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L’EGLISE ET LE ROYAUME DE FRANCE LE COLLOQUE DE POISSY EN 1561 Comment se présente l’Eglise jusqu’au milieu du XVIè siècle ? L’Eglise du Christ, au cours de son existence, a traversé bien des épreuves, qu’elles soient de son fait ou qu’elles viennent de l’extérieur. Durant les deux siècles qui ont précédé l’ouverture du “Colloque de Poissy”, il s’est passé un certain nombre d’événements plus ou moins dramatiques : - En préliminaire, l’attentat d’Anagni (1303) contre le pape Boniface VIII, sur ordre de Philippe IV, qui sonne le glas de la chrétienté médiévale. - Puis, en pleine Guerre de Cent ans – guerre étrangère et guerres intestines - le Grand Schisme d’Occident (1378-1417) qui survient à la suite de pressions politiques et populaires. L’Eglise se retrouve alors avec un pape à Rome (soutenu par l’Angleterre, l’Allemagne, la Scandinavie, l’Italie du nord et du centre) et un pape en Avignon (soutenu par la France, l’Ecosse, l’Espagne, le royaume de Naples). - Durant cette crise apparaît une conception nouvelle de l’Eglise , portée par tout le courant intellectuel de l’époque. Le sentiment national remplace progressivement l’unité chrétienne. L’idée de la supériorité du Concile sur le Pape transparaît peu à peu. Les couvents ont besoin de réformes, le clergé manque de formation théologique, les moeurs sont relâchées, les fonctions religieuses deviennent objets de convoitises et de calculs politiques. Mais au même moment, il surgit des demandes de retour à une vie évangélique plus intense. Un immense et prodigieux mouvement de ferveur se répand, dans tous les pays et dans toutes les classes de la société. De petits groupes de chrétiens se constituent pour approfondir leur foi, discuter théologie et participer à des oeuvres de charité. Il n’est pas question pour eux de “changer la religion”, mais de convertir l’homme, de modifier son comportement, de transformer ses moeurs. Pour les aider, il faudrait que des réformes aient lieu, et qu’elles soient décidées par Rome. C’est pourquoi saint Vincent Ferrier et saint Bernardin de Sienne prêchent la conversion et la dévotion au Christ. Des femmes comme sainte Catherine de Sienne et sainte Brigitte de Suède, puis sainte Françoise Romaine, pressent les papes d’engager l’indispensable réforme de l‘Eglise. Mais pour que celle-ci puisse trouver sa place et assumer sa mission dans la profonde mutation qui se fait jour, il lui faudrait disposer d’authentiques pasteurs. - Or, dès la fin du Grand Schisme avec l’élection, au Concile de Constance de 1417, du pape Martin V, va débuter la longue série des “douze Papes de la Renaissance” , plus soucieux de mécénat d’art que de pastorale. Durant plus d’un siècle, la plupart d’entre eux ne s’intéressent qu’aux affaires temporelles, à l’art et aux lettres, sans se rendre compte des périls qui menacent l’Eglise dont ils ont la charge. Mais, même durant cette époque où la papauté est affaiblie, la foi demeure vivante dans les âmes et dans la vie de la plupart des hommes. Des réformes, intellectuelles et morales, politiques et administratives, sont reconnues nécessaires mais toujours repoussées, malgré l’action de sainte Colette de Corbie pour restaurer les monastères, malgré la conduite exemplaire de saint Jean de Capistran, malgré les cris et les injonctions qui viennent de la base du peuple chrétien. - C’est durant le pontificat de l’un de ces papes, Nicolas V, qu’a lieu un événement considérable, la prise de Constantinople par les Turcs (1453) et donc la chute de l’Empire

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L’EGLISE ET LE ROYAUME DE FRANCE LE COLLOQUE DE POISSY EN 1561

Comment se présente l’Eglise jusqu’au milieu du XVI è siècle ? L’Eglise du Christ, au cours de son existence, a traversé bien des épreuves, qu’elles soient de son fait ou qu’elles viennent de l’extérieur. Durant les deux siècles qui ont précédé l’ouverture du “Colloque de Poissy”, il s’est passé un certain nombre d’événements plus ou moins dramatiques : - En préliminaire, l’attentat d’Anagni (1303) contre le pape Boniface VIII, sur ordre de Philippe IV, qui sonne le glas de la chrétienté médiévale. - Puis, en pleine Guerre de Cent ans – guerre étrangère et guerres intestines - le Grand Schisme d’Occident (1378-1417) qui survient à la suite de pressions politiques et populaires. L’Eglise se retrouve alors avec un pape à Rome (soutenu par l’Angleterre, l’Allemagne, la Scandinavie, l’Italie du nord et du centre) et un pape en Avignon (soutenu par la France, l’Ecosse, l’Espagne, le royaume de Naples). - Durant cette crise apparaît une conception nouvelle de l’Eglise, portée par tout le courant intellectuel de l’époque. Le sentiment national remplace progressivement l’unité chrétienne. L’idée de la supériorité du Concile sur le Pape transparaît peu à peu. Les couvents ont besoin de réformes, le clergé manque de formation théologique, les mœurs sont relâchées, les fonctions religieuses deviennent objets de convoitises et de calculs politiques. Mais au même moment, il surgit des demandes de retour à une vie évangélique plus intense. Un immense et prodigieux mouvement de ferveur se répand, dans tous les pays et dans toutes les classes de la société. De petits groupes de chrétiens se constituent pour approfondir leur foi, discuter théologie et participer à des œuvres de charité. Il n’est pas question pour eux de “changer la religion”, mais de convertir l’homme, de modifier son comportement, de transformer ses mœurs. Pour les aider, il faudrait que des réformes aient lieu, et qu’elles soient décidées par Rome. C’est pourquoi saint Vincent Ferrier et saint Bernardin de Sienne prêchent la conversion et la dévotion au Christ. Des femmes comme sainte Catherine de Sienne et sainte Brigitte de Suède, puis sainte Françoise Romaine, pressent les papes d’engager l’indispensable réforme de l‘Eglise. Mais pour que celle-ci puisse trouver sa place et assumer sa mission dans la profonde mutation qui se fait jour, il lui faudrait disposer d’authentiques pasteurs. - Or, dès la fin du Grand Schisme avec l’élection, au Concile de Constance de 1417, du pape Martin V, va débuter la longue série des “douze Papes de la Renaissance”, plus soucieux de mécénat d’art que de pastorale. Durant plus d’un siècle, la plupart d’entre eux ne s’intéressent qu’aux affaires temporelles, à l’art et aux lettres, sans se rendre compte des périls qui menacent l’Eglise dont ils ont la charge. Mais, même durant cette époque où la papauté est affaiblie, la foi demeure vivante dans les âmes et dans la vie de la plupart des hommes. Des réformes, intellectuelles et morales, politiques et administratives, sont reconnues nécessaires mais toujours repoussées, malgré l’action de sainte Colette de Corbie pour restaurer les monastères, malgré la conduite exemplaire de saint Jean de Capistran, malgré les cris et les injonctions qui viennent de la base du peuple chrétien. - C’est durant le pontificat de l’un de ces papes, Nicolas V, qu’a lieu un événement considérable, la prise de Constantinople par les Turcs (1453) et donc la chute de l’Empire

chrétien d’Orient. Cette date – qui se trouve être aussi celle de la bataille de Castillon (une victoire sur le général Talbot, considérée comme la fin de la Guerre de Cent ans) – représente un tournant de l’histoire, le passage définitif de la période médiévale à celle des temps modernes. - La prise de Constantinople accentue le déclin du commerce en Méditerranée. Les navigateurs, les explorateurs se tournent alors vers l’Océan et abordent sur les côtes de nouveaux mondes. Puis va venir le temps des colonisateurs et es missionnaires. L’histoire de l’Europe est bouleversée par ces grandes découvertes et leurs conséquences, en particulier par l’arrivée massive de métaux précieux. De même par l’imprimerie qui permet la diffusion de la connaissance des textes profanes et des textes sacrés. - Cependant, certains chefs de l’Eglise ne restent pas complètement inactifs. Ainsi, le pape Jules II réunit le Concile de Latran en 1512, mais les questions nécessaires au redressement de l’Eglise sont à peine abordées. Et c’est en 1517 la rupture de Luther avec Rome (son premier manifeste est publié en 1534) – c’est en 1533 le début du schisme anglais - en 1535 la publication de l’Institution chrétienne par Calvin avant son installation à Genève. Ces réformes se font d’abord “hors de Rome” puis “contre Rome”. Au même moment, le besoin de renouveau spirituel et de réformes ecclésiales, qui travaillent l’Eglise depuis deux siècles sans avoir rencontré d’écho chez les responsables, se fait sentir plus ardemment encore. Alors que chacun attend avec angoisse une véritable réforme - une refonte des structures et des institutions, en même temps qu’une conversion morale et spirituelle – des hommes et des femmes continuent de faire pression sur les chefs de l’Eglise. En vain. Finalement, le mouvement de régénération va partir du cœur même de l’Italie de la Renaissance, avec de nouveaux ordres religieux qui s’imposent une stricte pauvreté et, parmi eux, les Capucins, les Théatins et les Barnabites. En 1537, saint Ignace de Loyola fonde la Compagnie de Jésus. - Enfin, débute en 1545 le Concile tant attendu, avec de grandes difficultés d’ordre politique. Le pape Paul III, qui le convoque, rencontre des résistances dans son entourage, des exigences de la part des protestants, des prétentions de la part des souverains, chacun y cherchant son avantage. L’on comprend qu’au milieu de ces turbulences, Paul III ait supplié le Seigneur de “le réconforter et d’armer son esprit de force et de constance, son intelligence du don de sagesse”. Le concile est plusieurs fois interrompu, puis suspendu en 1551 et non repris en 1559, malgré les demandes pressantes des rois de France et d’Espagne. Comment se présente le royaume de France en 1560 / 1561 ? En même temps que se développent, dans la plupart des pays d’Europe dont la France, les troubles provoqués par les querelles religieuses, le royaume de France connaît en 1560 une situation financière catastrophique ! La dette s’est accumulée durant les deux derniers règnes - ceux de François Ier et d’Henri II. Elle a été provoquée par les emprunts venant de rentes constituées sur l’Hôtel de Ville de Paris (la première constitution de ces rentes date de 1522) et par les aliénations du domaine royal à la suite de ces emprunts. Selon la loi du royaume, le domaine royal est inaliénable. Mais il a toujours fallu de l’argent et la nécessité a forcé les rois à emprunter, comme de simples particuliers. C’était alors pour un temps limité et avec l’obligation de remboursement à l’expiration du terme. Durant longtemps, les emprunts se sont faits à un taux très onéreux (16% et parfois davantage) auprès des banquiers lombards et allemands.

Par l’engagement, le roi n’aliénait pas réellement son domaine à l’engagiste mais le donnait comme sûreté d’une somme qui lui était prêtée, somme qu’il lui suffisait de rembourser pour rentrer en possession de son bien … à condition d’avoir les ressources nécessaires. A cause des guerres d’Italie, de leur “train de vie” et des pensions distribuées abusivement, les règnes de François Ier et d’Henri II ont été très dispendieux. A l’avènement de François II puis, en 1560, du petit Charles IX, la dette est considérable. C’est pourquoi, pour réunir les sommes nécessaires à la résorption de la dette, il faut le concours direct du pays. Plusieurs assemblées en 1560 et 1561 François II réunit à Fontainebleau , en août 1560, une assemblée formée de quelques conseillers (de hauts dignitaires de la noblesse et du clergé, ainsi que quelques fonctionnaires importants en raison de leurs charges) pour solliciter leur avis sur la convocation des Etats Généraux. Cette convocation à Fontainebleau est causée par les difficultés auxquelles il fallait faire face, qui étaient de deux sortes : les troubles religieux et la question financière. - Pour la question religieuse, l’assemblée de Fontainebleau réclame la réunion, à bref délai, d’un concile général, sinon d’un concile particulier car le Concile de Trente, qui a interrompu ses travaux en 1551, ne les a pas encore repris. - En ce qui concerne la question financière, les avis sont partagés, mais finalement, à l’issue de cette réunion de Fontainebleau, il st décidé de convoquer les Etats Généraux à Orléans pour les premiers jours de janvier 1561 (et de les faire précéder de la rédaction des cahiers). Rappel - Les Etats Généraux ne s’étaient pas réunis depuis 1484. Il s’agissait alors d’organiser, après la mort de Louis XI, la régence d’Anne de Beaujeu durant la minorité du jeune roi Charles VIII. A ces Etats Généraux de 1484 participent, pour la première fois, des députés issus du monde paysan. Sur ces entrefaites, François II meurt (le 5 décembre 1560) et le petit Charles IX lui succède. Sans attendre la date prévue car il y a urgence, les Etats Généraux se réunissent à Orléans dès le 13 décembre 1560 (ils vont se poursuivre jusqu’au 31 janvier 1561). D’autres assemblées vont avoir lieu à Pontoise (30 juillet et début août 1561) et à Poissy (26 juillet au 14 octobre 1561) Les Etats Généraux d’Orléans – décembre 1560 et jan vier 1561 La rédaction des cahiers du tiers état de Paris a lieu à l’Hôtel de Ville dès le 6 novembre 1560. La préoccupation dominante en est donc une “réformation” de l’ordre ecclésiastique, tant au point de vue disciplinaire que temporel. Il est vrai que, à l’époque (et jusqu’à la Révolution), l’Eglise de France a la charge de l’instruction des enfants, du soulagement des pauvres et du soin aux malades (à travers les hôpitaux). Mais chacun, dans le royaume et même parmi les gens d’Eglise, se rend bien compte que la richesse dans laquelle se complait le clergé est la source des abus qui scandalisent les fidèles. Dès l’ouverture de ces Etats à Orléans, le 13 décembre 1560, le chancelier Michel de l’Hospital (ancien surintendant des finances devenu chancelier de France), se souciant prioritairement du problème financier, expose la situation du Trésor. Il annonce le montant de la dette - 43 millions de livres - que l’on peut répartir en deux rubriques :

- la dette exigible qui comprend les emprunts autres que les rentes constituées - et la dette non exigible constituée par les aliénations du domaine (sous faculté de rachat) et les constitutions de rentes. Outre l’ampleur de la dette, la rapidité avec laquelle elle s’est développée frappe de stupeur les députés des trois ordres réunis à Orléans. Ils sont invités à réfléchir et … à trouver des solutions… en fournissant les ressources nécessaires. C’est ainsi que se vérifie le vieil adage que “au royaume de France, aide et conseil se tiennent”. Personne ne désire voir augmenter les impôts, chacun aimerait au contraire revenir à la situation à l’époque de Louis XII (diminution des impôts). La suppression de la taille (taxe levée en temps de guerre) est réclamée. Quelques solutions sont proposées : une stricte économie et une surveillance des dépenses royales. Mais ce sont des mesures insuffisantes pour rembourser la dette et racheter les terres du domaine, qui sont productrices de ressources. Que faire ? Le tiers état est trop pauvre et la noblesse trop puissante. Ces deux ordres s’accordent pour réclamer l’aliénation des biens du clergé. Mais aucune décision n’est prise à l’issue de ces Etats d’Orléans Une nouvelle convocation est décidée à Pontoise pour le 31 juillet L’assemblée de Pontoise – juillet et août 1561 Pour limiter les dépenses, l’assemble de Pontoise – qui se présente comme le prolongement des Etats Généraux d’Orléans, en quelque sorte comme une “commission financière” – est inférieure en nombre de participants. Sont convoqués treize députés de chacun des trois ordres (il y a incertitude sur la participation des députés du clergé, à savoir si certains d’entre eux se sont trouvé réunis en même temps à Pontoise et à Poissy ? ou uniquement à Poissy ?) A nouveau, noblesse et tiers état éprouvent une stupeur commune devant l’ampleur de la catastrophe. Comment, se demandent les députés, la royauté a-t-elle pu en si peu de temps s’endetter d’une somme aussi considérable, que les guerres ne suffisent pas à expliquer ? L’histoire n’offre pas d’exemple de souverains qui, quelques guerres qu’ils aient eu à soutenir, aient laissé une dette semblable à celle dont Charles IX hérite aujourd’hui. D’où prennent forme des soupçons de fraudes, de malversations, de détournements. Une enquête est demandée sur la gestion des finances du royaume. Après moult discussions et débats, ni la noblesse ni le tiers état ne veulent participer au remboursement de la dette, de quelque manière que ce soit. Ils s’accordent donc sur deux points : - le refus des sacrifices demandés par le roi - et le rejet sur le clergé du poids de ces mesures. Il n’est pas demandé une simple ordonnance royale opérant la vente du temporel ecclésiastique en quantité suffisante, mais un véritable contrat – qui ne serait pas considéré comme une atteinte aux droits de l’Eglise - pour une aliénation du temporel ecclésiastique et son affectation aux besoins du royaume. Aux considérations financières vont s’ajouter des considérations morales. Il se dessinait à l’époque une tendance nettement affirmée de rejeter sur le seul ordre ecclésiastique tout le poids du déficit financier. Le moment était particulièrement favorable au succès de cette idée, car les querelles religieuses donnaient sens aux plaintes suscitées par l’accumulation des biens ecclésiastiques. Les réformés attaquaient les vices du haut clergé et dénonçaient l’excès de sa richesse. Les catholiques fervents reconnaissaient que cette excès de biens engendrait des abus et qu’il était même dans l’intérêt de l’Eglise de retrancher quelque peu de son énorme superflu.

L’on pense aussi à l’époque que si les fils de la noblesse renonçaient à s’enfermer dans les couvents, ils embrasseraient le service du roi … qui ne serait plus obligé de financer les levées de troupes étrangères. A Pontoise, le tiers état propose deux solutions : - soit un simple prélèvement sur les biens de l’Eglise - soit une aliénation de tout le temporel ecclésiastique. Cette dernière opération aboutirait à la formation d’une sorte de budget des cultes et à la transformation des bénéficiers en fonctionnaires salariés (cette seconde proposition n’a pas été retenue à l‘époque ; ainsi elle n’a pas eu à subir l’épreuve de la mise ne pratique). Par contre, cette affirmation des droits du roi sur le domaine de l’Eglise va être reprise au moment de la Révolution. Celle-ci a pratiqué la mainmise de l’Etat sur le patrimoine de l’Eglise (la nationalisation des biens du clergé), a mis en place un budget des cultes et décidé de la fonctionnarisation des prêtres. Mais il n’y a eu aucune compensation : pas de budget pour l’exercice de la religion, pas de salaire pour les prêtres devenus fonctionnaires (qui, au contraire, ont été poursuivis et persécutés). Le gouvernement révolutionnaire ne s’est pas non plus soucié de l’instruction des enfants, ni du soulagement des pauvres, ni des soins aux malades – tâches qui de tout temps ont été celles du clergé de France. Dans l’esprit des propositions faites à Pontoise, il était aussi suggéré que les sommes venant de la vente des biens du clergé – si elle avait lieu - et non utilisées soient affectées à un fonds d’aide au commerce et à l’industrie, et qu’elles ne seraient pas gérées par la royauté. Toujours par méfiance, et pour empêcher la réapparition de la dette, une surveillance générale des finances du royaume est demandée, ainsi que le consentement des Etats avant la levée des impôts et “l’engagement” du domaine Aucune décision n’a été prise lors de l’assemblée de Pontoise, aucun subside n’a été accordé au roi. Mais les Etats de Pontoise ayant affirmé de la façon la plus énergique le droit du roi à disposer des biens de l’Eglise, la sanction indirecte de ces propositions fermes va aboutir au “Contrat de Poissy”. Le contrat de Poissy – 21 octobre 1561 Au moment où se réunissent à Pontoise quelques députés des trois ordres, principalement ceux de la noblesse et du tiers état, les cardinaux, archevêques et évêques des diocèses de France se retrouvent à Poissy, avec la même double mission : la “réformation” de Eglise et le calcul du montant des subventions à accorder au roi. Etant donné l’énorme réserve de biens qu’il détient, c’est du clergé que la royauté attend le secours le plus important, Celui-ci commence par réfléchir à une somme volontairement proposée de sa part, à fournir petit à petit. Mais la reine régente leur réclame 15 millions de livres payables en six années à raison de 1 600 000 livres annuellement Devant la mauvaise volonté du clergé, et dans le souci de procéder rapidement au désengagement du domaine, le roi décide de suivre la deuxième proposition des Etats de Pontoise (l’aliénation de tout le temporel de l’Eglise) et, dans ce but, il ordonne le recensement des biens du clergé. Celui-ci, sentant le danger que représente pour lui cet inventaire, s’empresse d’accorder la demande royale, ce qui est fait le 17 septembre. La reine est prévenue le 20, l’offre lui paraît “petite” mais elle l’accepte. Reste à fixer la date officielle de l’accord.

Le “Contrat de Poissy”.est signé à Saint-Germain le 21 octobre 1561. C’est un contrat passé entre deux parties sur un pied de parfaite égalité juridique. Les pouvoirs en ont été donnés aux délégués de l’Eglise gallicane dont les représentants se sont rassemblés à Poissy. L’obligation du clergé s’étend sur deux périodes : - de 1561 à 1567, le versement d’une somme annuelle de 1 600 000 livres, qui sera employée au rachat des domaines et au remboursement des rentes, sauf celles qui sont engagées sur l’Hôtel de Ville de Paris - de 1567 à 1577, le remboursement de tout le capital des rentes. Avec ces deux clauses s’arrête toute la subvention du clergé dans la dette royale. Les subsides que les Etats de Pontoise n’ont pas fournis au roi, le Colloque de Poissy va les lui accorder. Si la royauté en tire un bénéfice, le clergé de France obtient, en retour, quelques compensations. Il a surtout évité l’aliénation de son temporel, ce que souhaitaient la plupart des députés assemblés à Pontoise. L’Assemblée du clergé à Poissy – 26 juillet au 14 o ctobre 1561 Au cours de cette assemblée réunie à Poissy, le clergé apparaît nettement sous son double aspect, religieux et politique. Il reçoit une double mission. La première lui est donnée par le chancelier à la demande du roi lors de l’ouverture du Colloque, en présence de la famille royale et de nombreux seigneurs de la Cour, à savoir, la réformation de l’Eglise, qui en a bien besoin (discipline et mœurs), afin, lui dit-il, de “faire cesser les tumultes et séditions survenues dans le royaume”. Quelques jours plus tard, le cardinal de Tournon, doyen de l’assemblée, rappelle au clergé rassemblé la seconde mission, c'est-à-dire le calcul des subventions à accorder au roi pour l’apaisement de la dette publique, L’étude des questions financières - qui vont être réglées, nous l’avons vu, par la signature du “Contrat de Poissy” - n’empêche pas les discussions religieuses. Encouragée par le chancelier Michel de l’Hospital, la reine mère reprend l’idée de membres du tiers parti (des gens modérés) qui souhaitent une rencontre entre des prélats du royaume et les principaux docteurs calvinistes, dans le but de rédiger une profession de foi commune, une sorte de concile gallican qui, pensait-elle, apporterait la paix au royaume – car les désordres civils la préoccupaient davantage que les questions religieuses. Elle pense aussi que cette rencontre de Poissy va faciliter la reprise du Concile de Trente, et elle espère bien que l’on y tiendra compte des décisions qui, pense-t-elle, seront prises à Poissy ! Officiellement il n’était pas question d’aborder le sujet des dogmes, mais ils étaient dans tous les esprits. Les nouveautés apparues à l‘époque passionnaient le peuple, comme le chant des psaumes, les prières en français, la communion sous les deux espèces, le mariage des prêtres. L’on a dit que la reine Catherine engageait, à l’époque de la tenue du Colloque, des négociations avec le pape pour obtenir certaines de ces concessions. En effet, alors qu’elle-même manifeste la plus profonde indifférence religieuse, des seigneurs et officiers de la Cour – à l’exception des partisans des Guise – sont favorables à l’adoption d’une partie des innovations introduites en France par la réforme de Jean Calvin. C’est ainsi, apprend-on, que quelques-uns des prélats présents au Colloque se rendent à la paroisse de Poissy où ils communient à la mode de Genève, c’est à dire sous les deux espèces. Cela se passait le dimanche 3 août, dans les débuts de l’assemblée du clergé, bien avant l’arrivée des ministres réformés à Saint-Germain. Le colloque de Poissy – 9 – 16 – 24 et 26 septembre 1561 Ce que l’on nomme communément “Colloque de Poissy” consiste, en fait, en une assemblée du clergé d’une durée de deux mois et demi (du samedi 26 juillet au mardi 14

octobre) au cours de laquelle ont eu lieu quelques jours de débats entre catholiques et réformés et, en même temps, des événements ayant pour cadre le château de Saint-Germain où réside la cour et où les ministres protestants, qui y sont accueillis, se réunissent également. Sur plus de cent prélats catholiques convoqués, une cinquantaine viennent à Poissy. Certains d’entre eux logent dans des appartements du Prieuré Saint-Louis. Parmi eux se trouvent six cardinaux (Tournon, Armagnac, Bourbon, Lorraine, Chastillon, Guise), trois archevêques et de nombreux évêques. Il faut ajouter les docteurs en théologie. Les assemblées solennelles ont lieu dans la grande salle du réfectoire et les débats et discussions dans une salle haute du monastère, située à l’intérieur de la clôture. Le 26 juillet, jour de l’arrivée des prélats, se passe en aménagement du réfectoire en salle de délibération, avec mise en place du dais pour y accueillir le roi et la famille royale, l’installation d’une tapisserie et des sièges (chaque prélat étant prié de financer son propre banc), sans oublier la table des secrétaires assermentés notant les délibérations et les conclusions de l’assemblée. Cette table était recouverte d’un tapis vert, une horloge de sable indiquait le temps qui passait. Le portier du monastère appelait aux convocations, à l’aide d’une grosse cloche, le matin à 7 heures et l’après-midi à 2 heures. Lorsque cette grosse cloche sonnait, durant une demi heure, les autres cloches du monastère ne sonnaient pas. Les jours suivants sont utilisés à l’organisation pratique de l’assemblée Le 31 juillet, le roi se rend à Poissy en compagnie de sa mère, des princes, des seigneurs et des dames de la Cour, qui séjournent alors au château de Saint-Germain. Le chancelier (Michel de l’Hospital) expose, aux membres du clergé présents, les causes de la réunion de ce “concile national” : la réformation des abus et l’apaisement des tumultes et séditions. Des réunions débats ont parfois lieu dans la salle du chapitre des religieuses, mais la salle appelée “le grand réfectoire” est, comme d’habitude, réservée aux assemblées du clergé. Il est décidé que l’on ne parlerait point de “doctrine et matière de foi” mais seulement de la “réformation des moeurs et des moyens d’ôter les abus de l’Eglise”. Douze docteurs en théologie et douze canonistes sont chargés de délibérer sur les douze articles concernant cette “réformation” : le droit canon et ses exemptions, la présentation aux cures, la portion congrue, la réforme des couvents, l’utilisation des monastères moins peuplés, etc. Quant aux subsides demandés par le roi, ils sont aussi, au même moment, discutés par les députés de la noblesse et du tiers état rassemblés à Pontoise. A l’exception du dimanche, les premières semaines de réunion de cette assemblée sont consacrées aux délibérations entreprises par les canonistes et les théologiens. Les ministres protestants à Saint-Germain Cependant, vers la mi-août, arrivent à Saint-Germain les deux premiers ministres réformés, Augustin Marlorat et François de Saint-Paul. Le 23 août c’est au tour de Théodore de Bèze, reçu avec beaucoup d’honneur. Le soir de son arrivée, il rencontre, chez Antoine de Bourbon, le jeune roi, la reine mère, les princes. Tout le temps de son séjour au château, il prêche. “Il parle avec facilité et dans un beau langage, écrit l’ambassadeur de Venise, mais la science lui manque”. Il a un grand succès auprès des princes et des pages de la Cour, qui passent alors leurs journées à sa prédication et au chant des psaumes. Les cardinaux de Tournon et de Lorraine, sans cessa absents de leur diocèse, se mettent à prêcher la résidence aux autres évêques et se repentent de n’avoir pas, eux-mêmes, assez pris soin de leurs troupeaux ! Quelques jours plus tard, le vendredi 29 août, Jeanne d’Albret, reine de Navarre et épouse d’Antoine de Bourbon, après un long périple (puisqu’elle est partie de Nérac au début de juillet), fait son entrée à Saint-Germain après plusieurs jours passés à Paris. Elle est reçue avec les égards dus aux souverains étrangers (la Navarre est un royaume indépendant). Le

soir de son arrivée, malgré son mauvais état de santé et la fatigue du voyage, elle assiste à une fête organisée en son honneur : illumination du château, course de taureaux dans une enceinte fermée, danses aux flambeaux et souper d’apparat. L’ambassadeur d’Espagne, toujours malveillant pour la France, relève aigrement les attentions que porte Catherine à sa visiteuse, ce qui, d’après lui, serait la preuve de sa “condescendance coupable” vis-à-vis des réformés ! A ceux qui lui déconseillent, à cause des “oppressions … faites aux gens d’Eglise”, d’écouter les arguments des réformés, la reine mère répond qu’ils sont sujets du roi, et qu’il se doit de les écouter comme tous ses autres sujets. La semaine suivante, a lieu une tentative d’incendie du monastère de Poissy. L’on a retrouvé plusieurs saules coupés dans le but d’escalader le mur, sans résultat, celui-ci étant trop haut. Des fusées incendiaires ont alors été lancées en grand nombre par-dessus les murailles, mais sans causer de dégâts. Le maire de Poissy, très ennuyé, a peur que des énergumènes, pour manifester leur mécontentement, ne mettent sa ville “à feu et à sang”. Il prend alors un arrêté ordonnant, sous peine d’amende, que tous les habitants de Poissy placent, chaque nuit, devant leur porte, un tonneau plein d’eau pendant toute la durée du colloque, afin d’arrêter tout départ de feu. La journée du mardi 9 septembre 1561 La matinée de ce jour se passe en préparatifs pour la venue du roi et pour le placement de chacun. Il est prévu que “les cardinaux, archevêques et évêques s’assoiraient au circuit sur les bancs ordinaires à la droite et que les docteurs s’assoiraient sur d’autres sièges au côté dextre et le clergé au côté senestre, de peur de confusion”. Ils sont priés de dîner (=déjeuner) de bonne heure afin d’entrer tous en bon ordre en l’assemblée avant l’arrivée du roi. Quant aux ministres réformés, ils sont “amenés de Saint-Germain à Poissy, les uns dans des coches, les autres à cheval ; ayant leur sauf-conduit et garde des archers du roy”. Dans une lettre à Calvin, Théodore de Bèze raconte qu’ils ont été “reçus à la porte du couvent par le duc de Guise, grand maître de la Maison du roi, et introduits dans la salle du réfectoire. Qu’ils ont été obligés de se ranger debout, entourés des archers de la garde, le long d’une balustrade qui les séparait de l’enceinte royale.” Ils doivent être une petite trentaine, mais douze seulement sont représentés sur les gravures de l’époque. Voici les noms, tant des simples ministres que des superintendants : Jean de La Tour (ministre de Jeanne d’Albret) – François de Saint-Paul (de Dieppe) – Nicolas des Gallards (ancien ministre de l’église de Paris) – François de Morel dit de Collonges, (de Montargis) – Jean Raymond Merlin (ministre de Coligny) – Augustin Marlorat (de Rouen) – Nicolas Follion dit Lavallée – Jean Boquin (de Saintonge) – Théodore de Bèze (de Genève) - Jean Malot (de Paris) – Jean de l’Espine – Claude de la Boissière (de Nantes). Il y a aussi des députés des provinces : Antoine de la Roche-Chandieu – Michel de Barbançon, sieur de Cany – Simon de Preneau, sieur de Piennes – Gervais le Barbier de Francourt, conseiller de Jeanne d’Albret – Dumas ou Dalmais – Jean de Gaber – Grégoire de Selve – Du Boys ou Du Vaays – Bléreau ou Cléreau – Gervault ou Gervais ou Baynard – Remons ou Remons. La journée du mardi 9 septembre est la seule, avec le mercredi suivant, au cours de laquelle les deux communautés ont été réunies en si grand nombre, en présence du roi, de la famille royale, de la Cour et d’une foule importante. Elle était l’espoir de Catherine de Médicis, d’autant que sa conversation de la veille avec Théodore de Bèze, au château de Saint-Germain, lui laissait supposer une issue conforme à ses souhaits de bonne entente. La réflexion du chef de la délégation réformée, vers la fin de sa harangue (c’était le nom donné à l’époque à son discours), au sujet de l’eucharistie, le stupéfait lui-même et lui cause de

l’embarras, ainsi qu’à ses coreligionnaires, selon les témoignages de l’époque et les gravures qui illustrent le moment. Voici ses paroles : “Si quelqu’un là-dessus nous demande si nous rendons Jésus Christ absent de sa sainte Cène, nous répondons que non. Mais si nous regardons à la distance des lieux (comme il le faut faire, quand il est question de sa présence corporelle, et de son humanité distinctement considérée), nous disons que son corps est éloigné du pain et du vin, autant que le plus haut du Ciel est éloigné de la terre, attendu que quant à nous, nos sommes en la terre, et les sacrements aussi…”. Ces quelques mots ont indigné les prélats et théologiens catholiques réunis en ce lieu pour l’écouter. Le texte de la harangue a été publié à l’époque, et suivi de quelques lignes adressées à la reine, pour justifier ces paroles et tenter d’atténuer le scandale qu’elles ont ainsi causé. Mais ce jour-là, Catherine a perdu ses illusions et la confiance qu’elle avait en Théodore de Bèze. La mise en scène de la séance du 9 septembre Une gravure très connue, celle de Tortorel et Perrissin, a été réalisée dix ans plus tard (1571). De l’étude attentive de cette gravure, il en ressort quelques points fort intéressants et des lacunes (il est vrai que les dessinateurs n’étaient pas présents à la scène). Elle nous présente la première rencontre et quelques personnages dont les noms sont signalés. Le réfectoire, nous le savons, mesurait 12 m de large sur 50 de long, ce qui lui donne une surface de 600 m2. Nous ne voyons donc sur la gravure que le tiers de la salle de réunion, ce qui expliquerait l’absence de certaines personnes, tels que vingt-deux députés des églises réformées, un certain nombre d’évêques, des dames de la Cour, etc. Au fond de la salle, devant un dais parsemé de fleurs de lys, se trouvent, au premier rang, six trônes ou sièges hauts où sont assis six personnages importants de la Cour, dont les pieds reposent sur des coussins. De gauche à droite, ce sont – le roi de Navarre Antoine de Bourbon – le futur Henri III (9 ans) – le jeune roi Charles IX (10 ans) – la reine mère Catherine de Médicis – Marguerite de Valois ( 7 ans) – Jeanne d’Albret reine de Navarre. Derrière eux, sur quatre rangées de bancs, se trouvent une trentaine de princes du sang (dont Louis de Condé, François de Guise, Anne de Montmorency) et des seigneurs de la Cour. Face à eux, se tiennent debout douze ministres calvinistes, parmi lesquels Marlorat de Lorraine, Jean Malot, Jean de l’Epine, Pierre Martyr, Jean Viret, François Morel, etc. Ils sont menés par Théodore de Bèze, chef de la délégation protestante. Ils semblent discuter entre eux, mais Bèze lève la main, soit pour annoncer qu’il va s’exprimer, soit pour montrer le ciel au moment de sa réflexion sur l’eucharistie. Sur la gauche de la gravure, entre la Cour et les ministres protestants, est assis un peu en avant, en tant que chef de la délégation catholique, le cardinal de Lorraine, Charles de Guise. Derrière lui, pareillement assis, le cardinal François de Tournon, le cardinal de Châtillon Odet de Coligny, et le théologien Michel de l’Hospital. A côté d’eux, assis sur des trois rangées de bancs, une petite vingtaine d’évêques et de docteurs. A droite, face au cardinal de Lorraine, une sorte d’écritoire pour deux secrétaires chargés de retranscrire l’intégralité des débats. Peut-être l’un des deux est-il Claude Despence qui a laissé une relation détaillée de ces journées ? Un peu en arrière, des fauteuils hauts sont occupés par le cardinal d’Armagnac, par le cardinal Charles de Bourbon et par le cardinal Louis de Guise. A côté de ceux-ci, assis sur des bancs, seize docteurs en trois rangées.

Sur chaque côté de la gravure et au fond debout en arrière des longues tables des religieuses, vingt-six personnages plus ou moins attentifs, plus ou moins attentionnés. Ils s’accoudent à la table, bavardent ou détournent la tête. Personne ne sait qui ils sont ni ce qu’ils font en ce lieu ! Au premier plan, de part et d’autre de la gravure, des gardes du roi, dont la fonction est de veiller jour et nuit sur sa sécurité et qui l’accompagnent dans tous ses déplacements : ils sont six à droite et huit à gauche, portant tous une hallebarde et une épée, quelques-uns ont aussi une dague. Ils entourent les ministres protestants. Les séances suivantes Durant les jours suivants, les points de doctrine confessés par les réformés sont soigneusement étudiés à Poissy afin d’y répondre et de les réfuter. Les prélats et théologiens catholiques poursuivent aussi les séances de leur assemblée. Les ministres protestants sont toujours logés à Saint-Germain et, eux aussi, de leur côté, débattent et discutent. Théodore de Bèze revient à Poissy le mardi 16, en présence du roi, de la reine, de toute la Cour, comme cela avait été le cas une semaine auparavant, pour entendre le cardinal de Lorraine réfuter ses dires Ce jour-là, raconte Claude Despence qui était présent, “il y avait alors à la dite assemblée si grand nombre de gens qu’on ne pouvait se tourner. La prieure de Poissy était en haut, là où on lit la Bible, avec d’autres religieuses aux treillis faits tout exprès pour elles. Les autres religieuses étaient sur les côtés de l’église, où elles voyaient par les verrières”. Le mercredi 17, le montant de la subvention à accorder au roi est décidée (voir le paragraphe “Le Contrat de Poissy”). Quant aux articles de la réformation, leur étude est confiée à quelques théologiens et canonistes qui devront se réunir dans une salle à l’intérieur de la clôture. Le 19 septembre arrive à Saint-Germain Hippolyte d’Este, cardinal de Ferrare, légat du Pape. Le Pape a toujours craint la tenue d’un concile gallican et sa confiance en la régente de France est très limitée !!! D’abord mal accueilli, le légat réussit cependant à faire comprendre le danger des disputes théologiques pouvant amener la guerre civile. C’est aussi le souci de Catherine. Aussi elle réduit le nombre des participants aux délibérations (pas plus de cinq ou six de chaque côté) et elle fait transférer le lieu des délibérations, du grand réfectoire des Dominicaines à une salle de petites dimensions, à l’intérieur de la clôture, ce qui permet la sérénité des débats et empêche la présence des seigneurs et dames de la cour et autres curieux. A nouveau, le mercredi 24, quelques théologiens protestants et catholiques se retrouvent, en la présence de la reine, dans la salle de la prieure, pour écouter Théodore de Bèze réfuter les propositions du cardinal de Lorraine. Mais la séance est houleuse. Des paroles aigres sont prononcées de part et d’autre. La reine est obligée de lever la séance au milieu du tumulte et elle se retire. Une nouvelle tentative a lieu au même endroit, deux jours plus tard. Le général des Jésuites est présent. Au cours de son intervention, raconte Despense, “le général des Jésuites, don Diego Laynez, commença à parler très librement en son langage vulgaire italien et plus hardiment qu’il n’eut fait en français… il dit, en usant de ces paroles vulgaires italiennes à l’encontre desdits adversaires de notre foi et religion, loupi, vulpi, serpenti, assassini”. Puis une discussion a lieu entre quelques théologiens, mais ils ne peuvent s’entendre.

Les jours suivants, ce sont toujours des débats, discussions, essais de rédaction d’un texte qui convienne à tous. Plusieurs formules sont étudiées, proposées, rédigées, et les écrits sont transportés à travers la forêt d’un lieu à l’autre. C’est en vain. Si aucune profession de foi commune ne voit le jour, ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Le lundi 13 octobre est annoncée la dissolution de l’assemblée du clergé pour le lendemain. Quelques députés catholiques vont rencontrer le roi à Saint-Germain pour lui faire un compte-rendu. L’arrivée de luthériens est annoncée. Tous les ministres protestants étant partis, seul Théodore de Bèze accepte de les rencontrer et de leur tenir tête. Ils sont d’abord convoqués à Saint-Germain pour le 26 octobre, mais une épidémie se déclare et empêche leur venue. Le 7 novembre, Antoine de Navarre les reçoit, toujours au château de Saint-Germain et les présente à la reine. Le cardinal de Lorraine veut rouvrir une séance avec eux, mais il y a des désaccords. Ils repartent précipitamment. * * * L’échec de ce colloque - ou son inutilité ? L’on peut se demander les raisons d’une séparation aussi rapide et le manque de conclusion. Pour Alphonse de Rubble : - Les catholiques, n’attendaient rien de cette confrontation, car ils pensaient que l’Eglise devait se réformer par elle-même, de l’intérieur. Ils ont saisi avec empressement l’occasion de clore la discussion. - Le tiers parti, celui de la reine et du chancelier, avait espéré pacifier le royaume mais, dès la première séance, celle du 9 septembre, ils avaient perdu toute illusion. - Les réformés, qui pouvaient tout gagner en prolongeant les débats, ont accepté la dissolution sans protester. Peut-être même ont-ils voulu précipiter le dénouement, à cause de l’annonce de l’arrivée prochaine des luthériens à Saint-Germain ? L’historien Jérémie Fao pense que la réunion d’un colloque à Poissy était inutile et même incongrue. Selon lui, l’édit publié au printemps 1560 (l’édit d’Amboise complété par l‘édit de Romorantin), donc plus d’un an auparavant, apportait l’apaisement et la liberté de conscience. Pour lui, il se pourrait que le colloque de Poissy n’ait servi qu’aux ambitions des protagonistes. - Catherine a tout intérêt à s’imposer au moment où elle prend le titre de régente, normalement réservé au premier prince du sang, Antoine de Bourbon. Elle est méprisée par les Grands du royaume en tant qu’italienne et considérée comme une simple “banquière”. Or, si son père était un Médicis, elle était, par sa mère Madeleine de la Tour d’Auvergne, apparentée à toutes les familles princières du royaume. De plus, elle espère pousser à la reprise du Concile de Trente et influer sur ses décisions. - Quant à Théodore de Bèze, il n’est qu’un simple “pasteur” et, en conséquence, n’est pas considéré comme un interlocuteur valable, contrairement à ceux des princes d’Allemagne passés au luthérianisme, des personnages avec lesquels on pouvait traiter – et le cardinal de Lorraine ne s’en est pas privé. Cette rencontre de Poissy aurait donné à Théodore de Bèze une sorte de légitimité, lui aurait permis d’officialiser sa position. En fait, si chacun s’était contenté des édits du printemps 1560 et si aucune rencontre n’avait eu lieu à Poissy, nous aurions – peut-être – pu éviter de longues années de luttes fratricides et de persécutions de part et d’autre, et faire l’économie d’une rupture dans l’Eglise

Des paroles apaisantes Le petit roi a clôturé officiellement le Colloque de Poissy par une ordonnance du 18 octobre, au cours de laquelle, il fait “défense aux réformés d’usurper des bénéfices et de s’emparer des églises, et aux catholiques de troubler les exercices de la nouvelle religion. Il est également fait défense aux deux partis d’employer les dénominations insultantes de “huguenots” et de “papistes”. C’étaient déjà les termes de Michel de l’Hospital, quelques mois avant la rencontre de Poissy. Il s’était alors élevé contre l’esprit partisan et avait vanté les bienfaits de la réflexion et de la mansuétude : “La douceur portera plus que la rigueur, déclarait-il. Otons ces mots diaboliques, noms de partis, de factions et de séditions, luthériens, huguenots, papistes. Ne gardons que le nom de chrétiens”. Il avait refusé l’emploi de la force, accepté la persuasion : “Nos langues valent mieux que nos lances”, assurait-il. Cet état d’esprit sera aussi celui d’Henri de Navarre devenu Henri IV en 1589, au moment où il tente de réconcilier les Français : “Il ne faut plus faire de distinction entre catholiques et huguenots, il faut que tous soient de bons Français”. B.Dieudonné – août / septembre 2011 Aide - - Alphonse de Rubble, Le Colloque de Poissy, Editions Champion, 1889. (contient les comptes rendus quotidiens de l’assemblée du clergé, rédigés par Claude Despence qui y était présent). - J. Laferrière, Le Contrat de Poissy – 1561, 1905. - La première Harangue faicte par Théodore de Bèze … , XVIè siècle. - Communication de Jérémie Fao, Poissy, samedi 10 septembre 2011.