistes visant àinfluencer idéologiquement les sociétés conquises. La résistance civile, en ce qu’elle permitune participation de masse, par opposition à la lutte armée animée par une minorité, futl’expression privilégiée de ce refus collectif65.

La liberté d’expressionSelon Semelin, il existe deux types de résistance civile. Premièrement le recours à

des moyens non armés pour renforcer le combat armé. Deuxièmement, la mobilisation etla non-coopération sociales afin de défendre des objectifs civils. « Son but est le maintiende l’intégrité de la société civile, la cohésion des groupes sociaux qui la composent, ladéfense des libertés fondamentales, le respect des droits de la personne, des acquissociaux et politiques. »66. Semelin donne aussi l’exemple de certaines instances politiquesou juridiques qui ont visé à faire valoir leur légitimité en dépit de la présence occupante.

Dans le film Vivre Libre, Jean Renoir s’est penché sur ce cas concret de la résistancecivile en France. Au début de l’histoire, le héros du film, Albert Lory (joué par CharlesLaughton), est un instituteur qui se définit lui-même comme un lâche. Il est encoredépendant de sa mère, plus effrayé par les raids aériens que ne le sont ses élèves. Ilmanque d’autorité dans sa salle de classe et d’assurance dans le domaine sentimental. Le

62 SEMELIN, Jacques, op.cit, page 45.63 SEMELIN, Jacques, ibidem.64 Autrement dit, qui avait une liaison avec un Allemand.65 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 238.66 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 58.

Page 48: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

48 MICLET Marion_2007

film raconte son émancipation. Dans une magistrale scène de procès qui achève le film,Lory laisse libre cours à son droit à la parole et devient pour la communauté un véritablesymbole de la résistance civile. Il meurt en héros, apaisé et fier de ce qu’il a pu transmettreà ses élèves qui, désormais, le respectent.

Dans une des premières scènes du film, lorsque Lory trouve un journal résistant glissésous sa porte, il prend peur. Un peu plus tard, les Allemands ordonnent au directeur del’école, le Professeur Sorel, et à ses deux instituteurs, Albert Lory et Louise Martin, decensurer certains passages des livres scolaires. Lory s’exécute sans arrière-pensée : « Cene sont que quelques pages à déchirer. ». Cependant, lorsque la bibliothèque toute entièredu Professeur Sorel est détruite, Lory devient plus sensible au message de ce sage. Ainsi,celui-ci essaye de lui faire comprendre que la résistance est un état d’esprit : « Nous nepouvons résister physiquement, mais nous pouvons résister moralement. Le savoir et lavérité de ces livres sont inscrits en nous et ils ne pourront pas faire disparaître cette vérité,à moins de faire disparaître chacun d’entre nous. ».

Renoir insiste sur la portée symbolique de la résistance civile dans une longue scènede procès qui conclut le film et dans laquelle la transformation de Lory en un patriote françaisest achevée. L’instituteur est jugé pour un crime qu’il n’a pas commis. Cependant, pourle réalisateur, le véritable enjeu de ce procès c’est de montrer au public que la libertéd’expression n’est pas totalement morte en France. Comme beaucoup de héros dans lesfilms de Jean Renoir, Lory est un être ambivalent : il se décrit lui-même comme « fortà l’intérieur mais faible à l’extérieur ». Au moment du procès il peut enfin exprimer sonengagement. Ce renversement s’opère quand Lory prend réellement conscience de ce quel’occupation signifie pour la France : depuis la cellule où il est enfermé en attente de sonprocès, il assiste à la mort de son ami et mentor, le Professeur Sorel, qui est un otage parmid’autres fusillé par les Allemands.

Dans la première partie du procès, Lory veut être entendu au nom de la libertéd’expression : « Si ceci est une cour de justice, j’ai le droit d’être entendu. Si l’on m’arrêtemaintenant, comment quiconque pourra croire que nos cours peuvent toujours faire justice,même sous l’Occupation, comme le vantent les journaux ? ». En effet, comme l’expliquel’Allemand Von Keller, en charge de la ville : « Un palais de justice est un forum public. Biensûr, nous les Allemands, nous pourrions prendre le contrôle des cours de justice, des écoles,des mairies, des administrations du pays entiers, mais nous ne sommes pas des tyrans etnous nous refusons à la faire. ». Cependant, ils ont maintenant peur de Lory : la situationinitiale est renversée. Lorsque le procès est momentanément ajourné, Von Keller fait uneoffre à l’instituteur : il lui propose de fabriquer une fausse pièce à conviction qui permettrason acquittement, en échange de son silence dans la deuxième partie du procès. Défiantles Allemands, Albert Lory décide d’utiliser sa liberté de parole, même s’il est conscient qu’ilmet en danger sa propre vie.

Dans un monologue mémorable, Renoir utilise Lory pour critiquer la visionhollywoodienne de la résistance en Europe et pour exprimer son point de vue sur lesconséquences de l’occupation pour la société française :

C’est facile de parler d’héroïsme dans des pays libres, mais ici on souffre des conditionsde vie sous l’occupation. Pour nous, c’est encore plus dur de faire ce choix, mais c’estpayant. Il y a plus d’Allemands pour nous surveiller et moins sur le front. Une ville occupéecomme la notre peut aussi devenir un champ de bataille. D’abord nous devons nous battreavec nous même, car nous sommes un peuple corrompu. C’est pour ça que l’occupation estpossible. Moi-même j’ai été assez lâche pour ne pas protester quand on m’a fait déchirerles pages des livres de classes, ou quand j’ai bu le lait que ma mère a obtenu en privant

Page 49: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 49

d’autres personnes qui en avait vraiment besoin. Maintenant je sais que je dois mourir carj’ai dit la Vérité. L’occupation survit grâce au mensonge et c’est aussi ce qui fait marcherl’ordre nouveau qui nous est prédit.

Lory est bien conscient que les Allemands l’élimineront dès la fin de son procès, maisson exemple peut inspirer d’autres citoyens. Selon lui, la parole libre est contagieuse.C’est ce qui fait fonctionner la résistance civile. D’ailleurs, à ses risques et périls, le juryle déclare non coupable. Grâce à Albert Lory, le village a remporté une victoire morale surles Allemands.

La transmission des idéaux démocratiques à la jeunesseJuste avant d’être arrêté par les Allemands à la suite de son monologue anti-occupation

lors du procès, Lory a le temps d’aller voir ses élèves une dernière fois. Il se rappelle lesmots du Professeur Sorel à propos de leur devoir en tant qu’enseignants :

Nous pouvons préservez la vérité si les enfants croient en nous et suivent notreexemple. Les enfants aiment suivre un modèle, aujourd’hui ils en ont deux. Il y a nous, maisnous sommes faibles, sans armes, nous ne défilons que pour aller nous mettre à l’abri desbombes, et nos héros sont qualifiés de criminels et fusillés. Et il y a un autre modèle. Eux,ils ont des armes, des tanks, des uniformes, ils paradent, ils nous apprennent la violence,l’égocentrisme, la vanité, tout ce qui est attrayant dans l’esprit malléable d’un enfant. Etleurs criminels sont des héros. Ils nous font une sérieuse compétition Lory. L’amour de laliberté, dans l’esprit des enfants, ce n’est pas très parlant, il y va de même pour le respectdes droits de l’homme…C’est le combat que nous devons mener Lory. Pour chacun d’entrenous qui est tué, une bataille pour notre cause est gagnée, car nous mourons en héros et,l’héroïsme, ça impressionne un enfant.

Dans ce discours, le Professeur use de son influence sur Albert Lory pour qu’il fassepasser le message de la résistance civile aux enfants. Les Allemands aussi sont conscientsdu potentiel de rébellion qu’il y a dans la jeunesse. Ainsi Von Keller déclare : « Vous pouvezfaire croire ce que vous voulez à un enfant et les enfants d’aujourd’hui sont les mères etles soldats de demain. ». Les élèves de Lory sont l’avenir de la nation et c’est maintenant àl’instituteur de leur transmettre les valeurs fondamentales de la nation française. La dernièretâche de Lory avant d’être arrêté est de leur lire la Déclaration des Droits de l’Homme etdu Citoyen. Les Allemands interrompent sa lecture et il quitte sa classe sur ses mots « Aurevoir, citoyens. ». Encore une fois, Renoir insiste sur le fait que les jeunes d’aujourd’huisont les électeurs de demain.

2) L’exaltation du patriotismeLa confusion de plusieurs « France » dans l’imaginaire américain

D’après Robert L. McLaughlin, et Sally E. Parry, auteurs d’un livre sur le cinémaaméricain pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’image de la France vue par Hollywoodest fragmentée en plusieurs représentations : la France de Vichy, la France Libre et, la plusimportante, la France éternelle67.

En ce qui concerne la France de Vichy, le gouvernement américain entretientofficiellement des relations diplomatiques avec elle jusqu’à la fin 1942. Mais sur le planmilitaire, les Alliés américains et britanniques intègrent les hommes de la France Libre dansleurs opérations contre l’Allemagne nazie. Ce fut notamment le cas en Novembre 1942

67 MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 188.

Page 50: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

50 MICLET Marion_2007

avec l’invasion de l’Afrique de Nord, ce qui causa la fin des rapports d’entente entre lesEtats-Unis et Vichy. Pour les Américains, alors même que le Général de Gaulle n’est pasconsidéré comme un homme politique, il est le représentant de la France Libre. Cependant,en plus de la France de Vichy et de la France résistante, il existe une troisième image dupays dans l’opinion publique américaine. La France qui compte, c’est la France éternelle,celle de la devise «Liberté, Egalité, Fraternité », de la démocratie, et qui a pour emblèmele drapeau bleu blanc rouge et la Marseillaise. C’est cette nation française qui est célébrée,car c’est celle qui a contribué à faire des Etats-Unis une démocratie. En 1940, c’est au tourde l’Amérique de se battre pour le retour de la démocratie en France.

Aux yeux de l’opinion publique américaine, la situation est forcément très confuse àl’été 1940. Comment représenter la France sur les écrans sans heurter diverses sensibilités:celle du gouvernement de Vichy, celle du Général de Gaulle avec qui les Américains sont ennégociation ? La France vaincue n’est pas vraiment une ennemie, le gouvernement de Vichyest reconnu en théorie comme le détenteur de la souveraineté nationale. Mais elle n’est pasnon plus une alliée au même titre que l’Angleterre. Les sympathies de Pétain se portentplutôt vers l’Allemagne hitlérienne et les relations diplomatiques entre la France et la GrandeBretagne sont interrompues depuis l’affaire de Mers-El-Kebir le 5 juillet 1940. Une fois ledébarquement en Afrique du Nord réussi fin 1942, les Américains ont moins de scrupulesà critiquer ouvertement le gouvernement de Pétain dans les films. De plus, à l’approchedu débarquement allié en Normandie prévu pour 1944, les écrans de cinéma deviennentun outil de propagande efficace pour préparer le public à ce plan qui coûtera cher en vieshumaines. L’engagement américain doit restaurer la France éternelle. Pour Hollywood, elleest plus que toute autre nation le refuge de la démocratie, et le pays d’origine des quatrelibertés fondamentales défendues par Roosevelt. C’est en idéalisant cette France, en lapersonnifiant, que les studios hollywoodiens résoudront le dilemme de sa représentation aucinéma. « La tactique était de séparer l’idée de la France de sa vraie réalité géographiqueet politique. »68. Ce processus est à l’œuvre dans deux films qui traitent de la situation dupays pendant la Seconde Guerre mondiale : Reunion in France et Passage to Marseille.

L’hommage à la France éternelleL’introduction du film Passage to Marseille contient en quelques lignes le message de

propagande qu’Hollywood veut faire passer aux spectateurs américains : « Voici l’histoired’un escadron des Forces Françaises Libres, mais aussi l’histoire de la France. Car unenation n’existe pas simplement sur une carte et grâce à ses frontières mais aussi dans lecœur des hommes. Pour des millions de Français, la France n’a pas rendu les armes. Etaujourd’hui elle vit, immortelle et rebelle, dans l’esprit des Forces Françaises Libres qui sebattent pour la France dans le ciel au dessus de la Ruhr. » C’est cette notion d’immortalitéqui est le moteur de l’histoire. Le film raconte comment un Français désabusé, Jean Matrac,retrouve la fibre patriotique au moment où le pays en a le plus besoin. C’est quand ilréalise que la France telle qu’il la connue et aimée n’a pas cessé d’exister avec la défaite,l’occupation allemande et le régime de Vichy, qu’il va à nouveau se battre.

Le film présente un flashback dans les années 1930, lorsque le héros en question n’estencore qu’un journaliste qui couvre la montée en puissance du fascisme en Europe. Cepersonnage joué par Humphrey Bogart croit y voir clair dans les revendications de Hitler.Après les accords de Munich, il publie dans son journal, « La vérité française », un articleintitulé « J’accuse Daladier !» Le parallèle avec le « J’accuse ! » d’Emile Zola pendant l’affaireDreyfus est flagrant. L’union nationale est à nouveau en péril en septembre 1938, mais seule

68 « One strategy was to separate the idea of France from the actual geographic and governmental France. ». MCLAUGHLIN,Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 190.

Page 51: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 51

une poignée d’hommes éclairés, comme Matrac, voient venir le danger. D’ailleurs, lorsquela rédaction du journal est attaquée par une foule qui défend la politique de l’« apaisement »face à Hitler, la police française laisse faire. Du point de vue américain, la France éternellea été trahie de l’intérieur. Le rôle des films est de convaincre les Etats-Unis que la Franceest une nation amie depuis toujours, qui traverse une période d’occupation temporaire. Laflamme de la démocratie n’est pas éteinte, mais doit être ravivée grâce à la Résistance.

Cependant, après les accords de Munich, le héros a perdu ses illusions. Il justifie sadésinvolture vis-à-vis du sort de la France après l’armistice en ces termes : « Je me fichede mon pays, la France que vous et moi nous aimions est morte ! ». Or, tout le film racontecomment il se réconcilie avec cette France éternelle. Pour cela il faut mettre de côté lesimperfections actuelles et regarder vers l’avenir : la France est un idéal qui existe dans lecœur des patriotes dont Hollywood aime tant faire le portrait.

Au début, Matrac est particulièrement pessimiste. D’après lui, la guerre est inévitablecar la France a perdu trois batailles fondamentales contre Hitler dans les années 1930.Premièrement, celle de « la Rhénanie », ce qui fait référence à l’échec de l’applicationdes causes du traité de Versailles de 1919. En effet, après la défaite de son ennemi, laFrance ordonna la démilitarisation de cette région d’Allemagne, située près des frontièresfrançaises. En mars 1936, en violation du traité, Hitler organisa l’entrée de troupesallemandes en Rhénanie. Le pouvoir politique français étant profondément divisé, laréponse de la France fut de laisser faire le nouveau chancelier. La deuxième bataille perduec’est « Vienne », soit l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne décidée unilatéralement parHitler en 1938 et appelée « l’Anschluss ». Encore une fois, le gouvernement françaisn’intervient pas. La troisième défaite de la France aux yeux de Matrac c’est « Munich »,allusion à la crise diplomatique de septembre 1938 au cours de laquelle la stratégie del’ « apaisement » (« appeasement ») atteint son paroxysme.

Matrac perd ses derniers espoirs lorsqu’il est envoyé au pénitencier de l’Ile du Diable, enGuyane, pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Sur place, il fait la connaissance d’un grouped’homme qui se définissent comme des patriotes français et qui n’ont qu’une obsession,s’échapper afin de pourvoir aller combattre les Allemands. Dans une scène où ils sonttous réunis, chaque prisonnier laisse libre cours à ses souvenirs. Se dessine alors uneversion Hollywoodienne de la France éternelle où se mêlent certains clichés habituellementassocié à la France et des valeurs communes au deux pays. L’un des hommes pense àsa famille et sa ferme (le droit à la propriété) ; le second évoque Montmartre, le MoulinRouge et les femmes parisiennes (la France est le pays du romantisme dans l’esprit desAméricains) ; un troisième se fait l’avocat de la beauté du paysage ; le dernier évoquel’histoire et les traditions françaises : Versailles, Jeanne d’arc, les statues et monuments,les Invalides, la place Vendôme. Après cette énumération qui ne dépareillerait pas dans unguide touristique, l’un des hommes énonce des motivations plus sérieuses. Ayant déserté,il souhaite maintenant payer sa dette envers la société et mourir pour rendre la liberté à« sa » France.

Lorsqu’un vieux prisonnier leur propose de s’évader ensemble pour aller se battre pourleur pays, ils font tous le serment d’être des patriotes sincères. Mais pour le héros désabusé,les motivations sont plus égoïstes. Matrac ne pense qu’à revoir sa femme et son fils pours’échapper avec eux en Amérique du Sud. Lorsque que les hommes en fuite sont repêchéspar un navire de guerre français, Matrac refuse d’aller vers l’Angleterre pour poursuivrela lutte au nom de la France éternelle, car cela l’éloignera de sa famille. Le capitaine leprévient : « Ta femme a épousé un patriote, si tu abandonnes tes convictions, tu n’es plus lemême homme à ses yeux. Tu devras régler ça avec ta conscience. ». Après un face à face

Page 52: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

52 MICLET Marion_2007

avec un avion allemand attaquant le navire, Matrac comprend que la France est une idéeabstraite qui existera toujours quelque soit les circonstances politiques à l’intérieur du pays.Il décide de sacrifier son bonheur personnel pour mieux défendre sa patrie depuis l’étranger,aux côté des Alliés et des Forces Française Libres, qui sont les vrais représentants de laFrance éternelle pour Hollywood.

La France personnifiéeMichèle de la Becque, l’héroïne du film Reunion in France, devient la personnification

de la France. Comme sa patrie, elle sortira plus forte des épreuves de la guerre. Le filmcommence à la veille de l’invasion allemande en France, le 9 mai 1940. En introductionon retrouve les repères visuels et sonores auxquels sont habitués les Américains quand ils’agit de voir la France au cinéma. La Tour Eiffel et les Champs Elysées servent d’arrièreplan, tandis que la Marseillaise retentit régulièrement en leitmotiv musical.

On nous montre d’abord une nation insouciante : des Parisiens en train de boire un caféou de fumer des cigarettes. Pour les Américains, La France de la « drôle de guerre » est,avec le recul, inconsciente face au danger que représente l’Allemagne en 1940. Il s’agit pourles spectateurs de faire le lien entre la situation de la France à la fin des années 1930 et lasituation des Etats-Unis au début des années 1940 : personne n’est à l’abri de la puissanceallemande. Dans le film, la France devient une démocratie détachée de tout repère temporelet géographique. Cette France porte des idéaux et des symboles dans lesquels le peupleaméricain peut se retrouver, il doit donc tirer les leçons de la défaite française. En guised’introduction, les spectateurs peuvent lire sur l’écran, comme un avertissement direct :« Pour les Français, la guerre était trop inintéressante pour être prise au sérieux et troplointaine pour s’en soucier. ». Au moyen d’un montage rapide d’images d’archives, le publicassiste au tourbillon d’évènement auxquels la France a dû faire face après le début deshostilités avec l’Allemagne. Le but est de montrer qu’une situation de paix relative peut semétamorphoser très rapidement en chaos. Ainsi, la conclusion devient simple : puisque laFrance a échoué comme bouclier de l’Europe, l’Amérique doit jouer ce rôle pour le mondedémocratique.

L’héroïne, interprétée par Joan Crawford, personnifie la France. Dans un premier tempselle semble inconsciente du danger réel: elle a confiance dans la parole rassurante desgénéraux amis de son fiancé. Elle va passer des vacances à Biarritz comme si de rienn’était. C’est une jeune femme que son fiancé qualifie de « jolie, éternellement jeune, gâtée,égoïste, incroyablement romantique ». Et il ajoute : « Tout comme la France ». Elle se plaintdes restrictions qui empiètent sur son confort : « Moi je ne suis en guerre avec personne ! »explique-t elle. Une de ses employées, que Michèle fait tourner en bourrique, s’exclameà propos de sa patronne: « La gloire de la France, c’est du passé ! ». Le film donnel’impression d’une nation française qui se repose sur ses privilèges, une société de classessclérosée. Mais elle reste, malgré tout, la France. La guerre sera une épreuve initiatiquepour le personnage de Joan Crawford et pour le pays lui-même.

Cependant, après la défaite, Hollywood tire un portrait morose de la France : les croixgammées remplacent le drapeau français et la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » surles frontons des bâtiments officiels. Comme l’héroïne, la France souffre, elle est humiliéeet spoliée. Michèle connaît l’exode, puis découvre que des Allemands ont réquisitionné samaison. Mais certaines valeurs sont inaltérables : son goût pour la démocratie, son refusde sympathiser avec l’ennemi. Malgré son statut d’aristocrate, elle se plie volontiers auxnouvelles conditions de vie. Elle cherche du travail comme vendeuse et prend comme taxiune charrette tirée à cheval. Le chauffeur commente laconiquement : « Cette fois, les taxis

Page 53: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Deuxième Partie : Des films de propagande : l’axe du mal contre l’axe du bien

MICLET Marion_2007 53

ne sont pas revenus de la Marne ! ». Cette allusion rappelle que la France fut victorieuseen 1918. Elle doit se relever à nouveau.

Pour cela, elle doit subir un choc salutaire. Pour Michèle, ce choc ce sera la découvertedes sympathies de son fiancé vis-à-vis de l’Allemagne nazie. Quand il veut la convaincre,elle se rebiffe : « Je ne suis plus égoïste et gâtée, et la France non plus. Ce qu’est devenula France aujourd’hui, je le suis aussi. ». L’héroïne épouse la destinée de son pays corpset âme, quitte à en subir les conséquences. Elle a foi dans l’avenir de la nation et le filmsalut son patriotisme.

La création de l’association « La France quand même »L’association « La France quand même » fait vivre le mythe de la France éternelle

au-delà des écrans de cinéma américain. Elle est la concrétisation du désir de présenterl’image de la France en dehors du régime de Vichy. Elle fut créée par des expatriés françaisen Amérique le 20 septembre 1940 à Philadelphie, une ville symbole de la démocratieaméricaine qui abrite la « Liberty Bell ». « Ces hommes réunis à Hampshire House virentqu’une France survivait à sa défaite—La France Quand Même—La France éternelle. »69.Ses fonctions sont le soutien des idéaux américains de liberté ; au cas où les Etats-Unisentreraient en guerre, la participation active à la défense du pays ; l’éveil et le maintien del’intérêt porté aux institutions françaises70…

C’est Jacques de Sieyès qui fut chargé par le Général de Gaulle de maintenir l’espritde la Résistance en Amérique. Cependant, à cause de la législation américaine surl’association et des Lois de Neutralité toujours en vigueur en 1940, l’impact de l’organisationen Europe fut minime. Dans l’impossibilité de soulever des fonds, l’association n’eut qu’uneportée symbolique au début, mais son impact sur l’opinion américaine méritait d’êtrementionné.

Cette deuxième partie résume les thèmes abordés par le cinéma américain dansle cadre de la propagande patriotique. Pour le gouvernement américain, la DeuxièmeGuerre mondiale est le combat entre l’axe du mal et l’axe du bien. D’un côté, la puissanceennemie allemande est ridiculisée et déshumanisée et la collaboration en Europe estromancée, mais toujours dénoncée. De l’autre, Hollywood nous montre quels sont lesidéaux communs à l’Europe et à l’Amérique : la résistance à l’oppression et la défense dela démocratie. L’image de la France sur les écrans devient celle d’une nation immortelle,momentanément envahie par les forces allemandes. Cependant, le patriotisme des studiosa ses limites. Parallèlement à la transformation de l’industrie cinématographique en un outilde propagande, certains éléments du système se dérèglent. La création par Roosevelt d’uneagence pour contrôler la production de films est un échec et des sujets controversés sontabordés au cinéma par des réalisateurs comme Jean Renoir et Leo McCarey.

69 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 140.70 WHITE, Dorothy Shipley, op. cit., page 141.

Page 54: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

54 MICLET Marion_2007

Troisième Partie : Les limites de lapropagande hollywoodienne

« - Par décret, les Nazis décident de qui aura des enfants. - Ca dépend désormaisde Hitler ? - Avant c’était la volonté de Dieu, Hitler n’aime pas ça, les nouveau-néspourraient être des ennemis. - Sa mère aurait dû y penser avant ! ».

Dialogue entre Cary Grant et Ginger RogersLune de miel mouvementée,(Leo McCarey, 1942)Les films produits à Hollywood pendant les années 1940 participent à l’effort de guerre

comme toutes les industries médiatiques de l’époque. La presse et la radio aussi sontmobilisées. Le gouvernement commande au réalisateur Frank Capra de superviser unesérie de films documentaires, intitulée Why We Fight, vantant les efforts de l’Amériquedans son combat contre les régimes totalitaires. Hollywood n’échappe donc pas à l’élanpatriotique caractéristique de l’époque. Non seulement les films de fiction livrent desmessages de propagande afin de motiver l’engagement américain dans la guerre, maiscertains membres de l’industrie cinématographique mettent leur notoriété en jeu. Plusieursacteurs célèbres s’engagent dans l’armée, comme Henry Fonda ou James Stewart, dèsmars 1941. Les starlettes participent aux tournées de promotion des bons de guerre. CaroleLombard, l’actrice principale du film To be or not to be, meurt lors d’une de ces tournéesdans un accident d’avion.

Cependant, l’influence du gouvernement sur la production de films reste limitée.L’agence gouvernementale chargée de coopérer avec Hollywood, le Bureau of MotionPictures,a une fonction de conseil et n’exerce pas un contrôle strict. La seule censure estde l’ordre de l’autocensure. Les patrons de studios, pris dans l’élan patriotique qui emportela nation américaine au début des années 1940, suivent volontairement les conseils dugouvernement pris. A propos du rôle du Bureau of Motion Pictures, James M. Myers conclutà un échec : son impact sur la production hollywoodienne est resté limité. Le véritablemoteur de l’industrie cinématographique reste économique. C’est plus la recherche du profitque l’influence du gouvernement qui explique l’omniprésence du thème de la guerre aucinéma. De plus, en dépit du fonctionnement bien huilé de la machine hollywoodienne,certains réalisateurs européens expatriés aux Etats-Unis profitent de la confiance qui leurest accordée pour faire financer des films avec un message différent. C’est le cas de JeanRenoir avec Vivre Libre en 1943. Enfin, l’industrie du film se penche même sur un sujettabou à l’époque : la situation des Juifs en Europe. Dans les années 1940, les relationsentre l’Amérique et la population juive sont pour le moins ambigües. Un film comme Lunede miel mouvementée (Leo McCarey, 1942) a le mérite d’aborder frontalement le thème despersécutions nazies contre les Juifs : il comporte une scène qui se passe dans le ghettode Varsovie. Malgré l’existence d’une agence gouvernementale tel que le Bureau of MotionPictures, visant à contrôler la production filmique, des thèmes controversés apparaissentsur les écrans pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Page 55: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

MICLET Marion_2007 55

A. L’influence du Bureau of Motion PicturesJames M. Myers, auteur d’une étude sur le Bureau of Motion Pictures, nous explique quecette agence gouvernementale ne fut jamais réellement un outil de censure. Cependant,les relations entre Hollywood et Washington se sont clairement resserrées pendant laDeuxième Guerre mondiale.

1) Hollywood, la guerre et le gouvernementLe gouvernement et la censure

Depuis la Première Guerre mondiale, les techniques de propagande étaient fortementdiscréditées. C’est donc dans l’intérêt du gouvernement américain d’éviter une propagandetrop ouverte en 1940. La première raison est que le combat contre les puissances de l’Axes’inscrit dans le thème de la lutte pour la liberté et la démocratie. Les Etats-Unis ne peuventdonc pas à la fois restreindre la liberté d’expression chez eux et prétendre se battre pour lafaire appliquer dans le reste du monde. La deuxième raison est qu’il ne faut pas donner defausses illusions aux soldats et à leurs familles à propos de ce qui les attend sur le front.Mais l’auteur ajoute : « Cela ne revient pas à dire que le gouvernement fédéral n’utilisa pasdes techniques de propagande. La différence fondamentale entre la presse, la radio, lesfilms au Etats-Unis et en Allemagne nazie, c’est que ces médias étaient dignes de confianceet l’information fournie était fiable. »71. Roosevelt est conscient de la nécessité de fournirdes informations en temps réel sur la progression du conflit, mais également d’éduquer lepublic américain sur la signification d’une guerre totale.

Hollywood et la censureLa censure dans le cinéma américain existait déjà bien avant la Deuxième Guerre

mondiale. En 1934, le « Code de la Production » fut mis en place et il limita sérieusementla liberté d’expression des réalisateurs jusque dans les années 1960. Cependant, cettecensure se concentre plutôt sur des valeurs morales : la pudeur est de mise dans lesrelations hommes-femmes, les jurons et les allusions racistes sont éliminés. Après l’attaquesur Pearl Harbor, les préoccupations du gouvernement en ce qui concerne la productionde films changent radicalement. La priorité ce n’est plus de contrôler la morale mais devéhiculer un double message patriotique : d’une part, motiver les soldats ; d’autre part,justifier, aux yeux des Américains restés à l’arrière, le bien fondé de cette guerre.

La sécurité nationaleAvant l’entrée en guerre des Etats-Unis, ni le Congrès, ni le haut commandement

militaire, ne s’étaient jamais sérieusement posé la question de la menace que constituele contenu de certains films pour la sécurité nationale. Or, par le biais des films, desinformations importantes peuvent être révélées à l’ennemi. Rapidement, les vraies imagesd’aéroports, de ponts, d’usines disparaissent des écrans. Il ne reste que la solution de filmeren studio les plans nécessitant ces éléments. Cela explique l’aspect « carton-pâte » decertains films de l’époque et aussi le mélange entre images de fiction et images d’archives,quitte à désorienter le spectateur. L’attention portée à ces détails peut surprendre car le

71 « This is not to say that federal offices did not resort to propaganda techniques. The fundamental difference betweenAmerica’s press, radio and motion pictures and those of Nazi Germany was the trustworthiness and reliability of the information. ».MYERS, James M., The Bureau of Motion Pictures and its influence on film content during World War II, the reasons for its failure,New York, Edwin Mellen Press, 1998, page 51.

Page 56: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

56 MICLET Marion_2007

total de films produits entre 1942 et 1944, dont le sujet est explicitement lié à la guerre, neconstitue que 28% de la production globale72. Il semble que les comédies musicales, lescomédies et les thrillers intéressent d’avantage les soldats. Le public concerné en premierlieu par les films de guerre est donc l’ensemble des Américains restés à la maison : legouvernement envisage Hollywood comme un outil capable d’influencer des millions decitoyens.

Le cinéma pour informer et éduquer le public américainJusqu’en 1943, pour rester aussi fidèle que possible à la réalité, il était impossible

de montrer les victoires du côté allié. Les films de guerre donnaient plutôt l’image d’uneAmérique déterminée à s’engager dans le combat et à surmonter les premières défaitesmilitaires. Le gouvernement est préoccupé par le manque de prise de conscience de lapopulation, même après l’attaque sur Pearl Harbor. C’est pourquoi « Hollywood concentrases efforts afin de confronter une population encore sous le choc à ses responsabilités. Ilfallait maintenir le moral des Américains à la hausse tout en freinant leur conviction que laguerre serait courte. »73. Roosevelt est convaincu que le cinéma est le média le plus efficacepour informer et distraire les Américains. Par conséquent, le 18 décembre 1941 il crée unenouvelle agence, le Bureau of Motion Pictures. Voici un extrait de la lettre qu’il envoie àcelui qu’il place à la tête du Bureau, Lowell Mellett : « Le cinéma doit rester un média libredans la mesure où la sécurité nationale le permet. Je ne veux pas de censure, pas derestrictions autres que celles dictées par le besoin de sûreté. »74. Roosevelt définit aussidans cette lettre les trois fonctions principales de la nouvelle agence gouvernementale : fairela liaison entre Hollywood et Washington, informer et éduquer le public américain, veillerà ce que les films servent l’effort national de façon utile. Implicitement, avec la créationde cette agence, le gouvernement américain commence néanmoins à exercer un véritablecontrôle sur la production des films de guerre. Comment les studios vont-il réagir à cetteintrusion politique ?

2) Le fonctionnement du Bureau of Motion PicturesLe gouvernement et le Bureau : des intérêts mutuels

Quand les Etats-Unis entrent en guerre, les studios eux-mêmes sont demandeurs d’uneintervention du gouvernement dans l’industrie cinématographique. Soucieux de contribuerà l’élan patriotique, Hollywood se tourne vers Washington afin d’obtenir des informationsprécises sur la situation militaire. Les producteurs de cinéma veulent présenter au publicaméricain des films aussi réalistes que possible. La création du Bureau of Motion Picturesest donc le fruit d’intérêts mutuels entre le gouvernement et les studios. Dans un premiertemps, le lancement de cette nouvelle agence sert les intérêts économiques des patronsdes studios. Si le gouvernement reconnaît officiellement la machine hollywoodienne comme

72 KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What to show the world: The Office of War Information and Hollywood,1942-1945, Journal of American History, numéro 64, juin 1977, page 90.

73 « Hollywood embarked on a concentrated effort to awaken a stunned population to its responsibilities, while at the sametime bolstering morale and holding down the overconfident belief of a short war. ». LINGEMAN, Richard R., Don’t you know there’sa war on?, New York, G.P. Putnam’s Sons, 1970, page 270-271.

74 « The motion picture must remain free insofar as national security will permit. I want no censorship of the motion picture, Iwant no restrictions placed thereon which will impair the usefulness of the film other than those very necessary restrictions which thedictates of safety make imperative. ». ROOSEVELT, F. D., lettre adressée à MELLETT, 18 décembre 1941.

Page 57: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

MICLET Marion_2007 57

une industrie de guerre, alors les producteurs sont assurés de ne pas manquer de matièrepremière. Le celluloïd est en effet une denrée rare et indispensable pour produire de lapellicule. Hollywood ne perd donc jamais réellement de vue ses intérêts économiques.Comme l’affirme, James M. Myers, auteur de l’essai sur le Bureau of Motion Pictures,« L’industrie cinématographique, toute patriote qu’elle soit, n’avait pas l’intention de perdrede l’argent. »75. Si les studios veulent avant tout éviter la faillite, le gouvernement leur est trèsfavorable pour deux raisons. D’abord, un film populaire peut avoir un impact phénoménalsur le public. Les Américains peuvent ainsi être mieux informés grâce aux films. Ensuite,Washington souhaite aider la production de films qui ont un effet positif sur le moral desAméricains. En montrant des combattants utilisant les produits de l’industrie de guerreaméricaine, on contribue à rendre les travailleurs plus productifs. Ainsi, l’industrie du filmest-elle déclarée « essentielle à l’effort de guerre ».

L’ Office of War Information (O.W.I) et le rôle du BureauLes efforts de l’administration américaine pour influencer le moral de la nation

continuent tout au long de la guerre. Quelques mois après la création du Bureau of MotionPictures, Roosevelt ordonne la création d’un nouvel organisme pour superviser tous lesmédia d’information, cinéma inclus. Le 13 juin 1942, l’Office of War Information (O.W.I) estné et le Bureau of Motion Picture devient l’une de ses branches. D’après le Président, le rôlede l’O.W.I est de donner « une explication informée et intelligente, à l’arrière et à l’étranger,du statut et des progrès de l’effort de guerre et des buts du gouvernement. »76. En tant quebranche de l’Office of War Information, le Bureau of Motion Pictures doit visionner tous lesfilms faisant référence à l’armée ou au gouvernement américain en guerre avant de donnerle feu vert pour leur distribution nationale et internationale.

3) L’échec de l’influence du gouvernement dans la production defilms

La tentative de propagande patriotiqueEn 1942, l’O.W.I fait paraître un manuel afin de donner des objectifs précis aux

producteurs hollywoodiens. Il divise les films de guerre en six catégories : 1) Pourquoi nousnous battons et pourquoi le monde est en guerre. 2) La nature de l’ennemi. 3) Les peuplesunis prouvent leur fraternité sous les drapeaux. 4) L’importance de l’industrie dans l’effort deguerre. 5) Les sacrifices à l’arrière à cause de la guerre. 6) Les tâches des combattants77.De plus, avant de se lancer dans la production d’un film, les studios doivent se poser lesquestions suivantes : De quelle façon ces films aident-ils à gagner la guerre ? Vont-ils servirà expliquer au public les problèmes de la guerre ? Les intérêts financiers passent-ils avantle message politique ? Est-ce qu’au moment de sa sortie le film est déjà dépassé par lesderniers rebondissements militaires ou politiques ? Est-ce que le film est fidèle à la réalitéet si non, quelle image donne t-il des Etats-Unis ? Est-ce que les générations futures seronten droit de qualifier ce travail de propagande ?

Ces consignes strictes ont pour but d’inspirer le patriotisme des studios. ChaqueAméricain présenté à l’écran doit faire preuve d’une certaine forme d’engagement dans

75 « It was never the purpose of the industry, patriotic as it was to lose money. ». MYERS, James M., op. cit., page 56.76 « An informed and intelligent understanding, at home and abroad, of the status and progress of the war effort and of the

aims of the Government. ». MYERS, James M., op. cit., page 67.77 Voir annexes Government Information Manual for the Motion Picture Industry.

Page 58: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

58 MICLET Marion_2007

la guerre. Malgré les victoires du fascisme au début des années 1940, le gouvernementsouhaite que les films montrent la force, le courage et l’ingéniosité de la démocratieaméricaine. La promesse d’une victoire alliée dans le futur contrebalance certains thèmespessimistes. En effet, l’ennemi doit être présenté de manière réaliste : farouche et engagédans un combat de longue durée pour la domination du monde libre. L’image des nationsalliées est fondée sur la confiance et le respect. L’objectif du Bureau est de monter surgrand écran le courage des Alliés sans pour autant présenter l’Amérique comme une nationsupérieure aux autres.

Le choix de suivre ou non les suggestions du Bureau appartient entièrement auxproducteurs. Au début, ils font des efforts pour les suivre à la lettre. Dans la première annéequi suit l’entrée en guerre des Etats-Unis, les studios, dans un élan patriotique, envoientsystématiquement les scripts au Bureau. Cependant, rien ne les y oblige légalement. Lebut de ces relectures est de proposer des histoires aux producteurs, de les guider pourintégrer un message gouvernemental sous une lumière favorable ou encore de corriger deserreurs factuelles. A l’été 1942, la plupart des films hollywoodiens qui évoquent le sujet de laguerre sont des films d’espionnage. Pas un seul projet ne concerne les Alliés combattantsles forces de l’Axe ou la situation à l’arrière78. Mais à partir de 1943, suite aux conseils duBureau of Motion Pictures, le public américain peut déjà se faire une idée plus juste de laguerre grâce à la plus grande variété de thèmes abordés sur les écrans. Au fur et à mesure,le Bureau commence à signaler des scènes où de subtils messages de propagande peuventêtre insérés et à réclamer la modification ou la suppression de certains autres passagesnuisant à l’effort de guerre.

L’échec relatif du Bureau of Motion PicturesLa contrainte majeure pour le Bureau est l’insistance du Président Roosevelt à ne pas

tomber dans la censure. Plutôt qu’un outil de propagande, le Bureau est donc un agentde liaison entre, d’un côté, le monde du cinéma et, de l’autre, le gouvernement fédéral etl’armée américaine. L’intervention du Bureau of Motion Pictures ne doit pas être négligée.Elle repose sur le principe démocratique du « voluntary system » (coopération volontaire).Les changements apportés aux films le sont dans un esprit de suggestion plutôt que decoercition. C’est pourquoi James M. Myers insiste sur le fait que la fonction d’information etde conseil l’emporte souvent sur la fonction de contrôle :

Certainement, le thème du film importait pour le Bureau et l’Office of WarInformation. C’était le rôle de son chef, Nelson Poynter, de suggérer deschangements dans le script, dans certaines scènes ou dans les dialogues.Poynter était capable de menacer les producteurs de ne pas leur accorder lalicence d’exportation afin d’obtenir les changements souhaités. Cependant, laplupart des menaces du Bureau étaient des menaces en l’air et les studios furentprompts à repérer ses faiblesses pour les utiliser à leur propre avantage79.

Ce qui cause l’échec du Bureau of Motion Pictures après seulement dix-neuf moisd’existence n’est pas son manque de légitimité. En réalité, les lignes de communicationmultiples et confuses entre les studios, le gouvernement et l’armée compliquent la situation.

78 KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., page 90.79 « Certainly, movie themes were important to the BMP-OWI. It was Poynter’s job to suggest changes in scripts, scenes

and dialogues. Poynter was not above threatening denial of overseas licences to get the changes he wanted. For the most

part, however, Bureau’s threats were hollow, and the studios were quick to perceive the Bureau’s weakness and use it for

their own benefit. ». MYERS, James M., op. cit., page 146.

Page 59: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

MICLET Marion_2007 59

Certains studios s’adressent directement au War Department, au Navy Department ou auState Department, sans passer par le Bureau, pour recevoir la permission de faire un film. Labataille des egos entre les deux chefs du Bureau et de l’Office of War Information n’arrangepas les choses. Lorsque Mellett, le président du Bureau, tente de dénouer la situation, c’estle début du déclin pour l’agence gouvernementale. D’après James M. Myers, « Le Bureaufut la victime de la politique nationale américaine. Il servit de bouc émissaire à Rooseveltqui le supprima pour répondre aux accusations de censure. »80.

Enfin, quelque soit l’impact réel du Bureau of Motion Pictures sur la production defilms pendant le Guerre 1939-1945, James M. Myers estime qu’il ne faut pas le surestimer.Selon cet auteur, l’influence de ces films sur le grand public est faible, comparée à d’autresmoyens d’information utilisés plus fréquemment par les Américains tels que la presse etla radio. Certes, les spectateurs ne regardent pas un film de cinéma comme ils regardentun documentaire sur la guerre ou les actualités de l’époque. C’est pour cette raison quele potentiel subtil de propagande des films a été utilisé par le gouvernement. Tandis quele public, à la recherche d’évasion, a simplement l’impression de profiter d’un spectaclehollywoodien, il perçoit inconsciemment une quantité de messages de propagande. Lacréation du Bureau correspond bien à cette double volonté de l’administration de Rooseveltd’informer et d’éduquer via un divertissement apparemment innocent.

B. Des thèmes controversés sur les écransMalgré l’esprit patriotique ambiant des années 1940, certains réalisateurs ont su tireravantage de leur liberté d’expression pour faire passer des messages différents au publicaméricain. Après l’échec de son film La Règle du Jeu (1939), Jean Renoir fait le choix des’expatrier aux Etats-Unis. Même si cela signifie faire partie du « studio system », Renoirest plus libre de parler de la situation de la France. Dans le film Vivre Libre, le réalisateuraborde des thèmes controversés qui expliqueront la mauvaise réception du film à sa sortieen France en 1946. Un autre tabou qu’Hollywood fait tomber avec un film comme Lunede miel mouvementée (Leo McCarey, 1942) est celui du sort réservé aux Juifs en Europenazie. Sous ses aspects de comédie romantique, le film aborde des questions politiques etnotamment celle des rapports ambigus entre les Juifs et l’Amérique pendant la DeuxièmeGuerre mondiale.

1) Jean Renoir : un réalisateur européen engagé expatrié àHollywood

A qui s’adresse le film Vivre Libre ?Sorti en France en 1946, Vivre Libre reçut un mauvais accueil dans le pays d’origine du

réalisateur. Renoir affirma qu’il voulait « donner une image un peu moins conventionnellede la France occupée »81. Pourtant, le film semble s’adresser directement à l’Amérique.Pour Pour Robert L. McLaughlin, et Sally E. Parry :

80 « The Bureau became the victim of American national politics and Roosevelt’s scapegoat as a response to the critic of censorship.». MYERS, James M., op. cit., page 202.

81 BROMBERG, Serge, introduction du DVD, Vivre Libre

Page 60: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

60 MICLET Marion_2007

Vivre Libre est le meilleur exemple de ce que les films qui traitent de l’occupation,de quelque façon que ce soit, essayaient de réaliser : permettre aux Américainsde s’identifier totalement aux peuples des pays occupés […] Ils pouvaient ainsivoir les types de comportements adoptés par les peuples occupés et se poserla question de ce qu’ils feraient si les Etats-Unis étaient conquis et occupés. Ilsapprirent également que l’arrière pouvait être un front combattant et que les gensordinaires avaient un rôle aussi important que les soldats à jouer dans la luttecontre le fascisme82.

Dans les années 1940, le genre « film d’occupation » s’adresse donc principalement auxspectateurs américains. Vivre Libre, comme tant d’autres films de l’époque tend un miroiraux Etats-Unis.

Ces films montrent l’engagement d’individus qui choisissent de résister et de se battrepour un idéal commun à l’Europe et à l’Amérique : la démocratie. Les héros sont souventconfrontés au même dilemme : faut-il survivre en ne se préoccupant que des ses intérêtspersonnels ou se battre pour une cause plus grande et plus noble même si cela comportedes risques ? Galvanisés par ces spectacles, moins violents que les films de combats,et plus efficaces moralement, les Américains absorbent ainsi le message d’engagementmartelé par l’administration Roosevelt.

Le lieu où se déroule l’action du film est volontairement laissé flou par Renoir, « quelquepart en Europe », car il envisage sans doute son film comme une parabole de la situationeuropéenne à destination des Américains. Le nom des personnages et la nationalité duréalisateur font penser que l’histoire se passe en France. Mais certains éléments du film fontclairement référence à la situation américaine, comme une affiche encourageant l’achat de« War bonds » (les bons du gouvernement vendus aux Américains pendant le conflit). Il y a,d’autre part, une allusion directe à la situation des Etats-Unis. L’Allemand du film s’exclame :« Les Américains se croient à l’abri grâce à leur océan, mais ils sont déjà envahis ! » ; ilajoute « Après tout, qu’est ce que l’Amérique ? Un cocktail d’Irlandais et de Juifs ! ». Aveccette réplique Renoir tente de capter l’attention des spectateurs américains et n’hésite paspour cela à aller contre le « politiquement correct ».

En évitant d’aborder directement la question de la nationalité, Vivre Libre peut êtreconsidéré comme un conte moral qui traite de sujets controversés en France comme auxEtats-Unis dans les années 1940 : le choix de la collaboration, de la Résistance ou toutsimplement de la passivité. L’interprétation personnelle de l’auteur est enrichie par son statutd’expatrié. Renoir vivait déjà aux Etats-Unis au moment où la France fut envahie par lesAllemands. Le film est donc imprégné de son point de vue en tant que Français avec le reculqu’implique son exil américain. Dans Vivre Libre il met face à face des personnages richesde contradictions, afin que le spectateur puisse se mettre à leur place et comprendre leurengagement, quel qu’il soit. Quant le film sort en France en 1946, c’est sans doute ce quichoque le plus les spectateurs : ils condamnent désormais unanimement la collaborationet le collaborationnisme.

La représentation ambigüe de la force allemande82 « The Land is Mine is the best example of what most occupation films, in one way or another, were trying to do : let

the Americans walk in the shoes of people in occupied countries.[…] They could see the types of behaviors exhibited by

occupied people and ask themselves how they would behave if the United States were conquered and occupied. They also

learned that the home front could be a fighting front and that ordinary people could be as important in defeating fascism

as soldiers. ». MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., op. cit., page 215.

Page 61: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

MICLET Marion_2007 61

Dans Vivre Libre, le portrait de l’Allemand en charge des forces d’occupation de la ville,Von Keller, prête à controverse. Par exemple il affirme que l’occupation est tolérable pourles Européens : « Nous préférons collaborer et laisser la liberté aux nations que nous avonsvaincues sur le champ de bataille. Mais la liberté doit être limitée par les nécessités de laguerre. Nous nous battons sur d’autres fronts. C’est un petit sacrifice que nous exigeonsde vous, quand nous nous sommes en train de sacrifier nos vies pour le bonheur futurdu monde entier. ». Dans cette réplique de Von Keller, le fascisme est présenté dans lesmême termes que le serait la démocratie du point de vue américain : c’est ce qui sauveral’humanité. Ainsi, l’on constate que le réalisateur français, plutôt que de discréditer de façoncaricaturale les propos de l’Allemand, préfère donner une vision plus réaliste de la situation.C’est au spectateur se faire ses propres opinions ; elles ne sont pas imposées de l’extérieurcomme c’est souvent le cas dans les films de propagande. Pour le public américain, lerésultat est le même : la haine de l’Allemand. Les moyens de conviction utilisés dans VivreLibre sont cependant plus subtils que ceux de la plupart des autres films étudiés.

Par ailleurs, dans une scène où il est en conversation avec Lambert le collaborateur,Von Keller avoue qu’il préfère ne pas assimiler l’accident qui a eu sur la voie ferrée àun acte de sabotage. En effet, si ce geste est officiellement reconnu par les autoritéscomme un acte de résistance, il faudra prendre des otages, pour rester cohérent avec lapolitique d’intimidation pratiquée par l’ordre nazi dans les pays occupés. Von Keller estréticent, contrairement aux autres Allemands dont Hollywood fait le portrait, il ne se jettepas sur la première occasion qui se présente pour faire plus de victimes. Son choix eststratégique : gagner la confiance des autochtones afin de les convaincre que l’occupationallemande n’est pas une si mauvaise chose pour eux. « Je n’aime pas tuer des innocents etje n’aime pas faire des martyrs. » confie-t-il à Lambert. « Par ailleurs, si nous prenons desotages, les coupables seront plus prudents à l’avenir. Si nous les exécutons, cela rendrales résistants encore plus rebelles. ». Jacques Semelin explique le fonctionnement de cettestratégie : « Pour l’occupant, il fallait intimider l’opinion sans la ‘‘braquer’’ par une attitude tropbrutale […]. Plus l’occupant estime que l’occupé peut lui être utile à quelque chose, plus sonintérêt est de le ménager. »83. Renoir donne une interprétation subtile et non caricaturale dela domination allemande en Europe. Von Keller n’est pas la brute assoiffée de sang que l’oncroise habituellement dans le cinéma hollywoodien. Il est raffiné, cultivé et rusé, d’ailleursc’est ce qui le rend dangereux.

Les divisions franco-françaisesLa carrière de Jean Renoir avant son départ pour Hollywood a été marquée par une

série de films engagés sur la société française de l’entre-deux-guerres. Le réalisateur sepose en observateur des divisions politiques des années 1930, ce que certains historiensont qualifié de « guerre franco-français »84. L’une des répliques du héros de Vivre Libre yfait directement allusion : « Avant même le début de la guerre, le maire était convaincu quel’ennemi ce n’était pas les Allemands mais une partie de son propre peuple, les ennemisde l’intérieur. ». Cela explique de quel courant idéologique vient le maire, la droite françaisetraditionaliste, et pourquoi il est plus enclin à s’engager dans la collaboration d’Etat. Ilprétend vouloir défendre les intérêts de sa ville, mais en réalité seulement ceux d’unefraction de la population. Lorsque dix personnes sont prises en otages, il n’accuse pas lesAllemands et affirme: « Leur mort sera causée par la lâcheté du criminel qui refuse d’avouersa culpabilité ! ».

83 SEMELIN, Jacques, op. cit., pages 167-168.84 LAROULANDIE, Fabrice, La France de 1898 à 1940, Ellipses, 1996, page 139.

Page 62: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

62 MICLET Marion_2007

D’après Jacques Semelin : « Les divisions d’avant l’invasion risquent d’engendrerbeaucoup plus la collaboration, ou la passivité des populations, que leur résistance, laquellea toutes les chances d’être limitée. Le consensus commença à se refaire à travers lesvaleurs patriotiques, c’est-à-dire au nom de la défense de leur identité contre l’intrusion del’étranger. »85. C’est ce qui se produit dans le film lors d’une scène de procès où le hérosréussit à convaincre toute l’assemblée du bien fondé de la résistance civile.

L’attentismeEnfin, Renoir aborde un sujet rarement traité dans le cinéma américain mais pourtant

très représentatif de l’état d’esprit de la population française sous l’occupation : l’attentisme.Il dénonce le trop grand individualisme des Français à travers le personnage de lamère du héros. Au début du film, celle-ci n’est ni pro-collaboration, ni pro-résistance, elles’intéresse juste à son bien-être et à sa tranquillité. Elle s’exclame par exemple à proposde l’occupation : « Au moins, l’ordre règne, alors nous ne devrions pas nous plaindre ! ».D’un coté, elle dénonce le fait que les habitants de la ville doivent supporter les restrictions,tandis que les riches s’alimentent sur le marché noir ou que le maire vit bien grâce à lapolitique de collaboration. De l’autre, elle profite du système et se fait prescrire du lait parson médecin alors qu’elle n’en boit jamais, pour le donner à son fils. Comme beaucoup deFrançais, elle ne penche pas d’un côté ou de l’autre de la balance politique et morale dela France occupée. Ce qui la préoccupe c’est la survie au quotidien dans un pays où lesconditions de vie sont de plus en plus difficiles.

2) La Deuxième Guerre mondiale, l’Amérique et les JuifsDes relations ambigües entre le gouvernement et la communauté juive

Dans son ouvrage sur l’Amérique en guerre, l’historien américain, William O’Neill faitétat des discriminations dont la minorité juive fut victime aux Etats-Unis. Il explique commentla xénophobie et l’isolationnisme ne firent que croitre dans les années de dépressionéconomique, pour aboutir au renforcement des quotas pour tous les immigrés durant laDeuxième Guerre mondiale. Après l’Anschluss en 1938, les persécutions juives en Europeaugmentent, mais de nombreuses mesures sont prises par les Etats-Unis pour limiterl’entrée de personnes venant d’Allemagne et des pays occupés par les Nazis : les garantiesfinancières exigées pour entrer sur le territoire américain sont augmentées ; les consulsreçoivent la consigne d’être plus stricts quant à l’immigration d’« éléments subversifs ».De plus, en juillet 1940, le Congrès vote une loi mettant fin à l’immigration légale depuisl’Allemagne ou ses territoires occupés. En 1943, la procédure d’application pour obtenirun visa de réfugié est compliquée et rallongée. Le prétendant doit avoir deux sponsorsaméricains, et eux-mêmes doivent avoir deux références. En conséquence, seulement21 000 réfugiés entrent sur le territoire américain entre Pearl Harbor et la défaite del’Allemagne. Ce chiffre ne constitue que 10 % du total d’entrées autorisées au titre desquotas86.

A la même époque, l’antisémitisme grandit aux Etats-Unis. O’Neill donne les résultatsd’un sondage d’opinion qui conclut que plus de la moitié des Américains pense que lesJuifs sont avares et malhonnêtes. Et 40 % des personnes interrogées répondent qu’elles

85 SEMELIN, Jacques, op. cit., page 108.86 O'NEILL,William, A Democracy at War, America's Fight at Home and Abroad in World War II, Harvard University Press,

1998, page 311-312.

Page 63: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Troisième Partie : Les limites de la propagande hollywoodienne

MICLET Marion_2007 63

auraient approuvé une campagne allemande contre les Juifs. Pourtant, le sort réservé auxJuifs en Europe n’était pas un secret. Les journaux en parlent régulièrement, seulement,pas en couverture.

Une comédie politiqueA première vue, Lune de miel mouvementée (Once upon a honeymoon, Leo McCarey,

1942) est une comédie légère. Le film raconte l’histoire d’amour entre une fausse ingénue(Ginger Rogers) et un journaliste individualiste (Cary Grant). Pourtant, ce film est l’un desseuls à évoquer de façon directe la situation des Juifs en Europe occupée. Les référencesaux persécutions nazies était présentes dans d’autres films hollywoodiens, mais celui-ci vajusqu’à pénétrer dans le ghetto de Varsovie. Ce sont les deux héros qui, en voulant sauverune famille juive vont se retrouver enfermés dans le ghetto juif. Au départ, l’héroïne estloin d’avoir une conscience politique. Arriviste, elle cache son passé d’ancienne danseusepour épouser un baron autrichien, sans se rendre compte que c’est un fervent collaborateur.Lorsque son mari lui annonce « Hitler est là ! » (sous-entendu, il vient d’envahir l’Autriche),la jeune femme répond : « Je ne peux pas le voir, je m’habille. ». Elle est convaincueque le baron déteste Hitler. Lorsqu’une tentative d’assassinat contre son mari échoue enTchécoslovaquie, elle s’exclame : « Quelle honte après tout ce qu’on a fait pour eux ! –Un Allemand, j’aurais compris mais un Tchèque ! ». Et ensuite à propos de l’arrestation ducoupable par la Gestapo : « Tu as été si noble a son égard, tes hommes l’ont même soustraità la police. ». Ignorante des agissements de son mari auprès des Nazis, elle commente ainsila chute successive des pays d’Europe dans lesquels ils se déplacent lors de leur lune demiel : « Mon mari semble porter malheur, dès qu’il arrive dans un pays, c’est le désastre… ».

Tous ces sous-entendus montrent à quel point le public américain de l’époque étaitinformé de la situation en Europe : ils connaissent la liste des pays qui sont tombés face aunazisme, les nouveaux régimes implantés dans chaque Etat, la collaboration, la Résistance,le traitement réservé par les Allemands aux ennemis du régime. Il y a des inexactitudes carle film s’adresse avant tout à un public américain à la recherche de divertissement, mais lesproducteurs font tout de même passer quelques messages d’avertissement. La conquête del’Europe est montrée comme incontrôlable : Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne, Norvège,Belgique, Pays-Bas, France (où l’on aperçoit un panneau « villa Laval » !) Les agissementsdu baron collaborateur sont tellement efficaces qu’il semble au spectateur que l’Europeest un château de cartes. Le mythe de la cinquième colonne ou de l’ennemi intérieur, quifascine tant les Américains, est présent dans ce film. Si l’Europe est vaincue, c’est à causedu baron, un homme d’affaires qui vise à s’enrichir en collaborant politiquement. Or, lescapitalistes à la recherche du profit on en trouve aussi aux Etats-Unis. Le film est unemétaphore de la situation en Amérique. Pour les spectateurs, il est facile de s’identifier à lajeune femme américaine mariée au baron : au début elle est naïve, et ne voit pas les dangersqui sont sous son nez, mais grâce au journaliste américain dont elle tombe amoureuse,elle ouvre les yeux. Elle finit agent secrète et va même jusqu’à se débarrasser de son maricollaborateur en le jetant par-dessus le bord d’un bateau en route… pour l’Amérique.

Sur le mode de la comédie, le patriotisme américain est ici remis en question. D’un côtél’un des personnages vante les mérites de l’Amérique : « J’ai hâte de revoir cette femme quise trouve à l’entrée du port. Je prête serment au drapeau américain et à la République qu’ilreprésente, une nation indivisible où la liberté et la justice règnent pour tous. ». De l’autre,le héros fait passer sa vie sentimentale avant les intérêts de son pays: « Je veux bien mepasser de café et de sucre, mais qui ferait don de sa femme à sa patrie ? ».

L’évocation du ghetto de Varsovie

Page 64: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

64 MICLET Marion_2007

Dans la partie du film qui se déroule en Pologne, l’héroïne sympathise avec sa bonnequi semble très effrayée. Elle explique à sa patronne : « Nous sommes juifs, mes enfants ontconnu ça en Allemagne, on nous arrêtera à la frontière car c’est écrit dans notre passeport. ».Touchée par ce récit, le personnage de Ginger Rogers lui donne son propre passeport, del’argent, et un camion pour partir. Elle conseille à la bonne de trouver un endroit sûr. Celle-ci lui répond avec ironie : « Ici ? ». L’héroïne réalise enfin que le pays est en guerre etque ceux qui en souffrent le plus ce sont les Juifs. Lorsque les autorités nazies trouvent lesdeux héros en possession des passeports juifs échangés contre les leurs, ils comprennentimmédiatement la gravité de la situation. Pour un court moment (car ce n’est que comédie)on craint le pire pour eux.

La caméra pénètre dans un ghetto de Varsovie construit en carton-pâte. Même à desannées lumières de la réalité, cette image inédite dans les autres films est assez choquantepour le spectateur. Au premier plan, les héros paraissent soudain fragiles et démunis, tandisque derrière eux on aperçoit une foule d’anonymes juifs qui ont été coupés du reste de lasociété par les nazis. Le journaliste se désespère : « Personne ne peut nous aider, je nepeux pas écrire ou téléphoner, j’ai exigé de voir le consul, ils m’ont ri au nez. ». C’est toutel’arrogance des Américains à l’étranger qui ressort de cette réplique. Le réalisateur semblecritiquer implicitement leur égoïsme face à la situation. Pourtant les deux héros sont bienconscients que leur sort n’est pas réellement scellé et que, contrairement à la situation desJuifs d’Europe, ce n’est qu’un malentendu. La jeune femme soupire : « On est dans le pétrin !». Ce à quoi son compagnon d’infortune rétorque « Et eux alors ! ». Les deux Américainssont finalement libérés. Après ce court instant de gravité, le rythme comique du film reprendle dessus. Et l’humour noir revient à la charge. Le journaliste demande à la jeune fille quelleétait la prochaine étape de la lune de miel et celle-ci répond : « La Norvège, chez Quisling…surement quelqu’un dont ont entendra parler ! »… Ou encore cet échange qui fait référenceaux politiques eugénistes de Hitler :

«- Lui : Par décret, les Nazis décident de qui aura des enfants.- Elle : Ca dépend désormais de Hitler ?- Lui : Avant c’était la volonté de Dieu, Hitler n’aime pas ça, les nouveau-nés pourraient

être des ennemis.- Elle : Sa mère aurait dû y penser avant ! ».Finalement, le film peut se voir soit comme une simple comédie, soit comme un film

politique. Si Lune de miel mouvementée a le mérite d’aborder clairement la situation desJuifs d’Europe c’est sans doute parce que David Sarnoff, le patron du studio RKO quia produit le film était d’origine juive. La plupart des patrons de studios de cinéma dansles années 1940, les « movie moguls », était des immigrés juifs européens venus fairefortune aux Etats-Unis. A l’époque, Hollywood était donc plus sensibilisé à la cause des Juifspersécutés par les Nazis que le reste de l’Amérique. Certains d’entre eux mirent leur pouvoirau service de la défense de leurs intérêts87. Si ce film le fait sur le ton de la comédie laplupart du temps, la scène dans le ghetto de Varsovie, plus grave, a d’avantage d’impact surle spectateur car parfois le rire est nécessaire pour faire passer des messages importantsau public américain.

87 Cf. GABLER, Neal , et traduit par HEL GUEDJ, Johan-Frédérik, Le royaume de leurs rêves : La saga des Juifs qui ontfondé Hollywood, Calman-Lévy, 2005.

Page 65: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Conclusion

MICLET Marion_2007 65

Conclusion

Les films hollywoodiens des années 1940 montrent la situation de l’Europe en guerre contrele nazisme avant même que le pouvoir politique et l’opinion publique américaine ne soienttotalement en faveur d’une intervention militaire. Le but de ces films de fiction est d’influencerles spectateurs : l’Europe est prise comme un modèle pour la nation américaine. Etantdonné que les Etats-Unis entrent en guerre à cause de l’attaque sur Pearl Harbor, plutôtque dans un climat d’unanimité, il faut habituer le public à l’idée que l’engagement répondà un choix idéologique véritable. Le sacrifice des résistants européens est une métaphoredu nécessaire engagement des Américains, qui hésitent encore entre isolationnisme etinterventionnisme. Les civils comme les militaires sont galvanisés : Hollywood les confortedans leur sentiment de servir la nation, de se battre pour un monde plus juste. Un autreeffet des films dont l’action se situe en Europe occupée est d’encourager indirectementle travail des femmes américaines dans les industries de guerre, car de nombreux filmsmontrent les montrent combattant comme les hommes pour la libération de leur pays. Pourles spectateurs américains, le message est limpide : les années 1940 seront des annéesde sacrifice glorieux. Par ailleurs, Hollywood donne une image idéalisée de ces sociétéseuropéennes unies dans la lutte contre le nazisme. Cette cohésion sociale qui semble serenforcer, malgré l’occupation, doit servir d’inspiration pour une nation qui entre à son tourdans le combat contre les puissances totalitaires.

Du point du vue américain, la situation en Europe doit aider les Etats-Unis àse positionner idéologiquement. La propagande du gouvernement Roosevelt définit laDeuxième Guerre mondiale comme la lutte entre un axe du bien, représenté par l’Europeet l’Amérique et un axe du mal, représenté par les puissances totalitaires. Hollywoodapplique ce modèle en présentant une Europe divisée où s’affrontent, d’un côté, les Naziset les collaborateurs assimilés à des traitres, et de l’autre, les résistants assimilés àdes patriotes.La situation en Europe est utilisée comme une métaphore de l’état d’espritaméricain au moment de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est donc pas étonnant de trouverdans les films sur la Résistance des scènes qui font référence à l’un des fondements de lanation américaine : l’attachement à la démocratie. En effet, il faut rappeler aux Américainsque leur devoir est de se battre au nom des « four freedoms » défendues par le présidentRoosevelt : liberté d’expression, liberté de conscience, droit à la subsistance et droit à lasécurité. L’image de la nation française qu’Hollywood promeut dans ce but est celle d’unpays ami où le patriotisme est glorifié : la France éternelle. Les ambigüités de l’occupationen Europe sont évacuées. Simplifier les enjeux dans les films correspond à un besoin decréer un sentiment d’union nationale et de balayer les derniers doutes aux Etats-Unis. Si lesAméricains ont un ennemi clairement identifié et peuvent se reconnaitre dans des valeurspatriotiques communes à l’Europe et aux Etats-Unis, alors la guerre devient non seulementacceptable mais nécessaire.

Cependant, la propagande patriotique a ses limites et l’influence d’Hollywood surl’imaginaire américain reste difficile à mesurer. Il convient de rappeler que ces filmsont été réalisés dans un contexte où la démocratie est restée intacte. L’intervention dugouvernement dans la production des films pendant la guerre s’est traduite par la créationde plusieurs agences qui ont eu une fonction d’information, plutôt que de contrôle. Maissi Roosevelt refuse la censure en général, les relations entre Hollywood et Washington

Page 66: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

66 MICLET Marion_2007

se sont clairement resserrées pendant la Deuxième Guerre mondiale. Par ailleurs, chaqueproduction répond à des enjeux économiques plus que politiques. Les studios mettent enroute des projets de films avec l’idée qu’ils doivent s’adresser avant tout à un public avidede divertissement, et plus que jamais en temps de guerre. L’influence des réalisateurseuropéens expatriés à Hollywood a également permis des nuances. Grâce à eux, l’imagede l’Europe en guerre sur les écrans de cinéma américain est devenue, dans une certainemesure, plus ambigüe. Enfin, le rôle des hommes à la tête des grands studios hollywoodiensdes années 1940, les « movie moguls », a contribué à faire tomber l’un des tabous des filmsantinazis : le sort réservé aux Juifs dans l’Europe occupée. Malgré le patriotisme zélé desannées 1940, certains réalisateurs ont donc su tirer avantage de leur liberté d’expressionpour faire passer des messages différents au public américain.

Pendant les années de conflit, la première audience pour les studios hollywoodiens estla nation américaine, à qui l’on veut montrer comment aborder la lutte contre le fascisme.Mais, la plupart des films de guerre sont vendus dans le monde entier. Avant d’obtenir unpermis d’exportation, le contenu de chaque film est vérifié : il ne doit pas révéler de secretd’Etat ni être offensant pour le public à l’étranger. Mais à Hollywood, la motivation premièrereste la recherche du profit. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale s’achève, les échangeséconomiques entre l’Amérique et l’Europe se multiplient et la tendance à utiliser le VieuxContinent comme modèle pour l’Amérique s’estompe rapidement pour deux raisons.

Premièrement, les studios américains se soucient moins de produire des films quipourraient correspondre aux attentes du public européen puisque le continent, en ruines,accepte de distribuer en masse les films hollywoodiens en échange de l’aide financièreapportée par l’Amérique dans le cadre du plan Marshall. L’American way of life se banalisesur les écrans de cinéma partout dans le monde. En France, les Accords Blum-Byrnessont signés le 28 mai 1946 et permettent un spectaculaire renversement au profit ducinéma américain sur le marché français. Deuxièmement, l’Amérique, meurtrie par la guerre,se replie sur elle-même. La situation nationale passe à nouveau au premier plan : lesévénements politiques et sociaux américains sont davantage représentés dans le cinémad’après-guerre. Par exemple, le réalisateur William Wyler, qui s’est servi en 1942 de lasituation de la Grande Bretagne pour enflammer le patriotisme américain dans Mrs Miniver,aborde un sujet très différent en 1946. Dans le film The best years of our lives, il choisit detraiter le thème de la réinsertion des soldats dans la société américaine. Le film remportede nombreux Oscars dont celui du meilleur réalisateur et du meilleur film. Il peut se voircomme un hommage aux vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et comme un manuelde comportement à l’usage de leurs familles. Cependant, la caractéristique principale de cefilm, comme celle de tous les films produits à Hollywood depuis la naissance du cinéma,c’est d’être en adéquation avec les attentes du public américain, avide de divertissement.

Le cinéma hollywoodien est avant tout une industrie du loisir dont la fonction principaleest d’engendrer du profit. Il ne perd jamais réellement de vue cet objectif. Certes, la politiqueest un thème présent dans les films américains, mais, le plus souvent, elle est le fruit descirconstances historiques. A Hollywood, l’engagement politique est rarement à l’origine d’unfilm. Cependant, une œuvre artistique est le produit de son époque et peut être analyséeà cet égard comme un document historique. L’Europe comme modèle patriotique pourl’Amérique est un phénomène qui apparaît sur les écrans en 1939 et disparaît en 1945.C’est une réponse temporaire aux attentes du gouvernement et de la nation à ce moment del’histoire des Etats-Unis. Réagir aux désirs du public en fonction de l’actualité et de son goûtdu moment, tel est le véritable moteur de la production hollywoodienne. Après les années1940, Hollywood continuera de se pencher sur les problèmes de l’Amérique sans dévier

Page 67: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Conclusion

MICLET Marion_2007 67

de la priorité qui a toujours été la sienne : attirer le plus de spectateurs possibles dans lessalles de cinéma.

Page 68: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

68 MICLET Marion_2007

Bibliographie

Bibliographie en Français :

AZEMA, Jean-Pierre et BERIDA, François, Vichy et les Français, Fayard, 1992.AZEMA, Jean-Pierre, De Munich à la Libération 1938-1944, Paris, Ed. du Seuil 1979.BAYADA, Bernadette, Quelques éclairages sur la résistance française, Les leçons de

l’Histoire, numéro sur les résistances civiles, 1983.BESSIERE, Irène et ODIN, Roger (Sous la direction de), Les Européens dans le

cinéma américain, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004.BOUBAULT, Guy, L’exemple le la Norvège, Les leçons de l’Histoire, numéro sur les

résistances civiles, 1983.BOUJUT, Michel (Sous la direction de), Europe-Hollywood et retour, Ed. Autrement,

1992.BRION, Patrick, Le cinéma de guerre, La Martinière, 1996.CHASSAIGNE, Philippe, La société anglaise en guerre 1939-1945, Ed. Messène, 1996.FERRO, Marc, Cinéma, une vision de l’histoire, Hachette Livre, 2003.FERRO, Marc, Cinéma et histoire, Gallimard, 1993.GABLER, Neal , et traduit par HEL GUEDJ, Johan-Frédérik, Le royaume de leurs

rêves : La saga des Juifs qui ont fondé Hollywood, Calman-Lévy, 2005.LAROULANDIE, Fabrice, La France de 1898 à 1940, Ellipses, 1996.LAROULANDIE, Fabrice, La France des années 1940, Ellipses, 1999.MENEGALDO, Gilles, Crises de la représentation dans le cinéma américain, La

Licorne, 1996.PAUWELS, Jacques R., Le mythe de la bonne guerre, Les Etats-Unis et la Deuxième

Guerre mondiale, Ed. Aden, 2005.POIRIER, F., (sous la direction de), Londres 1939-1945, Riches et pauvres dans le

même élan patriotique : derrière la légende. Ed. Autrement, 1995.SEMELIN, Jacques, Sans armes face à Hitler, La Résistance civile en Europe

1939-1943, Ed. Payot, 1989.SIPIERE, Dominique, Ernst Lubitsch et la crise du sérieux, La Licorne, numéro 36,

Crise de la représentation dans le cinéma américain, Presses universitaires deRennes, octobre 2005.

TAVERNIER, Bertrand et COURSODON, Jean-Pierre, Cinquante ans de cinémaaméricain, Omnibus, 1995.

Page 69: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Bibliographie

MICLET Marion_2007 69

WHITE, Dorothy Shipley, Les origines de la discorde: De Gaulle, la France Libre et lesAlliés, Paris, Ed. de Trévise, 1967.

Bibliographie en Anglais :

CULL, John Nicholas, Selling War, The British Propaganda Campaign against American« neutrality in World War II, New York, Oxford University Press, 1995.

DOHERTY, Thomas, Projections of War, Hollywood, American Culture, and World WarII, Columbia University Press, 1993.

FRIEDRICH, Otto, City of nets : a portrait of Hollywood in the 1940s, Harper & RowPublishers, 1986.

FUSSELL Paul, Wartime: Understanding and Behavior in the Second World War, NewYork, Oxford, 1989.

GUËT, Alain et LARUELLE,Philippe, The US in a Nutshell, Paris, PUF, 2000.HARMETZ, Aljean, Round up the Usual Suspects, The making of Casablanca,

Hyperion , 1992.KOPPES, Clayton R. et BLACK, Gregory D., What to show the world: The Office of War

Information and Hollywood, 1942-1945, Journal of American History, numero 64, juin1977.

LINGEMAN, Richard R., Don’t you know there’s a war on?, New York, G.P. Putnam’sSons, 1970.

LYONS, Michael J ., World War II : a short history, N.J., Pearson Education UpperSaddle River, 1989.

MCLAUGHLIN, Robert L., PARRY, Sally E., We’ll always have the movies, Americancinema during World War II, The University Press of Kentucky, 2006.

MORELLA, Joe, EPSTEIN, Edward Z. et GRIGGS, John, The films of World War II, TheCitadel Press, 1973.

MYERS, James M., The Bureau of Motion Pictures and its influence on film contentduring World War II, the reasons for its failure, New York, Edwin Mellen Press, 1998.

O'NEILL,William, A Democracy at War, America's Fight at Home and Abroad in WorldWar II, Harvard University Press, 1998.

PAUL, William, Ernst Lubitsch’s American comedy, New York, Columbia UniversityPress, 1983.

RAY, Robert B., A certain tendency of the Hollywood cinema 1930-1980, PrincetonUniversity Press, 1985.

SCHULL, Michael S. et WILT, David Edward, Hollywood War Films 1937-1945, McFarland & Company, Inc. Publishers, 1996.

UNGAR, Frederick, RKO Classic Screenplays, Jean Renoir, The land is mine,Publishing Co, 1970.

Page 70: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

70 MICLET Marion_2007

Annexes

Résumés des filmsCasablanca , de Michael Curtiz, 1942, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, sedéroule au Maroc.

Au début des années 1940, Casablanca est un lieu de passage entre l’Europe etl’Amérique pour ceux qui espèrent fuir la guerre. Rick est un Américain, patron d’un café oùil retrouve par hasard Ilsa, une femme qu’il a aimé à Paris avant le début de la guerre, maisqui l’a abandonné le jour où ils devaient partir ensemble. En effet, Ilsa venait d’apprendreque son mari Victor Lazlo, un héros de la résistance en Europe qu’elle croyait mort, venaitde s’échapper d’un camp de concentration. Ilsa réalise à Casablanca qu’elle préfère vivreson histoire d’amour avec Rick plutôt que de se consacrer à la cause de son époux. Elledemande à Rick, qui détient des précieuses lettres de transit signées par le Général deGaulle, d’organiser leur fuite. Mais Rick, qui est pourtant un individualiste convaincu, décidede faire passer ses propres intérêts au second plan et de faire partir en avion Ilsa et Lazslo.Ce dernier est surveillé de près à la fois par les autorités vichystes, représentées par lePréfet Renault, et par les forces allemandes présentes à Casablanca. Le film s’achève avecune scène où l’on voit Rick sympathiser avec Renault qui, de collaborateur a été convertià la cause de la Résistance. « C’est le début d’une belle amitié ! » est la dernière répliquede Rick à Renault.

Page 71: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Annexes

MICLET Marion_2007 71

To be or not to be ( Jeux dangereux ), de Ernst Lubitsch, 1942, avec CaroleLombard et Jack Benny, se déroule en Pologne.

Cette tragi-comédie raconte l’histoire d’une troupe de théâtre dont la dernièreproduction a été censurée à cause de l’invasion allemande de Varsovie en 1939. Lescomédiens vont alors devoir utiliser leurs talents dramatiques et se faire passer pour desmembres de la Gestapo afin de sauver le mouvement de résistance intérieure.

Page 72: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

72 MICLET Marion_2007

Once upon a honeymoon ( Lune de miel mouvementée ), de Leo McCarey, 1942,avec Cary Grant et Ginger Rogers, se déroule en Europe occupée.

Le couple formé par un riche baron autrichien qui collabore avec les Nazis et une jeuneAméricaine, qui ignore tout des activités de son mari, attire l’attention d’un journaliste quidécide de les suivre dans leur lune de miel à travers l’Europe. Les jeunes mariés sont partisde Vienne en 1938 au moment de l’Anschluss et passent d’un pays européen à l’autre aufur et à mesure qu’ils sont envahis par les Allemands. La jeune femme, de plus en plusproche du beau journaliste, réalise peu à peu que son mari est un traître. Sa consciencepolitique s’éveille et elle accepte de devenir une espionne antinazie, avec tous les risquesque cela comporte.

Page 73: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Annexes

MICLET Marion_2007 73

Mrs Miniver , de William Wyler, 1942, avec Greer Garson et Walter Pidgeon, sedéroule en Grande- Bretagne.

C’est l’histoire d’une famille anglaise modèle au moment où le pays entre en guerreavec l’Allemagne, mais refuse de capituler malgré les bombardements incessants quitouchent fortement la population civile.

Page 74: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

74 MICLET Marion_2007

Reunion in France , de Jules Dassin, 1942, avec John Wayne et Joan Crawford, sedéroule en France.

Michèle de la Becque est une Parisienne aisée dont la vie est radicalement transforméeau moment où la capitale est envahie par les Allemands. La guerre lui révèle que ses valeurssont en contradiction avec celles de son fiancé, un industriel qui collabore avec les Nazis,et elle décide de s’éloigner de lui. Lorsqu’elle rencontre un pilote en fuite de la Royal AirForce, elle accepte de le cacher, puis doit se résoudre à demander de l’aide à son ex-fiancépour qu’elle et son nouvel ami puissent tous deux s’échapper en Angleterre. Finalement,elle découvre que l’industriel ne collabore officiellement que pour mieux résister en secretet elle se réconcilie avec lui au moment où le pilote est abattu.

Page 75: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Annexes

MICLET Marion_2007 75

The Edge of Darkness ( L’ange des ténèbres ), de Lewis Milestone, 1943, avecErrol Flynn et Ann Sheridan, se déroule en Norvège.

Le récit se déroule dans un petit village norvégien et suit les aventures d’un pêcheurqui va prendre la tête du mouvement de résistance de la ville.

The Land is mine ( Vivre Libre ), de Jean Renoir, 1943, avec Charles Laughtonet Maureen O’Hara, se déroule en France.

Albert Lory est un instituteur dans une petite ville de la France occupée. Tiraillé entrel’amour secret qu’il porte à sa très jeune collègue Louise Martin et sa loyauté envers unemère étouffante, il est incapable de se faire respecter par ses élèves. Paul, le frère de Louiseest un résistant qui organise le sabotage d’un train. Pour se venger, les forces d’occupationallemandes prennent des otages, dont Albert. Pour libérer ce dernier, sa mère dénoncePaul auprès du fiancé collaborateur de la jeune institutrice,Georges Lambert. Regrettantd’avoir dû trahir un ami, Georges met fin à ses jours. Albert est alors accusé de son meurtre.Oubliant sa lâcheté habituelle, il saisit l’occasion du procès pour dénoncer l’occupation etavouer son amour à Louise au cours d’une magnifique plaidoirie.

Page 76: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

76 MICLET Marion_2007

Hangmen also die ( Les bourreaux meurent aussi ), de Fritz Lang, 1943 , avecWalter Brennan et Anna Lee, se déroule en Tchécoslovaquie.

Le film raconte l’histoire de l’assassin de Reinhard Heydrich. Ce leader de la résistanceintérieure tchèque trouve refuge chez une jeune femme dont le père est un professeurrésistant qui fait partie des otages pris par les Allemands. Ils sont exécutés les uns aprèsles autres en attendant que le meurtrier se dénonce ou soit dénoncé. Cependant, la filledu professeur tient bon et peu à peu c’est toute la population qui va s’unir pour protégerleur héros.

Watch on the Rhine ( Quand le jour viendra ), de Herman Schumlin, 1943, avecPaul Lukas et Bette Davis, se déroule aux Etats-Unis.

La famille de Karl Muller, un résistant allemand qui fuit la Gestapo, se réfugie dans lamaison d’enfance de sa femme Sara à Washington. Mais il retrouve malgré tout la menacenazie sur le territoire américain.

Page 77: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Annexes

MICLET Marion_2007 77

To have and have not ( Le Port de l’angoisse ), de Howard Hawks, 1944, avecHumphrey Bogart et Lauren Bacall, se déroule en Martinique.

L’action se situe en 1940 à Fort-de-France, une colonie française soumise au régimede Vichy. Un marin cynique qui gagne sa vie en promenant des touristes à bord d’un bateause trouve impliqué avec la résistance locale. Malgré son histoire d’amour naissante avecune femme fatale mystérieuse, il décide de faire passer la cause des résistants avant sesintérêts personnels et révèle ainsi sa vraie nature d’homme engagé.

Page 78: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

78 MICLET Marion_2007

Page 79: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Annexes

MICLET Marion_2007 79

Passage to Marseille , de Michael Curtiz, 1944, avec Humphrey Bogart et MichèleMorgan, se déroule en France.

Jean Matrac est un pilote d’avion des Forces Françaises Libres dont le passé nousest révélé par un long flash-back. Ce patriote français est en réalité un évadé du bagne del’Ile du Diable, en Guyane. Accompagné d’un groupe de prisonniers, il entreprend une fuitepérilleuse vers la France. Leur but est d’honorer la promesse faite à celui qui les a aidé às’échapper de défendre le pays contre la menace allemande. Cependant, plus la destinationfinale approche et plus Matrac songe à retrouver sa femme et son fils, plutôt que d’allerrisquer sa vie d’homme à nouveau libre au combat. Lorsque leur bateau est sauvagementattaqué par des avions allemands, il réalise que son devoir est de les affronter, et depuisl’Angleterre s’il le faut. Il ne rentre donc jamais chez lui, mais envoie des messages à safamille lorsqu’il peut survoler sa maison en avion.

Page 80: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

80 MICLET Marion_2007

Uncertain Glory ( Saboteur sans gloire ), de Raoul Walsh, 1944, avec Errol Flynnet Paul Lukas, se déroule en France.

Jean Picard est un criminel qui échappe de justesse à la guillotine au moment d’uneattaque aérienne allemande sur Paris. Il tente de s’enfuir vers Bordeaux mais est capturépar le détective qui le poursuivait depuis de nombreuses années. Lorsque le train qui devaitle ramener vers Paris déraille à cause d’un sabotage et que les nazis décident de se vengeren prenant des otages, Picard propose au détective de se faire passer pour le saboteur,puisqu’il est condamné à mort de toute façon.

Page 81: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

Annexes

MICLET Marion_2007 81

Page 82: La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/... · Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée

La Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma hollywoodien des années 1940 : l’Europe commemodèle pour l’Amérique ?

82 MICLET Marion_2007